Skip to main content

Full text of "Histoire des hommes illustres de l'ordre de Saint Dominique; c'est-à-dire des papes, des cardinaux, des prélats éminens en sience et en sainteté; des célébres docteurs, et des autres grands personages, qui ont le plus illustré cet ordre, depuis la mort du saint fondateur, jusqu'au pontificat de Benoît XIII"

See other formats


This is a reproduction of a library book that was digitized 
by Google as part of an ongoing effort to preserve the 
information in books and make it universally accessible. 


EE Le] 


Google books ë 


https://books.google.com [»] 





Google 


À propos de ce livre 


Ceci est une copie numérique d’un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d’une bibliothèque avant d’être numérisé avec 
précaution par Google dans le cadre d’un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l’ensemble du patrimoine littéraire mondial en 
ligne. 


Ce livre étant relativement ancien, 1l n’est plus protégé par la loi sur les droits d’auteur et appartient à présent au domaine public. L’expression 
“appartenir au domaine public” signifie que le livre en question n’a jamais été soumis aux droits d’auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à 
expiration. Les conditions requises pour qu’un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d’un pays à l’autre. Les livres libres de droit sont 
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont 
trop souvent difficilement accessibles au public. 


Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir 
du long chemin parcouru par l’ouvrage depuis la maison d’édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains. 


Consignes d’utilisation 


Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendre 
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. 
Il s’agit toutefois d’un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les 
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des 
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. 


Nous vous demandons également de: 


+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l’usage des particuliers. 
Nous vous demandons donc d’utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un 
quelconque but commercial. 


+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N’envoyez aucune requête automatisée quelle qu’elle soit au système Google. Si vous effectuez 
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer 
d’importantes quantités de texte, n’hésitez pas à nous contacter. Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l’utilisation des 
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile. 


+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet 
et leur permettre d’accéder à davantage de documents par l’intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en 
aucun cas. 


+ Rester dans la légalité Quelle que soit l’utilisation que vous comptez faire des fichiers, n’oubliez pas qu’il est de votre responsabilité de 
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n’en déduisez pas pour autant qu’il en va de même dans 
les autres pays. La durée légale des droits d’auteur d’un livre varie d’un pays à l’autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier 
les ouvrages dont l’utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l’est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google 
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous 
vous exposeriez en cas de violation des droits d’auteur peut être sévère. 


À propos du service Google Recherche de Livres 


En favorisant la recherche et l’accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le frangais, Google souhaite 
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet 
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer 


des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l’adresse[http://books.googqle.com 


? 
LI 
LL d 
Fe. 
Fr. 


Lire 


y te CE 
DION ZeCLOVP* sO OQ | V2 
nn, 1 





Rte ns dt MEET a 


LL set 
m'eh han, Pr 
ni À Fe 


7 


BNP he dit ane ou 


K 


[al 
LL 


d 


A 
ï 


-r— 
[] 
| 
| 
| 
LS 


[al 
Îl 


îl 
| | 


e 
i 


| 


P2 


il 
QT 


HOFBIBLIOTHE 
OSTERR. NATIONALBIBLIOTHEK 


(al 
LL 


A 
: 


K. K. 





à 


LX 


AVa à, 
À an, 
KT Ne OBne, 


AELAE cr 
SR. Si TT 


FU 


, 
RE 
5 © . eur M 25 
ces Re LA ET Gosse. 


.s Ur ga te 5e, : | L es he Pb je Os Hood LS os Et 2 à. Re 





Li = nr me 
# _: … ; £ rs re SUR ur . . ee ss ; - 
# = A om mn : à ? 
— \ 





- 
_ , 
La À | 
27 
D 
’ 
; 0 
. 
- 
# 
‘ 
»- 
' 
— 
| ‘ 
| - 
. x 
3 
- 
e 
\ 
# 
, #” 
a 
LS | 
: 4 
4 d : 
, 
” L | 
’ 

+ : | | | 

| d 

d 

4 

2 : 

e ÿ 
” 
Ed 
° 
L 
| ‘ 
; - 
pu Ce e 
| \ 
à 
\ 
, | | 
! 
, dd ‘ 
» 
| L 
| \ 
} . 
LAS 





N 


UN PE nee. Ré Care — 


HISTOIRE 


DES 
HOMMES ILLUSTRES 


D E c-dHslass 


SAINT DOMINIQUE: 


C'EST-A-DITRE, 
DES PAPES, DES CARDINAUX, DES PRELATS 


éminens en Sience & en Sainteté ; des célébres Doéteurs , & des 
autres grands Perfonages , qui ont le plus illuftré cet Ordre, : depuis 
la mort du faint Fondateur , jufqu’au Pontificat de BENOÏT XIII. 


Par le Révérend Pere A. TOURO N, Religieux du même Ordre. 
TOME PREMIER, 


rschis Déres Chrysostomus 
D Spiritu Elias, charitatis audacia Joannes à 
Le post Apostolorum tempora | 


re in Eccleste pace 
PTS et Martyr. 





st, : 


À P A RES, - 
Chez BABUTY, ruë Saint Jâques, à Saint Chryfoftome, 


| M DCC. XLIII. 
AVEC APROBATIONS ET PRIVILEGE DU ROIL. 





an = La 


PRIVILEGE DU RO]. 


OUIS,;rARLAGRACE DE DiIEu;, Ro1DE FRANCE ET 
JDENAVARRSB:Anos amés & féaux Confeillers ,: les Genstenans 
nos Cours de Parlemens, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel ; 
Grand Confeïl , Prevôt de Paris, Bailliés Sénéchaux, leurs Lieutenans 
Civils, & autres nos Jufticiers qu'il apartiendra : Sazur: Notre bien 
amé FRANÇOIS BABuTy, Libraire à Paris, Nous a fait expofer qu'il 
défireroit faire imprimer & donner au Pubhicun Manufcrit qui a pour 
atre, Hifloire des Hommes Hllufires, qui per leur fainteré ; leur doëtrine , leurs 
talens ou leurs emplois , fe font plus difiingaëés dans l'Ordre des FF. Précheurs y 
depuis [a fondation , jufqu'au Pontificat de Benoit XIII , par le P. TouRON;, 
du même Ordre ; s'il nous plaifoit de lut acorder nos Lettres de: Privi- 
lége pour ce néceffaires, A éaseAusEs, Voulant favorablementtrairer 
l'Expofant , Nous lui avons permis & permétons par ces Préfentes, de 
faire imprimer par tel Imprimeur qu’il voudra choilir , le Manufcrit ci- 
defflus fpécifré en nn on Infienre Volumes  & autrnr.de fais que bon lui 
femblera , & de les vendre, faire vendre & débiter par tout notre Royau 
me pendant le tems de quinze années confécutives ; à comter du jour de 
la date defdites Préfentes : Faifons défenfes à toutes fortes de perfonnes de 
elque qualité & condition qu’elles foient ; d’en introduire d’impreflion 
trangere dans aucun lieu de notre obéiffance ; comme aufli à tous Librai- 
tes, Imprimeurs & autre$, d'imprimer , faire imprimer , vendre , faire 
vendre, ni contrefaire ledit Ouvrage, en tout ni en partie , d’en faire 
aucune traduction , abrégé ou extrait , fous quelque prétexte que ce puiffe 
être , d'augmentation , correction ; changemens ou autres, fans la per- 
miflion exprelle & par écrit dudit Expofant, ou de ceux qui auront droit 
de lui ; à peine de conffcation des Exemplaires Pate » & de trois 
mille livres d'amende contre chacun des contrevenans , dont un tiers à 
Nous, un tiers à l'Hôtel-Dieu de Paris , & l’autre tiers audit Expofant, & 
de tousdépens , dommages & intérêts : à la charge que ces Préfentes feront 
enregiftrées tout au long fur le Regiftre de la Communauté des Libraires & 
_Imprimeurs de Paris dans trois mois de la date d'’icelles ; que l'impreffion 
dudit Ouvrage fera faite dans notre Royaume & non ailleurs, en bon 
papier & beaux caraéteres , conformément à la feuille imprimée atachée 
our modéle fous Le contre-fcel defdites Préfenres ; que FImpétrant fe con- 
pans en toutaux Réglemens de la Librairie; & notamment à celui du 
dixiéme Avril mil fept cent vingt cinq; qu'avant que de les expofer er. 
vente le Manufcrit ou Imprimé qui aura fervi de copie à l’imprefion dudit 
Ouvrage , fera remis dansle même état, où l’Aprobation y aura été don- 
née, ès mains de notre très-cher & féal Chevalier le Sieur Dagueffeau 
€hancelier de France , Commandeur de nos Ordres ; & qu’il en fera enfuite 
semis deux Exemplaires dans notre Bibliothéque publique , un dans celle 





0 


de notre Chateau du Louvre, & un dans celle de notredit très - cher 
& féal Chevalier le Sieur Daguefleau, Chancelier de France ; le tour 
à peine de nullité des Préfenres: du contenu defquelles vous mandons & 
enjoignons de faire joüir ledit Expofant & fes ayans caufes pleinement 
& paifiblement , fans foufri qu'il leur foit fait aucun trouble ou em- 
pêchement. Voulons que la copie defdites Préfentes qui fera imprimée 
tout au long au commencement ou à la fin dudit Ouvrage , foit renuë 
pour düëément fignifiée , & qu'aux copies collationnées par l'un de nos 
amés & féaux Confeillers & Secretaires, foi foit ajoutée comme à l’O- 
riginal : commandons au premier notre Huiflier ou Sergent, fur ce requis, 
de faire pour l'exécution d’icelles, tous actes requis & néceflaires , fans 
demander autre permiflion ; & nonobftant Clameur de Haro, Chartre 
Normande & Lettres à ce contraires; car tel eft notre plaifir. Donne’ à 
Paris le quinziéme jour du mois de Fevrier , l’an de grace mil fept cenc 
quarante-trois, & de notre Régne le vingt-huitiéme. Par le Roi en fon 
Confeil. SAINSON. 


Regifiré fur lo Reg. vs» MI. de la Churnbre Royale dre Liolsasres & Imprimeurs de 
Paris, NS 131. fol. 111. conformément aux anciens Réolemens , confirmés par 
L / Q Ê ' ’ . 
celui du 28 Février 3723..4 Paris le 18. Fevrier 1743. 


SAUGRAIN, Syndic. 





Î 


"De L'Imprimerie de CLAUDE. SIMON , pere, 


À 


M Mai 
re 4 
en = 
A =! à 
D 
N 
ms ”- 
D 4 + 
= 2 , Li 


L 


l 
; 


ï 
| 
LJA 


| 
| 


Lx 
= 
à 

Î 

: 

Û 


(4 
ML, 4. 
ER ; ‘ 
L 
4tt 


* 
1 
N 
Fe 


un - DUT “Re ee Em Eee 7 





NOTRE TREÉS-SAINTPERE 
LE PAPE 


| BENOÎT XIV. 


| Fa + 
| À RES-SAINT PERE, 


PA UEzove brillant que puiffe étre le méri- 
ESS ce de tant de Grands Hommes , qui ont 
ilufiré l'Ordre de Saint Dominique ; le nom fi 
augufle , fous les aufpices duquel VOTRE 


à i) 





E PITRE. 


SAINTETE’ me permet de faire paroitre leur 
pr. ri » répandra un nouvel éclat fur leurs 
ahons ; & fera fans doute pour le Leileur 
chrétien un nouveau motif d’eflimer leurs ver- 
tus, de les imiter. La Religion , qui fembloit 
les avoir formés de fes mains , pour la gloire de 
l'Evangile , leur avoit infpiré pour le Siége 
Apo/tolique , ces fentimens de vénération , de 
zéle, & d'amour , qui feront toujours le vrar 
Eee des Enfans de Dieu , & de [on 
life. 

y os illufires Prédéceffeurs , TRE’S-SAINT 
PERE,, établis par Jesus-CHr1sr même , pour 
apeller les Narions à l’unité de la For , & réu- 
zur tous les Peuples dans le bercaildu Souveraire 
Pafteur , employérent avec fuccès ces Hommes 
choifis , dont la plume [avante , la langue , &G 
le miniflére , ont [ouvent diffipé les ténébres de 
l'erreur , confondu le menfonge , & procuré 
de nouveaux triomphes à la Vérité. Enfant 
l'Hifloire de leurs glorieuxtravaux , on apren- 
dra une partie de celle de plufieurs Souverains 
Pontifes , dont ces Grands Hommes ne furent 
que les fidéles Muufires : Et fon admire la vi- 
gilance atentive des Succeffeurs de S. Pierre, 
pour la propagation de la Foi & le falut des 
ames , on fe félicitera en méme-tems de voir re- 
vivre leur efprit , dans la Perfonne de celui , er 


L : 
Re Re 0 Mn EPS MS = pere gg - 


E PI T RE. 


qui toute l'Eglife révére aujourd'hui la même 
autorité , les mêmes vertus , le même 7éle pour 
la beauté de la Maifon du Seigneur. 

Onfe rapellera , non fans une [écrete [arif- 
faëtion , le fouvenir de ce jour heureux , où les 
premiers Princes de l’Eglife , & tous les Peuples 
Fidéles , réunis dans les mêmes [entimens , firent 
éclater par des témoignages fenfibles de leur joie, 
les douces efpérances qu'ils concevoient déja 
d'un Pontificat, qui leur prométoi d'avance 
tous les avantages de celui des Grégoires , des 
… Léons, des Innocents, 8&C des Benotïts. Rome & 
Bologne n'aplaudirentles premieres au bonheur 
de toute la Chrétienté , que parce qu'elles étocent 
acoutumées à voir de plus près dans la Perfon- 
ne d'un illuftre Archevéque , & d’un gran 
Cardinal, toutes les qualitez d'un grand Pape ; 
la fublimité du génie, la fupériorité destalens , 
la Grandeur d'ame, le Courage, la Fermeté , le 
Goût exquis des Siences , une vafle & féconde 
Erudition , la Charité enfin, & le défir defaire 
régner partout la Jufhce & la Paix. 

Tout ce que Votre Exalrauon , FRES- 
SAINT PERE , nous avoit d'abord anon- 
cé, tout ce qu'elle nous prométoit , nous l'avons 
bientôt après admiré ; nous l’admirons encore 
dans la fageffe de vos Décrets , qui n’ont pour 
objet que la Gloire du Très-Haut , le falut des 


à ii] 


# 


E P IT RE. 
Fidéles , l'honneur de la Religion. Nous l'ad- 


murons dans cette atention continuelle a faire 
fleurir la Piété , 6 refpeiler le Lieu [aint ; à 
rétablir , ou perfetlionner la Di{cipline , la 
Décence , & la Mayeflé du Culte Divin ; à 
aprendre enfin aux nouveaux Chrétiens dans 
les Contrées les plus reculées , ce que la Pureté 
de la Loi Evangélique leur permet, & ce qu’elle 
leurinterdit. Nous l’admirons dans cette [age 
Vigilance , avec laquell VOTRE SAIN- 
TETE’ travaille a corriger les abus , a don- 
ner des bornes au luxe , a protéger les fosbles , 
à effuyer les larmes de ceux qui étoient [ans 
con/olation.. Nous l’admirons dans ce Zéle in- 
fatigable , qui veille a tout , & qui pourvoir fr 
a propos à l’inftrutlion des Muruftres de l’Autel, 
aux befoins des Pauvres , à la sûreté des Peu- 
ples , &G à leur repos. 

La Poflérité admirera furtout cet Efprit d’é- 
quité & de prudence , dont les vives lumieres ont 
fau d’abord difparoitre tout ce qui retardoit la 
bonne intelligence entre le Saint Siège , & quel- 
ques Cours étrangeres. Non,TRE’SSAINT 
PERE, à n’apartenoit qu'a un Gén fupé- 
rieur , né pour la profpérité de l'Eghfe , de 
trouver avec tant de facilité, à en fi peu de 
tems, le [écret merveilleux de conculier les inté- 


 réts les plus opofés ; & de faire fervir a la con- 


E PI T R E. ° 

clufion de la Paix , ce qui fémbloit métre des 
obftacles à toutes votes de concihation. Pour- 
roit-on jamais oublier ce que Benoîr XIV, 
plus élevé encore par les dons de la Nature 
& de la Grace, que par la Prééminence de [on 
Siége , a fait prefque dès les premiers jours de 
fon Pontificat , pour terminer d'anciennes dif- 
putes , 6 en prévenir de nouvelles ? | 

. Mais que ne doivent point faire efpérer à tous 
ceux qui s’intéreffent fincérement au bien de 
l'Eglife , c’eft-a-dire, a tous les véritables Chré- 
tiens , ces heureux commencemens d’un Ponti- 
ficat , dont les fondemens ne font autres que la 
Juflice & la Religion ? Eh , pourquoi n’efpére- 
rions-nous pas de la fageffe & de la charité éclai- 
rée d'un Pere commun , le retour défiré de ces 
jours fereins & tranquiles , que des cœurs do- 
ciles , toujours unis dans les mêmes fentimens , 
& par la profeffion des mêmes V'éritez, couloient 
dans les douceurs de la Paix & de l'Inocence ? 
C’eft le privilége que le Seigneur prométoit au- 
crefois à fon Peuple , comme le prix de [a fidéli- 
té, & qui feroit encore aujourd’hui de l'Eglfe 
de la Terre, l'image augufle de celle du Ciel. C’eft 
auffi, TRES-SAINT PERE, j'ofe le dire avec 
confiance, c’eft la la principale gloire réf[ervée à 
Votre Ponuficat, déja fi diftingué par des Evé- 
nemens , qui fufiroient pour en ulluftrer plufieurs 
autres, - 


Ld 


* EPITRE 
Que celui qui ejt riche en miféricorde, daigne 
éxaucer l’humble priére de [es Serviteurs ! Et 
puifqu’il nous a donné un Pafieur felon [on 


cœur , qu’il lui plaife auffi prolonger des jours 
fi précieux ! Qu'il conferve longtems, pour le 


bonheur . Eglife ,un Pontife ft digne d’El- 


Le ! Tels font, TRES-SAINT PÈRE , les 


Vœux finceres de tous les véritables Chrétiens. 


Ce font en particulier ceux d’un Ordre , que’ 


VOTRE SAINTETE honore toujours de 
fa bienveillance ; & [pécialement de celui qui a 


l'honneur d'être avec le plus profondrefpett, . 


TRÉS-SAINT PERE, 
DE VOTRE SAINTETÉ, 


Le très-humble , & très-obéiffant 

Serviteur,& Fils, F. ANTOINE 

TouroN, de l'Ordre des FF. 
Prècheurs,s . | 


=: | PRÉFACE. 


ee 


pa ; .. . - ne @ : 
BABA À S,8,4,4,8 8.2 4, 418, 4,4 4,3, 4,4,4,5,4,.8 4,4, 5.2 4 
SDÈDÈ/DE DDR DDC /DL/DL/ DL DR D DDC /DE/ DD L/DC-DE/D 


À 0 A 0 0 SU 


D CODE : r SSD DDC IC SLT LIL SC DDC SCD CCC S 
RÉAL DULÉUIULUIUC TOUT UNIT UTC 


PRÉFACE. 


| | E Titre de l'Ouvrage que nous préfen- 
LS GE] tons au Public, ne roit connoître 
m4 Lis partie le deflein que nous nous 
: I CSD fommes propofé de remplir , fi on le 
SEE nas, confidéroit précifément commelHif- 
| toire particuliére de l'Ordre de Saint 
Dominique , ou de fes plus illuftres Sujets. Il eft vrai 
qu’en nous renfermant même dans ce féul objet, nous 
aurions pü fournir à tous les Fidéles , qui refpeétent la 
Vertu & la Religion, de grands éxemples de la plus 
haute fainteté , du zéle le plus éclairé & le plus pur, de 
la patience , & de la fermeté la plus héroïque dans tou- 
tes fortes d'épreuves ; en un mot , des modéles parfaits 
de la Juftice Chrétienne. Mais en édifiant la piété du 
Lecteur , nous aurions fans doute moins piqué fa cd- 
riofité ; & trop atentifs à ce qui peut nous intérefler , 
-nous n’autions pas aflez profité de l’ocafion qui fe pré- 
{entoit fi naturellement , de lier l’Hiftoire de l'Eglife 
avec celle d’un Ordre Apoftolique , qui ; pendant plus 
de cinq fiécles, a glorieufement travaillé , & travaille 
encore à la Propagation de la Foi, à la défenfe ou à la 
confervation du facré Dépôt, à l'extinction des Schif- 
mes, & des Héréfies , au falut des ames , à l'édification 


des Peuples. - | 
Tome 1 Ë 


pe 


4,44 4,8 


CODES 


4 
«a 





* Pierre de Ta- 
rantaile , depuis 
Pape. 
Latin Malabran- 
chc. 

Hugues Aycelin. 

_ Nicolas Bocafi- 


ni, depuis Pape. 


5] œ PRE FACE. 

L'intention du faint Fondateur... lorfqu’il conçut Îe. 
deffein de fon nouvel Inftitut , étoît de préparer par la 
Priére & par l'Etude , des Miniftres de l'Evangile , aflez 
inftruits pour en connoître toutes les Véritez & toutes 
les maximes ; aflez zélés pour les anoncer aux Domefti- 
ques de la Foi, & à fes'ennemis ; aflez intrépides pour 
ne pas craindre de les défendre avec courage , &. de les 
{céler de leur fang. Il prétendoit , cet Homme rempli 
de l'Efprit de Dieu, laiffer après lui des Succefleurs dans 
le faint Miniftére , &, des heritiers de fa piété , égale- 
ment capables d’inftruire & d’édifier les Fidéles, de prè- 
cher fans décuifement la Doctrine du: falut aux Grands 
& aux petits, de confoler & de fervir l'Eglife dans des 
tems dificiles ; & d’être comme la bouche de celui, qui, 
aflis fur la Chaire de Saint Pierre , fait entendre fes 
Oracles pär le riniftére de ceux qu’il honore de fa con. 
fiance ; & qu'il apelle , lorfqu’il lui plaît, à une partie 
de la folicitude Paftorale. Dans toute la fuite de l'Hif- 
toire , dom nous ne donnons à préfent que le premier 
Tome , il fera facile de remarquer tous ces caraétéres, 
- Sans oublier plufieurs fidéles Difciples de JEsus- 
CHRIST, que fa Grace a fantifiés dans le filence du 
Cloitre, nous avons particuliérement choifi ceux, qui, 
par la fupériorité de leurs talens , ont honoré les pre- 
miérés Dignitez de l’Eglife ; des Maîtres du Sacré Pa- 
jais , d’illuftres Prélats , de zélés Patriarches , des Légats 
Apoftoliques , de favans Cardihaux , plufieurs Doyens 
du Sacré Collége * | des grands Papes , & des Saints, 


que l’Eglife révére. La part qu'ilsont eüë à prefque tou. 


tes les importantes afaires qui fe font traitées de leur 
tems, foit dans les Conciles , ou à la Cour de Rome, 
fouvent même dans celles des Princes & des Rois, ne 


: 


PREFACE.: . 4 
nous permet pas feulement de parler de plufieurs grañds - Nicolas de Prato. 
événemens ; qui peuvent rendre la leëture de cet Ou- Po sas 
vrage fort intéreffante ; elle nous mec en quelque ma f fuccédiren im 
hiére dans la néceffité d'expliquer avec quelqu'étenduë , 1 digniréde Doyen 
ce qui fait le plus bel endroit de l'Hiftoire de nos Hom- ne ste 
mes illuftres , & une partie de celle de l’Eglife , ou de *** 
leur fiécle.  - | | | 

Tout ce que les Pontifes Romains les plus zélés pour 
la gloire de la Religion , ont fait, tantôt pour pacifñer 
les Peuples , & terminer par la voye des négociations 
les Guerres des Souverains ; tantôt pour effayer de réü- 
nir l'Eglife Greque avec la Latine , & faire rentrer dans 
le Bercail de Jesus-CHrisr, ceux, qu’un efprit de fchif- 
me & d'erreur en avoit féparés ; tantôt enfin pour 
apeller à la lumiére dela Foi les Juifs , les Mahomé- 
tans , les Idolâtres ; ou pour opofer les armes des Chré- 
tiens aux entreprifes de ces Infidéles , & arêter leurs 
progrès dans l'Orient , & dans le Septentrion : Tout | 
cela entre naturellement dans ñotre deflein : nous trou- 
vons par tout des Difciples dé faint Dominique , qui 
ont mérité d'être employés dans ces glorieufes entre 
prifes. E M M Oh SE 5 

Il n’eft point de Royaume , ni prefque de Province 
dans le Monde Chrétien, qui ne nous fournifle plu- 
fieurs excélens Sujets, dont la doctrine & la fainteté 
ont été encore relevées par de grands talens ; & ces ta. 
Jens , ils ont fü les mêétre à profit pour la gloire de l'E- 
vangile , l'utilité des Fidéles , & l'honneur du Saint Sié- 
ge. Habiles Théologiens, ils ont confacré leurs veilles 
à la défenfe de la Religion, & de fes Dogmes. Hommes 
Apoftoliques'; ni la diférence des climats, des mœurs, 
& des Langues, ni les dangers les plus éminens , n'ont 

é i} 


30 PREFACE. 
pû les empêcher d'aller prêcher la Gloire de JEsus - 
CHri1sT& fa Croix aux Genrils : le zéle qui les ani- 
moit , foutenu quelquefois par l'éclat des Miracles , a’ 
produit des fruits précieux , qui fubfiftent encore au 
Eglifc d'Arménie. milieu des Nations foumifes d’ailleurs à des Princes In- 
fidéles. Succeffeurs -enfin , & Imitateurs des Apôtres , 
après avoir anoncé avec beaucoup d'intrépidité les Vé- 
ritez évangéliques , & formé un Peuple nouveau , dans 
un Pays ennemi ,, ils ont généreufement donné leur vie 
one ar > pour leurs Brebis , & avec leurs Brebis , Martirs en mé- 
dé me-tems de la Foi & de la charité. Les deux derniers 
Patriarches orthodoxes d’Antioche & de Jérufalem , qui 
ont rempli leur Siége en Orient , font de ce nombre. 
On lira peut-être avec plaifir , & en mêine-tems avec 
fruit, l'Hiftoire édifiante de plufieurs Serviteurs de 
Dieu ; dont les uns s’étantélevés , par le feul mérite, de: 
NS de lobfcurité de leur naifflance aux poftes les plus écla- 
| tans., n'ont pas été moins modeftes, dans cette éléva- 
tion , que dans l’état de leur premiére fortune. On en 
trouvera d’autres , dont la noblefle & Les belles qualitez 
d'efprit & de cœur , faifoient déja l'efpérance de la Pa- 
trie , aufli-bien que les délices de leur illuftre Maïfon , 
lorfque touchés du feul défir de plaire à Dieu, & de fe 
revêtir de JEsus-CHRIsT , ils ont foulé aux piés toutes 
les Grandeurs du Siécle , & méprife fes olaifirs » pour 


faire profeflion de la pauvreté, & de l'humilité chré- 
$. Raymond de 


Pegrafore tienne dans la Maifon du Seigneur. Ceux-ci, après 
S. A 1 e e . ; . 
se € avoir long-tems médité, & pratiqué les maximes de 


5 usdMe PEvangile , fe font contentés de les faire refpeëter des 

Peuples, par le miniftére de la Parole, fins jamais con- 
fentir d'être élevés plus haut , quelque violence qu'on 
air voulu faire à leur modeftie, Ceux-là, par déférence 


PRE FACE. ÿ 
aux ordres du premier Pafteur , ayant accepté des Di- 
gnitez Ecéfiaftiques , ont fait paroître par un zéle éga- 
lement fage , ardenc, défintéreflé, qu'ils étoient vérita- 
blement, felon l’expreflion de faint Paul , les Ambaffa- 
deurs deJEsus-CHRIST, les Anges de l'Eplife, les 
Peres & les Protecteurs des pauvres ; toujours atentifs 
à faire le bonheur des Peuples confiés à leurs foins, à 


Aldobrandini, 

Jean de Pole. 

Jean - Jourdain 
Savelli, &c. 


Les conduire dans l'innocence & dans la paix, àles nou- 


rir du pain de la parole de Dieu , & à pourvoir à tous 
Jeurs befoins fpirituels & corporels. 

Au refte, Ê 
ligieux , qui ont mérité d'être placés parmi les Princes 
de l'Eglife , nous avons auf le plaifir de pouvoir écrire 


l'Hiftoire de plufieurs illuftres Prélats, qui, fans fe 


laiffer ébloüir par l'éclat de leur Dignité , ont voulu fe 
revêtir de l’habit Religieux , & achever de fournir leur 
carriére dans les faints éxercices du Cloître. L'Efpagne ; 
l'Angleterre, notre France, nous en ont donné quel- 
ques-uns dans le treiziéme fiécle. Pierre de faint Aftier 
gouvernoit faintement l'Eglife de Périgueux depuis plus 
de trente ans, quand il embraffa l’Inftitut de faint Do- 
minique dans le Couvent de Limoges. Jean d'Orléans 
Chancelier de l'Eglife & de l’'Univerfité de Paris , ve- 
noit de recevoir fes Bulles pour le Siége Epifcopal de 
_ cette Capitale, lorfqu'’il alla fe renfermer pour le refte 
de fes jours dans la Maïfon de faint Jâques. Si te.celé- 
bre Mauclerck , Evêque de Carlile, avoit long-tems 
négligé fes devoirs les plus facrés, à la fuite de la Cour , 
& dans l'embarras des afaires féculiéres ; il édifia depuis 
l'Eglife , & tout le Royaume d'Angleterre , par la vie 
vraiment pénitente , qu'il mena dans le Couvent d'Ox- 
ford ; où , fidéle déformais à la Grace , il perfévéra juf- 
é iij 


nous trouvons un grand nombre de Re- 


] PREFACE, 

u’à la mort fous l'habit, & dans les pratiques d'un par 
ie Religieux. Mais , ne prévenons point ce qui doit 
être dit, & prouvé en fon lieu. 

Bien des Gens auroient fouhaité trouver de. fuite 
l'Hiftoire de nos Saints & Bienheureux ; puis celle des 
Papes, des Cardinaux , des Patriarches , & autres Pré. 
lats, chacun dans fa clafe, felon le rang qu'il a tenu 
dans l'Eglife. Rien n’étoit plus ailé que de remplir cette 
idée ; mais elle ne nous permétoit point de faire un 


Corps d'Hiftoire fuivi ; & ces diférentes Piéces fans. 


liaifon , & fans fuite, n’auroienc pas fait un total bien 
aflorti à notre deffein. Nous avons donc préféré l’ordre 
chronologique , fans métre aucune autre diférence en+ 
tre les Perfonages dont nous devions parler, que celle 
du tems auquel ils ont vécu. 

Il n'eft pas néceffaire d'avertir , que notre intention 
n’eft pas de parler dans cet Ouvrage de tous les illuftres 
Enfans de faint Dominique , qui fe font aquis de la ré- 
putation par leurs Ecrits ; non plus que de tous les Eve. 
ques, ou Archevêques, dont le fouvenir nous doit être 

récieux. Cela demanderoit un trop grand nombre de 
Volumes. D'ailleurs, le favant Pere Echard a déja rem- 
pli avec fuccès une partie de ce deflein : Et pour bien 
éxécuter l’autre , il faudroit avoir plus à propos le fe 
cours des Mémoires, dont nous manquons ou {ou 
vent. Nous ne pourrions trop nous plaindre fur ce fujet 
de l'extrême négligence , ou du peu de foin qu’on a eu 

refque dans tous les fiécles de l'Ordre , de recueillir, 
& de tranfmétre à la Poftérité ce qui auroit fait hon- 
neur à de grands Hommes , qui en faifoient eux-mé- 
mes beaucoup à leur habit , & à leur profeflion. Nous 
n’en trouvons que crop , qui ne font aujourd'hui con. 


PRE FACE. Vi] 
nus ; que par les Dignitez & les grands Emplois, dont 
ils ont été honorés , ou par les louanges que les Ana- 
Liftes , & quelquefois les Papes dans leurs Brefs, ont 
données que vertus. Comme on ne nous a.point inf- 
truits de leurs aétions, nous ne pouvons auffi les pla- 
cer parmi ceux, dont nous allons écrire l'Hiftoire. 

Mais, en paflant ainfi fous filence les nôms de ces 
Prélats & de ces Auteurs Dominicains, nous fommes 
bien éloignés de vouloir groffir le nombre de nos Hom- 
mes illuftres |, en nous en atribuant certains autres , 
qu'on pourroit nous difputer avec quelque fondement. 
Et nous avons eu la même atention à ne point affurer 
que quelques-uns, dont nous parlerons, ayent été re- 
vêtus d’une Dignité , que d’habiles Critiques ne leur 
atribuent pas ; à moins que nous ne nous foyons trou- 
vés en état de montrer clairement l'erreur , ou la mé. 

rife de ces Ecrivains. C’eft moins par le nombre, que 
par le mérite des Auteurs, ou par la valeur des preu- 
ves , que nous avons crû devoir nous décider furles faits 
conteltés. On pourroit, par éxemple, citer le témoi- 
gnage d'une foule d’Ecrivains modernes , Flamans, Ef 
pagnols , François , Italiens , qui prétendent que Tho- 
mas de Catimpré avoit été Evêque de Cambrai ; Guil- 
laume Perault , de Lyon ; & Vincent de Beauvais, de 
la Ville dont il portoit le nom. Depuis peu, il a paru 
à Rome une favante Differtation , pour prouver lÉpif- 
copat de ce dernier : mais , quoique nous eftimions l’'E- 
rudition de l'Auteur , & que nous ne puiffions mébpri- 
fer l'autorité de Martin Polonois , contemporain, qui 
met expreflément Vincent de Beauvais au nombre de 
nos Evêques , nous n'ofons nous déclarer pour cette 
opinion ; parce qu’elle nous paroïît combatuë par des 


vi PREFACE. 
raifons , au moins aufli fortes que le font celles, dont 
on fe fert pour la foutenir. | 
. Quant au mérite , & aux qualitez de mes Héros, je 
ne penfe pas qu'on puiffe juftement m'acufer , ou d’a- 
voir trop enflé le Récit de leurs belles aétions, ou de 
leur avoir prêté gratuitement des vertus , & des fenti- 
mens, pour les faire paroître plus grands qu’ils n'étoient 
en éfet. Ennemi de la fiétion , & toujours ataché à cette 
Maxime, qu'il n'eft rien de beau ni de bon , que ce que 
eff vrai , je me fuis rendu d’abord très-atentif à ne ra- 
porter que ce que j'avois [ü , ou dans de bons Manuf: 
crits , ou dans des Auteurs aprouvés & dignes de foi. 
Plus ordinairement j'ai cité leurs paroles, & mis le 
Texte Latin au bas de la page. Céux qui prendront la 
peine de le confronter avec la Traduétion ; convien- 
dront aifément , que bien loin d’avoir étendu celle-ci 
au-delà du fens naturel des paroles, je les ai en quelque 
maniére afoiblies ; du moins cela eft arivé plus d’une 
fois. | | | 
Ces mêmes Citations nous difpenfent de faire con: 
noître d'avance les Auteurs qu'on a ordinairement pris 
pour Guides. Dans une longue fuite de Faits ,& d'Hif- 
toires fi diférentes, on ne peut pas fe flarer d’écrire tou- 
jours fur des Mémoires d’une égale autenticité , ou de 
ne rien avancer que fur le témoignage des Ecrivains 
contemporains. Mais parmi les Modernes , qu’on a con- 
fultés, & dont on s'eft fervi dans le befoin, on a toujours 
référé ceux , dont l’éxactitude eft plus généralement 
reconnue, & la réputation mieux établie dans le Public. 
Lorfque les Analiftes , ou les Hiftoriens de ce caraétére » 
Oderic Raynaid, lAbé Ughel, Sponde, Baluze, M. Fleu- 
si, Don Denis de fainte Marche , ou quelques - uns 


CUX 


| -. PRE FACE. 1x 
d'eux; ne s’acordent pas fur quelque point d’Hiftoire 
avec les Ecrivains de mon Ordre ; pour me ranger au 
fentiment de ceux-ci, j'ai voulu y être comme forcé 
par le poids , ou l'évidence des preuves : Et fi je n’en ai 
pô trouver de ce genre, je n'ai point fait dificulté de 
fuivre fans préjugé , ni diftinction , ce qui m'a paru le 
plus conforme à la vérité de l'Hiftoire. | 
Avec toutes ces précautions, s’il nous eft cependant 
arivé ( & il eft moralement impoflible qu'il n’arive quel- 
quefois } d'avancer quelques Faits , qui pourront paroi- 
tre douteux aux uns , & que d’autres peut-être préten- 
dront être faux ; nous aurons du moins nos garans : & 
fans craindre de mentir , nous pourrons rec , que 
nous n’avons rien préféré à l'amour , ou à l'intérêt de 
la vérité. C’eft toujours un malheur que de l’ignorer ; 
& c’eft un crime , ou un vice bien honteux , que d’ofer 
la trahir. Qu'on nous plaigne donc, fi nous fommes 
dans le premier cas ; mais, qu'on ne nous impute point 
le fecond. | 
Si les Savans daignent nous faire part de leurs lu- 
miéres, nous en profiterons avec aétion de grace : Et 
la fuite de l'Ouvrage , que nous écrivons , nous per- 
métra de corriger , ou de perfectionner dans les Tomes 
poltérieurs, ce js aura paru moins correét dans les 
remiers. Que fi on ne prend la plume que pour avoir 
L plaifir de cenfurer , & de contredire , nous ne difpu- 
terons point avec de tels Ecrivains. Qu'ils goûrent tran- 
uilement tout le plaifir dont ils auront voulu joüir ; on 
s'épargnera volontiers la peine de le tioubler ; non par 
un dédaigneux mépris ; mais parce qu'on a quelque 
chofe de mieux à faire , & qu’on fouhaite furtout d’é- 
virer Les difputes inutiles, qui n'édifient pas ordinaire- 


FF 


Tome I. | Î 


L° PREFACE. 
ment le Public, & qui font perdre toujours bien da 
tems à ceux qui veulent nu 35 à tout. 

Nous nous fommes trouvés quelquefois dans une ef- 

ce de néceflité , de faire remarquer les méprifes, ou 

L diftractionsde quelques Auteurs, d'ailleurs célébres, 
& juftement eftimés. C’eft une ocafion qu'on n’a point 
recherchée , & qu'on n'a pas dû négliger , quand elle 
s’eft préfentée naturellement. Mais f1 nous n'avons pü, 
ni adoprer ag at les fentimens de ces Savans; ni 
nous empêcher de relever quelques défauts de leur cri. 
tique , puifque nous y étions engagés par notre fujet ; 
nous ne croyons point d'avoir jamais oublié ce qui eft 
dû à leurs talens , à leur religion , & aux fervices qu'ils 
ont rendus à l’Eglife, ou à la République des Lettres. 

Ce n'eft qu'avec ces juftes ménagemens , que nous 
avons combatu quelques opinions du célébre M. Bail- 
let , & de M. l'Abé Houteville. Ce dernier ; en parlant 
de Raymond-Martin , & d’un de fes Ouvrages , qui a 
mérité l'admiration des Savans , & les éloges de plu- 
fieurs grands Evêques de l'Eglife de France ; s'eft ex- 
pliqué d'une maniére à nous perfuader, qu'il n’avoit 


aucune connoiffance diftinéte, ni de l’Auteur , ni de. 


l'Ouvrage, dont il vouloit donner une idée. Et le pre- 
mier, non content de méprifer fouverainément & fans 
diftinétion tous les Ecrits de Jâques de Oragine ; a VOU- 
lu encore ataquer les mœurs & la probité de cet illuftre 
Archevêque de Genes. Nous ferons voir que l’Ecrivain 
moderne s’eft trop avancé ; qu’il a abufé des paroles de 
Melchior-Cano , & qu’il n’a point profité du fage aver- 
tiffement de cet Auteur Efpagnol, qui nous permet à 
la vérité un peu plus de liberté dans la critique des 
Ecrits, ou des fentimens ; mais qui demande en même. 


PRE FACE. xj 
tems une extrême retenuë, & la plus grande circonf- 
peétion , lorfqu’il s’agit des mœurs , foit qu'on parle des 
vivans , ou que la difpute regarde ceux qui méritent 
d'autant plus de ménagement , qu'ils font hors d'état 
de fe défendre eux - mêmes. Les paroles du judicieux 
Melchior-Cano , que M. Baillet avoit peut-être fous les 
yeux, & que nous raportons ici, mériteroient d'être 
gravées en caraétére d'or : Nominibus parco , quoniam ,,P* Lei Toto: 
hujus loci judicium , morum etiam eft, & non erudirio- 
nus tartüm , in qu& liberior poteft effe cenfura. Nam 
quæ morum ef? , hæc debet profectd effe & in vivos cau. 
or , in mortuos reverentior. 





#j TABLE DES NOMS DES SAINTS 
TABLE 


Des Noms des Saints, & des Hommes Illuffres, dont PHif- 


tozre ef£ contenue dans ce Volume. 





LIVRE PREMIER 


I. Ç AIT RAYMOND DE PEGNAFORT, Pénitencier du Pape Grégoi- 


relX , Ille. Général de l'Ordre des Freres Prècheurs, page 1 

II. SAINT PIERRE GonçALez , apellé communément S.Teäne , Confef- 
{eur du Roi de Caftille Ferdinand 1IL, furnommé le Saint ; 49 
III. SAINT GONÇALEZ D'AMARANTHE ; GX 
1V. La BIENHEUREUX GILLES DE SAINTE-IRENE 76 


LIVRE SECOND. 


V. JEAN LE TEurHonIQuE, Evèque de Bofnie, Lègat du Pape, depuis 
IVe. Général de l'Ordre des Freres Prècheurs , 2$ 
VI. GauriEeR MAUcLERcCK , ancien Evèque de Carlike , Grand Tréfo- 
 rier d’Angleterre, depuis Religieux de $. Dominique dansle Couvent 


d'Oxford, 127 
VII. Jaques De Prarsance , Evêque de Vintimille , 133 
VII. Davin MAkzzi5, Archevêèque de Cashel, enIrlande, 136 


IX. Jean De S. Gizes, Médecin ordinaire de Philippe-Augufte, en- 
fuite célébre Théologien dans l'Univerfté de Paris, & fameux Prédi- 
cateur dans l'Ordre de S. Dominique, ï 138 

X. ANsELzME, dit AscELIN, Nonce du Pape chez les Tartares, 145$ 

XI. Anoke” DE LonrumeAu, Envoyé de S. Louis , & Nonce Apofto- 
lique , 157 

XIL ConsTAnTIN DE Mepicis, Evèque d'Orviette , & Légat du Pape 
Aléxandre IV auprès de l'Empereur des Grecs, 166 

XIII Jaques Boncamgio , Evèque de Bologne en Lombardie , Légar 
Apoftolique en Angleterre ; 173 

XIV. Roczr Ds LronTiNo, Evèque de Melfi, Légat du Pape dans le 


Royaume de Sicile , | | 176 
XV. GuiLLAUMs PERAULT, célébre Docteur de Paris, 182 
XVI. VINCENT Da BEAUVAIS. 186 


LIVRE TROISITEME. 
XVIL Hucuss DE S. Cuer ; Nonce Apoltolique en Orient, depuis 


ET DES HOMMES ILLUSTRES, &c. x} 


Cardinal Prètre du Titre defainte Sabine , 200 
XVIII, Henri: Poronois , Evèque de Culme , & Légat du S. Sikge , 140 
XIX. THoMmaAs DE CATIMPRE, 255 
XX. ANNIBAL ÂNNIBALDI DE MoLARIA , Cardinal Prêtre, du Titre 

des douze Apôtres , | 262 
XXI. Jaques CRrescenTI, ou ps CREscENs , Noble Romain, illuftre 

Prédicateur de la Foi dans le Nord, ° 270 
XXII. TnomaAs p2 BERTHA , Evèque de Sienne, | 28 
XXII. GuizzAuMs De Tripoutr , célébre Prédicateur de la Foi dans 

l'Orient, & Nonce du Pape, | 288 
XXIV. Gzorror be BEAULIEU , Confefleur de S. Louis ; 

* GUILLAUME DE CHARTRES , Chapelain du mème Roi, Ÿ292 
XXV, PIERRE D= S. Astier , ancien Evéque de Périgueux, 303 


XXVI. Rainer , Vice - Chancelier de l’Eglife Romaine, Evêque 
de Maguclone , | | ( 
RAINIER DE PLAISANCE, | | 310 
RAINIER DE PISE, | | 
XXVIL  HumssrT ps Romans, VC. Général de l'Ordre des Freres Pr#- 
 cheurs, | 310 


LIVRE QUATRIEME. 


XXVIIL. Innocent V, Pape, | 344 
‘XXIX. ANDRE’D'ALBALATE , Evèque de Valence en Efpagne, Chan- 
celier du Roi d'Aragon , & fon Ambafladeur auprès du $. Siége, 367 

_ XXX. Martin Pozonois, Pénitencier du Pape, Archevèque de Gnef- 
_ ne; & Primat de Pologne, | | 374 
XXXI. AzpoBRANDIN , Evèque d’Orviete, & Vicaire du Pape Gré- 
goire X dans l'Etat de l'Eglife , 380 
XXXIL MoraAnpi DE SiGn1A , Evèque de Cagli, & de Fano, 393 
XXXIII. RossrTt Kirouarsi, Archevêque de Cantorbery, Prima 
d'Angleterre, depuis Cardinal Evèque de Porto, 397 
XXXIV. Gui ps Suizry , Archevèque de Bourges , Patriarche, Pri- 
mat d'Aquitaine , . 405$ 
XXXV. GuiLLAUME pe Morseca , Chapclain , Pénitencier du Pape, 
depuis Archevèque de Corinthe , 410 
XXXVI. Rocer CarcAcnr, Evèque de Caftroen Italie, 413 
XXXVII. JEAN De DERLINGTON , Confeffeur du Roi d'Angleterre 


Henri III, Ambaffadeur d’EdouardI , & Archevèque de Dublin > 41S 
XXXVIII. JEAN DE VERCEIL, VIe. Général de l'Ordre des. Dominique , 
. Légat du S. Siége, 418 
LIVRE CINQUIEME. 
XXXIX. SAINT AMBROISE DE SIENNE, _.L_ 441 
XL. Gui DE LA Tour pu PrN, Evèque de Clermont, … 474 

XLI. PIERRE, & FRANÇOIS DB CENDRA 3. | — 
PAUL CHRISTIANI, 480 
& RAYMoND-MARTIN , | x 


£ iij 


xjy, TABLE DES NOMS DES SAINTS 
XLII. ARNAUD DE S5GARRA , Confefleur du Roi d'Aragon Dom Jä- 
uesi, | oO 
XLIIT. JzAn CoLonn® , illuftre Romain , Archevèque de Mefine, de 
Légat du Pape; 
Jean D» Poe, Archevèque de Pife , enfuite de Nicofie , Capi- 
tale de Cypre, 2 
XLIV. PArsRoNI, Evèque de Foligni, & de Spolete, s18 
XLV. JEAN II, Archevèque d'Upfal en Suede, $2z 
XLVI. BARTHELEMY VARELLI DE LEONTINO, Evêque de Li- 
ari : 
son ps LeonriNo, Evèque de Siracufe, Ambaffadeur du ( 5?5 
Roi de Sicile à la Cour d'Aragon, 
XLVII. Nicozas De HANArS, Patriarche de Jérufalem, & Légat du Saint 
Siégeen Orient, $29 


LIVRE SIXTITE ME. 


XLVIIL LarTiN MALABRANCHE pes URSsINs , Cardinal Evêque d'Of- 
tie, Doyen du Sacré Collège, & Légat Apoftolique, | $42 
XLIX. RAyMonD DE MeviLzron, Archevèque d'Embrun, 560 
L. Boniface De Fiesqui , Archevèque de Ravenne , Légat Apofto- 
lique en Italie & en France, 67 
LI. Hucues Avcezin D8 BiLLON ; Cardinal Evêque d'Oftie , & de Vele- 
try ; Doyen du Sacré Collège , | 573 
LIT. Jaques DE VorAGINs., Nonce du Pape , & Archevèque de 
Genes ;, | s33 
LIII. GuizzAuMe Ds HoTun, Archevêque de Dublin, Médiateur de 
‘la Paix entre lesRois de France & d'Angleterre » Ambaffadeur à la Cour 


$09 


de Rome, 603 

LIV. Muxio De ZAMoORA , VIIe. Général de l'Ordre des Freres Prè- 

cheurs, Evèque de Palence, 609 

LV. SAINT JAQUES DE MEVANIA » 619 
LVI. Hucozin, Evêque de Rimini ; é 

: A. AI 

Rossar, Evèque de Bergame, F | 


LVII. JeAN-Jourpain SAVELLI, Evèque de Padoue, transféré 
à l’Evêché de Bologne ; | 6a 6 
Genrii Des Ursins , Evèque de Catane , Légat Apoñtolique, 


mort Archevèque d’Acerenza , | 
LVIIIL. Roporrus, ou RAoOUL DB GRANVILLE ;, Patriarche Titulaire 


de Jérufalem , 652 
LIVRE SEPTIEME. 


LIX. Le BisnHeureux PArE Benoît XI, 6$$ 
| LIVRE HUITIEME. | 
LX, NicozAs AusERTIN , dit ps PRATO ; Cardinal Evéque d'Ofie, 


ET DES HOMMES ILLUSTRES, &c. x 


* Doyen du Sacré Collège , Légat Apoltolique, 70$ 
LXI. GuiLLAUME DE MACLESFELD ; & 
Gautier de OUÏNTERBON, Cardinaux Prêtres , du Titre de Var 
Sainte Sabine, 


LXIT. JEAN D'ORLEANS, Ou DE L’ALLEU, Chanoïne & Chancelier de 
l'Eglife de Paris, nommé au Siége Epifcopal de certe Capitale, 733 
LXII. Dierner DE Nassau, Légat du Pape, & Archevèque Eleéteur 
de Treves, 737 
LXIV. Guyzaums ps Moncans , Evèque d'Urgel , Légat Apolto- 
* lique, | 741 
LXV. THoMAs DE Jorz, Confefleur du Roi d'Angleterre, fon Am- 
‘ baffadeur auprès du Pape Clément V, Cardinal , & Légat Apofto- 
lique , ° 74$ 
LXVL RAyMonp pu Pont, Evèque de Valence en Éfpagne , & Chan- 
celier du Roi d'Aragon, 754 
LXVII Ricarp, ou Ricocp: pe Mont-Croix, Auteur & Miflion- 
naire célébre en Orient , 759 
LXVIITL Le BIENHEUREUX JAQUES SALOMON, 763 
LXIX. FRANco De PEROUSE, célébre Miflionnaire en Orient, & Pre- 
*_ mier Archevèque de Sultanie enPerfe, & Fondateur de cette Eglife, 775$ 


Fin de la Table des Noms, &c. 





APROBATION du R. P. Général de l'Ordre des FF. Précheurs. 


Os Frater Thomas Ripoll, Sacræ Theologiz Profeflor , ac totius 
N Ordinis Fratrum Prædicatorum Magifter Generalis, & Servus. 
Tenore præfentium , noftrique auétoritate Oficii , poteftatem facimus 
R. P. Antonio Touron, Sacræ Theologiæ Profeflori, Alumno Tolofanx 
noftræ Provinciæ, rypis mandandi , Opus quod Gallico idiomate edidit, 
cuique Titulus: Hiffoire des Hommes Illuffres de l'Ordre des FF. Précheurs , 
qui ont fleuri , en fainteté, Gen Doitrine, ou qui fe font diflingués par leurs 
talens, € leurs Emplois , depuis la mort du faint Fondateur, jufqu'au Pontificat 
de Benoît XIII : modo priüs Cenforio judicio fuerit approbatus à duobus 
Sacræ Theologiæ Profeloribus Ordinis noftri , reatlque ceteris de jure 
fervandis. ‘In nomine Patris, & Filii, & Spiritus Sani : Amen. In quo- 
rum fidem his Officii noftri figillo munitis fubfcripfimus , Romæ in Con- 
ventu noftro Sanctæ Mariæ fupra Minervam die 30 Septembris 1740. 


F. THoMAs Rirorz , Magifter Ordinis. 
Regiftr. pag. 257, F. Antoninus BREMOND , 


S. Th. Magifter , Theologus Collegii Cafà- 
natenfs, & Pro-focius. 


æv] | 


APROBATION des Théologiens de l'Ordre. 


‘Histoire des Hommes Illuftres, que l'Ordre de S. Dominique n’a 

ceffé depuis plus de cinq fiécles de Ft à l'Eglife, & à la Républi- 
que des Lettres , préfente une matiére fi riche & fi intéreffante ; & ce vafte 
& grand deffein , dans le premier Tome, que nous avons ü & éxaminé 
avec toute l’atention pofhble , eft traité avec tant de choix & de goût, 
d'éxactitude & de jufteffe , d'ordre & de netteté, que nous ne pouvons 
rendre un témoignage trop ce es à un fibon & fi impor@nt Ouvrage. 
Nous yavons partout reconnu le favant & habile Hiftorien , dont la Vie 
de Saint Thomas d'Aquin , fi généralement eftimée , a été le premier effai, 
& de quile Public a enfuie aufli favorablement reçu la Vie de Saint Do- 
minique , & de fes premiers Difciples , dont cet Ouvrage eft La continua- 
tion & la fuite. Le mérite déja connu de l’Auteur , & fon talent pour l'Hif- 
toire , fe montrent d'autant plus dans celui-ci , que fon fujet étant plus 
vaite , plus étendu, & plus varié, il fournit plus avantageufement à fes 
favantes & utiles Recherches, à fa fage & dieute Critique, à {es juftes 
& folides Réfléxions , répandues partout l’Ouvrage, &c qui en relévent le 
prix & le mérite. Toujours apliqué à faifir le vrai de fes Sujets, le R. P. 
Touron nous rend avec une jufteffe admirable , les vrais caraëtéres des 
Hommes illuftres , dontil nous donne l'Hiftoire. Toujours atentif à em- 
bélir fes Ouvrages, & les rendre plus intéreffans , 1l a partout un foin mer- 
veilleux de lier l’'Hiftoire de tous ces Grands Hommes , avec celle de l'E- 
glife & de leur fiécle : toujours foigneux d’aprofondir les Sujets , & de 
s’aflurer de la vérité des faits, fon EE Ande fe montre partout dans cet 
Ouvrage, & n’y laiffe apercevoir rien de négligé. Toujours rempli de 
 l'efprir des Saints, dont il nous décrit les Vies, & animé du mème zéle, 
il ne laiffe rien échaper de tout ce que fon fujer lui fournit , pour inftruire 
& édifierles Lecteurs , & les conduire à l’imitation des grandes vertus qu'il 
leur repréfente. C'eft le témoignage que nous rendons avec plaifir à cet 
excélent Ouvrage , dans lequel nous n'avons d’ailleurs rien trouvé que de 
très-conforme aux régles de la Foi & des mœurs, & aux plus folides ma- 
ximes de La piété chrétiénne. Fait à Paris ce 19 Août 1742. 

F. Jean-AnDre’ VAssAL, Profefleur en Théologie 
de l'Ordre des FF. Prècheurs. 
F. Bernaro Monrreiier , Profefleur en Théo- 
logie de l'Ordre des FF. Précheurs. 


APROBATION de Monfiew DE LORME , Doëteur & Profeffeur 
de Sorbonne , & Cenfeur Royal des Livres. 


Ar là par ordre de Monfeigneur le Chancelier un Manufcrit intitulé : 
À AHifloire des Hommes Illufires , qui fe font le plus diflingués dans l'Ordre de 
$, Dominique. En Sorbonne le 6 Février 1742. | 
a DE LORME. 


HISTOIRE 





HISTOIRE 


DES | | 


HOMMES ILLUSTRES 
DE L'ORDRE 
D E 


SAINT DOMINIQUE. 








LIVRE PREMIER. 





SAINT RAYMOND DE PEGNAFORT, 
IIIe GENERAL DES FF. PRECHEURS. 


Sr PRÉS avoir écrit la Vie de S, Dominique de 
FANS EI Guzman, & l’Hiftoire abrégée de fes premiers 
GE] Difciples , nous ne pouvions plus heureufement 
a] continuer à faire connoitre les grands Perfonna- 
* ges , qui ont hérité de leur efprit , & imité leurs 
vertus , qu'en mettant d'abord à leur tête, l'illuftre RAYMOND 
DE de Nous garderons l’ordre des tems. Et le fim- 
ome. L. 






S.RAYMoND. 
SERRES 


LIVRE 





S.RAYMoN. 
D 





* Vide aûa Sand. 


T. I. p. 404. &c. 
I. … 
Naiffance du 
Saint : nobleffe de 
fes parens, : 


Û 


Table critique du 
mois de Janvicr. 


II. 
Ses progrès dans 
J'écude, 


Ap. Rolland. p. 408. 
not, « 


* Lean. Alb. ap. 
Boil. ut fp. p,. 405. 


2 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


ple récit des faits fufira,pour faire admirer * l'éminente fainte- 
té du Serviteur de Dieu , fa doétrine, fes écrits, fes talens, 
les fervices enfin qu’il a rendus, non-feulement à fon Ordre, 
& aux écoles Catholiques , mais encore aux Royaumes d'Ef- 
pagne , au faint Siège, & à toute l'Eglife. 

aymond nâquit l'an 117$ dans le aies de Pegnafort (1) 
en Catalogne. Fa parens , Seineurs de ce lieu , étoient if- 
fus des anciens Comtes de Barcelonne , & alliés aux Rois 
so en (2). La piété & l'honneur les rendirent ésalement 
atentifs à | au jeune Raymond une éducation digne 


-de”fa”naiffance , & conforme aux heureufes inclinations , 


qu'on sc Cr déja en lui dès fes plus tendres années. 
Quoique ‘hiftoire de fa vie, dont nous avons un excé- 
lent abrégé dans la Bulle de fa Canonifation , ait été écrite 
fur des mémoires originaux , felon la remarque de M. Baillet; 
nous 1gnorons aujourd'hui les noms de fon pere, & de fa me- 
re , aufli-bien que le jour de fa naïffance : on ne pourroit mêé- 
me en marquer éxaétement l’année , fi tous les Ecrivains , an- 
ciens & modernes , qui mettent fa mort au mois de Janvier 
127ç, ne s’acordoient à dire qu'il avoit ateint la centiéme 
année de fa vie. Mais c'eft moins par cette longue fuite de 
jours , que par une atention toujours perfévérante à les rem- 
plir utilement pour la gloire de Dieu, & le fervice du pro- 
chain, que notre Saint a rendu fon nom célébre , & fa mé- 
moire prétieufe à la poftérité. : | | 
Sa premiere jeuncffe fut confacrée aux éxercices de la pié- 
té Chrétienne, & fes études découvrirent bien-tôt la beau- 
té de fon efprit. Génie heureux , folide , élevé, pénétrant ; 
fes progrès PR les fciences furent fi 7 , que dès l'âge 


de vingt ans commença à faire des leçons publiques de 


Philofophie dans Barcelonne ; &1l les faifoit gratuitement. 
Moins ocupé dès- lors à former l’efprit que le cœur de fes 
difciples, en leur expliquant les fubtilitez de l'école , 1l tra- 
vailloit avec une attention particuliere à les inftruire des 


(1) Ce château, poffédé dans le quinzic- 
me fiécle par Matin Efpunius , fut donné 
par ce Seigneur , du confentement de Ma- 
dame Asnés Alemen fa femme,a l'Ordre de 
S. Dominique, qui y a fait batir un Cou- 
vent. Maiven. in Annalib. p. 401. 

* Raymundus de Pennaforti Catalanus 
originem retulit in Aragonum Reges. 

(2) Raymond V. Comte de Barcelonne, 


ayant époufé l'an 1137 l'Infante Petronille, 
fille unique de Don Ramire I, Roi d'Ara- 
gon; ce Comté eft depuis demeuré uni à la 
Couronne, l'un & l’autre étant poffédés par 
les décendans de Don Raymond, qui mon- 
ta fur le trone du vivant même de Ramirc , 
fon beau-pere. Voyez Marians , hifi. d'Ef- 
pagne, Liv. X, p. 515. &c. | 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 3 


maximes de JESUS-CHRIST , & à les faire vivre felon les pré- 
ceptes de l'Evangile. Cette éxaéte probité dans un jeune Bei 
gneur , & fon inclination naturelle à faire du bien à tous , lui 
concilierent l'amour de fes concitoyens, & leur confiance. 
Raymond en fçut bien profiter dans l’ocafion , mais toujours 

our leur avantage : c'eft-à-dire, pour réunir les efprits divi- 
Es , & terminer leurs diférends. 

Après avoir fait comme l’effay de fes talens, & rendu fes 
premiers fervices à la Patrie ; le défir de fe perfeétionner lui- 
même dans les fciences , le porta à reprendre le rang de dif: 
ciple, & à aller chercher ailleurs les plus habiles maîtres. 
Perfuade qu'il en trouveroit felon fes défirs dans la célébre 
Univerfité de Bologne, il fe rendit en Lombardie âgé de 

rès de trente ans. On voit dans les Archives de l'Eglife de 
tar gs un Traité d’'acommodement , fait l’an 1204 entre 
deux Chanoines, par la médiation de Maitre Raymond de 
Pegnafort. Ce ne fut donc qu'après cette année, dit Thomas 
Malvenda , que le Serviteur de Dieu entreprit fon voyage 
d'Italie. Il étoit acompagné d’un vertueux Ecléfiaftique , 
nommé Pierre Ruber, qui embraffa depuis l’Inftitut des FF, 
Prêcheurs, où 1l vêcut dans une grande réputation de fain- 
teté. Pendant leur voyage, ils aprirent que Dieu venoit de 
faire éclater fa miféricorde dans la Chapelle de Notre-Dame 
de Balbeza , en faveur d’un jeune homme, à qui fes enne- 
mis avoient coupé les mains & arraché les yeux ; mais qui 
avoit êté miraculeufement rétabli dans fon premier état, 
après avoir imploré avec beaucoup d’humilité & de con- 
fiance , la proteétion de la très-Sainte Vierge. 

$. Raymond , qui écrivoit cette circonftance de fon voya- 
ge plus de foixante ans après, aflure qu'il avoit lui-même 
atentivement éxaminé ce jeune homme, & apris de fa bou- 
che, de même que par le témoignage de sr io autres , la 
vérité d'une merveille, qui Ft beaucoup de bruit dans le 
pais. Les amis de Dieu, toujours atentifs à fa voix & à fes 
œuvres , mettent tout à profit pour leur perfeëtion ; & il ne 
faut pas douter que cette outils preuve de la puiffante pro- 
teétion de la Mere de Dieu , n’ait beaucoup fervi à augmen- 
ter dans le cœur de notre Saint, une dévotion , qu'il avoit 
fucée prefque avec le lait. 

Dans les Ecoles de Bologne , Raymond fuivit toujours le 


plan qu'il s'étoit fait dès le commencement de fes études, 
A ï 


LIVRE 
I. 





S.RAYMOND. 
D à 


0 





HIT. 
Il va en Italie, 


Ap. Bollaud. ibid. 
ot. 6. 


IV. 
fl étudic {es Loix. 


4 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE Continuant à artager fon tems entre la priere & la leéture, 
L. fans négliger u œuvres de charité envers le prochain, il 
S.RAymonr. devenoit tous les jours plus fçavant , plus humble, plus in- 
= térieur. La vivacité de fon Fe , & une férieufe 2. FAR 
à l'étude des Loix, particuliérement des faints Canons , lui 
procurerent en peu d'années l'honneur, non-feulement de 
pafler Doëteur en l'un & l'autre Droit, mais aufli de rem- 
plir une chaire de Profeffeur dans la même Univerfité. Il en 
avoit été l'admiration dans fes difputes , il en fut l'oracle dès 
sg commença à répandre les lumières qu'il y avoit pui- 
ées. Et le même défintéreflement qu’il avoit montré, lorf- 
y. qu'il enfeignoit les Arts libéraux à Barcelonne , il le fit LÉ 
Enfcigne fe Droit roître en expliquant la fcience des Canons en Italie. Le Sé- 
Canon dans l'Uni- at cependant, foit pour marquer fa fatisfaétion ou fa re- 

verfité de Bologne, à | NN: ’ 
connoiffance , foit peut-être dans l’efpérance de s’atacher 
plus fortement un Doëéteur de ce mérite , voulut lui affigner 
des apointemens fur les deniers publics. Raymond n'avoit 
pas befoin de ce fecours : il l’'accepta néanmoins , mais pour 
en faire la diftribution aux pauvres , après en: avoir donné 
ps "seinan Ja dime à fon Curé. Conduite , dit le célébre François Penna, 
| que l’homme de Dieu obferva toujours, d'autant plus fcrupu- 
leufement, qu'il la regardoit moins comme un confeil de per- 
feétion , que comme un aéte de juftice , & un devoir de re- 

higion. 

Les talens & les vertus du pieux Doëteur le faifoient con- 
fidérer comme un des plus beaux ornemens de cette famews 
fe Ecole ; & fa réputation s’étoit déja répandue dans les pais 
éloignés , lorfque l'Evêque de Barcelonne , Berenger qua- 
triéme du nom , revenant de Rome, pañla par Dolonne tas 
1210. Le deffein du Prélat étoit d'obtenir u S. Dominique 

aussi de fes difciples , & de folliciter Raymond de 
Pooalort à retourner avec lui en Catalogne. Les obftacles 

u'il trouva d’abord à l’éxécution de fes projets , ne purent 

le rebuter. Il redoubla fes | ré & fes inftances. Le faint 

Patriarche , à qui la Providence envoyoit tous les jours de 

VI. nouveaux Sujets , fut bientôt en état de le fatisfaire. Mais le 
L'Evêque de Bar- Profefleur , déja acoütumé à fanuiñer fon travail par la 
Fo Raymond Charité, ne _— guéres difpofe à quitter un pais , où il 
en Catalogne.  travailloit fi utilement. Pour l'ataquer par un endroit qui 
ne pouvoit que lui être fenfible, l'Evêque lui repréfenta vi- 

vement les befoins de l'Eglife de Barcelonne, l’oblisation 





ne ne Pt um, 


\ 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. ; 


“particuliere où 1l étoit de ne ” fe refufer à fa Patrie, & le 

danger qu'il devoit craindre de s'écarter de la voye de Dieu, 
en ne fuivant que fa propre volonté. Enfin il lui fit apréhen- 
der l'éclat même de cette réputation, qui lui atiroit de fi 
grands aplaudiflemens ; & qui ne pere manquer de mul- 
tiplier toujours fes ocupations, s’il vouloit répondre à une 
infinité de perfonnes , qui le confultoient de toutes parts. 

L'âge, le mérite , le zèle du pieux Prélat , fon caraftere , 
& la juftice de la caufe qu'il plaïidoit ; tout cela donnoit un 
nouveau poids à la force de È raifons. Ce qu'il défiroit avec 
tant d'ardeur , il l’obtint ; S. Raymond fe mit à fa fuite au 

rand regret de l’Univerfité & du Sénat de Bologne, qui 
e félicitoient déja de ce tréfor , comme d’un bien qui leur 
eut été propre. Quelques Auteurs ont cru que le Pape 
Honoré IT avoit ajoûté 2 commandement aux vives inftan- 
ces de l'Evêque de Barcelonne , pour obliger le Serviteur de 
Dieu de fe rendre incefflanment en-Efpagne , & de prendre 
foin de l'éducation du jeune Roi d'Aragon, Jâques premier, 
ainfi qu'il avoit été reglé, difent-ils, dans l’Affemblée des 
Etats tenus à Lérida. 

Ce ne fut pas cependant à l'inftru@ion de ce Prince, mais 
au fervice des Autels, que Raymond voulut d’abord s’apli- 
quer. Pourvü d'un Canonicat, & bien-tôt après d’une Di 
gnité dans l'Eglife de Barcelonne , il fe rendit le modéle des 
faints Miniftres par l'innocence de fa vie, fa régularité, & 
fon éxaditude à tous les Ofices. De nouveaux revenus le 
. mirent en état d'augmenter fes libéralitez envers les pauvres, 
qu'il apelloit fes créanciers. Et le zéle de la maifon de Dieu, 
qui le dévoroit , lui faifoit faifir toutes les ocafions, pour pro- 
curer que le Service divin fe fit avec plus de décence , & de 
majefté. La Fête de l’'Annonciation étoit alors fort négligée 


dans les Eglifes d'Efpagne : celle de Barcelonne fe trouvoit 
de ce nombre. Mais par {es pieufes importunitez,le faént Cha- 


noine obtint enfin de l'Evêque & du Chapitre,qu’on célébre- 
roit déformais cette sn Fête avec un Ofice folemnel. 
Une partie de fes revenus fut confacrée à cette fondation , & 
au profit des Chanoines de la Cathedrale , qui devoient don- 
ner l'éxemple à tous les Ecléfiaftiques du Diocèfe. | 

Toujours prêt à partager fon bien avec l'indigent, & à 
communiquer fes lumieres à tous ceux qui venoient le con- 
fulter, Raymond de Pegnafort ne fe refufoit : perfonne , 

u] 


LIVRE 
I. 


S.RAYMOND. 
D à 








VII. 
Retour du Saint 
en Efpagne, 


Ap. Boll. p. 408, 
nor. f. 


VIII. 
Chanoine, & Ar- 
chidiacre , il fait 
célébrer avec fo- 
lemnité la Fére de 
l'Annonciation. 


LIVRE 


S. RAYMOND. 





IX. 
S. Raymond en- 
tre dans l'Ordre 
des FF. Prècheurs. 


6 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


& il fe faifoit aimer de tous. Son nom étoit connu, & fon 
mérite généralement refpeété des grands & des petits. Sa ten- 
dre piété ; fa modeftie éxemplaire , & une charité fans bor- 
nes , avoient fait impreflion fur les efprits & fur les cœurs. 
L'éclat de fes vertus contribua plus à la réforme du Chapitre, 

ue toute l'autorité dont il avoit été revêtu par fon Evêque. 
Mais le défir de mener une vie plus parfaite , plus pénitente, 
& moins expofée aux yeux des pe , dont il craignoit les 
loüanges , le porta à vouloir changer d'état. Profeffeur à Bo- 
logne, il avoit été témoin des grandes vertus de S. Domini- 
que, & des miracles que Dieu x se par fon miniftere. Il 
voyoit alors avec le même plaifir la vie toute angelique de fes 
premiers Difciples , établis depuis peu à Barcelonne. Comme 
s’il eût entendu la voix de Dieu, qui l’apelloit à la retraite, 
pour le préparer à l'Apoftolat, 1l réfolut de fe rendre l’imi- 
tateur , & le frere de ceux qu'il ne pouvoit s'empêcher d’ad- 


_mirer. Il demanda avec humilité l’habit de Religieux ; &1l 


Vide acta San, p. 
409, Not. 4 


le reçut un Vendredy Saint , premier jour d'Avril, l'an 1222, 
huit mois après la mort du faint Fondateur. 

Quelques Hiftoriens Efpagnols , fuivis par le Pere Alexan- 
dre , ont mis cette retraite en l’année 1218 ; mais le témoi- 
gnage & l'autorité des plus anciens Auteurs , Ki e du 
voyage de l’'Evêque Berenger en Italie , & celle de la Fonda- 
tion qu’avoit faite S. Raymond dans le Chapitre de Barce- 
lonne , prouvent bien clairement que ces Ecrivains moder- 
nes fe font trompés en cette ocafion. Je ne fçai s’il n’en faut 
point dire autant de ceux, qui, après Pierre de la Palu , aflu- 
rent que Raymond de Pepnafort à détourné un de fes 
jeunes parens du deffein de fe confacrer à Dieu dans l'Or- 
dre ee des FF. Prêcheurs, 1l en conçut depuis un fen- 
fible regret ; & que ce fut pour 7. cette faute , qu'il vou- 
lut fe mettre lui-même à la place de ce jeune homme. Le fça- 
vant Frænçois Penna, employé fous Clement VIIT, au pro- 
cès de la Canonifation dé’"notre Saint, dont il a écrit l'hioi. 
re fur de bons mémoires , remarque que les Ecrivains les plus 
anciens , & les plus éxa@s , n’ont jamais parlé de ce fait (1). 
Aufñli le rejette-til comme abfolument fupofé. 


(1) Miramurunde hoc haurire potuerint, | tantes fais copiofos evolvimus, nec um- 
cüm nos, qui plurima antiquitatis monu- | bram hujufmodi caufx reperire poruimus, 
menta perlegimus ; & proceflus ad vitam, | Fran. Pennain noirs 14 Cap. IV. Vite Sanct, 
mores, & miracula Bcati Raymundi fpec- | Raym. p. 10. Vide Bullar.ord. T. V.p. 590. 


mnt Ce eg = ee ne RS ERRRr = 


7 -DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 7 
Ce qu'il y a de certain, c’eft que l’éxemple d'un Doéteur 
déja fi célébre, ne fut pas fans conféquence. Il atira dans le 
Cloitre plufieurs a. 3 péciise 2 , encore moins diftin- 
ués par leurs scheité, que par leur naïffance , & leur do- 
LM, De ce nombre furent Pierre Ruber , dont nous avons 
déja parlé, Don Raymond de Rofannes , Chantre de l'E- 
glife de Barcelonne ; & quelques autres pieux Ecléfafti- 
ues , dont la vocation & les talens donnerent un nouveau 
luftre à l'Ordre de Saint Dominique dans toute la Catalogne. 
Rien cependant n’édifioit davantage que la profonde humili- 
té , & la fimplicité vraiment Fo 3h nouveau Reli- 
gieux : Il étoit dans fa quarante-feptiéme année ; 8 jamais 
on ne le vit ni moins foumis que le plus jeune des Novices, 
ni moins ardent à embraffer tous fes moyens de s'avancer 
dans la pratique de toutes les vertus chrétiennes. Ce nouvel 
état de vie fut pour lui un renouvellement de ferveur , & une 
école de perfettiori. | 
Pour a rendre femblable au grand modéle de tous les 
faints , en imitant l'humilité & l’obéiffance de l’homme-Dieu , 
il voulut dépendre en toutes chofes des lumiéres d'un Di- 
reéteur. Et ce fut fur la plus parfaite abnégation de lui- 
même , qu'il établit le fondement de cette haute fainte- 
té , qui faifoit l’objet de fes vœux. Les graces qu'il recevoit 
dans l’éxercice de l’oraifon, augmenterent toujours en lui le 
défir de fe mortifier, & de fe rendre utile au prochain. Les 
Supérieurs profiterent fagement de ces difpoñitions , pour 
faire valoir Ës talens. Îl avoit demandé qu'on lui impofät une 
févere pénitence, pour expier , difoit-il , les vaines complai- 
fances qu’il avoit eüés en enfeignant dans le monde : On lui 
ordonna de compofer dans cet efprit une Somme des Cas de 
confcience , pour la commodité de Confefleurs. Raymond 
entreprit ce travail ; & 1l l'éxécuta avec cette éxaétitude, 
que nous y admirons avec d'autant plus de raifon , qu'il a tra- 
vaillé fans modéle : Son ouvrage , également utile aux péni- 
tens , & néceflaire aux Direéteurs , Élon l'expreffion du Pa- 
e Clement VIIT , étant le premier qu’on ait vü en ce genre. 
L'Autens y réfout toutes les dedites , & décide les Cas pref- 
que toujours par l'autorité de l'Ecriture-Sainte & des Ca- 
nons, ou par la doëtrine des Peres & les Décrets des Pa- 
pe : rarement par fes lumiéres particulieres. Exemple, dit 
. Dupin, qu'auroient dû imiter tous ceux, qui ont écrit 


LIivRre 
I. 


S.RAYMoND. 
Dot os. à 





X. 
Pluficurs Ecléfiaf- 
tiques le fuivenr 
daus le Cloître. 


Ap. Boll. p. 408.. 
9 


n. 9. 
Fleuri, Liv. LXXVII 
n.$$. 


XI. 
Humilité du Saint, 


XII. 
Somme des Cie 
de confcience. 


Auteurs du xrz2, fréc, 
P: 24% 


8 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE après lui fur les mêmes matieres. On n’auroit pas été inondé 
L. de cette foule de mauvais Livres , qui femblent pour la plû- 
S.RAyMonD. part n'avoir été écrits ,. que pour autorifer les vices, & en- 
= (ormir les pécheurs, en leur aprenant le fecret d’éluder la 
XIII. féverité de hi loi , fans fe croire coupables. 

rer = La fcience de notre faint Dofteur , puifée dans des fources 
Raymond. plus pures, ne le fit jamais donner dans ces écarts. Par-tout 
également éloigné & d’une rigueur outrée , qui défefpere les 
pénitens , & d’une indulgence arbitraire , qui, pour excufer 
ce que l'Evangile condamne , éteint l’efprit de pénitence, 
Raymond n’ajoute rien à ce que la Loi prefcrit. Il n’afoiblit 
pas aufli la force des ne rs Il fe contente de les expli- 
quer , d'en montrer l'efprit & l'étendue , & d’en faire l’a- 
plication aux Cas So ea C'eft le jufte milieu qu'on re- 
marque dans tous les Ecrits de notre Saint, particuliérement 
dans le premier de fes ouvrages , divifé en trois Livres , & 

apellé encore aujourd’hui la Somme (1) de Saint Raymond. 
Le zéle du falut des ames ne lui permit pas de fe borner à 
prier, &àäécrire. Il devoit commencer par l'oraifon & la 





Ses Fes pour OCupation fi fainte , & déja fi utile au prochain , il ajouta 
Le falur desames, bientôt les autres fonétions de la vie apoftolique ; & il les 
remplit toutes avec le fuccès qu'on pouvoit efpérer des fain- 

tes difpofitions , qu’il y aportoit. Inftruire les fidéles par le 

miniftere de la parole ; atirer les pécheurs à la pénitence , & 

les réconcilier dans le facré Tribunal ; foutenir les gens de 

bien, les confoler dans leurs peines; procurer aux pauvres des 

aumônes & les fecours des riches ; travailler fans relâche à 


la converfion des hérétiques , des Juifs, & des Maures encore. 


mêlés parmi les Chrétiens ; ou les mettre hors d'état de conti- 
nuer à corrompre la foi & les mœurs des fidéles ; faire fervir 
enfin fon crédit auprès des Rois & des Princes à la gloire de 
l'Eglife , & au foulagement des peuples : telles furent les ocu- 
ations de Saint Raymond de Pegnafort , depuis le res de 
Es profeflion religieufe , jufqu’à celui de fa mort : c'eft-à-dire 
pendant cinquante , ou cinquante-deux ans. —. 
Ce qu'il ne sn faire par lui-même , fouvent il le fai- 
foit par le miniftere de ceux qui l'avoient choifi pour leur fer- 


tes utiles & fçavantes. On le trouve chez 


© (1) Le Pere Honoré Laget Dominicain a 
BABUTY , Libraire à Paris, ruë S. Jäques. 


procuré depuis peu une nouvelle Edition de 
et ouvrage, qu'il a enrichi de plufeurs no- 





vir 


retraite. L'obéiffance lui mit la plume à la main. Maisä une 


a see. 


* DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 9 


wir de guide dans le chemin du Ciel. Parmi fes pénitens, il y en 
avoit an furtout d’un caraétere fort diftingué, le Roi d'Ara- 
on, Jâques I, apellé le Conquérant , & l'illuftre Pierre de 
olafque , François de nation , depuis Fondateur de l'Ordre 
de la M 
Raymond pour porter le premier à commander à {es paflions, 
& à employer l'autorité Royale à la propagation, ou à la dé- 
fenfe de la Foi. Et la charité de Tefus-Chrii qui le prefloit, 
le rendit comme le coopérateur du fecond dans la pratique 
des œuvres de miféricorde , & la délivrance des captifs. 
Depuis le commencement du huitiéme fiécle , les Sarafins 
devenus maîtres de prefque toutes les Provinces d'Efpagne , 
dominoient en tyrans. Les Princes Chrétiens leur enlevé- 
rent dans la fuite une partie de leur Empire. Dans le treizié- 
me fiécle, les Rois de Caftille , d'Aragon , & de Navarre 
avoient remporté fur eux plufieurs grandes viétoires. Ces 
Infidéles cependant poflédoient encore des Royaumes en- 
tiers, & jm fortes Places fur les frontiéres des pays, 


LIVRE 
I. 


S. RAYMoN». 
Nr. + à 








ercy. Nous verrons dans la fuite ce que fit Saint 


Voyez Mariana, 
hift, d'Efpag. Liv. VI. 


— 


qui obéifloient au Roi Catholique. De là ils faifoient de fré- 


quentes incurfions fur les terres des Chrétiens ; brüloient 
leurs maifons , après les avoir pillées ; ils ne s’en retournoient 
jamais que chargés de butin. Ë: ce qui étoit plus trifte , tou- 
tes les perfonnes de l’un & de l’autre fexe, hommes , fem- 
mes , enfans, qu'ils pouvoient emmener , ils les réduifoient 
impitoiablement à un rude , & perpétuel efclavage. La fà- 
cheufe fituation de tant de Fidéles, toujours expofés à perdre 
la foi & le falut, après avoir perdu la liberté, ne pouvoit 
que toucher vivement tous ceux , qui avoient quelque cha- 
rité pour leurs freres. Saint Raymond yétoit plus fenfible 

u'un autre : & il eut la PE 2 ce de trouver les mêmes 

entimens de zéle & de compafñfion dans le cœur de Saint 
Pierre Nolafque. 

Ces deux grands Serviteurs de Dieu , animés d’un même 
efprit , fe portoient aufli avec la même ardeur à délivrer , 
Ou à foulager du moins ces captifs, fouvent d’ailleurs délaif- 
fés, & quelquefois oubliés. L'un facrifoit généreufement 
fon repos & fes biens , & entreprenoit des voyages difici- 

les , pour en retirer quelques-uns de la fervitude. L'autre 
contribuoit par la ferveur : fes prières, par fes confeils, & 
arles abondantes aumônes , qu'il engageoit les Princes & 
Les — “ha siasaé à faire pour cette œuvre de charité. 
ome Î. 


XV. 
Charité envers les 
capüuts. 


10 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE Celle des deux Saints n'étoit jamais ftérile. Mais ils vouloient 
L la rendre perpétuelle. Ils redoublerent pour cet éfet leurs 
S.Raymonr. mortifications, & leurs priéres. Dieu voulut bien les éxau- 
a cer : 1] infpira à l’un & à l’autre de fonder un nouvel Ordre 
religieux , fpécialement dévoué à la Rédemption des captifs. 
La charité ne trouve rien de trop dificile ; elle ne foufre 
point de retardement , dès qu'il s’agit de la gloire de Dieu , & 
du falut des ames. | 
Le jour de Saint Laurent, dixiéme d’Aoùût 1223, le Roi 
xv. d'Aragon acompagné de nos deux Saints , & fuivi de toute 
Inftiution del'Or- fa Cour , fe nn À dans l'Eglife Cathédrale de Barcelon- 
dre del Mercy. ne , où l'Evêque Berenger oficia pontificalement : & Saint 
Raymond, dans.le difcours qu'il fit après qu’on eut chanté 
l'Evangile , protefta en préfence de cette augufte Affemblée , 
qu'il avoit plù au Seigneur de révéler au Roi , à Pierre No- 
te on —.— , & à lui même , fa volonté touchant l'inftitution d'un 
Ordre deftiné à racheter les Fidéles, qui gémifloient dans les 
fers , fous la puiflance des oies Le Bint n'eut pas plü- 
tÔt anoncé cette agréable nouvelle , que le peuple fit écla- 
ter fes juftes fentimens de reconnoiffance par des aclama- 
tions réitérées. On ne fe lafloit point de bénir le pére des 
miféricordes , & de louer la vertu, ou d'admirer le bonheur 
de ceux, à qui il avoit daigné faire connoître fes deffleins. 
On peut dire que les Ars tranfports de cette joe publi- 
que , furent comme les garants des fuccès merveilleux qu'a 
eu l'Ordre de Notre-Dame de la Mercy ; préfages confolans 
des bénédi&ions qu'il n’a ceflé de mériter depuis plus de cinq 
fiécles, par la <. portait d’un nombre infini de Chrétiens , 
dont il a rompu les chaines. | 
ibid, Après le difcours de notre Saint , Pierre Nolafque reçüt 
| le premier l’habit du nouvel Inftitut; dirai-je des mains de 
l'Évêque Berenger , ou de celles du Roi même ? Il y a des 
Auteurs pour l'un & pour l’autre fentiment. On en trouve 
auff me él , qui aflurent que ce fut Saint Raymond de 
Pegnafort , Confefleur du Prince, & du nouveau Fonda- 
Ibid, teur , qui eut l’honeur de faire cette Cérémonie. Mariana, 


a parlant de ce fait, dit : “ Saint Pierre Nolafque en préfen- 
donne l'habi de | ce du Roi d'Aragon , & de plufieurs autres Seigneurs du 
Religieux à Saint Royaume , prit folemnellement l'habit de Religieux dans 


Rire NOBQTE » l'Eglife de Sainte-Croix, des mains de Saint Raymond de 


dans le douziéme Livre de fon Hiftoire d'Efpagñe , page 735" 


e— mme te mm 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. :…11 
Pegnafort , qui fut depuis Général de l'Ordre de Saint “ 
Dominique ,. | : | 

Bollandus ‘dans fon premier tome des Aëtes des Saints a 
fuivi le même fentiment , fur le témoignage exprès d'un 
rand nombre d'Écrivains. Le Pape Clement VIII, dans une 
ulle écrite ir des Mémoires originaux, non-feulement af- 
fure le même fait, mais il atribue quelque chofe de plus à 
notre Saint. Voici fes paroles : “ Saint Raymond prefcrivit “ 


certaines Loix , ou Conftitutions très-propres à l'efprit de “ 


cet Ordre, qu'il fit enfuite aprouver par le Pape Gre- 
goire IX , notre Prédécefleur d’heureufe mémoire. Et “ 
ayant donné l’habit de fes propres mains à Saint Pierre “ 
Nolaf ue , il l’établit premier Supérieur (1) Général du # 
nouve Inftitut se 
M. Baillet a eu donc raifon de dire que Saint Raymond de 
Pegnafort peut pañler pour le fecond Fondateur de l'Ordre 
de la Mercy. Mais en plaçant cette Inftitution en l'année 
1218 , lorfque , felon fon expreflion , notre Saint étoit en- 
core l’un des principaux du Chapitre de Barcelonne , & 
Grand-Vicaire de l'Evèque, cet Ecrivain s’eft écarté du fen- 
timent commun des Auteurs, & a brouillé toutes les dattes. 
IL eft certain que Raymond ne fut reçu dans le Chapitre de 
Barcelonne qu’en 1219 : ilentra dans l'Ordre de Saint Do- 
minique au mois d'Avril 1222 ; & dans le mois d’Août de 
l’année fuivante , il contribua à l’établiflement de celui de la 
Mercy ; dont il fut toujours le protetteur & lapui , n'ayant 
jamais ceflé de l'aimer , & d'en procurer dans toutes les oca- 
fions l'avancement , & les avantages. C'eft le témoignage 
ue lui ont rendu les Souverains Pontifes , après les anciens 
Hiftoriens de la Nation. 

Ainfi ocupé à afermir , ou à perfe&tionner l'œuvre de 
Dieu , en Den des Fidéles détenus dans l'efclavage , 1l 
travailloit en même-tems, avec le zéle qui lui étoit ordinai- 
re , à retirer les pécheurs des routes de l’miquité ; & à inf- 
pirer au jeune Roi d'Aragon des fentimens dignes d’un Prin- 


(1) Collatis inter fe confiliis, & confen- | fel. rec. Gregorio IX. prædeceffore noftro 
tientibus animis , ordinem B. Mariæ de Mi- | impetravit;, & dictum Petrum, qui cidem 
fericordia, feu de Mercede Redemptionis | Ordini omnia fua promptè dederat, primum 
Captivorum fundaverunt : cui B. Raymun- |etiam Generalem Ordinis Magiftrum fuis 
dus certas vivendi leges præfcripfit ad iftius | ipfe manibus habitu eodem indutum crea- 
Ordinis vocationem accommrdatiflimas , | vit. Clem. VIIL in Bull. Canoni, S.Raym. 
quarum approbationcm aliquot annis poft à | #p. Bell. T. I. p. 409. n. 11. 


Bi 


LIVRE 
I. 


S.RAYMOND. 


nn nt 
à 





VicdeS, Pierre Non 
lafque, 31. Janv. 


BolL ibid, nor. h, 


LIVRE 
I. 


S.RAY MoN. 
D nn 








XVIIT. 
Concile de Tar- 
rallounce. 


Mariana, Hifoire 
d'Eip. Liv. xit. p.774. 


XIX, 

S. Raymond eft 
aflocié à la Léga- 
tion du Cardinal 
Jcan d’Abbeville. 


ment d'une a 


12 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


ce Chrétien , né-pour faire la félicité des peuples , & la con- 
folation de l'Eglife. Cependant le Pape Gregoire IX, dès 
Pan 1229 envoya en Efpagne, en Po de ie a latere, 
le Cardinal Jean d'Abbivile » Évêque de Sabine. Les mo- 
tifs de cette Légation étoient d’éxaminer d’abord la validité 
du mariage de nu Ï avec.la Princeffe Eleonor de Caftil- 
le , & de prononcer là-defus : d'exciter enfuite les Princes, 
& les peuples fidéles, à déclarer la guerre aux Maures, & 
de FA derniers éforts pour chafler ces Barbares de 
toutes les Provinces , qu'ils avoient ufurpées , & qu’ils pof- 
fédoient encore à la honte du nom Chrétien. 

Le Lépat affembla un Concile à Farraflonne dans l’Ara- 
gon , où le Roi fe trouva en perfonne ; & Saint Raymond 
eut l’honheur de l'y acompagner. Dom Rodrigue Arche- 
vêque de Tolede, Afpargue Archevêque de Tarragone , plu- 
fieurs autres Evêques de Caftille & d'Aragon, s'y étoient 
aufli rendus, pour fe trouver à la difcution , ou au Juge- 

Éire , à laquelle les deux Royaumes étoient 
également intéreflés. Le Roi & la Reine aa dans l’Af- 
femblée : l’un, pour prouver la nullité du mariage , contra- 
té fans difpenfe entre proches parens ; & l'autre pour en 
foutenir la validité. Le Le , après avoir entendu les rai- 
fons des Parties , le fentiment des Prélats , & l’avis des Doc- 
teurs, déclara que le mariage étoit nul ; que le Roi & la 
Reine pouvoient difpofer d'eux-mêmes ; & que l'Infant Don 
Alphonfe , leur fils ; feroit cependant reconnu légitime , & 
héritier préfomptif du Royaume de fon pére. 

Ce fut en cette acafon que le Cardinal d’Abbeville , 
ayant éprouvé que tout ce qu'on lui avoit dit destalens, & 
des vertus de Raymond de Pegnafort, étoit au deflous de 
fan mérite , voulut l’affocier à fa Légation , & fe fervir de fes 
confeils , ou de fon miniftere , pour faire prêcher la Croifade 
contre les Maures d'Efpagne :(1) emploi dificile , mais dont le 
Serviteur de Dieu s’aquita avec tant de fagefle, de zéle , & 
de charité, qu’on peut dire qu'il mit les premieres difpofi- 


rem ejus integritatem intelligens , eum fibi 
Legationis acccpit adjutorein. Quo in mu- 
nere B. Raymundus tantä cum prudenrià, 


(1) Joannes Cardinalis Epifcopus Sabi- 
nenfis, erudirionis & pictatis laude clarif- 
fimus, ab eodem Gregorio IX Prxdeceflo- 
re noftro in Hifpaniam ad crucem adverfus | tantà humilirate & charitate verfatus eft , ue 
Saracenos prædicandam, aliaque Scdis Apof- omnibus effet bonus odor Chrifti ad vitam, 
tolicæ negotia pertraétanda Lcgatus a latc-  Clem. VIII, in Bul, Can. ap. Boll. p. 409 
se miflus, multorum fermonibus fingula- |#. 13-14. 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE: 5:13 
tions aux heureux fuccès , que le Ciel acorda aux armes des 
Chrétiens. 

L'Hiftoire nous aprend quelle étoit la corruption des 
mœurs , qui régnoit parmi ces peuples, toujours divifés en- 
treux, & fouventfurpris , ou acablés par les ennemis de la 
religion , qui fçavoient bien fe réunir pour les perdre ; tan- 
dis que les Chrétiens ne penfoient pas eux-mêmes à fe tenir 
unis pour fe défendre. Le libertinage, la licence , l'impuni- 
té , fuites ordinaires de la guerre, avoient  Végé  À 
ment étoufé dans l'efprit de la plüpart les lumières de la 
raifon. Ce font les termes de Mariana. Les vices les plus 
grofliers , les crimes les plus énormes pañloient pour des ver- 
tus, dont on fe faifoit honneur. Et l'on regardoit les vertus 
les plus pures, comme des vices honteux, dont on rougif- 
{oit. L'aveuglement & le défordre, continue le même Au- 
teur Efpagnol , étoient arivés à un tel excès, qu'il n’étoit 
prefque plus permis d'être homme de bien ; & En ob à 
être impunément vicieux , au milieu de ces épaifles téné- 
bres , & de cette grofhére ignorance. 

C’étoit les infimes Mahometans , qui avoient répandu ce 
foufle de mort dans des Royaumes, où la foi, & la piéré 
avoient paru autrefois avec tant d'éclat. Mais les Chrétiens 
auffi corrompus , & plus coupables que les Infidéles mêmes, 
dontils étoient deverrus d'abord les Sujets,& bientôt après les 
imitateurs, pouvoient-ils fe flatter de foutenir avec honneur 
les interêts de la Religion , & d'atirer fur leurs armes les bé- 
nédiétions du Seigneur ? Notre faint Prédicateur avoit fait 
ces fages réflexions : il entreprit de les faire pañler dans l’ef- 
prit des peuples. Et par fes vives exhortations, il leur fitenfin 
comprendre , que pour triompher de leurs cruels ennemis , 
qui, en vouloient en même-tems à leurs biens , à leur liberté, 
à leur foi , ou à leur vie, 1ls devoient commencer par triom- 
pher d'eux-mêmes , & de leurs pañlions ; oublier leurs jalou- 
fies & leurs inimitiez ; & fe purifier de ces vices groffers, 
qui , en les éloignant de Dieu , leur fermoient le Ciel , & les 
expofoient à fe perdre fans retour. Les éxemples , & les pa- 
roles toutes de feu de cet Homme apoftolique produifirent 
un bon éfet, Les Grands & les petits , le Clergé & les 
fimples Fidéles , tous penférent férieufement à réformer 
leurs mœurs. Plufieurs donnérent des preuves éclatantes 
d'une fincére converfon. C'étoit dsnans d vaincre 

li 


LIVRE 
I. 


S.RAYMOND. 
RES 





Hift. d'Efp.Liv.xn. 
P: 732. 


XX. 
Corruption des 
mœurs parmi les 
Chrétiens d'Efpa- 

gnc. : 


XXI. 
S. Raymond tra- 
vaille avec fuccès 
à leur converfion. 


_ 


LIVRE 
I. 


S.RAYMoOND. 





XXII, 
Fruits de {a Léga- 
tion, ou de fa Mif- 
fion. 


14 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


les ennemis de la foi , avant que de les ataquer. 

Le Serviteur de Dieu, vit avec plaifir de fi beaux com- 
mencemens ; & 1l ne voulut point les laiffer imparfaits. De 
la chaire, il pañloit au confeffional ; où il réconcilioit les uns à 
l'Eglife, en levant les cenfures, dont ils étoient liés ; & il 
acordoit aux autres l'abfolution de leurs péchez , s'ils s'é- 
toient fufifanment difpofés à recevoir cette grace ; ou il leur 
prefcrivoit ce qu'ils devoient faire pour n’en être point jugés 
imdignes. Ne fe laffant jamais dans ce miniftére Le charité, 
il parcourut la Catalogne, l’Aragon, la Caftille, plufieurs 
autres Provinces , & Royaumes d'Efpagne. Dans tous les 
lieux, où le Légat du Pape étoit atendu, Raymond de Pe- 
gnafort le prévenoit pour préparer les peuples ; & faire dans 
une Ville, ce qu'il venoit, de faire dans une autre. Toujours 
puiffant en œuvres & en paroles, il perfuadoit les efprits, 
&t touchoit fi vivement les cœurs , qu'on le prenoit pour ar- 
bitre, & pour Juge de tous les diférends. Les pratiques crimi- 
nelles , qui étoient un fujet de fcandale dans tout le pays, 
les querelles , les difputes , les animofitez publiques ou par- 
nn , il les faifoit cefler. Les ennemis par bn miniftére 
étoient réconciliés ; & les biens m2l aquis, reftitués. Les 
pauvres, qu'il délivroit de l’opreflion , béniffoient leur cha- 
ritable libérateur. Et les riches aprenoient de lui l’ufage, 
qu'ils devoient faire de leurs richeffes ; pour leur falut, & 
pour celui de la Patrie. | do 

A un travail déja fi pénible , cet Ami de Dieu ajoutoit les 
plus rudes mortifications. Acoutumé à faire tous fes voya- 
ges à pié , & à garder avec une fcrupuleufe éxaétitude , l’'abf- 
tinence , le jeûne , toutes les obfervances, & les or 
de fa régle , il ne fe permettoit pas la plus légére difpenfe. 
C'eft , dit Malvenda , ce que nous aprennent les Premiers 
Auteurs de fa vie. Et le Pape Clement VIII en a voulu con- 
facrer la mémoire, dans la Bulle de fa Canonifation (1). 

Les plus précieux fruits d'un zéle fi pur , & d’une condui- 


(1) Verus Chrifti Difcipulus calceatus pe- 
des in præparationem Evanwelii pet , & 
aflumpto Spiritüs gladio , quod cft verbum 
Dci, iter fuis comicatus fociis faciebat ; & 
Cardinalem quo erat venturus prævertens , 
quafi viam antc facicm ejus in bencdictio- 
ne præparans, Evangelium Chrifti prædi- 
cando , permulros adjuvante Domino ad 


arétam (alutis femiram à vià latà & fpaciofà 
traducebat : & confcefliones audicndo à cen- 
furis, & à peccatorum nexibus liberabat, 
Quodque omnibus mirum fuit, toto illo iti- 
nere nihil unquam de folita ciborum abfti- 
nentia, vigiliis,jejuniis,præcationibus, totiufe 
que Religionis feveritare remifit, &c. Clem, 


VIII, in By, Can. ap. Boll. p. 409.7. 14. 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE rs 


te firéguliére , ne furent pas les aplaudiffemens des Fidéles , 
ni l’eftime & l'admiration du Cardinal Légat. Ce qui mérite 
une autre confidération, c’eft la réforme des en , & un 
changement fi général , qu'il parut prefque incroyable à ceux 
mêmes qui en étoient témoins. Auff les fuites en furent-elles 
des plus heureufes. La colére de Dieu s’apaifa fur fon peu- 

le. Les armes des Fidèles commencerent à devenir redouta- 
les aux ennemis de Jefus - Chrift. Ataqués en même-tems 
par trois Souverains , ils furent par-tout batus. Par-tout ils 
ni devant les Chrétiens. LeRoi de Caftille & celui de 
Leon, leur enlevérent plufieurs fortes Places dans l’Eftrama- 
doure , & l’Andaloufie. Et Don Jäques I eut le bonheur 
de les chaffer pour toujours des Ifles de Majorque, & de Mi- 
norque. On peut voir le détail , & les circonftances de ces 
conquêtes dans l'Hiftoire générale d'Epagne. 

Après ces premiers fuccès , aufh glorieux aux Princes 
Chrétiens , que néceflaires au repos 2e Fidèles ; le Légat 
Apoftolique, réfolu de retourner inceffanment en Italie, n'ou- 
blia rien pour engager notre Saint à s’y rendre auffi avec lui. 
Mais il ne put vaincre fa modeftie : & ce fut peut-être la pre- 
miere fois que ces deux grands hommes fe trouvérent dans 
des fentimens opofés. Le Cardinal croyoit qu'il étoit de fon 
devoir de préfenter au Vicaire de Jefus-Chrift , un Sujet fi 
capable d’être employé dans les afaires les plus importantes 
de lEglife , & de lui procurer une récompenfe proportio- 
née aux grands fervices qu'il venoit de rendre à la Religion. 
Saint Raymond au contraire , fans jamais refufer le travail, 
ne penfoit qu'a fe cacher , & à fuir l'éclat des honneurs. Ce- 


LIVRE 
I. 


S.RmYyMoNp. 


ec | 


XXTIIT. 
Conquétes des 
Chrétiens fur les 
Maures d'Efpagne. 


Mariana, Liv. xm, 
p. 788. &c. 


XXIV, 

Le Légat ne peut 
obtenir de S. Ray- 
mond qu'il l'acom- 
pagne à Rome. 


pendant ce qu’il avoit refufé avec tant de fermeté aux follici- 


tations de fon 1illuftre ami, & à fes plus vives inftances, il 
fut bientôt après obligé de le faire, pour obéir aux ordres du 
Souverain Pontife. En rendant comte à Sa Sainteté du fuccès 
de fa Légation , Jean d’Abbeville fit en même-tems l'éloge de 
Raymond de Pegnafort. Une baffe jaloufie ne le porta point à 
LT ce a croyoit devoir à fes lumiéres , Les priéres , 
& à fes travaux. Il'ajouta qu'il ne doutoit pas que les Princes 
Chrétiens ne duffent aufli atribuer le a de leurs armes, 
aux faintes difpofitions , dans lefquelles ce fervent Miniftre 
de la parole avoit fait entrer les peuples. | 

Ces rte , &ce “a , qui ne pouvoient être fuf- 
pets , infpirérent à Gregoire ÎX un grand défir de voir le 


XXV. 
1! fait fon éloge 
devant le Pape. 


Ld 


16 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE Serviteur de Dieu. Auff-tôt il lui adreffa un Bref , pour lui 
L. enjoindre de fe rendre à Rome fans replique, & fans aucun 
S.Ravménr. délai. Le Saînt étoit alors OCUpPÉ à faire bâtir l'Eglife de Sain- 
"te Catherine martyre , & le célebre Monaftére , que les Re- 
A. 8oll. p. 410. ligieux de fon Ordre habitent encore à Barcelonne. Le Roi 
de = d'Aragon continuoit à fe fervir de fa Direétion , ou de fes 


confeils. Et les fruits de fes Prédications étoient toujours 


grands ne les Fidéles , acoutumés à refpelter en lui l’Ef- 
prit de Dieu. Ce travail étoit conforme à fon zéle toujours 
défintéreflé: en rempliffant une partie de fon tems, il lui laifloit 
la liberté d'employer l’autre partie à fes éxercices particuliers 
de pénitence, & de vaquer à l'oraifon, où1l puifoit de nouvel- 
XXVI. les forces , pour bien remplir les fonétions du faint miniftere. 
LeSaintvaàRo- Cela ne l'empêcha pas d'obéir promptement aux défirs, ou 
me, pour obéir au | : 
Pine au commandement du Pape, qui le reçutavec de grands té- 
moignages de bonté ; & qui ne tarda pas à lui donner des 
reuves de fa confiance. Ces marques d’eftime,de la part du 
Eine Pere,augmentérent toujours à a sr qu'il recon- 
nut tout ce qu’il poflédoit dans la perfonne de cet Ami de 
Dieu. Peu content de l'avoir fait fon Chapelain, (c'eft ainf 
XXVIL u’on apelloit alors l’Auditeur des Caufes du Palais Apofto- 
Sesemplois  lique) il l'établit Grand Pénitencier de l'Eglife de Rome , & 
_ le prit pour fon Confefleur particulier. C'étoit ordinairement 
ar fes lumiéres, qu'on décidoit les afaires les plus difici- 
ja , ou les plus importantes, qui fe traitoient en préfence de 
Sa Sainteté. 
Mais la charité du Miniftre de Jefus-Chrift le rendoit fur- 
« de tout atentif à plaider lui-même la caufe des pauvres ; & à em- 
les pauvres. pêcher qu'ils ne fuffent oprimes par la cupidité , ou le cré- 
dit des richefles. Il infpiroit les mêmes fentimens aux autres 
Miniftres du Pape ; & il en faifoit un devoir au Chef même 
de l'Eglife. Selon l'exprefhon de Clement VIIT , la pénitence 
ordinaire qu'il impofoit à Gregoire IX , étoit d'écouter avec 
bonté les priéres, ou les juftes plaintes de ceux qui étoient 
fans proteétion , & de faire expédier promptement les afai- 
res 28 veuves & des orphelins. Une conduite fi digne du 


_ L'an 1230. 





Miniftre de Jefus - Chrift , atiroit fans doute à notre Saint des 


faveurs du Ciel, beaucoup plus précieufes que celles quil 
vouloit procurer aux pauvres, dont il fut apellé l'Avocat, 


& le Pere. (1) 


(1) Quem em etiam à facris fibi confeffionibus præfeciflet (Gregeris LX. ) is quâ erat 


pe Re nm qe 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 1:17 


Il eft plus aifé de penfer , que de dire tout le bien que fa 
réputation , & la confiance du Pontife le mettoient en état de 
faire dans la Cour de Rome. Il n’y avoit cependant que l'o- 
béiflance , qui pût l'y retenir ; parce que fon atrait l’apel- 
loit toujours ailleurs. Le tumulte des afaires, & le bruit con- 
tinuel des pafñons étrangeres, lui faifoient regretter le repos 
de fa Cellule, ou cette fainte alternative de contemplation 
& d’éxercice de la parole, qui avoit été pendant na 
années fon ocupation & fes délices. Mais plus il défiroit 
{e retirer , plus il voyoit fe multiplier les obftacles , 
pofoient à F acompliffement de fes défirs. Il lui reftoit enco- 
re beaucoup à faire avant que d'obtenir cette grace. 


Depuis long-tems , Gregoire IX avoit conçu le deflein de 


faire revoir les Décrets de fes Prédécefleurs, principalement 
les Conftitutions émanées après la Colledion de Gratien. Il 


LIVRE 
I. 


S. RAYMOND. 





1 SO-. 


faloit recueillir dans un corps d'Ouvrage , né > &. 


mettre en ordre tant de diférentes pièces, difperfées en difé- 
rens volumes , fouvent très-obfcures , & portant quelque- 
fois une aparence de contradi@ion. On ne ‘doutoit ni de 
l'importance , ni de la néceffité de l’entreprife. L’afaire étoit 
de trouver un Doûeur afflez zélé , pour fé charger d'un auffi 
grand travail ; aflez habile, & en même-tems es laborieux, 
pour le conduire à une heureufe fin. Le Saint Pere jéta les 
dom fur Raymond de Pegnafort. Il avoit befoin de lui pour 

en d’autres afaires : mais celle-ci lui tenoit à cœur ; & il 
lui ordonna de l’entreprendre. Le Serviteur de Dieu obéit ; 
il s'apliqua à cette étude avec tant de diligence , & de fuc- 
cès , que fon Ouvrage en moins de trois ans fut mis dans l’é- 
tat Où le Pape le défiroit (1). Les Savans en connoiflent 
l'utilté, & le mérite. Ilfufit de remarquer que cette collec- 
tion, aujourd'hui la plus autorifée, fait le fecond volume du 
Droit Canon, L’Auteur a joint divers Décrets des Conciles 
aux Conflitutions des Papes , & il a partagé fon Ouvrage 


in egenos charitate, pœnitentiz loco illi in- 
jungebat , ut inopum preces & juftas peti- 
tiones ftatim audiret, eorumque negotia 
expediret, & quam ciriffimè pe Qua- 
re ab codem Gregorio Prædeceflore Pater 
a eft appellatus. Clem. VIII. is 
nl. Can. n. 16. 
- (1) Decreta Romanorum Pontificum, 
Lo quæque tempore condita erant , diver- 
# in epiftolis,& conciliis fparfa , qux ob- 
_ Tome L 


fcuritatem, & incertitudinem inducere vide- 
bantur , ad communem omnium & maxi- 
mé ftudentium utilitatem , in ordinem & 
compendium redigi jamdiu omnibus ferè 
placuerat : fed tanto operi vir idoneus quæ- 
rebatur. Itaque Gresorius Prædeceflor nof> 
ter B. Raymundum Ruic muneri aptifimum 
effe ratus, id oneris ei impofuit ; quod tan- 
dem ipfe ingenti labore trium annorum fpa- 


do felicicer abfolvic, Clem. VI C ut f}.n. 17, 


I] fait ie nou- 
velle colletion deg 
Décrétales. 


Depuis l'an 1232 
jufques en 1234. 


LIVRE 
I. 


S. RAYMOND. 
VEN 








XXX: 
Grecoire IX à- 
prouve cette nou- 
velle Collc&tion,& 
en recommande 
l'ufage aux Univer- 
fitez, 


XXXI. 
S. Raymond refu- 
fe les dignitez Eclé- 
faftiques. 


18 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


en cinq Livres. Chaque Livre contient plufieurs Titres , où 
les Décretales fe trouvent rangées par po des tems , ce qui 
n'avoit pas éte obfervé dans les Colledtions précédentes. Cel- 
le-ci commence au Pape Alexandre IT , où finifloit le Décret 
de Gratien. Les piéces n’y font que par éxtrait , fuivant la 
matiere de chaque Titre, mais confervant les premiers mots, 
par lefquels elles étoient déja connues. 

Le Pape ayant aprouvé cette nouvelle Colle&ion , l’adref- 
fa aux Doûteurs , & aux Etudians de l'Univerfité de Bologne, 
par une Bulle où il dit, qu'il a fait rédiger en un volume les 
Conftitutions de fes Prédéceffeurs , auparavant répandues en 
plufieurs ; parce qu’elles caufoient de la confufion par leur 
reflemblance , quelquefois de l'embarras , ou bien de la pei- 
ne par leur prolixité. Quelques-unes fe trouvant d’ailleurs 
hors de ces volumes, leur autorité étoit revoquée en doute 
dans les Jugemens. Il ajoute qu'il a fait retrancher l'inutilité 
des anciennes Conftitutions , & joindre les fiennes. Il or- 
donne enfuite qu'on fe ferve de cette feule compilation dans 
les Ecoles , de même que dans les Tribunaux de Juftice, & 
défend d’en faire aucune autre fans l'autorité du Saint Siège. 
Sa Sainteté écrivit une femblable Lettre aux Doëteurs de Pa. 
ris , datée de Spolette le cinquième de Septembre 1234. L'in- 
tention de Gregoire IX fut fuivie , &c fa Éolledion {1 bien re- 
çûë , qu'on l’a depuis nommée fimplement les Décretales. 


Cet Ouvrage, qui fait connoître le génie, l'érudition, & la 


{olidité de jugement de fon Auteur , fufiroit feul pour lui 
aflurer un rang diftingué parmi les plus habiles Canoniftes , 
qui l'ont précedé , ou fuivi. : | —. 
. Saint Raymond ne l'eut pas plütôt achevé, qu'il mit la 
derniere main à fa Somme de Morale, commencée , & peut- 
être publiée en Efpagne , depuis près de douze ans ; mais qui 
ne parut à Rome qu'en 1235. Comme dans tous fes travaux, il 
ne fe propofoit que l'utilité de l'Eglife & la gloire de Dieu, 
unique objet de fes défirs, on ne doit point être furpris 
ai ait toujours refufé avec autant de modeftie que de fer- 
meté , toutes les dignitez , dont on voulut honorer fon mé- 
rite, ou récompenfer fes fervices. L'Archevêché de Tarra- 
gone étant venu à vaquer, le Pape ne crut pas pouvoir 
mieux confier qu'aux foins de fon Confeffeur,cette Eglife Mé- 


tropolitaine , & , felon la remarque de Bollandus , alors Pri- 
matiale de tout le Royaume d'Aragon. Mais l'humble Reli- 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 19 


gieUx , pren que le fardeau étoit au-deflus de fes forces , 
ne put fe réfoudre à foufrir qu’on le mit fur fes épaules. Sa 
Sainteté ne paroiflant pas moins réfoluë de ne point accep- 
ter fon refus, l'humilité de Raymond en fut alarmée ; il 
en tomba dangereufement malade : & lorfque le Saint Pere 
fe rendit enfin à fes vives inftances , ou à celles de plufeurs 
Cardinaux , il éxigea que fon Confeffeur eût au moins la 
complaifance de nommer lui-même un autre Sujet,capable de 
remplir dignement ce grand Siège (1). Guillaume de Mon- 


grin, Chanoine & Sacriftain de l'Eglife de Gironne , avoit 


toutes les qualitez , qu'on peut défirer dans un grand Evêque. 
Savant , pieux, ferme , zélé, infatigable dans le travail , il 
étoit furtout rempli d'amour pour Fe pauvres , & pour l'E- 

life, dont il connoifloit la difcipline ; & dont il fentoit les 
PAS Tel fut le Sujet que Raymond de Pegnafort propo- 
fa, & qu'il fit agréer au Pape. Mais ce digne Ecléfiaftique 
étoit trop femblable à notre Eh , pour ne pas imiter fa mo- 
deftie. Obligé de eéder aux ordres abfolus du Souverain 
Pontife , 1l n'accepta la dignité d’Archevêque , que dans l'ef- 
pérance de pouvoir un jour l’abdiquer. Et on prétend qu'il le 
fit avant même fa confécration. 

Quelques Hiftoriens aflurent que l’Archevêché de Brague 
dans le ps de Portugal , fut encore préfenté à Saint 
Raymond, & refufé avec la même conftance , qu’il avoit fait 
paroître dans de femblables ocafions. Cependant fes rigou- 
reufes pénitences , la grandeur ou la multitude de fes ocupa- 
tions ; & plus que tout cela , la douleur de fe voir continuels 
lement expofé à la nécefité de fe défendre contre l’importuni- 
té de fes amis , aufh empreflés à le mettre dans les premiéres 
places , quil l'étoit lui-même à les fuir ; toutes ces peines 
d'efprit & de corps le jéterent dans un fi grand épuiferent de 
forces , que les Médecins défefpérérent de pouvoir remettre 
{a Puits crainte de perdre un Homme qui lui étoit fi cher, 
ayant obligé le Pape confentir qu'il allät prendre l'air na- 
tal, pour eflayer de fe rétablir, Raymond fortit de Rome, 

(1) Oblatos etiam honores » & amplif- [ mus omni ope contendit , uteam à fc dig- 
fimas Ecclefiarum Cathedras omni conatu | nitatem averteret. Quod cum per fe non 
fepudiavit. Nam cüm Gregorius Archiepif- | poffet, adhibitis multorum precibus, & 
copatum Tarraconenfem ei defferre decre- | quorumdam Cardinalium auétoritate , ejuf- 
viflet , id ille adeo graviter & molcitè tu- Ln Gregorii animum ita inflexit, ut illius 
lit ; ut illico febri correptus aliquot dies in- | Ecclefñiæ onus in eum tranftulcrit , quem ci 
genti corporis , animique dolore torquere- | muneri aptifimum efle B. Raymundus ju 


tur, Itraque ab hujus mundi gloria alienifli- | dicavie, Clem. VIIL, wt He 18. 
1] 


LIVRÉ 
I. 


S. RAYMOND. 
Der te à 








Leg. Boll. p. 4it, 
not, ce 


XXXIL 
Sa Maladie. 


XXXTII. 
Son retour en Ef- 
pagne. 


0 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE &retourna dans éon premier Couvent, fans Charge, fans 
L. Bénéfice , fans penfion , aufh pauvre que le jour de fa pro- 
S.Ravmon». feflion religieufe. De fa qualité de Pénitencier Général, il ne 
=” voulut retenir que le pouvoir d’abfoudre dans le befoin les 
Religieux de Saint Dominique , & ceux de Saint François. 

Ce qu'il fit , difent les Auteurs, pour entretenir toujours la 

plus parfaite union entre ces deux Ordres, qu’il aimoit ten- 


drement. 
XXXIV. Son afeétion pour celui de la Dh Ai toujours la mê- 
Ce qu'il avoit d£ me. Et pendant fon féjour à la Cour de Rome, il en avoit don- 


ne “es rorde ne de belles preuves , ayant obtenu du Saint Siège la confir- 

de la Mercy. mation du nouvel Inftitut ; & l’aprobation folemnelle des 
Conftitutions , qu'il avoit lui-même dreflées. Dans une Let- 
tre qu'il écrivit fur ce fujet à Saint Pierre en , & dont 
on nou a confervé un fragment dans un Manufcrit du qua- 
torziéme fiécle, Saint Raymond lui aprend quels étoient 
les fentimens du Pape , fon eftime , & fon admiration pour 
la fin fi glorieufe d'un Ordre, tout confacré à la charité , & à 
l'utilité du prochain. Nous aimons mieux raporter ici les 
propres paroles de notre Saint, que de les afoiblir peut-être 
en les traduifant. 

XXXV. 


Lettre de Saint ( UM Vireinis faniffime preclare Reliotonis flabilimen- 
Raymond à Saint tum peterem , ad aures fuæ Sanüitatis tua in hac redemptio- 
Pierre Nolafque. . - 
ne gefla , mi Pater venerande , venerunt. Et flupefaüus in ope- 
re , de tam magno facinore attonitus feré , nefcivit proferre fer- 
A 
monem ; fed lacrymabundus hæc de te promebat verba : 6 ad- 
miranda Religio, que tantä illuffrata eff Fundatrice ! 6 a toto 
terrarum orbe laudanda fundatio , cus famulata ef Mater Sal- 
vatoris | à vir charitate fervidus , qui follicitatur ardore , in- 
clinat Cœlos & Deiparam alloquitur ! 6 certé divina opera , 
ds de 
quæ adhuc dum in via funt , a Deo laudantur ; 6 eorum laus 


vide Baïlar. od. @ gloria à Maria annunciatur , quæ Cœlo aperto fundatur ! 


it S quibus verbis a me confirmabitur ? taceat lingua ; & cœlum in- 
dicet modum , &c. ; 


Il paraît Fe S. Raymond écrivit cette Lettre peu de tems 
après avoir fait confirmer l'Ordre de N. D. de la Feb c’eft- 
à-dire l’an 1233 felon le fentiment commun des Auteurs ; ou 

pag æs.no.g. felon Bollandus au commencement de 123$, par conféquent 

eu de mois avant fon départ de Rome. Il n'eut pas Türôt 
quité la Cour , que le Seigneur, en lui rendant la fanté , l'ho- 


ee me = re Re nm maps : 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. - 21 


nora encore du don des miracles (1). À fon arrivée au Port 
de Blanes, à douze lieuës de Barcelone , on lui préfenta un 
homme , à qui la violence de la maladie avoit fubitement 
Ôté l’ufage de la parole, de l’ouie , & de tous les fens. Le Saint 
touché LA compañfion de fon état, fit fur lui le figne de la 
Croix ; & lui adreffant la parole après une fervente priére, 
lui demanda s’il ne vouloit point fe confefler. Je le défire 
de tout mon cœur, répondit le moribond , qui jufqu’alors 
n’avoit donné aucune marque de fentiment. Î fit en éfet fa 
confeflion avec un vif repentir , & une grande liberté d’ef- 
rit ; reçut l’abfolution de fes ses ; & retombé prefqu’auf- 
Étôr dans fon premier état de létargie ; il mourut peu de mo- 
mens après. Voilà un de ces traits , où paroiflent les aten- 
tions de la Providence fur fes Elüs. 
Rendu enfin à lui-même , à fes Freres, & à fa chere foli- 
tude , Raymond reprit, ou pour mieux dire, il continua 
avec une nouvelle ferveur Ës auftéritez ordinaires , qu'il 
ajoutoit à celles de fa Régle. Ses veilles étoient longues & 
fon oraifon , ainfi que fon abftinence , prefque continuelle. 
Excepté les Dimanches, il ne prenoit qu'une fois du joug une 
fort modique nourriture. Il ne cefloit cependant d’anoncer 
la parole 2 Dieu ; & de fatisfaire aux défirs , ou aux befoins 
de toutes fortes de perfonnes , qui avoient recours à fes lu- 
miéres , ou à fa charité (2). Comme fi le falut de la Patrie, 
& de tous les Royaumes d'Efpagne , avoit été ataché à la pré- 
fence de ce grand homme, la joye fut univerfelle dans le 
F4 dès qu’on in qu'on avoit le bonheur de ly pofléder. 
es Evêques de Catalogne & d'Aragon, furent les premiers 
à profiter de fes momens de loifir : à leur prière , le faint Doc- 
teur écrivit un Traité des devoirs des Prélats dans la vifite de 
leurs Diocèfes , & la conduite de leur troupeau. Il fit un au- 
tre petit Ouvrage, pour aprendre aux Négocians à éxercer 
leur commerce en Chrétiens , & felon les Ye de l'Evangi- 


LIVRE 
I. 


S. RAYMOND. 
D es À 


XXXVI. 
Le Saint obtient 
peus un moribond 
grace de pouvoir 
recevoir les Sacre- 
mens. 








l 


XXXVIT. 
Ses ocupations à 
Barcelone. 


Je. Quoiqu’abfent, il fe trouvoit fouvent chargé des com- 


(1) Vix ab urbe recefferat, cüm ftarim 


hominum concurfus ad eum fieri ape ft, 
CS « e . \ e. e 
æi divinitus per Spiritum data eft gratia {a- 


partim vifendi pratià, partim confulendi..… 


nitatum, atque operatio virtutum , &c. 
Clem. VIII. at fp. n. 10. 

(2) Atque ubi Barcinonem appulit , con- 
firmatis paululum viribus , ftatim ad res di- 
vinas & cœleftes contemplandas animum 
adjecit. Ejus vero Barcinonem adventus fi- 
paul atque per Hifpaniam ipnotuit, ingens 


Fe omnes confolabatur in Domino, & 
piritualibus monitis mirificè recreabat. Ejus 
enim fcientia qua inundatio in omnibus 
abundabat ; & confilium ejus, ficut fons 
vitæ , falutem animæ pluribus afferebat. 
Clem, VIII, n. 11, 


C ii 


LIVRE 
I. 


S. RAYMOND. 


LE ne ee ec). + 


Fleuri, Liv. LXxx, 
n. 63. 


XXXVIII. 


“ 


22 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


miflions de la Cour de Rome. Gregoire IX continuoit tou- 
jours à fe fervir de fes confeils , ou de fon miniftere , dans les 
diférentes afaires, qui intérefloient laReligion , ou l’état des 
Chrétiens dans les Provinces d'Efpagne. Lorfque ce Pape or- 
donna aux Evêques de Vic & de Lérida de choifir un Pa- 
fteur pour le Siège de Majorque, il voulut que ce choix ne 
fe fit que de l'avis de Raymond de Pegnafort. 

Dès l'année 1232, peu de tems après la conquête de cette 
Île , le Roi d'Aragon avoit formé le deffein d'enlever aux Sa- 


Préparatifs lo rafins le Royaume de Valence, dont ils étoienten poffeffion 


la conquête du 
Royaume de Va- 
lence, 


XXXIX. 
S. Raymond dans 
Jes Etats de Cata- 
Jogne & d'Aragon. 


depuis plufieurs fiécles. Il ne tarda pas de mettre fes troupes 
en campagne. Déja il avoit chafñlé ces Infidéles de plufieurs 


poftes avantageux , il les avoit afoiblis & refferrés , & avoit 


ris fur eux un grand nombre de Châteaux , de Bourgs , & de 
Villes. Mais la Capitale étoit encoreau pouvoir des Maures, 
qui s’y étoient extrêmément fortifiés, réfolus de la défendre 
jufqu’à la derniere extrèmité , ou de s'enfévelir fous les ruines 
d’une Place de cette importance , la plus confidérable de leurs 
conquêtes fur les Chrétiens. Ceux - ci ne marquoient pas 
moins d’ardeur à rentrer dans leur ancienne poffeflion. Et un 
Conquérant tel que Jäâques I, auroit crû manquer à ce qu’il 
devoit à fa propre gloire , à celle de la Religion , au repos & 
au bonheur de fes Éujers , fi de fon côté il n'avoit fait les plus 
grands éforts, pour ôter aux Barbares une Ville, qui les 
mettoit toujours en état de réparer leurs pertes, & de faire 
de nouveau la loi à leurs vainqueurs. 

Dans ce deffein, le Roi tint deux célébres Affemblées. des 
Etats de fon Royaume. La premiere fut convoquée à Mon- 
çon , fur les frontiéres de la Principauté de Catalogne, au 
mois d'Oftobre 1236 ; & la feconde à Tarragone dans le 
mois de Janvier de l'année fuivante. Le Prince & les Prélats 
voulurent que Raymond de Pegnafort fe trouvât à l’une & à 
l’autre ; ils ne doutoient pas que la fagefle qu’on lui connoif- 
foit, & le zéle dont il étroit antmé pour l'honneur de la Reli. 

ion , ne contribuaffent beaucoup à faire prendre les mefures 
néceffaires pour l’heureux fuccès de cette grande expédition: 
L'évenement juftifia leurs efpérances : la prudence bu Saint, 
& fon crédit + va les plus grandes dificultez. Les peu- 
ples déja épuifés par une longue fuite de guerres , n'étoient 
prefque plus en état de porter de nouvelles charges ; & les 
Grands s’opofoient fortement à la propofition de mettre de 


SO ete — 6 me = — —- 


DE L'ORDRE DES, DOMINIQUE 23 
nouveaux impôts. Le Roï avoit cependant befoin de fommes 
extraordinaires. Le Serviteur de Dieu , dans la crainte que 


LIVRE 


ces dificultez ne fiflent peut-être abandonner une entreprife, S. Raymoxp. 


où l’Eplife & l'Etat fe trouvoient également intéreflés, en re- 
préfenta fi bien la néceflité & les grands avantages qui 
reviendroient à la Nation du fuccès , qu'on avoit lieu d’ef- 
pérer, qu'il détermina les Evêques , & les autres Seigneurs 


ST 


Ses fages con- 


à fournir généreufement aux frais de la ee Parce moyen fils. 


les pauvres ne furent pas acablés; & le Roi ne manqua point 
des fecours néceflaires pour l’éxécution de fes glorieux def- 
feins. Le Ciel les favorifa. La ville de Valence , & tout le 
Royaume de ce nom tomberent la même année fous la puif- 
fance des Chrétiens. Les Maures en furent chaflés fans re- 
tour ; & la Religion de JESUS-CHRIST , heureufement réta- 
blie dans dés Provinces ; que les Difciples de Mahomet 
avoient long-tems fouillées , y a depuis fleuri ; & y fleurit en- 
core avecéclat. A 2 

Saint Raymond, qui par la ferveur de fes prières, n’avoit 
aa er moins contribué , que par la fagefle de fes con- 


els, à-un fuccèsfi glorieux, en refflentit une joye d'autant 


plus puré ; qu'il étoit plus éloignéde fe l'atribuer. Il n’étoit ni 
ébloui , niflaté par toutes les marques d’eftime que le public 
lui donnoit. Aufli petit à fes propres yeux, qu'il paroifloit 
grand aux perfonnes les _. élevées en dignité , il all 
uefois dans les Ecoles 

ue. d’un: Difciple les leçons des.Profeffeurs. Il avoit prié le Su- 
périeur de fa: Communauté de vouloir:bien lui fervir de guide, 
qu de maître dans la vie fpirituelle , & de lui enfeigner les 
moyens de fe rendre un parfait Religieux. Mais fous la condui- 
te du $. Efprit, il étoit parvenu à un dégré de perfeétion d’au- 
tant plus fublime , que l'humilité en lui cachant fes richeffes 
fpirituelles ; en étoit en même-tems la gardienne. Toujours 
ei garde contre la diffipation qu'auroit pû caufer dans fon 
efprit la variëté de tant de diférentes afaires , fur lefquelles il 
étoit confulté ; & ne craignant pas moins le poifon caché de 
l'orgueil parmi les See me » que # atiroient fes 


spas attions:, fes. fumières', & fes vertus ; il redoubloit’ 


e jour & de nuit fon afliduité au faint éxercice de l'oraifon. 
! Cette louable pratique ; qu'il s'étoit rendue familiere ; fer- 
voit à nourir, Ou à augmenter toujours dans fon ame , une 


XLL 
Heureux fuccès 
des Chrétiens con- 
tre les Maures. 


XLII. 


oit quel- Humilité du Saint, 
e Barcelone écouter avec la modef- 3j Lo de cette 


XLIH. 
Efers dé fa ttn- 


piété également rendre ,.& folide, Soit qu’il chantât les louan- ue pi, 


v . d': ‘ 


24 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE ges de Dieu avec fes Freres ; foit qu'il priât en particulier > 
L. tantôt dans le fecret de fa Cellule , tantôt dans quelque coin 
S.Ravmonr. de l'Eglife , il répandoit des ruifleaux de larmes. Souvent il 
—” n'étoit pas le maitre de retenir l’ardeur de fes flâmes , ni d'é- 
toufer entiérement les foupirs que fon cœur poufloit vers le 

Ciel. Il célébroit ordinairement tous les jours les SS. Myfté- 

res, mais avec de fi grands fentimens de dévotion , qu'il en 

infpiroit à tous ceux qui le voioient à l’Autel (1) : & fi: 

Se is fes infirmitez l'empêchoient d'y monter,il avouoit 
à fes Freres qu'il n’avoit ce jour-là ni joye intérieure , ni-con- 
{olation. | 2: 


Non moins rigide obfervateur de la loi de la charité, ce : 


faint Homme ne foufroit jamais qu’en fa préfence, on s’ou- 

bliät fur les obligations qu’elle nous impofe. Le plus — 

murmure , la plus petite médifance l'obligeoit à quiter d'a- 

bord la converfation , ou à parler en faveur des abfens. Son 

filence même corrigeoit quelquefois ceux , qui ne mefuroïent 

XLIV. as aflez leurs ro. 8 La douceur de JESUS-CHRIST étoit 
Charité du Saint. À modéle de la fienne. Mais ce qui donoit furtout de lagré- 
La pen ment à fes entretiens , c’étoit le don qu'il avoit reçu de Dieu 
Felus-Chrif pour confoler les perfones afligées , pour diffper. leurs pei- 
nes , leurs le 2 , ou leurs tentations. On eût dit que le 

Seigneur avoit ataché aux difcours de fon fidèle Miniftre une 

race particuliére, pour porter la tranquilité & la paix dans 

És confciences. Sous la conduite d’un tel Direéteur, les per- 

fonnes pieufes faifoient de grands eue la vertu : les 

plus avancés aprenoient à Le À ei onner encore ; & ceux 

qui avoient long-tems gémi fous la tyranie de leurs À mr sd 

ou qui s'étoient livrés fans remors à tous leurs défirs déré- 

glés , trouvoient en lui un pere charitable & un fage Méde-. 
Cin. Sans avoir jamais de lâches complaifances pour les Pé- 
cheurs , il fçavoit leur compatir & les gagner. Le nombre 
de converfons, dont il fut l'inftrument dans la feule Ville de: 
Barcelone , ne peut être connu que de celui qui en étoit: 
l’auteur par la vertu de fa grace. . 
Ainfi ocupé à gagner tous les jours des ames à Jefus- 


Chrift, Saint Raymond goûtoit lui-même toutes les dou-: 


rs 
o 


(x) Sacrofan@tum miffæ facrificium ferè |.teft, quod aftances ex ejus folo afpe&u ad 


quotidiè celebrabat. Quanta vero effer ejus | ordtionem incirarentur, ac petita a Deo 
in facrificando animi puritas , ac devotio- | Patre mifericordiarum bencficia , ejus pre« 
(2 « \ e e. e ° . 
4 ois fervor , vel ex eo facilè exiftimari pos { cibus imperrarent. Clers. VIIL. », 30. 


ceurg 


- —— qe te EU ne NNERR— nr =. NE NME NE — — 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 24 


ceurs d'une vie pas dans les éxercices de la pénitence & LIVRE 


de la charité , lorfqu'il aprit la perte que tout fon Ordre 
venoit de faire par la mort du B. Jourdain de Saxe , Succef- 
feur inmédiat de Saint Dominique. L'union très-étroite qu'il 


avoit euë avec ce grand Serviteur de Dieu , un des plus 1lluf- 


tres Perfonages de fon fiécle , lui rendit comme particuliére 
l'afliétion qui étoit commune à tous fes Freres . Mais il ne pré- 
voioit pas encore le coup qui devoit mettre le comble à fa 
douleur. Il le fentit bientôt après , lorfque dans le Chapi- 
tre aflemblé à Bologne l'an 1238 , les Provinciaux & les 
Définiteurs jetérent les yeux fur lui, pour le faire fuccéder 
au B. Jourdain dans la Charge de Supérieur Général de tout 
l'Ordre des FF. Prêcheurs. 

Si nous en croïons quelques Auteurs du feizième fiécle , 
les Vocaux furent d’abord partagés , le célébre Hugues de 
Saint-Cher étant porté par les nca , le B. Albert le 


Grand par les Allemans, & Saint re de Pegnafort 


ee les Italiens unis avec les Efpagnols. On ajoûte que le 


crutin ayant été paffé trois fois inutilement, tous les Reli- 


gieux furent fe profterner devant le tombeau de Saint Do- 
minique. Revenus enfuite au Chapitre, après une longue 
& fervente priére , Saint Raymond fut élu unanimement 
& comme par infpiration. Mais quelque eftimés que foient 
les Ecrivains qui ont avancé ce fait, plufeurs habiles Cri- 


L; 


EE 
S. RAY Mono. 
SOSSMERE SEEN 


XLV. 
Mort du B. Jour« 
in de Saxe. 


XLVI. 
S. Raymond eft 
élà à fa place. 


Vide Pchard. T. TL. 
p. 106. & Bullar.-ord, 
Te V. p. 592. 


tiques entre les modernes , le révoquent en doute ; fondés 


non-feulement fur le filence des anciens , mais auffi fur le 
nt 5 d'Etienne de Salanhac , felon lequel cette Elec- 
tion fut faite tout d’une voix & dès le premier fcrutin, tan- 
dis que la Comunauté de Bologne & les autres Religieux , 
n’avoient pas droit d'élire , prioient enfemble devant les 
Reliques de leur faint Patriarche (1). Les paroles de cet 
Auteur , dont on connoît d’ailleurs l'éxatitude , méritent 
d'autant plus d’atention , qu'il avoit été lui-même préfent, 
& l’un des Eleéteurs dans le Chapitre de Bologne. 

Le Pere Humbert, Bernard Guidonis & un ancien Ma- 
nufcrit cité par F rançois Penna , gardent de même un pro- 
fond filence fur ce prétendu partage de fentimens , quoiqu'ils 


(1) Diligenter incluhs Eleétoribus , ut 1niunt ; & ele@um concorditer ab omnibus 
moris eft, orantibus Fratribus cæteris an- | in primo fcrutinio eum ( Ræymundum ) no- 
4e facrum corpus B. Dominici....ecce fac- | minarunt. Stephan. Salan. in Chre. Magif- 
£0 figno ad C apitulum omnes Ele@ores ve- | sror, Ord. ap. Echard. nt f?. | 


ome L, 


26 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE parlent tous de la maniére dont Saint Raymond fut élû Gé- 
| L. néral de fon Ordre. Nous ne nierons pas cependant, qu'il n. 
S.RayMon». ait eu peut-être quelque diverfité d'opinions avant le jour de 
m#” l’Afflemblée où on devoit faire l'Eledion. La réputation du 





B. Albert & celle d'Hugues de Saint-Cher , depuis Cardi- 
nal , étoit fans doute aflez grande , & leur mérite affez con- 
nu, pour que des Religieux de leur Nation les propofaflent 
l'un & l'autre dans les conférences particulières qui précé- 
dérent l'Aflemblée générale. Mais tous les efprits s'étoient 
déja réunis, ou ils fe réunirent fans peine au moment qu'il 
falut procéder à l'Eleion ; & on ne manqua pas dans la 
fuite de faire valoir cette unanimité , comme une marque 
de la volonté de Dieu , pour engager le Général élù à fe 
foumettre aux ordres de la Providence. 

Raymond de Pegnafort étoit toujours à Barcelone ; & 
comme on ne pouvoit ur ni le refus qu’il avoit déja fait 
de plufieurs Dignitez Écléfaftiques , n1 fon éloignement 
général pour toutes fortes de Charges, an comtoit bien qu'il 
ne feroit pas facile de lui faire accepter celle-ci. Hugues de 
Saint-Cher , Provincial de France , & trois autres Réligieux 
d'un mérite fort diftingué , furent me par le Chapitre, 
pour lui aporter le Décret de fon Éleétion, & pour obte- 

XLV. ir fon confentement. Il feroit dificile de bien exprimer ce 
Dans quelefprit que fentit cet homme modefte , quand on lui anonça une 
Er Se RO Souvelle fi peu atenduë. Sa et dt fon afliétion, & 

° fon embaras fut extrême. Il fe voioit dans la dure néceffité, 
* ou de caufer un grand fcandale dans un Ordre qu'il amoit, 
ou de fe voir chargé d’un fardeau dont il redoutoit le poids, 
parce qu'il le croioit bien au-deflus de fes forces. Mais l'hu- 
nilité a fes bornes , & la charité ne doit pas en avoir. Quand 
elle anime un cœur , elle lui rend tout poffible. Celui de no- 
tre Saint, en étoit véritablement rempli. Profondément humi- 
lié, il s'opofa d’abord à fon élévation G) 3 il pria, il gémit, 
& il regarda comme une efpéce de perfécution les vives inf- 
tances qu'on lui faifoit ; mais craignant de réfifter à Dieu 
même par un opiniâtre refus » il accepta enfm cet Emploi 
comme une pénitence, réfolu néanmoins de rentrer dans fon. 


(1) Cujns ille rei nuncio perculfus , atque adventantibus , qui eam omnium & Dei 
animo perturbatus , primüm repugnare ve- | voluntatem effe confirmarunt, ægrè tan- 
“bementer cœpit ; fed provectioribus ætate | dem acquievit, ac Magiftratum iniit , &c. 
ac fapientià Parribus Bononià Barcinonem !Clem, VIIL. #. 22. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 27 


état, dès qu'il pourroit le faire fans bleffer fa con- 
cience, ni troubler célle de fes Freres. 
Quand, avec des talens fupérieurs & une humilité égale 
à fa capacité, un Supérieur fe trouve placé comme de la main 
de Dieu dans une Charge, dont il connoit tous les devoirs, 
quels avantages ne peut-on pas efpérer de la fagefle de fon 
ouvernement ? Cd de notre Saint promettoit beaucoup ; 
il eut été parfait , s’il avoit été moins court. Les afaires de 
tout un Ordre, déja fort étendu, & la vifite de fes Provinces 
que le nouveau Général entreprit de faire à pié, ne l'empé- 
choient pas de continuer toujours fes jeûnes rigoureux, fes 
longues veilles & fes autres pratiques de pénitence. Marchant 
avec une nouvelle ferveur fur les traces de S. Dominique, 
toujours uni à Dieu , & veillant fur la conduite de fes enfans, 
il n'omit rien de ce qui pouvoit les faire avancer dans la per- 
fe&ion de leur état. Sa fermeté toujours acompagnée de 
prudence & de douceur , l'amour de la régularité qu'il infpi- 
roit moins par fes difcours que par fes éxemples , & le zéle 
du falut des ames dont on le voioit animé, le firent jufte- 
ment confidérer comme le parfait imitateur de fes faints Pré- 
décefleurs , & le modéle de tous ceux qui devoient lui fuc- 
céder. L'efprit de priere & de retraite, celui de la prédica- 


tion, À mess à l'étude des fciences , particuliérement des. 


faintes Ecritures , toutes les ocupations de l'homme Apofto- 
lique parurent fe renouveller dans fon Ordre. Il eut le plai- 
fir d'y voir entrer plufieurs bons Sujets, & il fit pañler un 
grand nombre de Mifionnaires dans les pais des Infidéles , 
ainfi que dans la Bofnie , qui faifoit alors partie du grand 
Royaume de Hongrie , & qui gémit aujourd'hui fous la puif- 
fance des Turcs. | 

Pour être toujours en état de fournir des Sujets à ces Mif- 
fions étrangeres , & favorifer le zéle de ceux qui travail- 
loient au fut des ames par le miniftére de la Prédication, 
le faint Général demanda deux graces au Souverain Ponti- 
fe. La premiére , étoit de modérer fes faveurs à l'égard des 
Particuliers , parce qu’elles étoient préjudiciables au Corps 
d'où on les retiroit pour les emploier à la conduite des a 
{es ou des Diocèfes. La feconde, regardoit un grand nombre 
d’autres 2. , qui, fans fortir de l'ordre, fe trouvoient 
chargés de diverfes Commiffions , tantôt par les Evêques , 
& tantôt par le Saint Siège même, ou par fes ce” Ces 

ÿ 


LIVRE 
I. 


S. RAYMOND. 
Rte. 2 





XLVTIE 
Sa vigilance dans 
le gouvernement 
de tout l'Ordre: 


1. 

Il prie le Pape de 
ne pas élever fes 
Religicux à l'Epif- 
copat, & de les dé- 
charger des com- 
miilions Apoftoli- 
ques. 


LIVRE 
I. 


S. RAYMOND. 








Vide Bullar. Ord. 
T. I. p.112. 8&c, 


Ibid. p. 107. 


28 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


fréquentes Commiffions , quoique toujours honorables, ne 
pouvoient que les partager & les diftraire , en les détour- 
nant de l’éxercice de la priére, de l'étude & de la Prédica- 
tion. Saint Raymond défiroit qu’ils en fuflent difpenfés par 
l'autorité du Pape. Sa Sainteté lui refufa la premiére de ces 
demandes , & continua, felon qu'il lui parut expédient au 
bien des Eglifes, de prendre plufieurs Sujets dans le même 
Ordre pour les facrer Evêques. Mais elle lui acorda la fe- 
conde par un Bref du 25 d'Oftobre 1239, conçu en ces 


termes. 


REGOIRE , Evèque , Serviteur 

des Serviteurs de Dieu: À nos 
chers Fils le Général des FF. Prêcheurs, 
& à rous les Religieux du même Or- 
dre, SALUT ET BE‘NEDICTION 
APOSTOLIQUE. 

Comme la faseile de Dieu vous à 
donnés ay monde , pour porter aux Na- 
tions la lumiére de l'Evangile, fa gra- 
ce vous fait auffi travailler avec un zé- 
le infatigable , pour arriver à cette joie 
f] nelle qu'on ne peut aquérir que 
ie le repos de la contemplation, & 

ar l’éxercice du faint Miniftére , dont 
a fin doit être votre falut éternel & 
celui du prochain. Mais faifant aten- 
tion que la variété des afaires dont 
vous êtes chargés, fouvent mème par 
le Saint Siége, vous détourne See 
fois de votre but principal, non fans 
un préjudice con dérable du {alut des 
ames, nous croyons devoir vous dif- 
penfer, & par ces Préfentes nous vous 
difpenfons de l'obligation d'éxercer 
sr se l'Ofice de Vifiteurs dans les 
Monaftéres , ou dans les Eglifes qui au- 
ront befoin de réforme , ou de faire 
éxécuter les Décrets Apoftoliques ; & 
nous ne voulons pas qu'on puille à l’a- 
venir vous obliger à prendre foin des 
Communautez des Religieufes, quand 
ee feroit mème par des Létres émanées 
du Saint Siége, fi dans ces Létres 1l 
n'eft fait expreffément mention de la 
Difpen£e que nous vous acordons par 


REGORIUS, Epiftopus, 

S'ervus Servorum Der : Dilec- 
tis Filiis Magifiro C Fratribus 
Ordinis Fratrum Pradicatorum , 
SALUTEM ET APOSTOLICAM 
BENEDICTIONEM. 

Infpirationis Divine gratia fa- 
ciente, vos , quos in lucein gentiuin 
Dei fapienrta dediffe dignofcitur , 
ad boc continuis defudaris affeétr- 
bus , ut fhiritualem confequendo le- 
titsam , que per quietem contempler 
tionis æcquiritur , © predicationis 
facre fludio obrinetur , fic decurra- 
tis prefentis vite fpatium , quod an- 
sacute Jefu-Chriffs clementia, vo- 
bis tardem ac proxunts proventat 
gloria perpetue claritatis. Digne 
igitur , quia per ea quæ vobis a Se- 
de Apoftolica committuntur , prin- 
cipalis veftré propofits ronnunçquan 
executio impeditur , € non modi- 
cum faluti detrabitur antnarum , 
auctoritate Apoflolica vobis preftn- 
tium indulgemus , nt ad correttio- 
nis, feu vifitationis officium , Mo- 
nafleriis,vel Ecclefiis impendendum, 
necnon ad executiones caufarum © 
denunciationes excommunicatorum 
Procedere , vel rectpere curam AMo- 
nialium , [eu Religrofarum qua- 
rumlibet , nulli Fratrum veftrorum 
de extero per Litreras Apoflolicas 
teneantur , nifi exprefse de bac in- 
dulgentia fecerint MENTIONEM vos. 


2 


mm —- — 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. :9 


Datum Anagnie VIII. Cal. No-  celles-c1......Donné à Anagni le huitié- 
vembris, Pontificatis noflri anno me des Calendes de Novembre , la 
tertio decimo. treiziéme année de notre Pontificar. 


Les Succeffeurs de Grégoire IX dérogérent bientôt après à 
ce Bref ; & dans toute la fuite de l'hiftoire de notre Saint,nous 
verrons de combien d'importantes Commifhons les Papes con- 
tinuerent à l’honorer , ou à le charger lui-même. Nous ne 
trouvons pas cependant qu'il en ait accepté aucune pendant 
le peu de tems qu'il fut à la rête de fon Ordre; fans doute, par- 
ce qu'il étoit perfuadé , que pour remplir dignement tous les 
devoirs de fa Charge, il ne devoit point partager fes aten- 
tions. Comme il les avoit portées d'abord à maintenir la régu- 
larité dans fa premiére vigueur , à prévenir fagement , ou à 
écarter les abus par la plus éxaéte obfervation des loix ; il 
voulut que dans ces mêmes loix, il n’y eût rien qui pût caufer 
de la confufion ou de l’'embaras. Dans ce deflein, 1l entreprit 
d'expliquer les Conftitutions ou les Statuts de fon Ordre : il 
les rangea avec plus de méthode, éclaircit ce qui pouvoit s'y 
trouver d'obfcur ou de douteux. Ce Recueil ou cette efpéce 
de Code fut enfuite reçu & autorifé par trois Chapitres Gé- 
néraux. | 

Dans celui que Saint Raymond affembla à Paris aux Fêtes 
de la Pentecôte 1239 , il propofa & fit aprouver un Décret, 
felon lequel on s'obligeoit d'accepter la dois ou ceflion 
volontaire d’un Supérieur, lorfqu'il auroit de juftes raifons 
de fe démetre de fa Charge. L'habile Général ne laiffa pas 
alors entrevoir le deffein particulier qu'il ne perdoit point de 
vüé. Mais dans le Chapitre , où il préfida l’année fuivante à 
Bologne, 1l ne manqua pas de faire ufage de ce même Dé- 
cret, pour Mur ra Ses infirmitez & fon âge 
de foixante-cinq ans fembloient en éfet peu compatibles avec 
la grandeur du travail & la maniére,dont il continuoit à faire 
fes longs voyages dans les diférens Royaumes de l'Europe. 
Cette démiflion ne laiffa pas de caufer une aflidion générale 
dans l'Ordre de Szint Dominique (+) ; & felon quelques Hif- 
toriens , les Définiteurs qui l’avoient acceptée , furent eux- 
mêmes privés de leurs roue dans le Chapitre de 1242. 


(1) Cüm integro biennio fanétiffimè , & | privatæ avidiflimus, Magiftratu mœrenti- 
magna cum laude adminiftraffer……affec- Fe omnibus fponte fe abdicavit. Clem, 
tam ætatem , infirmamque valetudinem in- | VIII, n. 22. 

cufans , priftinæ nimirum quietis , vitæque 


D ü 


LIVRE 
I. 


S.RAYMOND. 
SRE 








LI. 

S. Raymond ex- 
plique les Coniti- 
tutions de fon Or- 

Ce 


LIT. 

Il aflemble deux 
Chapitres Géné- 
raux , & fe démec 
dans le {ccond. 


30 HISTOIRE DES HOMMÉS ILLUSTRES 


LIVRE Pour prévenir de femblables cas, on crut devoir expliquer 
L. le Décret qui avoit été fait à Paris trois ans auparavant & il 
S. Raymon». fut déclaré, que déformais on ne pourroit accepter la ceflion 
"==" volontaire d’un Général,que pour Les mêmes raifons pour lef- 
quelles on pouroit , felon le Droit, le dépofer. Il étoit na- 
ture] d'entendre ainfi ce Décret; mais Saint Raymond n’a- 
voit eu garde de donner lui-même une explication qui au- 
roit infailliblement rompu toutes fes mefures. 
LIL. Les travaux continuels aufquels il fe livra pendant les tren- 
go UElss._ oenpa- te-cinq ans qu'il vêcut encore , firent aflez conoître _ ce 
"  n'étoit point la peine,mais l'honneur de commander qu'il avoit 
voulu éviter par la démarche qu'il venoit de faire. Plus apli- 
qué que jamais à tous les éxercices d’un parfait Réligieux , & 
aux fonétions de la vie Apoftolique , on le voyoit toujours 
ocupé ou à écrire,ou à prècher, ou à entendre les confeffions, 
ou à répondre à tous ceux qui venoient lui propofer leurs 
peines & leurs doutes. Mais cette fuite d'ocupations ne l’em- 
êchoit pas de fe ménager de prétieux momens pour traiter 
Feul à feul avec Dieu dans le fecret de la folitude. Il profita de 
fon loifir pour former divers projets qu'il éxécuta dans la fui- 
te , foit pour conferver la pureté de la Foi parmi les Chré- 
tiens d'Efpagne , à qui la fréquentation des Infidéles étoit fu- 
nefte , foit pour faire anoncer avec fruit les véritez de no- 
tre Religion aux Juifs , aux Sarafins & aux Hérétiques. 
C'eft ici fans doute que nous devons placer une feconde 
Létre que cet homme rempli de zèle écrivit à Saint Pierre No- 
lafque , pour l’'exhorter à continuer toujours fes fervices à 
fon Ordre,dans la place où fa vocation & la volonté de Dieu 
lavoient établi. Raymond apréhendoit que le faint Fonda- 
teur ne fût tenté d’imiter fon éxemple , en préférant le repos 
de la vie privée au bien qu'il pouvoit faire sh la Charge de 
Supérieur. Ce fut pour le détourner de ce deffein qu'il lui 
adrefla cette Létre , où on peut admirer tout à la fois la cha- 
rité ingénieufe du Serviteur de Dieu , fa profonde humilité, 
la haute idée qu'il avoit des vertus de Saint Pierre Nolafque, 
& fon amour perfévérant pour un Inftitut à la gloire duquel 
LT: M-Biblio.Hi. 1] ne pouvoit cefler de s'intérefler. Nicolas Antoine dans fa - 
iv. ‘©  Bibliothéque d'Efpagne a parlé avec éloge de cet Ecrit, dont 
les RR. PP. de la us confervent encore l'original dans 
les Archives de leur Couvent de Barcelone. Nous le don- 
nons ici avec fa traduétion. 





D ment enete en 


ne + ne en mn = 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 3: 


Rater RAY MUNDUS DE PEN- 
À NAFORT, venerabils Fratri 
Psrro DE NocaAsco, Dominus 


omnipotens  clemens ; precibus 


Genstricis femper Virginis Marie 
Cuflodiat aninam tuam. 

. {nomnibasmemoriam tuifaciens, 
charifime & defideratifime Pater , 
ut commiffum tibi gregem cuflodias 
femper C proregas ; indefeffoque 
ansmo pAÎCUAS pinqgues ; 4GUAM Vi- 
te tribuens, perficias opus Domini 
u{que in diem Chrifli Jefu ; neceffe 
 babui banc tibi [cribere. Cum enim 
certo ftias diverfas effe cœlorum vies, 
Jesundum diverfas vocationes,nollens 
a te me miferum imitari, qui. con[- 
titutus ab hominibus , & in fupre- 
mu Religions oficium affsnprus , 
ab eo me abdicavi , non ut vacarem 
otio, fed ut inutilis fervus, que 
S'anitorum C virorum nominatorur 
Junt , vane non tenerem. Timui ta- 
men ne © tu alios reputans melic- 
res , st ofationt vacares , quod de- 
bus ego facere , faceres. Ego affum- 
ptus ab hominibus , tu tamen a V'ir- 
gine cœlitus eleëtus, fic cœlum ob- 
Jerva, quia ut elicereris è cœlorum 
sulmine deftendit V'irgo. Parce mi- 
hi, quefo, Pater chariffime , € te- 
meritats ne que auis, adftribas. 
Ego inutilis, © tu bonus ; tu viam 
veritatis tenens , & ego ficut ovis 
érrans. Ores, obfecro, tuam cha- 
rifimam Matrem, ut mihi negli- 
£entias in tanto cominiffas officio ig- 
nofcat. Gaude, Frater charifime, 
© noli fuper tibi commiflum gregen 
?riflari : non enin ribi affump/fiffi bo- 
._horem , neC virge florentis indicio , 

fed Matris fanitifima defcenfu. Cui 
“ensm aliquando Paflorum dixit [’ir- 
go : Pafte agnos mcos ? Forte ergo 
- Virgins contradices ? Non ego hoc 
fpero. Rogo ergo te per Virginis fanc- 
time vifiera, ur fuum tibi com- 


Rere RAYMOND DE PEGNAFORT 

au vénérable Frere Przrre No- 
LASQUE : Que le Seigneur tout puif- 
fant & miféricordieux continue tou- 
jours à écouter en votre faveur les pric- 
res de la Vierge mere. 

Comme je ne 
mon très-cher & bien-aimé Pere , j'ai 
cru qu'il étoit de mon devoir de vous 
écrire cette Létre , pour vous conju- 
rer d’avoir toujours ee le troupeau 
qui vous a Été confié le mène zéle , la 
même vigilance , & les mêmes aten- 
tions à le éonduire dans de fertiles pa- 
turages , où 11 trouvera l’eau falurai- 
re de da vie ; tandis que de votre côté 
vous continuerez à perfectionner l’œu- 
vie du Seigneur , jufqu’au jour de JE- 
sus-CHRisr. Pufque vous n’ignorez 
pas que les chemins qui conduifent au 
Ciel font diférens, felon la diverfité 
des vocations, vous ne devez point 
fuivre mon éxemple ; car il n’eft rien 
£n moi qui mérite d'être imité. Le choix 
des hommes m'avoit élevé à un trop 
haut déoré, j'en fuis décendu, non 
pour me livrer à l'oifiveté , mais pour 
ne pas ocuper inutilement pne place 
qui ne doit être ER que par des 
Saints, ou par des Perfonages que leurs 
talens rendent recommandables. J'ai 
cependant apréhendé que trop prévenu 
en ma faveur, vous ne fufliez peut-être 
tenté de faire , pour vaquer à la con- 


templation, ce que je n'ai fait que 


pour travailler plus sûrement à mon 
falut. Mais nous ne fommes pas vous 
& moi dans Li mème fituarion. Je l’a 
déja dit , j'avois été élu par les hom- 
mes, & votre élection vient du Ciel ; 
c'eft de la glorieufe Vierge que vous 
avez eu le bonheur de ee Par- 
donnez-moi , mon cher Pere, & ne 
me condamnez point de témérité, fi 
je vous dis ce qui eft vrai. Je ne fuis 

u’un ferviteur inutile, ou’ une brebis 
égarée ; mais la grace qui vous fait re- 


uis vous oublier ,, 


LIVRE 
I. 


S. RAYMOND. 
0 = ir 4 








Vide Bullar. Ord, 
FF. PP. T.L p.522 





Livre 
I. 


S. RAYMOND. 
VARIE 








32 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


nir ferme dans le chemin de la vérité, 
vous rend utile à tout. Obtenez-moi 
par vos pricres le pardon de toutes les 
fautes, que la négligence m'a fait com- 
mettre LT mon Emploi. Mais pour 
vous,montrès-cherFrere,réjoiiflez-vous 
dans le Seigneur , ou du moins ne vous 
afligez pas de vous voir à la rèce de vo- 
tre Ordre ; car ce n'eft n1 par votre pro- 
pre choix , ni à la marque d’une verge 
qui ait fleuri comme celle d’Aaron , 
mais par l'Oracle même de la Mere de 
Dieu que vous yavezété placé. A quel 
autre Pafteur cetre Reine des Vierges 
a-r'elle dit : paiffez mes Agneaux ? Vou- 
driez-vous réfifter à fes volontez ? C’eft 
ce que je ne pee penfer de vous. Je 
vous conjure donc par le faint amour 
que nous devons tous avoir pour cette 
B. Vierge, de ne jamais abandonner le 
troupeau dont elle vous a donné le 
{oin. 

Lorfque Jesus - Carisr choififloit 
l'Eglife pour fon Epoufe route belle, 
fans tache & fans ride, il l’établic fur 
la charité du Prince des Apoôtres, com- 
me fur la pierre ferme. Pierre , m'ai- 
mez-vous? C'eft ce que le Sauveur lui 
demanda par trois Bis: & après trois 
proteftations de fon amour , Pierre fut 
chargé de la conduite de l’Eglife. Nous 
avons vü cet Apôtre plus empreflé à 

rouver fon amour , qu'embarraflé du 
Le dont on le chargeoïit. Lorfque la 
charité eft le ciment qui unit les pierres 
de l'édifice fpirituel , les plus grandes 
tentations ne fçauroient les défunir , ni 
tous les éforts de l'Enfer les féparer. 
D'où vient donc que ce prenuer des 
Pafteurs ne craint point de prendre la 
conduite de tout le Troupeau de JE- 
sus-CHrisr, lui,que la voix d’une fem- 
me a été capable de renverfer? Sans 
doute au’éclairé de la Foi, & animé 
d’une charité fincére , 1l fçavoit que fi 
nous devons tous craindre de notre 
propre foiblelle , nous devons encore 


miffum gregem cuflodias. 
Cam fibi fpecivfifimam deligerer 
Chriflus fponfam , fine macula © 
ruga , decoram nimis, [upra petram 
eam confliruit, © in Petri amore 
folidavit. Petre, amasme ? Et cum 
triplics teffimonio amorem probaf[ér, 
eam fib cuffodiendam tradidit. Pe- 
trum vidimus de «more , non de cu- 
ra anxium : fi entm amore conglu= 
tinantur lapides vivi edificii, ten- 
tatione baud [tinduntur 'inferno to- 
to non triflantur. Quare ergo Paf- 
tor tlle non timet [uper Domini gre- 
£&em vigilare, qui dum oleo amoris 
Fider lampades promitrit accendere, 
infufflante adoleftentula errorisnote 
extinxit ? Nifiquia amore illuffrans 
vordis pervigiles lucernas Fidei ma- 
£!s tlluceftentis amore , fhei aures 
debet praeffare , quam de [ua inna- 
ta infidelitatis inconffantia perhor- 
refcere. Ils fileus foliditatem Fidei 
in ejus ançulari lapide predixit ; 
tibs Mater obfequium Yui amoris 
gratifimum Filio effe monfiravit. 
Reminiftere, Pater charifime , 
illius felicifime noctis cui arrifit 
aterna dies | Cum ego tuts Meritis 
failus [um cœleflium civium confors. 
Cüm eam vidimus cujus pulchritu- 
dine Cœlt faiti funt gloriofi; cujus 
decore fol © luna letantur. Unde 
enim potes triflars , fi fic te letifr 
carunt Angelici Chor: , jucundarunt 
afpeëlus illius , que © V'erbum con- 
cepit @ Trinitatem bonoravit ? 
Deftenditne anquam Virgo , ut per- 
deret ? Jino ut perditos revocaret , 
que difperfos congregat , congregan- 
tes ad fe quomodo aufugere poteft , 
quos cœleffi amplexs inamifibilirer 
ad feneitit? Prebe bumeros, ne 4 
fufcepre officio detrahas manus , ne 
am smprudentem doceas , cujus [a- 
pientia omnia conflant mutabilia & 
traufitoria firma , © flabilia perfe- 
Vraie 


me ne — PEER 0 


::DE L'ORDRE DE $ DOMINIQUE. 


verant. Numquid noy es impruden- 
tés fériberetur, parvi ponderis ho- 
minem ad magni officti onera fuble- 
vafle , eveilum a fe, quem ftrebat 
defetturum. | 

Si bumilitatis fpecie a Virgins 
officio volueris te abdicare , motum 


cœli fequere, reverenter priflinam 


vocationem intuere : non enim eff 
fenilus motus anins , viam Domint 
non pertranfiens, cujus femitam cœ- 
li indixerunt. Perfice igitur viam 
tuam ; imo melins dicam Domini : 
quia qua te ad tantam dignitatem 
dignata eff fublevare , inde te a cœ- 
lefli gloris non dejiciet ; [ed perdu- 
cet, ubi cum Trinitate glortatur in 
facula fxculorum. Amen. Salut f- 
dios tuos, © fratres meos nomina- 
tim. Barcinone. 


33 


plus efpérer du fecours divin. Le Fils 
de Dieu promit à fon Apôtre que fa 
foi , fondée fur la pierre angulaire , 
ne feroit point ébranlée ; & la Mere 
du Sauveur a bien voulu vous aflurer 


que le Miniftére de votre charité étoit 


très-agrcable à fon Fils. 
Rapellezvous, mon très-cher Pere, 
le fouvenir fi confolant de cette heu- 
reufe nuit,qu'un rayon de l’Eternité pa- 
rut éclairer. Lorfque vos mérites me 
firent moi-même participer au bonheur 
des Citoyens du Ciel. Je veux dire, 
lorfque nous fümes honorcs l'un & 
l'autre de l’aparition de celle, dont la 
divine beauté éface tour ce que le fo- 
leil & la lune ont de brillant ou de 
beau. Comment pourriez-vous céder à 
la trifteffe , après avoir été ainfi confolé 
par les chœurs des Anges, & par les 
favorables regards d’une Vierge qui a 


conçu le Verbe & honoré la Trinité? Eft-ce pour la perte de quelqu'un, 
mais n'eft-ce le plutôt pour le falut de ceux qui périfloient, que la Mere 
de miféricorde a daigné fe montrer à fes ferviteurs ? Eh , comment pour- 


LIVRE 
I. 


S.RAYMOND. 
Me 7 1. 4 








roir-elle permétre que les Fidéles qui lui font fi fortement atachés par les | 
faints liens de la Charité ;: manquaffent du fecours qu’elle procure à ceux- 


mèmes qui s’étoient éloignés de fon fervice? Pliez donc vos épaules fous 
le fardeau, de peur qu’en voulant vous en décharger , vous ne paroifliez 
acufer d’imprudence celle dont le Fils eft la fagefle même , qui rend 
ferme & toujours ftable ce qu'il y a de plus foible ou de plus changeant. 
Ne feroit-ce pas fe défier de la fageile & de la bonté de Dieu, que de 
s’'imaginer qu'il eùt voulu confier un Emploi fi important à un homme 
foible , en le laiffant à fa propre foibleffe : 
Si c’eft un fentiment d'humiliré » Qui vous porte à vouloir quiter le rang 
ue vous.tenez , fouvenez-vous au moins de quelle maniere vous y avez 
Cré apellé : & foyez perfuadé que ce qui éft contraire à la vocation divine, 
ne peut ee venir de Dieu. Quand le Ciel a une fois montré la voye; 
il n'eft plus permis de s’en écarter. Fourniffez donc votre cariere j ou plu- 
tôt achevez conftanment l’œuvre du Seigneur; & ne doutez pas que la 
main qui vôus a élevé, ne fe ferve de certe même élevation pour vous 
faire ariver à la gloire, qui vous eft préparée dans le fiécle des fiécles. Ainfi 
{oit-il. Saluez tous vos enfans, qui font auffi mes freres, À Barcelone. * 


1238 , il ne pouvoit quatre ans auparavant 
parler des motifs, qui l'avoient porté à ab- 
diquer cette Charge. Mais la méprife d'E- 
ticnne de Corbera cft fans conféquence. L'a- 


nachronifme n'eft-que dans la pr le dé- 


. .# L'original de certe Lettre eft {ans date : 
& un Efpagnol moderne qui s'eft avifé d'en 
dater une copie de l'an 1134, s'eft vifible- 
ment trompé. S. Raymond de Pesrafort 
n'ayant été fait Général de fon Ordre qu'en 


Tome LI. 


Vide Builar, Ord 
T. 1. p. 525. 


34 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Livre S. Pierre Nolafque fe rendit en partie aux confeils , ou aux 
L. preffantes follicitations de fon ami. Ÿ A. réfolu qu'il fût 
S.Rarmon». de fuivre fon éxemple , il refpelta fes avis; mais fans qui- 
=” ter abfolument la place qu'il ocupoit , il ft élire un Vicaire 
Bailler, 31 de Jan. Général de l'Ordre , pour le foulager dans fes vifites , & par- 
vicr. taver avec lui les autres fonétions de l'Ordre. | 
LIV. Tandis que ce faint Fondateur , toujours animé d’une cha- 
S. Raymond tra- rite infatigable , continuoit de procurer la liberté à une mul- 
vaille à laconver- . r - 
fon des Infidéles. titude de Chrétiens captifs chez les Maures, Raymond de Pe- 
gnafort ne travailloit Fe avec moins de zéle à Rise connoître 
à ces mêmes Infidéles fe nom de Jefus-Chrift, & les véritez de 
fon Evangile. Ses miflions étoient continuelles dans diféren- 
tes Provinces d'Efpasne, où les Sarafins fe trouvoient encore 
en grand nombre ; & il perfuada à fes Freres de faire la même 
chofe fur les Côtes d'Afrique. Mais pour donner de nouvelles 
armes aux Prédicateurs de la Foi , & rendre ainfi leurs Pré- 
LV. dications plus éficaces , il employa deux moyens , qui fervi- 
IlencageS. Tho- rent beaucoup au progrès de l'Evangile. Il pria Saint Thomas 
mas d'Aquin 4 d'Aquin , dont la réputation étoit déja grande dans l'Eglife , 
Gentils, & fair é- de faire un Ouvrage, où on trouvät une expofition claire & 
blir l'éude des méthodique de toutes les véritez de la Religion Chrétienne , 
Langues Orienta- , / 
kes dans quelques aVeC leurs preuves , & la réponfe aux argumens des Infidéles. 
Maifons de fon Le faint Doëteur prit aufli-tôt la plume ; & écrivit fes quatre 
Piste Livres de la Foi rholi ue, ou la Somme contre les Gentils. 
Raymond de Pe rm reçut le premier cet Ouvrage com- 
me un préfent du Éel. Mais il étoit perfuadé, que pour enre- 
tirer tous les avantages qu'on fe LUE 3 ; il étoit nécef- 
faire que ceux qui anonçoient l “vangile aux Juifs & aux 
Maures , fuflent eux-m êmes en état d'entendre > & de parler 
leur langue, de lire, & d'éxaminer les Ecrits de leurs Doc- 
teurs. Les Rabins furtout , pleins de mépris pour le refte du 
- Genre-Humain, ne peuvent guères fe ni à écouter les 


Etrangers, ni à lire leurs Ouvrages ; & 1l eft toujours dificile. 


de les convaincre , fi on ne poñède affez parfaitement la lan- 

ue Sainte, pour difputer avec ceux qui font acoutumés à 
f, parler , ou À aa repondre fur le champ aux dificultez , qu'ils 
tirent de la fiunification naturelle, ou arbitraire , de certains 
faut de date dans l'original, n'eftpas un juf= | leurs Letres.. Nous en trouvons bien des 
re fujec de douter de la vériré de la riéce. Les | Exemples dans le Tréïor des Anccdotes de 
Savans n'ignorent pas que dans le treizié- | Don Miartenc, & das le Recucil des Pié- 
me fiécle , les Particuliers n'étoient guéres | ces, que nous a donné le céicbre Monteur 
en ulage de marquer le jour & l'année de | Baluze. 





DE L'ORDRE DE S: DOMINIQUE. 3; 


termes. Il falloit donc mettre d’abord les Miniftres de l'Evan- LIVRE 


gile en état de ne point craindre les fubtilitez de leurs adver- 
{aires , & de profiter même de ce qui fe trouve dans leurs Au- 
teurs de favorable à la vérité de la Religion. Dans ce deffein, 
S. Raymond fe fervit de la confiance, dont l’honoroient les 
Rois d'Aragon ; & de Caftille, pour engager ces Souverains 
à fonder deux Colléges en faveur des Religieux de Saint Do- 
pp , l'un à Tunis, & l’autre à Murcie. Les Infidéles mê- 
mes favoriférent fes défirs : car, dit un ancien Auteur, la ré- 
putation de fa fainteté étoit fi grande, que les Princes Mau- 
res, & le Roi de Tunis en particulier , recherchoient fon 
amitié (1). Raymond de fon côté répondoit à leurs civilitez ;, 
& 1l profitoit de tout pour la propagation de la Foi. Il choifit 
les À habiles Maîtres dans les langues Orientales ; & les 
Religieux , qu'il deftina lui-même à cette étude , s’y apliqué- 
rent avec beaucoup d’ardeur , & de fuccès. | 
Avec ce nouveau fecours , ils firent d’abord des fruits très- 
confidérables par leurs prédications , & par leurs conféren- 
ces. Comme fi le progrez de la Religion eût été en quelque 
maniere atache à la connoiffance des langues , on voyoit 
avec plaifir qu’à proportion que nos Prédicateurs étoient plus 


inftruits dans celles-ci , ils faifoient goûter & embraffer toutes 


les véritez , que celles-là nous enfeigne. C'eft ce qui a fait di- 
re depuis ME Clément VIIT, qu’en établiffant l'étude de 
l'Arabe , & de l'Hébreu dans les Maifons de fon Ordre, Saint 
Raymond avoit également contribué à la gloire de l’Ef- 
pagne , & à celle de J'Eplife , par la converfion (2) d’une 

rande multitude de Gentils. Dès l’année 1256, le Serviteur 
de Dieu, écrivant au Pere Humbert, cinquième Général de 
fon Ordre , ne craignoit pas d’aflürer qu'il y avoit déja plus 
de dix mille Sarafins | qui avoient demandé la grace du Ba- 


I. 





SRAYMOND 
À | 


ê&c 





LT. 
Fruits de ce fage 
utile Etablifles 


ment. 


7 


tème , parmi lefquels on en connoifloit plufieurs fort diftin- 


gués par leur fçavoir. 


(1) Ipfe, S. ras , quibufdam ‘ut ei facilius effet, Seminarium , in quo non- 


. Maurorum principibus, ipfique Tunetano 
Regi notus, crat , quà ratione 
Janua amplior aperiebaçur Evangelio. À4p. 
Boll. p. 412. nor. m. h 
- (2) In procuranda Hcbræorum , & Sara- 
cenorum falute, magno charitatis ardore 
femper incenfus fuit ; omnemque operam 
dedit ad eos fidei chriftianx documentis ex- 


aulli fui Ordinis Religiofi Hcbraico, & Ara- 
bico fermone erudirentur , Caftellæ & Ara- 
gouiz Regum impenlsinftituit. Quod opus 


toti Hifpaniæ ornamento, atque Infideii- 


bus adjumento fuifle, ex eo fatis conttat, 
quôd illius ope atque auxilio inyenscorum 
multitudo chriftianam Relisionem amplexa 
fit, &c. Clem. VIII. ap. Boll. T. 1, p. 412. 


colçndos, ac pro viribus adjyvandos. Quod ! 7. 27, 


E 1 


Ibid. not. æ, 


Malven. in And. p.. 
2, 


LIVRE 
L. 


S.RAyMoxpo. 
Lo ns 
LVIL 
Le Concile géné- 
ral de Vienne en 
rcconnoit l'utilité. 


LVNI. 
Arsations de S. 
Raymond en fa- 
ver dCS NOUYCAUX 


Chéricns. 


: LIX. 

. Ji confcille au 
Roi d'Aragon de 
chafler de fes Etats, 
les Juifs & les Mau- 
res obibinés. 


les alimens à ceux qui étoient dans lindigence. (2). 


36 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Nous aurons ocafion de faire connoître plufieurs illuftres 
Difciples de notre Saint, qui, devenus habiles dans l’érudition 
Rabinique , firent glorieufement triompher la Foi, & triom- 
phérent eux-mêsnes de l’orgueil des plus fameux Rabins.Il fufit 
de remarquer ici avec le fcavant François Penna , que ce futà 
limitation & fur le modéle des Etabliflemens dont nous ve- 
nons de parler, quele Concile Général de Vienne dansle fiécle 
fuivant,ordonna que dans le Collége Romain & dans les Uni- 
verfitez de Paris, d'Oxfort & de Salamanque , il y auroit 
déformais des Profeffeurs publics, chargés d'enfeigner les lan- 

es Orientales , pour faciliter la Converfion des Infi- 

éles (1). 

Celle des Maures & des Juifs, qui, après avoir été régéné- 
rés en JESUS-CHRIST , conformoient leurs mœurs à la pu- 
reté de fon Evangile, étoit un grand fujet de confolation pour 
l'Eglife , & la matiére d’un nouveau mérite pour Raymond 
de Pegnafort. Comme fi tous ces nouveaux Chrétiens euf- 
fent été fes enfans, il avoit pour eux Pamour & les atentions 
d’un pere. Non content de les inftruire avec bonté de tout ce 
qu'ils devoient crotre , & pratiquer pour arriver au falut , il 
entroit dans la connoiflance de tous leurs befoins , même cor- 

orels ; & 1l employoit volontiers fon crédit pour procurer 
| ne cha- 
rité fi bien placée, fervoit à afermir ces Néophites dans les bons 
fentimens , que la Grace leur avoit déja infpirés , & augmen- 
toit tous les jours le nombre des converfions. 

On en voyoit cependant qui réfiftoient toujours opiniâtré- 
ment à la prédication de la Foi. Et parmi ceux qui avoient 
paru l’embrafler, on pouvoit comter bien des hypocrites , 
Chrétiens à l'extérieur , & toujours Juifs ou Mahométans 
dans le cœur. Leur inconftance naturelle & leur efprit re- 
muant, toujours porté à la trahifon ou à la révolte, faifoient 
tout craindre pour le repos de l'Eglife & la füreté de l'Etat. 
Don Jäques], crut qu'il ne falloit rien négliger pour prévenir 


(1) Ex hoc Raymundi inftituto non mul- 
tis poft annis profluifle puramus Decrerum 
Concilii Viennenfis, quo fancitum fuit, ut 


in ftudiis , feu Univerftatibus Romanæ Cu- 


riæ, & Parifienfi in Gallia, & in Oxonienfi 
in Anglia, & in Salmantina in Hifpania 
conftituerentur Profeffores linguarum He- 
braicæ, Arabicx & Caldeæ periti, qui lin- 
guas cafdem docerent ad Infideles conver- 


‘ rendos. Penxa in not. #4 C, 29. Lib. I. Vita 
S. Ray. p. 68. Vide Bullar. T. V. p. 592. 
(2) Ncophytos non minori charitate, 
doctrinæ Chriltianx præccptionibus imbue- 
bat B. Raymundus, atque tam afliduus erat 
in illis inftituendis , ut eorum parens efle 
vidcretur ; & ne alimenta cis ad viétum ne- 
cellaria decilent , undique cleemofynas cor< 


rogabat, Cle. VIIL, in Bud, Can. n, 27, 


0, EE ee ne RE eng 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE 7 


teurs mauvaifes intentions : de l'avis de Saint Raymond & de 
fes plus fages Confeillers , il fit publier un Edit, . ordon- 
ner aux Juifs & aux Sarafins répandus dans les Terres de fa 
Domination, ou d’abandoner fincérement leurs erreurs & de 
ne faire plus rofeffion de l’Alcoran n1 du Talmud, ou de for- 
tir de l’étenduë de fes Royäumes, dans un certain tems qui 
leur fut prefcrit. 
Le grand nombre prit le fecond parti. Ils abandonnérent les 
anciens Etabliflemens qu’ils avoient dans les Ifles de Major- 
e & de Minorque , ou dans les Royaumes de Valence 
& d'Aragon , pour fe réfugier , les uns en Afrique , & les 
autres dans le Royaume de Grenade. Leur retraite fit mur- 
murer les Politiques : ils prétendoient qu’on avoit afoibli l'E- 
tat, en le privant de ce grand nombre de Sujets , dont plu- 
fieurs étoient riches & induftrieux. Mais ni leurs: raifons ni 
leurs plaintes , ne firent aucune impreflion fur l'efprit d’un 
Prince habile dans l’art de régner. Jiques É parut toujours fi 
perfuadé de la néceffité de fon Edit, qu’une des chole qu'il 
recommanda à Pierre IT, fon fils & fon fucceffeur, fut de ne 
comter jamais fur la fidélité des Juifs ou des Saurafins, Na- 
tion toujours perfide, incapable de refpeéter les Loix des 
Princes Chrétiens, & de fe foumettre fincérement à leur auto- 
rité. Les Rois Catholiques éprouvérent dans la fuite combien 
ce confeil étoit fage : & l'expérience les obligea de s’y con- 
former après la conquête du Royaume de Grenade. oh 
dant lexpulfion de cette multitude d’Infidéles n’avoit pû en- 
tiérement rétablir les afaires de la Religion dans les Royau- 
mes d’'Efpagne. Les hérétiques Albigeois , chaflés du Langue- 
doc vers le commencement du fiécle, avoient pénétré me 
quelques-unes de ces Provinces. Et après y avoir jété les fe- 
mences de leurs erreurs , 1ls s'éforçoient de les acréditer & 
de les répandre. Les artifices pleins d'impiété, dont fe fer- 
voient les Seétaires , pour en impofer à la fimplicité des Peu- 
ples & mettre la confufion dans l'Eghife , paroiffent à peine 
croyables, Îls montrent du moins la néceflité des moyens que 
Saint Raymorid fut obligé de prendre, pour arrêter ces crimi- 
nelles pratiques & en prévenir les fuites. Ce que raconte Ma- 
fiana après Luc , Evêque de Tuy , mérite d'être raporté en 
ce lieu. : : 
- Après la mort de Don Rodrigue , Evêque de Leon, le 
Clergé n'ayant pü s’acorder fur le choix de celui qui devoit 
E 1 


LIVRE 
I. 


S.RAYMOND. 
à À 








Mariaira , hift. d'Efp:; | 
Liv, xvI, pag. 150. 


LX. 
Hérétiques refu- 
giés en Efpagne, 


LIVRE 
E. 


qe ess 
S'RAYMOND. 


D 


LXI. 
Leurs artifices 
pour féduire les Fi- 
déles. 


Mariana, hift.d'Efp. 
Liv. XII. p.680. 


ibid 


38 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


lui fuccéder ; cette Eglife demeura long-tems fans Pafteur. 
Les Hérétiques toujours ennemis de la vérité & de la paix, 
profitérent de l’ocafion pour fe gliffer dans le pais,& se 
rer le Troupeau de JEsUs-CHRIST. Ils ne manquérent ni de 

rétexte , ni d'adrefle , ni d'intrigue. Par le moyen de leurs 

miffaires {ecrets,ils publiérent d'abord qu'il fe faifoit tous les 
jours un grand nombre de miracles dans un certain lieu très- 
infeû , où on avoit enterré depuis eu deux fameux Scelé- 
rats. L’un étoit mort dans l’hérefie, & l'autre, convaincu de 
parricide , avoit été condamné par la Juftice à être enterré 
tout vif. Affez près de cet endroit, couloit une fontaine, dont 
les Hérétiques trouvèrent le fecret de roupir les eaux, pour 
perfuader au Peuple crédule,que ces eaux étoient miraculeu- 
fement changées en fang. Bien-tôt le bruit du prétendu mira- 
cle fe répandit de toutes parts. Les moins précautionés en 
voulurent être les premiers témoins , & ils fe laifférent fur- 

rendre. Ceux , que les impofteurs avoient corrompus par 
[ argent , feignirent d’être aveugles , fourds , muëts, boiteux, 
poflédés du Le , Ou ataqués de plufieurs autres maladies 
dangereufes. Ils fe traînoient eux-mêmes , ou ils fe faifoient 
porter en ce lieu apellé Saint. Et dès qu'ils avoient bù de cette 
eau , ils publioient qu'ils avoient éte guéris; & crioient au 
miracle. Les autres, trompés par ces fourbes, contribuoient 
fans le favoir à entretenir l’impoñture. 

Tels furent , continue l’Hiftorien Efpagnol , les commen- 
cemens ou les premiers artifices qu'employérent ces hommes 
facriléges , pour infpirer au Peuple leurs erreurs &c faire re- 
cevoir leurs blafphêmes : car alors déterrant le cadavre de 
l’'Hérétique, ils l'expoférent à la vénération des Fidéles , com- 
me le corps d’un faint ge Plufieurs Ecléfiaftiques , pe 
ignorance & fous prétexte de piété , favorifoient la ac e- 
rie des uns , & la be crédulité des autres. Enfin la foule du 
Peuple qui acouroit en ce lieu, devint fi grande , & la profu- 
fion des aumônes fiabondante , qu'on y bâtit une efpéce d’E- 

life , ou plutôt de Forterefle , pour y mettre en füreté les os 
es Scelérat , qu'on montroit comme de précieufes reliques 
honorées de plufieurs miracles. Lorfque les Seétaires virent le 
{uccès de leur fourberie , ils déclarérent toute la rufe. Mais 
ils n’en parloient encore qu'à leurs plus dévotés Partifans. 
De-là, les uns êc les autres prenoient ocafion de fe moquer du 
çulte que l'Eglife rend aux Saints, & de regarder comme aus 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 39 


tant d'impoftures tous les miracles opérés par la vertu de leurs 
reliques. Ils ne trouvoient que trop de gens grofhers : ajoü- 
toient plus de foi à leurs difcours, _ l'autorité de l'Eglife. 
Après avoir été trop crédules, ils devenoient Apoñtats. 
Selon l'Evêque de Tuy , les FF. Prêcheurs , ayant enfin de- 
couvert le facriléce artifice de ces Hérériques , entreprirent 
de défabufer le Peuple, & par leurs à , & dans 
leurs entretiens. Les FF. Mineurs fe joignirent à eux, aufli- 
bien que plufieurs pieux & favans Ecléfiaftiques , qui ne s’é- 
toient point laiflé A : & 1ls travaillérent tous de con- 
cert à inftruire les fimples qu'on avoit féduits. Mais envain 
voulurent-ils les FER ce culte diabolique , & leur en 
montrer l'illufion. Les efprits trop prévenus étoient fi entêtés 
de leur prétendu Saint & de fes faux miracles, qu'ilsne vou- 
loient rien écouter ; leur aveuglement alloit + ci auntel 
excez, qu'ils traitoient d’'Hérétiques les Religieux de S. Do- 
minique & de Saint François, & tous ceux qui travailloient 
à leur converfion. Les Evêques zélés pour la pureté de la foi, 
voyant que le mal gagnoit toujours, pets des Sentences 
d'excommunication contre ceux qui iroient dans ce lieu de 
profanation. Mais leur zéle,leurs menaces, & leurs cenfures, 
étoient également inutiles : on fe faifoit un honneur de les 
méprifer. Et on eût dit que le Démon s’étoit rendu maître de 
l'efh rit du Peuple, ou qu'il avoit enchanté ces enfans rébéles 
à l'Eglife.  uN 
Par ce récit du célébre Luc de Tuy , on peut voir, ajoûte 
Mariana, que l’héréfie s’étoit gliflée bien avant dans l’Éfpa- 
ne , & y avoit jété de profondes racines. En éfet, fi le 
Ro aume de Leon:en étoit déja f1 infeé ; celui d'Aragon, & 
la RÉ de Catalogne en particulier , avoient été fans 
doute les premiers expofés au venin des Albigeois, qui s'é- 
toient fouvent montrés dans tous ces pays , à la fuite du 
Comte de Touloufe, Raymond VI, ami & Allié de Don Pier- 
re d'Aragon. . , —. 
Mais l'Héréfie n'étoit pas le feul fleau dont l'Eglife d'Efpa- 
gne fut alors afligée. Parmi une foule de Juifs & de Sarafins, 
ui , après l'Edit du Roi , avoient publiquement abjuré le Ju- 
daïfne ou les impiètez de Mahomet , on en connoifloit plu- 
fleurs qui n'avoient fait cette démarche , que pour conferver 
leurs établiffemens , & 1ls n’étoient rien moins que convertis. 
Non-feulement ils continuoient à pratiquer en fecret toutes 


LIVRE 
I. 


S.RAYMOND. 
À 





Ibid, P. 681. 


Ibid, p. 684 


LXTI. 
Faufle converfion 
de quelques Infidk - 


les. 


40 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE leurs anciennes fuperftitions ; mais leur commerce avec les 
L. Chrétiens devenoit fouvent contagieux , & en pervertifloit 
S.RayMon». plufieurs. ; 
=” els furent les motifs qui portérent Raymond de Pegna- 
fort à propofer au Roi d'Aragon l’établiflement de l’Inquifi- 
LXTIT. tion dans fes Etats (1). Le Prince y confentit ; & les Prélats 
Etabliffement de d R bi _| 2 d , À l ! 4: d’ T 1b a 
l'Inquifition dans du Royaume, bien-loin de s’opofer à l'éreétion d’un Tribu 
le Royaume d'Ara- nal , qui fembloit diminuer leur autorité en partageant leurs 
89% fonétions , crurent avoir befoin de ce fecours, pour confer- 
ver ou rétablir la pureté de la foi parmi leurs Peuples. Saint 
+ Raymond obtint d la Cour de Rome toutes les Provifions 
néceflaires. Il aida en même tems de fes confeils Pierre d’Al- 
balate, Archevêque de Taragone , & les Evêques fes Sufra- 
gans, pour drefler de concert les Réglemens que les Minif- 
| tres de la Foi feroient obligés de fuivre dans l’éxercice de leur 
ivius T. Il, Con- Charge. C'eft ce que nous aprenons des Aëtes mêmes du 
| Concile de Taragone, où S. Raymond avoit été apellé. 


Les Evêques d'Efpagne, en le confultant dans toutes les” 


afaires de la Religion, comme faifoient les Princes dans celles 

LXIV. ui intérefloient l'Etat , imitoient la conduite de cinq ou fix 
re a ane Ponufes, qui parurent fe furpafñler les uns les au- 
Raymond , par les tres dans l'eftime dont ils honoroient ce grand homme , & 
Parcs Greg. IX, par leur confiance en fes lumieres. Ils lui commettoient fou- 
a vent bien des chofes , qui apartenoient proprement au Saint 
IV, Greg, X, Siège, comme d'éxaminer les Evèques & les Abbez élus ; de 
. confirmer ou de cafler leur Ele&ion, felon qu'il la jugeoit 
conforme ou contraire aux Canons ; d’afligner une portion 

des fruits du Bénéfice à ceux dont 1l recevoit la ceflion , lorf- 

que l’âge, les infirmitez, ou d’autres juftes motifs les por- 

toient à abdiquer leurs dignitez ; d’excommunier ou d’abfou- 

dre des cenfures ; de donner des difpenfes dans des cas , où 

il auroit fallu recourir au Siège Apoftolique ; de pourvoir 

aux Ofices de l’Inquifition , & quelquefois aux Siéges vacans, 

quand après la mort de de ca les Chanoines ne pouvoient 

s’acorder fur le choix d’un Pañfteur ; de terminer enfin les 

diférends qui avoient obligé Les Parties d’apeller du Jugement 

de l'Ordinaire ou Juge Ecléfaftique, à celui du Pape. Ceft 

(1) Jacobo Regi Aragoniæ ejus nominis [que alias procul à finibus ejus regni arcen- 

rimo inprimis fuafit , ut facrum Inquifitio- | das : atque hanc ob caufam Concilio Pro- 

nis Officium fuis in regnis inftitucret, ad | vinciali Tarracone adver{us eofdem fe<ta- 


hærefim videlicet , quæ tunc ex nefaria Val- [rios habito juffu ipfns Regis Jacobi inter. 
denfum feéta recenter exorta.erat, omnef- | fuir. Clem. VII. n. 23. 


dans 


PP PP mme “Pr OR RU PEROU PEER OS RER EE A 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. «1 


dans les Lettres Apoftoliques de Gregoire IX , & de fes Suc- 
cefleurs, depuis l'an 1236 jufqu’en 1274, que nous trouvons 
la preuve de tout ce qu'on vient d'avancer (1). 

Mais contre notreintention , nous donnerions trop d’éten- 
duë à cette Hiftoire , fi nous entrions dans le détail de tant de 
diférentes commifhons , dont la Cour de Rome chargea fuc- 
ceffivement le ferviteur de Dieu dans le cours de fa longue 
vie. Pour la même raifon,nous n'avons parlé que d’une partie 
des fervices qu’il eut ocafion de rendre, ou à fa Patrie, ou à 
fon Prince. no ne régloit pas toujours fa conduite par- 
ticuliére fur les maximes Là faint Confeffeur ; mais il ne cef- 
fa jamais de l’honorer comme fon pere , & de l'écouter com- 
me le plus fage de fes Confeillers. Il lemployoit avec con- 


fiance dans les négociations les plus dificiles , & dont il défi-. 


roit ardenment le fuccès. Mariana en raporte un éxemple, 
que nous choififfons parmi plufieurs autres. 

Après la mort de‘l'Empereur Frederic II, Mainfroy s'étant 
ni maître du Royaume de Sicile , non-feulement fans la- 
veu du Pape , mais contre la défenfe exprefle du Saint Siège, 
dont ce Royaume relevoit ; il crut que pour fe maintenir 
dans la poffeffion de fes conquêtes , il ne pouvoit fe procurer 
un plus puiffant puy , qu’en s’alliant au Ho d'Aragon , fire- 
commandable par fa valeur, & fi célébre par fes viétoires. 
Dans cette vüé, il propofa de faire époufer la Princefle Conf- 
tance, fa fille unique, à Don Pedre , héritier préfomptff de 
Jâques I. Le Roi écouta volontiers cette propofition, dans 
avr de mettre une nouvelle Couronne fur la tête de 
fon fils. Mais pour ne point irriter le Pape , ouvertement dé- 
claré contre les enfins de Frédéric, & en particulier contre 

Mainfroy , il voulut effayer d’acommoder ce Prince avec le 
_ Souverain Pontife. L’entreprife étoit dificile. Et le Roi d’Ara- 
gon ne laiffa pas de fe flater du fuccès , fi la négociation étoit 
confiée à Raymond de Pegnafort, que Mariana apelle avec 
raifon , un de plus favans , des plus faints & des plus ha- 
biles hommes de fon fiécle. Ce grand Perfonnage ne défef- 

éra pas lui-même deréuflir. Et l’efpérance d’une paix depuis 
pe -tems défirée , ou l’obéiffance qu'il faifoit profeflion de 
sr be à fn Souverain , ne lui permirent point de fe refufer 
à ce que l’on éxigeoit de lui. 

(1) Vide Bullarium Ordinis FF. Præd. T, 1, p. 83,91, 92, 170, 180,184,204,22$, 
239, 281,5$22. | 


Tome J. F 


LIVRE 


S. RAYMons». 
N =: sd 





Hift. d'Efpag. Liv. 
x, p.82. : 


Ibid. 


LXV. 

Le Roi d'Aragon 
le charge d'une 
Ambañlide auprés 
du S. Siéve. . 





#2 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE Déja plus qu'oftogénaire, en 1261, Raymond entrepris 
I. le voyage de pi , & fe rendit auprès du Pape Alexandre 
S. Raymon». IV. fl employa les raifons les plus preflantes, & fe fcrvit de 
um” toute fon adrefle , ou de toute l'autorité que lui donnoient fa 
= haute réputation & fon éminente fainteté , pour engager le 
Pontife à pardonner à Mainfroy , & à terminer à l'amiable 
leurs diférends touchant le Royaume des deux Siciles. Si les 
obftacles fe trouvérent fupérieurs à toute l’induftrie humai- 
ne, la Cour de Rome, & A Te d'Arabon ne parurent pas moins 
fatisfaites de la maniere , dont le fage Négcociateur s’étoit con- 
duit , pour demander ce que l’une défiroit avec ardeur , fans 
ofenfer la délicateffe de l’autre , qui fur ce point étoit extrè- 
me. Mainfroy fut traité par le Pape, FO nee , de ré- 
béle & d'impie. Il eft vrai que Sa Sainteté n’avoit que trop de 
juftes fujets de fe plaindre pa excès de ce Prince. Saint Ray- 
mond ne prétendoit point les excufer. Mais il vouloit obte- 
nir fa réconciliation ; elle fut toujours conftanment refufée. 
Cependant la Princefle Conftance époufa l’Infant d'Aragon , 
qui ne manqua pas dans la fuite de faire valoir fes droits con- 

tre la Maifon d'Anjou. | 
De retour en Efpagne , le Difcipie de JESUS - CHRIST com 
toit bien de couler le refte de fes jours dans l’oraifon & le fi- 
lence. Son grand âge l'invitoit au repos ; & par fes longs tra- 
LXVI. vaux, il avoit mérité d’en goûter enfin les douceurs. MaisleRoi 
Le Saint acom- le pma de vouloir l’acompagner encore dans l'Ifle de Major- 
re que:le Saint obéit. Celui à avoit des raifons de politique pour 
"entreprendre ce voyage ; & des motifs de religion engagérent 
celui-ci à fe mettre de nouveau à la fuite de la Cour. Depuis 
la défaite des Maures, ou du moins depuis le fameux Edit, 
dont nousavons parlé , les Majorquins faifoient tous profef- 
fion du Chriftianifme. Mais la plüpart en connoifloient peu 
l'efprit, & en obfervoient mal les Loix. On n'avoit pas entié- 
rement bani de cette Ifle les fuperftitions groffiéres & les vices 
fcandaleux , que les Infidéles y avoient fait long-tems régner. 
Le défir de contribuer à l’inftruétion & à la converfion de ces 
peup'es , fut peut-être le feul motif qui obligea Saint Ray- 
mond à faire ce dernier voyage ; mais l'événement fit connoi- 
tre que c'étoit pour le falut mème du Roi, que la Providence 

lavoit ordonné. 

Ce Prince , que les Hiftoriens Efpagnols ne craignent point 
de comparer aux plus fameux Héros de l'antiquité , avoit en 








DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 4 


éfet toutes les qualitez d’un grand Monarque. Chéri des peu- 
ples , dont il faifoit la félicité , il aimoit la Religion, proté- 

eoit l’'Eglife , avançoit les perfonnes de mérite , faifoit ob- 
Es les Loix , & entendoit parfaitement la guerre. On pré- 
tend qu'il avoit livré trente batailles aux Maures, & remporté 
autant de viétoires. Sa longue expérience , fa profonde poli- 
tique , fon intrépidité dans les plus grands dangers, & fa fagef- 
{e dans les Confeils , le faifoient confidérer comme un Prince 
des plus acomplis. Et felon l’expreffion de Mariana , Jâques I 
auroit éfacé tous fes Prédécefleurs, s'il eût eu moins de foi- 
bleffe ou de paffion pour le Sexe. Paflion honteufe , quiternit 
beaucoup l'éclat de fa gloire & de fes grandes qualitez. C'eft 
auffi à ce penchant que notre Saint s’étoit toujours opofé , 
avec tout le zéle d'un homme, qui défiroit ardenment le falut 
du Prince,& qui raportoit à cela tous fes foins ; parce qu’à cela 
près , il ne défiroit & n’atendoit rien de lui. Comme:il n’avoit 
accepté qu’en tremblant un emploi,dontilconnoifloit le poids 
& les obligations , il ne craignoit pas de repréfenter à fon Pé- 
nitent , que plus la Providence l’avoit élevé au-deflus de tant 
de peuples ” lui obéifloient , plus il étoit obligé de leur don- 
ner l'éxemple de la plus parfaite foumiffon à la Loi de Dieu, 
& de fe fouvenir de ce qu’a dit un Apôtre ; que c’eft fe rendre 
coupable du violement de toute la Loi , que de la violer enun 
point. Don Jâques I écoutoit toujours , finon avec plaifir , du 
moins avec refpeét , les avertiflemens de cet Ami de Dieu. Il 
étoit convaincu de la pureté de fes intentions , & il ne pou- 
voit s'empêcher de l’eftimer , lors même qu'il ne recevoit de 
lui que des correftions. Acoutumé à prometre toujours , 1l 
veilloit fur lui-même jufqu'à un certain point & pendant un 


LIVRE 
I. 


S. RAYMOND. 
Dre 





LXVII. 
Grandes qualitez 
de Don Jäques I. 


Hilt. d'Efpag. Live 
XIV. P. 149. 


LX VIII. 
Obfcurcies par 
fon incontinence. 


LXIX. 
S. Raymond tra- 
vaille à le retirer de 
ce vice. 


tems. Mais ge à moins heureux à fe vaincre lui-même, 


qu'à triompher de fes ennemis , la préfence d’un objet, qui 
l'avoitune fois bleffé , faifoit tout-à-coup difparoître fes meil- 
leures réfolutions. | 
. Arrivé dans le Royaume de Majorque, Saint Raymond 
trouva à la fuite de la Cour une perfonne de trop. Il réitéra 
d’abord fes inftances auprès du Prince, pour le porter à fai- 
re ceffer le fcandale : & le Roi de fon-côté renouvela les mè- 
mes promefles qu’il avoit fouvent faites. Mais ce n’étoit ja- 
mais que des promeffes. Le fage Confefleur , voyant qu'il ne 

ouvoit faire renvoyer une perfonne , dont la conduite fai- 
tort à l'honneur & à la confcience du Souverain , fe crut 


F ïi 


LXX. 

Il veut fe retirer 
lui - même de la 
Cour , & Dieu fa- 
vorife fon deffcin 
par unc fuite de mi- 
racles. 


LIVRE 





S. RAYMOND. 
À à 





AP. Bolland, ÿ I. 
Pe4ts. 


Ibid. p.412. 


ss HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


obligé de demander la permiffion de fe'retirer lui-même , & 
de la prendre cette.permiffon , fur lerefus qu’on lui en fit. La 
dificuité étoit de trouver un vaifleau, la Cour ayant défen- 
du à tous les mariniers de tranfporter Raymond de Pegnafort 
hors de l'Tle, fous peine d'être punis de mort. Ce nouvel obfta- 
cle, qui ne püt le rendre plus complaifant à l'égard du Prin- 
ce , fervit à augmenter encore fa confiance en Dieu. Le Pape 
Clement VIIL,fur le témoignage de plufeurs anciens Auteurs, 
affure que Dieu récompenfa en éfet la foi & la fermeté de fon 
Miniftre , par un miracle éclatant qu'il fit en fa faveur , 
comme il en avoit déja fait plufieurs par fon miniftère en fa- 
veur des autres. Nous ne ferons que traduire ici cet endroit 
de la Bulle. | | 

Le Bienheureux Raymond, dit le Pape, après avoir inu- 
tilement employé les priéres , les exhortations , & tout ce 
que peut infpirer la prudence,animée par une ardente charité, 
réfolut fagement de s'éloigner de la Éour , de peur qu'il ne 
parût aprouver par fa préfence , ce que fa confcience con- 
damnoit. Mais le Roi, qui vouloit lavoir toujours auprès 
de fa perfonne , .fit menacer de mort quiconque le recevroit 
dans C4 vaifleau. Le Serviteur de Dieu, quiignoroit encore 
cette défenfe,fe rendit au Port de Sollar,où 1l fut refufé; & il le 
fut de même dans tous les lieux où il fe préfenta. Alors plein 
d'une nouvelle confiance en Dieu , 1l dit à fon compa- 
ges : Je comprens qu’un Roi de la terre veut nous ôter tous 


les moyens de nous retirer ; mais vous allez voir que le Roi 


du Ciel faura bien y pourvoir. Ayant ainfi parlé , 1ls’avance 
d'un pas intrépide vers la mer, étend fon manteau fur les on- 
des , atache un des bouts en forme de voile à fon bâton, qui 
lui fert de mât , & ayant fait le figne-de-la-Croix , il fe met 
deflus avec une entière aflurance. 

Pendant que fon timide compagnon , immobile fur Îe riva- 
ge , fe contente de le regarder dans des fentimens d'admira- 
uon & de crainte ; un vent doux & favorable poufle cette 
nouvelle efpéce de vaiffeau , le fait traverfer rapidement les 
vaftes mers , & dans l'efpace de fix heures , le conduit heureu- 
fement au Port de Barcelone , éloigné de foixante lieuës de 
celui d’où il étoit parti. Ceux qui le virent ariver dans cet 
équipage ; acOururent avec de grandes 'aclamations au devant 
de lui. Mais le faint Homme, fe couvrant de fon manteau, 
qui fe trouva aufh fec- que s'il n’avoit pas touché l’eau, fe 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 45 


déroba aux yeux de cette populace , & entra dans fon Mo- 
naftére , quoique les portes en fuffent alors fermées. 


LIVRE 


Le bruit de ce miracle , continue le Pape , fe répandit aufi- S. Ravmown. 


tôt-par tout le pays ; & pour en confacrer la mémoire à la 
offérité , dans le lieu où le Saint s’étoit mis fur la mer, onfit 
Pétir une Chapelle ,-qui fubfiftoit encore au commencement 
du dernier fiécle , & une Tour, dont on ne voit aujourd'hui 
que quelques reftes (1). | 
La converfon du Roi Jâques I fuivit de près un événe- 
ment, qui lui fit faire de falutaires réfléxions. Plus docile dé- 
formais à la voix de Dieu , il fe remit avec foumiflion fous la 
conduite de fon faint Direlteur. Il règla dès-lors par fes avis, 
fa confcience , fa maifon & fes Etats. {I nomma pot de 
Pegnafort un defes Exécuteurs teftamentaires, & voulut que 
tous ceux, qui auroient quelque chofe à demander, euffent 
recours à lui ; & que la Reine , auffi-bien que Don Pedre fon 
Succeffeur , fiflent éxaétement tout ce que le Serviteur de 


Dieu jugeroit néceflaire. Nous verrons cependant que la 
mort du Saint prévint celle du Prince. | 
Pour fe préparer lui-même avec plus de recueillement au 
pañfage de l'éternité , il fe débaraffa autant qu'il lui fut pofii- 
ble , & que la charité le ne ms , de toute autre afaire. Il 
‘pafloit les jours & les nuits dans de fainte$ méditations , ou 
dans les éxercices de la pénitence , s'éforçant d’ariver à la 
perfe&tion de la charité , par la déftruétion du vieil Homme. 


(1) B. Raymundus in portum perrexit , 
wbi ab omnibus naviculatoribus communi 
confenfu rejeétus , cognita Jacobi ds vo- 
Juntate , in portum Sollar profeétus eff itine- 
ris fui comiti hoc unum firmiflimè afleve- 
rans , ibi æternum Regcm non defuturum. 
At cum neque in eo portu à Nautis admitte- 
‘retur , id fecum ipfe demiratus, hoc magnà 
fide pronuntiavit, Resem quidem morta- 
Jem ita ftatuifle , fed Regem æternum aliter 
“provifurum. Iraque omnibus in littore falu- 
tatis, per quafdam rupes , & prærupta faxa 
in mare porreéta aliquantulum progreflus in 
“mare defcendit , ac focium allocutus, vi- 
debis , inquit, quemadmodum Deus opti- 
mam Navem providebit. Quare fiducix 
plenus ,expanfo fuper'aquis pallio , reduà- 
que ejus orà inftar veli ad baculum quo tan- 
quam malo uteretur, Dei opem invocans , 
ac figno Crucis fe muniens, relicto in Infu- 
Ja fuo modicæ fidei, ac dubitante focio, 


mari fe commifit, ac leni, profperoque in- 
flante vento, perambulans femitas maris, 
ac bencdicens Deum , qui dominatur pote- 
ftati ejus, centum fexaginta milliaria fex 
horis confecit; omnibufaue circum littora 
infolitum navigandi genus admirantibus, 
Barcinonem appulit : ubi refumpto pallio, 
quod ne quidem aquà perfufum crat , ad 
Monaftcrium fui Ordinis fub meridiem fe 
contulit ; quodque non miñus admirandum 
eft, januis claufis illud ingreflus populi ac- 
clamationes evitans , ad gratias Deo per- 
agendas , in Templum feceflit. Cujus rei fa- 
ma totam urbem , finefque illius Le per- 
vaft. Auxit ctiam hujus miraculi magnitu” 
dinem eju{dem Jacobi Regis emendatio {ub- 
fecuta. Exrant autem nr in hunc diem 
veftigia turris & Capellæ eo in loco , ex quo 
in mare dcfcenderat , extructa , &c. Cle- 
ment, VIIL n. 15-26. 


Fi 


LXXT. 
Heureux change- 
ment de Don Ja- 
ques Î. 


LXRII. 
Retraire de Saint 
Raymond: renou- 
vcllement de fer- 
veur. 


46 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE Dans un corps ufé par les travaux, les infirmitez & les an- 
I. nées , fon efprit fembloit prendre une nouvelle vigueur : & 
S.Ravmow». fon cœur , toujours rempli de Dieu, ne foupiroit qu'après 
a |e moment, qui devoit unir pour jamais à JESUS-CHRIST. 
Lorfqu'il ne fut plus en état d'éxercer le miniftére de la paro- 
le , fa modeftie toute angélique , dans la célébration des PER 
Myftéres, prèchoit encore éficacement pour la converfion des 
pécheurs : nous en trouvons les preuves dans la Bulle de fa 
Canonifation. 
Quoique ce faint Homme eût fouvent réitéré fes prières 
LXXIIT. auprès des Souverains Pontifes , pour n'être plus chargé de 
Lacraié. & tant de commifons , qui l'arachoient fouvent de fa retraite, 
obéiffance le font : ; \ . 

fortir encore une Gregoire X l’'employa encore à une œuvre de charité, à la- 
… fois de fa Solitude. a à il lui auroit été trop dificile de fe refufer. Il s’agifloit de 
terminer , dans la ville de Tarragone , un diférend entre les 
Religieux de Saint François & ceux de Notre-Dame de la 
Mercy. Les uns & les autres également chers au Serviteur de 
Dieu , avoient fouhaité l'avoir pour Médiateur , ou pour Ju- 

&° : & le Papé ne voulut point É 





imiter les pouvoirs, qu'illui 

onnoit pour faire cefler le fujet de leurs PU réciproques. 

Il y avoit près de trente-cinq ans que Saint Raymond avoit 

abdiqué la chat e de Général de fon Ordre, & que , fans 

avoir le titre de Ségat ordinaire du Pape dans la Principauté 

de Catalogne , il en faifoit toutes les bis. Celle , dont 

on vient de parler , eft la derniére qu'il ait pü remplir. La 

Commifion eft datée du 13 Août 1274, & fon heureux décès 

ariva au commencement de l’année fuivante. Mais les Saints 

trouvent leur repos dans le travail , leur plaïfir dans l’éxerci- 

ce de la charité, & leur mérite dans celui de l’obéiffance. 

C’eft par de telles on , que notre Héros chrétien s’étoit 

rendu agréable à Dieu aux hommes , & qu'il a mérité que 

nous difions de lui ce que le Saint-Efprit a dit du Jufte : Ses 

LxxIV, Jours ont été trouvés pleins. | 

. _. 

Derniere maladie Les premiéres nouvelles de fa maladie alarmérent les Fidé- 

de S. Raymond. 11 Jes, & atirerent auprès de fon lit tour ce qu'il y avoit de grand 

Ron due & dans les R d'Efpagne. Le Roi de Caftille, Don AI- 
Rois de Caftille & dans les Royaumes d'Efpagne. Le Roi de Caftille, Don 

d'Aragon. phonfe X, qui portoit encore le titre d'Empereur , voulant 

affer en France, pour conférer avec le Pape après le fecond 

Concile de Lyon, s’étoit rendu à Barcelone , avec la Reine 

fon époufe , les Princes fes enfans, & Don Emanuel fon fre- 

re. Le Roi d'Aragon s'y trouva aufh, avec toute fa Cour. Ils 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 47 


vifitérent l’un après l’autre le faint Malade , fe recommandé- 
rent avec confiance à fes priéres , & voulurent recevoir fa 
bénédidion. Ilreçut lui-même celle qui termina enfin fon 
éxil, le jour de l'Epiphanie , fixiéme de Janvier 127$, dans 
la centiéme année de fon âge (1). 

Les deux Souverains honorérent fes funérailles de leur pré- 
fence , avec tous les Princes & les Princefles de leurs Mai- 
fons , les Prélats, & les Seigneurs de la Cour, tout le Cler- 
gé, & la Nobleffe de la Ville (2). On peut dire que ces ho- 
neurs extraordinaires , qui rendoient témoignage aux vertus 
éclatantes du Saint , étoient comme les commencemensz ou 
les préludes du culte qu’on devoit rendre dans la fuite à fa 
mémoire. Mais , felon l’expreflion de M. Ballet , c’étoitpeu 
de chofe au prix de ceux qu'il reçut par le nombre & Féclat 
des miracles , qui rendirent fon Tombeau glorieux. 

Le Roi d'Aragon , d'abord après la mort du Serviteur de 
Dieu , commença à pourfuivre fa Canonifation , que la voix 
des Peuples demandoit. Ses Succeffeurs renouvelérent fou- 
vent les mêmes inftances : & plufieurs Papes fe mirent fuccef- 
fivement en devoir de répondre aux vœux des Princes , & 
aux preffantes follicitations de toutes les Eplifes d'Efpagne. 
Enfin après de longs délais , & diférentes procédures , cette 
Canonifation fut faite avec beaucoup d’apareil l'an 1601 , par 
le Pape Clement VIIT. Elle avoit été précédée de deux Tranf- 
lations folemnelles des faintes Reliques. L’Archevêque de 
Tarragone , aflifté des Evêques de Barcelone , de Vic, &de 
deux autres , fit la premiére en 1596 par ordre du Pape. La 
feconde fut faite trois ans après à la priére , & en préfence 
de leurs Majeftez Catholiques , PhilipeÏIT, & la Reine Mar- 

uerite fon époufe. La même année de la Canonifation , on 
Ft avec encore plus de folemnité, une troifiéme Tranflation 

(1) Igitur annos ferè centum natus , cu- 

piens diflolvi, & efle cum Chrifto, in le- 


thalem morbum incidit , atque Sacramentis 
omnibus ritè munitus, orantibus ad lectu- 


Epifcopi , complures Prælati & Nobiles vi- 
ti, Cicrus ettam & populus Barcinonenfis 
univerfus , funus ejus fummäà doloris fignifi- 
cationc fint profecuti. Communem vero il- 


um Fratribus, deficiente fenfim omni vitæ 
fenfu , ipfo die Epiphaniz Barcinone ob- 
dormivit in Domino, falutis humanæx an- 
no 1275. Clem. VIII. 7.34. 

(2) Vulgatä cjus morte , ingens homi- 
num concurfus ad Monafterium videndi 
causà repentè factus eft : ac tanta fuit fan- 


lam ejus fanétitatis famam auctoritate fuà 
magnoperé auxcrunt Alphonfus Caftellæ, & 
Jacobus Aragonix Reges , qui ad ejus exe- 
quias, fuà præfentià cohoneftandos , co- 
mitantibus filiis', ac domefticis omnibus , 
fummä cum veneratione . . . convencrunt, 


: &c. Tdem. n, 35. 
étitaris ejus apud omnes opinio , we multi | 


LIVRE 
I. 


S.RAYMono. 
De 14 





LXXV. 
Sa mort. 


Vide Boll. p. 413. & 
Mariana, Hift. d'Efp. 
Liv. xui. p.130. 


LXXVI. 

Sa Canonifarion. 
Diverfes tranfla- 
tions de fes Reli- 
ques. 


48 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE du faint Corps, pour contenter la dévotion du Clergé , & 
I. la piété du peuple de Barcelone. 
S. RAYMOND. L Fête de Saint Raymond, marquée d'abord au feptiéme 
_.—— (Je Janvier , a té depuis fixée par un Décret de Clement X, 
au vingt-troifième du même mois. Nous ne parlerons point | 
ici de ce grand nombre de miracles, par lefquels Dieu fem- | 
ble avoir pris plaifir de manifeftar la À pra de fon Serviteur , | 
ou fon crédit dans le Ciel, en faveur de ceux qui ont re- 
cours à fes intercefhions. Bollandus en a rempli quinze pages 
dans fon premier Tome des Aëtes des Saints. Mais l'éclat de 
fes héroïques vertus , & de fes grandes aétions ; les Ecrits 
pleins de lumière & d'érudition , qu'il nous a laiffés ; cette 
odeur de fainteté , qu'il avoit répandue dans le Clergé & 
dans le Cloître ; les éxemples de charité & de fermeté, qu'il 
a donnés à tous les Miniftres du Sacrement de Pénitence ; le 
nombre enfin , & le mérite de ceux, qui, formés de fa main, 
& fidéles à marcher fur fes traces , ont fait du Couvent de 
Barcelone un Séminaire de Saints & de Savans , toujours 
prêts à anoncer aux Peuples les véritez du falut , & à déten- 
dre les Dogmes catholiques contre les ennemis de la Foi: 
tout cela n’eit pas moins glorieux à la mémoire de Saint Ray- 
mond , que la yoix même des miracles. | 





° SAINT 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 49 
SESUSFEV SES EPS ENEN SVEVSV ENST EV ESA 
S. PIERRE GONCALEZ, 


ÂAPELLÉ COMMUNÉMENT S. TELME. 


STORGA , Ville d'Efpagne, dans le Royaume de Leon, 

fut la Patrie (1) de Pierre Gonçalez, dont les Hiftoriens 
mettent la naiffance vers l'an 1 190,fous le Régne d’AlfonfelIX, 
Roi de Caftille. Ses Paneani nobles que riches, le firent éle- 
ver avec foin dans les Lettres, & dans tous les éxercices pro- 
ge à une perfonne de fa condition. Mais il parut bien-tôt que 
es maîtres s’étoient moins apliqués à réformer les inclinations 
de fon cœur , déja porté au luxe & à l'ambition, qu’à cultiver 
les talens naturels LA {on efprit. En lui aprennant tout ce qui 
pouvoit le faire briller dans le monde , on avoit manqué d'a- 
tention à lui infpirer de bonne-heure ces fentimens de piété , 
que doit avoir un jeune homme deftiné à l'Etat Ecléfiaftique: 


Les du De que fit d'abord Pierre Gonçalez dans l'étude 


des belles Lettres, & des Arts libéraux ; le cara@tére de fon 
efprit aifé, vif, étendu , fon naturel doux & prévenant, fes 
maniéres nobles ; & peut-être plus que tout cela, les liens du 
fang , le rendirent fort cher à l'Evèque d’Aftorga , fon oncle 


maternel. Ce Prélat complaifant, femblable aux maîtres qu'il 


avoit lui-même mis auprès de fon Neveu , fe hâta un peu trop 
de le charger de Bénéfices. Après l'avoir d’abord pourvû d’un 
Canonicat dans fa Cathédrale , 1l lui procura bien-tôt la di- 
gnité de Doyen, pour avoir le plaifir de le voir à la tête de 
tout le Chapitre, La Religion n’avoit pas infpiré ce choix ; & 
le Ciel ne le bénit point. Trop flaté par une élévation fi pré- 
_ Cipitée, la vanité du jeune Doyen éclata avec fcandale. Le 
Seigneur , dont les deffeins fur fon élû étoient bien diférens 
de ceux de fes parens ambitieux, l’humilia au jour même de 
fon triomphe. Mais la même main qui l’avoit renverté , fe fer- 
vit de cette humiliation pour le changer. a 

. Gonçalez, qui pour être Ecléfiaftique, n'en étoit pas moins 

(1) Ferdinand du Château , qui a écrie [ence, & que fon oncle étoir Evêque de cet- 
avec aflez de foin l'Hiftoire de Pierre Gon- | te Eglife, où Gonçalez fit fes premiéres Etu- 
<alez far les monumens de l'Eolife de Tuy , | des. Mais le fentiment que nous fuivons, 
prétend qu'il étoitné dans le Diocèfe de Pa- | avec M. Baïllet > ft plus commun, 

ome Î, G 


LiVRE 
I. 


S. PIERRE 

. GONÇALEZ. 
De." x" "st À 
Lean. Albert, de Vir. 
illuitr. Liv. v. tol. 
192. Aa Sandor. Te 
IT. April. p. 389. 
Malv. pafim. 


L 
Naïiflance de 
Gonçalez. Ses pre 
miéres inclina- 

tions. 


Son élévation 
précipitée, 


so HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE mondain, voulut relever l'éclat de fa dignité, moins par fa 
L. vertu, que par fon fafte. Ayant reçu le Bref du Pape, qui con- 
S.Prerre firmoit la nomination de l'Evêque , ou du Chapitre en fa fa- 
_Gonçazez. vVeur, il choifit la Fête même de Noël pour fe donner en fpec- 
= tacle au Public. Il parut dans les Places & les Ruës d’Aftorga 
NII. fur un cheval fuperbement enharnarché , acompagné de plu- 
, Folk vanité du fieurs jeunes Cavaliers, & fuivi d’une foule de Dos 
jeune Gon<çalez, - . - - 
Pendant que la vile populace , dont il recevoir avidement 
l'encens, ne fe lafloit pas d'admirer fon adreffe , fa taille avan- 
tageufe , & la magnificencé de fes habits, (qualitez , ou orne- 
mens qui ne parent guéres un Miniftre des Autels) les perfon- 
nes ne gémifloient en fecret , plus fcandalifées encore de 
Ja mole complaifance de leur Evêque, que de la légéreté in- 
confidérée du jeune Bénéficier. Celui-ci n'étoit guéres en état 
de faire les mêmes réfléxions. Il continuoit toujours fa mar- 
che , lorfque fon cheval fit un faux pas, & le jéta dans un 
bourbier. Aux premiéres aclamations du petit peuple , on en- 
tendit fuccéder auffi-tôt fes huées & les plus piquantes raille- 
MT... ries. C'étoit le moment où Dieu vouloit fraper fon coup. Sen- 
umiliation à Dr à Les 
produi (a conver. fible à une humiliation bien méritée , le nouveau te ne re- 
ion, connoît fes égaremens, & aprend enfin à méprifer à fon tour 
le monde, dont il fe voit fi juftement méprifé. Il ne ferma 
plus fon cœur à la voix du Saint Efprit. Et la Grace, en pu- 
rifiant les principes d’un changement fi fubit , lui fit compren- 
dre, que le Seigneur n’avoit permis cette chûte, que pour l'ata- 
cher déformais à la Croix de fon fils JESUS-CHRIST , & le 
faire ariver par les foufrances à une gloire plus folide , que 
celle qu'il avoit inutilement cherchée dans le monde. 4 
Plein de ces beaux fentimens , & fans prendre confeil de Îa 
chair & du fang ; Gonçalez fe retira d’abord à Palence, réfolu 
de paffer quelque tems dans l’éxercice de la priére, foit pour 
s'éprouver lui-même , foit pour connoître plus diftinétement 
la volonté de Dieu fur l’état de vie qu'il devoit embraffer . Le. 
dégoût du monde,& le mépris de fes vanitez avoient comnmien- 
cé l'ouvrage de fa converfion. Et ces premiers fentimens ,, 
fuccédérent la haine du péché, la crainte falutaire des J uge- 
mens de Dieu, une douce confiance en fes miféricordes , &c 
un défir très-ardent de fatisfaire à fa juftice, en confacrant 
Ÿ. fon corps à la pénitence, & fes talens à l'inftruétion &c au fa- 
nt lut des Fidéles qu'il avoit fcandalifés. L'Ordre de Saint Domi- 
que. nique Jui parut propre à l'éxécution.de fes defleins ; il en de- 








DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. «1 
manda l’habit; & il fut un des premiers, qui le reçurent dans 
le Couvent de Palence. 

En changeant d'état, Pierre Gonçalez commença une vie 
nouvelle, auffi digne d’un Difciple de JESUS-CHRIST , que 
celle qu'il avoit menée jufqu’alors,étoit peu conforme aux ré- 


gles de l'Evangile. Toujours apliqué à fe-dépouiller-de fes an- 
ciennes habitudes , à réprimer des pañfions immortifiées , ou à 


combatre l’orgueil & l'amour propre, il devint en peu de tems 
un homme nouveau, humble, chafte, modefte, pénitent , 
atentif à tout ce que l'Evangile & fa Régle lui prefcrivoient. 
En un mot, il ne négligéa aucun des moyens pouvoient 
le mettre en état de remplir toute l’étenduë de fa vocation. : 
On peut bien fupofer que les tentations & les épreuves ne 
lui manquérent pas. Il avoit eu le courage de quiter le monde 
u’il avoit trop aimé : & le monde voulut le fuivre , ou le fé- 
xs jufques sn fa retraite.Les Sages du fiécle,toujours auff 
éclairés fur la conduite des autres, qu'ils font ordinairement 
aveugles fur leurs propres befoins , lui dE véoge pe que la 
prudence fembloit condamner fes démarches ; qu'il auroit dû 
prendre des années entiéres pour y réfléchir mürement , & ef- 
fayer fes forces , pouf ne pas les expofer ; qu'un homme nour- 
ri, & élevé comme il lavoit été, ne pouvoit que rifquer beau- 
coup fous le poids des auftéritez , qu il venoit d’embrafler. On 


Livre 
I. 


S. PIERRE 
, GONÇALEZ.. 





VE 5 
Pratiques de pé- 
nirence , & de pic: 
tés 


Epreuves du Set 
viceur de Dicu. 


_convenoit qu’il auroit pà retrancher quelque chofe dans fa. 


| premiére maniére de vivre: mais on vouloit qu'il convint auf- 


fi, que dans la feconde il s'y trouvoit un autre excès, qu'il 


ne fauroit porter. gr donc ; ajoûtoit-on, reprenez 
une place , que vous feul devez remplir ,‘un rang qui eft dû à 
votre naiflance & à vos mérites. S'il vous eft permis de mé- 


prifer les prières de vos amis , & les vœux de vos illuftres Pa- 


rens , mépriferez-vous de même les intérêts d'un Diocèfe, 
dont la Providence a confié la conduite à votre Oncle ? Vous 
avez fa confiance , & vous lui devez vos fervices. Il eft en- 
core tems : feulement ne vous opiniâtrez point à préférer une 
idée de perfeétion à des devoirs réels, ou à vos premiers en- 
agemens. Le Cloitre eft faint fans doute ; mais ce n’eft pas 
feule Ecole de fainteté , que le Seigneur ait ouverte à fes 
Miniftres. Nous ferons plus édifiés de vous voir toujours Cha- 
noine , & Doyen par vocation, que Solitaire ou Prédica- 
teur par votre choix , peut-être par caprice ou par dépit. 
Le nouveau Difciple de JESUS - CHRIST avoit aflez fre 


G iïj 


52 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE rs les gens du monde pour les connoiître. * Leurs beaux 
I. ifcours ne purent le furprendre , ni tous leurs raifonnemens 
S.Prerre  l'éblouir. Il ne fut point tenté de reprendre une dignité, dont 
Goxçazzz. 1] avoit déja donné la démiffion : & il pria fes prétendus amis, 
s'ils ne pouvoient fe réfoudre à le fuivre , de vouloir au moins 
var. l'oublier. Il n’oublia pas lui-même ce qu'il venoit de promet- 

Al perévere avec tre à Dieu. Soutenu par cet efprit de ferveur , qu'il l’avoit fait 
faintes réfolurions. admirer dès les prémiers jours de fa converfion , ily perfévéra 
avec fidélité, ne ceffant de travailler à fe purifier par les lar- 

mes de la pénitence, ou à fe perfettionner par la pratique de 

= toutes les vertus. À peine avoit-il fini les épreuves du Novi- 
Nouvelles Etudes, Ciat , qu’on l’apliqua à l'Etude de la Théologie , 8 des Saintes 
Ecritures. Cette ocupation, qu'il n’avoit guéres poûtée dans 

fon premier état , lui devint dans la Religion quil, agréable , 

u’elle pouvoit lui être utile pour en remplir les obligations. 

n en vit les fruits ; dès que l'obéiflance lui permit de faire 

valoir fes talens dans le miniftére de la parole. | 

= Après avoir paflé la meilleure partie de la nuit, ou dans de 

faintes méditations , ou dans le chant des Pfeaumes & des 

Cantiques , il employoit le jour entier à inftruire les Fidéles , 

& à travailler à leur fantification. Ses paroles toujours ani- 

mées d’une ardente charité, & foutenuës par fes éxemples , 

faifoient naître dans le cœur de fes Auditeurs tous les fenti- 


_X. mens , qu'il vouloit leur M Il retiroit les uns du vice, 
ee. Rs Pré 8 faifoit avancer les autres dans la vertu. Les De libertins , 
touchés jufqu'aux larmes , en entendant fes Sermons , ve- 


noient avec confiance fe jéter à fes piés dans le facré Tribu- 
nal. Et Dieu, par fon miniftére, fit un fi grand nombre de 
converfions dans tout le Royaume de Leon, & dans celui 
de Caftille, particuliérement dans le Diocèfe de Palence , 
que la réputation de Gonçalez devint célébre parmi les Peu- 
ples, aufh-bien qu’à la Cour du faint Roi Ferdinand, troifié- 
me dunom. . 

Ce Prince, que le zéle de la Religion, encore plus que le 
défir de reculer les bornes de fes Etats, ocupoit continuelle- 
ment à la guerre contre les Infidéles, voulut voir Le Servi- 
teur de Dieu (1). Il fe connoifloit en Saints, parce que la 


(1) .Jam pee totam ferè Hifpaniam San- es Rex non levi jam fufpicione duétus 
êta viri Dei fama fplendebar, & vires acqui- | fantitatis divi Petri Gonfalvi, eum propè 
rebat cundo ; atque Regiam Ferdinandi Hif- | fe habere defideravit. Erat hic Cacholicus 
pani hujus nomus certi implebar ; quando | Prinçeps variis bellorum contra Saracenos 


à 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. s3 


Grace l'avoit élevé lui-même à une haute fainteté. Ilaimale LIVRE 
Pere Gonçalez dès qu'il le connut. Et dès-lors il fe propofa 1 
de l'avoir toujours près de fa Perfonne, foit à la Cour, foit S.Prenre 
dans les Armées pendant fes Campagnes. * Tantôt ilécoutoit Gonçarez. 
avec plaifir les Ére de piété, de modeftie, de Religion, 
ou de pénitence, que le zélé Prédicateur faifoit aux riches XI. 
& aux Grands. T'antôt il avoit la confolation d’être témoin ph : AS a 2 
de tout ce que l’Efprit de Dieu lui faifoit entreprendre , pour fsme la Cour, & 
rendre le vice odieux, ou pour infpirer aux Troupes la crainte l'Armée. 
du Seigneur & de fes Jugemens. C'étoit toujours le Prince, 

ui donnoit à fes Sujets l'éxemple de la parfaite docilité , & 
. rofond refpeét qu'on doit à la les de Dieu. Gonçalez 
ne {e contenta pas d’affifter de fes falutaires confeils un Sou- 
verain , fi digne de l'amour des Peuples ; mais par fes priéres, 
fes vives een » & furtout par l'éclat de fes vertus, . 
il vint à bout de réformer les mœurs corrompuës de la plu- 
part des Courtifans & des Gens de guerre. Il vivoit à la paitter, 15 jour d'A. 
Cour, comme il avoit vécu dans le Cloître ; mêmes auftéri- v‘! 
tez , même recueillement, mèmes pratiques d'humilité. Une 
vie fi fainte donnoit un nouveau poids à fes Prédications, & 
difpofoit les Pécheurs à la pénitence. | 

Le Seigneur LL » Pour augmenter fes mérites, per- | 

mit que fa vertu füt encore éprouvée par diverfes tentations, 
dontil le fit toujours triompher. Celles qui lui furent fufcitées 
de dehors , eurent ordinairement le double avantage , & de 
lui être utiles, en le confervant dans l’humilité, ou dans la 
défiance de lui-même , & de contribuer par l'événement à la: 
converfion de ceux qui en avoient été . miniftres. La li- 
berté Evangélique , avec laquelle notre Saint déclamoit con- 
tre les fcandales publics, fans fe laifler intimider par la pré- 
fence, ni par l'autorité de quelques Grands, dont le mauvais 
éxemple étoit d'autant plus pernicieux , que leur rang les dif- 
tinguoit davantage , en piqua vivement a Vo Il y en 
avoit , ileft vrai, même parmi les plus libertins, qui refpec- 
toient les correttions & les avertiflemens, dont ils n’avoient 

as le courage de profiter. La vie éxemplaire de celui qui 
Les reprochoit les À y pal de la leur; le zéle Apoftoli- 
que & défintéreflé, qu'on lui connoifloit ; cette vertu en- 





expcdicionibus præpeditus . . . Et Sani vi- 
ri præfentiam fibi neceffariam judicabat , ut 
da bello contra Infddles illos gerendo, & 


precibus divi Petri, & confilio ejus falubri 
Juvarctur, Ap. Boll, T. II. April. p. 393, 


7, 8e 
G ii 





54 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE fin, quinefe démentoit jamais , & à laquelle le Ciel rendoit 
I. quelquefois témoignageæpar des miracles : fi tout cela ne tou- 
S.Prerre Choit pas les malheureux efclaves de la volupté , jufqu’à leur 
Gonçazez. faire rompre leurs chaînes, ils ne laifloient pas d’aplaudir aux 
=” difcours patétiques de l'Homme de Dieu. Ils admiroient dans 
fa pénitence , ce qu'ils auroient voulu eux-mêmes imiter, s’il 

en eût moins coûté à leur cœur. Le Prédicateur, difoient-ils , 

fait fon devoir , & il nous aprend le nôtre. Si nous ne pouvons 

nous réfoudre à vivre felon fes maximes , avouons du moins 

u’elles font faintes, & qu'elles fient bien dans la bouche 

hs Saint. | 

Tous cependant ne penfoient pas , ou ne parloient pas de 

même. La vérité, qui éclairoit les uns, & qui plaifoit aux au- 

tres , révoltoit quelquefois ceux, qui, pour fe tranquilifer 

dans leurs défordres , aimoient à AE 4 eux-mêmes, &c 

s'irritoient contre celui qui leur préfentoit la lumiére. Moins 

7 atentifs à éviter les pièges de Satan , qu’à en drefler au faint 


On tend des pié- . 
gesafachater. Prédicateur , ils es la malheureufe réfolution , ou de le 


faire tomber , s’il étoit pofhible , ou du moins de le noircir, 
comme sl étoit tombé. D'une maniére ou d’une autre, ils 
vouloient l’obliger de fe cacher , & de fe taire. Ils ne cher- 
| chérent pas long-tems l’indigne inftrument ,qui devoit fervir à 
leur deffein. Une femme fans pudeur , mais acoutumée à pren- 
dre toutes les formes , fous lefquelles elle avoit intérêt de pa- 
roître ; entreprit de venger ceux qui en vouloient au Mini- 
ftre de JEsUS-CHRIST , & de fe venger elle-même , en le ren- 
dant complice du crime, contre 7: il ne cefloit de décla- 
mer. Elle fit plus ; trop flatée de fes funeftes talens , & fe 
croyant Néja aflurée du coup qu'elle méditoit, elle marqua 
à ces jeunes Courtifans le tems & le lieu , où ils devoient fe 
tenir cachés , pour obferver tout, & être témoins de fa vic- 
toire. Mais ils le furent d’abord de fa PR hypocrifie , 
bien-tôt après de fon éfronterie, &t enfin de fa confufion. 
Selon l'expreffion du Sage , la femme impudique eff une foffe 
Su profonde , & l  Etrangere eft un étroit : elle drefle des embi- 
ches fur le chemin comme un voleur ; (eg elle tuë ceux qu'elle voit 
n'être pas bien fur leurs gardes. Mais celui qui craint le Sei- 
XIII. gneur, & qui marche toujours en fa préfence , ne tombe pas 
triomphe dela Aans le précipice qu'on a creufé fous fes piés. Notre faint 


e- 


tentation : COM Dé dicateur triompha de la tentation : & par un miracle dela 


fion d'une jeune : 7 : ; : 
Coutifanc. Grace, fon triomphe, en relevant l'éclat de fa fainteté , fervit 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 55 


à la converfion deplufieurs. Les jeunes hibertins, &la Cour- 
tifane même , dont ils avoient voulu employer les apas , pour 
ravir à Gonçalez fon innocence & fa réputation , furent de 
ce nombre. Profternés aux piés de cet Ami de Dieu, dont la 
vertu ne leur paroifloit pas moins admirable,que celle du cha- 
fte Jofeph ; ils confeflérent humblement leur crime , & pro- 
mirent de travailler de toutes leurs forces à en mériter le par- 
don , par une vie déformais aufli pénitente , qu'elle avoit été 
jufqu’alors fcandaleufe. Ils firent ce qu'ils avoient promis , dit 
un ancien Auteur(1). 

Le zéle du Difciple de JESUS-CHRIST redoubla avec fare- 
connoiflance. Le mérite de fes héroïques vertus , devenu plus 
frapant par les épreuves , fon PÉCANE V' fut auf plus utile. 
Et la confiance , dont l’honoroit le Roi de Caftille, parut 
non-feulement fe foutenir , mais augmenter tous les jours. Les 
Hiftoriens de la Nation aflurent , que Gonçalez acompagna 
pendant long-tems ce Prince dans fes expéditions contre les 
us : & ils atribuent une partie des avantages remportés 

ar les Chrétiens , à la fagefle de fes confeils , à la ferveur de 
Es riéres , ou enfin au bon ordre , qu'il faifoit obferver aux 
Soldats & aux Oficiers (2). Mais ceux qui prétendent qu'il 
fe trouva au fameux fiége de Seville , & à la prife de cette Pla- 
ce , enlevée aux Infdées l'an 1247, font contredits par un 
plus grand nombre d'Écrivains , qui métent fa mort en l'année 
précedente 1246. Peut-être ont-ils voulu parler du fige de 
Cordoue , qui précéda de onze ans celui de Seville. En éfer, 
lorfque Ferdinand IIT, lan 1136 , fit la conquête de cette 
Place , féjour ordinaire des Rois Maures , & le Siège de leur 
Empire depuis qu'ils s'en étoient rendus maîtres l'an 718 , no- 
tre Saint fe trouvoit à la fuite du Roi Catholique; & il conti- 
nuoit à rendre fes bons fervices à l'Armée chrétiénne , prefque 
toujours viétorieufe des Sarafins. | 


(r) Czxperunt pravi illius infidiatores [a- 
erymis crumpentibus compungi ; & apertis 
protinus januis , ad divi Petri Gonfalvi pe- 
des proftrati, malitiim fuam confitentes, 
veniam ab illo humiliter poftularunt. Illa 
vero impudica fœmina, vifo miraculo , de 
vafe contumeliæ, ad Deum per pæniten- 
tiam conver{a, tranflata eft in totius pudici- 
tiæ valculum , &c. Us fh.r. 394, n. 14. 


(2) Quantum vero boni attulerit Chri-. 


fianoruu militum Caitris -viri Apoftolici 


pe fafis apud Deum precibus , confi- 
io falubri Regi fuo præftito, & concioni- 
bus apud milites habiris , fauftus felixque 
rerum cventus {atis demonftravit. Namque 
polt ejus in Caftris afliftentiam , non folum 
gloriofam idem Ferdinandus de Saracenis 
viétoriam reportavit; {cd eriam urbemillam 


florentiflimam , Hifpalim dictam, utique: 
totius Bœticæ provinciæ unicam Metropo- 


lim, ab illorum manibus vi cripuit A4p. 
Boll ur fh.p.393,n. 8 


LIVRE 
I. 


S.PIERRE 
GONÇALEZ. 








XIV. 
Le Saint fetrouve 
a la prifc de Cor- 
doue. 


s6 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE *La prife de la célébre ville de Cordoue, ouvrit un noùveau 
I champ au zéle de Gonçalez : heureufement fecondé par la 
S.Pierre piété d'un Roi felon le cœur de Dieu, il fit dans tous ces ays 

GonNçALEZ. CONQUIS, Ce que S. no Jr de Pegnafort avait fait peu dan- 

=" nées auparavant dans les Ifles de Majorque & de Minorque,& 
A qu'il faifoit alors dans le Royaume de Valence. + Modérer 
cire 0E l’ardeur du foldat viétorieux , fawwer l'honneur des Vierges , 
& la vie des petits enfans ; purifier les Mofquées , pour les 
T Lant:37. faire fervir (1) d'Eglifes ; faire chanter les louanges de Dieu, 
7 &celles de fon Fils JESUS-CHRIST, où pendant plufieurs fié- 
cles on n’avoit entendu que celles du “p Prophète Maho- 
met ; prêcher l'Evangile aux Maures prifonniers ; ménager 
les graces du Prince en faveur de ceux qui ouvroient leur 
cœur à la Foi ; & rompre les chaînes, dont les Infidéles avoient 
chargé un grand pe, se de Chrétiens. C’eft dans ces œuvres 
de miféricorde & de charité , que le faint Religieux éxer- 

çoit fon zéle à la fuite de Ferdinand. 
Cependant l'Efprit du Seigneur lui fit connoître qu'il de- 
voit porter aïlleurs les paroles de vie , qu'il avoit mifes dans 
XVI. fa bouche. Bien des Peuples, plongés ah l'ignorance , & 
cn adonnés à mille fuperftitions , fembloient tendre les mains 
cer l'Evangile aix pour demander fon fecours. Dès que la volonté de Dieu lui 
Peuples de Galice, fut connuë, Gonçalez n'héfita pas un moment à la fuivre. 
cs Afturies, L “4 d ( . 1 ( li : , d " ” 
es priéres de fes amis , ou les folicitations de ceux qui vou 
loient le retenir encore à la Cour, furent inutiles. Il ne pût 
être arrêté, ni par la confidération de tous les biens que pro- 





duifoit fa préfence parmi les Troupes , n1 par l'honneur d'être 


auprès d’un faint en va , qui l'honoroit de la plus parfaite 
confiance , & qui felon Malvenda l’avoit pris pour fon Con- 


éfleur (2), 


Mariana, en parlant des Grands Hommes , qui fe diftin- 


ie par leurs talens & par leurs vertus , fous le Répne 
e Ferdinand , furnommé le Saint, rend un illuftre témoi- 


(x) La grande Mofquée de Cordoue, la | quée de Cordoue, voulut que les Infidéles 


plus fameufe & la plus fuperbe de toute l'Ef- | foufriffent la même peine, & tranfportaf- 
agne , fut confacrée , & changée en Eglife | fent fur leurs épaules Ces mêmes cloches, 
Cathédrale. Et, felon la remarque des Hi- | depuis Cordoue jufqu'à Compoftelle » Pour 
ftoriens Efpagnols , Ferdinand III fe fouve- | les remettre dans le même lieu, d'ou elles 
nant que 260 ans auparavant , les Maures , | avoient été tirées. Mariana , Hifi. d'Efpag, 
après avoir-pris & pillé la ville de Compof- | Liv. XIL, p. 807. 
telle, avoient fait aporter les cloches de (2) Confeffarium fuiffe Regis Caffelle co- 
l'Eglife deS. Jäques fur les épaules des Chré- | gromento Saniüti , plerique affirmant, Malv. 
ticus, pour les placer das la grande Mof- | in Annal. p. 693. 


: pnags 


Es te nn rs nee ne noter 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 57 


gnage au zéle , & à la charité de Gonçalez : “ Environ le 
même tems, dit cet Auteur Efpagnol *, fleurifloit un homme “ 
illuftre , nommé Pierre Gonçalez, qui après avoir renoncé “ 
à la Cour , où il avoit eu des emplois confidérables , confa- « 
cra le refte de fes jours à inftruire les pauvres & les paifans “ 
de Galice, & des Afturies. Il devint célébre Prédicateur; “ 
& par le moyen des Miffions , qu'il fit dans les Villes, & « 
dans les Campagnes , il en banit l'ignorance , & le liber- « 
tinage 
ous favons en éfet que la Galice fut le principal théâtre 
de fes prédications , les derniéres années de ja vie. Îl parcou- 
rut avec le zéle d’un Apôtre les Montagnes des Afturies , fans 
ue la dificulté des lieux prefqu'inaccefhbles , n1 la rufticité 
es habitans fuflent capables de le rebuter. La prière feule 
fembloit le délaffer de 38 fatigues ; & fes voyages n’étoient 
proprement qu'une continuation de fes Miffions. Il ne pañloit 
par aucun ee. & Village, qu'il ne prêchât, qu'il ne con- 
vertit, qu’il ne devint l’Ange de paix, en terminant les que- 
relles , ou les procès, mettant l’union & la paix dans les fa- 
milles. Sa feule préfence aplanifloit toutes les dificultez. Les 
converfons le fuivoient ou l’acompagnoient par-tout ; & on 
ne l’apelloit que le nouvel Apôtre de PER | 
Le fuccès de fon miniftére fut encore plus furprenant dans 
les Diocèfes de Compoftelle & de Tuy, où fes vertus, & 
 fouvent fes miracles, augmentérent beaucoup le nombre des 
converfions. Il en fit plufieurs , particulièrement à Bayone de 
Galice , fur la côte L l'Océan. Ce fut en cette ocafion que 


le concours des Peuples l'ayant obligé d’affembler fon nom-- 


” breux auditoire dans une vafte campagne , hors des murs de 

Ja Ville, il s'éleva fubitement une LP tempête dans le 
tems qu'il prêchoit. Les vents, les éclairs , le bruit continuel 
des tonerres , faifoient craindre à tous les Auditeurs un pro- 
chain déluge d’eau. Ils ne penfoient tous qu’à le prévenir par 
Ja fuite. Le faint Prédicateur les raffüra : & fa prière eut la 
vertu de difiper l’orage, ou de l’écarter. On vit tous les lieux 
des environs inondés , tandis qu’il continuoit tranquillement 
{2 prédication parmi les bénédiétions du Peuple. 

| Ds fes courfes Apofñtoliques, & fes Miffions conti- 
nuelles ne lui laiffaffent guéres {e loifir de vaquer à autre 
chofe , on prétend qu’il gouverna quelque tems une Commu- 
nauté de fon Ordre à Guimaranés , petite Ville d'Efpagne, 

Tome I, | H 


Livre 
É 


S. PIERRE 
GONÇALEZ. 





# Hlift d'Efpag. Live 
XII, P. 49-f0, 


Croifet , sf. jouË 
d'Avril. 


XVI. 
Tempête apaifée 
par {es priéres. 


A4. San&. T. IT: 
April. p. 395, u 19 


53 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE dansle Portugal : & on lui atribue la conftruétion d’un Pont 
I. fur le Min (ou Minho) entre Rivadavia, & Orenfe. Le paf- 
S.Pierre  fage de cette Riviére étant ordinairement fort dificile , & fou- 
Gonçarez. vent très- dangereux , bien des perfonnes y périfloient. Et 
=” C'eft, dit-on, ce qui excita la charité de notre Saint, pour 
lui faire entreprendre ce qui paroifloit bien au-deflus de fes 
forces. Mais les circonftances de ce fait, de la maniére que 
B-217 Je raportent quelques Auteurs, cités par Daniel Papebroc, 
donnent lieu de craindre qu'ils n’ayent peut - être atribué à 

Pierre Gonçalez , ce qui eft dit du Bienheureux Gonçalez 
d'Amaranthe , dont nous parlerons bien-tôt. Quoiqu'il en foit 

XVIII. de ce fait particulier , que nous ne voulons ni ent re- 

a si jéter, ni garantir, il f certain , qu'à limitation de Saint Do- 
l'Apoltolar, minique, notre zélé & infarigable Prédicateur , termina fa 
carriere dans l’éxercice de l’Apoñtolat. Ses pénibles travaux, 
& fes grandes auftéritez avoient épuifé fes forces , fans rien 
diminuer de l’ardeur de fon zéle. Après avoir rempli les Villes 
& les Campagnes du bruit de fes Prédications ,  S'étoit par- 
ticuliérement ataché à l'inftru@ion de ces pauvres gens, qui 
habitent, ou qui fréquentent les Ports de Mer. Ce ét fa der- 
niére Miffion, qu'il ne voulut finir qu'avec fa vie. Puiffant 
en œuvres & en paroles, il ne ceffa de catéchifer & d’inf- 
truire les Peuples , de les porter éficacement à la pénitence, 
& d’anoncer le Royaume de Dieu, par terre, & fur les 
vaifleaux , jufqu’à ce qu'il plût au Seigneur de l’apeller au re- 
pos éternel. | | | 
On affüre que le jour de fa mort lui fut révélé, & qu'il l'a- 

. LA ue nonça à fes Auditeurs , un Dimanche des Rameaux 1246, Il 
&AMor /* étoit alors dans le Diocèfe de Tuy : & le défir de finir fes jours 
_ au milieu de fes Freres , le porta à vouloir fe rendre au Cou- 

vent de Compoftelle. Mais étant arrivé à un petit Bourg , apel- 

lé Sainte-Colombe , épuifé de forces , & acablé par À mal, 

il dit à fon GA pe , qu'il falloit revenir à la Ville de 

Tuy , parce que la volonté de Dieu étoit qu'il finit en ce lieu 

fa vie, & fes travaux. L'état où 1l fe trouvoit, ne put l’engager 

A modérer la rigueur de fa pénitence. Il fit encore ce dernier 

voyage à Pié ; & le célébre Luc Evêque de Tuy reçut les ders 

niers foupirs d'un Saint , dont il avoit lonp-tems admiré les ver- 

tus, & honoré le mérite. L'Ordre des FF. Prècheurs n'ayant 

pas encore de Monaftére dans cette Ville, le Prélat lui fit 


dreffer un tombeau dans fon Eglife Cathédrale : & par fon 








Baillet, ut fp. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 59 
Teftament, il ordonna qu'après fa mort on mettroit fon corps 
auprès des reliques de cet Ami de Dieu. | 

Nous avons pañlé fous filence les diférens miracles, qui lui 
furent atribués pendant fa vie , & nous ne parlerons point de 
ceux qui rendirent fon nom fort célébre après fon décès, ari- 
vé le propre jour de Pâques felon quelques Auteurs, ou fuivant 
l'opinion de plufieurs autres, le 1$ d'Avril, dans l'Oëtave de 
ca 1246 ; c'eft-à-dire, dans la cinquante-fixiéme année 
de fon âge, & la vint-cinquiéme d’une pénitence , qu'il avoit 
commencée avec ferveur , & qu'il foutint jufqu’au bout , fans 
interruption ni adouciffement. La gloire, qu’elle lui procura, 
fut manifeftée par tant de prodiges , par un fi grand nombre 
de guérifons , en faveur de ceux qui l'invoquoienr dans leurs 

reffantes néceflitez , que le même Pape, qui le vit mourir, 
le mit au rang des Bienheureux. Nous avons une Bulle d'In- 
nocent IV , datée de l'an 1254, pour permettre à tous les 
Couvens, & Monaftéres des FF. Bréchours en Efpagne, de 
célébrer tous les ans la Fête du Bienheureux Pierre Do , 
avec un Ofice auffi ro , que s'il avoit été canonife par le 
Saint Siége. La Ville de Tuy profita auff de la même permif: 
fion. Mais fon Evêque Pie À er que cette son 4 Fête 
tomboit fouvent dans la Semaine Sainte, ou pendant l'Oéta- 
ve de Pâques, il la fixa pour toujours au Lundi après le Di- 
manche que nous apellons de Quafr modo ; & pos par que 
dans tout fon Diocste on en feroit l'Ofice , comme d’un Con- 
fefleur non Pontife. 

Le zéle de ce Prélat, & fa dévotion particuliére envers le 
Saint , le rendant atentif à toutes les merveilles, dontilétoit 
a témoin , 1l en fit conftater juridiquement plu- 

leurs , dont il envoya le catalogue, fous fon fceau , au Cha- 
pitre Géneral des FF. Prêcheurs , afflemblé à Touloufe l'an 
1258. On fit dès-lors de nouvelles inftances auprès du Saint 
Siége , pour obtenir la Canonifation folemnelle de ce Bien- 
heureux ; & on a renouvellé les mêmes pourfuites prefque de 
fiècle en fiécle. L'Archevêque de Lifbonne, Michel de Caf- 
tro , préfenta pour cela une Requête à Clément VIII, l'an 
1592. La Ville & le Clergé de Brague députérent pour le mê- 
me fujet vers Paul V, l'an 1608 ; & le Roi SC Fr , Phi- 
lipe IT, écrivit de fon côté au Vicaire de JESUS - CHRIST. 
Les Eglifes d'Efpagne atendent tous les jours l’éfet de tant de 
folicitations , que les Papes ont toujours favorablement écou- 


H 


LIVRE 
I. 


S.PrERRE 
GONÇALEZ. 








ex 
Il eft béatific huit 
ans après fa mort. 


Bollao. Baillets 


XXI. 
On demande fa 
Canonifation, 


éo UISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE tées; mais dont le fuccès a toujours été retardé par l’ocurren- 


L ce de plufieurs autres afaires , jugées fans doute plus pref- 
S.Prerre fantes (1). | 
Gonçazez. Il fe fit deux tranflations du corps du Bienheureux Pierre 


” Gonçalez, l'une en 1529, l'autre l'an 1567, par les Evè- 
ques de Tuy, “pe ont fait bâtir en fon honneur une riche Cha- 
pelle , où fes Reliques , expofées à la vénération publique, 
font confervées dans une châfle d'argent magnifiquement or- 
née Mais c’eft principalement dans les Ports d'Efpagne, & 
de Portugal qu’on voit plufeurs Eglifes érigées fous l'irvoca- 

XXII. tion de notre Saint. On a coutume furtout de réclamer fon 
H eft de y affiftance fur Mer durant les tempêtes ; & on aflure qu'on a: 

Mer pendanr les o- {OUVERT ÉPrOUVÉ l’éfet de fon crédit auprès de Dieu. C’eft fans 

rages, fous le nom doute ce qui l'a fait choifir pour Patron par les Matelots Ef- 

Sci pagnols & Portugais, parmi lefquels le ue Pierre 
Gonçalez eft communément apellé Sant Telme, ou Sant-Et- 
mo, nom corrompu, qui, felon la conjeéture du Pere Pape- 
broc & de M. Baillet, vient originairement de celui de Saint 
Erafme , lun des Saints tutélaires , qu'on invoquoit ancienne- 
ment fur la Mer Méditerranée. 





{1) Par un Décret de la facrée Congréga- | Telme vient d'être érendu à tout l'Ordre des 
üon des Rits, donné dans le mois de Dé- | FF. Précheurs, & fa Fête fixée au quator- 
ecembre 1741 , & confirmé par Notre Saint | ziéme d'Avril. 


Pere le Pape Benoît XIV , le Culte de Saint 








DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. & 
BE dere deteste: Bet et eee 
S. GONCALEZ 


D'AMARANTHE. 


E tous les Auteurs Portugais, qui ont entrepris d'écri- 

re l’'Hiftoire du Bienheureux Gonçalez d'Amaranthe, 

1ego eft celui qui femble lavoir fait avec plus de foin, d'or- 
dre, & d’éxaétitude. Ce fut l'illuftre Archevêque de Brague, 
Don Barthelemy des Martirs, qui l’avoit engagé à ce travail, 


& qui lui avoit peut-être fourni les mémoires, Ha conféquent 


lufieurs fiécles après la mort du Serviteur de Dieu , dont la 
Éinteté éclatoit déja dans le Portugal vers le commencement 
du treizième fiécle. 
: Gonçalez, apellé d'Amaranthe , naquit lan 1187, dans la 
Paroifle de Saint Sauveur du Diocèfe de Brague , entre les 
Riviéres de Duro & du Min, dont les eaux rendent le pays 
fifertile, & fi délicieux , que les Ecrivains Portugais ne crai- 
gnent pas de le comparer au Paradis T'erreftre. Nous ne nous 
arêterons pas à raporter ici ce qu'ils racontent de la beauté de 
cet heureux climat, des richeffes naturelles qu’on y trouve, du 
courage & de la valeur héréditaire de fes Habitans, que les an- 
ciens onu , dans les plus beaux jours de leur République, 
ne purent,dit-on, fubjuguer qu'après avoir livré CA ro 
bats, où on veut qu'ils ayent perdu l'élite de leurs Troupes, & 
de leurs Oficiers. Quand tout ce récit , dont on peut voirun 
précis dans le premier Tome de Bollandus , feroit auffi éxa&, 
qu'il eft pompeux , nous ne croirions pas devoir le faire fer- 
vir à orner l’Hiftoire d’un Saint, dont les folides vertus nous 
préfentent d’abord un objet plus propre à nous édifier. 
Dès fa plus tendre jeunefle , toutes fes inclinations parurent 
le porter à la vertu , à la modeftie , aux faintes pratiques de 
la Re Et fes parens , dont la piété donnoit un nouveau 
luftre au rang qu'ils tenoient dans A pays , n’oubliérent rien 
perfeétionner de fi heureux commencemens , autant par 

es éxemples domeftiques, & leurs atentions , que par les 
foins d'un digne Ecléfiaftique , qu’ils lui donnérent pour mai- 


‘tre. Un peu plus avancé en âge , & déja inftruit dans les bel- 
des-Lettres, on le mit fous la difcipline de l'Archevèque de 


H 


LIVRE. 
I. 


S. GONÇALEZ 


D'ÂMARANTHE. 
Fi A 
SRE 





Didacus. Marictas 
Stephanus Sampay. 
Ant, Senens. 


A&a San@. T. I, pe 
640, &c. 


JL. — 
Naïffance, & Pæ 
trie du Saint, 


D. Gate 


IL, 

Son éducation 
dans le Palais de 
l'Archevéque ds 
Brague. 


; 


62 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


.LIVRE Brague, dont le Palais Epifcopal étoit une école de vertu ; 
[. & de fcience écléfiaftique , où fe formoient ceux qu'on defti- 
S.Gonçazez NOIt au fervice des Autels , & à la conduite des Ames. Le ca- 
v'AmaranTHe. raétére d'efprit & de cœur du jeune Gonçalez, fa docilité, & 
VE l'innocence de fes mœurs, lui conciliérent bien-tôt l’eftime du 
refpeétable Prélat. Et fes progrès , aufli rapides dans l'étude 
que dans la piété, portérent l'Archevêque à l’atacher pour 

toujours à l'Eglife par les Saints Ordres. 
Croiflant en dignité, Gonçalez croifloit aufli en fagefle & 
en ferveur. Aëtif, circonfpe&t, vigilant , il ne négligeoit au- 
Ti (e fait aimer de Cun de fes devoirs. Il favoit prévenir les défirs Re {es Supé- 
& rieurs, & ne parloit Jamais de fes égaux , que pour faire re- 
Condifciples, Marquer leurs vertus, ou louer leurs bonnes qualitez. La 
charité lui cachoit leurs défauts, ou lui aprennoit à les ca- 
cher aux autres. Une modeftie, qui ne pouvoit fe démentir, 
arce qu’elle étoit fondée fur les D fentimens qu'il avoit de 
de , le mit à couvert des traits de l'envie ; & fes Col- 
légues virent fans jaloufie les atentions particuliéres de l'Ar- 
chevêque en fa faveur. Perfuadés qu'il méritoit toutes les mar- 
d ques de confiance qu’on lui donnoit , 1ls n’en étoient point 
bleffés. Le Prélat, après l'avoir quelque tems éprouvé dans 
les fon@ions de Lévite , l'éleva avec plaifir à la dignité du 
Sacerdoce , & commença à partager avec lui les foins de fon 
IV. Epglife. Celle de Saint Pélage , une des nm confidérables Pa. 


Fe _. roifles du Diocèfe de 7: étant alors vacante , le Pri- 
de S. Pélage. mat crut faire un riche préfent à cette Cure Abatiale, en lui 
donnant pour Pafteur , un homme formé de fa main , & d'u- 
ne vertu éprouvée. Gonçalez n'avoit point prévenu par fes 
défirs le choix de l’'Evêque : il ne voulut pas auf réfifter à 
{es volontez : il accepta en tremblant un Bénéfice honorable, 
dont les gros revenus irritoient la cupidité de plufeurs ; mais 
ui ne pouvoit flater par cet endroit le fidéle Miniftre de 
Pesus - CHRIST. Il ne s’étoit dévoué au fervice Divin que 
dans un efprit de facrifice , & avec cette droiture d'inten- 
tion, que $. Paul recommande à tous ceux , que Dieu apelle 

à un fi augufte miniftére. 
Toute la fuite de fa vie fut une preuve de fon défintéreffe- 
flyentrecomme ment , & du zéle, dont il étoit embrafé pour la gloire de 
un Paiteur, quine Dieu, & le falut des ames. Afin de rendre fes foins, fa vi- 
fe propofe que : gilance, & fes inftruétions plus éficaces, Gonçalez fe pro- 
ÉGisdsane pofa d'abord de régler de telle forte fa perfonne, & fa mai- 





Le falut des ames. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 6; 


fon, que l’une & l’autre püt fervir de modéle à tous fes 
Paroifhens. Il ajoûta de nouvelles mortifications à fes premié- 
res pratiques de pièté. Déja acoutumé à faire, de l'éxercice 
de ue , fes plus chaftes délices , il rendit fes priéres 
d'autant plus ferventes, ou plus continuelles, qu'il ne pen- 
foit point être obligé de prier pour lui feul, mais pour les 
befoins de tous ceux, que la | avoit confiés à fa 
conduite. Modefte dans fes habits , pauvre dans fes meubles, 
plus que frugal dans fa table , 1l n'amafloit point de richeñles , 
pour foutenir , ou augmenter l'éclat de fa Famille. Tout ce 

u'il retranchoit à fes plaifirs , & fouvent à fes befoins , 1l le 
diftribuoit avec une fainte profufion aux pauvres de fa Pa- 
roifle , ou à l’éxercice de l’hofpitalité. Sa charité induftrieufe 
favoit découvrir les néceflitez qu'on avoit peine de mani- 


fefter. Quelque atentif qu'il füt à rompre le pain de la parole, 


à un Peuple, dont il eut bien-tôt gagné la confiance , & me- 
rité l'afe&tion, c’étoit toujours moins par fes difcours, que 
par fes éxemples , qu'il aimoit à perfuader toutes les véritez 
qu'il prèchoit. | 

Rigide obfervateur des Canons , & des faintes Régles de la 
pénitence, on ne le vit jamais ni lâche , ni complaifant pour 
diffimuler , ou excufer ce que la Loi de Dieu condamne. Il 
reprenoit les pécheurs fans aigreur ; & il ne flatoit jamais 
ceux , qui cherchent dans leur rang de frivoles prétextes, 
que la Religion ne connoît point. Mais en même-tems afable 
aux petits, & rempli de tendrefle pour les afligés, il les re- 
cevoit toujours avec douceur , les écoutoit avec patience, 
les inftruifoit avec bonté, & les confoloit dans toutes leurs 
peines. En partageant avec eux leurs afliétions , il leur apren- 
noit à les rendre méritoires , par leur foumiffion aux ordres 


du Ciel. L'orphelin , la veuve , & l’indigent trouvoient en 


lui le cœur d’un pere, la folicitude-d’un Pañfteur, & un con- 


LIvRre 
I. 


S. GONÇALEZ 
D'AMARANTHE. 











Ilen remplir fain- 
tement toutcs les 
fonctions. 


folateur charitable ; qui phétr dire à la lettre , ce qu'un an- 


cien Patriarche difoit de lui-même : J'as été l'œil de l'aveugle, 
‘6 le pié du boiteux ; celui qui étoit prêt de périr , me combloit de 
bénédittions ; & je RTS F3 de confolation le cœur de la veuve. 

Tel eft le portrait que les Hiftoriens de la Nation ont fait 
du gs Abe de Saint Pélage. Il n'y avoit que peu d'années 
qu'il condu#oit cette Paroifle ; & déja il en avoit bani l'igno- 
rance , lefcandale, les procès, les inimitiez. Ceux qui avoient 
quelques diférends à démêler, perfuadés que la probité de 


Jobxxrx , 13-554 


VIT. 
Fruits de fa visite 
lance » & de fa cha 
rite, 


64 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE leur Pafteur n’étoit pas moindre que fes lumiéres , acceptoient 
I. volontiers, 1ls cherchoient même fa médiation, & ne a plai- 
S.Gonçarez gnoient jamais de fa décifion. Le bonheur de ces Peuples eut 
D'AMARANTHE. été parfait, s'ils euflent poflédé long-rems un Pafteur que 
F==—" Dieu leur avoit acordé dans fa miféricorde. Cette ar 
tion leur fut refufée. L’atrait particulier de ce faint homme 
étoit de méditer aflidûment les foufrances de Notre Seigneur 
vIIL JESUs-CHRIST , & les myftéres de fa fainte Pañfion. Cette 
11 veut aller vif. Méditation , qui ocupoit fon cœur encore plus que fon efprit, 
sens Jui fit concevoir un fi violent défir de vifiter ga Saints, 
ans la Paleftine. 1 1 , 

qu'il réfolut enfin de pañler les Mers, & d'aller arofer de fes 
Jarmes la Terre, que l’'Homme-Dieu avoit arofée de fon fang. 
Les befoins d’un Peuple qu'il aimoit tendrement , & dont il 
étoit toujours fincérement aimé , fembloient s’opofer à fon 
inclination. Inftruit de fes devoirs de Pafteur, & ne pouvant 
ignorer les juftes défirs des Fidéles , il combatit long-tems 
contre lui-même. Après bien des priéres & des pénitences, 
pour mériter de connoître la volonté de Dieu, toujours pref- 
{é de je ne fai quel mouvement de tout quiter, ee fe ren- 
IX. dre dans la Paleftine, il fe détermina à expofer humblement 
I confulte fon E- fa fituation à l’Archevêque de Brague , & d'en pañler par ce 
oi LE qu’il décideroit. Celui-ci, fans vouloir accepter fa démifhon , 
lui permit de contenter fa piété. Il éxigea feulement que le 
pieux Abé laiflàt à fa place, un homme capable de la rem- 
lir, c'eft-à-dire, un Vicaire, dont on connût déja la vie 

irréprochable, la capacité , & le Es le falut des Ames. 
ee pe avoit dans l'Etat Ecléfiaftique, un Neveu, qu'il 
avoit lui-même élevé avec beaucoup de foin, & long-tems 
éprouvé (1). Il crut voir en fa perfonne toutes les qualitez 
. Er à mériter fa confiance, l'eftime des Fidéles , & l'apro- 
De quelle mani. Pation du Prélat. Depuis qu'il eut jèté les yeux fur lui, fans 
re il éprouve un expliquer encore fes deffeins , il redoubla fon atention à le 
puneEckiatique, former à la folide piété ; à l'inftruire de-tous les devoirs d’un 
on P& bon Pafteur ; à FA se de plus près fa conduite ; & à bien 
| connoître quel fonds on pouvoit faire fur les vertus, qui pa- 
roifloient en lui. Les faintes aétions , & furtout les œuvres de 
charité, que le vertueux Curé avoit coutume de faire en fe- 
cret, n'ayant que Dieu feul pour témoin, 1] commença à les 
pratiquer ordinairement en préfence de ce Neveu, par le feu] 


(1) Erat hic juvenis Sacerdos ab infantia | bate vigilanter educatus, &c. 4%, Sand, 
fua fanétis moribus ;, ab çodem fanéto Ab- | T, I, p. 643 , n. 16. 
| - défir . 





RTC LT: 


_ de confiance , que je vous donne aujour 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 6; 


défir de lui aprendre par fon éxemple, ce qu'il devroit faire 


lui-même, lorfqu'il ME oise la place, qu'on lui deftinoit. 


Ayant ainfi pris toutes les précautions que la prudence inf- 
piroit , & _ jugeoit néceflaires pour ne point expofer fon 
troupeau à la cruauté d’un Loup, ou à l'avarice d'un mercé- 
naire , Gonçalez déclara enfin à fon neveu ce qu'il méditoit 
depuis long-tems. En lui remettant la conduite de fa Paroïfle, 
pendant qu'il en feroit abfent , il lui recommanda la vigilan- 
ce, le zéle, la frugalité , la modeftie, & plus que tout , le 
foin & l'amour des pauvres. C'eft, lui die À fous les yeux 
de Dieu, & en mr eh de JESUS - CHRIST , que je vous 
arle. Celui qui connoît nos penfées, comme nos aëtions, 
ea que ce n’eft point , parce que vous m'êtes uni par le fang , 
e je vous préfére à plufeurs vertueux Ecléfaftiques , fur 

la fidélité Huile je pouvois me repofer. Vous ne m'êtes. 
cher, que parce que je vous crois agréable à Dieu, zélé pour 
fes intérêts, plein d'amour pour l'Eglife , & fincérement ré- 
folu de facrifer votre repos au falut du prochain. Ces heu- 
reufes difpofñitions, qui m'ont paru en vous depuis votre en- 
fance , ont déja produit de bons fruits : & la Grace du Sau- 
veur , je l'efpére, vous en fera porter encore de plus abon- 
dans. Témoin depuis long-tems , & compagnon de mes tra- 
vaux , continuez avec une nouvelle ferveur ce que vous avez 
commencé. Déformais vous marcherez fans guide ; mais la 
Jumiére de Dieu vous conduira ; fa Grace fera votre force . 
fa main votre foutien. Seulement défiez-vous de vous-même ; 


LIVRE 
I. 


S. GONÇALEZ 


D'AMARANTHE. 
NE 


pq 





Sages avis qu'il 
donne à fon Nec- 
veu, 


craignez le Seigneur ; inftruifez fon sir a , & ne négligez | 


aucune de vos obligations. Ufez avec aétion de grace des re- 
venus de la Paroiffe , felon vos befoins , & les régles de l'E- 
glife ; diftribuez tout le refte aux pauvres. Vous êtes leur 
pere , l'œconôme de leur patrimoine ; ne leur fermez jamais 
ni VOS mains , ni votre maïifon. Souvenez-vous dans toutes 
les ocafions des avertiflemens, ou des éxemples que je vous 
ai donnés ; & ne vous montrez pas indigne de cette marque 

hui, en vous remé- 
tant le foin de ce que j'ai de plus cher au monde, C’eft mon 
Troupeau & le vôtre que je vous recommande. 

Le jeune Écléfiaftique reçut avec docilité ces fages inftruc- 
tions. [ promittout. Conssles lui donna fa bénédiétion ; l’em- 
brafla tendrement , & fe mit en chemin. Cet efprit de péni- 
tence . de ÿ Rd > Qui lui faifoit entreprendre un fi long 

ome Î, 


Ap. Bol. ut {p, pe 
644; D 16. 


XII. 
Il part pour 2 
Terre-Sainte. 


66 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


ÆIVRE voiage, le foutint parmi toutes les fatigues , qu’il eut à ef- 
L fuier. Mais pe ajouter à fes pratiques de mortification cel- 

S. Gonçazez le de l'humilité , 1l voulut dépendre de la charité des Fidé- 
D'AMARANTHE. [es : & dans cet équipage de Pauvre , 1l mendie fon pain ; 
— & alla d'abord à Rome, où1l vifita les Tombeaux des Saints 
Apôtres ; fe rendit enfuite à Venife ; & de-là il paffa en Sy- 

rie. Les conquêtes des Croifez dans la Paleftine , & le Traité 

de Tréve , conclu lan 1228 entre le Sultan d'Egypte & l'Em- 
ereur Frédéric IT , facilitoient aux Chrétiens le voyage de la 
jee Le pieux Curé profita de cette liberté pour 





 XUIL. voir Nazareth, Bethléem, Jérufalem, les célébres Monta- 
se il s'arréce long- gnes du Calvaire, & du Thabor. Etdans tous ces diférens 
ii endroits , 1l fit un féjour proportioné aux fentimens de fa ten- 


dre dévotion. Mais tandis que dans la contemplation des 
Saints Myftéres , il fe livroit aux rigueurs de la pénitence , 
&c retraçoit fur fon corps ce que le Fils de Dieu a voulu fou- 
frir dans fa chair : fon Vicaire , dans la Paroiffe de Saint Péla- 
ge , tenait une conduite bien opofée à fes devoirs, & à fes 
promefles. | 
Soit que la régularité, qu’on avoit autrefois admirée dans 
ce jeune Ecléfiaftique , ne für que l'éfet de la contrainte, ou 
d'une profonde hypocrifie ; foit que l'éloignement du faint 
Abé, la liberté de difpofer de grands revenus, la ge ; 
ou les mauvais confeils de quelques libertins , euflent été 
pour lui une tentation , contre laquelle il ne fut Le aflez en 
garde ; on le vit changer tout-à-coup de conduite. Et ce 
é.  . 4. Changement éclata avec fcandale. Toute fa vie ne fut plus 
lcafe du Vicaire de qu'une longue fuite de prévarications , & une odeur de mort 
S Pélage, pour les Fidéles , qu'il étoit obligé d'inftruire & d’édifier. Les 
auvres , les malades , les pp , fans fecours , ni con- 
Polation , voyoient tous les jours leur patrimoine employé 
à nourrir des chevaux , des chiens de chafle, des oifeaux 
de proie (1) , ou des perfonnes d'une réputation fort équi- 
voque. Cet indigne Miniftre, fi peu femblable à fon Oncle : 
ne s'arrêta pas encore là. Pour fe délivrer une bonne fois d’un 


(r) Novus viduæ Ecclefiæ Vicarius , fan- | omnique generi venationum & ludorum des 
étx adminiftrationis avunculi fui oblitus, | ditumtaliter infecit, urovium fibi commif- 
deliciarum allectus dulcedine, longè diver- | farum , pauperumque curà poftpofitä, de 
fam ingreflus eft viam. Atque antiquus hu- canibus venaticis , accipitribufque alendis ;: 
mani gencris hoîtis , varia in mentem ejus | & magno fervorum famulatu folummodd 
volupratum fomenta immitrens , fæculi va- | cogitarct , atque follicicus effet, &c. 4p. 
nitatibus pompæ & faftüs primo irretitum , 1 Bof, ss Jp. n. 17. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 67 


refte de crainte, qui ne lui permétoit d’être fcélérat qu’à de- 
mi , il chercha les moyens de furprendre la Religion de for 
Evêque, & de s’aflurer pour toujours la poffeflion d’un Bé- 
néfice , qui ne lui apartenoit point. Aidé , ou conduit peut- 
être par les compagnons de fes débauches , il fit d'abord cou- 
rir le bruit de la mort du faint Abé. Bien-tôt après il fupofa des 
Lettres écrites de Syrie, qui en certifioient la vérité, & paroif- 
foienten circonftancier fi éxaétement les particularitez,que les 
Gens de bien en furent les dupes. L’Archevêque de Brague lui- 
même ne fe défia , ni de cet artifice, ni des témoignages avan- 
tageux , que certaines gens lui rendirent en faveur du Vicaire 
de S. Pélage. Peut-être s’imagina-t-il retrouver dans le Ne, 
veu , quelque chofe de ce qu'il avoit tant eftimé dans la per- 
fonne du prétendu Mort. En un mot, il le pourvüt de la 
Cure , qui avoit le titre d'Abaïe, & lui en fit expédier toutes 
les Provifions (1). | | 
L'Ufurpateur ainfi arrivé au terme de fes défirs , parut dès, 
lors tout ce qu'il étoit. Les défordres afreux, qui régnoient 
en même-tems dans toutes les Provinces de ” ro al ; les 
uerres civiles qui déchiroient le Royaume ; la foibleffe du 
Roi Don Sanche IT, & l'ambition de És Favoris ; les fa&tions 
des Grands ; le mécontentement général des Peuples, & les 
Révolutions, dont parle Mariana dans fon treiziéme Livre 
de l’Hiftoire d'Efpagne ; tout cela donnoit aux plus méchans 
la hardieffe de tout entreprendre, & la liberté de tout faire, 
fans craindre la févérité des Loix , qu'on pouvoit méprifer 
impunément. Le nouveau Curé de Saint Pélage auroit , Ce 
femble , rougide n'être pas plus méchant que les autres. Sa vie 
toujours plus licencieufe , faifoit répandre bien des larmes, & 
rendoit la douleur des Fidéles d'autant plus vive , qu'ils n'’ef- 
péroient plus de revoir leur bon Pafeur , dont ils ne cef- 
foient de pleurer la perte. Celui-ci cependant , après une ab- 
fence de treize ou quatorze années , s’avançoit lentement 
vers fon mn » rempli de la plus vive reconnoiffance pour 
toutes les faveurs , qu'il avoit reçüës du Ciel, dans le lieu 
même , où s’eft opére le Myftére de notre Rédemption. Mais 
il ignoroit encore tous les maux , dont il avoit été en quel- 
que manière la caufe innocente , & qu’ils’imputa dans la fuite, 


(1) Acquievir venerandus Antiftes, doli { abfolutum confirmari folüum cupiebat , ut 
infcins, precibus , fraudulentæque poftula- | fecürius, omni pulfotimore, epicuream pof- 
tioni hujus rapaciffumi lupi, qui in Rectorem | fer vitam , & geniales dies agere. Ibid, n. 19. 


l 1 


LIVRE 
I. 


S. GONÇALEZ 
D'AMARANTHE. 








XV. 

If public la mo:t 

du faint Abé, & 

fe fait donner le 
Bénéfice. 


XVI. 
Le picux Curé ré: 
vient à fon Eplife. 


68 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE  Ileftcertain quel'infidélité du Miniftre à qui il avoit confié 
I. le Troupeau, dont la Providence l’avoit lui-même chargé, 

S. GonçALEz ne pouvoit être pour lui pe grand fujet d'humiliation & de 
»'AMARANTHE. çcrainte. Et cet éxemple lui prouvoit bien fortement ka jufte 
—— néceflité de la réfidence , fi expreflémentrecommandée par les 
faints Canons , fi conforme à l’ancienne difcipline de 'Egli- 

fe, & à fon efprit, qui eft toujours le même. Sans condam- 

ner ici la conduite de plufieurs 1lluftres Perfonnages , qui 

dans le treiziéme fiécle ne fe faifoient point un fcrupule de 

quiter leurs Eglifes , leurs Peuples & leurs Diocèfes, Le 
entreprendre de longs de de pièté ; nous pouvons dire, 

il eft toujours plus sûr de préférer l'acompliflement des 

evoirs communs F une dévotion particulière , quelque loua- 
ble qu'elle paroiffe d’ailleurs. Mais les Saints,tant qu'ils vivent 
fur L terre, ne font ni impécables, ni infaillibles : ils peu- 
vent toujours fe tromper , &c être trompés. Sile pieux Éuré 
de Saint Pélage , malgré la pureté de fes intentions, & tou- 
tes les mefures qu’il avoit prifes , ne peut être excufé d’avoir 
fait une faute en s’éloignant pour fi long-tems de fon Trou- 
peau ; le Seigneur la lui fit expier à api la pénitence ; & 1l fe fer- 
vit pour cela du miniftére même de la perfonne , qui avoit été 
mit en fa place. 

Les grandes auftéritez du Serviteur de Dieu , l’âge , les fa- 
tigues d'un voyage également long & pénible, les pauvres 
haillons, dont il étoit couvert ; tout cela pouvoit bien le ren- 
dre d’abord méconnoiffable dans fa propre maïfon. Le nou- 

XVII. , veau Curé le méconnut en éfet , lorfqu'| le vit ; ou du moins 
ntrus le mé- . ; À : : - A 7 

connoît, &lemal. il afé@ta de le méconnoître. Bien loin de l’acueillir avec hon- 

rate, neur , comme fon bienfaiteur & fon pere , il ne le regarda 

avec mépris, lui parla avec dureté , lui ordonna defere- 

tirer inceflanment , s’il ne vouloit être chârié comme un im- 

pofteur ; & il ne rougit pas d'ajouter les coups aux menaces , 

& aux injures. Le faint Homme ainfi traité , mais moins in- 

digné de ce cruel traitement , que dutrifte état, où il voioit 

{a maifon & fa Paroifle ; ne pouvant plus retenir m fes lar- 

mes, ni l’ardeur de fon zéle , il fit à fon mn 6 Neveu une 

corredion pleine de charité : Eft-ce-là , mon Fils , lui dit-il , 

ANT Je fruit de tous Les foins que j'ai pris de votre éducation ? Eft- 

: Char! & 0 Le-là l'ufage ve vous faites des biens du Crucifix, des re- 

venus de ŸEg ife >? Où eft la charité que vous éxercez envers 

les pauvres, les membres de JESUS-CHRIST ? Je vous les avois 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 69 


fi fouvent, & fi particuliérement recommandés ? Si vous 
avez été capable d'oublier en même-tems mes bienfaits & vos 
promefles , pourquoi vous oubliez-vous vous-même Lo a 
faire de votre maifon un lieu de débauche , jufqu’à faire {er- 
vir le bien des pauvres à flater votre luxe, à entretenir un 
grand nombre de chevaux , ou à nourrir cette meute de chiens 
ue je vois ici ? Affurément ce ne font pas des aétions dignes 
‘un Pafteur , ni des éxemples que je vous ai donnés (+) ! 
Quand une fois on a fecoûé le joug du Seigneur , ou qu'on 
a éloigné de foi le fouvenir & la crainte de fes jugemens , pour 
{e livrer fans remords à de brutales pañflions , les correétions 
les plus falutaires ne font guéres impreflion fur le cœur. Cel- 
les du faint Abé ne fervirent qu’à enflamer davantage la colé- 


re d'un Ecléfiaftique libertiu, qui, ne voulant pas s’humi- 


lier , & ne pouvant répondre autrement à de trop juftes repro- 
ches , continua à fraper fans pitié celui qui avoit le courage de 
le reprendre. Et pour l'obliger de fuir & de fetaire , il s’avifa 
enfin de lâcher és chiens contre lui. L'épreuve étoit rude. 
Mais les leçons de patience, que Gonçalez pendant tant d’an- 
nées avoit étudiées fur le Calvaire, lui aprirent à imiter en 
cette ocafion la douceur , & l'humilité de 'Homme-Dieu. Il 
le remercia de ce qu’il avoit trouvé digne de foufrir quelque 
chofe pour fon amour. Et donnant toute l'étendue à fa cha- 
rité , 1] ne penfa qu’à rendre le bien pour le mal, en deman- 
dant à Dieu la converfion d’un pécheur , qui penfoit fi peu à 
fe convertir. 

Dans ces difpofitions , fe croïant déchargé d'un Bénéfice , 
dont il avoit toujours redouté le poids , & réfolu d'éviter un 
plus grand éclat , il fortit de la Paroiffe de Saint Pélage, 
fans Ë laindre ni à fes anciens Paroifliens , ni à l’'Archevé- 
que de Brague. Bien éloigné de vouloir rentrer par les voies 
de la Juftice dans l’adminiftration de fa Cure , il auroit regar- 
dé comme un grand bonheur pour lui-même , s’il eût eu la 
confolation de F, voir entre de meilleures mains. Son unique 
parti fut d'abandonner fes intérêts, ou plütôt ceux de fes Pa 
roifhens , aux foins de la Providence, qui fait tirer le bien 


(1) Patienter & æquo animo fanétus Ab- { honeftis te inftruxi difciplinis ? nonne difce- 
bas has plagas, & verbera ab alumno fuo | denti mihi fidem dedifti juramento etiam 
infliéta tulit. Sed ramen à Parernà corrcétio- | fuperaddito firmatam , de pauperum cura , 
ne minime abftinendum fentiens , illum co- | de frugalitate fervanda ? nonne femper me 
ram his verbis redarguit : Nonne ego te, in- | vidifti hujus Ecclefiz veétigalia p1o majori 
quit , ab inçunabulis femper enutrivi ? nonne } parte cgenis dare ? Ibid. T 21. 

11] 


LIVRE 
L. 


S. GONÇALEZ 
D'ÂAMARANTHEF. 
À 








XIX. 
Sa patience & {on 
umilité, 


LIVRE 


S. GONÇALEZ 
D'ÂAMARANTHE. 
D 5 


XX. 
Gonçalez fe reti- 
re dans le Défert 
d'Amaranthe. 


XXI. 
L'odeur de fes 
vertus y atire Îles 
Peuples : illes in- 
{truuc, 


70 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


du mal : & tournanttous fes défirs vers la folitude , il fe pro- 
pofa de fantifier fa retraite par les travaux de la pénitence. 

À trois lieuës de la riviére de Duro, vers le Septentrion , 
fur les confins de la Province , que les Portugais apélent 7ra- 
los- Montres , on trouve un lieu folitaire , ou un agréable Dé- 
fert , coupé par la riviére de Tamaga. Ce lieu , nommé Ama- 
ranthe , fut celui que le Difciple de JEsus-CHRIST choifit 
pour fa retraite. Ïl y bâäuitun seb Hermitage ; c'eft-à-dire , 
une petite Célule , & une Chapelle , qu’il confacra en l’hon- 
neur de la Sainte Mere de Dieu , fa glorieufe Proterice. 
Là, ocupé de la lecture , & du travail des mains , il pañloit 
les nuits en oraifon, chantoit l’'Ofice Divin, & dans la fuite 
il y célébra les Saints Myftéres. La vie route angélique qu'il 
menoit dans fon délicieux Défert , toujours uni à Dieu, & 
travaillant tous les jours à mourir à lui-même , lui rapeloit 
l'agréable fouvenir des confolations intérieures , dont il avoit 
été favorifé fur le Calvaire. 

Mais pour ne point féparer des douceurs de la contempla- 
tion, les fonétions de ne Apoñtolique , après avoir 
prié & médité, il alloit catéchifer , er , & inftruire les 

euples de la Campagne, ou dans les Villages voifins (1). 
Feat de fa fainteté , & la bénédiétion que le Ciel répandoit 
fur fes travaux, le firent confidérer comme un homme en- 
voyé de Dieu, | conduire dans le chemin du falut tous 
ceux qui fe rendoient dociles à fes inftruétions, également 
touchantes & familiéres. Les habitans de tous ces pais d’a- 
lentour avoient befoin d’un tel fecours. Depuis long-tems 
ils manquoient d’inftruétion & d'éxemple : mais ils avoient 
l'avantage de connoître leurs befoins. Aufli le recevoient-ils 
toujours avec refpeét, & avec joye. Bien-tôt après, pour 
lui épargner une partie du travail, ils commencérent de fe 
rendre en foule auprès de l’'Hermitage ; les uns, pour fe re- 
commander aux priéres du pieux Solitaire ; les autres, pour 
recevoir {es inftruétions , & profiter de fes leçons de charité, 
d'humilité, & de patience. À proportion que l'éclat de fes 
vertus, & fa réputation s'étendoient au loin, on venoit des en- 
droits les plus reculés pour le confulter. On lui faifoit des au- 
mônes confidérables , qu’il diftribuoit aufli-tôt aux pauvres, 


(1) In hoc parvo facello, tanquam alter | ferviens, prædicationis officio circumcirca 
Paulus, aut Hilario in inculcà pofitus eremo , | femper exercito, Heremiticam, & Apofto+ 
Deo, & Angelorum Reginæ continuo in- | licam fimul vitamtraducebat. lbid, n. 12. 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. "1 


afin de rendre fes inftruétions plus profitables , en les confa- 
crant par la charité (1). Ce concours des ir n'étoit Ja- 
mais un fujet dé trouble , de vanité, ou de di ipation, pour 
un homme éxercé depuis long-tems dans la pratique des plus 
folides vertus. Et les Fidéles , que a du Seigneur lui 
amenoit, fe retirotent toujours remplis de confolation , tout 
embrafés de l'amour célefte , & pénétrés des véritez du Salut. 

Gonçalez fervoit ainfi gratuitement l'Eglife , & le Pro- 
chain. Fo y & Homme Apofñtolique, dans le filence de 
la retraite il aprennoit à converfer avec Dieu, & à faire ai- 
mer fa Loi à tous ceux qui venoient le confulter. Mais afpi- 
rant toujours à un état plus parfait, il crut ie avoir 
renoncé au monde, & à tout ce qui auroit pù l’y atacher, il 
marcheroit plus fürement dans les voyes de la perfeétion, 
s’il fe mettoit lui-même fous les loix de l'obéiflance, par le 
facrifice de fa propre volonté. La priére & le jeûne étoient 
les moyens qu'il avoit coutume d'employer pour connoître 
ce que Dieu demandoit de lui. Il redoubla lun & l'autre; & 
s'adreffa avec une humble confiance à la Mere de Miféri- 
corde , après JEsUs-CHRIST , fon réfuge ordinaire. Sa priére 
fut éxaucée. Un fentiment intérieur , qui banit le doute de 
fon efprit, lui perfuada que le Ciel l’apeloit à l'Ordre des 
FF. Prêcheurs , dont il remplifloit déja les fonétions , & pra- 
tiquoit prefque toute la Régle, avant que de s’y être engagé 
par des vœux. 


Gonçalez d'Amaranthe (car c’eft ainfi qu’on l’apela depuis } 


LIVRE 
I. 


S. GONÇALEZ 
D'ÂAMARANTHE. 








XXII. 
Il veut entrer 
dans l'Ordre des 
FF. Prêcheurs. 


fortit donc de fon Hermitage, pour aller où la Providence le 


conduiroit : & ce fut au Couvent de Guimanarès qu'il fe pré- 
fenta. S'il eft vrai, comme le remarque Bollandus après : 
Auteurs Efpagnols, que l’illuftre Pierre Gonçalez , ou S. Tel- 
me , étoit alors Supérieur de cette Communauté , la rencontre 
ne pouvoit être < heureufe pour l’un & pour l’autre. Les 
Amis de Dieu fe connoiffent bien - tôt ; & la fainte amitié 
qui fe forme entre eux , n’a pas befoin d’épreuve pour être 
parfaite. La charité, avec laquelle le Poftulant fut reçu de 
ce fage Supérieur , & l'union édifiante qu'il remarqua parmi 
tous fes Religieux, lui furent une nouvelle affürance que le 
Seigneur avoit conduit fes pas. Il demanda avec humilité 
l'Habit de l'Ordre ; on le lui acorda ; & ce fut avec les plus 


(1) Rudium populorum faêtus Magilter & | hominis, charitatis vifceribus omnino dili- 
Apoftolus , necefliratibus & inopix utriufque | genter fubyeniebat.. 4p. Boll. be 645,n.213. 


P. 646, aot. 4. 


XXTIT. 


Il en recoit l'ha. 


bit des mains d'un 


autre Saint, 


LIVRE 
I. 


S. GONÇALEZ 


. D'ÂMARANTHE:. 
Cr 





\ 


XXIV. 
Après fes vœux, 
les Supérieurs lui 
permétent de con- 
tinuer fes fervices 
aux Peuples d’A- 
maranthe. 


72 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


tendres fentimens de reconnoiffance , qu'il le reçut. Suivant 
les maximes des Saints, qui travaillent toujours à fe perfec- 
tionner , comme fi chaque jour ils commençoient de penfer 
à leur falut , il s’apliqua particuliérement à imiter ce qu’il re- 
marquoit de parfait dans chacun de fes Freres. 

Une des atentions du nouveau Religieux , étoit de fe tenir 
caché, & de jouir dans le filence des vifites de fon Dieu. 
Aimant à n'être regardé que comme un pécheur , indigne de 
vivre à la compagnie des Saints , il ne parloit jamais de ce 
qu'il avoit été, ou de ce qu'il avoit fait jufqu’alors. Mais ce 
modefte filence ne fit qu'augmenter l’idée qu'on s’étoit déja 
formée de fa haute piété. Pour être le dernier venu, il ne 
paroifloit pas moins éxercé dans la pratique des vertus reli- 

ieufes , que les plus avancés. Sa ferveur , fa promte obéif- 
Lo , une douceur inaltérable , & un recuerllement con- 
tinuel arêtoient fur lui les regards de fes Fréres. Ils ne tar- 
dérent pas à connoître le Fr mx que le Ciel venoit de leur 
faire. Sous le dehors fimple, & ne lé du Novice, ils aper- 
çurent le don de Dieu, les vertus, & es talens dont la Grace 
l'avoit enrichi. D'ailleurs , la Ville de Guimanarès n'étant 

"à trois lieuës de Brague , Gonçalez ne pouvoit long-tems 
pa —— 

Son Prieur , déja inftruit de fes mérites ; & informé enfuite 
de tout ce qu’il avoit fait pour la gloire de Dieu, foit dans la 
Paroiffe de Saint Pélage , foit dans le petit Défert d'Amaran- 
the, reçut avec plaifir fes vœux après l’année de posa 
Et pour contribuer au falut des Peuples , dont il avoit été 
l’'Apôtre , on le renvoya avec un Compagnon à fon ancien 
Hermitage , qui fut dès-lors dépendant de l'Ordre de Saint 
Dominique. Gonçalez 1: repris avec une nouvelle fer- 
veur l’éxercice de la Prédication , les Fidéles recommencé- 
rent aufli , non-feulement à l'écouter avec docilité , lorfqu'il 
leur portoit la parole du falut , mais à le venir chercher com- 
me auparavant dans la folitude. Pour retirer des fruits plus 
abondans de fes Difcours , & de fes éxemples , les uns le fui- 
voient dans les Miffions , qu’il faifoit dans le païs ; & les au- 
tres voulurent avoir leur pro auprès de la fienne. Dans 
ce lieu, autrefois fi défert , on commença à bâtir de petits 
logemens tout autour de la Chapelle , où l'Homme de Dieu 
avoit coutume de faire fes prières , & fes inftruétions. L’éxem- 
ple des uns fut fuivi par les autres : en peu de tems on vit des 

TUËS ; 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. #3 
ruës , & des Places de l’un & de l’autre côté du Fleuve. Et 
telle fut l’origine de la ville d'Amaranthe , fur la rivière de 
Tamaga , qui la partage en deux. 

Le pañfage de cette riviére, fort large en certains endroits, 
& extrêmément rapide en d'autres , ne pouvoit être que difi- 
cile , & quelquefois dangereux , furtout pendant l’hyver. Plu- 
fieurs avoient eu le malheur d’y faire naufrage ; & les autres 
_ {oufroient impatienment que cet obftacle les privât une partie 
de l’année du fecours fpirituel , qu'ils auroient trouvé auprès 
du Serviteur de Dieu. ares ne fut point infenfible à leurs 
eines : mais le reméde n’étoit pas facile à trouver. La con- 
Hruétion d'un Pont fur une grande Riviére ne pouvoit être, 
ce femble , l'entreprife d’un Peuple aufli pauvre , que l’étoit 
celui qui venoit de s'établir à Amaranthe. Et ce deflein pa- 
roifloit convenir encore moins à un Réligieux particulier , 
uniquement ocupé de la Prédication, ou de la prière , & acou- 
tumé à vivre du travail de fes mains. Ce fut lui cependant qui 
forma ce projet ; & la dificulté de l’éxécution ne put le rebu- 
ter. Animé de zéle pour le bien public, & preflé de la chari- 
té de JESUS-CHRIST en faveur d'un Peuple docile , qu'il por- 
toit dans fon fein , Gonçalez d'Amaranthe penfa férieufement 
au moyen de faire conftruire fur la rivière de Tamaga un 
Pont de pierre, pour unir les deux parties du Bourg , & fa- 
citer aux Habitansun paflage , qui leur étoit devenu nécef- 
faire , & pour leur commerce , & pour leur inftruétion. 
. La confiance du Saint en infpira aux Fidéles, parce qu'ils 
ne doutoient point qu'il ne füt conduit en toutes chofes par 
l'Efprit de Dieu. Dès qu'on lui vit mèttre la main à l'œuvre, 
(car 1l fut Le premier à donner l’éxemple ) onfe fit un devoir 
de l'aider , & de travailler fous fes yeux. Pendant que les uns 
préparoient le lieu deftiné pour cette grande entreprife, les 
autres fe partageoient entre eux le refte du travail. Ceux-ci 
abatoient de grands arbres ; ceux-là alloient chercher bien 
loin des pierres , qui pouvoient fervir à leur deffein. Les moins 
pauvres contribuoient volontiers de leurs petites faculrez, 


pour le falaire des Ouvriers. Enfin le Seigneur béniffant la 


charité de fon Serviteur , & le zéle perfévérant du Peuple, 
malgré les dificultez fans nombre, & contre latente des Po- 
litiques , on vint à bout d'élever, & de perfeétionner un Pont 
auf commode, folide, & régulier, qu'il étoit néceffaire. 
Ü ne fut pas dificile d'y reconnoître le Doigt de Dieu, qui 
Tome J, K 


Livre 





S. GONÇALEZ 
D'AMARANTHE. 


œ 


XXV. 
Gonçalez entre- 
prend la conftruc- 
tion d'un Pont {ur 
la riviére de Ta< 
maga.. -- 


XXVI 
Succès de cette 
dificile entrepriles 


LIVRE 





S. GONÇALEZ 

D'AMARANTHÉ! 

D À 
| 


XXVIT: 

Perfévérance du 
Servireur de Dicu 
dans l'éxercice du 
faint Miniftére. 


73 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
en avort infpiré le deflein ; & qui , pour en favorifer l’éxécu- 
tion, aplanit les plus grandes dificuhez, écarta les obftacles , 
& fit naître des reflources , fouvent d'une maniére qui ne pa- 
rut pas naturelle. Les Hiftoriens de la Nation racontent en 
éfet plufieurs merveilles , qui donnérent un nouvel éclat à la 
fainteté du Difciple de JESUS-CHRIST ; & qui fervirent en 
même tems à foutenir jufqu'à la fin, fa conitance du Peu- 
ple (1), auff facile à fe décourager dans la fuite des grandes 
entreprifes, que promt à les commencer, avant que d'en 
avoir prévû toutes les dificultez. On nous permettra de paf: 
{er ici fous filence tout ce détail de prodiges , que le Lec+ 
teur curieux peut voir dans le premier Tome des Aëtes des 
Saints. Il nous fufit de remarquer , que dans les plus grandes 
erûës d'eau, qui fembloient quelquefois menacer ce Pont 
d'une prochaïne ruine , on en a toujours atribué la confer: 
vation à la proteétion du Bienheureux Gonçalez , doit les 
Gens du pais continuont-encore aujourd'hui à réclamer les 
interceflions dans le péril. s 
Pendant tout le tems qu'on s’étoit ocupé à un travail, qui 
intérefloit fi fott Le Public, notre Saint, fans abandonner 
l'éxercice de la prédication., ne s'étoit guéres éloigné d'Ama- 
ranthe , fe contentant les jours de Fète d'anoncer la patolé 
de Dieu , ou dans le liéu , ou dans les Villages voifins. Mais 
l’'ardeur de fon zéle le porta dans la fuite à aller chercher plus 
loin une nouvelle moiflon , afin d'augmenter toujours le nom- 
bre des coriverfions , que Dieu n’acordoit pas moins au mé- 
rite de fes prières, qu'a là force de fes difcours. Ses courfes 
Apoftoliques n'étoienit jamais fans quelque fruit. Et 1l ren- 
troit le plus fouvent , ou le plutôt qu'il DE dans fa chere 
retraite d'Ainarañthe , pour y rendre fes aétions de graces à 
la Divine Bonté, & s'y préparer à de nouveaux travaux. Sa 
ferveur animoit celle du Compagnon de fes farigues. Et tous 
deux marchant de concert dans les fentiers de la perfeétion, 
travailloient comme à l’envi., à fe rendre toujours plus agréa- 
bles à Dieu, par la pratique de toutes les vertus Chrétiennes, 


& religieufes. 


(1) Interdum etiam opere jam fervente, tes miraculum, ædificium illud fuperbifli< 
3ofemet Sanétus propriis manibus lapides | mum futurum , quod feccundum corum opi- 
magnæ imolis . , folus ad ftruéturam | nionem -vires fuperabat fimiles , faufté & 
facilirer admovebar , atque non modicà cir- | perfeété finitum, fore jam confidebant. 4f., 
cumfpicientium admirationc portabat. Tunc | Bollan. p. 646 , n. 31. 
omnes clarum in hoc faéto miifico cernen- 


DE. L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 7: 

Cette alternative de folitude & de prédication , de prié- 
re & de travail, faifoit toute la force de l’un & de l’autre. 
Elle remplit tous les momens du Bienheureux Gonçalez juf- 
qu’à celui de fa mort ," qui ariva le dixième jour de Janvier 
1259, däns la foixante-douziéme année de fon âge. Lé Diocèfe 

Brague, ou plutôtrout le Royaume de Portugal, mais par- 
ticuliérement les Peuples d'Amaranthe, pleurérent fincére- 
ment la perte, qu'ils venoient de faire, par la mort de cet 
Ami de Dieu , leur Pere , & leur Apôtre. On commença dès- 
lors à faire des vœux à fon tombeau, à y conduire, ou por- 
ter les malades, & à folliciter les faveurs du Ciel, par l’inter- 
ceffion d'un Sant, dont la gloire éclatoit par de fréquentes 
guérfons. Cette dévotion, & le concours des sh re ont 
toujours continué fans diminution jufqu’à nos jours. Les Por- 
tugais, dit un Ecrivain de la Nation , ont coutume deux fois 
de l’année de fe rendre à Amaranthe, avec la même confan- 
ce, & le même empreflement , qu'ils vont vifiter l'Eglife de 
Saint Jâques à Compoftelle (1). 

Don Jean INT, Roi de Portugal, voulant favorifer la piété 
des Fidéles , & marquer fa dévotion envers le Saint , fit batir 
avec une magnificence Royale , un grand Monaftére dans le 
même lieu ,en faveur des FF. Prêcheurs: fes Lettres Paten- 
tes font de l'an 1540. Le même Prince, & après lui le Roi 
Don Sebaftien, & les Evêques du Royaume, ont fouvent 
follicité la Canonifation du Bienheureux auprès des Papes, 
furtout de Jules IIT, & de Pie IV : Ce dernier , par une Bulle 
de lan 1560, permit à tout le Clergé Séculier & Régulier, 
dans toutes les er , & Domaines du Roi de Portugal, 
{oit dans l'Europe , ou dans l'Afie , de faire publiquement 
l'Ofice de Saint Gonçalez d'Amaranthe. Et Clement X, par 
{on Bref du dixième de Juillet 1671 , a étendu encore ce culte 
à toutes les Maifons de l'Ordre de Saint Dominique. | 


(1) Tanta vero eft devotione cultus , tan- 
tus confluentis ad fepulchrum ejus populi 
concurfus, præcipuè tempore veris, ut per 
-aullam illius interamnis regionis viam quif- 
jam poflit tranfire , quin voventes obvios 
re , aut audiat turmatimincedentes . .. 
qui omnes devotionis ergo Ainaranthum 
requentius quam Compoitellam non tam 


multum diftantem petunt. In oétavis verd 
Pentecoftes, in quibus divi Gundizalvi præ- 
cipua celebratur folemnitas, vel potius ite- 
ratur , propter viatorum opportuniorem 
commoditatem , triginta circiter hominum 
millia à curiofis {crutatoribus quotannis nu- 
mcrantur. Ap. Bell, p. 649, n. 47. 


Ki 


LIVRE 
I. 


S. GONÇALEZ 


. B'ÂMARANTHE. 


SMS 


XX VIII. 
Sa mort. 


Ap. Boll.p. 640,8 
p.65. 


XXTX. 
Son Culte. 


Bullar, Ord. TT. V. 
P. 59 


76 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE | | | 


LARMES EENNENNEENNES 
Le B.GirLes | | 


mm LE BIENHEUREUX 
= GILLES DE SAINTE-IRENE. 


Lean. Atb. de Vir. ÎL * ON Rodrigues-Pelage, Gouverneur de la Ville , & 
Hé se de la Citadelle de Coimbre, l’un des Grands Oficiers 
Mai, p. 402. de la Maifon du Roi de Portugal, ayant époufé en fecondes 
nôces Dona Thérefe-Gilles , il en eut plufieurs enfans qui 

L foutinrent l'éclat de cette illuftre Famille (1).Celui, dont nous 
ParensduServi- allons écrire l'Hiftoire , ne fut que le troifiéme ; & fa mére, 
aie Dieu : à qui le chérifloit particuliérement, voulut qu'il portät fon 
nom. George Cardofe met fa naiffance en 1184, dans le tems 

e les Chrétiens venoient de remporter une viétoire figna- 
lée fur les Maures , qui , s'étant avancés avec de grandes for- 
ces dans le Royaume de Portugal , tenoient l’Infant Don San- 
che affiégé dans la Ville de Santaren , ou de Sainte Irene. Mais 
{elon le ar plus commun des Ecrivains Efpagnols, le 
Bienheureux Gilles ne vint au monde qu’en 1190. Et cette 
année eft encore remarquée parmi les Hiftoriens par la célé- 
bre Ligue, concluë entre les Rois d'Aragon, de Leon, de 
Portugal, & de Navarre, contre les Indéles , & fignée à 
Huefca , au mois de May ‘1195. | 
Deftiné à l'Etat Ecléfaftique , par le confeil, ou la cupi- 
dité de fes parens, Gilles étudia d’abord à Coimbre. Et fes 
premiéres Etudes ne furent pas plus réguliéres que fon entrée 
dans un état, dont il ignoroit encore la fainteté, & les de- 
voirs. Beaucoup moins apliqué à aquérir la fcience des 
: Saints , qu'à fe faire une réputation de favant , & de bel-efprit, 
TL eft chargé de 1 fe trouva déja riche des biens de l'Eglife , dans un âge, où 
Bénéfices, prefque on peut dire qu'il n'avoir ni la capacité, ni la penfée de la 
- dés fon enfance. fervir, Deux Prieurez , & trois Canonicats dans les Chapi- 


tres de Brague, de Coimbre, & d'Idanha (2) ; tant de Béné- 





(1) Parentes ejus, juxta fæculi dienita- hæc Regiæ major domûs. Fuir etiam arcis 
tem, & genere nobiliflimi, & moribus re- | & urbis Conimbricenfis præfeétus, &c. A. 
ligiofiffimi , & fortunx amplitudineinter pri-| Bol/, T. III, Maïi , p. 40f. 
mos clari. Nam Pater ejus , Dominus Rude- ! (1) Invenio Regis beucficio illum adhuc 
ricus-Pelagius . . . . de primoribus fuit aulæ intra pubertatem, Ecclefiarum Bracarenfs, 
Regiz fanciü majoris, & jlli à coniiliis, ad Conimbricenfis, ac Igedctanx Canonicum 


CR 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 7 


fices acumulés fur la tête d’un jeune homme, montrent fans 
doute quel étoit le crédit de fa Famille dans la Cour du Roi 
Alfonfe IL, furnommé le Gros : mais je ne trouve point là 
une preuve de cette rare piété, dont quelques Hiftoriens ont 
voulu faire honneur à Don Rodrigues-Pelage , & à fon 1l- 
luftre époufe. 

L'abondance des richefles ne fervit qu'a augmenter tou- 
jours la vanité du jeune Bénéficier , en favorifant fes paf- 
fions. Il fe livroit fans retenue à tous les défirs de fon cœur ; 
& néanmoins il ne négligeoit point l'étude des fciences pro- 
phanes, dans lefquelles 1l fe piquoit d'exceller au-deflus de 
tous ceux de fon âge. Bien-tôt 1l fe fit la réputation d’habile 
Phificien , également verfé dans les fecrets de la Nature, & 
de la Médecine (1). Cette étude, fi peu convenable à fa pro- 
feflion , mais conforme à fon génie, & aux vüés de fes pa- 
‘rens, ocupoit tous les momens , qu'il ne donnoit pas à des 
plaifirs plus groffiers. C'eft par ce moyen qu’il prétendoit fe 
mettre en état d'éfacer la réputation des plus fameux Méde- 
cins , qui étoient alors en grand crédit dans la Cour de Por- 
tugal. Ayantreçu, avec de telles difpofitions , les Saints Or- 


Livre 
LE 


LE B. GiLLes | 


DE STE-IRENS=. 
Nr de — à 





IT. 
Il fe livre aux 
plaifirs , & à des 
projets d'amhitior, 


dres , il ne parut ni moins mondain, ni moins ambitieux. Il. 


méprifa la leure des Saintes Ecritures , l'étude de la Théo- 
logie, la fcience des Canons, & des Loix de l'Eglife, 
ou il les négligea entiérement : tandis qu’il continuoit à fe 
remplir de connoiffances , qui flatoient plus agréablement fa 


vanité, & qui ne pouvoient que l'éloigner toujours davan- 


tage des ocupations ie à fon état. 

La réputation des Ecoles de Paris le fit fortir du Royaume 
de Portugal , pour venir chercher parmi nos favans Profef. 
feurs de Médecine , les lumiéres, dont il croyoit avoir be- 
foin pour ariver à la fin qu'il fe propofoit. Les progrès qu'il 
fit dans cet Art, lui méritérent en de l'admiration de l’Aca- 
démie , & le dégre de Doëteur. Ebloui par ce nouveau fuc- 
cès, & ce titre d'honneur , il fe perfuada facilement qu'il tou- 
choit déja au terme, vers lequel il avoit tourné toutes fes 
vüës. Mais la Providence en avoit fur lui de plus favorables : 
& il ne fut pas long-tems à les connoître. | 


_effe fatum ; Ecclefiæ item divæ Virginis ac | lofophica ftudia feétatus eft : precipuè autem 
Martiris Irenes Scallabitanæ , Cherufcienfis | Medicinam , in qua brevi multum , etiam 
quoque Ecclefiæ fuifle Reétorem. Ibid. n. 1. | ufque ad nominis famam, profecit. 4p. Bol. 
(1) Suo ingenio, & inftituto paterno Phi- |. #4 /p. n, 2, 
K ii 


IV. 

Gilles vient à Pa- 
ris ; & fe fait rece- 
voir Docteur en 
Médecine. 


. 78 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Liver E Si les loix de l'Hiftoire nous le permettoient, nous pañle- 
L rions volontiers fous filence, quelques faits fort extraordi- 
Le B.Giires naires , raportés par prefque tous les Hiftoriens des derniers 
DE STe-[reNe. fiécles , qui ont écrit la vie de Gilles de Sainte Irene. Nous 
het parlerons en pañlant, que parce que nous ne pouvons 
pas entiérement les taire. Mais bien éloignés de vouloir les 
apuyer, nous croyons au contraire, avec un habile Criti- 
que (1), que tous ces prétendus faits ne font que des con- 
tes fabuleux , aufli éloignés de la vérité, que de toute vrai- 
femblance. 

Qui eft-ce en éfet qui voudra aujourd'hui fe laiffer per- 
. V. . fuader ; quele Démon, fous la forme d’un Voyageur, s'étant 

See aparu au Bénéficier Portugais, lorfqu'il it de Coïmb 
naires , mais pCcu : Fe | L qu : partit Ë oimpre 
fondés , avancés DOur venir en France, l'ait fait confentir à aprendre de lui 
3% pneus Mo- une fience beaucoup plus relevée, que tout ce que pouvoient 
‘ lui expliquer les plus célébres Doûteurs ? Que E mer aux 
men M d'untelmaitre, Gilles l'ayant fuivi fans peine, ait pañlé 
fept années entiéres fous fa difcipline , dans un antre obfcur, 
proche la Ville de Tolede ? que s'étant donné à cet Efprit 
réprouvé, en renonçant expreflement à fon Batême, à fa 
Foi, à fon Dieu, il ait écrit de fa main , & figne de fon fang , 
cette impie cédule ? que devenu maître dans la Nécromancie, 
& ayant obtenu la permifhion de continuer fon voyage, il 
fe foit rendu à Paris , moins dans le deffein de s’y pertettion- 
ner, que pour faire montre de fon habileté par des cures pro- 
digieufes ? que le Seigneur, par un éfet de fa miféricorde, 
voulant enfin le retirer de l'abime, fe foit fervi pour cela, 
d'un fpeétre, qui l'éfraya dans une aparition , & qui le frapa 
dans une autre, menaçant de le tuer, s’il ne changeoïit de 
vide Malven.p.çur, Vie ? qu'après fept années pañlées dans les larmes , &c les ri- 
ad Ann. 1235-&Re- gueurs de la plus févére pénitence, la cédule fatale hu ait 

. / .. . ! ! L 

j enfin renduë par le Prince des Ténébres, forcé d'obeir au 





fp. p- 405. ete 
commandement de la Mere de Dieu ? 

Voilà en abregé ce que nous racontent avec aflürantce plu- 
fieurs Hiftoriens Efpagnols , & quelques autres qui les ont 
fuivis. Mais tout cela , dit le favant Pere Echard, a bien plus 
l'air d’un Roman, que d'une Hiftoire. Et il remarque d’abord 
que nul Auteur contemporain n'a parle de ces Nos Louis 

(x) Quæomnia, utfenfum meum pro- | ornata, iis qux de Ægidio in vitis Fratrum 
‘dam, pura puta funt fabula, nullo æquali | narrantur, planè repugnantia , &c. Echard 


monumento fuffulta, nulla verifimilitudine.| T. I, p. 242. 


S 


- DEL'ORDRE DES. DOMINIQUE. 7% 


Cacegas , un des plus judicieux parmi les Ecrivains du fei- 
ziéme fiécle, en raportant une partie de ces prétendus faits, 
témoigne aflez qu'il n’en eft guéres perfuadé. Auf le Pere 
Humbert, qui avoit converfé familiérement avec Gilles de 
Sainte Irene , ne lui atribue-t'il rien de femblable. Il a cepen- 
dant parlé & de la vie molle que ce Chanoine-Médecin avoit 
menée dans le fiécle, & des grandes vertus qu'il pratiqua 
dans le Cloitre après fa converfion. Or dans E faits aufh 
finguliers , que le font ceux dont il s’agit ici , le filence d'un 
Auteur contemporain, grave, fincére , & inftruit, me pa- 
roît mériter toute une autre atention , que le récit de plu- 
fieurs autres, beaucoup plus récens , quelque refpeétables 
qu'ils foient d’ailleurs. 

Dès-là que noûs les abandonons fur ce point, nous ne 
les prendrons pont pour guides dans la fuite de cette Hif- 
toire, Nous ne dirons point avec eux qu'après la feconde 


aparition du phantôme , notre Bénéficier partit aufli-tôt pour 


retourner en Portugal, encore incertain quel parti il de- 
voit prendre ; & qu'arivé à Palence dans le tems.que les pre- 
miers Difciples de Saint Dominique y faifoient bâtir un ne 
vent , l'odeur de leur fainteté le détermina à demander leur 
habit. Ceux qui parlent ainfi de la converfion de Gilles, & 
de fon entrée dans le Cloitre , font obligés de le faire venir 
une feconde fois en France , pour fes études de Théolopgie. 
Nous favons en éfet qu'il les fit dans le College de Saint Jä- 
ques à Paris. Et c’eft une nouvelle raifon de conclure avec le 
Pere Echard,que ce fut dans laCapitale mème de ceRoyaume, 
que Gilles de S'e Irene prévenu de la grace, changea en mé- 
me terms de fentimens, de conduite, & d’habit. On croit que 
pour opérer ce changement , le Seigneur voulut bien fe bre 
vir des prédications du Bienheureux Jourdain de Saxe, & 
de l'éxemple de tant d’autres Etudians , quelquefois même des 
Profefleurs , qui venoient tous les jours.enrichir l'Ordre de 


Saint Dominique , &:fe ranger fous la conduite de fon digne 


Succeffeur. 

Quoiqu'il en foit, 1l eft certain que l'illuftre Portugais, 
devenu un homme nouveau, ayant diftribué aux pauvres 
une parue de ce qu'il avoit d'argent ou de meubles, il ré- 
fs de l'autre fes domeftiques, qu'il renvoya en Por- 
tugal, pour y aporter & la nouvelle de fon changement, & 
k démiffion qu'il fit de tous fes Bénéfices. 


} 


Livere 
I. 


Le B.GiLLes 


DE STE-ÎIRENE. 
D Mr 7 à 








Vide Echard. T. 1, 
P.142. 


VI. 
Converfion de 
Gilles de Sainte-I- 
rence. Ilentre dans 
l'Ordre de S. Do- 
munique, 


LIVRE 
I. 
Le B, GILLES 


DE STE-ÏIRENE. 
RES 


D 


Rom. V, 20. 


VII. 
Pénitence 8 hu- 
milité du Serviteur 
de Dicu. 


ou122$ ; puifque le 


8o HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


On peut fixer l'époque de cette converfion en l’année 1224; 

Pere Humbert de Romans , qui prit la 
même année l’Habit de Religieux dans le Couvent de Saint 
Jâques , nous aprend qu'il y avoit fait fon Noviciat avec le 
Serviteur de Dieu. C'eft ainfi que nous pouvons déformais 
apeller Gilles de Sainte Irene: puifque blues 11 étoit 
du monde & de fes pañlions , il devint un illuftre in 
un fidèle Difciple de JEsUS-CHRIST & de fa Croix, un Re- 
ligieux humble, modefte, intérieur , fi apliqué à combattre 
les défirs de la chair, & toutes les inclinations de la nature 
corrompuë, qu'on vit s’'acomplir en lui ce qu'a dit l’'Apôtre : 


Oz il y a eu une abondance de péché, Dieu a répandu une [ur- 


abondance de grace. Ce qu'il avoit commencé avec tant de fer- 
veur , il le continua de même le refte de fes jours. Sa perfé- 
vérance fut parfaite. Sa vertu ne parut jamais fe démentir. 
Plus il avoit diféré de fe donner à Dieu, & de lui faire hom- 
mage de ce qu'il avoit reçû de fa libéralité , ns on étoit édi- 
fié de le voir marcher avec tant de vitefle dans la voye de 
fes commandemens , & dans la pratique des confeils évan- 
géliques. 

L'humilité de fon cœur égaloit la ferveur de fon efprit. 
Comme il fe croyoit le plus coupable des hommes, le feul 
criminel dans la Maïfon du Seigneur, il fe perfuadoit auff 
qu'il ne | ges jamais décendre aflez bas pour punir les ex- 
cès de fon orgueil; ni faire d’aflez grandes mortifications, 
pour fatisfaire à la Juftice de Dieu , & marquer fa jufte re- 
çconnoiflance pour la miféricorde infinie , qu'il avoit éxercée 
à fon égard (1). Les auftéritez de la Règle étoient déja bien 
dures à la nature, furtout pour un homme , que la complé- 
xion, & l'éducation fembloient toujours porter aux rm 
fenfuels. Mais cet efprit de pénitence qui l'animoit, ne lui per- 
mettoit pas de s’en tenir à ce qui étoit précifément ordonné. 
Couvert d'un rude cilice, & portant fur fa chair une chaine 
de fer , il n’auroit point mis de bornes à fes macérations, fi 
l'obéiffance , de laquelle il ne s’écarta jamais , ne l'avoit quel- 
quefois arrêté. | . | 

Tous fes anciens défordres , qui l’avoient infenfiblement 


(x) Ipfe verd in carne fua priftinam in- | abjeétiffima quæque minifteria hilarior cle 
dulgentiam puniens totum fe jejuniis , & pæ-| videretur, quam humanx laudis, & gloriæ 
nitentiæ operibus dedit ; ad tantam humilia- | fuerat appetentior , &c, 4p. Boll, p. 406, 
goncm , demiflionemque redaëtus , ur ad ! #, 4, P 
| conduit 


+ 


-_ DE L'ORDREDES. DOMINIQUE. 8: 
conduit prefque Dog Ye l'oubli de Dieu & de fa Loi, il les 


atribuoit à l'amour déréglé de la loire mondaine, dont il 
avoit été enyvré, & à la corruption de fa propre volonté, 

u’il avoit eu le malheur de anis pour fon unique guide. 
de fut auffi par le mépris de foi-même , & le renoncement à 
fa propre volonté , qu'il voulut réparér fes pertes, & affürer 


LIVRE 
L 


Le B. GizLe 
DE STE-IRENE.. 
Le 2 








fa vocation. Les mortifications corporelles peuvent quelque- 


fois être portées à un excès. Mais le faint Novice ne crai- 

noit point de jamais excéder dans la haine du péché, dans 
a foumiffion aux Supérieurs , ni dans les ofices de charité, 
qu'il s'éforçoit de rendre à fes Freres. Rien ne lui paroifloit 
trop bas, ni trop pénible, lorfqu’il s’agifloit de pratiquer la 
charité fraternelle. Et il la pratiquoit à l'égard de tous avec 
la même promtitude , & la même afeétion:. Les malades n’a- 


voient point de ferviteur ;plus aflidu , plus Ms , ni plus 


atentif à connoître , & à prévenir tous leurs befoins. Lorf- 

e les Etudians vaquoient à leurs éxercices d'Ecole, Gilles 
. Sainte Irene parcouroit leurs petites Célules , les nétoioit, 
& les rangeoit (1). Ocupations, fans doute peu remarqua- 
bles felon l’efprit du monde; mais ocupations, qui étoient 
précieufes aux yeux de la foi. Pour en connoître tout le 


VTII. 
Pratiques de cha. 
rité, 


mérite , il fufit de favoir _ étoit le caraétére d’efprit, & : 
{ 


quelle avoit été la délicateffe , ou l'ambition d’un homme de- 
venu fi diférent de lui-même. | 
La Grace de Jesus-CHRIST , qui répandoit ordinairement 
une fecrete confolation dans fon cœur , parmi ces pieufes 
pratiques de charité & d'humilité, permettoit auffi quelque- 
fois qu'il fentît les révoltes de la nature. Et l'ennemi du fa- 
lut, pour le dégoûter de ce nouveau genredle vie, lui en 
repréfentoit les ie comme au-deflus ke fes forces. Mais le 
faint Pénitent avoit aufli-tôt recours à la priére : profterné 
devant fon Crucifix , il éprouvoit que fon courage augmen- 
toit avec fa confiance ; k il demeuroit toujours viétorieux 
de la tentation. Une fois qu’elle étoit plus violente , ou plus 
opiniâtre, Gilles en chercha le remede dans la charité de fon 
Confefleur , ne doutant pas que l’humble aveu de fa foibleffe 
ne mit en fuite l’Ange fuperbe. Le Seigneur bénit en éfet cette 
(1) Cum Fratres cflent in fcholis, ibat | bat ; & non tannim corporalia, fed ctiam 


ipfe ad Cameras, & quas invenicbat detur- | orationem, & devotionem , & fimilia pro- 
jAtas mundabat. ...cum aliquis eo indige- | pter fraternam charitatem dimittenda fa- 


atinaliquo , ftarim dimiflis omnibus fe to- | étis , & verbis docebat, &c. Hwmbertus aps: 


um €i prompto animo , & læta facic exhibe- | Bo/f. p. 407, n. 7. 
Tome L, CE 


IX. 
Epreuves ; & fide- 
lité à la grace de la 
vocation. 


LIVRE 
I. 


LE B. GILLES 


DE STE-IRENE. 
D 5 








X. 
Dans quel efprit 
il étudie la Théo- 
logic , & lit les 
faintes Ecritures, 


: XT: 
Son retour en Ef- 
pagne. 


4 


82 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


démarche: 1l donna tant de force aux paroles de fon Minif- 
tre, que la tentation ceffa dès-lors. Les plaintes importunes 
de la nature ne fe firent plus entendre; & les illufions de Sa- 
tan s'évanouirent. Parmi les humiliations & les auftéritez, 
qui paroifloient fi rudés, & qui l'étoient en éfet, le Bien- 
heureux Gilles né trouva plus qu’un fujet de confolation, & 
un nouveau motif d'efpérer fermement , que celui qui l’avoit 
apellé à fon fervice, le feroit nu fon amour. 
Es Li , d'abord après fes vœux folemnels , à l'étude de 
la Théologie, il y fit tous les progrès, qu’on s’étoit promis 
de la beauté de fon génie , & de la pureté de fes intentions. 
Comme 1l ne cherchoit plus à contenter la vanité , ni la 
curiofité , mais à fe mettre en état de fervir l'Eglife & le 
Prochain ; l'étude de la Religion fit déformais fa plus douce 
ocupation , & la méditation des Livres Saints fes délices. Les 
Belles - Lettres , & les Siences prophanes , qu'il poffédoit 
dans un dégré éminent, ne lui donnérent point du dégoût 


as la fimplicité des Divines Ecritures. Il y chercha avec 


umilité , & 1l eut le bonheur d'y trouver ces fublimes veri- 
tez, qui , en faifant connoitre le vrai bien, Îe font aufñfi aimer. 
Gilles avoit paflé plufeurs années dans fa retraite, com- 
me dans une Ecole encore plus d’oraifon que d'étude , lorf- 
qu'on le jugea capable de faire valoir fes talens däns les Chai- 
res, & d’enfeigner avec fuccès dans les principales Maifons 
de fa Province d'Efpagne. On l'y atendoit avec impatience : 
& fes illuftres Parens ne marquoient pas moins d'emprefle- 
ment de le revoir, que les Religieux en avoient de profiter 
de fes lumiéres, & de fes éxemples. Le Bienheureux Jour- 
dain de Saxe, qui confervoit pour lui une amitié pleine d’ef- 
time, confentit enfin à fon départ, perfuadé que fon minif- 
tére feroit d'autant plus profitable à ceux de fa Nation , que 
dans fon changement ils trouveroient la preuve la plus fenfi- 
ble du pouvoir de la Grace , & des miféricordes infinies du 
Seigneur. Ce voyage fut pour le Difciple de JESUS-CHRIST 
une nouvelle ocafion de mérite. La laffitude , la faim , la foif, 


- & les autres fatigues éxercérent fa patience , fans la vaincre. 


Soutenu par l'éxemple de fon Divin Maître, il regardoit com- 
me précieufes routes les ocafons de foufrir. Sa vertu croiffant 
ainfi par les épreuves, 1l en parut d'autant plus propre à prè- 
cher L pénitence aux Fidéles, & à rt on aux autres ce 
qu'il pratiquoit déja avec tant de er | 


oo NE On MU" RATS 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 8 


Le <élébre Suere Gomez, l’un des premiers Difciples de Livre 
faint Dominique , travailloit alors à la Vigne du Seigneur , L. 
dans les diférens Royäumes d’'Efpagne, où l'éclat de ni ver- LeB.GiLLes 
tus, & fes prédications continuelles le mettoient en état (fou- DE STE-IRENE. 
vent même dans la néceflité ) de fonder de nouvelles Mafons =" 
Religieufes, pour aflurer la converfion de ceux quil avoit 
retirés de la vanité du fiécle. Ce grand homme, déja inftruit 4 XL 
du mérite & des talens du Pere Éilles , le reçut, comme Un travailler au fur 
fecours que le Ciel lui envoyoit. Il en fit le coopérateur de du prochain. 
fon minitére, & l'employa utilement dans tout ce qui de- 
mandoit de la capacité, : la fermeté, ou du zéle ; tantôt à 
inftruire les jeunes Religieux dans les Ecoles , tantôt à anon- 
cer aux Fidéles les véritez du falut, quelquefois à faire de nou- 
veaux Etabliffemens dans les Villes, qui les demandoient (1). 

Le Roi de Portugal voulant avoir des Enfans de faint Do- 
minique dans la Ville de Santaren, le Pere Gilles fut chargé 
du foin de faire bätir ce Couvent, & il s’aquita de la commif- 
fion au gré de Sa Majefté , & à la fatisfaétion de fes Compa- 
triotes. Mais beaucoup moins ocupé à faire £lever des mu- 
railles , ou à dreffer des autels, qu’à gagner des ames à JESUS- 
CHRIST , 1l ne cefloit de porter tout le monde à la pénitence, 
à la pratique, & à l'amour de la vertu. Les grands éxemples, 

pe onnoit , faifoient encore plus d'imprefhion fur les 

l idéles , que fes patétiques difcours , quoi qu’on les écoutât 
toujours avec plaifir , & avec refpett. | 

Onaflure que les pieufes Infantes , Sancie, & Therefe , que 
le Peuple apelloit dès-lors /es Saintes Reines, portoient juf-  XHr. 
qu'à la vénération leur eftime es le Miniftre de-J. C. La 52 venu le fit 
premiére furtout , non moins 1lluftre par fes grandes vertus ; Cour de Portugal. 
que par fa haute naïffance, aimoit à l'entendre parler de Dieu, 
à s'entretenir avec lui de l’afaire du falut , & à profiter de fes 
confeils ne s'avancer toujours dans la perfettion. Jamais 
elle ne le rencontroit , qu'elle ne fe mit humblement à fes 

« ° ‘ para 

piés, pour recevoir fa bénédiétion , & demander le fecours 
de fes prières (2), ainf qu’elle avoit coutume de faire envers 
tous ceux , qui fe diftinguoient par une émigente fainteté. 








{1) Reverfus poft hæc in Luftaniam , | per honorem habuit , ut non modd venienti 
agendo , docendo , & prædicando , talen- | aflurgerer ; verüm etiam pofitis senibus fup- 
um fibi credicum duplicare etiam fupra vi- | pliciter illi procumberct , addens protinus : 
rilem ftuduit, &c. Àp. Boll.p. 407,7. 9. - | Benè precare mihi Pater ; benedic, & ora pro 

(2) Talem fe etiam Æsgidio noftro præ-| me Parer. 4p. Boll. p. 411 ,n. 19. 
bebar , Sancia Regis Virgo ,°eivantum fem 


Li  . 


LIVRE 


LE B. GILLES 


DE STr-ÎIRENE. 
CRISE 





Li 


XIV. 
Fruit de fes Prédi- 
cations à Coimbre. 


XV. 
11 cft élû Provin- 
cial d'£f. pagne. 


84 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Celle du Bienheureux Gilles parut avec le même éclat dans 
les autres Villes de Portugal , que l'obciffance & le zéle du 
falut des ames l'obligérent de parcourir. Mais fes travaux 
apoftoliques eurent un fuccès plus marqué à Coimbre. C'eft 
pee ement dans cette Ville, (alors le féjour ordinaire des 

ois ) que les folies de fa jeuneffe , fon luxe , fa molefle , fon 
ambition avoient le plus fcandalifé les Fidéles. Ce fut là auf 

u'il répara avec + 204 tout le fcandale qu'il avoit donné. 
Ï y fit un aflez long féjour , toujours dans les pratiques de 
la pénitence, & de la plus rigoureufe pauvreté ; ocupé de 
la prédication & de la priére ; & partageant avec tant d'œ- 
conomie tous fes momens , que de jour & de nuit il travail- 
loit, ou à fa propre perfettion , ou à la converfion des pé- 
cheurs, ou à l'avancement {pirituel des perfonnes de piété, 

ui venoient aprendre fous fa direftion , les maximes les plus 
lis de la vie intérieure. Mais l’Ange de ténébres ne pou- 
vant foufrir qu'il travaillât ainfi à détruire fon Empire , il 
recommença à le tenter en diférentes manières. Il eft vrai que 
toujours fidéle à la Grace , le Serviteur de Dieu continua à 
triompher de l’Ennemi. Il connoifloit fa malice ; & il rendie 
fes éforts inutiles. 

Après la mort du Pere Gomez , la réputation du Bienheu- 
reux Gilles fit qu'on jéta d'abord les yeux fur lui, pour le 
faire fuccéder à cet illuftre Provincial, Fondateur de la Pro- 
vince de fon Ordre en Efpagne. Parmi plufieurs grands Hom- 
mes , qui pouvoient dignement ocuper cette place , il n’y en 
eut pas un qui n’aimât mieux obéir au Serviteur de Dieu , que 
de commander lui-même à fes Freres. Ce fut, dit un Ecri- 
vain , par un confentement général, & comme _ une inf- 
piration commune , que tous les Vocaux confpirerent en- 
femble pour le mettre à leur tête (1). L’humble & modefte 
Religieux , ne s’atendoit point à ce coup : il en fut fincére- 
ment afligé. Mais toujours foumis , 1l accepta l'emploi ; & 
travailla avec tant de zéle , foit à la propagation de fon Or- 
dre , foit au maintien de la régularité, oi ne parut en rien 
inférieur à fon Prédéceffeur ; & qu'il en fit moins regréter la 
perte , qu'on avoit cru irréparable. Cette vafte érenduë de 
pays, que devoit parcourir le faint Provincial , pour vifiter 


” (x) Augefcente in dies Sanétitatis ejus fa- ! leétis, renunciatus eft , quam vivä omniura 
ma, totius Hifpaniz Rector Provincialis , : voce , confenfuque proclamatus, &c. Ap. 
non tam fuffraoiüs in tabellam invicem col- j Bo/l. p. 408 , m8. 10. 


L 


#- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 8 


toutes les Maifons foumifes à fa À ra ,» ne put l'empé- 
cher de continuer toujoursfes auftéritez ordinaires, & fes pré- 
dications. C’eft dans le même efprit de pénitence & de zéle, 
qu'il faifoit des voyages encore En longs ; lorfque par le de- 
voir de}fa Charge, ilétoit obligé de fe rendre , tantôt en 
France, tantôt en Allemagne, ou en Italie , pour aflifter 
aux Chapitres généraux. Dans celui qui fut tenu à Bologne 
en Lombardie an 1238 , 1] contribua à l’éleétion de Saint 


Raymond de Pegnafort , avec lequel il étoit uni d’une étroi- 


te amitié; & dont 1l imitoit de f1 près les grandes vertus, 
e le mérite éclatant de l’un, n'éfaçoit point la réputation 
e l’autre. 

Pendant les brouilleries , qui troublerent long-tems la Cour 
de Portugal , & qui porterent enfuite la confufion & le dé- 
{ordre dans Abe, je parties de l'Etat , les Evêques du Royau- 
me , & les Légats Res ram employérent les talens du 
Bienheureux Gilles , pour infpirer aux Peuples des fentimens 
de foumiffion & de paix. Le Roi Don Sanche II, fans avoir 
été détrôné , fe voyoit privé de l’adminiftration de fon Royau- 
me , dont il avoit facrifié les intérêts à l'ambition de fes Fa. 
voris , devenus fes maîtres. Et l’Infant Don Alfonfe , fon 
Cadet , fans porter encore la Couronne , en poflédoit déja 
les honneurs , avec le titre de Régent , ou d'Adminiftrateur. 
Cet arangement , concertée entre les Grands du Royaume , & 
les Souverains Pontifes , Gregoire IX , & Innocent IV, avoit 

aru un reméde à une partie des maux dont on fe plaignoit. 
Mais les Peuples, moins dociles ou plus divifés qu'aupara- 
vant, prenoient de toutes parts les armes , les uns pour le 
Roi , les autres en faveur du Régent. Dans ces triftes con- 
jonétures , notre zélé Provincial fe fervit à propos de la ré- 
putation , & du crédit, que lui donnoit fa fainteté, pour 
contenir le Peupleremuant , réunir les efprits , & faire cefler 
les difcordes , qui avoient ébranlé la Monarchie jufques dans 
fes fondemens. | 

Mais tandis qu’en fidéle Sujet, & comme un véritable Mi- 
niftre dela paix, il remplifloit avec zéle la commiffion dont 
on l'avoit chargé qe Me que pour prévenir les derniéres 
calamitez d'une guetre civile , il emploïoit les priéres , les 
confeils , les prédications , & quelquefois les miracles, un 
des principaux Auteurs du trouble le traita avec beaucoup 
d'indignité, Martin Rool , après avoir long-tems abufé de la 

| | L 1} 


"LIVRE 
I. 


Le B.GriLzes 


: 
DE STE-IRENE. 
D. À 








XVI. 
Services qu'il rend 
à l'Etat , dans un 
tems de trouble. 


XVII. 

I] eft infulté par 
un factieux, dont 
il prédit la fn tra- 
gique. 


LIVRE 


LE B.GiLLEs 
DE STE-IRENE. 





XVIII. 

Don SanchelIT, 
& Alfonfe III, é- 
galement prévenus 
en faveur du Servi- 
teur de Dieu. 


} 


Vide Boll. p. 417, 
D. 45. : 


86 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


facilité du Souverain , & l'avoir enfin précipité dans un abîme 
de malheurs, dont il ne put fe relever, oo impofer filence 
au faint Prédicateur. Il avoit commencé par les injures ; il 
continua par les menaces , & n'oublia rien pour émouvoir 
contre lui la populace. Ceux qui fouflent le feu de la difcorde, 
n'aiment Fe qu'on les fafle connoître, ou qu’on travaille à 
prévenir les fuites de leurs criminelles intrigues. Mais les Dif- 
ciples de JESUS-CHRIST favent facrifier leurs intérêts par- 
ticuliers à ceux du Public ; & ils ne fe laiflent point intimi- 
der par les menaces des méchans, dès qu'il s’agit de la gloire 
de Dieu , & du repos des Fidéles. À tous les emportemens 
de cet homme audacieux , Gilles de Sainte Irene n'opofa que 
la modeftie , la patience , la douceur. Il contünua toujours 
fes prédications, & il prédit en même-tems la fin tragique, 

ui devoit être le jufte châtiment des crimes de Martin Rool. 
Ce vérifia bien-tôt la prédiétion : le Prince ayant 
fait périr ce malheureux par le même genre de fuplice , que le 
Roi Afluerus avoit fait foufrir à l'inf ‘le Aman (1). 

La fage conduite de notre Saint, dans ces tems dificiles & 
orageux, le rendit également cher aux deux Princes , dont 
les intérêts cependant fe trouvoient fi opofés. Toujours plein 
de fentimens de refpe& pour la perfonne de Don Sanche II,& 
de reconnoiffance pour fes bienfaits, pendant que fes Ser- 
viteurs & fes Sujets l'aublioient dans Ë mauvaife fortune , 
l'Homme de Dieu continuoit à le vifiter & à le confoler dans fa 
retraite, tantôt en Galice, & tantôt à Tolede, où cet infortuné 
Prince finit fes jours , plufieurs années après qu'on lui eût ôté 
la Couronne, ou l’adminiftration du Royaume. Mais Don Al- 
fonfe IIL, afermi fur le Trône après la mort de fon frere , ne 
donna pas de moindres Eee de fon eftime , (on pa dire 
de fa vénération }) pour la fainteté du Bienheureux Gilles. Il 
aimoit à converfer familiérement avec lui : & dans la dou- 
ceur de fa converfation , il croioit trouver un foulagement à 
tous les maux qui l’afligeoient , & dans l'efprit , & dans le 


(1) In his, cm à Legaris & Epifcopis 
Æsidio effet imperatum , ur privatim prius , 
mox etiam publice in concionibus , Pontifi- 


_cias litteras evulgaret, quidam Martinus 


Rool , ex iis qui adulationibus, & prava 
confulendo , Resix facilitati illuferant, fæ- 
viter in virum fanctum, contumcliis cxar- 

. . . A . e r - 
fi. Silentio, & patientià impezum ad ulre 
riora progrefluri frcgit vir Beacus : ac con- 


verfus ad Fratrem Andream , qui illi comes 
aderat : Crede, inquit, mihi Frater, homi- 
ni huic teterrimus atque violentus inftat exi- 
tus , quem propcdicm non AU Nec 
SE poft temporis intervallo , homo ille 
juflu Regis aétus in patibulum, laqueo tra, 
is cervicibus , mecriit. Ap. Boll. p. 412, 
n. 23. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 87 


corps. Ce ne fut peut-être pas moins par reconnoiflance pour 
les fervices qu'u em recevoit , Gi'e Dar le défir de marquer fa 
dévotion particulière DS notre Bienheure"x Fondateur , 
que le Roi Alfonfe fit bâtir à Lifbône le Couvent, à 2 Ma- 
gnifique Eglife de faint Dominique, où, pe trente - deux 
ans d’un Régne plus tranquile Qi celui de fon Prédécefleur , 
on inhuma rs corps , ainfi qu'#l'avoit ordonné par fon Tef- 
tament. | 

Nous voudrions que les premiers Auteurs , qui ont écrit 
l'Hiftoire du Bienheureux Gilles de Sainte Irene , moins apli- 
qués à parler derévélations , de miracles , & de quelques au- 
tres particularitez de {4 vie éxtatique , nous euflent apris dans 
un . grand détail ce qu'il avoit fait Le le fervice de l'E- 
glife , de fa Patrie, & de fon Ordre. l'out ce que nous fa- 
vons fur ce fujet, c’eft que toujours Ke 0 dans les fonc- 





tions apoftoliques , il favorifa encore les divers Etabliffemens 


ui furent faits de fon tems en Efpagne , pour la converfion 
. Maures & des Juifs ; qu'il multiplia een les Cou- 
vens & les Monaîteres de fa Province ; qu’il envoya plufieurs 
Prédicateurs de la Foi dans le Royaume de Tunis , ou dans 
les autres parties de l'Afrique ; & qu'après avoir éxercé avec 
beaucoup de fageffle la Charge de Provincial, depuis l'an 
1234 jufqu’en 1242, il fit enfin agréer fa démiffion , pour s’o- 
cuper plus à loifir de l'afaire du falut , & jouir des douceurs 
de la contemplation. Les graces qu'il recevoit dans ce faint 
éxercice le lui rendoient meer Elles fervoient auf quel- 
quefois à l’humilier , lorfque ces faveurs atirant fortement fon 
efprit à la confidération des perfeétions divines , le tenoient 
long-tems dans un état de raviflement , qui faifoit paroître au 
dehors ce qu'il eût voulu tenir toujours caché dans le fecret 
de fon cœur. | 
Si la confiance qu'avoient les Fidéles en fa direétion ,-ou le 
zéle qui le dévoroit pour le falut des ames l’obligedient de 
fortir fouvent de fa retraite , on l'y voïoit rentrer auffi-tôt que 
des raifons de charité ne le demandoient pas ailleurs. Ilavoit 
coutume de dire , que c’étoit une efpéce de folie , que de vou- 
loir paroître toujours prêt à travailler au falut des autres, en 
négligeant le fien propre (1). Mais il n’étoit pas moins per- 
fuadé , que dans un Ordre Apoftolique on ne remplit pas tous 


(1) Feftinare ad Prædicationem, & fruétum circa alios, fe negletto, quaxere, pluri- 


mum reprobabat, 4p. Bell, p.407, n. 7. 


LIivæE 
I. 


LE B. GILLES 


DE STE-IRENE. 
Se vd 








Ibid. 


Mariana, Hift. d'Efp. 
Liv. XIV. pe 157 


: XIX. 

Très AMOÏr pro 
a divers ne 
tages à fa Provin- 
ce, le B. Gilles fe 
démet de la Char- 
ge de Provincial. . 


XX. 
Sages maximes 
du Saint. 


LIWRE 


Le B. GiLLes 


DE STE-IRENE. 


D 
mens an md 


XXI. 

On le charge une 
feconde fois de la 
conduite de fa; 
Province 


XXII. 
Il veut fe rendre 
dass l'Ifle de Ma- 
jorque. 


88 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


fes devoirs , fi on n’eft bon que pour foi-même. Sur ce prin- 
cipe , le Bienheureux Gilles commençoit toujours par prati- 
quer ce qu'il Gevoit enfeigner. Prier , & prêcher ; exhorter 
les nécneurs à la pénitence , & leur montrer en fa perfonne le 
modéle des Pénitens. Tel eft le plan qu'il s’étoit fait , & qu'il 
fuivit conftanment depuis qu'il fut entré dans le faint Minif- 
tere. C'eft ainfñ qu’il paffa I#Mannées acordées à fon repos. 
Son grand défir eût été de pouvoir couler de même le refte de 
fes jours, dans l'heureufe liberté de Religieux particulier , 
fans Charge , & fans Emploi. Mais fon miniftére étoit encore 
néceflaire à fes Freres. | 

Les avantages qu'il avoit procurés à‘toute la Province pen- 
dant les huit années qu'il en avoit eu l’adminiftration , porté- 
rent les Supérieurs à lui en donner une feconde fois la con- 
duite : & à ne refufa point le travail. Déja chargé d’infirmi- 
tez , mais rempli de zéle, il recommença fes vifites dans tous 
les Royaumes d'Efpagne : & fes courfes fantifiées par un ef- 


prit de facrifice , produifoient toujours de bons fruits. Il inf- 


truifoit les Fidéles : il édifioit fes Religieux : les plus fervens, 
ou les plus fpirituels , trouvoient toujours dans fes éxemples 
de nouveaux motifs de s’animer à une plus haute perfec- 
tion. Sévére à lui-même & à fon corps , 1l n’étoit pas moins 
compatiflant envers les autres : cette douceur, dont la cha- 
rité étoit Le principe, n'ôtoit rien à la vivacité du zéle , quand 
il s’agifloit d'écarter , ou de prévenir les abus , qui auroient pû 
énerver la vigueur de la difcipline. L’atention particuliére du 
Bienheureux Gilles à former la jeuneffe à la Élide iété , à 
faire fleurir les Etudes , fur-tout celle des Saintes Ecritures ; à 
augmenter toujours parmi les MP cie l'efprit apoñtolique , 
l'amour de la priére, & le zéle de la prédication : cette fage 
atention atira br lui-même, & fur fes Fréres tant de bénédic- 
tions, qu’il n’y avoit point de Couvent, qui ne püt fe glori- 
fier d’avoir des Saints, &' des Savans. C’eft ce que le pieux 
Provincial eut la confolation de reconnoitre en parcourant 
l'une & l’autre Caftille, la Galice, le Portugal, l’Aragon, 
l'Andaloufie , & la Principauté de Catalogne. 

Arivé à Barcelone , après avoir joui pendant quelques 
jours de la converfation de faint en de Tr. il 
s'embarqua pour aller faire la vifite des Couvens de l'Ile de 
Majorque. ee ce paflage , Dieu glorifia fon Serviteur par 
un trait de miféricorde , qui fit beaucoup éclater fa fainteté , 


-DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 89 

& fervit en même tems à la converfion d’un pécheur fcanda- 
leux. Dès le commencement de la navigation , l’un des paffa- 
ers étant venu à éternuer, les Matelots, par une ancienne 
f, erftition ; dont on atribue l’origine à Timothée (1) , Gé- 
néral des Athéniens , regardérent une chofe fi naturelle , com- 
me un très-mauvais augure , qui les menaçoit tous de quelque 
prochain malheur. Chacun commença à craindre: quelques 
riches Marchands qui fe trouvoient de la compagnie , paru- 
rent plus timides , ou plus alarmés que les autres: à leur fo- 
licitation , le Capitaine réfolut de faire rentrer fon vaifleau 
dans le Port, & de diférer la navigation de quelques jours. 
Le faint Provincial combattit avec force cette ridicule fupert- 


LIVRE 
I. 


Le B. GILLES 


DE STE-ÏRENE. 
En | 2 





XXIII. 
Ridicule fuperfti- 
tion, que le Saint 
combat avec force. 


tition (2) ; il fit changer de deffein, & fur fa parole on remit 


à la voile pour continuer la route. Mais une vieille erreur 
avoit jété dans ces efprits crédules de profondes racines: & 
_il parut bien-tôt qu'ils n'étoient point revenus de leurs anciens 
préjugez. | | | | 
À peine avoit-on perdu de vüë le port, & les rivages de la 
Mer, qu'on fe trouva acueilli d’une violente tempête. Les 
vents & les flots étoient f1irrités, &°le danger de périr parut 
fi. prochain , que l'habileté du Pilote, & tous les éforts des 
Matelots furent à bout. Epuifés, & intimidés , ils ne voyoient 
plus de reflource ; & l'orage fembloit augmenter de moment 
en moment. Îl n’en falloit pas tant , pour confirmer des gens 
groflers dans une fuperftition , que le Serviteur de Dieu avoit 
entrepris de combattre , ni pour exciter contre lui les plain- 
tes , ou les murmures de ceux qu'il avoit voulu inftruire. Les 
uns remplifloient le vaiffeau 4 cris & de confufion ; les 


+ 


XXIV. 
Violente tempé- 
te, qu'il apaifc par 


fa pricre. 


autres, dans un morne filence, hors d’efpérance d’échaper 


au péril, n’atendoient que le moment fatal, qui alloit les 


précipiter dans les abimes ; & ils croyoient ce moment déja 


arivé. Le Saint cependant redoubloit l’ardeur de fes priéres , 
fans laiffer afoiblir fa confiance par la grandeur du péril, & 
fans fe plaindre des infultes qu’on lui faifoit, comme s’il eût 
été la caufe, ou l’ocafion du malheur, dont on étoit menacé. 
Un de la compagnie , homme naturellement emporté, & ca- 
pable des derniers excès , peu content de vomir toutes fortes 
(1) Cælius Rodiginus Lib.IV,Antiq. leétion. | .... fomnia & auguria rem cie vanitatis 
Cap.xxv11,à Timotheo Athenienfium Duce pleniffimam , adeoque ab iis qui Chriftum 
originem accerfit fuperftitiofæ hujus obfer- | profefli eifent oportere effcomnino alienam. 


vationis. dD4n. Papebroc, ut Jp. p. 415. Obtemperatum illi eft, pudore tamen magis 
(2) Tum vir Dci cæpit admonere omnes | quamvoluntate, Ibid.p. 413 ,n.26, 


Tome JL. 


Livre 
I. 


Er 
LE B.GiLLes 
DE STE-IRENE. 


. ER 
| 


00 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 

d’imprécations contre le faint Religieux , il prefloit vive- 
ment les autres de le féter dans la Mer , afin de fauver , 
difoit-il , la vie à tant d'innocens par la perte de cet autre 
Jonas (1). | | e 
Ainfi menacé de deux côtez ; & plus afligé encore de voir 
laveuglement d’un Chrétien, qui craignoit la mort, & qui 
ne craignoït point la damnation ; le Difciple de JEsu s- 
CHRIST levant fes mains au Ciel , fit tout haut cette priére : 


: Seigneur , Dieu tout -puiflant , &:toujours miféricordieux , 


e 

If porte un vindi- 
catif à fe réconci- 
lier avec fon enne- 
mi, 


eg donc que l'ennemi de votre 


loire fe joue de 
a fimplicité de ceux qui vous adorent ? ue qu'il 
nous fafle ainfi périr us les flots , pour entretenir dans une 
criminelle fuperftition tous ceux qui aprendront que nous 
l'avons méprifée , & que nous avons été fubmer FA Poe 
vous, Seigneur , vous feul pouvez nous fauver À es à 
commandez encore une fois aux Vents, & à la Mer, & la 
tempête ceflera (2). | 
Elle ceffa en éfet avec la prière du Serviteur de Dieu. Et 
ce changement auffi fubit , que peu atendu par la plupart , en 
produifit un autre dans l'efprit h tous ceux qui fe trouvoient 
dans le vaifleau. Revenus en même tems ri Je frayeur, & 
de leurs injuftes préventions contre le Saint ; ils fe jétent tous 
à fes piés; ceux-là lui baïfent avec refpeét les mains, ou le 
bout de la robe; ceux-ci l'apellent leur libérateur, & leur 
pere. Pendant qu'il les exhorte à rendre à Dieu feul leurs juf- 
tes aétions de grace, & à ne le regarder lui-même que comme 
un miférable pécheur ; celui qui lavoit le plus cruellement 
infulté , confus de fes propres excès , le conjure avec larmes 
de vouloir les oublier , & de lui obtenir de Dieu le pardon 
de fa faute. Je ferai volontiers, répond le Bienheureux Gil- 


(x) Fœdà igitur tempeftate jactati, cum fa- | qui in fux mortis ante oculos pofitæ Aucto- 


Juti defperarent,ex mercatoribus unus,quem 

ræ cæteris impudens infania , promptum- 
que ad facimus ingenium fecit audaciorem ; 
iracundo , ac infolenti vulru virum Dei, 
cjufque focios probris inceffere eft adorfus , 
nullis parcens verbis , quantumcumque in- 
honeftis; fe & cæteros multum redarguens, 
qui ftulti cucullari unius fermonibus perfuañ 
‘in præfens & incvitabile mortis periculum 
deveniffent , nec crcdidiffent {ternutationi- 
bus , rei multis ante4 experimentis compro- 
batæ. Eroo ftultitiæ dignas fe pœnas dare : 
ftultiores camen cfle nimiumque ignavos, 


res neque vindicarent » Heque in mare proji- 
cerent. Vixque facrilegas manus à fcelere 
temperabat. Ap. Boll. p. 413,9. 16: e 

(1) Hæc Ægidius cum audiifer, videret- 
que informem undique tempeitatem , ex- 
pandens manus ad Cœlum, placet ne, ait, 
tibi Domine , ut fæviflima Fe maris pro- 
celà obruamur, & vincat malignus augu- 
riorum oftentator ? Succurre quæfo fervis 
tuis, Domine Jefu, cujus potentiflima eft 
manus , fiveinterra, fivein mari, ad dan: 
dam in extrema defperationc falftem. Ibid, 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 9: 


les, ce que vous demandez , fi dès ce moment vous patdon- 
nez vous-même à votre ennemi (1). : 

Ce Négociant avoit été dangereufement bleffé dans une dif- 
pute qu'il eut avec un autre Citoyen de Barcelone , fon pro- 
che parent. Leurs querelles , & leurs animofitez.croiffant tou- 
jouss avec fcandale , les principaux de la Ville s’étoient em- 
ployés pour les réconcilier , afin de prévenir les fuites encore 
plus funeftes , que l'on devoit craindre. Mais tout ce qu'ils 
avoient pû fire ou tenter , étoit toujours demeuré fans éfet ; 
&c la médiation de l'Evêque de Barcelone , n’avoit pas mieux 
réufli. Le fuperbe Catalan, infléxible aux priéres , & réfolu 
de fe venger , au rifque de fe perdre lui-même pour le tems 
&c pour l'éternité , n'atendoit que l’ocafon favorable pour fe 
défaire de fon ennemi. Ce violent défir de vengeance le fui- 
voit par-tout : & avec ces difpofitions , il étoit entré dans le 
me 4e Mais la vûé de la mort, venoit de le difpofer à des 
fentimens plus chrétiens. La Grace dans ce moment agiffant 
avec plus de force dans fon cœur , il répondit aufli-tôt, que 
pour obtenir le pardon de fes crimes trop multipliés , il acor- 
doit volontiers fon amitié à celui qui l’avoit ofenfé ,‘ promet- 
tant de vivre déformais avec lui, comme avec fon Le , & 
de le traiter toujours comme fon ami. Une telle converfion 
redoubla la joye de tous ceux qui en étoient témoins : on re- 
commença les a&tions de grace , & on acheva heureufement 
la navigation. , 

Le pieux Provincial , pendant le court féjour qu'il fit à Ma- 
jorque, mit tous fes momens à — » Pour ranimer , ou fou- 
tenir la piété de fes Freres , & partager avec eux le travail 
de la Mifhion. Il n’y avoit pas encore dix ans que les Chré- 
tiens , fous les Enfeignes du Roi d'Aragon, étoient rentrés 
dans cette [fle ; & nos Prédicateurs , chargés d’y rétablir la 


(1) Hzæc ubi eretis furfum oculis, au- 
dientibus cun@is verbs protulit, repentè à 
furore fuo Retit mare , & filentibus ventis 
undæ refederunt. Ad tam miram rem atto- 
niti qui in navi crantomnes , paulatim à me- 
tu refpirantes , accurrerunt ad virum Dei, 
atque ali manum ad ofcula ut porrigeret de- 
precabantur , alii vero fimbrias terigiffe pal- 
ji fatis utique habebant. Præter tamen om- 
nes mercator ille , prius infolens , pœniten- 
tià facti ac pudore confufus , procubuit ad 
genua , interque fingultus maximos veniam 


Poftulabar. Ignofcam tibi, inquir Ægidius, 


fi & ipfe iis qui adverfum te pæcaverunt, 
ignoveris : fi quidem homo ille incxorabi- 
les gerebat inimicitias cum cognato fuo, à 
quo percuffus in capite graviter fuerat. ... 
fui ulcifcendi tempus & occalionem odio ca- 
pitali obfervabar. At nunc vicæ , quæ defpe- 
rata paulo ante fuerat, reftitutus, ad hxc 
tactus Religionc , & in peccati fibi iÿnofcen- 
di fpem fublatus , animi duritiem fregit, 
veteremque offcnfam cognato in Sanéti viri 
É gratis remifit , &c. Ap. Boll. ue 
Pe D, 27e 


M ï 


LIivere 
I. 


Le B. GILLES 
DE STE-IRENE. 
Re 








XXVI. 
Ce au'il fait dans 
l'Ifle de Majorque. 


_ 9% HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE Religion, ne cefloient de catéchifer ou d'inftruire les an- 
L. . ciens , & les nouveaux Habitans. Ceux-là avoient toujours 
LeB.Giires Vêcu dans une profonde ignorance des Véritez de la Foi ; & 
pr Sre-Inene. les mœurs de céux-ci n’étoient guéres moins corrompués, 
mme ar celles des Infidéles. À tout cela , ils ajoutoient les uns 
les autres une infinité de vaines fuperftitions , depuis long- 
tems confacrées parmi les Maures, & reçüës pour la plüpart 
par des Chrétiens peu inftruits de la pureté de l’'Evancile. 
Ce fut à déraciner ces vices & ces erreurs, que Gilles de Sain- 
te [rene s’apliqua avec tant de zèle, qu'il foutint par fon cou- 
tage celurdes autres Miniftres dela parole , & leur fit con- 
cevoir de meilleures efpérances. 
| .  Revenuen dt ,ilfe difpofa au voyage d'Allemagne , 
XX VII. 4 / 

1 R red a Pour fe rendre au Chapitre général de fon Ordre, convoqué 
Chapitre général à Tréves l'an 1249. Ce fut le dernier où il aflifta. Ses prié- 
de Tres, oùil res réitérées , & fes vives inftances pour être déchargé du 
ait agréer {a dc- » : . : , . | 
pes foin de la Province d'Efpagne , firent également admirer for 

humilité , & fon amour pour la régularité. Toujours pénétré 
de la vüë de fon néant, il ne pouvoit ni oublier les premiers 
égaremens de fa jeunefle , n1 fe voir fans confufion le Supé- 
rieur de tant de perfonnes', dont il croioit que l'innocence & 
les vertus lui reprochoiïent fon indignité. Il y avoit long- 
tems , ik eft vrai, qu'il remplifloit une place d'honneur que 
Fa feule obéïffance l’avoit forcé d'accepter : mais , bien loin 
d'aimer cette élévation , il ne s’y étoit jamais acoutumé. D'ail- 
leurs , fes rudes pénitences , & fes travaux continuels, joints 
à diverfes infirmitez , fembloient le metrre hors d’état de con- 
tinuer fes longs voiages à pié. Etil craignoit que les plus pe- 
tits foulagemens, CT étoit obligé d'en ufer, ne fuflent d'un 
mauvais éxemple , plus propre à afoiblir l'efprit de régulari- 
té, que tous fes foins ne pouvoient l'être à le conferver. 

On ne voulut point contrifter par un entier refus ce refpec- 
table Supérieur ; mais en le déchargeant du gouvernement 
d'une grande Province, on lui fit agréer la conduite de quel- 
ques on , qui profitérent encore pendant plufieurs 
années de la fainteté de fes éxemples. Les Peuples de Portu- 
gal ne retirérent pas de moindres avantages de fon Minifté- 
re ;il ne termina fes courfes apoñtoliques dans le-Dioéèfe 
de Lifbône , que lorfqu'entiérement épuifé , autant par fes 
pieds auftéritez que par le poids des années , les forces de 

on corps ne répondirent plus à la ferveur de fonefprit. Sa 








—— 


€ 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 093 
chere * retraite de Sainte Irene fut dès-lors fon Thabor : on 
peut dire auffi fon Calvaire. La Croix , dontil s’étoit char- 
gé à la fuite de JEsus-CHRIST , & qu'il porta fans fe lafler 
jufqu’à fon dernier foupir, l’avoit mis dans Ics difpofitions 
où il devoit être, pour recevoir les faveurs du Ciel, & cet- 
te abondance de graces, qui remplirent fon ame de confo- 
lation. | : | 

Dans un âge moins avancé , 1l avoit couru après ka brébis 
égarée ; & felon le précepte du Fils de Dieu , il s’éroit fait 
une obligation de chercher les pécheurs pour les ramener au 
devoir. Maintenant les pécheurs , touchés de quelque défir 
du falut , venoient le chercher , pour aprendre de lui la véri- 
table maniére d'y travailler. Cette odeur de fainteté , qu'il 
avoit répanduë au loin, atiroit au Monaftére de Santaren tous 
ceux qui avoient befoin d’inftruétion ou de confolation, 
Les plus grands Seigneurs , les Oficiers de la Cour , ainfi que 
les Ecléfiaftiques , fe mêloient fouvent avec le Peuple , pour 
marquer par leur empreflement à demander le fecours de fes 
priéres , par l’idée qu'ils avoient de fa vertu. Don Alfonfe III, 
donna des rt ps plus éclatans de fon afeétion particu- 
liére , & par les fréquentes vifites , qu'il rendoit au faint Vieil- 
lard , & par fon aténtion à tout ce qui pouvoit lui faire plai- 
fir : Il porta cette atention jufqu’à faire pratiquer auprès de la 
Célule du Pere Gilles , un lieu planté de diverfes efpéces d’ar- 
bres , & fermé par de hautes murailles ; où il pouvoit felon 
fes défirs fe dérober quelquefois à la vûë des hommes, & goù- 
ter en repos les douceurs de la contemplation (x). | | 

Ce fut dans cette délicieufe retraite, qu'il atendit comme 
un Serviteur fidéle, le moment où 1l plairoit au Souverain 
Maître de l'apeler à lui. Ce moment tant defiré ariva le jour 
de l’Afcenfion, quatorzième de Mai 116$. Le faint Homme 
étoit alors dans FA quatre-vingt-unième année , felon Cardo- 
fe ; ou dans la foixante-quinziéme , fuivant l’opinion qui pa- 
roit la plus commune. Un ancien Journal des Rois de Por. 
tugal , cité dans les AËtes des Saints , fait mention de cet heu- 
reux décès en cestermes : Sazrz Gilles, de l'Ordre des FF. Pré- 


cheurs , alla à Dieu le quatorzième jour de Mai , l'an de notre 


ædificari & plantari fecerat ; ut vel rclaxan- 
di animi, & quictius contemplardi causa 
illo Ægidius commearet. 4p. Bell. T. III, 


Mais, p.409, 7,1 3æ 
M ii 


(1) Erat domicilio viri Dei contiguus 
hortulus , altis parietibus circumfeptus , 
quem ill Rex (nam in magno apud illum 
honore, & in magna habebatur reverentia ) 





LIVRE 


nd 
LE B.GrLLes 


DE STE-IRENE. 





* XXVIII. 
Sa retraite. 


XXIX. : 


Sa réputation. 


XXX. 
Sa mort précieufe. 


LIVRE 
Le B.GiLzes 


DE STE-IRENe. 
Ron à 


À 





KXXI. 
Son Culte. 


Boll, p.402, fe, 


è 


04 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Jalut douze cens foixante-cing (1). On trouve dans les Archi- 
ves de l'Églife atédrale de Coimbre , un Calendrier qui mar- 

e la même chofe ; ajoutant -feulement que le Serviteur de 
Dieu , ayant été autrefois Chanoine , & Tréforier de cette 
Eglife , y avoit laiffé un revenu annuel de foixante livres , & 
une Terre avec tous fes droits , afin qu’on fit des priéres pour 
le repos de fon ame (2). 

Nous voyons ici une partie de ce que la piété éclairée du 
Bienheureux Gilles de Sainte Irene lui avoit infpiré, pour ref- 


tituer à l’Eglife de Coimbre les fruits qu’il avoit perçus pen- 


dant plufeurs années , fans y faire le Service , auquel fa qua- 
lité de Chanoine l'engageoit. Nous ne pouvons partis que 
cette reftitution n'ait ête faite dès le tems de fa converfion , 
quarante ans avant fa mort. Et il eft également hors de doute 
qu'il avoit aufli dédommagé les autres Eglifes , dont il avoit 
poflédé les Bénéfices , & retiré les revenus , ainfi qu'il a été 
dit au commencement de cette Hiftoire. | 

Mais les priéres, dont il vouloit être aidé après fa mort, 
furent bien-tôt changées en facrifices de louanges. L'éclat de 
fes héroiques vertus le faifoient apeler dès fon vivant l’Ange 
tutélaire du Royaume de Portugal. Dieu l’avoit honoré du 
don de Prophétie , & de celui de Miracles. Il s'en fit auf plu- 
fieurs à fon Tombeau. Tout cela donna aux Fidéles une fi 
haute idée de fa fainteté , que prefque dès fon décès , ils com- 
mencerent à l'invoquer , & à lui rendre un culte, que les 


 Eglifes de Portugal fuivirent ; & que le Saint Siége aprouva 


dans la fuite. Les Habitans de Sainte Irene le métent au ran 
de leurs faints Patrons : & les Evêques de Vifeo ont fixé fa 
Fête au Dimanche après l'Afcenfion, 


(1) Extat præterea antiquum Regum Lu- 
{itanorum diarium in Tumabenfi turri afler. 
vatum , in quo fi legitur : Sanctus Æpgidius 
Ordinis Prædicatorum migravit ad Chri- 
ftum, die 14 Maïi , anno Salutis 1265. 
Ibid. p. 402, n.5. 

(2) Denique in Calendario Cathedralis 
Conimbricenfis ifta habentur : Anno à Na- 


tivicate Domini 1265, decima quarta die | 


menfis Maii , in qua die tunc temporis oc+ 
currit feftufn Afcenfionis Domini, obiit Ma 
gifter Ægidius, Prefbiter , SE Cano- 
nicus Thefaurariusiftius Ecclefiæ : qui decef= 
fic Frater Prædicatorum, & reliquit Capitu- 
lo fexaginta Libras , & pro fuo Anniverfario 
hærediratem de Cernella, cum omnibus jus 
ribus , & pertinentiis fuit. Ibsdem, 


Fin du premier Livre, 





| 9 
ess sess 4,4,4.8 8 8 $,$;: à, 4,4,4,4,4,4,4,4, 4,2 4,4. 4, PA 


VAE SU RE 


RD TR RE 9 D VE Prends 


HISTOIRE 


D ES 


HOMMES ILLUSTRES 


DE L'ORDRE 
DE 


SAINT DOMIN IQUE. 


LIVRE SECOND. 


JEAN LE TEUTHONIQUE, 


E’VEQUE DE BOSNIE, LE'GAT DU PAPE, 
Er IVe GENERAL DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 


ES 








DER” UoiQuE rt Auteurs contemporains JEAN 1e Tru. 
PES 4h] ayent parlé des vertus, & des emplois de: rHowique. 
NB) Jean, furnommé le Teuthonique ou l'AL y 

) PE léinand, nous ignorons l’année de fa naif- | 





‘A \r du 4 


Humbertus, Th. 
Al fance, le nom, & la qualité de fes parens. cantimpr. Nic, Tri 


cel Il eft: certain qu'avant la fin du douzième DER 
GÈL fiécle (& felon Thomas de Catimpré vers 
r ns - H Wildesh É I. 
an onze cens quatre-vingts) 1 naquit à Wildeshufen (1), Patrie de Jean le 
Place d'Allemagne dans” la Weftphalie , entre l’'Evêché de sg 
Munfter, & le Comté d’ Oldembourg. 
Encore ; jeune, mais doué de plufieurs qualitez naturelles , 
(1) Certe Place avec fon rérivoire dépendoïs autrefois du Conxé d'Oldembourg.. Elle 


>, 


96 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE qui pouvoient le faire eftimer , il fut envoyé à la Cour de 
IL. l'Empereur Frederic IT , où fans laiffer aller A cœur à [a va- 
Jean Le Teu- nité à fiécle, il eut l'avantage de gagner la faveur du Prince, 
_ THONIQUE. À l'amitié des Grands. Ces commencemens de fortune ré- 
"==" pondoient aflez à l'ambition de fes proteéteurs, & de fes amis. 
“IL ais une lumiére plus pure lui fit comprendre que le Ciel ne 
Re l’apeloit point à la Cour. Aufli-tôt il abandonna un pofte tou- 
reur, jours dangereux , pour aller continuer fes Etudes dans l’'Uni- 
II. verfité de Bologne. Il s’y fit un nom parmi les Savans. 
ILSen retire, & Déja bon Theologien, habile Canonifte, & fort verfe 
HÉROS ER dans la fcience des Loix Civiles, fa capacité, & la pureté de 
fes mœurs le mirent en réputation à la Cour du ne, On 
rétend qu’il étoit honoré de la qualité de Pénitencier dé Sa 
ar , lorfque Saint Dominique, fur la fin de 1219, com- 
mença fes ss dans la Lombardie. La parole de Dieu 
IV. dans la bouche de cet Apôtre fit d'abord de fortes impreflions 
Ils aache à faint fur un cœur , que la Grace avoit préparé. Le pieux Allemand 
bn Le n'eut pas plutôr eñténdu le faint Fondateur , qu'il réfolut de 
s’ttacher à lui, de le fuivre , & de limiter. Malgré la corrup- 
tion du fiécle, & les pièges toujours tendus à ceux qui fré- 
quentent la Cour des Princes , le Serviteur de Dieu avoit 
confervé fon innocence dans celle de Frederic. Mais dans le 
Cloître , il ajouta à fes premiéres pratiques de piété ,une plus 
févére mortification des fens & des pafñons : & il confacra 
fa liberté par le facrifice qu'il en fit. Lorfqu’il embraffa l'Infti- 
tut des FF. Prècheurs en 1220, 1l étoit âgé de plus de trente 
ou de trente-cinq ans. Auf fes talens naturels, cultivés par 
l'étude , & perfeétionnés par la facilité de parler plufieurs lan- 
gues , le mirent-ils erétat d'entrer prefque d’abord dans le 
__  miniftére de la prédication : il l'éxerça avec beaucoup de fruit 
Commencement en Italie, en Allemagne, en Hongrie, en France , & dans 
res tavauxapo- plufieurs autres Provinces de la Chrétienté (1). 
ques. / . . , °! 
| ._ Selon le témoignage de Thierry d’Apolde , les premières 
Mifions de ce fervent Religieux OR AE dans le Dio- 





fut depuis acordée aux Evêques de Munfter, 
qui l'engagerent à l’Archevêque de Breme. 
Le Roi de Suéde s'en mit en poffeflion en 
vertu du Traité de Weftphalie. Mais par ce- 
lui de Niméoue, elle Fe réiinie en 1679 à 
l'Evéché de Munfter. Cette remarque fufit , 
pour concilier les fentimens des Auteurs tou- 
thant la Patrie de Jean le Teuchonique. . 
(1) Frasèr Jonnnes Teutonicus..,,d4e 


oppido, quod dicitur Wildeshufen orinndus, 
antiquus valdè in ordine fuit receptus. Hic: 
Pradicator egregius in mulris linguis, Tex- 
tonicæ, Italica, Gallica, y Latina, mul- 
tum fructum fecit in diverfis partibus pradi. 
cando ; propterea juit multorum Cardina- 
lium Socius, y Pœnitentiarius in Legations- 
bus Papa. Humbertus in Chroni. ap. Echard. 
T. I > P-I1 le | : 


cèfe 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 97 


cèfe de Conftance. Il les continua dans l'Autriche, & dans 
les pays voifins ; où également apliqué à inftruire les Fidèles , 
&c à les édifier, il fit un grand nombre de converfons , & di- 
vers Etabliffemens pour les Religieux de fon Ordre. On lui 
atribue en particulier la Fondation du Couvent de Straf- 
bourg Fan Bafle-Alface. La profonde ignorance , où vi- 
voient alors la plupart de ces Peuples , & le déréglement de 
leurs mœurs , autorifé par le malheur des guerres, fourni- 
rent une grande matiére à fon zéle, & à fa patience. Il donna 
de beaux éxemples de l’un & de l’autre. 

Rapelé enfuite en Italie, Gregoire IX le confirma dans la 
Charge de Pénitencier, dont il avoit été revêtu par le Pape 
Honoré III. Il remplit cette place avec beaucoup de fageffe, 
& de réputation. Mais le zéle du falut des ames l'apeloit ail- 
leurs. Senfiblement touché du trifte état, oùilavoit vû l’éxer- 
cice de la Religion dans tous les Païs, qu'il venoit de par- 
courir , il fouhaitoit avec ardeur de confacrer fes travaux à 
l'inftrudion , ou à la converfion de tant de peuples ; & la Pro- 
vidence fit naître une ocafion favorable à l’acompliffement de 


{es défirs. Les Cardinaux Conrad , & Otton de Saint Nico- 


las , ayans été nommés Pr du Saint Siége vers les Princes 
leur aflocia fon Pénitencier , qui 


d'Allemagne , Gregoire I 
fut le compagnon de leurs travaux & de leur Légation. L'u- 
nion très-intime , qu'il contraéta dès-lors avec ces deux illuf- 
tres Perfonnages , ne dura pas moins que leur vie. 

Pendant que les deux Cardinaux, dans les Cours des Prin- 
ces Chrétiens , cherchoient les moyens de lever , & de faire 
fubfifter les Armées , qu’on fe propofoit d'envoyer au fecours 
de la Paleftine , notre zélé Prédicateur ne s’ocupoit que du 


foin d’anoncer aux Fidéles les véritez du falut, de leur ex- 


liquer les maximes de l'Evangile, de les exhorter à prévenir 
js colére du Seigneur , ou à l’apaifer par des fruits d gnes de 
pénitence. Îlreprenoit avec une liberté apofñtolique les vices 
des grands & des petits : & ikn'oublioit rien pour les porter à 
tourner contre les ennemis du nom Chrétien , les armes dont 
is ne fe fervoient Que pour fe détruire les uns les autres. En 
cela, 1l fe propofoitun double avantage. L'humiliation des In- 
fidéles, dont 1l falloit arêter les progrès, paroifloit être le 


Livre 
Il. 


JEAN LE TEUu- 


THONIQUE. 
D. . :. 4 








VI. 
Le Paoc Grepoi- 
re IX l'afocie à 


fes Légats. 


VII. 

Ses Prédications 
dans diférences 
Provinces d'Alle- 
magne. 


principal objet de fes prédications. Mais la paix, qu'il s'éfor-" 


çoit de rétablir parmi les enfans de l'Eglife , en faifant ceffer 
leurs ge & leurs querelles, étoit un autre bien en- 
ome À, 


LIVRE 


JEAN LE Tevc- 
| THONIQUE. 
D 





Ja Vit. Fratr. 


VIII. 
Fruits de fon mi- 
niftére » & de {es 
prires, 


98 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


core plus défirable , & plus précieux. Le zéle du Miniftre de 
JEsus-CHRIST ne fut point fans fruit, ni aufli fans contra- 
diétions. Un Auteur du treiziéme fiécle raporte deux faits, 
qui doivent être placés en ce lieu. 

Dans le tems, dit le Pere Humbert, que Jean le Teutho- 
nique , depuis Général des FF. Prêcheurs, prêchoit la Croi- 
fade dans le Pais de Bâle, pour la défenfe , ou le reçouvre- 
ment des Lieux Saints ; il ariva qu'un Bourgeois & uñ Cha- 
noine ayant pris la Croix, la Femme de çe Bourgeois, qui 
étoit en même tems la mere du Chanoine, en fut fi troublée, 
qu'elle s'emporta avec fureur çontre le Serviteur de Dieu, & 
le chargea de malédiétions. Mais le châtiment fuivit de près le 
crime ; & le repentir fit cefler le châtiment. La main du Sei- 
gneur frapa tout d'un coup cette femme emportée , d’une 
maladie , qui l’obligea de reconnoître fa faute, & de s’humi- 
lier aux piés du charitable Prédiçateur , qui la confola avec 
bonté, pria pour elle, & en lui impofant les mains, la réta- 
blit dans fon premier état. Le Chanoine , témoin de cet événe- 
ment, fe confacra pour toujours à la pénitence, & aux tra- 
vaux de l’Apoftolat dans l'Ordre de Saint Dominique. 

Lorfque le Peuple s’aflembloit un autre jour dans une Plai- 
ne, A 2 le Teuthonique étoit atendu, un Gentilhomme 
qui avoit choifi le même lieu, pour un combat fingulier avec 
un de fes ennemis, y ariva avant le Prédicateur : fon inten- 
tion n'étant point d'écouter les paroles du falut , mais de rem- 
plir fon défi, il fit tous fes éforts pour obliger les Fidéles de 
fe retirer : & lorfque la prédication fut commencée , 1lne crai- 
anit point de la troubler en diférentes maniéres. On l'avertit ; 
on le pria fouvent de ne sage interrompre une aétion fi fainte. 
Mais il n'écoutoit pas les avertifflemens ; & 1l méprifoit les 
priéres. Alors le zélé Prédicateur en adreffa une plus éficace à 
celui , dont il étoit le Miniftre: Sergneur , s'écria-t'il, vous 
étes tout-puiffant , faites donc ce que nous ne pouvons faire. Sa 
demande eut tout fon éfet. Le Gentilhomme devenu plus do- 
cile, décend auffi-tôt de cheval ; fe mêle parmi les Auditeurs ; 
&c après la prédication , déja réconcilié avec fon ennemi , 1l 
prend lui-même la Croix, pour marcher au fecours des Chré- 
tiens dans la Paleftine. 

.… Quelque ardent que fut le zéle de Jean le Teuthonique , il 
étoit toujours réglé par la prudence. Comme il n'ignoroit pas 
les ménagemens que la Religion , & la raifon nous obligent 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 9 ee 
de garder avec ceux , que Dieu a élevés au-deflus du refte des LIVRE 
hommes, c’étoit toujours en fecret qu'il reprenoit Frédéric IL, Il 
des défordres de fa vie , & furtout de fon extrême impudicité. Jzan LE Teu- 
Il croyoit que les bontez, dont ce Prince l’honoroit, & les rHonraue. 
faveurs qu'il en avoit autrefois reçüëés , l'engageoient à tra- 2 
vailler plus fortement à fon falut, & devoient ôter à fes cor- IX. 
reétions ce qu’elles pouvoient avoir de trop hardi. Frédéric  Iltravaille avec 
! , Y =: . rt >! r prudence ; mais 
en éfet n’en paroïfloit point ofenfé. Il l’étoit del eme RE- fruit, à la con- 
folu de vivre toujours comme il avoit fait, ce Prince s’ima- verfon de l'Empc- 
gina que le plus für moyen pour fe délivrer d'un cenfeur in- ** FÉES 
commode, étoit de le rendre fon complice. Une de ces per- 
fonnes , qui fervoient à fes plaifirs , ne refufa pas de fecon- 
der fes deffeins les plus criminels. Mais ce qui étoit pour un 
Prince voluptueux , un piège, où il fe trouvoit toujours pris, 
ne fut pour le Difciple de JESUS-CHRIST mg ocafion de 
rendre plus éclatante , & fa vertu, & la force de la Grace 
ui le fe triompher. Cette épreuve augmenta fa réputation. 
t, felon le témoignage de Thomas de Catimpré , il n’y avoit 
point dans l’Eglife de faint Perfonnage , pour qui cet Empe- 
reur marquât depuis plus d'eftime , ni une confiance plus par- 
faite (1). Heureux s'il avoit fçù la faire fervir à fon aman- 
dement ! .. 
Pour repréfenter ici la fuite des Miffions du Serviteur de 
Dieu , il faudroit faire l'Hiftoire du Cardinal Otton, qui  * … 
: . cs ocupations 
arcourut prefque toutes les Provinces d'Allemagne , & du dansies Royaumes. 
phtes -} * Pehqe , travaillant partout à réformer les du Nord. 
mœurs des Peuples, ou à rétablit la difcipline écléfiaftique : 
extrémement déchuëé. Jean le Teuthonique , fuivant les in- 
tentions du Pape, aidoit le Légat de fes confeils, ou de fon 
miniftére. Et on peut affürer que la fainteté de fes éxemples, 
fa modeftie , fon parfait défintéreffement , & fes rigoureufes 
pénitences contribuoient encore plus que fes difcours , à faire 
obferver , tant par le Cleroé , que par les fimples Fidéles, 
les réglemens de réforme publiés par le Cardinal. | 
Nous croyons que ce fut après le Chapitre Général de fon 
Ordre, tenu à Paris au mois de May 1228 , que notre zélé XL. 
Prédicateur entra dans le Royaume de Hongrie, pour fuc- de d 
céder au Bienheureux Paul , premier Supérieur de cette Pro- ? 
vince, homme apoftolique, dont le zéle pour la propagation 
de la Foi , venoit d'être récompenfé de la Couronne du Mar- 


() Uc vix ulli tantum in Ecclefa Sanéta crediderir. Th. Canrimp. L. IT , de apib, c. 5. 
1] 








JEAN LE TEu- 
THONIQU'E. 
D 





100 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


tire. On a remarqué ailleurs que dès le 21 de Mars 1228, k 
Pape Gregoire IX avoit adreflé fes Lettres apoftoliques au 
Bienheureux Jourdain de Saxe, pour l'exhorter à envoyer 
inceflanment dans cette Miffion des hommes puiffans en œu- 
vres , & en paroles. Jean le Teuthonique fut de ce nombre. 


 Deftiné à faire fleurir la régularité parmi fes Freres , & à anon- 


XII. 

Il eft fair Evèque 

de Fofinie, & Lé- 
gat du Papc. 


cer avec eux l'Evangile à des hommes auffñ groffiers que cor- 
rompus , 1] fe dévoua avec zéle à ce pénible travail. Si par la 
négligence des anciens Auteurs nous ignorons le détail de fes 
attions dans le double emploi, dont il étoit chargé ; nous 
favons du moins qu'il en remplifoit tous les devoirs avec tant 
de fuccès, qu'il fe concilia pr l'eftime du Roi de Hon- 
rie, & mérita les nouvelles atentions du Vicaire &e JEsUs- 
HRIST. 
La Bofnie , aujourd’hui fous la puiflance des Turcs, faifoit 
alors partie du grand Royaume de Hongrie. Et cette Provin< 
ce, qui avoit fuivi la doëtrine , ou le fclufme des Grecs, juf- 


qu’au commencement du treiziéme fiécle, Em du Pape In- 


_nocent III un Evêque Latin, dont les Succeffeurs employé- 


Fhuri, Hift. Æccf. 
Erv. Lx VUE, 7 19. 


rent le miniftére de nos Miffionaires, pour inftruire leurs Peu- 
ples des véritez-de la Foi Catholique , & des pratiques de l'E- 
glife Romaine. Notre zélé Provincial avoit déja étendu juf- 
ques dans ces païs fes travaux apoftoliques , lorfque Le Sou- 
verain Pontife le fit monter fur le Sièce Epifcopal, vers l'an 
1232. L’aupufte caraétére , dont il fut honoré, malgré tout 
ce que la modeftie lui fit employer pour s’en défendre, & la 
sut de Légat Apoftolique, É Pape y ajouta, ne fer- 
virent qu’à lui faire redoubler fa vigilance, l'aétivité de fon 
zéle, & fon aplication au travail. | 
Dans la conduite du nouvel Evêque de Bofnie, Gregoi- 
re IX vit avec plaifir la preuve de ce, qu'étant encore Cardi- 
nal , il avoit dit à faint Dominique, & à faint François. Ces 
faints Patriarches ne fouhaitoient à leurs Enfans , qu'une éxac- 
te fidélité à leurs Régles, & la perfévérance dans leur état. 
Pour moi, ajouta le Cardinal Hugolin , je fuis afluré que vos 
Difciples, s'ils étoient élevés aux dignitez de l'Eglife, gou- 
verneroient leurs Peuples comme ont fait les Evêques des pre- 
miers tems, ces véritables Succeffeurs des Apôtres, qui 
une grande pauvreté, toujours animés d'une charité ardente 
& fincére, ne penfoient qu'à conduire les Fidéles à Dieu, à 
atirer les Infidéles à la Foi , à édifier Les uns & les autres par 


DE L'ORDRÉ DE S$. DOMINIQUE. 101 


leurs inftruétions , & par la fainteté de leurs éxemples. C'eft 
précifément le portrait que Thomas de Catimpré, Auteur 
contemporain , nous a fait du faint Evêque de Bofnie. Tou- 
jours pénitent , toujours févére envers lui-même ; mais brû- 
lant de zéle pour la gloire de Dieu, & l'honneur de l'Eglife ; 
plein de douceur pour fes Freres, de compafñfion pour les 
afligés , & de charité pour les pauvres ; 1l inftruifoit ceux-là 
avec bonté, s'afligeoit avec ceux-ci , les confoloit par la 
part qu'il dites Fes peines ; & 1l répandoit dans le fein des 
derniers des aumônes , que fa vie très-auftére lui permétoit de 
rendre fort abondantes (1). 

Pendant cinq ans qu'il gouverna ce vafte Diocèfe , depuis 


l'an 1232 jufqu'en 1237, ilen fit plufeurs fois la vifite, & tou- 


jours à pié, n'imitant pas moins la fainte fimplicité , que le 
zéle , & la charité des Apôtres ; ne ceflant de prècher , de 
catéchifer , de corriger les abus , de eombatre également le 
vice & l'erreur , le Éhifne , l'héréfie ; l'impiété , FA les fuper- 
ftitions ; il adminiftroit lui-même les Sacremens ; & après lé 
miniftére de la prédication , dont il faifoit fon capital , 1l don- 
noit fes foins , tantôt à relever les Eglifes , que les Payens ou 
les Hérétiques avoient abatuës ; tantôt à les pourvoir de Mi- 
niftres , de vafes facrés , d'ornemens , & de tout ce qui pou- 
voit être néceflaire à la décence du Service Divin. Lo 
fes revenus ne fufifoient point à de fi grandes dépenfes , les 
Princes & les Seigneurs Catholiques fuivoient fans peine 
Féxemple que leur donnoit un Pafteur , qui favoit fe dépouil- 
ler lui-même, ou pour revêtir les membres de JEsUs-CHRIST, 
ou pour orner la Maifon du Seigneur. Dans toutes ces ac- 
tions de charité & de Religion, il étoit plus particuliére- 
ment fecondé par la piété de Coloman , Duc d’Efclavonie , 
dont le zéle à ramener dans le fein de l’'Eglife ceux que l’hé- 
réfie , ou le fchifme en avoient féparés , eft fouvent loué dans 
les Brefs de Gregoire IX. Le Seigneur bénifloit les intentions 
& les travaux de notre Prélat. On verra par les Lettres du 
Roi, & de la Reine de Honggie ( que nous traduirons à la fin 
de cette Hiftoire) , dans quelle haute opinion de fainteté il 


étoit à la Cour du Prince, & parmi les Fidéles de fon Dio- 


cèfe , ou plûtot chez tous les Peuples du Royaume. 


(1) Cum haberet in Epifcoparn plufquam 
oûo millia Marcharum in redditibus , in 


ufus ramen proprivs quafi nihil inde expen- 


debat, fed omnia pauperibus <rogabat. Ode: 
ri. Rain. 44 Ann. 1153, n. 15, ex Ib. 
Casimpr, L. II, de apsb. c. S7.. | 


Ni 





LIVRE. 
II. 


JEAN LE TEU- 


THONIQUE. 
D À 





XIII. 
Vertus Epifcopa- 
les du Serviteur de 
Dieu ; zéle, vigi- 
lance, charité, &c. 


Odoric. ad An,1238% 
A. $ 3e 


LIVRE 
II. 

_ JEAN LE TeEu- 
THONIQU'E. 
| 

* XIV. 
Humilité du faint 
Evèque, 


+ XV. 
‘Il obtient la per- 
miflion d'abdiquer 
fa Digniré. 


Jbid, n. $4. 


XVI. 
On l'oblige d'ac- 
ceprer la Charge 
de Provincial de 


Lombardie, 


162 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
* Bien éloigné cependant de s'atribuer ce que le Seigneur fai- 
foit de nn ar fon miniftére , ou d’être flaté par les louan- 
ges qu'on lui nd , 11 trembloit fous le poids de fa Charge, 
is qu'il s'imputoit à lui-même tous les maux , que fa vigi- 
ance ne pouvoit prévenir, ou empêcher. f De-là les priéres 
réitérées , & les vives inftances , qu'il ne ceffa de faire auprès 
du Saint Siège , jufqu'à ce qu'il eût enfin obtenu la permiffion 
d'abdiquer r Dignité , pour fe remettre dans fon premier état 
de fimple Religieux. 5 Pape Gregoire IX , qui confervoit 
toujours pour lui autant d'amitié , que d’eftime , en lui acor- 
dant cette permiflion, nomma le Pere Ponza , autre Domini- 
cain , pour ocuper le même Siège , avec la même qualité de 
Légat apoftolique. Quelque réel que fût le mérite de celui- 
ci, les anis regrétérent long-tems fon illuftre Prédécef- 
feur. Ils avoient fouvent éprouvé l'étenduë de fa charité ; 
mais ils ne connurent jamais mieux qu’en le perdant , juf- 
u’où aloient fon défintéreflement , & fa profonde humilité. 
quita un riche Evèché, fans vouloir fe réferver, ni foufrir 
même qu’on lui affignât la plus petite penfion (1). Er l’extré- 
me difproporrion qu'il croioit voir entre fa Charge & fa ver- 
tu ; ou la crainte du comte terrible, que le fouverain Paf- 
teur demandera à ceux à qui il a confié le falut des ames ra- 
chetées au prix de fon fang, furent les feuls motifs, qui le 
firent décendre du Trône Épifcopal. 
Aufñ le vit-on reprendre toutes les pratiques du Cloitre 
avec tant de ferveur , que fon éxemple fervoit à animer la 
iété, & le zéle des autres. C’étoit toujours par l’oraifon qu'il 
fe préparoit au faint Miniftére de la parole. Et après la prédi- 
cation , il revenoit à la prière, le plus ordinaire , comme le 
plus doux délaffement de fon efprit. Le tems qu'il donnoit à 
un éxercice qui nous aprend à connoître Dieu & à l'aimer, 
lui paroifloit toujours trop court. Conftant dans la pratique 
d'une humilité fincére , d’une obéïffance fimple , & d’une cha- 
rité parfaite , l’augufte dignité qu'il venoit d'abdiquer , ne lui 
fervit jamais de prétexte , pous fe difpenfer d’un feul point de 
fa Régle. La feule ocafion où il parut fe fouvenir qu'il étoit 
Evèque , il la trouva dans le Chapitre Général de Bologne, 


(1) Cüm effet Prior Provincialis in Hun- | vifione retentà ad Fratrum humiliratem, & 
aria fatus eft Epifcopus Boffinenfis fed | confortium eft revcrfus ) Mancns inter illos 
ftmodum poft mulraminftantiam obtinuit | tanquam unus ex illis. Hwmbert, in Chron. 

à Papa Gregorio ceflianem ; & nullà pro- | #p. Echard, T.Ï,p.111. 


- BE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 103 


lorfqu'on voulut le charger du gouvernement de la Province 
de Lombardie. * Après avoir inutilement a A les priéres 
& les excufes , que lui fuggéroit fon humilité , le pieux Pré- 
lat repréfenta enfin que le caraétére . dont il étoit onoré , le 
difpenfoit d'accepter cet emploi. Il ne refufoit d'obéir, que 


pour n'être point obligé de commander. Mais on avoit prévu 


ce refus ; & on s'étoit muni d'un Bref apoftolique pour vain- 
cre fes réfiftances. La volonté du Pape parut expreffe ; & dès. 
Jors la foumiflion du Serviteur de Dieu fut fans réplique. 
= Ce premier pas devoit le condiyre bien-tôt à un autre. Lil. 
Juftre pt de Pegnafort étoit alors à la tête de tout l'Or- 
dre de faint Dominique : & dans tout ce que le zéle de la 
loire de Dieu lui faifoit entreprendre, foit pour le fervice de 
Eglife, & la propagation de la F oi, foit pour l'avancement 
{pirituel , ou la perfeétion de fes Religieux , il fe voyoit tou- 
jours fuivi, & foutenu par les faints Perfonnages , QUI avoient 
la conduite des Provinces. L'ancien Evêque de Bofnie étoit 
un de ceux qui entroient toujours avec plaifir dans les vüës du 
faint Général, & 1l méritoit d'autant plus toute fa confiance’, 
qu'il imitoit parfaitement fes vertus. Ce que l’un faifoit dans 
toute l’étendué de l'Ordre, l'autre s’apliquoit à le faire dans la 
Province de Lombardie, pour y afermir, ou augmenter l'a- 
mour de la vie régulière, l’aplication à l'étude, l'efprit de la 
prédication , le zéle du falut des ames. Comme leurs inten- 
tions étoient pures , leurs travaux n'étoient jamais infruc- 
tueux. Îls avoient cependant l’un & l’autre un défir égal de fe 
décharger d’un fardeau , que la feule obéiffance les avoit 
obligés d'accepter. Nous avons vû que faint Raymond obtint 
au bout de deux ans,ce qu’il demandoit avec tant d’ardeur.La 
Providence en difpofa autrement à l'égard de notre pieux Pro- 
vincial. On fit bien moins d’atention à fes défirs qu’à fon mé- 
rite, ou aux befoins de tout l'Ordre, dont il falloit élire un 
Chef, digne de fuccéder aux trois illuftres Saints, qui l’avoient 
gouverné l’un après l’autre M dns fa fondation. Les fufrages 
ne furent point partagés : le Provincial de Lombardie , dont 
tous les vœux étoient de vivre dans l'état de Religieux parti- 
culier, fut unanimement élu, & proclamé quatriéme Ééné- 
ral de l'Ordre des FF. Prêcheurs , dans le Chapitre tenu à Pa- 
ris l'an 1241. | 
Tout ce qu'ont coutume de faire les Saints , pour éviter les 
honneurs qui femblent les fuivre , à mefure qu'ils s’'étudient à 


LIVRE 
II. 


JEAN LE TEvy- 
THONIQUE, 





* L'an 1238. 


Humbert. in Chron, 
ap. Echard. ut fp. 


XVII. 
Il eft élü Général 
de tout fon Ordre. 





LIVRE 
II. 


JEAN LE TEu- 
THONIQUE. 





à 


XVIII. 
Sage conduite du 


houveau Général. 


104 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


les fuir , le Serviteur de Dieu le fit pour s'opofer à fon élec- 
tion. Mais s'il e bien réfolu de ne jamais tenir le premier 
rang parmi fes Freres , il trouva encore plus de fermeté dans 
les Vocaux, qui venoient de l'élire. Le célébre Hugues de 
Saint-Cher , alors Vicaire Général de l'Ordre, portant pour 
tous la parole , lui déclara que la volonté de Dieu s'étant ma- 
nifeftée, 1] n'étoit plus au pouvoir des hommes, de changer ce 
que le Ciel avoit fait. L’humble Général fe tût; & il donna 
enfin fon confentement, foit par la crainte d’ofenfer Dieu , en 
fcandalifant fes Freres pareune plus longue réfiftance ; foit, 
dit un Auteur, dans l’efpérance de faire lui-même dans la fuite, 
ce que venoit de faire bon prédéceffeur. II le prit en éfet pour 
fon modéle ; & on peut dire que dans tout le refte , il en fut 
l'imitateur. Mais tous fes éforts pour faire agréer fa démiflion, 
furent toujours inutiles :  étoit autrement ordonné dans les 
deffeins de Dieu. 

Pendant près de douze années , qu'il eut le gouvernement 
de tout fon Ordre, il en vifita plufieurs fois toutes les Provin- 
ces; & lorfqu'il s’arêtoit me pars jours dans un endroit, il 
ne manquoit pas d'anoncer la parole de Dieu aux Fidéles. Il 
aimoit aufli à l'entendre, afin d'éprouver les talens de fes Re- 
ligieux , & la maniére , dont ils s'aquitoient du faint Minifté- 
re. Il leur rapeloit fouvent les éxemples, ou les préceptes de 
leur Bienheureux Fondateur, & les faifoit fouvenir que la 
prédication dé l'Evangile étant la fin de fon Inftitut, 1ls de- 
voient tous fe mettre en état d'en remplir dignement les fonc- 
tions, par leur affiduité à la priére, & à la leéture des Livres 
Saints ; mais furtout par l'éxemple d'une vie pure , & toujours 
fans reproche. Suivant ces maximes, le pieux Général re- 
doubloit tous les jours fa vigilance , pour écarter de toutes 
les Maïfons qu'il vifitoit , l'oifiveté, l'ignorance , ou le vice, 
& tout ce qui auroit pù conduire à l’un ou à l’autre. Par la fa- 

efle de fes réglemens, & fa fermeté à les faire obferver à la 
es , 11 conferva à fon Ordre cette bonne odeur, qui le ren- 
doit refpeétable aux Peuples , & précieux à l'Eglife. Les Fi- 
déles profitoient en même tems de fes atentions à nl 10 
curer des Miniftres de la parole , auffi capables de les inftrui- 
re, que propres à les édifier. | | 

Elles paroifloient furtout , ces atentions , dans les Cha- 

itres Généraux , aufquels il préfida , quatre fois à Paris, trois 
o1s à Bologne , une Pois à Cologne, à Montpellier , à Tre- 
| VES » 


- DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 1:o; 


ves., à Londres , & à Mets. Pendant la célébration de quel- 
ques-uns de ces Chapitres, le Pere Général fut honore des 
Érefs du Pape, & des Lettres de l'Empereur Frédéric IT. * Le 
Souverain Pontife l'exhortoit, ou lui enjoignoit expreflé- 
ment de prêcher, & de faire prêcher fes Religieux, pour la dé- 
fenfe du Saint Siège. Et le Brince le prioit d'impofer filence 
aux Prédicateurs à fon Ordre , qui, pour obéir au Pape , ne 
_favorifoient pas, difoit-il, les intérêts de l'Empire. C eft ce 
qu'on peut voir dans les Lettres de Frédéric, que nous avons 
raportées dans un autre Ouvrage, & qui furent luës dans le 
Chapitre de 1241. Quelque dificulté qu'il y eut à contenter 
en même tems deux Souverains, dont les vüûes étoient fi di- 
férentes , les demandes fi contraires , & les intérêts fi opofés, 
le fage Supérieur fe comporta de telle forte , qu’en obéiffant à 
l'autorité facrée du Vicaire de JESUS-CHRIST , 1l fût fe con- 
{erver toujours l’afe&ion d’un Prince, dont il étoit le Sujet ; 
& qui, ayant fouvent — {a droiture, ne ceffa de lui don- 
ner des marques de fa bienveillance. Gregoire IX ne lui en 
donnoit point de moindres : il prévenoit ordinairement fes 
demandes , & alloit quelquefois au-delà de fes défirs. 
Thomas de Catimpré nous aprend que ce Pape, dès la pre- 
miére vifite qu'il reçut du nouveau Général après fonéleétion , 
ui ordonna de mettre par écrit tout ce qu’ilfouhaitoit obtenir 
du Siége Apoftolique , Sa Sainteté 2 réunir en faveur 
de fon Ordre les divers privilèges , qui avoient été jufqu'alors 
acordés aux autres Corps Religieux. Tout ce que nous ve- 
nons de dire , le Pere Humbert l’infinue dans fa Chronique, 
: lorfqu'après avoir loué , l'humilité, la modeftie, & les au- 
tres vertus de notre Général , il ajoûte qu'il fut fort eftimé à 
la Cour du Pape , & dans celle de l'Empereur ; & que l'Or- 
_dredeS. Dominique, fous fa conduite, reçut de très-grands 
avantages , & fut enrichi de plufeurs beaux priviléges (1). 
Ayant rendu fes aétions de grace, & bientôt après fes der- 
niers devoirs à Gregoire IX , qui termina fa longue vie le 21 
d'Août de la même année 1241 , le Serviteur de Dieu çom- 
mença la vifite de fes Couvens dans la Tofcane , & leRoyau- 
me de Naples. L'Empereur Frédéric étoit alors campé dans 
(x) Hic fuit multüm notus in Curia Papæ, | Capitula generalia per diverfas Provincias ; 
& etiam Domini Frederici ; & in diebus ejus { & ipfe plures Provincias quam alii Magiftri 
Ordo multum fublimatus eft, & roboratus confueverunt, vifitavit. prie in Chron, 
- eftin diverfis & magnis privilegiüs à Curia ‘ #p, Echard, nt fp. 
concsflis. Sub eo etiam çœperunt celebrari | 
Tome L. | OO 


LIVRE 
II. 


JEAN LE TEUu- 


THONIQUE. 
M er à 


XIX. 
* Le Pape & l'Em- 
PÈE , éxigent de 


ui des chofes opo- 


fées. 


XX. 

Le prudent Géné- 

ral contente l'un, 

fans ofenfer l'au< 
tre. 


106 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE unlieunommé, Grora Ferrata , aflez près de Frefcati ; d'où il 
IT. . faifoit le dégât aux environs de Rome pendant la maladie du 
Jean Le Teu- Pape. On ne.peut guéres douter que Jean le Teuthonique, 
 rmonrque. toujours zélé pour le falut de ce Prince , n’ait profité de cette 
——” Ocafñon , pour tâcher d'adoucir fon efprit depuis long-tems ir- 
XXI. rité contre la Cour de Rome. Mais uifqu'on ne nous a point 
Il exhorte Frédé- confervé la réponfe, que ce “2 er pus déja faite à la Lettre 
mea réondli qe l'Empereur , il ne faut point être furpris qu'on nous ait 
*_ Jaiffé ignorer tout ce qu’il put lui dire pour l’engager à fe ré- 
concilier enfin avec le Saint Siège, & à faire ceffer des divi- 
fions fcandaleufes, déja fi lle au repos des Peuples , & 
capables de porter la dernière défolation dans l'Eglife & dans 
l'Empire. Les circonftances de la mort d’un Pape, que Frédé- 
ric haïfloit perfonnellement, comme :il le faifoit affez paroi- 
tre dans fes difcours , & par fes lettres ; la vengeance écla- 
tante qu'il avoit déja tirée des injures qu'il croioit avoir re- 
çûës , & la jufte crainte que les Tartares , après avoir ravagé 
la Hongrie, ne vinflent fondre fur l'Allemagne, fi on nefe 
hâtoit de les prévenir : toutes ces confidérations pouvoient 
donner un nouveau poids à des motifs encore plus preffans, 
dont fe fervoit le zélé Genéral , pour porter l'Empereur à faire 
fa paix avec l'Eglife. Les fuites ne firent que trop connoitre 
que Frédéric écoutoit plus volontiers des confeils moins fa- 
ges , & moins pacifiques. 

Notre Général, fe renfermant dans les devoirs de fa Char- 
e, aflembla fon fecond Chapitre à Bologne en Lombardie 
Pan 1242, & le troifième à Paris aux Fêtes de la Pentecôte de 
l’année fuivante. Parmi les Réglemens qu'il fit publier dans l'un 
xx.  @& dans l’autre, je remarque principalement ceux qui regardent 
Sages réglemens l'Etude , la Doëtrine , & le ne de la Prédication. Dans 
Fe de l’Affemblée de Bologne, il ordonna à tous ceux qui anonçoient 
Prédication, la parole de Dieu, ou qui étoient deftinés à remplir cette fonc- 
tion dans les pais des Infidéles, & des Schifmatiques , de 
s'atacher particuliérement à l'Etude de la Théologie polémi- 
que , afin d'être mieux en état de défendre la Foi de l'Eglife 
contre fes ennemis. Et dans le Chapitre de Paris, il défentli à 

tous fes Religieux de compofer des Livres uniquement pro- 

res à contenter une vaine curiofité, ou de fe trop apliquer à 

É leéture de ceux des Philofophes, & des Gentils , qui fe font 

fouvent égarés dans leurs penfées. Il permet cependant de les 

lire autant qu'il peut être néceflaire pour les combatre, ou, 


+ 


fe 
Le 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 107 


{elon l’expreffion de faint Auguftin, pour délivrer la vérité LIVRE 
qu'ils tiennent captive, & la leur enlever comme à d'injuftes IL. 
pofleffeurs. JEAN LE Teu- 
Dans le même Chapitre, le vigilant Supérieur fit défendre raonique. 
fous de rigoureufes peines, à tous les T'héologiens de fon Or- 7 
dte, de foutenir , ou d’enfeigner aucune des Pro ofitions té- 
mérairement avancées par quelques nouveaux Profefleurs ; 
;- avoient pouflé trop loin la fubtilité de leurs recherches. 
Guillaume Evêque de Paris venoit de profcrire ces erreurs, 
qu'on peut réduire aux dix articles fuivans. 
1°. L'Effence Divine n'eft vüé en foi ni par l'ange, ni par 
l'homme glorifié. 2°. Quoique l'Effence Divine foit la même | Le 
dans le Pere, &le Fils, & le Saint Efprit, en tant qu’elle eft né IE 
cette Effence ; elle n’eft pas la même dans le Saint Efprit, que & les Doêteurs de 
dans le Pere, & le Fils, en tant que forme. 3°. Le Éine Ef. du) 
prit en tant qu'amour , ou lien , ne procéde pas du Fils, mais. 
feulement du Pere. 4°. Les ames des Saints, ni les corps glo- 
rifiés ne feront point avec les Anges dans le Ciel empirée, mais 
dans le ciel mr rs au-deffus du Firmament. $°. Le mauvais 
Ange a été mauvais dès le premier inftant de fa création. 6°. Le 
mauvais Ange n’a jamais eu de quoi fe foutenir, non plus 
qu'Adam dans l’état d’innocence. 7°. Un Ange peut dans le 
même inftant être en plufeurs lieux , & même par tour s'il le 
vouloit. ( C'eft dans la feçonde partie de cette Propofition que 
fe trouve l'erreur). 8°. Plufeurs véritez ont été de toute éter- 
nité , qui n'étoient point Dieu. 9°. Le premier inftant, le com- 
mencement , la création , & la paflion ne font ni le Créateur, 
ni la Créature. 10°. Celui qui a de meilleures difpofitions na- 
turelles , aura néceffairement plus de grace & de gloire. 
Ces erreurs, avec la cenfure des Doéteurs de Paris , & les 
ropofitions contraires , qu'il faut tenir conformément à l’ana- 
ogie de la Foi, ou aux principes de la faine Théologie , font 
raportées dans le quatrième Tome de la Bibliothéque des Pe- 
res. Mais on n'y trouve point , qui font ceux qui avoient avan- 
cé toutes ces erreurs. Mathieu Paris prétend qu'elles étoient  xxiv. 
enfeignées wi uelques Profeffeurs F3 Théologie , principa- a Anglois 
lement par les re ou entre les FF. Prêcheurs, &c les ee node 
FF. Mineurs. Mais c’eft un fort mauvais garant que ce fati- foi. 
rique Anglois, dont nos plus favans Ecrivains ont fouvent 
relevé les méprifes , les fauffetez , ou les calomnies. On fait 
qu'il fe croioit permis d'avancer tout ce qu'il dr. +0 > au 
1] 


XXIIT. 


LIVRE 
I. 


JEAN LE TEu- 
THONIQUE. 
D 





XXV. 
‘Lettres Apoftoli.. 
ques du Pape In- 
nocent IY. 


Bullar, Ord. T. 1, 
». 129, 


108 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


préjudice de ceux 
de lui plaire. C’ef la réfléxion , & l'expreflion de M. Sponde. 
Odoric Raynald n’en parle pas De avantageufement. Et il 
eft certain que dans les Ecrits de Mathieu Paris, onne trouve 
que trop de preuves de cette partialité, ou de ce défaut de 
bonne foi , qu'on lui a fi juftement reproché. S'il avoit connu 


les véritables Auteurs de ces propofitions erronées, qu’on . 


vient de raporter , il ne faut point douter qu’il ne les eût nom- 
més. Nous favons quels étoient alors les célébres Profeffeurs, 
qui enfeignoient avec réputation à Paris, chez les FF. Pré- 
cheurs, & chez les FF, Mineurs. Jamais on ne les acufa de 
nouveauté. Quoiqu'il en foit, nous devons louer ou la fage 
vigilance du pieux Général à prémunir fes Théologiens con- 
tre une trop grande curiofité , qui auroit pü les conduire à l’er- 
reur , OU ra zéle à les en retirer , fi quelques-uns en étoient 
déja coupables. 

En continuant l’hiftoire de cet illuftre Perfonnage , nous 
trouvons d’abord l'éloge non fufpeë , que le Vicaire : JESUS- 
CHRIST fit de fa doëtrine , & de celle de fon Ordre. D'abord 
après fon Chapitre, il partit de France pour fe rendre enItalie. 
Innocent IV , qui venoit d’être élevé fur la Chaire de faint 
Pierre , reçut fes refpe&s dans la Ville d'Anagni : & il ne tarda 
pas à lui donner des témoignages particuliers de fon afeétion, 
par un Bref apoñtolique conçu en cestermes : : 


lavoient aufhi peu d'envie, ” d'intérêt 


NNOCENT ....à notre Vénérable 

Frère , autrefois Evèque de Bofnie, 
à préfent Maître général de l'Ordre des 
Freres Prècheurs , & à tous fes Reli- 
gieux , SALUT, ET BE'NE’DICTION 
APOSTOLIQUE. 


Parmi les folicitudes de notre Minif- . 


tére , nous défirons fur-tout procurer 
l'avancement de la fainte Religion, & 
donner à votre Ordre des marques fin- 
guliéres de notre bienveillance :1l en 
eft d'autant plus digne, de depuis fon 
établiffement , 1l n’a ceflé de faire de 
louables progrès. Cette eftime pleine 
d’afeétion , que nous avons pour vous, 


nous fait fouhaiter que le Tout-Puif- 


fant continue à répandre toujours fur 
vous fes graces, & fes faveurs ; tandis 


NNOCENTIUS Epifto- 

pus, Servus Servorum Des, Ve- 
nerabils Fratrs Epiftopo quondam 
Bofnenfi, Magifiro, © dileitis Fr- 
lis Fratribus Ordinis Predicato- 
YuMm , SALUTEM ET ÂAPOSTOLI- 
GAM BENEDICTIONEM. 3 

Inter alia , que ex mjuntlo nobis 
Oficio Apoflolatäs intendimus , Re- 
ligionis facra fpecialiter defideran- 
tes augmentum, @& Ordinem vefirume 
Prarogativa favoris & gratie non 
immerito profequentes , cùm à [uæ 
inffitutionis exordio laudabilibus 


” continue profecerit incrementis , ip- 


fius Ordinis cultum affeélione plena 
diligimus , & cupimus votivis fem- 
per in Domino [uccefibus ampliars, 


{di 4 
ds: 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 


eidem Ordini {olicité curantes in 155 
que falubria fibi , & opportuna cog- 
noftimus providere. Cum itaque ; fi- 
cut nobis exponere curaviflis , tu 
Frater Epifcope ac Magifler, & 
Pradeceffores tui, juxta ejufdem Or- 
dinis confuetudinem obfervatam bac- 
tenus, © à Sede Apoftolica tolera- 
tam , flatim poffquam eletli fecun- 
dum preditti conflitutiones Ordinis 
extitiffis, Fratrum ipfius curam gef- 
Serfris, Magifierii officium plené ac 
libere in omnibus exercentes , iidem- 
que Fratres vobis devote , ac humili- 
ter obedierint , © intenderint reve= 
renter. Et im eodem Ordine fit ffa- 


tutum , ut Magifler spfius , qui pro 


tempore fuerit , à Magifleris officio 
amoveri valeat à Definitoribus C4- 
pituli generalis ; nos volentes om- 
nem ambicuiratis [crupalum in bac 
parte de veftris cordibus armpatare , 
ac ordinem ipfum 4 Sede approbatum 
eadem , honeflate floridum , precla- 
rum [tientia , C virtute fervidum , 
privilegio Apoftolice gratta artollere 
fingulari , veftris fupplicationibus 
änclinati ,ut [ucceffores tui , MAagif- 
ter, qui erunt pro tempore , flatim 
pofiquam elelli fecundum conffirutio- 


ges fuerint fupradittas , ed ipfo veri . 


cjufdem Ordinis effeili Magiftri, cu- 
ram animorum Fratrum ipjius Or- 
dinis plene babeant, & libere geranr, 
2pfofque Fratres autloritate propria 
ligare , ac folvere valeant . . .. Et 
prafati fucceflores ; © tu Magifler à 
Definitoribus Capituli generalis sp- 
Jus Ordinis, fecundum Ordinis con- 
ffitutiones ejufdem abfolvi, € amo- 
veripofliris , auttoritate prefentitum 
°... de Fratrum nofirorum confilio 
indulgemus , C%. _ 

Datum Lateran. xv1 Cal. Fe- 
bruarii , Pontificatus nofiri anno 
primo. | 


109 
ue de notre côté nous n’ométrons rien 
sp tout ce qui paroîtra utile , ou con- 
venable à l'honneur de votre Inftitut. 
Vous nous avez repréfenté que felon 
l’ufage , jufqu’ici pratiqué par vos Pré- 
décelleurs , & par vous-même, fans 
opofition du Sicge A poftolique , le Su- 
périeur général de votre Ordre , dès 
u’il a été canoniquement élù , éxerce 
des-lors , & fans atendre notre confir- 
mation , teute jurifdiétion fur fes Reli- 
gieux , qui {e font un devoir de lui ren- 
dre une promte & entiére obciflance. 
Vous avez encore expofé que fuivant 
un autre de vos Statuts, les Définiteurs 
du Chapitre général peuvent, ou dé- 
pofer le Supérieur de l'Ordre, ou ac- 
cepter fa démiffion volontaire. 
Nous voulons bien autorifer cet ufas 
ge, & ce Statut, foit pour vous ôref 


tout fujet de fcrupule ; ou de doute; 


foit pour honorer , par un privilège par- 
lies , un Ordre aprouvé par le Saint 
Siège , & déja aufli célcbre par la doc- 
trine , que refpectable par A fainteté, 
& la pureté des mœurs. Ayant donc 
égard à vos humbles fuplications , nous 
acordons par ces préfentes , de l'avis de 
nos Freres , que le Supérieur général de 
votre Ordre , du moggnt qu'il aura été 
élù felon vos Loix , exerce d’abord une 
entiére & pleine jurifdiétion fur fes Fre- 
res, qu'il peut lier ; ou délier de fa pro- 
pre autorité. Et nous confirmons de 
même le Décret qui autorife les Défini- 
teurs à dépofer dans le cas le Supérieur 
éncral, ou à recevoir fa cefion , lorf- 
u'ils le jugent à propos felon l’efprit 
ie vos Conftitutions , &c. 
Fait dans notre Palais de Latran, le 
16 des Calendes de Février , la pre- 
miére année de notre Pontificat. C’eff- 


_a-dire le dix-féprième jour de Janvier 


1244. 


La fimple leéture de ces Lettres apoftoliques ) qui furent fui- 


11] 


Livre 
IL 


JEAN Le Teu- 


THONIQUE. 
| 








LIVRE 
II. 


JEAN Le Teu- 
THONIQUE. 








“ Vide Bullar, T. 1, 
p-130, &c. 


XXVI e. 
Avis importans. 


to HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


vies de plufieurs autres dans le cours de la même année,*nous 
découvre d’abord le motif particulier, qui avoit porté le Pere 
Général à les foliciter. Toujours éloigné de l'ambition de com- 
mander, n'ayant pü faire agréer au nouveau Pontife fa démif- 
fon, (dont il n’abandonnoit pas encore le deffein) il voulut du 
moins que les Définiteurs fufent autorifés par le S. Siége à ac- 
cepter cette ceflion ; & il fe flatoit d’un heureux fuccès dans le 
rochain Chapitre. Il l'afflembla à Bologne dans le mois de 
ai 1244. Mais fes nouvelles tentatives ne lui réuflirent pas 
mieux que les précédentes : & il paroît qu'il prit dès-lors le parti 
d'atendre avec foumiflion les momens de la Providence. 
Obligé de fe voir toujours malgré lui à la tête de ceux , fous 
les piés defquels il fe mettoit par les fentimens d'une profonde 
humilité , il ne penfa plus qu’à porter en efprit de facrifice tout 
le poids de fa Charge , & à foutenir parmi fes Freres l'efprit 


de ferveur , l'amour de leur état, & l'aplication à en remplir 


fous les devoirs. C’eft ce qu’on peut remarquer dans les aétes 
de ce même Chapitre, &c dans la lettre sc , qu'il adreffa 
à tous les Religieux de fon Ordre. Il leur recommande d’a- 
bord une parfaite union des cœurs dans les mêmes fentimens , 
une amitié fainte,ou une charité parfaite, acompagnée de pru- 
dence  d’humilité , & de douceur. Il les avertit enfuite de 
ne jamais s'écarter de la refpeétueufe foumifion, qui eft düë 
aux premiers Pafteurs ; afin qu'honorés de leur proteëtion, 
ils puiflent fous leurs sg mi travailler plus éficacement à 
l'inftruétion gg peuples , &c au falut des ames. Il Les exhorte à 
regarder toujours les Enfans de faint François comme leurs 
Freres , apellés comme eux au faint miniftére de la parole, & 
deftinés aux mêmes fonétions. Enfin il veut que dans le choix 
des opinions, les Profefleurs préférent toujours celles qui 
font le plus communément aprouvées, & les plus füres, pre- 
nant les faints Dofteurs de l'Églife pour leurs guides , & évi- 
tant les nouvelles routes, inconnuës à l'antiquité, & dans 
lefquelles on ne fait que de faux pas. 

s Nous vous prions, difoit-il, & vous avertiflons tous , 
» de vous se ol férieufement à l'étude , furtout de la Théo- 
» logie, qui eft une doétrine de falut ; de chercher la vérité 
» des fentimens dans les Ecrits des Peres , & de vous atacher 
» toujours fidélement à ce qu'ils ont enfeigné , eux que nous 
» favons certainement avoir produit une excellente ta ; 
# parce que la lumiére du Saint Efprit les éclaroit. Lorfque 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. z11 


l'éxercice de votre miniftére ne vous oblige point à con- * 
verfer avec les hommes ; aimez à vous tenir cachés dans 
vos cellules | & fuyez avec foin les courfes inutiles. Dans 
la folitude & le filence, vous vous éleverez à Dieu , & vous 
atirerez dans vos efprits cette rofée du ciel qui fait fécher 
les vices , & germer les vertus. Ainfi qu’une terre altérée, 
les peuples levent la tête vers vous , comme vers des four- 
ces d'eau , ou des nuéts miftiques capables de les foulager 
dans leur foif. Travaillez donc à vous remplir des lumiéres 
d'en haut, afin que vous puiflez enfuite les répandre avec 
fruit. Contenez-vous cependant, mes très-chers Freres, 
dans les bornes prefcrites par les fages réglemens de nos 
Peres. C'eft par-là que continuant à vous aquiter de tous 
les devoirs de votre état, & devenus un modéle de vertu À 
tous les Fidéles, vous vous aflurerez un tréfor dans le Ciel. 
Que le Dieu de charité , de confolation , & de paix, qui 
vous a déja donné la bonne volonté, vous donne aufi la « 
perfévérance dans l’a&tion , felon fon bon plaifir (1). « 

Ces fages avertiflemens , & plus encore les exemples de 
vertu d'un Supérieur , qui pratiquoit toujours le premier ce 
qu’il prefcrivoit aux autres , fervirent à les faire marcher avec 
une nouvelle ferveur dans de leur vocation. Auf 
étoient-ils généralement aimés des Fidéles , eftimés des Prin- 
ces, & employés par les plus faints Prélats. Dans le tems 
même dont nous parlons, les Rois de France, d'Angleterre, 
de Caftille, d'Aragon, de Portugal, & de Hongrie, les 
choififloient pour leurs Confefleurs , leurs Chapelains , quel- 
quefois pour leurs Confeillers. Geofroy de Beaulieu , Guil. 
laume de Chartres ÿ & Vincent de Beauvais , trois célébres 
Dominicains , remplifloient alors ces diférens emplois à la 
reditate Domini voluntarià pluvia fegrege- 


« 
« 


(1 
4 
« 
« 
« 
« 


(1) Rogamus infuper , 8& monemus uni- 


JE 


verfos , ut intendat unufquifque Theologiz 
fcientiz falutari ; invigilet ftudiis fcientia- 
rum ; flores & veritatis ftabilimentum ex di- 
&is fantorum accipiat ; & illorum acquief- 
cat doûtrinis, quos Spiritu fanéto potatos 
éructare novimus certius verbum bonum. 
Cella placeat , quä venitur ad Cœlum. Pro- 
cul fit à nobis Fee inutilis ; nec difcat 
aliquis indebitè movere pedes fuos. In filen- 
tio enim imber doctrinæ cæleltis infunditur, 
ros defcendit. Sufpiciunt fi quidem fimpli- 
cium corda, ficut fitiens area ad imbrium 
gurpites, qui defluant de nubibus, ut acci- 
piant de corum plenitudine gratiam ; & hæ- 


tur. Quare infundere ftudete , ut poflitis ef. 
fundere ; linguæ. infantium adhæreant ad 

alatum. Item , terminos quos pofuerunt 

atres noftri difciplinis regularibus , inftitu- 
tis utilibus ftudete intendere, Fratres mei, 
ut profeflionis noftrz infignia obfervationi- 
bus debitis adimplentes , nobis ad meri- 
tum , univerfis poflitis proficere ad exem- 
plum. Deus autem charitatis , folatii, & 


pacis, qui dedit velle , der & perficere fecun- 


dum propofitum {uz fanétiffimæ voluntatis. 
Amen. 4p. Edmon. Marten, Shefauri Anes- 
dot, T. IV. Col, 1688. 


LIVRE 
IL. 


JEAN LE Teu- 
THONIQUE. 
À 





« 


XXI. 
Quelle étoit [a 
se de l'Ordre 
cs FF. Précheurs, 
fous le gouverne- 
ment de Jean le 
Teuthonique. 


. LIVRE 
IT, 


THONIQUE. 
ù À 


EL 


112 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Cour de Saint Louis. L’illuftre Jean de Derlington , depuis Ar- 
.chevêque de Dublin, étoit Confeffeur du Roi d'Angleterre, 


Jean Le Teu.Hienri II. Jâques I Roi d'Aragon ne décidoit rien d'important 


ue par les lumiéres de faint Raymond de Pegnafort. Saint 
elme , & le Bienheureux Gilles de Sainte-Îrene avoient la 
confiance de Ferdinand, Roi de Caftille , furnommé le Saint ; 
de même que des Rois de Portugal , Sanche IT, & Alfonfe III. 


. Les Provinces du Nord, furtout les Roïaumes de Bohëème , & 


Vide Bullar. T. I, 
Pe255, dec, 


. le Pape Innocent ÎV retiroit tous les jours du C 


P. 187 


XXVIII. 
Exagération de 


Mathieu Paris. 


de Pologne avoient encore pour Apôtres faint Hyacinthe , & 
fes illuftres Difciples : nous pourrons en faire connoître plu- 
fieurs. Mais les Souverains Pontifes paroifloient particuliére- 
ment apliqués à illuftrer un Ordre , qu'ils N_. en quel- 
que maniére comme leur ouvrage. C'eft de-là qu'ils prenoient 
ordinairement leurs Pénitenciers , les Vice-Chanceliers de l’'E- 
glfe Romaine, fouvent leurs Nonces apoftoliques , & tou- 
jours les Maîtres du Sacré Palais. Nous ne parlerons point ici 
de ce nombre prefqu’infini de faints & favans Religieux, que 
caries , bit 
pour les facrer Evêques, foit sul les employer à la propa- 
gation de la foi parmi les Infidéles , ou à lextirpation de l'hé- 
réfie , & à la converfion des Hérétiques (1) , qui infeétoient 
nos Provinces. | 
Les Peuples entroient aflez dans les fentimens de leurs Sou- 
verains ; & felon l’expreflion, ou l'éxagération de Mathieu 
Paris : Perfonne ne croyoit plus [e fauver , s’il n’étoit fous la con- 
duite des Précheurs , ou des Mineurs. Les termes fans doute font 
outrés. L'Hiftorien Anglois ne les a point employés pour nous 
faire honneur. Mais cet aveu fufit pour montrer toute la fauf- 
feté des reproches, dont il charge en mêtne tems les deux Or- 
dres, qu'il acufe d'ambition, de relâchement, d'avarice, & 
de je ne fai quel rafinement de politique , qui ne fut jamais ni 
la vertu, ni le vice des Enfans de faint Dominique. Il eft vrai 
que leur atachement aux intérêts du Saint Siège , & les fa- 
veurs, ou les emplois, dont ils étoient honorés par les Vicai- 
res de JESUS-CHRIST , les faifoient regarder par les Partifans 
de Frédéric IT, comme les ennemis déclarés de ce Prince, 
toujours armé lui-même contre les Papes. Et voilà ce qui ati- 


(1) Singulari vero benevolentià Innocen- | quentaffe officiis | atque eorum operä in ma- 
tium (IV) inter cæteros religiofos Ordi- | guis fidei negoriis adverfus Hæreticos ufum 
nes , qui Mmagno cum animorum emolumen- Be , hé he argumento diplomata con- 
to vineam Dômini excolebant , Prædicato- | fc@a oftendunt. Ogoric. Rain, 44 An. 1254, 
kes ac Minoritas complexum, pluribus fre- | #, 70. 


roit 


at 
l4i END 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 113 


roit aux Religieux des deux Ordres les Satires fanglantes de 


Pierre des Vignes, Sécrétaire de cet Empereur ; de Mathieu 
Paris, de Richer , Moine de Sens , & de femblables Ecri- 
vains , qui n’ont point gardé plus de ménagement envers les 
Succefleurs de faint Pierre , qu'à l'égard des Prédicateurs 
qui éxécutoient leurs ordres. | 

Il eft glorieux d’être ataqué par de tels adverfaires , & pour 
un tel fujet. Ce qui pourroit paroître furprenant , c’eft que 
des Auteurs de réputation, juftement eftimés parmi les Mo- 
dernes , ayent quelquefois copié des Hiftoriens, dont ils con- 
noifloient d’ailleurs le peu de fincérité , & les véritables mo- 
tifs , qui , leur métant la plume à la main contre ceux qu'ils 
n’aimoient pas , les faifoient fouvent tomber en contradiétion 


avec eux-mêmes. Nous ne trouvons point que nos anciens. 


Doûteurs fe foient guéres donné la peine de faire leur propre 
apologie. Plus faintement ocupés . fonétions de l’Apofto- 
lat, & uniquement atentifs à fe rendre agréables à celui qui 
doit nous juger tous, ils ne croioient pas que ce fût pour eux 
un malheur , que d’être condamnés par les amateurs du mon- 
de. En cela, ds fuivoient le confeil & l'éxemple de leur fa- 
ge Supérieur. Frédéric lui-même , agifloit à leur égard avec 

lus de modération ; 1l leur rendoit plus de juftice que ne fai- 
Bic ceux , qui afeétoient de noircir quiconque n’aprouvoit 
point la conduite irréguliére de ce Prince contre le Vicaire 
de JESUS-CHRIST. nn 


L'Hiftoire que nous écrivons nous en fournira les preuves. 


Il y avoit plus d’un an que le jeune Thomas d'Aquin, par le 
commandement de la Comtefle fa mere , avoit été enlevé à 
fon Ordre , & enfermé dans une Tour, où la famille métoit 
fouvent fa vertu à de rudes épreuves. Jean le Teuthonique, 
après avoir employé fans fuccès les prières , &le crédit de fes 
amis , S'adreffa avec confiance à l'Empereur ; il lui fit fes plain- 
tes, & en obtint aufi-tôt ce qu'il demandoit. Ce Prince, jufte- 
ment irrité contre les freres de l’'illuftre Captif, leur comman- 
da de le remettre inceffanment aux Supérieurs de fon Ordre, 
fous peine d'encourir fon indignation , quoiqu'ils fuffent alors 
à la tête de fon Armée. Il ne regardoit donc pas notre Général 
comme fon ennemi , & il ne lui faifoit point un crime de fon 
dévouement auS. Siége. | 

Le même Frédéric avoit témoigné qu'il verroit avec plaifir 
Je Chapitre général des Freres Prêcheurs aflemblé dans une, 

Tome L, | bp 


LIVRE 
II. 


JEAN LE TEU- 


THONIQUE. 
D | 





__ XXIX. 

L'Empereur Fré- 
déric os équita- 
ble que fes Parti- 
fans. 


LIVRE 
IT. 


JEAN LE Teu- 


THONIQUE. 
A - _—_ 








XXX. 
Nouveaux Privi- 
léges acordés , & 
quelques anciens 
revoqués, 


114 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Ville d'Allemagne. Ces Affemblées devoient toujours fe te- 
nir , Ou à Paris, ou à Bologne en Lombardie. Saint Domi- 
nique l’avoit ainfi pratiqué ; & fon éxemple étoit comme une 
Loi, dont on ne s’étoit pas encore écarté. Les Supérieurs ce- 
anne ,» pour marquer leur refpettueufe déférence aux vo- 
ontez du Prince, dès qu'elles n'étoient point contraires à 
celles de Dieu , choifirent la ville de Gologne pour la célé- 
bration du Chapitre de 1245. Nous ne raporterons pas ici 
les diférens Réglemens qui y furent propofés. Il fufit de remar- 
quer, que fous la ns de l'Empereur , on y jouit d’une 
entière liberté ; & qu'on ÿ reçut plufieurs Brefs du Pape In- 
nocent IV. 

Ces Lettres Apoñftoliques étant toutes adreflées au Géné- 
ral de l'Ordre , & acordées les unes à fes demandes , les 
autres à fa confidération , elles apartiennent à fon Hiftoi- 
re. Mais pour ne pas trop nous étendre , nous nous eonten- 
tons de marquer en peu de mots le fujet de quelques - unes. 
Par la première , le faint Pere donne aux Supérieurs de 
l'Ordre , le pouvoir de cafler , ou de changer, felon qu'ils 
le trouveront à propos , tant les Inquifiteurs de la Foi, que 
les Prédicateurs députés même par le Saint Siège, pour 
prêcher la Croifade , ou pour de femblables po Ne os 


(t). Par un autre Bref, Sa Samteté revoque la permiffion 


(autrefois acordee , & fouvent mife en pratique ) de rece- 
voir les vœux de ceux qui entroient dans l'Ordre, peu de 
femaines , ou de mois après leur entrée , felon les difpofitions, 
l'âge , les talens des Sujets , ou les befoins qu'on pouvoit avoir 
de leur Miniftére. Dans la Vie de faint Dominique , nous 
avons quelquefois remarqué l’ufage qu’on avoit fait de ce pri- 
vilège , qui , dans ces commencemens de l'Ordre , avoit paru 
néceflaire : il pouvoit aufh avoir fes inconvéniens dans la 
fuite. Et lorfque les Religieux dans l’efpace de moins de trente 
années fe furent extrêmément Da PE Er , ilétoit de la pru- 
dence de s’en tenir à la Loi commune. Ainfi en avoit jugé In- 
nocent IV ; & en conféquence , il déclara qu'aucun Novice 
ne pourroit déformais être admis à la Profeffion Religieufe, 


| sa une année entiére de Noviciat ; étant jufte de laif- 


er aux Particuliers le tems d’éprouver les auftéritez de la Ré- 


(1) Ce pouvoir de caffer les Inquifiteurs, | ce, par une Bulle de Paul II , donnée le 21 
& d'en mettre d'autres à leur place, a été de- | de Juillet 1542. | 
puis réfervé à la Congrégation du Saint Ofi- 


ér 
(T 
LA 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 115 


le, & aux Communautez celui de s’affurer de la vocation 
: 8e Sujets, ou de bien connoitre leurs mœurs , & leur ca- 
raltére d'efprit (1). Ce Décret Apoftolique eft du 17 de 
Juin 1244. | | 
Ea plüpart des autres Brefs regardent la conduite de difé- 
rens Monaftéres de Religieufes de Rome , de Strafbourg , & 
de Montargis (2) , que Sa Sainteté jugea à propos de mettre 
fous la jurifdiétion du Pere Général. Celui-ci, ayant fait la 
vifite des Maïfons de fon Ordre dans les Provinces d’Alle- 
magné , étoit venu en France dans le même deflein ; & il fe 
rendit à Paris pour y célébrer fon fixième Chapitre l'an 1 246. 
Cependant la Sentence de dépofition , que le Pape Innocent 
IV venoit de prononcer dans le premier Concile de Lyon, 
contre l'Empereur Frédéric , fait beaucoup de bruit dans 
le Monde ; & chacun en parloit felon fes préjugez , ou fes in- 
clinations. Mais fi dans un événement aufli extraordinaire il 
étoit dificile de fe taire, il l’étoit encore plus de parler à pro- 
pos. Le fage Général recommanda un févére ne à tous 
fes Religieux ; il les exhorta en même-tems à redoubler la 
ferveur de leurs priéres , à demeurer inviolablement atachés 


LIVRE 
IL. 


JEAN LE TEU- 
THONIQ!'E. 
D à 











au Vicaire de JESS-CHRIST , & à ne jamais entrer dans des . 


difputes , dont la difcuffion ne pouvoit leur apartenir. Ses or- 
dres furent refpectés, & fes confeils éxaétement fuivis. L’obéif- 
fance étoit parfaite parmi des hommes acoutumés à ne s’ocu- 

er que de F afaire de leur falut , ou du foin de travailler à ce- 
# des Fidéles. 

Pendant les plus violentes agitations , qui portérent la con- 
fufion & le trouble dans tous les Etats ; à ue Frédéric , 
fuivi d'une nombreufe Armée , menaçoit toute l'Italie , notre 
Général étoit venu à Montpélier , dr réfider au Chapitre 
de 1247. Il fut extrêmément édifié Le l’efprit de ferveur & de 

riére , qu'il vit régner dans cette fainte, & alors très-nom- 
breufe RL Les Religieux , qui arivoient tous les 
jours de diférentes Provinces, pour fe trouver à l'Affemblée , 
augmentoient encore par Leur éxemple ce qui étoit déja pour 


(1) Non folim in favorem conuerfi, [ed | Joigni. La piété de cette illuftre Dame, & 
etism Monaflerii , probationis tempus à | {on afeétion pour l'Ordre deS. Dominique, 
fanilis Patribus eff indulium , ut lle «pe firent qu'apres la mort de fon mari, elle 
ritates iffius , @ find mores illius valeai | confacra généreufement fes richefles à la 
experiri, éc. Bullar. Ord. T.I1, p.144 | fondation d’une Maifon Relisicufe , ou elle 

(2) Le Monaftére de Mæntarois avoir été | prit le voile , & donna le refic de fa vie de 
fondé depuis peu , par une Fille du célébre | grands éxemples de vérru. 

Simon de Montfort, veuve du Baron de P i: 
1) 


XXXI. 
Célébre Chapitre 
de Montpélier. 


Humbert. in Chron. 








LIVRE 
"IT. 
JEAN LE TEy- 


THONIQUE:. 
D | 








In Vir. Fratr. Part. 
EN 2 


S. Ant, III. Part. 
Hit. TiL xx, CL 


XXXII. 
Lettre de Gui 
Fulcodi , ou Gui le 
Gros. 


LA 


116 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 

eux-mêmes un fujet d'édification. On pourroit s’imaginer que 
le plaifir de raconter les. vertus de nos Peres, ou l'envie de 
propofer aux autres de beaux éxemples à imiter , nous porte- 
roit peut-être à éxagérer : mais on fe tromperoit , fi on le pen- 


_foit ainfi. Sans citer en preuve de ce que je dis le témoignage 


de quelques Anciens , qui ont parlé de cette Aflemblée , com- 
me d'une des plus PE par le mérite des faints Perfonna- 
ges qui la compofoient , je me contenterai de mettre fous 

es yeux du Lelteur une Lettre de l'illuftre Gui Fulcodi, na- 
tif de Saint-Gilles en Languedoc , qui fut Evêque du Puy en 
Velay , enfuite Archevêque de CPR Vote , Cardinal, &en- 
fin Pape fous le nom de Clement IV. Cette Lettre , écrite 
peu de tems après le Chapitre général de Montpelier, nous 
a été confervée , par un Auteur contemporain ; & S. Anto- 


nin l’a inférée dans la troifiéme Partie de {on Hiftoire. 


UY FULCODI au Prieur, & 
G aux Freres Prècheurs du Couvent 
de Montpellier, SALUT ET PArx. 

Derniérement vers les Fêtes de la Pen- 
tecôre, lorfque vous vous prépariez à cé- 
lébrer dans ce Païs le Chapitre général 
de votre Ordre, notre Sœur Marie de 
Tarafcon , réfoluë de voir cette agréa- 
ble, & célébre Affemblée des Saints, 
fe rendit quinze jours avant la Fère au 
Bourg de Saint Gilles, pour y faluer 
fes parens, &c les perfonnes de fa con- 
noiffance. Ayant reçu elle-même la vi- 
fie de plufieurs Dames, que fes dif- 
cours, & fes éxemples avoient coutu- 
me d’édifier , elle demanda@ quelques- 
unes d’entr’elles , combien de fois eiles 
vouloient réciter l'Oraifon Dominica- 
le, & la Saluration Angélique, pour 
obtenir les graces du Saint -Efprit, & 
la protection de la Mere des mitéricor- 
des , en faveur des Freres Prècheurs, 
qui alloient tenir leur Affemblée géne- 


 rale. Elle fe faifoit promettre de cha- 


cune autant de priéres qu'elle pouvoit.e 
Le zéle de cette fainte Femme eft cer- 
tainement digne de loüange. Mais fa 
prudence , & fa charité fonc encore plus 
admirables : car peu contente de four- 


IRIS Religiofis Patribus , 

€ Dominis , Priori & Fratri- 

bus Predicatoribus in Montepeffula- 

no, GUIDO FULCODI7, Sa- 
LUTEM ET PACEM. 

Inffant® nuper Feflo Pentecofies , 
cum Ordinis veftri generale Capitu- 
lin apud nos celebrandum occurre- 
rez, Soror nofira quondam Domina 
de Tarafione Sunitorum Congrega- 
tionem tam celebrem quam jucun- 
dam videre defiderans , per quinde- 
cim dies ante feflum fancts Ægidis 
in villa notos & proximos vifitatura 
defcendir ; cumque à pluribus marro- 
nis vifitaretur,que fuis adificzbantur 
alloquiis & exemplis , cœpit à non- 
nullis earum anxie féiftitari quories 
Orationem Dominicam dicerent , 
Matrem vero Domini falutarent , 
ut Fratribus tn Capirulo congregan- 
dis fuum Dominus Spiritum mitte- 
ret , Materque mifericordis eos [u4 
gratia vilitaret , © 4 fingulis ea- 
rum quod porerat , extorquebat. 
Laudanda certé fanffe mulieris de- 
votio, {ed gagis admiranda pruden- 
tia ; minus quippe fibi faficere juds- 
çans quôd juxta patrimonii Vires ; 


DE L'ORDRE DE S$. DOMINIQUE. 117 


Fratrum plerifque neceflatibus tem- 
porale fubfidium porrigebat ; novo 
fèd laudabili quafius genere , [ump- 
&s ut arbitror honefle mendicans 
fhiritualis alimonie, corrogabat , 
émpoflibile eflimans ab illo preces 
plurium non audirs, qui fidelis in 
omnibus verbis fuis [e [uorum con- 
gregationi fidelium adfururym pro- 
mittit , @ multiplicatis interceffori- 
bus thefauros evifterat pictatis. 

Sane ad Montepeffulanum cum 
forore veniens , cum in die tante [o- 
lemnitatis officium in Ecclefia veftra 
celebraretur , © ipfa bumi proftra- 
14 , orationi tota incumberet , Juxta 
morem cepit inffanrifime Dominum 
deprecars at tot Fratres sn fuo no- 
mine Congregatos refpicsens , quo- 
zum mults per tot terrarum fpatta 
Laboraverunt , cos fui Spiritäs lumi- 
ne perluffraret : © fimerita decrant 
aliquorum , ipfe de [ue gratie pleni- 
tudine , necnon Cr aliorum meritis 
defeilum illorum mifericordirer fup- 
plerer. Cum igitur bec in animo vol- 
veret importune petens , © nihilhe- 
fitans , Hymnum Veni creator én- 
cobante Cantore , vidit flammam 
magram defcendere de fupremis , 
que chorum , ufque ad Hymns con- 
Jummationem involvit. Cumque rem 
vsfam confideraffet cum gaudio , ne- 
mins vifionem dicens , nec [uts ad- 
fcribens meritis , gratias egit Deo, 
qui ficut primos bominum vifitaverat 
predicatures , fic & [ue beneficia lar- 
gitatis ad noftri temporis predicato. 
resextenderat ,... 

Caterüm, nec forori, nec alterife- 
riem facli aperiens ,tanquam mu- 
lier fenfata © tacita, claufa tenuit 
cunita que viderat, donec agritudine 
vebementi confraita , morrem quam 
diu falvo divine confilio difpofitionis 
optaverat ,imminere prefenfit. Tum 
perd primum mihi , dehinc forori & 


nir , felonfes facultez , aux befoins tem- 
porels de ces Religieux; par un nou 
veau, mais loüable genre de quête , elle 
s'éforçoit de leur procurer encore des 
fecours fpirituels , regärdant comme 
impoflible , que les prières de plufieurs 
ne foient point éxaucées par cchui qui, 
toujours fidéie dans fes paroles, a pro- 
rais de fe trouver préfent dans l’Affem- 
blée de fes Serviteurs, pour répandre 
abondanment fur eux les tréfors de fes 
miféricordes. 

Je vins enfuite à Montpellier avec 
ma Sœur, dans le tems que vous célé- 


briez avec folemnité le grand Myf- 


tére de la Pentecôte. Nous entrâmes 
dans votre Églife ; où , pendant que la 
Servante de Dieu , humblement prof- 
ternée contre terre , prioit avec une ad- 
mirable ferveur, & demandoit au Sei- 
gneur avec beaucoup d'inftance , de 
jérer fes favorables regards fur tant de 
Religieux , dont plufieurs avoient déja 
travaillé pour fa gloire , dans les difé- 
rentes parties de la Terre, fa confiance 
augmentoit toujours, avec fa pieufe & 
fainte importunité. Alors le Chantre 
ayant entoné Hymne Veni Creator , 
elle vit décendre d’en haut une grande 
flâme , qui couvrit tout le chœur , & 


qui s'y arêta jufqu’à la fin de l’'Hymne. 


Certe vue remplit fon ame d’une joïe 
inéfable , mais elle n’en parla alors à 
perfonne ; & fans atribuer une fi pré- 
cieufe faveur à fes propres mérites , elle 
fe contenta d'en us fes actions de 
graces au Seigneur , qui vouloit bien 


LIVRE 
II. 


JEAN LE TeEu- 
THONIQUE. 
D 








communiquer aux Prédicateurs de nos 


Jours une portion des lumiéres, dont 
il avoit autrefois rempli l’efprit de fes 
Apôtres | 

En femme fenfée , & amie du fe- 
cret , Marie de Tarafcon le garda reli- 


gieufement , He ce qu'ataquée d’u- 


C1 ? e. + C1 
ne griève maladie ; qui la conduifit à 
une fainre mort , elle me raconta tour ; 


elle en parla enfuite à fa Sœur , & à 
Pi 


118 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE fon Fils, puisä votre Prieur d'Arles, fiio , poff Priori veffro Arelatenfi, 
IL. & à trois de fes Religieux. Dansle mè- G’rribus Fratribus cunéta per Ordi- 
me tems cette pieufe Dame fe repofa #em narravit. Eodem tempore diéta 
JEAN LE TEU- dans le Seigneur ; & les Freres Prè- Domina defunita eff, & in cemete., 
THONIQUE.  cheurs n'étant pas encore établis dans rio Fratrum Arelati [épulta eff, 
mm” |: Ville de Tarafcon, elle fut enterrée gui Fratres nondum in Taraftone 
dans leur cémeriére d’Arles. Conventum hbabebant. 





_ Ce fait, raporté par un Perfonnage auf refpeétable que 
. Gui Falcodi, fur la foi d’une de fes ne , dont il loue par- 
ticuliérement la prudence & la fainteté , eft conforme à une 
tradition , qui s’eft confervée depuis cinq fiècles dans l'Ordre 
de faint Dominique. | 
Nous ne pR point des fages M vi qui furent 
publiés, ou confirmés dans ce Chapitre de Montpellier, & 
dans les deux fuivans , tenus, l’un à Paris , & l’autre à Tréves. 
Après ce dernier, le pieux Général alla en Angléterre , & fe 
rendit d'abord à Londres , où il avoit convoqué l’Aflkemblée 
de 1250. Nous ne trouvons point que dans ces cinq ou fix 
- derniers Chapitres Généraux , Jean le Teuthonique ait adreflé 
de lettre circulaire à fes Religieux. Celle qui porte fon nom 
dans quelques Manufcrits , & que Don Martene a fait impri 
mer à la fuite des Aëtes du Chapitre de Londres , n’eft qu'une 
copie de la lettre, que faint Dominique avoit écrite aux FF. 
Prêcheurs de Pologne, en 1221, trois ans depuis que faint 
Hyacinthe avoit commencé de faire des Etabliflemens dans ce 
Royaume. Les preuves, que nous en avons données ailleurs, 
demeurent dans leur entier après les réfléxions d’un Critique 
anonyme , qui ne Pr pas affez inftruit de l’'Hiftoire de faint 
Hyacinthe , ni de la rapidité de fes progrès. | 
Après le Chapitre de Londres, notre zélé & infatigable Su- 
XXXIIL érieur fit la vifite de prefque toutes fes Maifons dans la vafte 
“Zék du pieux Rs rovince d'Angleterre, qui s'étendoit aufh dans les Royaumes 
cipliec réguliére. " d'Ecoffe , & d'Irlande: Veillant avec un très-grand foin à faire 
| obferver par-tout la vigueur de la difcipline réguliére , il cor- 
rigeoit avec charité les défauts des commençans ; il encoura- 
geoit les plus férvens, à courir avec une nouvelle ardeur à | 
tout ce qu'il y a de parfait ; & il les propofoit aux autres com- 
me les modéles , qu'ils devoient nmiter. Tout ce qui pouvoit | 
paroître peu convenable à un état d'humilité , de pénitence , 
& de pauvreté évangélique, foit dans les habits, ou dans les 
bâtimens , 1l le réformoit fans aucun ménagement , ni refpeét 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 119 


humain. Mais perfuadé que la charité eft l'ame de la Religion, 
& la mefure de la fainteté , fa premiére atention étoit d’entre- 
tenir, ou de perfeétionner cette divine vertu ns fes Freres, 
leur recommandant fur toutes chofes de conferver toujours la 
lus parfaite union entre eux , & avec les autres Miniftres de 
ÆEvangile ; leur aprenant à céder à tous , & à perdre, s’il étoit 
néceflaire , ce qu'ils croyoient leur apartenir, plutôt que de 
donner lieu à des difputes ;. qui ne fauroient édifier les Fidé: 
les, & qui ne font jamais honneur à ceux qui leur doivent 
l'éxemple. | 
S'il eft vrai, comme l'a écrit Mathieu Paris, qu'il s’étoit 
élevé quelque fujet d'émulation entre les Enfans de faint Fran- 
ÇOIs, ap de faint EN , les’atentions du fage Gé- 
néral en eurent bientôt coupé la racine ; & nous ne voyons 
point que la charité ait été alors altérée entre des perfonnes 
deftinées à prêcher la loi de la charité, & à la faire refpeëter 
par leurs éxemples. Celui qu'il donnoit à fes Freres éroit tou- 
jours plus éficace que fes exhortations , & produifoit plus 
d'éfet que fes ordonnances, quelques refpeëtées qu’elles fuf- 
fent. En quitant l’Angleterre, il revint en France , & célébra 
fon onziéme Chapitre à Mets l'an 1251. Les Provinciaux, ou 
les autres Dépurés des Provinces l’informoient éxaftement, 
f1 tout ce qui avoit été — dans les Chapitres précédens, 
étoit obfervé avec fidélité dans les Monaftéres, où il n’avoit 
à faire la vifite en perfonne. Et à tous les anciens Statuts, il 
ke encore ajoûter ceux, dont l'expérience faifoit connoiître la 
néceflité , furtout pour l'avancement des études, ou du minif- 
tére de la prédication ; l’un & l’autre étant eflentiel à la fin 
d'un Ordre apoftolique. Peu content de favorifer de tout fon 
pouvoir les Établiflemens, que faifoit alors faint Raymond 
dans les Roïaumes de Murcie, & de Tunis , pour faire apren- 
dre aux jeunes Religieux les langues Orientales ; Jean le Teu- 


thonique engagea encore la Province d'Efpagne, à former 


une étude particuliére pour l'Arabe, & à choifir pour cela 
douze Théologiens , en état de faire d'abord ufage de ce nou- 
veau fecours , pour l’inftruétion , & la converfion des Sa- 
rafins. … 

Dans une petite Chronologie des Miffions des FF. Précheurs , 
compofée, ou recueillie depuis peu par M. de Vienne, Pré- 
tre, du Tiers-Ordre de faint Dominique , nous trouvons les 
noms d'un fort grand nombre de Cr ent apoftoliques , 


LIVRE 
II. 


nan 

JEAN LE TEu- 
THONIQUE. 

D 


XXXIV. 
Pour l'Etude des 
Langues. 


EE 
L'an 125$, 


 LivRreEz 
II. 


JEAN LE TEU- 
THONIQUE. 








CXXXV. 
Pour la Prédica- 
tion de la Foi chez 
Les Infidéles. 


XXXVI. 
Converfion des 
ains. 


\ Bylhr.T.1, p.226. 


In Bullar, Ord.T.], 
p. 211, 


120 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


que notre Général faifoit partir prefque chaque année pour 
anoncer les véritez de la Foi, tant dans les Royaumes du 
Septentrion , que dans les autres parties du Monde , princi- 
palement dans la Perfe, l'Arménie, l'Ethyopie, la Tartarie, 
& les Indes Orientales. Ce n’eft point ici Îe lieu d'entrer dans 


le détail des travaux, & des fuccès de ces hommes apoftoli- 
ques. Le récit qu'en font les Hiftoriens, nous pourrions le 


confirmer par les Brefs du Pape Innocent IV , qui leur écri- 
voit quelquefois , tantôt pour les féliciter des progrès de l’'E- 
vangile parmi les Nations , qu'ils avoient entrepris d'inftruire ; 
tantôt pour étendre leurs pouvoirs, ou pour les foutenir con- 
tre les perfécutions des Infidéles, qui procurérent à plufieurs 
la Couronne du Martire. 


.… Par fes Lettres apoñtoliques du 24 Janvier 1253, ce Pape 


employoit les Si 27cm que le zéle lui fournifloit , pour en- 
courager nos Miflionnaires , i la vüé des fruits, qu'ils 
avoient déja faits parmi les Barbares , à ne fe lafler jamais de 
cultiver , & d’arofer de leurs fueurs une vigne , qui n’étoit pas 
entiérement ingrate. Nous avons été, leur difoit-il, remplis 
de joye , & d'une très-grande confolation, en aprenant par 
le raport de perfonnes dignes de foi , que ceux des Cumains , 
qui jufqu'aujourd'hui avoient fermé les oreilles à la prédica- 
tion , & leur cœur à la Grace, commençoient enfin à fe ren- 
dre dociles à vos inftru&ions , pour fortir des ténébres du Pa- 
ganifme , & embrafler les véritez évangéliques , que vous con- 
tinuez à leur prêcher avec autant de zéle , que de fuccès (1). 
Le vingtième de Février de la même année , le Pape [nno- 
cent IV adrefla un autre Bref au Cardinal Eudes de Château- 
roux , fon Légat en Orient, pour faire facrer quelques Evé- 
ques parmi Les Réhions de faint Dominique , & de faint Frän- 
çois, qu'on envoyoit anoncer la Foi dans la grande T'arta- 
rie. Il faut avouer que de toutes les Miffions , qu'on faifoit 


(1) Innocentius . .. . univerfis Fratribus 
Ordinis Prædicatorum in Cumaniæ partibus 
Conftitutis, &c. Ex eo nobis caufa magnz 
jucunditatis , & exultationis affertur, quod, 
ficutinuper à fide dignis accepimus , Cuma- 
ni, qui haëtenus in cæcitaris & ignorantiæ 
tenebris ambulantes , Fidem Catholicam 
impugnabant , nunc per Dei gratiam , vià 
veritatis, quæ Chriftus eft, per vos iplos 
expofirà , redire volunt ad cultum Fidei 


Chriftjanz : nos igitur cupientes ut idem 


Cumani ad audiendum verbum Dei, cum 


per vos in corum auribus feminatum fuerit, 
eo libentius currant, quo exindè potiora 
beneficia fe cognoverint percepifle , dandi 
indulgentiam viginti, vel triginta , feu 
etiam quadraginta dierum , prout expcdire 
Videritis , omnibus accedentibus ad prædi- 
cationes veftras . ... cuilibet veftrum con- 
cedimus autoritate præfentium faculcatem. 
Datum Perufi IX Cal. Februarii , Pontifica- 
ts noftri anno decimo. 
dans 


LS 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. r21 


dans les pays des Infidéles , celle-là fut toujours la plus 
ingrate, ÊE que l’endurcifflement de ces Barbares fut plus 
rand , comme leur efprit naturellement féroce étoit plus éloi- 
né de la douceur de l'Evangile; foit que l'orgueil, dont ils 
étoient enflés par le nombre , & la rapidité de leurs conqué- 
tes , eût mis un obftacle comme invincible à la vertu de la di- 
vine parole. | | 
Cependant, pour remplir toutes ces diférentes Miflions , on 
avoit befoin d’un grand nombre de bons fujets , inftruits de la 
loi de Dieu , zélés pour fa gloire, habiles dans les Langues, & 
déja préparés aux travaux de l’Apoftolat par ceux de la péni- 
tence. Auff fut-ce toujours le premier objet des atentions du 
re Général , de former dans les éxercices du Cloitre des 


iniftres capables de porter au loin la lumière de l'Evangile. 


H vouloit que tous les Supérieurs , qui partageoient avec lui 
Je gouvernement de l'Ordre (chacun dans fa Province, ou 
dans fa Communauté) veillaflent avec foin à l'éducation des 


jeunes Religieux , pour ne rien omettre de ce qui pouvoit les 


faire avancer dans la fainteté & dans les fiences. Il fit encore 
réfléxion que parmi ceux , qui , par leur âge , leurs vertus , & 
leurs talens , pouvoient fervir utilement l'Eglife dans le minif- 
tére de la ré 

duite des Monaftéres ; & qu’on en retiroit plufeurs autres, 
pour les honorer du caraëtére Epifcopal : perfuade , aufh-kjen 
que fes prédécefleurs , qu'il étoit, & plus utile au falut des 


ames , & plus conforme à l’efprit de l'Ordre de faint Domini- 


que, que tous fes Enfans s’ocupañlent du miniftére de la pa- 
role, ; mo le Teuthonique renouvella auprès d'Innocent IV 
la priére que faint Raymond de Pegnafort avoit déja faite au 
Pape Gregoire IX. Il fuplia Sa Sainteté de décharger fon Or- 
dre du gouvernement des Religieufes ; & d'ordonner qu'aucun 
de fes Freres ne pourroit déformais confentir à fon éleétion 
à l'Epifcopat , ni même y être contraint par le Métropolitain , 
ou par les Légats Apoftoliques , fans un Commandement fpé- 
cial du Saint Siège, & la permiflion exprefle des Supérieurs 
de fon Ordre, Le Saint Pere acorda l'un ke l'autre par fes Let- 


tres du 15 de Juillet 1252, & du 26 de Septembre de la même 


/ 
Mais comme les Souverains Pontifes fe réfervoient toujours 
fa liberté d'en ordonner autrement , lorfqu'ils le jugeoient à 
propos , la fuite de leurs Brefs nous oblige d'avouer que ces 
Tome JL. 


ication , plufieurs fe trouvoient ocupés à la con- 


LIVRE 
IL. 
JEAN Le TEu« 
THONIQUE. 





Bullar, T.N,p.25ç< 
217, 


122 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE fortes de conceffions n’étoient jamais entières, m de longue 
IL. durée. Clement IV ,par fa Bulle du fixiéme Février :267,char- 
Jean La Teu- gea de nouveau les FF. Prêcheurs du foin de tous les Monaf- 
THonIQUuE.  téres de leurs Religieufes. Et le Pape Innocent lui-même con- 
a tinua à prendre dans le même Ordre un bon nombre de fujets, 
pour remplir diférens Sièges , principalement en Italie. C’eft 
une preuve que les vœux de notre Généraî n’eurent point 
tout leur éfet. Mais ce qu’il perdoit d'une part , la RE 
fembloit le lui rendre d’une autre. Plus d'une fois il eut li con- 
folation de voir de célébres Evêques, qui , après avoir donné 

de longues années à la conduite de leurs Troupeaux, ou à 
l'adminiftration des afaires de leur Prince , entroient enfuite 
dans l'Ordre de faint Dominique, pour s’y renouveller, & 
travailler plus éficacement à leur propre perfeétion. On nom- 
me en particulier l'illuftre Gautier Mauclerck , Evêque de 
Carlile en Angleterre; Bernard de Muro , Evêque de Vich 
dans la Catalogne ; & Don Pierre de Centellas, Evêque de 
Barcelone. Pierre de Saint Aftier , Evêque de Perigueux , 
folicitoit alors la même permiffion auprès du S. Siége ; mais il 
he l'obtint que plufieurs années après la mort d'Innocent IV. 

: Nous ne ferons pas ici le catalogue des grands hommes, 
qui 1lluftrérent l'Ordre de faint Dominique , fous le gouver- 
nement de fon troifiéme Succefleur , ni de ceux qui répandi- 
rené leur fang pour la Foi parmi les Infidéles. Cela pourroit, 
ou nous engager à des redites , ou nous faire prévenir ce qu'il 
faudra traiter ailleurs. Il fufit de remarquer que peu de mois 
avant fa mort, notre Général vit le célébre Pierre deVeronne 
couronné du martire par les mains des Manichéens, dont il 
avoit été le fleau. Dans fon dernier Chapitre tenu à Bologne, 
dans le mois de Mai 1252, il reçut le Bref que le Pape écri- 
vit 4 ce fujet. Et pendant qu'on avançoit heureufement les in- 
formations pour A Canonifation du faint Martir, Jean le Teu- 
thonique fe rendit à Strafbourg, dans le deffein de faire par- 
tir de-là de nouveaux Miffionaires pour la converfion des 
Cumains. Mais le Seigneur , content de fes travaux , voulut 
récompenfer fes vertus, & l’apella au repos de l'Eternité, 
le quatrième jour de Novembre 1252 (1), fglon la Chroni- 
que du Pere Humbert. 


(1): Poft multos san labores , & longos | zelator , & malitiæ perfecutor , in omni fan- 
diu perpeflos in Ordine, vir ifte beatus , vi- | @itate migravit ad Dominum apud Argen- 
tz mundiflmæ, & valde innoçentis, boni | tinam , ubi mulrotiès demoratus fuerat , &s 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. u3 


* M. Dupin s’eft donc trompé , lorfque dans fon Hiftoire des 
Auteurs Écléfiaftiques, il a dit que Jean Le Teurhonique de l'Or- 
dre des FF. Précheurs , autrefois Evéque de B offena en Hongrie, 
a fleuri vers la fin du trezzsème fiècle, & au commencement du 
fuivant. Le même Ecrivain lui atribue une Somme des Prédi- 
cateurs imprimée à Rutlingen en 1487, & une Somme des 
Confefleurs publiée à Lyon l'an 1518. Nous croyons avec le 
Pere Echard que c’eft encore une méprife de M. Dupin, & 
de quelques autres Hiftoriens , qui ont confondu le quatriéme 
Général des FF. Prêcheurs, avec un autre Religieux du même 
Ordre , apelé communément Jean de Fribourg, & quelque- 
fois Jean le Teuthonique. Celui-ci avoit compofé en éfet di- 
vers Ouvrages ; & il ne mourut qu’en 1314. 

Les Auteurs contemporains , qui ont parlé de l'ancien Evè- 

e de Bofnie, ne lui atribuent point d’autres Ecrits, que des 
“pores circulaires ; mais ils ont tous célébré fes louanges , & 
rendu témoignage à fa haute piété , à l'innocence de fes mœurs, 
& à la vivacité ke fon zéle, qui le rendit infatigable dans l’u- 
fage qu'il fit de fes talens, pour la propagation de la Foi, le 
TA 8 . Âmes, le fervice : lEglife , & l'honneur de fon Or- 
dre. Un Ecrivain, qui avoit converfé familiérement avec lui, 
croit que la fainteté de cet homme, felon le cœur de Dieu , 
avoit fouvent éclaté par des miracles pendant fa vie , & à fa 
mort (1). Auf les Hiftoriens de l'Orare lui donnent-ils com- 
munément le titre de Bienheureux. Mais il ne paroît pas que le 


LIVRÉ 
II. 


EE CC] 
JEAN LE TEU- 


THONIQUE. 
le re à 





* XIII. fiécle, p. 1294. 


Echatd. T.1,p.113e 


Saint Siège, ni aucune Eglife particuliére lui ait décerné un . 


culte. Je trouve feulement que Gautier, Evêque de Straf- 
bourg , fit faire avec beaucoup de folemnité la tranflation de 
{on Corps , pendant le Chapitre Général de l'Ordre, tenu 
dans la même Ville l'an 1260. Ce fut auffi dans cette Aflem- 
blée que le Rô1 (2) de Hongrie, & la Reine (3) Marie, fon 
époufe , adreflérent leurs Lettres, pour faire connoître la fain- 
teté , & les miracles du Serviteur de Dieu, en reconnoiffance 


multa bona fecerat, anno Domini 12$2, | Frere de fainte Elizabeth, & Pere de !a 
& fepultus eft honorifice in Ecclefia Fra- | Bienheureufe Marguerite de Hongrie : il ré- 
trum. Hwmbert.in Chron. ap. Echard. T. I, | gna depuis l'an 123$ jufqu'en l'année 1270. 
p.112. Avant que de monter fur le Trône, il avoit 

(1) Vir in omni bexitate confjicuus , in | particuliérement connu le faint Evéque de 
afpeitu , & affetiu generofus , qui vivens , | Bofnie, & il profita de fes confeils pendant 
@ moriens ferter, @ creditur smiraculis | les trois premiéres années de fon Régne. 
” claruiffe. Stephan. Salan. ap. Echard. T. I, | (3) Cetre pieufe Princeffe étoit Sœur de 
P- 112. Vatace, Empcreur Grec , dans le tems que 


(2) Ce Roi eft Bela IV, Fils d'André, | Baudouin éroit maïrre de On 
; 


LIVRE 
II. 


JEAN LE TEu- 


THONIQUE. 
D + oi à 





XXX VIII. 
Lettre du Roi de 
Hongrie, 


124 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


des bienfaits . qu’ils croyoient avoir recus du Ciel par fes in- 
°q Y 


terceffions. Nous raporterons ici ces Lettres , avec la traduc- 


tion, parce qu’elles apartiennent au fujet que nous traitons. 


ELA, par la Grace de Dieu, Roi 
B de Hongrie ; aux Révérends , & 
chéris de Dieu, le Maître de l'Ordre 
des Freres Prècheurs, & les Définiteurs 
de leur Chapitre général à Strafboursg : 
SALUT , & fincére afecttion. 

C’eft roujours avec un nouveau plai- 
fir,yque Nous nous fouvenons des vertus 
admirables du Servireur de Dieu, Jean, 
autrefois Evèque de Bofnie , depuis Su- 
périeur nes de votre Ordre. Les 
Peuples de ce Royaume , nos Sujets , ne 
nous parlent pe de la vie fi éxem- 
plaire de ce faint Homme, que notre 


cœur ne foit en mème tems rempli des 


plus vifs fentimens d'une tendre dévo- 
tion , & d’une pénitence faluraire : {ur- 
tout lorfque nous faifons atention à cet- 
te éfufon de charité, qui ne lui per- 
métoit de regarder comme fien , que ce 
qu’il pouvoit diftribuer aux Pauvres. 
Nous ferons en deux mots fon Por- 
trait, & fon Eloge, fi nous difons , qu’a- 
tendri fur les miféres du prochain , tout 
fon foin étoit de foulager , ou de con- 
foler les malades , & de s’afliger par 
compaflion avec ceux qui étoient afli- 
és. Doùé du don de la Parole, & ani- 
mé de l’Efprit de Dieu , {es difcours 
plus doux que le miel, & toujours pa- 
tériques , le rendoient fi agréable aux 
Peuples , qu’on pouvoit dire de lui ce 
qu'on a dit d’un faint Maruir : Dieu 
l'avoit rempli de fes Dons. Aufli étoit-il 
aimé de tout le monde. Le Seigneur n'a 
point permis que cette Lumiére für en- 
{évelie dans les ténébres, ou cachée fous 
le boiffeau : mais pour exciter davanta- 


Elle eut plus d’une fois la douleur de voir 
recommencer les divifions entre Bela IV fon 
Epoux, & fon Fils le Roi Etienne. Par les 
Lettres d'Innocenc IV, & d'Urbain IV, il 


LA 


E L À, Dei gratis Rex Hun- 
garieæ y Viris Det amabilibus , 
Patribus Reverendis, Magifiro Or- 
dinis Fratrum Predicatorum , @. 
Definitoribus Capituli generalis a- 
pud Argentinam: SALUTEM, & 
fincere dilettionis Affetum. 

Quam preclara fuerit virtus , ac 
vértuo{a vita fanéle recordationrs 
Joannis Bofinenfis Epiftopi , tunc 
apud nos degentis, desnde Magifirs 
Ordinis veftrs , adbuc dum in me- 
morsam 4 nobis, @ ab omribus re- 
gui babitatoribus revocatur , dul- 
cor eflin aure , Gin corde devorio- 
nis ardor , @* contritionis , quoties 
animadvertitur , quod Pater pins fu- 
per affliélos pia geflans vifcera , hoc 
folum fuum autumabat quod de fue 
Epifcopatus peculio pauperibus pote- 
rat erogare. Etne verbofa fiat circæ 
boc immoratio, brevirer dicam , ip- 
Jius fludium exat miferabilibus mife- 
reri, @° pro infirmantibus infirma- 
ri. Predicationis quoque verbum 
quod mellifluo dabat rn auditores elo- 
quio , Sancts Spsritus slluffratus do- 
no, tam gratiofum eum reddiderat 
apudomnes , ut veré fibi competeret 
laus Martiris de quo [tribitur : 
quem perfuderat Dei gratia. 4b 
omnibus amabafur : Et ne Lumen 
lateret in tenebris, [ed mersta spfius 
per miraculorum conteflationem po- 
pulo patefaita fuffragium afferrent 
poftenribus , & corde credentibus 
manfueto , vobis, aliifque notum 
fit quia mortuum fufcitavir , claudis 


paroît que le premier avoit travaillé à leur 
réconciliation dès l'an 1251 ; & le fecond fs 
la même chofc en 1264. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 1:12; 


greffum , & vifum reflituit non vi- 
dentibus. INobis quoque , qui in 1p- 
“fius fanita converfatione , C oratso- 
aibus pro nobis pollicitis fpem haben- 
tes , medelam fperabamus , lançuo- 
ribus utriufque bominis ; quoties in 
-guodam gravimorboip{oattentati, fi- 
gno Crucis doloribus objeito, fuffragia 
ejufdem smploravimus (ad que vehe- 
smnentia doloris , @ miferia corporez 
-conditionts compulit imploranda , ) 
dUlico quafi ferfibiliter gratiam [en- 
tientes snvocati , dolor ceflit quieti, 
C'morbus fanitati : 

Invigilate ergo Patres Reverendi 
quod vita & Miracule ejufdem pro- 
dire pofint in publicum ; G* Sanita 
Mater Ecclefia tanti Filii gloria in- 

‘crementum recipiat fférituale ; € 
Populus Chriflianus patrocinium per 
cjufdem devotionem augeat € falu- 
2em. | 

Datum..apud noffiram Curiam , 
in Dominica qua cantatur Lætare. 


Ja 
l'édification des Fidéles. 


ge la confiance de ceux qui l’invoquent 
dans la fimplicité de leur cœur, 1l a ma- 
nifefté fes mérites par des miracles. 
Nous pouvons vous aflurer , & l’a- 
prendre à ceux qui l’ignorent , qu'il a 
rendu la vie à un Mort, la vuc aux A- 
veugles ; & qu'ila fait marcher droit 
des Boiteux. Nous-mêmes , après avoir 
joui autrefois de fa fainte converfa- 
tion , avons fouvent éprouvé fon cré- 
dit auprès de Dieu, &e l'éfer des prié- 
res qu'il nous avoit promifes , pour 
nos befoins de l'ame, & du corps : car 
routes les fois qu’ataqués d’une griéve 
maladie , qui: nous eft ordinaire , Nous 
avons nalote fon fecours , après avoir 
fair le figne de la Croix ce la par- 
tie afligée, nous avons vü aufli -rôt 
-d’une maniére prefque fenfible la vertu 
de fes Re : le repos ayant fuc- 
cédé à la violence des douleurs, & la 
fanté à la maladie. 
Ayez-donc foin mes Révérends Pe- 
res, de faire connoître les vertus, & 
les Miracles de ce faint Homme, pour 


loire de Dieu, l'honneur de la fainte Eglife , & la confolation , ou 


Fait dans notre Cour, le Dimanche, où l'on chante Lerare. C’eft-à-dire , 


le quatrième Dimanche du Carème , 


ARFA, Deigratii, Re- 

gina Hungarie, © Duciffa 
Syrie, Ancilla Chrifii, Reverendis 
sn Chriflo Fratribus & Dominis , 
-Magifiro Ordinis Fratrum Pradi- 
-catorum , © Definitoribus Capituli 
-generalis , vinculum cum debira re- 
Yerentia , © devotione. 

Licer diverfa Signa & Prodigia , 
qua per merita Rratris Joannis E- 
pifcopi Bofinenfis, Magiffri Ordi- 
nts felicis nemorie, inter homines 
Pauperes enarrantur , fersatim ex- 
plicare nequeamus ; tamen miracu- 
{um quod de novo nobrs per merita 
spfius faclum eft , inter catera [ub 
filentio nolumus praterire : füilicet 


14 de Mars 1260. 


ARIE , par la Grace de Dieu, 
AV A Reine de Hongrie, & Duchefle 
de Syrie, Servante de JEsus-Curisr , 
aux Révérends Freres, & Seigneurs en 
Jesus - Curisr , le Maïtre de l'Ordre 
-des Freres Prècheurs , & les Définiteurs 
du Chapitre général , honneur & révé- 
rence dansle lien de la charité. 
Quoique Nous ne puiflions raporter 
en détail les divers Prodiges , que le 
Peuple atribuë aux mérites de l’ancien 
Evèque de Bofnie , Jean, d’heureufe 
mémoire , autrefois Supérieur général 
de votre Ordre , Nous ne voulons point 
vous laiffer ignorer le Miracle , que le 
Pere des miféricordes nous a acordé de- 
puis peu , par les mérites de fon Servi- 


Qi 


LIVRE 
II. 


JEAN Le Teu. 


THONIQUE. 
D 








XXXIX. 
Lettre de la Reï- 
ne de Hongrie. 


LIVRE 
IL. 


JEAN LE TEU- 


THONIQUE. 
D - 


nn nn cd 








126 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


teur. Voici le Fait : L’ennemi de la 

aix , & les mauvais confeils de quel- 
ques Vaffaux Infidéles, ayant fait naître 
un cruel diférend entre notre très-gra- 
cieux Seigneur , le Roi de Hongrie, & 
notre très-cher Fils , le Roi Etienne , 
ils avoient l’un & l’autre levé des trou- 
pes, & mis leurs Armées en campagne. 
Le jour du combat étoit marqué ; & les 
deux Armées déja en préfence l’une de 
l'autre , n’atendoient que le dernier 
commandement des deux Princes pour 
en venir aux mains. 

Cependant , comme nous apréhen- 
dions également pour un Epoux, & 
pour un Fils, notre douleur étoit ex- 
trème. Et c’eft dans cette afligeante fi- 
tuation , qu'ayant imploré les intercef- 
fions du Vénérable Jean, 1l nous apa- 
rut la mème nuit, avec le Frere Ge- 
rard , de bonne mémoire , Prieur au- 
trefois du mème Ordre. Or , tandis 
qu’acablées de douleur & de crainte, 
nous lui demandions de nous rendre 
notre Fils fain & fauves cet Ami de 
Dieu faifant fur Nous le figne de la 
Croix, nous répondit : Le voilà ce Fils 
que vous demandez , nous vous le remetons 
entre les mains. Aufli-tot nous étant com- 
me éveillées d’un profond fommeil , 
Nous avons rendu de la fimplicité de 
notre cœur , les très-humbles actions 


de graces , que nous devions, à Notre- 


Seigneur Jesus-CHrisT, & à fa Très- 
faince Mere. La douce efpérance, que 
nous venions de concevoir, fut chan- 
gée dès le lendemain matin en une joïe 
parfaite , ayant apris par les Lettres de 
notre gracieux Seigneur & Epoux, le 
Roi de Hongrie, que fon Fils le Roi 


cum inter charifimum Dominum 
noffrum Regem Hungarie ex una 
parte, © charifimum Filium no- 


Jffrum Regem Stephanum ex alterä , 


per fuggeflionem irfidelium fuorum 
vehemens diftordia orta fuiffer 5 ire 
at pars uiraque colleilo exercitu, 
facie ad faciem pugrare quadam die 
debuiffent , & nos ficut uxor & Ma- 
ler , EX utraque parte timore incu/- 
fo, vebementi dolore affligs incepiffe- 
mus, C fuffragia ejufdem Joannis 
invocaffemus , eadem note idem 
Frater Joannes cum quodam Frarre 
bone memorie Gerardo Priore ejuf- 
dem Ordinis apparuit nobis ; © cum 
nos pofite in tanta anxietate ut Fi- 
durs nofirum prenominatum nobis 
redderent , rogaremus ; tunc Frater 
Joannes appcfite nobis figno Crucis, 
refpondie : Ecce Filium veftrumn 
vobis reflituimns. Tunc nos de fomno 
evigilantes fecundim noffram fimpli- 
citatem Domino nofiro Jefu Chri- 
flo , € Beate Virgini grates retuli- 
mus ut decebat ; mane autem faito 
recepimus nuntium, © Litteras Do- 
mins noffri Regis Hungarie ,in qui- 
bus continebatur quod Filius [uns 
Rex Stephanus in fe omnibus reddi- 
difet , © fuam in omnibus feciffet 
Voluntatem. 

JNosigitur ipfius merita fanilifi- 
ma , Gauxilium nobis impenfum , 
vefire devotioniper prefentes Litre- 
ras duximus intimandum : unde fan- 
ditatem vefiram requirimus quate- 
nus Miracula , que vos per ipfum 
faila fcitis , nobis in veftris Litteris 
refcribatis. e 


Etienne s'étoit enfin foumis , & lui avoit obéi en toutes chofes. 

C’eft ce que Nous avons crû devoir vous écrire , pour ne point cacher 
la faveur que nous avons reçüé de Dieu parles mcrites du Saint. Nous 
fouhaitons que vous nous fafliez aufli favoir par vos Lettres , les autres 
Miracles , que vous n’ignorez pas avoir été faits par {es interceflions. 


Thomas de Catimpré, cité par Odoric Rainald dans fes 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 127 


Annales Ecléfiafiques (1) , confirme ce qu'il y a de plus re- 
marquable dans ces deux Lettres. Le Pere Humbert, fuccef- 
feur de Jean le Teuthonique , les reçut dans le Chapitre de 
Strafbourg. Et dès-lors il les fit inférer dans l'Hiftoire de FOr- 
dre. On les trouve en entier dans la cinquiéme Partie du Li- 
vre intitulé : Les Vies des Freres. 


LIVRE 
II. 


JEAN LS TeEu- 
THONIQUE. 








_ 


SPSVSP PSP EU ELLES ETES ES 


GAUTIER MAUCLERCK.: 


ANCIEN EVEQUE DE CARLILE, 
GRAND TRESORIER D’ANGLETERRE. 


ET illuftre Perfonnage ; d’abord Courtifan , enfuite 

Evêque, & enfin Dominieain dans le Couvent d’Oxfort, 
étoit né en Angleterre, vers l'an onze cens quatre-vingts-dix. 
Mathieu Paris, & Nicolas Trivet ont fouvent parle de fa 
noblefle , de la fupériorité de fes takens , de fes emplois, & 
de fon crédit à la Cou d'Angleterre. Mais quelques traits de 
fa vie, raportés par cès mêmes Auteurs prefque contempo- 
rains, nous font aflez juger que les grandes qualitez de fon 
efprit furent Jong-tems obfcurcies, même dans l'Epifcopat, 
par une plus grande ambition. Nous verrons cependant que 
s’il erra long-tems au gré de fes pafhons , il ne s'y abandonna 
point fans retour. Sa retraite ne fut point forcée , ni fa péni- 
tence équivoque. Il eut le courage , & le bonheur de l'embraf- 


fer dans des jours , où la fortune , dont il avoit éprouvé l’in- 


conftance , venoit lui prodiguer de nouveau fes premiéres 
faveurs. | 

_ Le génie élevé de Mauclerck, fes maniéres nobles , & in- 
finuantes , acompagnées d'une dextérité naturelle à toutes 
chôfes, lui ayant donné accès auprès de fon Souverain , Hen- 
ri [IT , 1l fut ufer avec modération des premiéres graces, qu'il 
en reçut, pour s’en aflürer de plus grandes. Ce Monarque en 


(1) Rem vero memorabilem hoc A copum Boflinenfem fe videndum objeciffe , 
Mento narrat Thomas Catimpratenfis , | præcefque cœlo exceptas fignificafle. Cujus 
Reginæ Hungariæ Deum oranti, ut virum | auCtoris verba refcrre placuit, &c. Oderic. 
& Filium ad bellum paratos , in mutuam | Rain. #d An. 1164, nm. 54-55, ex Thom. 
concordiam adduceret, B. Joannem Epif- | Cærimp. L. II, de opib.ç. 57. 


GAUTIER 
MaAUcLERcK. 
pmRmeser, 


a 


Nicol. Trivet, in 
Chroni. 

Math. Paris. Hift. 
Anglican. 
Echard. T.1,p. 119 


 LivReEe 
II. 


GAUTIER 


Maucrercx. nes à {a confiance , ni le favori à fon ambition. 


128 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


éfet ne tarda pas à le goûter, & à l’eftimere Il le confidéra 
d'abord comme un homme utile, & bientôt après comme un 
Miniftre néceffaire. Dès-lors le Prince ne mit plus des bor- 

Ée fut en l’an- 


ee" née 1223, felon les Hiftoriens de la Nation, que Mauclerk 
Math. Paris. ad An. fut prefqu'en même tems déclaré Grand Tréforier d'Angle- 


1223, P. 119 





L'an 1226. 


terre, & facré Evêque de Carlile, Ville du Comté de Cum- 
berland fur les Frontiéres d'Ecofle. Il n'abandonna point la 
Cour, pour vifiter fon Eglife. Bien des afaires d’une autre 
nature l'ocupérent tout entier pendant plus de vingt ans. Il 
oublioit les De de fon Peuple, & il s’oublioit lui-même. 
Peu fenfible aux devoirs de la Pre , il ne paroifloit tou- 
ché que de la gloire mondaine ; & il ne manquoit point de 
flateurs , prefque aufli affidus à lui faire la cour, qu’il étoit 
lui-même atentif à la faire à fon Prince. 

Après la mort de Louis VIT, le Roi d'Angleterre plein 
d’efpérance , ou de défir de reprendre fur la Couronne de 
France , tout ce que fes Ancêtres avoient pofledé dans ce 
Royaume , choifit l’Archevêque d'York, & le nouvel Evê- 
que de Carlile pour fes Ambaffadeurs auprès du Duc de Bre- 
tagne , dont il vouloit époufer l'Héritiére. De-là les deux Pré- 
lats devoient pénétrer dans quelquss-gnes de nos Provinces , 
‘pour tenter la fidélité des Grands, c’eft-à-dire, pour les en- 

ager par leurs exhortations , & leurs promefles , à fe retirer 
Élobeiflance de Saint Louis, & à recevoir Henri III comme 
leur Seigneur temporel. Rien ne réufhit aux Ambaffadeurs 
Anglois. Et on n'atribua pas ce mauvais fuccès à quelque né- 
ligence , ou défaut d'habileté de la part de ceyx , qui avoient 
té chargés de la négociation ; mais au bonheur dela France, 
ou à la Belle de la Reine Blanche, qui fut prévenir la Cour 
d'Angleterre , & faire échouer tous fes projets (1). 
Mauclerck , toujours apliqué à rendre fes fervices au Roi, 


(x) Archiepifcopus Eboracenfis, & Epif- 


Le nuncii Regis ad illas partes peve- 
copus Carleolenfis. . .. nuncii Regis reverfi | nil 


niflent , Francorum Rex Ludovicus, Blan-' 


funt in Angliam de partibus tran{marinis. 
Miffi quidem erant ad Magnatesillarum Re- 
gionum , quæ de jure antiquo ad Regem An- 
gliæ fpectare tenebantur , quibyg propoli- 
tum fuerat ex parte Regis, ut blandis exhor- 
tatiombus , cum promiflionibus magnis , 
cos inducerent , quatenus diétum Regcm ad 
illos venire cupientem reciperent, & reco- 
gnofccrent ut Dominum naturalem. Sedan- 


châ matre ejus partes fuas interponcente, 
cum Baronibus illis pacem feccrat, & eo- 
rum homagia fufceperat .... Comes vero 
Britanniæ, cujus filiam nuncii petebant per 
matrimonium Regi copulandam, nunciis 
Regis dedit inrefponfis , quodipfe cum Re- 
ge Francorum pacis fwdus compofuerat , 
uod nullo modo potuit violare. Math. 
Dar. Hifi. Angli, #4 An. 1217, p.132. 
çontinuoit 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 1:29 


continuoit à jouir de fes faveurs, qu'il partageoit avec fes 
Créatures. Mais en même tems il fe fit des ennemis : & dès 
l'an 1233 il fe trouva envelopé avec les autres Miniftres de 
la Cour dans la difgrace du Prince. L’Evêque de Winchefter 
eut le crédit, ou l'adrefle de les faire tous congédier , pour 
les remplacer par des Etrangers, felon l'expreflion de Mathieu 
Paris (1). Privé de tous fes emplois, obligé même de remet- 
tre entre les mains du Roi, fon Maitre, & fon Bienfaiteur , 
de grandes fommes , qu’il en avoit reçüës en préfent , ces re- 
vers auroient dû porter l’'Evêque de Carlile à reconnoiître en- 
fin la vanité des grandeurs mondaines, & à les méprifer , pour 
ne s'ocuper déformais que du foin de fon propre falut, & de 
celui de fon troupeau. Il prit un parti tout opofé. Outré de 
dépit, & ne pouvant fuporter l'afront u'il croyoit avoir re- 
çù, il alloit pañfer la Mer , & fe retirer : un autre Royau- 
me. Îl s’étoit déja embarqué au Port de Douvres , lorfque les 
Ofciers du Roi vinrent le retirer avec violence du Vaiffeau. 
L'Evêque de Londres, témoin des outrages qu’on lui fit en 
cette ocafion , ne fe contenta pas de condamner la conduite 
de ces Oficiers, ou d’en porter fes plaintes au Souverain, il 
en vint d'abord aux Cenfures. Il les renouvella enfuite en pré- 
fence de Sa Majefté , & de toute l'Armée. Et la Sentence d'Ex- 
communication qu'il porta contre tous ceux qui avoient mis 
la main fur l’Evêque de Carlile, fut confirmée par plufeurs 
autres Prélats d'Angleterre. Mais tout cela a extréme- 
ment au Roi, felon un Hiftorien de la Nation (2). 

. Malgré ces nouvelles brouilleries , aufquelles la conduite 
irréguliére de Mauclerck avoit donné ocafion ; malgré les in- 
trigues fecretes de fes ennemis, réfolus de le perdre, le Prince 


ne laiffa pas de le rétablir dans tous fes emplois, de l'honorer 


même de fon amitié, & de le rendre beaucoup plus puiffant , 
qu'il ne l'avoit paru avant fa difgrace (3). Depuis l'an 1234 
jufqu'en 1246 , l'Evêque de Carlile fut toujours l'homme de 
confiance de Henri IT ; on en raporte bien des preuves, que 


(1) Anno Domini 11233 Rex Anglorum 
Henricus de confilio Petri Vintonienfis Epif- 
copi , omnes naturales Curiæ fuæ Miniftros 
à fuis removit oficiis, & Pitavienfes ex- 
traneos in eorum Minifteriis fubrogavit, 
Walterum quoque Carleolenfem Epifcopum 
idem Rex per confilium prædi&um ab offi- 
cio Theaurarii prius expellens, &c. Math. 
Parif. Hifi. Angli. ad An, 1127, p. 266. 


Tome JL. 


(2) In præfentia Reois, & quorundam 
Epifcoporum, de violentia Carlcolenfi Epif- 
copo illatà fupradiétam excommunicationis 
Sententiam innovavit, non mediocriter Re- 
ge murmurante,& ne talem ferret Senten- 
tiam prohibente. Math. Parif. ad An. 1133. 

(3) Poftea tamen nen folum ira Regis 
deferbuit ; fed & in priftinam gratiam Gual- 
terurm recepit: nam anno 123$ procurante 


LIVRE 
II. 


GAUTIER 


MAUCLERCK. 
Lu 4. A 








DC 


130 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE nous pañons fous filence. Il fuft de dire que la préfence, & 
IL. les confeils de ce Prélat paroifloient fi néceffaires aux intérêts 
Gauriern de la Couronne, que pour ne point permettre e s'éioignât 
Maucrrrce. de la Cour , le Roi fit prier le Pape Innocent IV de vouloir 
man” bien le difpenfer de fe trouver au premier Concile Général 
de Lyon {1}. Pendant la tenue de ce Concile, au mois de 
Juitlet 124$, le Roi d'Angleterre fortit de Londres, pour fe 
mettre à la tète de fon armée contre une partie de {es Sujets 
révoltés ; & Sa Majefté laïfla l'Evêque de Carlile dans la Ca- 
pitale, | se gouverner le Royaume pendant fon abfence, 

qui fut de quatre mois ( 2). 

Ce Prince eut lieu d’être fatisfait de la maniére, dont fon 
habile Miniftre s'étoit conduit, dans un pofte encore moins 
éminent que dificile par les circonftances des tems, & des 
afaires. Aufhi voulut-1l marquer fon contentement par la con- 
tinuation de fes faveurs. Elles fembloient augmenter tous les 
jours : & les Grands, foit pour rendre juftice à fon mérite, 
foit pour plaire au Souverain , ne fe laffoient point d'aplau- 
dir au choix , qu'il avoit fait d’un homme fi digne de toute fa 
confiance. Mais tandis que tout paroifloit favorifer les défirs 
de Maucierck dans la Cour d'Angleterre , le témoignage de 
{a confcience ne lui permettoit pas de goûter quelque repos. 
La Grace commença à toucher fu cœur ; & une lumiére plus 
pure , que celles qu'il avait jufqu’alors confultées , lui fit en- 
fin comprendre, qu'il étoit tems de tourner fes regards vers 
le Ciel, après les avoir fi opiniätrément fixés à la Terre. Ces 
grandes ue , que les mondains apellent importantes , mais 
qui font fouvent oublier celle du falut , ces tumultueufes ocu- 
pations , ces négociations épineufes , 1l les confidéra dans leur 
véritable jour. Elles lui parurent ce qu'elles font en éfet , lorf- 
que la cupidité, ou l'ambition en font le principe, & qu'elles 
ne fervent de rien pour l'éternité. | 

Il fit de fages réfléxsons fur fon état préfent, & fur tout ce 








Carleolenfi Epifcopo Rex Henricus III Fi- ,kteneretur , abfolvi. Ad an. 1145. 

fiam Comitis Vigorniæ cum juramento fibi (2) Itraque menfe Jullio profcéto in Val- 

fubarrhavit, à quo tamen refilivit. Sed Re- | liam Rege, Regni habenas Londini refti- 

ge cum Eleonora Filia Comitis Provinciæ | tans Gualterus in Palatio fuo Carleolenfi di- 

matrimonio junéto, natoque ei Filio anno | éto cum Abbate Weftmonftarienfi moder2- 

1239 Carlcolenfis Epifeopus infantem ca- | tus cft ad Regis reditum, {cilicet ad Feftumr 

techrzavit, &c. Idem ad An. 1235. omnium Sanctorum. Quod fanè & huic E- 
(r) Cum ad Concilium Lugdunenfe I, | pifcopo perhonorificum fuit, & fummam in. 

En Anglos invitaflet Innocentius1V, | co Regis fidem demonftrat. Ibid. 

ad pcutionem Regis ne Gualterus venire 


= 


- {ans aucun défir 


: DE L'ORDRE DE 8. DOMINIQUE. :31 
qui s'étoit paflé parmi les agitations , & les troubles, qu'il 
avoit éprouvés tant qu'il n’avoit été guidé que par les 1ilu- 
fions de l'amour propre. Déja pénitenr, ou réfolu d'embrafler 
les travaux de la pénitence, il éxamina fous les yeux de Dieu, 
fon entrée dans l'Epifcopat , fans vocation, fans difpofitions , 

A fervir l'Eglife. L’abandon, où, depuis 
vingt-trois ans il laifloit un troupeau , qui lui avoit été con- 
fié, & qu'il n'avoit peut-être jamais vû , 1l fe le reprocha 


comme un crime , qui pouvoit le rendre —— de bien des 


péchez , dont il n’avoit pas même connoiflance. Toutes ces 


Livre 
I. 


GAUTIER 


MAUCLERCK. 
À: 4 





penfées le remplirent de confufion & de crainte; mais elles 


ne l’abatirent point. Un fentiment intérieur , que Dieu vou- 
loit le traiter felon fes miféricordes , le fit réfoudre à prévenir 
la rigueur de fes Jugemens , à fe juger lui-même , & à fe con- 
damner févérement. Avant que la mort vint l’aracher à fes 


honneurs, & à fes plaïfirs , il en fit un généreux facrifice. Et. 


tandis qu'il folicitoit auprès du Säint Siège la permiffon d’ab- 
diquer fon Evêché , 1l diftribuoit largement fes biens aux pau 
vres, reftituoit ceux qu'il croyoit avoir mal aquis, & s’éfor- 
çoit de remplir tous js devoirs , que lui impofoient la Reli- 
gion , la juitice , ou la charité. 

C'eft dans ces heureufes difpofñitions , que la Grace avoit 
déja mis l'Evêque de Carlile , lorfqu’il reçut la Bulle du Pape 
Innocent IV , qui aprouvoit , qui louoit même fon deffein. 
Auffi-tôt 1l le mit en éxécution. Du tumulte de la Cour il paffa 
au repos de la folitude : & bien loin d’emporter avec lui les 
dépouilles de l'Egypte, il y laiffa même fon manteau, felon 
l'exprefhon de Mathieu Paris (1), c’eft-à-dire, qu'il voulut 
entrer dans le lieu de fa pénitence , comme dans fon tom- 
beau, dépouillé de tout ce qui auroit pû l’empêcher de mou- 
rir entiérement au monde, & à fes paflions , pour ne vivre 
Re que de l'efprit de Jesus-CHrisT. Ce fut le jour de Saint 

ierre & de Saint Paul, 29 de Juin 1246, que Gautier Mau- 
clerck prit l'habit de faint Démmiaiqie dans le Couvent d'Ox- 
fort. Fidèle déformais à la Grace, dans la pratique de toutes 
les vertus chrétiennes & religieufes , il ne parut ocupé le 


(1) At tum cüm omnia ci ex parte aulæ | lum , quod diu & multum incoluerat, cüm 
atriderent , fublimiora falutique viciniora | fuis falncans fæcularibus , Fratrum Prxdi- 
covitans , non folum fæculo fe fubducere, | catorum habitum & Ordinem .... fufce- 
fed & infulam abdicare conftituit. ... an- pit, pallium fuum Ægyptix relinquens fu- 
no 1246 die Apoftolorum Petri & Pauli E-| gitivus, &c. Math. Parif. ad An. 1246 , 
pifcopus Gualterus apud Oxoniam fæcu- | p. 477. R TE 


132 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE pe de fes jours, _ de la penfée du falut, du défir de fæ- 


[. tisfaire à la Juftice divine, ou du foin d’éfacer par les larmes. 
Gaurier dela pénitence, les traces impures de la contagion du fiécle. 
Maucrercx. Tout le Royaume d'Angleterre aprit , avec un étonnement 
= mêlé de joye, ce que la main de Dieu venoit de faire en fa- 

veur d'un homme, autrefois l’adorateur, ou l’efclave du mon- 

de. Et fes Freres virent avec encore plus de plaifir la ferveur, 

& la piété d’un pécheur converti, les pieux excès de fon hu: 

*milité , fa tendre reconnoiffance , & fa Religion. Le fentier, 

où il venoit d'entrer, pouvoit paroître épineux , rude , & di- 

ficile : mais il étoit droit : la main du Seigneur l'y avoit con- 

duit ; & fa grace l'y foutint jufqu’à la fin. On ne retrouvoit 

plus dans Mauclerck énitent ce Courtifan fenfuel , & ambi- 

tieux , toujours pra à vers laterre, & toujours avide de fes. 

richeffes , de fes plaifirs, ou de fes honneurs ; c'étoit un Dif- 

ciple fidéle de JESUS-CHRIST , uniquement apliqué à médi- 

ter fa loi, à garder fes faints commandemens , à porter conf- 

tanment fa croix, & à ne fe glorifier que dans fes foufrances, 

& fes humiliations. Nicolas Trivet dit qu'il vieillit dans les 

Fa Chron, ad An. faints éxercices de la vie religieufe : znter Fratres in Conveniu 

Mn Oxoniæ relisiof[a converfatione des rs Sa pénitence ce- 

Eee ne fut point longue ; puifqu'ik n'y avoit que deux ans. 

uatre mois qu’il l’avoit embraflée , lorfque le Seigneur l'a- 

Della à lui le vingt-huitième d'O&obre 1248 (1). Un Hifto- 

rien Anglois l'apelle un excellent Doéteur , & le comte parmi 

les Ecrivains de fa Nation. Il avoue cependant qu'il n'a au- 

çune connoiffanee particulière de fes Ecrits (2): nous ne les 

connoiflons pas davantage. Mais fa converfion auffi fincére 
que long-tems diférée , nous inftruit, & nous édifie aflez. 





(1) Anno 1248 circa Feftum Apoftolo |carnis eft ingrcflus. Math. Pari/. p. 500. 
rum Simonis & Judz, Walrerus cognomen- (2) Jam vero quid egregius ifte Doctor: 
to Mauclerck, Epifcopus quondam Carleo- | fcripfetit , prorfus haîtenus non invenio € 
lenfis , cm Jaudabiter Éales vitæ fuæ dies , | nam vel 0 operum tituli periiffe videntur ,. 
depofito gibbo mundanarum folicitudinum, | faltem mihi nequaquam inveniuntur.. Pi-- 
& divitiarum terminaffet, viam univerfæ | s/eus , p. 848. 


* +++ 

++ 

++ 
+ 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 133 


RE EE LE PL 


 JAQUES DE PLAISANCE, 
__ EVÊQUE DE VINTIMILLE. 


Es Hiftoriensnenous ont point aprisles particularitez de 


la viede ce Prélat. Nous favons feulement qu’il étoit natif 
de Plaifance en Italie ; & qu'ayant embraffé l’Inftitut de faint 
Dominique dans le Couvent de cette Ville, il en étoit déja 
Prieur en 1243, lorfqu'après la mort de Gilles, Evêque de 
Plaifang , il fut élu par la plus grande partie du Chapitre, 
pour remplir ce Siège. | 
Aimé du Peuple, & finguliérement eftimé de tous ceux qui 
favoient connoître le vrai mérite ; fa prudence, fa fermeté, 
le zéle pour la rar le rendoient digne de la place d’hon- 
neur , qu'on lui deftinoit. Cependant ce qui le Éiloit défirer 
des uns , le fit craindre des autres. Et parmi ceux qui n’ai- 
moient point à avoir un Pafteur trop éclairé, ou trop vigilant 
fur leur conduite , il y en eut, qui employérent l’artifice pour 
combattre la validité de fon dleaior , & la calomnie même 
our noircir la perfonne de l’'Evêque élu. Le on Apofto- 
Lu ne laiffa pas de le confirmer , & d'impofer filence à fes 
ennemis. Mais le Serviteur de Dieu , qui n’avoit que des fen- 


Livre 
IL. 


JAQUES 
DEPLAISANCE.. 
D 


Ber. Guidonis. Fon- 
tana. Ughellus. 
Bullar, Ord. T. I ,. 
P-d353: 136» 257. 


timens de paix , & de la _ arfaite humilité , fe Joignit à eux 


contre lui-même. Il ne fe préfenta au Pape, que pour le fu- 
plier d’agréer la ceffon libre & très-volontaire , qu’il fitentre 
fes mains, de tout le droit qu'il pouvoit avoir à l'Evêché de 
Plaifance. Innocent IV , pour procurer fon repos, & réunir 
les efprits , fans néanmoins priver l’'Eglife d'un Pafteur, dont 
les talens lui étoient connus , voulut bien le décharger de ce 
fardeau ; mais ce ne fut qu’en lui en impofant un autre. 
Depuis lan 1234, le Siége de Vintimille, Ville d'Italie fur 
les frontiéres du Comté de K ice, étoit OCUpÉ par un nommé 
Nicolas, autrefois Chanoine de Notre Due des Vignes 
dans le Diocéfe de Genes. Le Chapitre de Vintimille l'ayant 


choifi pour fon Evêque, l’éle&ion avoit été aprouvée  & 


confirmée par Gregoire IX. Mais quelques années après , ce 
Prélat fut acufé auprès du Saint Siége, de fimonie , d'impu- 
| R ir 


LIVRE 
IL 
JAQUES 


DEPLAISANCE. 
RE PERRE RE 





# Col, 303. 


Ughel. Ita. Sacr, T. 
IV, Col. 305. 


134 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


reté, de violence , & de plufieurs autres crimes fcandaleux, 
dont on peut voir le récit dans un Bref du même Pape, ra- 

orté par l’Abé Ughel, dans fon quatriéme Tome de l'Italie 
Éacrées . Gregoire {X étant mort avant que d’avoir pû éxami- 
ner, & punir tous ces excès, l’'Evêque Nicolas , déja familia- 
rifé avec le crime, vécut dans les mêmes défordres , pendant 
la longue vacance du Saint Siëge. Mais la Providence ayant 
enfin donné un premier Pafteur à l'Eglife Univerfelle , Inno- 
cent IV prit d’abord connoiflance du tait , trouva l'Evêque de 
Vintimille fouillé de toutes les iniquitez , qu'on lui reprochoit 
depuis quatre ans ; 1l le dépofa , & mit en fa place Jâques de 
Plaifance, de l'Ordre des FF. Prêcheurs , afin que par {a piété 
éxemplaire , fon zéle, & fa vigilance paftorale , il remit tou- 
tes chofes dans l'ordre , & réparät le fcandale , que fqn prédé- 
ceffeur avoit donné aux Fidéles. Nous traduirons ici les Let- 
tres apoftoliques de ce Pape, parce qu’en nous faifant connoi- 
tre les qualitez de notre Prélat, elles nous dédommagent en 
quelque maniére du filence des Auteurs. 

Innocent .....au Chapitre de Vintimille , falut & béné- 
dition apoftolique. La divine Providence Nous ayant éle- 
vés , quoique fans aucun mérite de Notre part, à la plénitude 
de puiffance , Nous Nous faifons un devoir de partager dans 
l'ocafion l'honneur , & la folicitude paftorale, avec les per- 
fonnes , qui fe rendent véritablement recommandables par la 
doûtrine’, la probité, l'innocence des mœurs, & par leur zéle 

our la Religion ; fachant bien que c’eft la coopération detels 
Miniftres , qui fait fruétifier la vigne du Seigneur, & qui en 
éloigne les renards , toujours prêts à la ravager. C’eft pour- 
uoi les excès de Nicolas, autrefois Evêque de Vintimille , 
ous ayant mis dans la néceflité de le chafler de fon pu: à : 
Nous avons fait atention , que par la négligence , & la malice 
de ce mauvais Pafteur, votre Ë glife étoit fort déchüe de fon 
remier état, autant pour le temporel que pour le fpirituel. 

t il ne faut pas douter qu'elle ne tombät enfin dans la der- 
niére calamite , fi Nous diférions de vous donner un guide & 
un Pafteur rempli de la crainte de Dieu, & capable par fa pru- 
dence,fon habileté, & fes charitables atentions,de réparer tous 
les maux,dont vous avez un jufte fujet de vousplaindre. Ayant 
donc délibéré de cette afaire, avec Nos Vénérables Freres 
les Cardinaux , la Providence de Dieu Nous a préfenté à 
propos l'homme que Nous cherchions , & que Nous vous 


Ü 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 135 


donnons pour Evêque. C'eft Notre cher Fils, Jâques, de lOr- 
dre des F F . Prêcheurs , homme felon Notre cœur, plein d’hon- 
neur, & de fagefle , également éclairé dans [a conduite des 
ames , & dans È maniement des afaires. Tous ceux , qui l'ont 
particuliérement connu, rendent avec ps un glorieux té- 
moignage à fes vertus , & à la pureté de fes mœurs. Recevez-le 
donc aveærefpelt & dévotion, comme votre Pafteur ; obéif- 
fez-lui avec humilité, comme à votre Pere; écoutez fa voix ; 
fuivez fes confeils; & profitez toujours de fes inftruétions.Nous 
fommes pleinement perfuadés que votre Eglife, fous fa condui- 
te, recouvrera bientôt fon ancienne beauté, &c. Fait dans No- 


LIVRE 
IT. 


_ JAQUES 
DEPLAISANCE. 
D Se À 








tre Palais de Latran le 1$ des Calendes d'Avril , la premiére . 


année de Notre Pontificat. C’eff-d-dire , le 18 de Mars 1244. 
Trois jours aprés, Sa Sainteté, afin de procurer un nouveau 
fujet de confolation à l’Eglife de Vintimille , adreffa un autre 
Bref au nouvel Evêque, pouf lui permettre d’ufer de miféricor- 
de , & de difpenfe envers les Clercs, qui, malgté les cenfures 
portées par l'Archidiacre, avoient eu la témérité de fe faire o® 
donner par l’ancien Evêque, depuis qu'on lui avoit intimé la 
Sentence , qui le fufpendoit de toutes les fonétions Epifco- 
sg Le Pape avertit cependant notre Prélat de mettre une 
age diférence entre ceux qui avoient agi par ignorance, ou 
fimplicité, & ceux qu'on reconnoiîtroit l'avoir Bit par mépris 

our l'autorité de l'Eglife. | 

L'Abé Ughel a pris l'un & l’autre Bref des Repiftres du Va- 
tican. Et Fontana nous aprend que le pieux Evêque de Yinti- 
mille , après avoir glorieufement rempli pendant près P'n 
ans , tous les devoirs d'un bon Pafteur, pour l'édification de fon 
Eglife , & felon les intentions du Vicaire de JEsus-CHrrsT, 
mourut faintement l'an 1251 (r). Je crois qu'il faut mettre fa 
mort avant la fin de 1250, puifque nous trouvons un Bref 
d'Innocent IV , adreflé à fon fucceffeur , & daté du fecond 
jour de Janvier 1251. | | . 


(x) Præfuit laudabiliter Jacobus ufque ad annum i2sr, quo mortalia reliquit , æter- 
na pcuturus. Fontæ. in Thear. Dom. p. 119. 


SES 
cv 


Ibid. Col, 306 


Ita. Sac, ut fp. Ca!, 
397° 


LIVRE 


DaAvip 
MAKELLY. 








doux, qu'il faifoit fes délices de tout ce qui morti 


. Ou 


136 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
PR OS ORAN PEN EEE NE 
DAVID MAKELL Y, 


ARCHEVÉQUE DE CASHEL EN IRLANDE. 


AviD furnommé Makellÿy , naquit en Irlande vèss la 


fin du douziéme fiécle. Les fenrimens de probité & de … 


religion , que fes pieux parens avoient eu foin de lui infpirer 
de bonne-heure, me la régle conftante, qu'il fuivit toute 
fa vie ; & de laquelle 1] ne s'écarta jamais. 

Confacré par vocation aufervice des autels, il fut fait Cha- 
noine de l'Eglife Métropolitaine de Cashel dans la Province 
de Mounfter : & fon mérite le fit bientôt après élire Doyen du 
même Chapitre. Dans un fiécle fort corrompu , David vivoit 
en réputation d'un Ecléfiaftique zélé, vertueux, inftruit des 
devoirs de fon état , aplique à les remplir, & afpirant tou- 
jours à une plus grande perfeétion. Il aimoit les pauvres, 
pratiquoit les œuvres de charité , ou de miféricorde à leur 
égard. Après avoir partagé fon pain avec eux, comme avec 
{es freres, il voulut les faire fes héritiers. Ses férieufes réflé- 
xions fur les mêmes paroles de JESUS-CHRIST , qui avoient 
autrefois conduit faint Antoine dans le défert, le portérent à 
quitter fa dignité, à vendre tous fes biens, & à en diftribuer 
le æÆi aux pauvres, pour fe mettre à la fuite de JESU s- 
CHRIST, par la profeflion de la pauvreté volontaire. Ce 
fut dans la Ville de Corck, Capitale du Comté de ce nom, 
que David Makelly embraffa l'Inftitut des FF. Prêcheurs. 

Allant dès-lors de vertu en vertu par l'oubli du monde, & 
le mépris de foi-même, le joug du Seigneur lui paroifloit fi 

ke les fens, 

& la nature. Solitaire-par atrait, on le trouvoit toujours prêt 
à quiter le repos de la retraite , & fes plus douces ocupations, 
dès que la charité l'apelloit ailleurs, pour inftrutre , confoler, 
Culasse les Fidéles. Il éxerça pendant plufieurs années le 
miniftére de la parole ; & il l'exerça toujours avec fruit, parce 
que fes éxemples prêéchoient encore plus éficacement, & tou- 
choient plus vivement les cœurs , que fes exhortations, quoi- 
que toujours méditées aux piés du Crucifix, C'étoit furtout 
aux 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 1:37 


aux peuples de la campagne, & à ceux qui habitoient les cô- 
tes de la Mer, qu’il aimoit à expliquer familierement les vé- 
ritez de l'Evangile. Une atention infatigable à les inftruire, 
& la douceur avec laquelle il fuportoit , & leur ignorance, 
& leur groffiéreté , le mirent en état de combattre avec fuccès 
les vices, & les fuperftitions. Ces travaux fans éclat étoient 
fans doute d'autant plus agréables à Dieu , que fa divine pa- 
role étoit anoncée avec cette fimphcité , qui lui laifloit toute 
fa force , & fon onétion. | 
Pendant que le Pere Makelly , ainfi oçupé felon fa voca- 
tion, travailloit à fon falut, & à celui des F idéles dans toute 
la Province de Mouniter, le Siége de Cloney étant venu à 
vaquer , la voix du Peuple fe joignit à celle du Clergé, pour 
le faire monter fur le Trône Epifcopal. Ils voulurent tous 
avoir pour Pafteur & pour Pere, sg que depuis long-tems 
ils regardoient comme leur Apôtre. Maïs les mêmes raïfons, 
qui l’avoient déja engagé à abandonner une moindre dignité, 
lui firent encore plus redouter le poids de celle, où on préten- 
doit l’élever. Il refufa donc fon confentement , & pria fes Su- 
périeurs de ne jamais donner le leur. Il auroit pù fe flater de 
Er le refte de fes jours dans le repos du Cloitre , ou dans 
‘éxercice de la prédication , fi le Pape Gregoire IX , moins 
touché de fes priéres , que fihfible aux befoins de l'Eglife de 
. Cloney , & aux vœux des Fidéles , en confirmant fon élec- 
tion, ne lui avoit expreffément ordonné de regarder le choix 
qu'on avoit fait de lui, comme un ordre du Ciel, qui s’expli- 
uoit par la voix du Peuple. Dès que le Vicaire de JEsUSs- 
HRIST eut parlé, le faint Religieux fe foumit , & on ne le 
vit ur ocupé que du défir, ou du foin de bien remplir tous 
les devoirs L la charité paftorale. Il les remplit en éfet avec 
tout le zéle, & la folicitude d’un Evêque, qui penfe conti- 
nuellement au comte qu'il doit rendre au fouverain Pafteur ; 
© qui eft perfuadé qu'il ne peut être faint, qu'’autant que par 
fes éxemples & fes atentions , iltravaille à fantifier tous ceux 
que la Providence a commis à fes foins. | 
Nous ignorons fi l'Eglife de Cloney profita long-tems de 
ceux du charitable Préfae ») parce qu'on ne marque point 
Tannée qyil en prit poffeffion. Mais nous favons qu’en 1237 
l'Archevêque de Cashel, dont il éroit fufragant, étant déce- 
dé, il fut élu pour lui fuccéder. La bonne , que fes ver- 
tus ge ÿ was dans ce Chapitre, lorfqu'il y ocupoit la 
ome | 


LIVRE 
II, 


Davip 


MAKELLY. 
Dr ee 4 


- 








LIVRE 
Il. 


DAvip 
_ MAKELLY. 


JEAN 
DE S. GILLES. 
D + à 





138 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
place de Doyen, s’étendit plus loin, & produifit de nouveaux 
fruits pendant feize années entiéres, qu'il gouverna fon Dio- 
céfe. | Pre atentif à faire fes vifites felon l’efprit des Ca- 
nons, à inftruire les peuples, & à leur ho on de bons Mi- 
niftres , à nourrir les pauvres, à réconcilier les ennemis, ou à 
terminer leurs diférends, il étoit tout à tous. En 1243 il apela 
à Cashel les Religieux de fon Ordre , leur donna une Eglife, 
& leur fit bâtir un Couwnt. Cet Etabliffement procura de 
nouveaux fecours fpirituels aux Fidéles de ce Diocèfe. Mais 
Je zélé Prélat en pagtageant le travail, prenoit toujours pour 
Jui - même ce qui demandoit particuliérement fes atentions. 
On ne fait pas qu'il fe foit jamais éloigné de fon Troupeau, 
e pour ê trouver, felon les ordres du Pape, au premier 
Éonsile Général de Lyon. Et il eft certain qu'il ne cefla de 
veiller à tout, de prê@er fon Peuple, & de l’édifier, qu'en 
ceffant de vivre. Sa'mort ariva l’an 1253, felon Fontana (1). 


SISSSSSSSSSSALSSSSSSSSSS 


JEAN DES. GILLES, 


ME’ DECIN ORDINAIRE IX PHILIPPE-AUGUSTE ; 
# DEPUIS CÉLÉBRE T HÉOLOGIEN DANS L'ORDRE 
DE SAINT DOMINIQUE. , 


ELo x l’Auteur des Antiquitez de l’'Univérfité d'Oxfort , 
Jean Gilles , ou de Saint Gilles, étoit Anglois de Nation. 
S'étant rendu d’abord très-habile dans les Lettres Humaines, 
dans la Phifique , & la Médecine, il enfeigna publiquement, 
& avec beaucoup d'éclat, l'une & l’autre dans fon ays. On 
ignore aujourd'hui le lieu de fa naïflance, & la qualité de fes 


parens. Mais fon génie , fon érudition , fa ET paroiffent 


dans fes Ecrits ; & les emplois qu'il remplit, foit dans le Sié- 
cle, foit dans le Cloître , font la preuve de la fupériorité de fes 
talens. Sa réputation le fit connoitre à la Cour de France ; & 


. le Roi très-Chrétien, Philippe-Augufte, l'ayant apelé à Pa- 


ris, l'honora de fa confiance, & voulut l'avoir pour fon Mé- 
decin ordinaire. Cet emploi , & les apointemens âu’il en re- 


(x) Sexdecim annos in hac nobili fede præfuit Paftor optimus, quievitque cum Chri- 
fto anno 1253. Fontan, in Theat, Dom. p. 66. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 1:39 


tiroit , ne l'empêchérent point de faire en France ce qu'il 
avoit fait d’abord en Angleterre. Ses leçons publiques dans 
Ja Capitale de ce Royaume, rendirent fon nom encore plus 
célébre vers le commencement du treiziéme fiécle. 

L'Hiftorien d'Oxfort ajoûte que notre Dofteur étant enfuite 
allé à Montpellier, y enfeigna la Médecine avec de nou- 
veaux (1) aplaudiflemens , & que l'éclat de fa réputation aug- 
_menta de beaucoup celle de cette favante Faculté. Mais cet 
Ecrivain ne dit point fi ce fut du vivant de Philippe Augufke , 
ou après la mort de ce Prince, décedé à Mante le 14 de Juil- 
let 1223, que Jean de Saint Gilles pafla des Ecoles de Paris à 
celles de Montpellier. Quoiqu'il en foit , il eft certain qu’il ne 
s’arêta pas long-tems dans cette derniére Ville. Soit que fon 
os , capable de toute forte d’érudition , le portât à ne vou- 
oir rien ignorer de ce qui püût faire honneur à un Savant ; foit 
que la Providence , pour le préparer à l’état, où elle vouloit 
le faire entrer , lui eùt infpiré la penfée de s’apliquer particu- 
liérement à l'étude de la Religion, 1l revint bientôt à Paris, 
commença à fréquenter les Ecoles de Théologie ; les plus 
grandes dificultez ne furent pas au-deflus de fa pénétration ; 

refqu'aufli-tôt Maître que D 

Doéteur , & obtint une Chaire 
culté. | 

À ces nouvelles ocupations , il voulut ajoûter celle d'anon- 
cer la parole de Dieu aux Fidéles. La pureté de fes mœurs 
 donnoit du poids à une éloquence naturelle : & on aflure que 
le concours de fes Auditeurs étoit encore plus grand dans les 
Eglifes , que celui de fes Difciples dans les Ecoles , quoiqu'on 
s'empreflàt toujours de prendre fes leçons, & de profiter de 
cette rare érudition, qu'il faifoit paroître dans fa maniére 
d'expliquer les queftions les plus profondes , ou les plus épi- 
neules. Il excelloit furtout dans l’expofition des maximes de 
l'Evangile , & des régles de la morale Chrétienne. On peur le 
remarquer , dit Nicolas Trivet, dans les Ouvrages, que ce 
favant homme nous a laiflés , & qui font corrigés de fa 
main (2). | | 

Pendant que l’illuftre Anglois , dans la Ville du Monde la 

(1) Philofophiz fcientiäeminebat, Ægi- | ditorum confluxu , præmonftrabar | &c. 
dius , deinde à Philippo Rege Galliz ad cu- | Awétor Antiquit. Oxon. Academ. ap. E- 
randam valetudinçm afcitus eft. Philofo- | cherd. T. I, p. 1o1. 


phiam , & Medicinam Luwetiæ primo, poft- | (2) Suaviflimus quippe moralifator erat , 
ssodum in Moncepeffulano , in fummo Au- | ut fatis confiderare poterit qui Libros ejus 


. : S 1] 


fciple , il mérita le dégré de 
. Profeffeur dans cette Fa-- 


LIVRE. 
II. 


JEAN 
DE S. GILLES. 
D 





LIVRE 
IL. 


JEAN 
DE S. GILLES. 
à À 








140 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


plus favante comme la plus polie , jouiffoit tranquillement de 
cette haute réputation, qu'il s'étoit aquife , & par une pro- 
bité connuë, & par la diverfité de fes talens , Dieu parloit fé- 
cretement à fon cœur. La Grace répandoit dans fon efprit des 
Jumiéres plus vives ; 1l les mit à profit, pour fe convaincre lui- 
mêmædu néant de tout ce qui pañfe avec la figure de ce mon- 
de , & de la folie de l’homme, qui cherche fon bonheur où 
il ne fauroit le trouver. La vie, qu'avoit mené jufqu’alors 
Jean de faint Gilles, l’avoit éloigné à la vérité des vices grof- 
fiers : elle pouvoit paroiître fans reproche aux.yeux des hom- 
mes; mais il ne jugea pas qu'elle füt telle aux yeux de Dieu ; 

lus il méditoit la loi de JEsus-CHRIST , plus il fe déplaifoit à 
he ; & 11 fentoit bien que Dieu demandoit de lui quel- 

e chofe de plus pur dans les motifs, de plus régulier dans 
pe ne , de plus parfait dans fes aétions. 

Fidèle à écouter la voix de ce maître intérieur , tout ce qu'il 
enfeignoit aux autres, 1l commença à fe l’apliquer à foi-même, 
& à Ë juger à la rigueur. Ce qui lui avoit paru autrefois inno- 
cent, honèête, ou permis; en le raprochant de la doftrine de 
lHomme-Dieu , & de la vie de ce grand modéle des Saints, 
il ne le regarda À are que comme un rafñinement d'orgueil, ou 


‘une recherchefecrete de l'eftime des créatures : en un mot, il 


vit en lui-même le Philofophe , & il n’y reconnut point le 
Chrétien. Confus & humilié , comme un homme qui fe trou- 
veroit les mains vuides, dans le tems qu'il penfoit avoir déja 
aquis des tréfors , il s'écria ainfi qu'un autre Saul : Seigneur, 
que vous plait-il que je fafle ? Je fuis à vous, montrez-moi la 
voye, par laquelle vous m'ordonnez de marcher. Il la connut 
cette voye , & il ne refufa point d'y entrer. Célébre Doëteur, 
& Prédicateur fameux, | crut qu'en fe plaçant au dernier 
rang dans la Maifon du Seigneur , il aprendroit à fe revêtir 
de Ÿ ESUS-CHRIST , par l’éxercice de l'hunulité , & de l’obéif- 
fance ; & qu'en travaillant à affürer fon propre falut dans le 
Cloitre , il en feroit plus propre à travailler utilement à celui 
du prochain. 

On étoit aflez acoutumeé à voir de telles converfions , auff 
ordinaires alors qu'elles font aujourd’hui peu connuës. Mais 
il n'y en eut point qui fit plus d'éclat, ni dont les circonftan- 


infpexerit, manu proprià emendatos. Nic. Triv. in Chron. Regwm Anglie. Spicil, Da 
cher. T. III, p, 188. A 


DE L'ORDRE DE S. DOMI NIQUE. r4: 
ces puffent paroitre plus finguliéres , que celle de Jean de faint 
Gilles. Pour faire une démarche, qui devoit fans doute cou- 


ter beaucoup à la nature, il ne voulut ni cacher fon deffein à 


fes amis , ni changer de lieu en changeant d'habit, & d'état. 
C'eft d’après les Agiteurs du treizième fiécle, que les moder- 
nes racontent ainf le fait. Le Chapitre Général des FF. Pré- 
cheurs étant affemblé à Paris, fous le Bienheureux Jourdain 
de Saxe , Jean de faint Gilles a&tuellement Profeffeur de Théo- 
logie, monta en Ghaire dans l'Eglife de faint Jâques ; & en 

réfence d’un nombreux Auditoire, après avoir prêché avec 
 nhre de zéle fur l'importance du falut, & contre la va- 
nité des richefles, ou des grandeurs humaines, il confirma 
e fon éxemple la vérité . maximes qu'il venoit d'établir. 


LIVRE 
IT. 


Jean 


D2 S. GILLES. 
D _ _".: .. " ° --);..* À 








ous les yeux de cette multitude de perfonnes de toute condi- 


tion, qui venoient de l'entendre, il fe mit aux piés du Bien- 
heureux Jourdain, & reçut de fes mains l’'Habit de faint Do- 
minique. 

Le Pere Echard croit que ceci n'ariva qu'en l’année 1228 ; 
& fon opinion ne peut être difputée , fi on fupofe que Jean de 
faint Gilles n’avoit enfeigné à Montpellier qu'après la mort de 
Philippe Augufte, Plufieurs Hiftoriens néanmoins mettent cet 
événement en 1222, pendant le premier Chapitre de Paris, 
où Jourdain de Saxe be élu pour ni au faint Fondateur. 
Nicolas Trivet, qui écrivoit dans le même fiécle , femble fa- 
vorifer ce fentiment, dans fa Chronique fur l’année 1222 : 
environ ce même tems, dit cet Auteur, il y eut plufeurs Per- 
fonnages illuftres par leur doëtrine , & par leurs vertus, qui 
foulant aux piés les richeffes , & tout ce que le monde eftime, 
pour faire profefhon de la pauvreté Se ar de JESsUSs- 
CHRIST, fe retirérent dans l'Ordre des FF. Prêcheurs, & 
des FF. Mineurs. Parmi bien d’autres , il faut diftinguer Jean 
de faint Gilles, & Aléxandre de Halez, tous deux Anglois 
. de Nation , & célébres Théologiens dans les Ecoles de Paris. 
Le premier ayant préché devant le Clergé dans l'Eglife du 
Collége de faint Jàques, pour faire connoitre , autant par fes 
aétions ” par fes paroles , le mérite de la pauvreté Evangé- 
lique , 1l décendit de la Chaire, reçut l'Habit de Religieux , 
& continua fon difcours en préfence du même Auditoire. Ce- 


endant , ajoûte Triver, les a , & les vives inftances des 


tudians obligérent ce célébre Doëteur à ne point interrom- 


pre fes leçons de Théologie. Et ce fut à cette ocafon que les 
S ii 


LIVRE 
IT. 
JEAN 


DE S. GILLES. 
 — 








# Antiquit. Oxoii. À- 
cadem, ut fp. 


Vic de $. Domini- 

qi de Guzman, & de 

es premiers Difciples, 
Liv. V,p. 563. 


142 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Religieux de fon Ordre commencerent à avoir deux Chaires 
dans l’'Univerfité de Paris (1). 

# Un autre Auteur, déja cité, dit la même chofe, dansfes An- 
tiquitez de l'Univerfité d'Oxfort, où il aflure que le nouveau 
Religieux , pour ne point enfouir {es talens , continua à enfei- 
gner à Paris les Arts & la Théologie , qu'il diétoit à plufieurs 
de fes Freres , & à un plus grand nombre de féculiers (2) *. 
Dès-lors il partagea fon tems entre les aétes fcolaftiques , le 
Miniftére de la Prédication , & la compofition de divers Ou- 
vrages. Tous les momens qu'il donnoit auparavant, ou aux 
afaires temporelles , ou à fes plaifirs , 11 les confacra à l’éxer- 
cice de la priére. Et la Grace , qui lui avoit fait connoître la 
vanité, ou le néant de tout ce qui ne conduit point au bon- 
heur de l'éternité , lui aprit à fantifier déformais fes travaux 
par les pratiques de la charité , & de la pénitence. 

Nous avons remarqué ailleurs , que le célébre Roland de 
Crémone expliqua , fous ce sn Aa ur 0 , les Livres du 
Maître des ie , depuis l'an 1228 , jufqu'en 1231, 
qu'il fut envoyé à Touloufe , foit pour donner une forme , & 
une réputation à cette Univerfité naiffante , foit pour s'opofer 
aux Prédicateurs de l'erreur , encore trop-répandus dans le 
Pais. Jean deS. Gilles , qui l’avoit précédé dans les Ecoles 
de Paris , lui fuccéda enfuite dans celles de Touloufe , dont 
il augmenta beaucoup le luftre , en perfeétionnant ce que fon 
Prédéceffeur avoit commencé. Auffi eftimable par la De 


, (1) Circs es tempora multi viri fcientià | plures ad Artes,prafertim ad Theologiam is 


dé fanctisate illufires, abjeülis fecularium 
divitiarum copiis , Chriflum pauperem imi- 
sari conantes ad Pradscatorum d Minorum 
Ordines confluxerunt ; inter ques erant Joan- 
nes de fanito Ægidio , & Alexander dé H4- 
lez , Doctores in facra Theologiä #ambo , & 
Anglici natione. Quorum Joannes in Domo 
Fratrum Pradicatorum, fermonem faciens 
ad Clerum, cum f[uaifet paupertatem vo- 
luntariam , us verba fus exemplo confirma- 
ret, defcendens de ambone habitum Fratrum 
recepits G in eodem regreffus #4 Clerum 
fermonem explevis. Occafione ejus habue- 
yunt Fratres duas Scholas intra [epta [ua, 
refamente eo leitiones fuas poff Ordinis in- 
greffum ad importunam inflantiam audito- 
rum. Nic. Trivet, ut {p. ad An. 1222. 

(2) Sufcepto deinceps fantti Deminici 
habit Lutetia duabus in [cholis ipfi illum in 
Énem ereûis ..., Fratres [nes ; G* alios 


fermabat. 

* Jean de faint Gilles cft donc le premier 
Dominicain , qui ait enfeigné publique- 
ment la Théologie dans les Ecoles de Paris, 
Et les deux Chaires , dont ilcft parlé ici, fu- 
rent érigées fous les yeux, & avec l'agré- 
ment des autres Profefleurs publics , qui 
n'étoient pas alors en grand nombre. Or, 
foit que nous métions l'entrée de Jean de 
faint Gilles dans l'Ordre des Freres Prè- 
cheurs , en 1222,ou en 11228, ileft cer 
tain qu'elle a précédé le trouble qui ariva 
dans lUniverfré en 1230, à l'ocafion de 
ee Etudians maltraités par les Soldats 

u Guet ; ce qui obligea les Profcffeurs à fe 
retirer , les uns en Angleterre , les autres à 
Angers , à Orléans, ou à Reims. Il n'eft 
donc pas vrai que les Freres Précheurs ayent 
robe de leur abfence , pour s'emparer des 


deux Chaires. Vide Echara, TI , p. 101, 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 1:43 


de fa vie * , que connu par fon érudition , il fe faifoit particu- 
liérement aimer par le caraétére de fon cœur , & l'agrément 
de fon efprit. Il faut entendre ceci des Catholiques , qui 
étoient déja en grand nombre à Touloufe. Il s’y trouvoit auff 
plufieurs Albigeois acrédités ; quelques-uns même à la tête 
des afaires avoient la principale autorité dans les délibérations 
publiques : & les grandes qualitez de notre illuftre Profeffeur 
n'empêcherent pas qÜ'il n’eût fa part à la perfécution , que ces 
Hérériques , vers la fin de 123$ , excitérent contre leur Evé- 
os , Raymond de Felgar , & contre les autres Religieux de 
on Ordre. Jean deS. Gilles , qui n’avoit ocupé que pendant 
deux ans fa Chaire de Théologie dans l'Univerfré de Tou- 
loufe , la céda à un autre Dominicain , nommé Laurent de 
Fougeres , Dofteur comme lui de Paris ; mais au lieu de re- 
venir dans cette Capitale , il alla droit en Angleterre , où l’o- 
béiffance le rapeloit. | 
La Faculté de Théologie d’Oxfort comtoit alors parmi fes 
lus habiles Profeffeurs , deux Hommes éminens en fcience 
& en vertu, Robert, & Richard, tous deux liés d'amitié à 
faint Edmond Archevêque de Cantorbery. Ils avoient enfei- 
né pendant plufieurs années avec beaucoup de réputation, 
orfqu'ils prirent l’un & l’autre lhabit de faint Dominique, 
dans le Couvent d'Oxfort, à peu près dans le tems SP, De 
de faint Gilles embrafloitle même Inftitut à Paris. Ils avoient 
continué comme lui à remplir leurs Chaires , & ils ajoutoient 
à leurs Etudes l’éxercice des fonétions Apofñtoliques. Mathieu 
Paris, peu acoutumé à outrer les Eloges , ne craint point ce- 
pendant de dire , que l'Angleterre n'avoit pas alors de plus 
ge Hommes , ni peut-être de oblables a ces deux excé- 
ens Religieux (1), foit pour la piété , & l’érudition; foit 
pour le don de la Parole. L amitié Dinte qui les avoit étroite- 
ment unis pendant la vie , ne leur permit point de fe féparer 
même à la mort, qui ariva felon le même Auteur, l'an 1248. 
Jean de faint Gilles eut donc le plaifir de les voir encore dans 
leurs glorieufes fonétions à fon retour en Angleterre. Il fe joi- 
gui à eux, pour travailler de concert à l'inftruétion, & à 
‘édification des Fidéles ; & on ne tarda pas à lui donner la 
_(1) Eo anno duo Fratres de eodem Or- | de Fishacre, qui epregiè pluribus annis in 
dine, Prædicatorum , quibus non erant Ma- | cadem Facultare legerant, & populis glorio- 
jores, imo nec pares ut creditur viventes, | fé prædicaverant Verbum Domini, ab hoc 


in Theologia , & in aliis fcientiis , videlicet | fæculo migraverunt. Marh. Parif. ad An. 
Frater Robertus Bacun , & Frater Ricardus | 1248. Vide Echard. T. I, p. 118. . 


LIVRE 
IT. 
JEAN 


DE S. GILLES. 
Lt ve d 


* Guil. Pelhiflon. ap, 
Echard. T. 1, p.100, 





LIVRE 
° IL 


JEAN 


DE S.. GILLES. 
LOST + . d 








144 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


conduite de nos Ecoles d’'Oxfort. C’étoit la quatriéme Uni- 
verfité, qui fe faifoit honneur de pofléder un tel Homme , & 
de profiter de fes lumiéres. Mais on aplication à former des 
Savans étoit bien moindre, que celle qui lui faifoit confacrer 
fes foins & fes veilles au defée de devenir lui-même faint, & 
parfait dans fon état. . 
Cette heureufe alliance qu'il avoit {çù faire de tout genre 
d’érudition , avec une piété folide , & un'zéle très-ardent pour 
le fervice du prochain , lui mérita la confiance d'un grand 
nombre d'illuftres Amis. On peut mettre de ce nombre le cé- 
lébre Evëque de Lincoln, Robert Groffe-Tète , Prélat , dit 
M. Fleuri , irréprochable dans fa vie, très-rélé pour la pure- 
té des mœurs , & de la difcipline ; mais dont le zéle amer , & 
les inveétives , quelquefois fans modération , le brouillérent 
{ouvent avec la Los de Rome. Cet Evêque , fur la fin de l’é- 
té, étant tombé grièvement malade dans une de fes Terres, 
apela auffi-tôt Jean de faint Gilles, pour recevoir de lui quel- 
ue confolation fpirituelle , & quelque foulagement dans fes 
foufrances (1). Mais le pieux Doëteur voyant bien que la 
nature , ou l'opiniätreté du mal , ne laifloit rien à efpérer pour 
la guérifon du Prélat, il ne s'apliqua qu'à le LT à paroi- 
tre devant Dieu. Il reçut en éfet {es derniers foupirs le neuvié- 
me d'Oétobre 1253. | 
C'eft aufi la derniere aétion de Jean de faint Gilles, que 
l'Hiftoire ait remarquée. S'il a vêcu encore quelques années, 
c'eft ce que nous ignorons. Et les Auteurs Anglois , qui ne 
parlent jamais qu'avec éloge de cet Homme illuftre, ont éga- 
lement négligé de nous aprendre le détail de fes aétions , & 
de donner au Public fes Ouvrages. Outre fes Commentaires 
fur les quatre Livres des Sentences , & fes Explications Mo- 
œales de l'Ecriture , en forme d'Homélies ; il avoit compofe 
plufieurs autres Livres de piété, & d'érudition. Les Manuf- 
crits en ont été long-tems confervés à Oxfort, aufhi-bien que 


fes Ouvrages de Médecine , & divers Commentaires fur 


(1) Diebus [ub iifdem , cum dies Cani- 
culares [uam exercuiffent malitiam , Epi[co- 
pus Linconienfis Robertus , apud Buchedo- 
nammaneri:m fuum , decubuit graviter in- 
frmatus. Vocauis igitur ad [e quemdam 
Fratrem de Ordine Pradicatorum , Magi- 
firum Josnnem de fanito Ægidio, mn arte 
peritum Medicinali, & in Theologia Lecto- 
rem eleganter ernditum , C@ erudientem* , 


nt ab eo corporis, & anima recipiret confo- 
lationem. Math. Parif. ad An. 1253. 

* Ces paroles de l'Hiftorien Anglois: sn 
Theoloçia leclorcm eleganter erudiium € 
erudientem , {emblent marquer que Jean de 
faint Gilles continuoit encore fes Lecons de 
Théologie en 1253, lors dela mort de l'E 


La 


vèque de Lincoin. | 


_ Ariftote. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 145 


Ariftote. Par la fuite de fon Hiftoire , on peut aflurer que 
ceux-ci avoient été les premiéres produétions de fon efprit : 
Car depuis l'entrée du Serviteur de Dieu dans le Cloitre , tou- 
te fon étude , ou fon unique ocupation , fut de connoître JE- 
SUS-CHRIST, de méditer fa Loi & fes maximes, de les prè- 
cher , & de les pratiquer. | 


ASCELIN:;: 


NONCE DU PAPE VERS LES TARTARES. 
A SCELIN , apelé ne Anfelme, Italien de Na- 
el 


tion , avoit embraflé l'Inftitut des FF. Prêcheurs peu de 
tems après la mort de faint Dominique , væs l'an 1221 , ou 
1222. À l'élévation naturelle de fon efprit, & à une grande 
fermeté d’ame , il joignoit la fience , la pureté des mœurs , le 
Zéle de la Foi , l'amour de l'Eglife. Toutes ces qualitez le fi- 
rent confidérer comme un Sujet capable de fervir utilement 
la Religion , & d’être employé dans les afaires dificiles. C’eft 
ainfi qu'en jugea le Pape Innocent IV ; &c les commifhons, 
dont a Sainteté le chargea auprès de plufieurs Princes Inf- 
déles , ont fait connoître fon nom à la Poftériré. 

Ce fut en l’année 1245 , après le premier Concile Général 
de Lion, lorfque les Tartares, Minifires de la Juftice de Dieu, 

ortoient le fer & le feu dans toutes les Provinces du Nord, 
la terreur dans les Royaumes les plus reculés ; que le Pape 
deftina le Pere Afcelin, avec trois autres Religieux du même 
Ordre , pour les envoyer, en qualité de fes Nonces , vers 
l'armée Fa Fartares. On n'ofoit guéres fe flater d'amener à la 
Foi cette brutale Nation, mais on vouloit effayer d’adoucir 
en quelque maniére fa férocité , & l'empêcher de continuer à 
répandre le fang des Peuples. Voici de quelle maniére un Hif- 
torien Polonois parle de ce fait. 

La marche des Tartares fit trembler toute l'Europe. Les 
Peuples dans la confternation , & les Princes , dans la crainte 
d’avoir bientôt fur les bras de fi redoutables ennemis, ne fa- 
voient quel confeil prendre, ni à quoi fe déterminer. Dans ce 
tems Le Pape Innocent IV (conformément à ce qui avoit été 

Tome L, T 


Livre 
IL. 


JEAN 
DE S. GILLES. 
Dr à 





TASCELIN. 





Thol. Luc. Hift. 


Odoric. Raim 
Spondanus. 
Fleuri. 


Echard. T.1,p.112g 


Afcelin, avectrois 
autrès Religicux de 
fon Ordre, eft en- 
voyé en qualité de 
Nonce vers les 
Tarttares. 


LIVRE 
II. 


ASCELIN. 
D .  d 








146 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


réfolu dans le Concile de Lion) envoya vers ces Infidéles le 
Pere Afcelin , avec plufeurs de fes Freres , & quelques autres 
Religieux de diférens Ordres (1). Afcelin ne par l'Allema- 
ne , la Bohëme , la Silefie, & fut reçù avec refpeét par le 
Duc de Silefie & de Brêlau. Conrad Prince de Molinie lui fit 
aufñ un favorable acueil, & à ceux qui l’acompagnoient, 
Etant enfuite arivés à Cracovie en Pologne, ils reçurent le 
même traitement, & les mêmes honneurs de la part du Roi 
Boleflas , furnommé le Chaîte, de la Reine fa mere, & de 
Prandotha , Evêque de Cracovie. On leur donna plufieurs 
peaux préparées ; & on leur confeilla d'acheter tout ce qu'ils 
ourroient pour faire des préfens aux Tartares: car c’étoit 
irriter ces Infidéles, que d'ofer fe préfenter à eux fans leur 
rien ofrir. 
La Providence voulut, continue l’Hiftorien de Pologne, 
ue Vafñlico , Prince de Ruffie , qui fe trouva alors à la Cour 
du Roi Boleflas 4» s'ofrit de conduire par la Ruflie le Pere Af- 
celin, & fes Compagnons. Lorfqu'ils furent arivés à Kiovie, 
ils fe pourvurent de chevaux, acoutumés , comme il fe pra- 
tique dans le Pays des Tartares, à chercher de leurs piés, 
l'eau, & leur nouriture fous la neige. Après leur départ de 
Kiovie, les Nonces rencontrérent fouvent fur leur route des 
Oficiers , & des Troupes de ces Infidéles ; mais 1ls s’avancé- 
rent toujours vers le Grand Can des T'artares. Conduits en- 
fin à l'audience de ce Prince, ils expoférent fidélement leur 
commiffion , & les défirs du Saint Pere, tâchant furtout de 


faire connoitre aux Barbares le véritable Dieu, Créateur de 


l'Univers, & n'oubliant rien pour les atirer à la Foi de JEsUs- 
CHRIST , ou pour leur perfuader du moins de s’abftenir de- 
formais de ces excès de cruauté, qui leur avoit déja fait égor- 

er un fi grand nombre de Chrétiens dans toute la Pologne, 
à Hongrie , la Silefie, la Moravie. Le Grand Can les écouta 
favorablement , leur promit de laiffer les Chrétiens en paix, 


| au moins pendant quelques années ; & leur donna des Lettres 


pour le Pape , vers lequel les Nonces retournerent par le mê- 
me chemin (2). | 


(1) Difcedentibus Tartaris , tota Europa | tribus cjufdem, & aliorum Ordinum adcos 
eontremuit, & Principes Chriftianorum ti- | mifit anno Domini 124$, qui per Alema 
more perculfi, ne redirent, confulebant in- | niam , &c. Math. Michovi. L. I, de Sar- 
vicem. Innocentius quoque Papa IV, ex |marsa; c. 5. 


Concilio Lugdunenfi Fratrem Anzelinum | (2) Et accepto refponfo , quod Cham per 
Ordinis Prædicatorum , cum pluribus Fra- | quinquennium gentem Chriftianam non ins 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. r47 


* Ainf parle Mathias de Michovie , dans fon premier Livre 
de l’Hiftoire des Sarmates , & dans le troifiéme d 
logne. Thomas Malvenda croit que cet Auteur avoit fuivi 
Vincent de Beauvais dans fa narration. Mais ces deux Hifto- 
riens raportent les faits d'une maniére fi diférente , que bien 
Join de penfer que l'un ait copié l’autre , nous ne voions point 
qu'on puifle même les concilier enfemble. Si on veut s'en te- 
nir au premier , ilfaut abfolument abandonner le fecond dans 
prefque toutes les circonftances de cette Hiftoire. Il paroit 
e Mathias de Michovie , par.une grande méprife , a con- 
Éndu le voyage d’Afcelin, avec celui de Jean 78 Plan Car- 
pin de l'Ordre de faint François. Vincent de Beauvais, qui 
a parlé de l’un & de l’autre avec qu d'éxaétitude , vivoit dans 
le tems même que ces chofes fe pafloient ; & tout ce qu'il a 
écrit touchant le Pere Afcelin, 1 l'avoit apris d'un des trois 
Religieux, qui l'avoient acompagné : ou plütôt, il n’a fait que 
be dans le trente-unième Livre de fon Miroir Hiftori- 
ue , la Relation que Simon de faint Quentin avoit faite 
e fon voyage en T'artarie. Il eft donc jufte de le préferer 
en cela à l'Hitorien Polonois, comme a fait M. Fieuri, 
dans le quatre - vingt - deuxième Livre de fon Hiftoire Eclé- 
fiaftique. 

_ Le Pape Innocent , dit cet illuftre Abé, envoya aux Tar- 
tares des Freres Prèêcheurs , qui pañlérent en Egypte , s’adref- 
ferent au Sultan Melicfaleh , & lui préfentérent des Lettres 
du Pape , où il exhortoit ce Prince à fe faire Chrétien, & le 

rioit de faciliter aux Freres le paflage chez les Tartares. Le 
re luiefit faire réponfe en fon nom , par Salchin , qui 
devoit être quelqu'un de fes principaux Oficiers , & dont la 
Lettre commence par de grands lieux communs de Théolo- 


_gie Mufulmane , pour relever l’unité de Dieu, & fa fingulari- 


té, fans compagnon, fans fociété de Femme ni d’'Enfans, 
fans partage, fans nombre , fans compofition , ( expreflions, 
dont les Mahométans ont seen {e fervir , pour exciu- 
re la Trinité des Perfonnes Divines. ) Le Sultan reléve enfuite 
la miffion de Mahomet au-deflus de celle de Moïfe , & de JE- 
SUs-CHRIST, prétendant que Dieu a raflemblé en la perfon- 
ne de Mahomet tous les Dons , qu'il avoit diftribués aux au- 


| \ 

vadcret, per eandem viam ad Dominum 
Apoftolicum , cum Litteris Imperatoris Tar- 
tarorum redierunt. Masshias Michovierfs 


L. I, de Sarmatia, c.s. @ L. IIT, Rerum 
Polonicarum , c. 44. | 





T y 


e celle de Po- 


LIVRE 
IL. 
ÀÂSCILIN. 
dnmnemmmest 


* In Annalib, ad 


an. 124$ » C 4 , P. 
671. 


Nomb. Lx1v, 


Ex Vincen. Bellova. 
L. XXXI, Spec, Lit, 
c. 40, 


s 


148 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE tres Prophétes (1). Puis venant à la Lettre du Pape, il dit : 
IT. Nous ne favons quelle eft fon intention ; car fi c’eft d'établir 
Ascerrn. la Vérité par des preuves & des démonftrations , il faudroit 
=” pour cet éfet RE ur , & propofer de vive voix les preu- 
ves , les objeétions , & les réponfes ; & on trouveroit chez 

nous des Gens capables de les contenter. 

Nous aurions voulu conférer avec les Freres Prêcheurs , 
qu'il nous a envoyés ; mais il n’étoit pas tout à fait für pour 
eux de difputer de leur Religion , & de la nôtre , dans notre 
Païs en préfence de nos Savans. De plus , la Langue étoit un 
obftacle ; car ils ne favoient point l'Ârabe , &t nous ignorons 
également le Latin & le François. Leur pauvreté , & l’état 

. + pr nuifoient encore ; quoiqu'on vit reluire en eux la 
fience & la vertu , le mépris du Monde, la Religion , & la 
pureté des mœurs (2). | | 

La Lettre du Pape marquoit, qu'ils vouloient aller vers les 
Tartares ; & 1l nous exhortoit à les aider dans leur deffein ; 
mais nous ne leur avons pas confeillé d'entreprendre ce voia- 
ge : Ja fureur & la cruauté des Tartares vont bien au-delà de 
ce que vous en dites : l’Antechrift lui-même ne retiendroit 
point fes larmes , s’il voioit feulement une partie des maux 

u’ils commétent. Mais Dieu par fa miféricorde a con- 
{blé les Mufulmans en la perfonne d'un Sultan , qui fera fen- 
tir aux Tartares toute l’ardeur du feu qu'ils ont alumé ; c’eft 
Melicshaleh notre Maitre, à qui cette année ils ont envoyé des 
Ambaffadeurs pour lui demander la paix;mais il ne leur a point 
permis de venir à fa Porte, ni de baifer la poufliére de fes piés. 


(x) Mifit ergo Moyfen , fuper quem pfallat 
Deus fuum Pentateuticum afferentem. Mi- 
fit nihilominus & Jefum, fuper quem etiam 
pfallat Deus Evangelium proferentem. Or- 
dinaverat autem quod pars amplior , & por- 
tio copiofior , & lex firmior , & veritas du- 
rabilior , & virtus largior , & demon'trator 
aptior fervaretur ei, cui chefaurifabat fimul 
dona omnia , quæ Prophetis aliisomnibus, 
fuper quos pfallat Deus , fuerant particulari- 
ter diftributa , dans ei confuetudines fan- 
étas , & proprietares gloriofas , & defenfo- 
nes verftate victoriofas, & Ducatum , per 
Lu alii dirigantur ; & ipfe Dominus no- 

er....pugnavit pro Deco, prout eit con- 

um pro iplo pugnare;& ftuduit diligenter 
a perditione cultores ejus pro magna parte 
liberare, & laboravit tantuüm , quod direxit 
majorem partem Hominum ad viam recti- 


tudinis ejus , ficut dicit Ddinus in Alcho- 
rano, &c. Ap. Odoric. Rain. ad An. 1147, 
ñn. 60, 61. 

(2) Defideraremus ut poffent infimul con- 
venire, & ore ad os difputare, & colloqui 
de rebus divinis de prope, quafi certamine 
manuali. Sed quoniam hoc fuit impoffibile , 
voluimus hoc agere cum illis , quos miferat 
de Fratribus Prædicatoribus ; {cd non erat eis 
in terris noftris omnino fecurum de leve 
veftra & noftra in præfentia noftrorum Sa- 

jentum difputare , & manifeftum eft quod 
ée erat ob impedimentum Linguæ Arabie 
cæ....figna cnim virtutis in cis reluce- 
bant, & infignia fcientiæ ex eorum vultibus 
manifefté apparcbant, & veftigia contemp- 
tüs mundi, & Religionis in eis erant mani 
fefta , & morces corum laudabiles, & decori, 
Ibid, n, 64. : 

9. \ 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 149 


Telle étoit en fubftance la Lettre du Sultan d'Égypte au 
Pape. On peut la lire en entier dans les Annales Ecléfiafti- 
ques d'Odoric Rainald. Nous nous contenterons d'en mettre 
le Titre faftueux au bas de cette page (1). 

Cependant tout ce que le Sultan , ou fes Oficiers avoient 
pû dire aux Nonces , touchant la cruauté exceflive des Tar- 
tares , ne les empêcha pas de continuer leur voiage. Leur 
zéle égaloit leur confiance. Les périls aufquels ils fe voioient 
continuellement expofés parmi Le Infidéles , fembloient les 
raflurer contre la crainte de ceux, dont on les menaçoit; & 
les plus grandes fatigues ne pouvoient laffer leur patience. 


LIVRE 
I, 


ASCELIN. 
D nn À 








Ils avoient traverfé l'Arménie , la Georgie, & une grande 


. partie de la Perfe, quand ils arivérent enfin à la première Ar- 
mée des Tartares , le 24 de Mai1247. L’Emir Baiothnoi , qui 
la commandoit , ayant apris leur arivée, leur envoia quel- 

ues-uns de fes grands Oficiers , avec fon Egip , ou principal 
Confeiller , & des Interprétes , qui leur demanderent d'abord 
de quelle part ils venoient. Afcelin répondit : Nous fommes 


envoiés du Pape , qui , chez les Chrétiens , eft eftimé comme 


le plus grand & le premier en dignité , révéré de tous comme 
leur Supérieur & leur Pere. Les Tartares, déja indignés de 
ce qu'on ne leur ofroit point de préfens, parurent fort cho- 
és de ces À sonne paroles , & repartirent brutalement : 
Du ofez-vous dire , que le Pape, votre Maitre, eft le 
lus grand de tous les Hommes ? ne fait-il pas que le Can eft 
L Fils de Dieu, & que Baiothnoi, & Batho font des Princes 
foumis à lui ? Le Pape , repliqua Afcelin, ne fait qui font 
Baiothnoi, & Batho ; leurs noms ne font point venus à fa 
connoiffance : s’il les avoit {çûs , il n’auroit pas manqué de 
les mettre dans les Lettres, | pe nous fommes chargés. Il a 
feulement apris qu’une certaine Nation Barbare , nommée les 
Tartares , eft fortie de l'Orient , a conquis plufieurs Païs, & 
pafté une infinité d'hommes au fil de l'épée. Touché de com- 
paflion , 1l nous a envoiés , par le confeil de fes Freres les 


(1) San@o, Illuftri, Puro, Excellenti, 
temporalium contemptori, Dei Cultori , 
Venerabili, Sublimi , $Scienti, magno Capi- 


Protcétor Mundi & Legis , cognomento 
Ubutaher , js interpretatur Pater puri, 
nomine Abraham, Filius Reois propugna- 


ti Beéte Chriftianæ, & Duci Filiorum bap- 
tifmatis , fedenti fuper Sedem Simonis , or- 
natum habenti intelleétum fanctis Theolo- 
gicis, Papæ Romæ, cujus Deus perpctuet 
profperitatem ; Salchinus primus ex parte 


Defcleh Soldani Ægipti, Rex viétoriofus , 


toris, cognomento Leonis Legis, nomine 
Serlxoub , Filii Mahometi, adjutor Emar 
Elemumemin , id eft Imperatoris fidelium , 
qui cft Calipha. Ap. Odoric. #d An. 1147, 
n. 57. 


Tu 


F' Vin. Bellov. Livs 
XXXI , C. 40. 


LIVRE 
II. 


_AÂASCELIN. 
| 








Ibid, c, 45, 


Ibid, c, 42, 


150 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Cardinaux , à la premiére Armée des Tartares , que nousren- 
contrerions , pour exhorter les Chefs , & tous ceux qui leur 
obéiflent , à faire ceffer cette deftruétion , principalement des 
Chrétiens , & à fe repentir des crimes qu’ils ont commis. C’eft 
pourquoi , nous qe votre Maitre de recevoir les Lettres 
du Pape , & d'y faire réponfe. | 

Ces Oficiers s'étant retirés , revinrent quelques-tems après 
revêtus d’autres habits , & demanderent aux Envoyés, s'ils 
aportoient des préfens. Afcelin répondit: Le Pape n’a point 
acoutumé d'envoyer des préfens , principalement à ceux qui 
ne font pas de fa "Pen . au contraire, les Chrétiens fes 
Enfans fi en envoient, & fouvent les Infidéles mêmes. Avant 

ue de rendre cette répon{e à leur Général , les Oficiers vou- 
lurent favoir des Nonces , fi les Francs pafleroient bien-tôten 
Syrie , ainfi qu'ils difoient l'avoir apris par leurs Marchands. 
Peut-être , ajoute l'Auteur de la Relation, penfoient-ils déja 
à leur tendre des pièges , en feignant de vouloir recevoir la 
Foi , ou à fe les rendre Amis, au moins pour un tems: car, 
au raport des Georgiens & des Arméniens, ces Barbares 
craignent les Francs plus que toutes les autres Nations du 
Monde. 

Les Nonces ayant répondu aux queftions des Tartares , 
ceux-ci leur dirent : Si vous voulez voir notre Maitre , & lui 
préfenter les Lettres du Pape, il faut que vous l’adoriez par 
trois génufléxions , comme le Fils de Dieu régnant fur la 
Terre ; car tel eft l'ordre du Can , que Baïothno:i foit honoré 
comme lui-même. Les Envoyés ne fe preflerent point de ré- 
pondre , re que quelques-uns craignoïent , que cette ma- 
niére de faluerun Prince mortel ne für une efpéce d'idolatrie. 
Mais Guichard de Cremone , qui s’étoit joint à eux dans la 
Perfe , inftruit des coutumes des Tartares , leur dit que ces 
Infidéles ne demandoient cette forte de révérence , pratiquée 
par tous les Ambaffadeurs , que pour être aflurés que le Pape, 
& toute l’Eglife , feroient foumis aux ordres du Can. Cet 
éclairciflement n'étoit guéres propre à calmer leurs inquiétu- 
des. Ayant donc délibéré fur ce fujet , ils réfolurent tout 
d'une voix de perdre plûtôt latête, que de faire ces génuflé- 
xions , autant pour conferver l'honneur de l'Eglife , que pour 
ne pas fcandalifer les Georgiens , les Arméniens , les Grecs, 
même les Perfans , les Turcs , & toutes les Nations Orienta- 
les. D'ailleurs , ils ne vouloient point donner ocafion aux 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. :51 


Ennemis de l'E glife de fe réjouir , & aux Chrétiens captifs des 
Tartares , de défefpérer de leur délivrance. 

* Afcelin déclara cette réfolution aux Oficiers de Baïothnoi. 
Mais , ajouta-t-il, pour vous montrer que nous ne parlons 
pas ainfi par orgueil , ou par une dureté infléxible , nous fom- 
mes prêts de rendre à votre Maitre tout le refpeét que peuvent 
rendre avec bienféance des Prêtres de Dieu , & des Religieux 
Nonces du Pape. Nous lui rendrons le même refpeét qu’à nos 
Supérieurs , à nos Rois , & à nos Princes. Que fi Baiothnoi 
vouloit fe faire Chrétien, fuivant le fouhait du Pape & le nô- 
tre , non-feulement nous fléchirions le genou devant lui, & 
devant vous tous , mais nous vous Qaiferions la plante des 
piés. À cerre propofition , les T'artares entrérent en fureur , 
& dirent aux Envoiés : Vous nous exhortez à nous faire Chré- 
tiens , c'eft-à-dire , à devenir des chiens comme vous. Votre 
Pape n’eft-il pas un chien, & tous vous autres des chiens ? 
Afcelin ne put répondre que par une fimple négative , tant les 
clameurs des T'artares étoient tumultueufes , & leurs empor- 
temens exceflifs. Ce fait, raporté par un témoin oculaire, 
confirme parfaitement ce que # Hifloriens racontent de l’or- 
gueil , & en même-tems de la brutalité de cette Nation féroce. 
. Dès que la réfolution des Nonces , & la réponfe d'Afcelin 
eurent èté raportées à Baïothnoi, #l les condamna tous à la 
mort. [ls en furent bientôt informés; & leur fermeté ne les 
abandonna pas. Tandis qu'en véritables Miniftres de JEsus- 
CHRIST, ik fe préparoient à lui faire généreufement le fa- 
crifice de leur vie , & que dans le Confeil des Tartares on dé- 
libéroit fur le genre de leur fuplice, une des fix femmes de 
Baiothnoi prit la liberté de lui ee : Îl vous eft auff facile de 
faire exécuter un Arrêt , que de le prononcer ; vous êtes maf- 
tre ; mais confidérez que fi vous faites mourir ces Envoyés, 
vous vous atirerez infailliblement la haine de tout le Monde ; 
les riches préfens que vous recevez tous les jours des Peuples, 
& de leurs Princes, vous les perdrez ; & on fera mourir fans 
miféricorde vos Ambañfladeurs. La réfléxion parut fenfée ; & 
Baiothnoi s'y rendit. Il renvoya fes Oficiers vers les Nonces 
avec ordre de leur demander feulement comment les Chré- 
tiens adoroient Dieu. Afcelin répondit: nous l’adorons en 
plufieurs maniéres , tantôt profternés contre terre, tantôt à 
genoux, ou autrement: mais c’eft principalement le cœur, 
qui rend à Dieu le culte, & l'adoration , qu'on ne peut rendre 


LIVRE 
II. 


ASCELIN. 
SRE 








KW  Jbid,c. 43. 


Ibid. c. 44 


IL. 
Fermeté des Non- 
ces dans un extré- 


me péril 


Tbid. c. 45e 


LIVRE 
II. 


ASCELIN. 
D 








Ybid, c. 46. 


IL 
Ârtifices des Tar- 
gares. 


\ 


152 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


qu'à l'unique Créateur de toutes chofes. Plufieurs Etrangers 
adorent votre Maître comme il lui plaît, épouvantés par fa 
tyrannie ; mais le Pape, & nos Princes Chrétiens ne le crai- 
gnent pas , & ils ne reçoivent point les ordres du Can, dont 
ils ne font pas Sujets. Les Tartares dirent : Mais nous favons 
e vous adorez du bois, & des pierres. Non, répondit Af- 
celin , les Chrétiens n’adorent ni la pierre, nile bois , mais le 
fils de Dieu, JEsus-CHRIST , Dieu & Homme, qui a bien 

voulu être ataché à une Croix pour le falut du Monde. 
L'ocafion d'expliquer le grand Myftére de notre Rédemp- 
tion , & de parler ds avantages de la Croix, fe préfentoit 
trop naturellement , pour que le Pere Afcelin n’en profitit 
pas ; mais les Tartares n'étoient guéres capables d'entendre 
ces véritez, que la chair & le fang n'ont point révélées. Ils 
refuférent de les écouter, & fe contentérent de dire aux Non- 
ces , que la volonté de Baïothnoi étoit qu’ils allaffent trouver 
le Can, pour voir eux-mêmes la grandeur de fa puiffance , & 
lui rendre les Lettres du Pape. Afcelin , inftruit des artifices 
du Tartare , qui n’auroit pas été fàché de le faire périr avec 
fes Compagnons, pourvû qu'on ne pût lui imputer se perte, 
répondit avec fa fermeté ordinaire : Mon maître ne m'a point 
envoyé au Can, qu'il ne connoît pas , mais à la premiere Ar- 
mée des Tartares que je rencontrerois. Je n'irai donc point 
au Can; & fi votre Maître ne veut pas recevoir les Lettres du 
Pape, je retournerai vers lui, & lui rendrai comte de tout 

ce qui s’eft paflé. | 

Les Tartares , revenant à leur premiére plainte, qui leur 
paroifloit fans doute bien fondée , ajoûtérent : De quel front 
Ofez-vous avancer que le Pape eft le plus grand de tous les 
hommes ? Qui a jamais oui ds que votre Dani ait CONQUIS . 
autant de Provinces , ou foumis d’aufli grands Royaumes, 
ue le Can en a fubjugués, par la pret ja de Dieu , dont 
À eft le Fils ? Le Can eft donc plus grand que votre Pape , & 
e tous les hommes. La réponfe d’Afcelin fut courte : Nous 
ifons , répliqua-til, que le Pape eft le plus grand en dignité 
parmi les Chrétiens , parce que le Seigneur a donné au Prince 
des Apôtres , &r à fes fucceffeurs une puiffance qui durera au- 
tant que les fiécles. Il vouloit fatisfaire plus amplement à la 
queftion , & faire connoître la Religion de JESUS-CHRIST , 
en expliquant la nature, & l'étendue de cette puifflance, qu'il 
a donnée au Chef vifñble de l'Eglife. Mais les Infidéles n'a- 
| voient 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 153 


voient ni aflez d'efpritpour le comprendre, n1 aflez de patien- 
ce pour vouloir l'écouter (1). Leurs clameurs recommen- 
cérent : & fi on s'en tint encore aux cris, ou aux menaces , 1l 
ne faut atribuer cette efpéce de modération , qu'aux feuls mo- 
tifs de cupidité ou de crainte , dont une des femmes de Baïoth- 
noi s’étoit déja fervie pour fauver la vie aux Nonces. | 
On connoitroit mal les Tartares, Conquérans dans le trei- 
zième fiécle, fi on s'imaginoit qu'ils fuflent encore capables 
de quelque fentiment , ou d'humanité, ou de refpeét pour ce 
qu'on apelle le droit des Gens. Un Ambaffadeur venoit d’é- 
rouver par une trilte expérience , qu'il n’y avoit point de loi 
inviolable parmi ces Infidéles. Soit qu'il eut peut-être irrité 
leur ronmpé À en parlant avec cette Fe » QUI Convient aux 
Envoyez des Princes ; foit pour quelque autre raifon, que 
l'Auteur de la Relation n’explique pas, Baïothnoi ne s’étoit 
point contenté de le faire poignarder en fa préfence ; mais 
ss plus loin l'excès dg fa brutalité, il avoit ordonné à 


Oficier même, qui étoit chargé du foin de recevoir les Am- 


bafladeurs , d’arracher le cœur à celui-ci, de l’atacher au poi- 
trail de fon cheval , & de traverfer ainfi les diférens quartiers 
du Camp, pour le montrer de rang en rang à toute l'Armée, 
afin , difoit-il , d’infpirer de la terreur à tous les autres En- 
voyez , & de rendre fon nom plus redoutable à toutes les Na- 
tions, qu'il vouloit intimider avant que de les ataquer. Il eft 
vrai que le Can fit paroïître quelque mécontentement de la 
conduite de Baïothnoï ; mais il ne punit ni l’auteur , ni le mi- 
niftre de cette barbare éxécution. 

Tout cela néanmoins ne rendit point Afcelin, & fes Com- 
tre plus complaifans, fur l'alternative qu'on leur pro- 
pofa de nouveau , ou d’adorer ce fuperbe Prince par trois gé- 
nufléxions , en fe préfentant à fon audience, ou de continuer 
leur M pour fe rendre à la Cour du Grand Can. T'antôt 
on les prefloit d'entreprendre tous quatre cenouveau voyage ; 
tantôt on vouloit en retenir deux, & faire partir les deux au- 
tres. Afcelin répondit toujours que l’un excédoit fa commif- 
fion , que la Religion TS, défendoit l’autre ; & qu'il 
s’en tiendroit éxaétement aux ordres du Pape. Les Oficiers ne 
pouvant ni le furprendre , ni l’ébranler par la crainte de la 
mort, dont il fut trois fois menaçé , lui dirent de remettre 


. (1) Cæteris autem articulis non potuit | clamosâ inftantià , magis ac magis corurs 
| Sénat coçum protervià , ac | vefanià erumpente. C. 46 , ws /p. ” 
OME Le 


LIVRE 
IT. 


ASCELIN. 
D + x à 








“IV. 
Leur cruauté éga 
Le à leur orgucil. 


V. 
Sagefle & pru- 
dence des Nonces, 


LIVRE 
HI 


ÂASCELIN. 
D >, à 








Ibid. c. 47, 48, 49. 


VI. 
Leur conftance, 


Ibid. ©. 50. 


VII. 
Ils obtiénnenten- 
fin leur congé. 


154 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


donc les Lettres de fon Maitre ; & le Nonce, après avoir mo- 
deftement répondu que felon l’ufage de toutes les Cours , c’é- 
toit à lui à les préfenter au Prince , ne refufa point de les faz 
tisfaire fur cet article. Aidé de quelques Interprètes , il tradui- 
fit les Lettres de fa Sainteté , d’abord de Latin en Perfan, & 
enfuite de Perfan en T'artare , afin qu’elles puffent être enten- 
duës par Baïothnoi. En les remettant à fon Egip, ou princi- 

al Confeiller , il le fuplia de vouloir faire expédier la réponfé 
le plutôt qu'il fe pourroit. Il fallut cependant l’atendre pen- 
dant plufieurs femaines , & fe réfoudre à efluyer tous les jours 
les reproches, ou les infultes des Infidéles ; à fe tenir conti- 
nuellement en garde contre la furprife; & à foufrir en pa- 
tience la faim, la foif, & tous les autres maux (1), que 
Simon de faint Quentin a décrits aflez au long. 

La Providence fembloit avoir donné ces Difciples de J. C: 
en fpeftacle aux ennemis de la Religion, pour Le montrer 
en leur perfonne, la pratique de l'Evangile, dont ils refu- 
foient d'entendre les véritez. Nous ajoûterions à ce qu'ont 
écrit les Anciens, fi nous difions avec quelques Modernes, 

ue l’'éxemple de leurs vertus fervit à la converfion de plu- 
se) Nous favons, il eft vrai, que quelques Infideles , & 
plufeurs Chrétiens , qui fe trouvoient dans leur Armée , ai- 
moient à s'entretenir quelquefois avec les Nonces , & à les 
avertir de ce qui fe difbit fur leur comte. Mais nous ignorons 
à quel deffein ils agifloient ainfi. Une fincére converfion par- 
mi ces hommes , tous les jours ocupés à répandre le fang des 
Fidéles, & à fouler aux piés tout ce que la Religion a de fa- 
cré, eût été un miracle de la Grace : nouë ne doutons point 
sb n'eût été remarqué par l'Auteur, dont nous fuivons la 

elation. Quoiqu'il en foit, les Nonces obtinrent enfin leur 


congé le vingt-cinquième de Juillet 1 247. 


Le Général de l'Armée dépêcha avec eux fes Envoyez, 
chargés de fa Lettre au Pape , & de celle qu'il avoit lui-même 
reçüe du Can. Celle-ci, qu’ils nommoient la Lettre de Dieu, 
n'étoit qu'une Commiffion à Baïothnoi au nom de Ginguis- 
Can , pour faire reconnoître fa puiflance par toute la Terre. 


(1) Vix necem fæpius in eos à Barbaro fumma vitæ egcftate diutius detenti fuere : 
decretam effigerunt. Recufantes verd etiam doicc tandem per adventum magni çujuf- 
ad Cuyne Chaam ire , quod dicerent fe non { dam confiliarii Chaam dimifi, Litteras re- 
ad cum , fed ad primum quem invenire pof- { tulerunt à Baïothnoïi ad Pontificem , proter- 
fent exercitum Tartarorum miflos cfle, va- | viä plufauam Tartaricà fcripras. Spondan, 
ris modis deluf , & ignominiosé habiti in À 44 An. 12145 ,n. 6. 0 





DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 555 


Ces Barbares fe perfuadoient qu'après qu'ils avoient notifié 
cette Lettre , & fait la cérémonie d'élever leurs Etendarts con- 
tre l’'Églife , il n’y avoit point de Peuple dans tout le Monde 
Chrétien , qui ne mérität d’être exterminé , s’il refufoit de re- 
connoître leur Empire, & de fe foumettre à leur joug. C’eft 
dans ce goût que Baiothnoi écrivoit ainfi au Souverain Pon- 
tife : “ Voici la parole de Baïothnoi envoyé par l'autorité 
divine du Can. Sache, Pape , que tes Nonces font venus ,; “ 
& ont aporté tes Lettres. Ils ont dit de grandes paroles; “ 
Nous ne favons fi c'eft par ton ordre, ou d'eux-mêmes. Tu # 
difois dans tes Lettres : Vous tuez, & faites périr bien des « 
hommes. Mais l’ordre que nous avons reçu de Dieu, & de « 
celui qui commande à toute la face de la Terre, eft tel; # 
ie obéira au commandement, qu’il demeure dans « 
on pays, & dans fes biens; & qu'il livre fes forces au mai- “ 
tre du Monde. Ceux qui refuferont d'obéir , qu’ils foient dé- “ 
truits, &c. ». Tout le refte eft fur le mêmeton; c’eft-à-dire, 
écrit d'un ftile de T'artare. 

Le voyage d’Afcelin fut de trois ans & cinq mois : rl étoit 
parti de ER , avec fes trois Compagnons, Alberic , Aléxan- 
dre , & Simon de faint Quentin , vers le mois de Juillet 1245 ; 
& il ne fut de retour auprès du Pape que fur la fin de l’année 
1248. La meilleure partie de ce tems avoit été employée à 
inftruire, ou à fortifier dans la Foi les Chrétiens répandus 
dans les Terres foumifes au Sultan d'Egypte. Nous trouvons, 
dit Odoric Rainald, plufeurs pos À ce Prince, à la fuite 
de celle qu'il avoit écrite au Souverain Pontife ; & par ces 
écrits 1l paroît, que non content de permettre aux Freres 
Prêcheurs d’anoncer l'Evangile à ceux de fes Sujets, qui 
croyoient déja en JESUS-CHRIST , il les honoroit de fa pro- 
teétion , afin qu'ils puffent éxercer leur miniftére avec liberté, 
& en toute füreté (1). Afcelin, & fes Compagnons en profi- 
térent pour la confolation des Fidéles. 

Ils travailloient en même tems à la converfion des Infidéles. 
Et À a le faire avec plus de fuccès, ils effayérent d’atirer à 
la Foi un Prince des Sarafins , apellé le Sultan Ifmaël. Ce Sou- 
verain les reçut avec beaucoup de bonté ; les écouta de mê- 
me, & voulut avoir plufieurs conférences avec eux fur les 


(1) Subjeéta funt hifce Litreris nonnulla | qui in ipfus terris verfantur excolant ad pic 
Soldani diplomata , quibus Religioforum | ratem , cavet. Odoric. #4 An. 1147,n. 68. 
Prædicatorum fecurirati , ut Clhuiftianos , | : 

V ï 


LIVRE 
II. 


AÂASCELIN. 








VTT. 
Lettre d’un Prina 
ce Tartare au Pape. 


IX. | 
Travaux d'Afce. 
5 chez les Infidé- 
cs. 


De 
Il et écouté fr 
vorablement a la 
Cour d'un Sultan. 


LIVRE 
II. 


ASCELIN. 
Rene oo — à 











L.:v, Epift. Inn. IV. 


166 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


véritez de notre Religion. Il fuivoit la Loi de Mahomet : ors 
voit cependant par pots au Pape Innocent IV , qu'il avoit 
un refpe& particulier pour l'Evangile, & pour la fainteté de 
fes Miniftres. Nos Miffonaires , après avoir répondu à toutes 
fes dificultez , & éclairci fes doutes, ne trouvant pas encore 
en lui une réfolution affez forte , oférent fe flater qu’à leur re- 
tour du camp des Fartares, ils pourroient achever, ou plu- 
tÔt ils efpérérent que la Grace acheveroit par leur miniftere , 
ce qui fembloit heureufement commencé. fs revinrent en éfet 
à la Cour du Sultan Ifmaël , qui ne les reçut pas moins favora- 
blement que la premiére fois. Les Freres ébène, dit-il, 
font venus à nous; & nous avons trouvé en leur perfonne la 
capacité , le zéle, les lumiéres. Nous nous fommes entretenus 
familiérement enfemble, avons écouté avec beaucoup d'aten- 
tion tout ce qu'ils nous ont apris , & l’avons caché dans le plus 
fecret de notre cœur. À leur retour, nous leur avons expli- 
qué nos intentions , dont ils vous feront un raport fidéle (1). 

Odoric Rainald a raïfon de dire, que malgré ces difpofitions, 
& ces avances, le Sultan Ifmaël n’embraffa pas la Foi de J. C. 
(2). On peut s’en convaincre par la maniére dont il parle de 
fon Prophéte Mahomet. Sa Lettre { qui fe trouve parmi celles 
d’Innocent IV ) contient en même tems les éloges de l’Impof- 
teur, & les plus glorieux titres du Succefleur de S. Pierre. 

L'Hiftoire ne nous a point apris la fuite des travaux du Pere 
Afcelin. S'il eft vrai, comme l ont cru Bzovius & Fontana, 
qu'il ait fini fa vie par le martire, en prêchant la Foi aux Ido- 
ltres, 1l faut dire qu’il avoit entrepris une nouvelle Miffion 
chez les (fdèle, l'avoue , avec M. Sponde (3), que nous 
n'avons mi preuve, ni connoiflance de ce fecond voyage. 

{r) Perveniunt autem ad nos Fratres 
Prædicatores , & perfpeximus in eis fufficien- 
tiam ad ea quz intendunt , & diligentiom 
circa ca quæ expctunt ; & folicitudinem cir- 
ca judicia Legis fuæ : & narraverunt nobis 
ea , quz commiffa eis fuerant ad narrandum. 


Quibus attendimus nos fummä intentione , 
& ca recondimus in ultimo cordis loco : re- 


danus Ifmaël , quamvis cos humaniter ex- 
cepifler : qua de re ad Pontificem , qui ad 
Chritti cs ipfum traducere ftuduerat , 
hæcrefcripft, &c. Odoric. ut fp. n. 69. 
(3) Quz cum ita gefta effe , ex ipforunr- 
met Fratrum relationibus , & qui ex illis ex- 
{cripferunt Vincentio & Antonino , abfque 
ulla dubitatione conftet ; nefcimus unde 


dierunt, &commifimus eis verba, ad quæ 
repetenda coram vobis potentes funt & fufh- 
cicntes, ut ea vobis memorent, & explanent; 
cum orc ad os collocutionem cum eis ha- 
buerimus verbis efficacibus , &c. Ex Epif. 
Soldani Ifmael ap. Odoric. si fp. n.70. 

(@) Allarem à Prædicatoribus Religiofis 
Evancelii lucem fimiliter non admilit Sol- 


apr hauferint prædictos Afcelinum five 
nfelmum Dominicanum , & Joannem 
Francifcanum fimulin intima Perfidis pene- 
trantes, dum Idololatras ab Idolorum culta 
averterent , multis pro Chrifto perlatis cru- 
ciatibus, martyrium profufo fanguine con 
fummailc. Spondan, ad An, 1145 ,n. 7. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 1:57 1 
I 


EL sS Lesf ess Do Er 2e De De T2 Te 
ANDRÉ DE LONJUMEAU: 


ENVOYE DES. LOUIS, 
ET NONCE APOSTOLIQUE. 


AUTIER, Archevêque de Sens, Guillaume de Nan- 
riens F rançois, qui ont parlé de la Couronne de Notre Set 
neur JESUS-CHRIST , aportée de Conftantinople à Venife, 
& de-là à Paris, ont fait en même tems mention d'André de 
Lonjumeau , ainfi apellé du lieu de fa naïffance. Il étoit né 
dans le Diocèfe de Paris , à quatre lieuës de cette Capitale ; & 
il en fréquentoit déja les Ecoles , lorfque les premiers Difci- 
ples de faint Dominique Iui donnérent l'Habit de leur Ordre 
dans le Couvent de faint Jâques. On fait quelle étoit alors la 
fainte émulation de ces fervens Religieux, leur affiduité à la 
riére , leur aplication à l'étude, & leur fidélité toujours per- 
Pa dans tous les éxercices , qui pouvoient les mettre 
en état de fervir utilement l'Eglife. | 
André de Lonjumeau étoit entré dans le Cloître avec des 
talens, qui auroient pù lui faire honneur dans le fiécle, beau- 
coup de pénétration , ou d'étenduë de génie, & autant de fa- 
cilité à perfuader tout ce qu’il vouloit, que d’habileté à ma- 
nier les afaires les plus épineufes. L’Efprit du Seigneur lui 
aprit l'ufage qu’il devoit faire de fes dons ; & le fdéle Reli- 
eux mit fi bien à profit tous les moyens de perfeétion que lui 
onnoit fa retraite, qu'il fut bientôt en état d’en fortir pour 
commencer de travailler au falut du prochain. Le zéle de la 
Religion , & l'éxemple de fes Freres le portérent à paffer dans 
Ja Terre Sainte , pour y prêcher la Foi aux Sarafins , aux Schif- 
matiques , & à une multitude de Croifés , dont les mœurs n’é- 
toient pas moins corrompuës , que celles des Infidéles. Cette 
remiére Miffion, qu'il entreprit fans doute avec ceux que le 
Pr ns Jourdain de Saxe fit partir de Paris l’an 1228, 
lui donna ocafion d’aprendre les Langues Orientales , dont la 
connoiffance lui fut depuis d'un grand fecours dans les difé- 
Vu 


sis, Vincent de Beauvais, & prefque tous nos Hifto- 





ANDRE” DE 
LONJUMEAU. 
M À 


I. 
Patrie du Servi- 
teur de Dieu. 


Ses talens naturels, 


III. 
Ses premiers tra 
vaux en Orient, 


158 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE rentes comiffions, dont il fe trouva chargé. Voici la pre- 
IL. miére , que nous fachions, & qui n’eft pas fans doute la moins 
Anore ne honorable. 
LoniumEAu. Depuis la prife de Conftantinople par les Latins, les Grecs 
——" f'avoient rien oublié pour les en chafler ; tous les jours ils 
faifoient de nouveaux éforts pour fe remettre en pofleffion de 
cette Capitale de leur Empire. Après la mort de l'Empereur 
Jean de Le ,arivée le 23 de Mars 1237, le courage des 
Orientaux fe renouvellant avec leurs efpérances , la guerre 
fut auffi plus allumée qu'auparavant. L'Empereyr Grec, Jean- 
Ducas vbs , Prince guerrier, & politique , voulant pro- 
fiter de l’abfence du jeune Baudouin de Courtenay , Héritier 
de l'Empire de Conftantinople, fit prefler vivement la Place, 
& brüla , ou facagea tout ce qui étoit aux environs, dans l'ef- 
pérance ou de forcer les Seigneurs François à rendre la Ville, 
ou de les y faire périr de mifére. Baudouin de fon côté levoit 
en France tout ce qu'il pouvoit d'hommes & d'argent , pour 
marcher au fecours des fiens. Il vint à la Cour de faint Louis, 
à qui il engagea fon Comté de Namur pour cinquante mille 
hvres Parifis ; & en même tems, il ofrit à Sa Majefté la Cou- 
L'Empereur Bay. 0nne d'Epines de Notre Seigneur. Mais comprenant bien * ps 
douin cédelaCou- le pieux Monarque ne voudroit point acheter la fainte Re- 
purs jépins au Jique à prix d'argent , il parla ainfi au Roi , & à la Reine Blan- 
‘che fa mere: je fai certainement que les Seigneurs enfermés 
dans Conftantinople font réduits à une telle extrémité, qu'ils 
feront obligés de vendre la fainte Couronne à des Etrangers, 
ou du moins de la mettre en gage ; c’eft pourquoi je défire ar- 
denment de vous faire pañler ce tréfor, à vous mon Coufin, 
- mon Seigneur , & mon Bienfaiteur , & au Royaume de Fran- 
ce, ma sert Je vous prie donc de vouloir bien le recevoir 
en pur don. | 
v bint Louis l’accepta avec attion de graces , & ere auffi- 
André envoyé à tÔt à envoyer fur les lieux des perfonnes de confiance pour 
nftantinopi. l’éxécution de l’afaire. André de Lonjumeau étoit alors de 
retour de fes Miffions d'Orient , d’où 1l avoit amené un autre 
Religieux , qui, ayant gouverné pendant quelque-tems la 
Communauté des et Prècheurs à Conftantinople, avoit 
fouvent vû la fainte Couronne , & étoit bien AE de ce 
qui la concernoit. Le Roi les députa l’un & l'autre : & l'Em- 
Fant3%  bereur Baudouin fit partir avec eux un autre Envoyé, chargé 
de fes Lettres Patentes , par lefquelles il ordonnoit aux Sei- 


L'an 1104. 


IV. 





DE L'ORDRE DE S.FDOMINIQUE. 1:59 


neurs , qui commandoient pour lui dans Conftantinople , 
: délivrer aux deux Religieux la fainte Couronne , avec tous 
{es ornemens. Malgré la diligence qu'avoient fait les Envoiez, 
ils trouvérent he, Barons de l'Empire avoient déja engagé 
la Couronne d'épines aux Venitiens , pour une grande fom- 
me d'argent , à condition que fi la fainte Relique n'étoit re- 
tirée dans la faint Gervais , c’eft-à-dire , le 19 de Juin 1239, 
elle demeureroit pour toujours aux Venitiens ; & que cepen- 
dant , elle feroit tranfportée à Venife. 

Les Barons de Conftantinople ayant lü les Lettres de l'Em- 
pereur leur Maître, convinrent avec les Vénitiens que les 
deux Religieux , Envoyez de faint Louis, À ati ph la Re- 
lique à Venife , acompagnés des Ambañfadeurs de l'Empire, 
& des plus Grands de Le Ciroyens. La caifle, qui contenoit 
ce précieux tréfor , fut fcellée des fceaux des Seigneurs Fran- 
çois de Conftantinople ; & ceux qui eurent lhonneur d'en 


LIVRE 
IT. 
ANDRE’ DE 
LONJUMEAU. 
D 5. e- 2 








VI. 
1j reçoit la fainte 
Couronne , qu'il 


porte à Venifc. 


être chargés, y avoient tant de confiance , difent les Hifto- 


riens, qu'ils s'embarquérent vers les Fêtes de Noël 1238, dans 
la faifon la plus rude , & la moins propre à la navigation. Les 
vents & les tempêtes n'étoient point ce qu'ils avoient le plus 
à craindre : ils pouvoient apréhender davantage la rencontre 
des vaifleaux ennemis. L'Empereur Grec, averti de tout par 
fes efpions , n’avoit pas manqué d'envoyer des Galeres bien 
armées dans les diférens Détroits, où les François devoient 
pañfer. Et les Genois , alors en ee avec les Venitiens , 
n’étoient guéres moins atentifs à furprendre tout ce qui pou- 
voit leur apartenir. Mais la Providence pourvut à tout ; & le 
Vaifleau parti de Conftantinople , ariva heureufement à Ve- 
nife. 

La fainte Relique fut mife en dépôt dans le Tréfor de la 
Chapelle de faint Marc ; & le Pére André de Lonjumeau y 
demeura pour la garder , pendant que fon Compagnon reve- 
noit en digence a Paris pour aprendre au Roi, & à la Reine 
Blanche l’état des afaires , dont ils eurent une grande joye. 
Saint Louis, & l'Empereur Baudouin renvoyérent pr - 
ment le même Religieux à Venife avec de nouveaux Ambaf- 
fadeurs chargés d'amples inftruétions , & de l'argent néceffaire 
pour retirer la Relique. Ce ne fut qu’à regret que les Veni- 
tiens s’en défaifirent ; & les Députez ne tardérent pas à fe 
mettre en chemin. Lorfqu'ils furent arivés à Troyes en Cham- 
pagne , 1ls envoyérent avertir le Roi, qui partit en diligence 


\ e 


VII. 
Et de là en Fran- 
ce:il la prélente 
au Roi. 


160 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE acompagné de la Reine fa mere , des Princes fes freres, de 
IT. Gautier Archevêque de Sens, de Bernard Evêque d'Auxerre, 
Anore’ ne @ de plufieurs Seigneurs de la Cour. Ce fut à Villeneuve- 
Lonrumsau. l’Archevêque, à cinq lieuës de Sens , que le faint Roi ren- 
Va" contra ceux qui portoient la précieufe AS André de 
Lonjumeau eut l'honneur de la préfenter à Sa Majefté. 
= On ouvrit la caifle de bois , & on vérifia les fceaux des 
Seigneurs François , & du Doge de Venife, apofés fur la 
châfle d'argent , dans laquelle étoit un vafe d'or, & dans ce 
vafe la Couronne d'Epines. On la fit voir à tous les affiftans, 
à qui de juftes fentimens de reconnoiflance & de religion fi- 
rent répandre bien des larmes. C’étoit le jour de faint Lau- 
rent ; & le lendemain, onzième d'Août 1239, la fainte Re- 
lique fut portée à Sens. À l'entrée de la Ville , le Roi, & Ro- 
bert Comte d'Artois, l'aîné de fes freres., la prirent fur leurs 
épaules , étant l’un & l’autre nûs piés, & en chemife: ils la 
portérent ainfi à l’Eglife BA re de faint Etienne , au 
milieu de tout le Clergé de la Ville, qui vint au-devant en 
roceflion. Le Roi partit le douze pour Paris, où on fit dès- 
Le tous les préparatifs pour a a de la Couronne 
d’épines : elle fut d’abord placée dans la Chapelle du Palais ; 
& quelques années après faint Louis ayant reçû de Conftan- 
VIIL tinople une partie de la vraie Croix, & plufeurs autres Re- 
Fondation de la liques , Sa Majefté fit bâtir la Sainte Chapelle , & y fonda un 
D en Chute : nt faire tous les jours l'Ofice Divin, & y ho- 
| norer les Inftrumens de notre Rédemtion. 
Nous ignorons fi André de Lonjumeau , après la commif- 
fion dont on vient de parler , s’arêta quelque tems en France 
usa mont auprès de faint Louis , ou fi le zéle du fin des ames lui fit 
PE entreprendre une feconde Miffion dans les pays éloignés. 
ee Mais je trouve qu'en 124$ le Pape Innocent IV fe fervit de fon 
IX. miniftére pour travailler à la réunion des Patriarches Orien- 
Per on 3 taux avec l'Eglife Romaine , ou . s’affûrer de la pureté de 
Pape vers les Pa. leurs fentimens fur les véritez de la Foi. Le Patriarche des Ja- 
triarches d'Orient. cobites, celui des Arméniens , & lArchevêque de Nifbe, 
qu'on croyoit Neftoriens , reçurent avec beaucoup de refpeét 
le Nonce Apoftolique, & les Lettres du Viçaire de JEsUs- 
CHRIST ; ils donnérent auf les leurs en forme de profeffion 
de foi , qui fut trouvée orthodoxe. Celle d'Ignace À 
des J x Lo eft entiérement confotme à la LA de l'Egli- 
fe Catholique, non-feulement fur la Trinité des Perfonnes 
| Divines , 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. r6: 
Divines , mais encore fur le Myftére de l’Incarnation du Ver- 
be : car elle porte que JESUS - CHRIST eft Dieu par- 
fait, & Homme parfait, fans mélange ni confufion des deux 
Natures (1). Voilà, dit ce Prélat, qui traite Eutiches d’ex- 
communié , quelle eft notrè Foi, & celle des Egyptiens, des 
Arméniens , des Lybiens , des Ethyopiens ; nous confeflons 
de plus, que la fainte Eglife Romaine eft la Mere & la Mai- 
trelle de toutes les Eglifes. 

Odoric Rainald, dans fes Annales , raporte toutes ces 
Lettres ; & on y peut remarquer que les Orientaux , qui les 
avoient remifes entre les mains du Pere André , parlent de 
lui avec éloge (2), & en relevant fes vertus ; ils nous apré- 
nent une partie de fes aétions. Il eftà propos , dit le Patriar- 
che Ignace, de faire favoir à Votre Sainteté , que depuis que 
ces Religieux Latins , Hommes bénis de Dieu, ont paru 
chez nous, ils fe forit atirés l’eftime , & l’afeétion de tous les 
Fidéles : nos Peuples fe font portés avec plaifir à les aider de 
leur mieux dans leurs bonnes œuvres , pour les mettre en état 
de brifer les fers de ceux qui gémifloient dans l'efclavage , & 
de rendre la liberté aux Captifs (3). | 

Si André de Lonjumeau remit lui-même ces Lettres au Pa- 
pe , comme il eft naturel de le penfer, je ne vois pas qu'on 
És dire avec quelque fondement, que dès l’an 1245 Sa 

ainteté l’avoit joint au Pere Afcelin, & aux trois autres Do- 
minicains envoyés vers l'Armée des Tartares. Peut-être fi- 
rent-ils enfemble une partie du voiage ; mais il eft probable 


LIvRrE 
IL. 


ANDRE’ DE 


LONIUMEAU.” 





>.é 
Ilgagne leur afcc# 
tion , & leur citis 
me. : 


XT. 
Réfléxions critia 
ques. 


qu'ils fe féparerent enfuite ; & il eft certain qu’en 1247 André 


(1) Confitemur quod Maria eft Mater 
Dei in Verirate , quia De peperit Deum in- 
carnatum, quinatus eft pro falute noftra.…. 
perfeétus Deus , & perfeêtus homo , unus 
poft unionem. Non recipimus igitur eos, 
qui confitentur dualitatem divifam unitatis ; 
nec iterum eos, qui confitentur mixtionem 
& confufionem , ficut Eutiches excommuni- 
catus. Sed recipimus omnes, qui fequuntur fi- 
dem B. Petri Principis Apoftolorum, & ince- 
dunt per viam Niceni Concilii , quicugque 
fint illi de Doétoribus Eccleñx de quo- 
rum veritas nota eft apud excellum Deum. 
Item damnamus & excommunicamus om- 
nem deviantem à fide Beati Petri, & Concilii 
Niceni, & corrumpentem reétitudinem Fidei 
Chriftianæ à tempore Simonis Magi ufque 
ad diem hanc....hæe cft igitur Fides no- 
_ fra, & Confeflio noftra; & nobifcum Æ- 


Tome JL. 


gyptii, & Armeni, & Lybii, & Æthiopes. 
Confitemur iterum quod Sacrofanéta Eccle- 
fia Romana eft Mater, & Caput omnium 
Ecclefiarum. Ap. Oâoric. Rain. #4 An. 
1247, 9. 37,38. 

(2) Ifti Fratres , Filii veftri fpeciales , Re- 
ligiof, virtuofi in omnibus .... mifli à 


vobis Andreas & focius ejus , confervati à 


Domino, notificabunt vobis ore ad os, quæ 
viderunt , & audierunt apud nos, &c. Ibid. 
n. 34. 

(3) Iterum norificamus Sanétirati veftre, 
quod ex quo Fratres veftri Latini benedicti 
egrefli funt, & venerunt ad partes noftras, 
Populus nofter dilexit eos , & pro poffe [ue 


aftitit eis in omnibus necefliratibus fuis , fi." 


cut in liberatione fclavorum, vel .captivos 
rum, & confumilium, &c. Idem. n. 38, 


X 


462 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE 
II. 


ANDRE’ DE 
LONJUMEAU. 








XTI. 
André de Lonju- 
mcau 2 [a fuite de 
$. Louis dans l'Ifle 
de Chipre. 


de Lonjumeau avoit terminé fa commiffion auprès des Patriar- 
ches Orientaux , dans le tems que les quatre Nonces étoient 
encore dans la Perfe , atendant de jour en jour la réponfe de 
Baïothnoi , & la permiflion defe retirer. | 
. Onaflure, ileft vrai, qu'avant l’année 1 248 André de Lon- 
jumeau avoit déja prêché la Foi chez les Tartares, dont il fa- 
voit la Langue : & nous en verrons bien-tôt la preuve. Mais 
cela pouvoit être arivé, ouentre l'an 1228 & 1237, dans la 
remiére Miffion qu'il fit en Orient ; ou peut-être après 1239, 
kr avant 124$. Quoiqu'il en foit, fi André de Lonjumeau 
s’éroit trouvé avec les quatre Nonces, ils préfenterent 
au Sultan d'Egypte les Lettres du Pape Innocent IV, on n’au- 
roit pù dire que tous ces Religieux ignoroient les Langues 
Orientales , n'étant acoutumés à difputer qu’en Latin, ou en 
François. Etfi Afcelin arive à l'Armée FR re , avoit eu 
avec lui André de Lonjumeau , les Députez ne fe feroient 
oint trouvés dans la néceflité de re des Interprétes , 
fit pour fe faire entendre aux grands Oficiers de Baïothnoi, 
foit pour traduire les Lettres Apoftoliques , d’abord de Latin 
en Perfan, & enfuite de Perfan en Tartare : on ne prit cet 
expédient, que parce qu'on n'avoit point un homme qui en- 
tendit le Tartare & le Latin. 

Le Pere Echard n’avoit pas fait ces réflexions ; ou elles ne 
lui avoient point paru aflez fortes pour l'empêcher de croire , 
que le Pere André étoit avec les quatre Nonces, quandils pa- 
rurent en préfence des Tartares (1). M. Fleuri, après André 
Duchefne, favorife ce même fentiment , puifqu'en parlant 
des Ambafladeurs d'un Roi des Tartares, qui, au mois de 
Décembre 1 248 , vinrent faluer faint Louis dans l’Ifle de Chi- 
pre , & lui préfenter une Lettre de la part de leur Maitre : cet 
Auteur ajoûte ces paroles : “ Quand cette Lettre fut pré- 
» fentée à faint Louis , 1l avoit auprés de lui un Frere be 
» Cheur , nommé André de Lonjumeau , qui connoifloit Da- 
» Vid, le premier de ces Amballadeurs , pour l'avoir vû dans 
» l'Armée des Tartares, lorfqu'il y avoit été avec les autres 


» de la part du Pape. Le Roi fit traduire en Latin parFrere 


(1) Anno 1245 poft Concilium Lugdu- | rum Ducem , ur eum ab ampliori Chriftia- 
aenfe 1, ab Innocentio IV Fratri Anfclino , | narum regionum depopularione averterent ; 
& aliis, de quibus fuprà , adjunétus fuit , | ejufque fi potis cflet , furorem mitigarent, 
Frater Andreas de Longiumello , qui in Per- | Sed furdo cecinere. Echard, ZI. I. p. 140. 


fidem fe conferrent ad Baïothnoi Tartaro- 
_ / 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 16; 


André la Lettre du Tartare , & en envoya copie en France “ 
à la Reine Blanche ,. » 
Sans aprouver tout ce qu'ont avancé ces Ecrivains , nous 
profiterons de ce qu'ils ajoutent , pour continuer l’Hiftoire 
d'André de Lonjumeau. Les Ambañfadeurs des T'artares pri- 
rent congé du Roiï le 25 de Janvier 1249 ; & deux jours après 
ils partirent de Nicofie avec les Envoyez de faint Louis , qui 
les chargea de riches préfens , & de fes Lettres, tant pour le 
Can, que pour Ercaltai , qu'on difoit être un des Rois T'ar- 
tares, déja Chrétien, & très-zelé pour la propagation de la 
Foi. Le Cardinal Légat écrivit | à plufieurs Princes de la 
même Nation, & aux Evêques qui fe trouvoient dans les 
Pais conquis depuis peu par ces Infidéles. Il exhortoit les pre- 
miers à embrafler la Loi de JESUS-CHRIST , & à reconnoiître 
la primauté de l’'Eglife Romaine. Il recommandoit aux der- 
niers l’union entr'eux , & la confervation du facré dépôt , 
qu'ils avoient reçu des Conciles & des Peres. Parmi les En- 
voyez du Roi, il y avoit trois Freres Prêcheurs ; André, Jean, 
& Guillaume. Mais on voulut qu'André de Lonjumeau fût à 
la tête de l'Ambaffade , tant pour honorer fon mérite , que 
parce qu'ayant été déja dans ces Pais , dit M. Sponde , il con- 
noifloit (1) le génie dela Nation , fes mœurs & fes coutumes. 


a / e. ! . . ’ 
Leur voiage ne fut guéres moins pénible, que celui qu’a- 


voient fait les Nonces du Pape. Mais les Princes & les Ofi- 
ciers Fartares leur firent un acueil plus gracieux, foit par con- 
fidération pour le Roi de France , foit aufli parce qu'ils apor- 
toient des préfens. Ce ne fut cependant qu’en 1251 , deux ans 
après leur départ , qu'André de Lonjumeau & Ês Collégues 
retournerent auprès de faint Louis. Ils le trouverent à Céfarée 
en Paleftine , ocupé à faire fortifier cette Place , atendanr 
l'éxécution du Traité conclu avec le Sultan d'Egypte. Les 
Députez raporterent , que s'étant embarqués en Chipre, ils 


avoient abordé au Port d'Antioche ; & que de là , jufqu'au 


lieu où étoit le Can des Tartares , ils n’avoient point difconti- 
nuë de marcher pendant rès d'une année , faifant quelque- 
fois dix lieuës par jour. vou le Pais qu'ils traverferent étoit 
déja foumis à ces nouveaux Conquérans : & en plufieurs 
lieux on ne voyoit que les triftes ruines des Villes, fes reftes 


(1) Legationis vero Regiæ Princeps fuit 
Frater quidam Andreas Ordinis Prædicato- 
rum , qui quod jam antea cas cerras pcra- |. 


graffet, Hominum, Regionumque perirus 
Crat. SponA. #4 An, 1148, n. 9. 


8 X à 





LIVRE 
I. 


ANDRE DE 


LONJUMEAU. 
VLCEFEXELSE 





XIII. 

Le faint Roi le 
met à fa cère des 
Ambaffadeurs qu'il 
envoie au Can des 
Tartares. 


XIV. 
Il eft reçu avec 
honneur. 


Livre 
II. 


ANDRE’ DE 


LONIUMEAU. 
D 


Dee ame monte ci 


XV. 
… Quel fur le fruit 


de ce voiage. 


\ 


164 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


fumans des Bourgs, & des Villages renverfés , de grands 
monceaux de on, , Ou des tas de corps morts : traces fan- 
glantes de la fureur de cette brutale Nation. 

Les Députez n'étoient arivés à l'Armée qu'après la mort du 
Can ; & fa Veuve, normamée Charmis , avoit le commande- 
ment jufqu’à la nomination de fon Succeffeur , qui fut élû ,ou 
proclamé l'an 649 de l'Egire, 1251 de JESUS-CHRIST. André 
de Lonjumeau , & les autres Envoyez , furent préfens à la cé- 
rémonie de cette éleétion. On les reçut avec honneur ; & on 
leur fit des préfens (1), qu'ils aportérent à faint Louis. La 
Reine Régente & le nouveau Can , afetterent de paroître 
favorables aux Chrétiens. Cependant , quelque diligence que 
fiflent les Envoyez pour aprendre des nouvelles du prétendu 
Roi Ercaltaï, au nom duquel on avoit préfenté une Lettre 
au Roi de France dans l’'Ifle de Chipre ; 1l ne fut point poffi- 
ble de le découvrir. David & les autres Impoñteurs , qui s’é- 
toient donnés pour Ambaffadeurs de ce Prince fupofé ,avoient 
eu la précaution pendant la route de fe féparer de nos Reli- 
gieux , & de difparoître. Quoique tout ce qu’ils avoient ra- 
conté touchant la converfion d’un grand nombre de Princes, 
de Fils de Rois , & de grands Oficiers, parût affez conforme 
à ce que le Connétable d'Arménie venoit d'écrire au Roi de 
Chipre , & au Comte de Joppé ;le Pere André ne reconnut 

armi tous ces Chefs des Tartares , que des Payens , ou des 
Politiques fans Religion, qui aimoient fort à être apelés Mo- 
gols , dont ils préféroient le nom à celui de T'artare. Mais la 

läpart ne pouvoient diffimuler, ni leur éloignement pour 
le Chriftiansfme , ni leur mépris pour les Chrétiens. 

On peut donc aflurer que le voiage des Députez de faint 
Louis n'eut point l’éfet principal qu’on s’étoit propofé : Gui- 
donis le dit expreflément. On peut croire auf , que leur fé- 
jour dans l'Armée des Tartares ne fut pas fans quelque fruit. 
Il eft du moins certain, que fur leur raport le Hoi e France 
écrivit au Pape , que SAR pe Infidèles , (M. Fleuri dit plu- 
fieurs Tartares) avoient deja reçu le Baptème, & qu'il s'en 
convertiroit un plus grand nombre, fi on leur prêchoit la Foi. 
Mais ( ajoûtoit ce Prince) la puiflance du Calife de Bagdad 

(x) Sed cum perveniffent diéti Fratres p raverunt Nuncios, & manera tribuerunt ; 
cum multis laboribus ad caput exercitüs | äicque remifli funt cum honore , nullo ta- 
Tartarorun, invenerunt Regem cffe dcfun- | men eftectu alio fubfecuto , qui principali- 


&tum. Veruintamen Regina, & Filius ejus , | ter quxrcbatur, Bern, Guid. sn Chron, 44 
viñs & accepris exeniis Ecclefafticis hono- F An, 1248. | 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 1:64 
fait qu’il y a très-peu d'Evêques dans le Païs ; c’eft pourquoi il 
feroit à propos d’ordonner Evêques quelques Freres Prè- 
cheurs , ou Mineurs, que l’on y doit envoyer , afin qu'ils 
uiffent conférer les Ordres , & donner les difpenfes nécef- 
Éires touchant les mariages , & l’obfervation des jeûnes. 
Le Pape Innocent IV acorda avec plaifir ce que Sa Majefté 
défiroit (1). | 
Nous avons lieu de croire qu’André de Lonjumeau finit fes 
jours dans l’éxercice des travaux Apoñftoliques : mais nous ne 
ouvons marquer , ni le lieu , ni le tems de fa mort. Nous 
bon feulement qu'iltravailloit encore à la vigne duSeigneur 
dans la-Paleftine l’an 1253. C’eft de lui que Guillaume de Ru- 


bruquis , célébre Francifcain , deftiné à porter au nouveau 


Can les préfens, & les Lettres du Roi Très-Chrétien , voulut 


aprendre tout ce qu'il avoit interêt de favoir touchant les cou- 
tumes de la Cour des Tartares , & les mœurs de la Nation. 
Dans la curieufe Relation que Rubruquis a faite de fon voia- 
ge ,1l Se avoir trouvé toutes chofes de la maniére que 


avoit expoié 


é André de Lonjumeau. 


. (1) Odoni Cardinali Tufculano A. S. L.} jejuniorum Legibus , abfolvere , ac matri- 
commifit, Pontifex , ut è Prædicatorum, & | monii in gradibus Canonibus tantüm Ponti- 
Minoritarum Ordinibus Religiofos viros | ficiis vetiti, contrahendi porcftatem tribue- 
pietate & doétrinà illuftres, Epifcopos crea- | re poflent. Ad quod fanéti Ludovici preci- 
ret, qui Fidem Chriflianam inter Tartaros | bus , qui amplificandi Chriftiani nominis 
diffeminarent , arque auétoritate inftruerent, | modos omnes ftudiofiffimé explorabat ; ea- 
ut carum Provinciarum Chriftianos non- | que de caufa oratores ad Tartaros miferat, 
dum in Religione corroboratos, fervandis | adduétus eft. Odorie. ss Jb. n, 48. 








Xiÿ 


LIVRE. 


ANDRE’ DE 
LONJUMEAU. 
D à 

Vide Epiftol. Inno. 


IV, ap. Odoric. ad 
An, 3253, 0: 49 


LIVRE 
Dh 





CoNSTANTIN 
be MEpicris. 





Dcllà Nobilità d'I- 
talia, Part. 1, p. 197. 
,  Echard,T,I,p.153. 


166 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
RÉRERÉERELERÉEEER EEE ERLEESRÉRENNELELELELSE 
CONSTANTIN DE MEDICIS. 


EVEQUE D'ORVIETTE, ET LEGAT DU PAPE 
ÂLEXANDRE IV AUPRÉS DE L'EMPEREUR 
DES GRECS. 


RANçÇoIs Zazzera , dans fon Traité hiftorique de la No- 

bleffe d'Italie , nous aprend que Conftantin , apelé com- 
munément d'Orviette , étoit né à Florence, de l’illuftre Mai- 
fon de Medicis. On peut juger de fon éducation , non-feule- 
ment par fa naïflance , mais auffñ par la haute réputation, où 
il fut à la Cour des Papes , & par les Emplois diftingués qu’il 
remplit avec honneur. 

Prévenu de la Grace , & docile aux faintes inftru&tions , 

il avoit reçüés dès fes tendres années , l’opulence de fa 
Maifon n’amolit point fon cœur ; & 1l eut le bonheur de fe 
féparer du Monde fans enavoir éprouvé la corruption, peut- 
être avant que d'en avoir connu tous les dangers. Etant en- 
tré dans l'Ordre des Freres Prêcheurs , dans le tems que l’on 
travailloit à la Canonifation du faint Patriarche , il fut formé 
par fes premiers Difciples à tous les éxercices de la piété chré- 
tienne , & bien-tôt après aux fonétions de l’Apoñtolat. Conf- 
tantin répondit toujours aux atentions de fes Maîtres , & il 
remplit leurs efpérances. Réfolu de À be pour modéle ce- 
lui qu'il voioit revivre dans fes plus fidéles enfans , il s’inftrui- 
foit avec foin des maximes , & des aëtions de faint Domini- 
que; il aimoit à entendre parler de fes vertus,à ceux qui avoient 
converfé plus long-tems , ou plus familiérement avec lui ; & 
iltâchoit de les imitèr le plus parfaitement qu'il pouvoit , foit 
dans la conduite particuliére de fa vie , foit dans la maniére 
d’anoncer la parole de Dieu aux Peuples , & detravailler au 
falut des Ames. Ce feul trait de fon Hiftoire fait en même-tems 
fon éloge , & nous donne une grande idée de fes progrès dans 
la vertu , aufli-bien que des fruits de fes prédications. 

La douceur , qui étoit le véritable cara@tére de Conftantin 
de Medicis ; fa prudence , & fon amour pour la régularité, le 
faifoient défirer pour Supérieur : & fa Écilité à expliquer les 
Livres faints , ou les queftions les plus obfcures de la Théo- 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 167 


logie , fembloient le deftiner à enfeigner pendant long-tems 
dans les principales Villes d'Italie. Il eft vrai que l’obéiffance 
l'obligea quelquefois à dr vo l'un & l’autre emploi. Mais 
lorfqu'il lui étoit permis de fuivre fon atrait me a » 1l pré- 
féroit à toute autre ocupation, celle d'inftruire les Fidéles par 
le Miniftére de la parole , de retirer du vice & du péché ceux 

i y étoient malheureufement engagés , & de faire fervir au 
lose des pauvres , à la paix des familles , à la récon- 
ciliation des ennemis , tous fes talens , & les moïens qu'une 
ingénieufe charité eft capable d'infpirer. Il vivoit dans un 
tems, & dans un Pais, où les Peuples fouvent oprimés par 


des tyrans, & prefque toujours divifés par de cruelles fac- 


tions , ne trouvoient quelque fujet de confolation , que dans 
le zéle des faints Miniftres , qui s’opofoient en quelque ma- 
niére à la colére de Dieu , mi ferveur de leurs priéres ; tan- 
dis qu'ils portoient aux hommes des paroles de réconciliation 
pour fufpendre au moins leurs animofitez , quand ils ne pou- 
voient entiérement les éteindre. 

C’eft à ce glorieux, mais os miniftére , que le Servi- 
teur de Dieu s’étoit particuliérement dévoué. ren tou- 
jours Le modéle qu'il s'étoit propofé dès fon entrée dans la Re- 
ligion , il imitoit de bien près la vivacité du zéle de faint Do- 
minique , & la rigueur de fes pénitences. Comme lui, il fai- 
foit fes voïages , & fes miflions par le feul défir de procurer la 
gloire de Dieu, & le falut du prochain; & ne cherchoit que 
dans l'éxercice de la priére à fe délaffer des travaux de l’Apof- 
tolat. Une atention fi rt à marcher fur les traces du 
Saint , & à recueillir avec foin toutes les particularitez de fa 
vie, perfuada aux Supérieurs, qui connoiffoient d’ailleurs les 

ualitez de fon efprit, qu'il réufhroit mieux qu’un autre à 
écrire l'Hiftoire du FA sons Fondateur. Ce fut dans le 
Chapitre Général tenu à Bologne l'an 1242 , que Jean le Teu- 
tonique le chargea de ce travail. Conftantin accepta la com- 
miflion avec plaifir , & 1l léxécuta avec autant de zéle, que 
d'éxaétitude. À la Chronique du Bienheureux Jourdain , & à 
toutes les recherches que Minas pouvoit avoir déja faites , 
il en ajoûta de nouvelles. La fuite de fes prédications dans di- 
férentes Provinces d'Italie , le mit fouvent en état d’éxaminer 
les faits dans les lieux où ils s’étoient pañlés, ou de les apren- 
dre des perfonnes même, qui les avoient vüs. Il ne manque 
pas de le faire remarquer en diférens endroits de fon Ouvrage, 


LIVRE 
II. 


CoONSTANTIN 


DE MEDicis. 
à 





«68 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE quin'eft pas d'une grande étenduë, & ne fut cependant 
Il. achevé que vers l'an 1247. Vincent de Beauvais en a inféré 
Consranrin Une partie dans le trente-deuxième Livre de fon Miroir Hifto- 
peMenicrs. tique. Et le Pere Echard , qui l’a fait imprimer.dans fon pre- 
mm” mer tome des Ecrivains de l'Ordre des FF. Prêcheurs , nous 
avertit que l'Edition‘des Ouvrages de Vincent de Beauvais 
étant remplie de fautes, il a fuivi un ancien Manufcrit beau- 
coup plus éxaét. 
ous n’oferions aflurer avec Bernard Guidonis que l'Ofice 
fait en l'honneur de faint Dominique, tel que nous le chan- 
tons encore aujourd'hui le jour de fa Fête Toit de la compo- 
fition de Conftantin de Medicis , atendu le témoignage de plu- 
fieurs autres Auteurs, qui atribuent ce petit Ouvrage au Bien- 
heureux Jourdain de Saxe. Le zéle cependant du Serviteur de 
Dieu ne fe repofoit pas. Tout ce qui pouvoit contribuer à 
écarter de nouvelles divifions , ou à maintenir le bon ordre, 
l'union, & la paix, faifoit partie de fes ocupations. Les Evè- 
es fe fervoient de fon miniftére pour l’inftruétion de leurs 
euples : & les Peuples, aufh édifiès de fes vertus, que tou- 
chés de fes difcours , aprennoient de lui le refpeét , & l’obéif- 
fance , qu'ils devoient à leurs Pafteurs. Mais fon mérite ne le 
faifoit pas moins eftimer à la Cour de Rome, furtout depuis le 
retour d'Innocent IV , & de fes Cardinaux, en Italie, après 
la mort de l'Empereur Frédéric IT ; le Cardinal Raynald Evé- 
e d'Oftie ne fut pas plutôt élu Pape, fous le nom d’Aléxan- 
de IV , qu'il voulut marquer fon afe&ion pour l’Eglife d'Or- 
viette , en lui donnant Conftantin de Médicis , pour Evêque, 
& pour Pafteur. 
ette nouvelle dignité ne changea rien dans la modeftie de 
fes habits, n1 dans la rigueur de fes pénitences : mais elle don- 
na à fa charité de nouveaux moyens de fe répandre au dehors, 
& d'efluyer par fes aumônes A larmes de ceux qui gémif- 
{oient dans l'indigence. Tout ce que fon prédéceffeur { décédé 
depuis plufieurs années) avoit fagement établi en faveur des 
pe , des Eglifes , ou des Monaftéres , le nouvel Evêque 
e fit un devoir . le continuer , & d'y ajoûter. Son Epifcopat, 
comme nous verrons bien-tôt , n’eft pas diftingué par fa durée ; 
mais il le fut beaucoup par les fecours fpirituels & temporels, 
que ce charitable Prélat eut foin de procurer à tous És Dio- 
céfains. I] les inftruifoit lui-même de hs devoirs, fe rendoit 
le médiateur de leurs diférends, corrigeoit les uns avec bonté, 
fournifloit 








DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 1:69 


fournifloit abondanment aux befoins des autres ; & les édi- 
fioit tous par la fainteté de fes éxemples , en même tems qu'il 
les cnoioi dans leurs peines avec la folicitude d’un Pañfteur, 
& la tendreffe d'un pere. Dans toutes les ocafions, il fe montra 
fi atentif à maintenir les droits du Peuple, & à défendre les 
intérêts de fon Eglife, que c’eft de-là qu'on l’a depuis apellé 
Conftantin d'Orviette ; quoique cette Ville , comme il a été 
dit , ne fut point le lieu de fa naiffance. 

De fi beaux commencemens faifoient efpérer des fuites en- 
core plus heureufes. Mais des ordres fupérieurs arachérent 
trop tôt le Pafteur à fon Troupeau. Il y avoit à peine deux 
ans qu'il le conduifoit, lorfque le Vicaire de JEsUs-CHRIST 
jJugea à ir de fe fervir de fes talens À ts des afaires d’une 
autre conféquence. L'Empereur des Grecs, Jean Vatace, 
avoit fait propofer au Pape Innocent IV, quelques articles 
pour la réunion de l’Eglife Greque avec la Romaine. Mais 
divers incidens , & la mort des deux Souverains, arivée la 
même année 1254, avOient interrompu ces négociations. Le 
Pape Aléxandre IV voulut les renouer avec l'Empereur Theo- 
dore, Fils, & Succefleur de Vatace : & Sa Sainteté , de l'avis 
des Cardinaux , choifit l’'Evêque d'Orviette , pour conduire à 
une heureufe fin cette afaire,non moins importantequedificile. 

Il s’agifloit de faire reconnoitre par les Evêques , & les 
Peuples foumis à l’Empire de Théodore, 1° , La Primauté du 
Saint Siège, & des Succefleurs de faint Pierre, au-deflus de 
tous les autres Patriarches: 20, La liberté d'apeller à l'Eglife Ro- 
maine , de la part des Ecléfiaftiques Grecs, qui fe croiroient 
véxés par leurs Supérieurs : 3°, Le recours à la même Eglife 
pour les queftions , qui pourroient s'élever dans le Clergé 
“Grec, principalement fur ce qui apartient à la doëtrine de la 
Foi : 4°, L'obéiffance au Pape , & aux Décrets émanés du Sié- 
ge Apoftolique: jo, Le droit ; qu’a le Souverain Pontife de 
préfider aux Conciles Généraux, & de figner le premier les 
décifions formées dans ces faintes Affemblées. | 

Le — devoit ou confommer cette grande afarre avec le 
Patriarche Grec , & fon Clergé , en préfence de l'Empereur ; 
ou engager les Orientaux à envoyer à Rome leurs Ambaffa- 
deurs , avec de pleins pouvoirs, tant du Prince, que de l’Eglife 
Greque ; ou prendre enfin les mefures , qu’il jugeroit nécelfai- 
res pour la tenuë d’un Concile Général fur les 1 Muni de 
Ces pouvoirs , ou de ces inftruétions , qu’on peut voir plus au 

Tome I. YŸ 


Livre 
I. 


CoONSTANTIN 
DEMezpicis. 


CESR 








LIVRE 





CoONSTANTIN 
. DE MEpicris. 
Due or Ad 


#* Ap. Odoric. ad An- 
1256 > 2. 47) 48, 


170 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


long dansles Annales de l'Eglife * , l'Evêque d'Orviette partit 
d'Italie l'an 1256, avec la qualité de Légat Apoftolique. Mais 
tandis que les Miniftres du Pape, dans l'efpérance de ramener 
les Schifmatiques , s'expofoient généreufement à toutes les fa- 
tigues d’un long voyage, l'Empereur Theodore , & fon Pa- 
triarche ne penfoient de leur côté qu'à faire échotier des né- 
gociations , qu'ils avoient paru fouhaiter avec ardeur. Le Lé- 

at étant arivé avec ceux de fa fuite à Bérée dans la Macé- 
: Pr , George Acropolite Grand Logothete , que Theodore 
avoit laiflé dans la Province , en qualité de Gouverneur, 
aprit aux Envoyez de Sa Sainteté , que ce Prince avoit été 
obligé de fe mettre à la tête de fes armées pour marcher con- 
tre fes ennemis. 

L'expérience prouva aflez dans la fuite , & on pouvoit 
l'avoir déja reconnu, que les Grecs ne parloient jamais de 
réunion que par des motifs d'intérêt & de À cu on Lorf- 
qu'ils avoient lieu de craindre les armées des Latins , ou quand 
l'état de leurs afaires les obligeoït de fe raprocher d'eux, pour 
fe foutenir contre quelqu'autre Puiffance , dont 1ls étoient 
menacés , alors ils Pie des propofitions de paix, & de 
conciliation ; propofitions, qu'ils ne manquoient jamais d’é- 
luder dans la fuite ; tantôt par la crainte d’exciterune révolte, 
qui pouvoit mettre tout en confufion dans l’Empire, & dans 
leur Eglife ; tantôt par ce principe Leg , qui les retenoit 
toujours opiniätrément atachés au fchifme , que l’'Eglife Gre- 
que aiant reçûù des Peres fes Dogmes, fes Canons, fa Difci- 

line , & fes Cérémonies, ce n'étoit qu'aux Latins qu'il fal- 
Le imputer l'innovation & le fchifme. On leur avoit fouvent. 
montré la fauffeté de leur raifonnement ; & on les avoit con- 
vaincus plus d’une fois d'erreur & de nouveauté. Auffñ crai- 
noient-ils toujours un éxamen, qui ne leur faifoit jamais 
onneur. 

La guerre, que Theodore avoit alors à foutenir contre les 
Bulgares, fut peut-être moins la raifon , que le prétexte, qu'il 
prit pouf ne point atendre l’arivée-du Légat. Quoiqu'il en 
{oit, Conftantin de Medicis s’arêta quelque tems dans la Ma- 
cédoine ; & fon féjour , fi nous en croions Fontana, ne fut 

oint inutile à un nombre de Grecs , qui étant entrés en con- 
Le. avec lui, fe rendirent à la force de la vérité, & à l’é- 
vidence de fes raifons (1). Il fe flatoit toujours du retour de 


G) Conftantinus Medices Urbevetanus Epifcopus , cm Apoltolicà Legationc fufcepaææ 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 171 


l'Empereur ; mais ce Prince mourut dès le mois d'Aoùût 1258, 
dans la trente-fixiéme année de fon âge , la quatriéme de fon 
Règne. Et le Légat avoit auffi terminé fes jours dans la Grece 
avant la fin de l'année précédente. Ce fut en éxécutant les or- 
dres du Saint Siége, en travaillant, comme il avoit toujours 
fait, pour la gloire de Dieu, la paix de l’'Eglife, & le falut 
des ames, qu'il acheva fa Lan . Son corps, felon l'Abé 


Ughel , fut porté en Italie, & enterré à Péroufe (1). 
SSSSSS 55555585 5555555555 
JÂ QUES BONCAMBIO, 


EVEQUE DE BOLOGNE EN LOMBARDIE, 


ET - 


LEGAT APOSTOLIQUE EN ANGLETERRE. 


ANS le tems que le Bienheureux Jean de Vicence faifoit 
dans toutes les Provinces d'Italie ces miracles de con- 
verlion , dont nous avons parlé dans un autre Ouvrage ; Jà- 
ues Boncambio Noble Bolonois fe rendit affidu à fes prédica- 
tions, & docile à la Grace, qui l’aracha enfin à l'amour im- 
ur des créatures, pour le confacrer au fervice du Seigneur. 
Ï avoit déja perdu u plus belles années de fa jeunefle parmi 
les vanitez , ou les amufemens du fiécle, lorfqu’en 1233 il 
reçut l’Habit des Freres Prêcheurs dans le célébre Couvent de 
faint Nicolas des Vignes. Mais pour avoir commencé un peu 
tard à penfer à l’afaire du falut, fa converfion n’en fut pas 
moins folide. Le bienfait de la vocation lui parut au contraire 
d'autant plus précieux , qu'il l’'avoit moins mérité : & pour ré- 
parer {es premiéres De , 1 mit à profit tous les avantages, 
que la Providence lui fit trouver dans fa retraite. 
Les grands Perfonnages, qu’un même efprit de zéle, ou de 
religion avoit raflemblés dans la Communauté de faint Nico- 
las, faifoient de cette Maifon une Ecole de fience & de fain- 


ab Alexandro IV,in Græcia demandatum fibi | mortalibus. Fonta. Mon. Domin. p. 75. 
munus cum Catholicæ Fidei augmento obi- (1) Conftantinus. ... miflus à Pontifice 
ret , Schifmaticofque multos Græcos ad A- | Legatus in Græciam , ibi cœleftem adorcam 
poftolicæ Sedis vencrationem , Catholica- | eft affecurus anno 1257, mortalibus exuviis 
que amplexanda dogmata, fuà doëtrinà , | Perufium tranflauis, &c. lral. Sacr. T.Ie 
ignitifque eloquiis perduxilew, valedixit } Co/, 1470. Yi 

ij 


LIVRE 
IT. 


CONSTANTIN 


DE MEDICIS. 
D 








JAQUES 
BoNcAMBIO. 
D...  " ‘à 





LIVRE 
IL. 


Gen - -- — 
JAQUES 
PoxcAMezr10o. 
ONCE TELE 





Lean. A'bert. de Vir. 
illuttui, L III, fol. 
315. 





172 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


teté. Sous de tels Maîtres , le nouveau Difciple de JEsus- 
CHRIST eut bientôt apris à mortifier fes fens, & fes paf- 
fions , à combattre l’orgueil ; ou l'amour déréglé de foi-même, 
& à travailler avec fruit au falut du prochaim, après s'être 
purifié le premier par les travaux de la pénitence. L'illuftre 
j ean de Vicence lui fervit de maitre ou de guide dans l’éxer- 
cice des fonétions apoitoliques. Et la Grace ayant perfe&tion- 
né fes talens naturels , il remplit ce faint miniftére avec tant 
de réputation, que , felon le témoignage de quelques Hifto- 
riens, on venoit de bien loin à Bologne, pour avoir le plaïfir 
de l'entendre, ou pour profiter de fes oi (1). Il les 
continua fous le nvlicot de Gregoire IX, & pendant la va- 
cance du Saint Siège. | 
Innocent IV , d'abord après fon éxaltation, le fit fon Vice- 
chancelier ; & bientôt après, Oétavien Evêque de Bologne 
aiant été honoré de la Pourpre Romaine , Jäques os 
fut mis à fa place, avec les aplaudiffemens de tout le Clergé 
& du Peuple. On connut alors jufques où alloient l’eftime , 
l'afedion , & la déférence des Bolonois pour leur nouveau 
Pafteur. Les anciennes animofitez , qui les avoient long-tems 
divifés , s’étoient renouvellées depuis peu avec plus d'éclat, 
&: d'opiniâtreté qu'auparavant. L'Evêque O&tavien , Fe 
tout ce que le zéle lui avoit fait entreprendre Le pacifier les. 
troubles , n’avoit pû y réuflir. Cet ouvrage de paix & de ré- 
conciliation étoit réfervé à fon fuccefleur. dl Religieux, 
mais déja honoré de la confiance de fes Concitoiens, il y 
avoit travaillé, & par fes vives exhortations , & par la fa- 
effe de fes confeils. Mais , felon l’expreffion de l’Abé Ughel, 
il ne fut pas plutôt monté fur le Trône Epifcopal , qu'il eut le 
bonheur de chafler du milieu de fon Troupeau le Fe de 
la difcorde, de réconcilier les Bolonois les uns avec les au- 
tres, & de faire confirmer cette réconciliation générale, par 
un traité folemnel (2). 


[2 
(x) Hictantä erudirionis & facundiæ gra- | ves {uos, pacis fœdus percutiendum cura- 
ta fuit ornatus , utex diverfis Provinciis plu- | vit ; cumque Imolenfibus pacificavit anno 
res , ob ejus nominis celebritatem, Bono- ! 1148. Redcuntem à Lugdunenfi Concilio 
niam eum audiendi causà accederent. Carol. | Innocentium Pontificem excepit hofpitio. 
Sigonius L. IT , de Epifc. Bonon. Bzovi. ad | Exoravit Bononienf{es , ut inter tutelares Di- 
An. 1144, n.11. vos haberent fanétum Dominicum , & Fran- 

(2) Frater Jacobus Boncambius . . . . ex i cifcum, quorum Ecclefias confecraveræ. E- 
Ordine Prædicatorum , Innocentii IV Vice- | pifcopatui lapidcos gradus pofuit ; facram- 
cancellarius .... vix Bononicnfem Thro- | que turrim laminis plumbeis contexit. Lo- 
num afcenderat, cum inter difcordantes ci- [cum attribifit propè portam fanête Mariz 








DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 17; 


La confervation de cette paix fut depuis le grand objet des 
atentions , & des vœux du pieux Prélat. Ce qu'il défiroit avec 
tant d’ardeur , comme le fondement de tout le bien qu'il fe 

ropofoit de faire dans fon Egjlife , il l'obtint de Dieu par la 
Le de fes prieres , & du Peuple par fa folicitude &c fa 
- vigilance paftorale , ou par la modération de fa conduite, 
qui ne donna jamais lieu de l’acufer de partialité. Mais fon 
ouvrage eut paru encore imparfait, fi, atentif à faire régner 
la concorde au milieu de fon Peuple, il ne lui avoit procuré 
la même paix avec les Peuples voifins. Lorfque les Bolonois 
l'an 1248 étoient fur le point d'en venir à une guerre ouverte 
avec les Habitans d’Imola ; ce fut encore par la médiation du 
charitable & habile Pafteur, qu'on mit bas les armes de part 
& d'autre, & que toutes leurs querelles furent heureufement 
terminées fans éfufion de fang. Tandis que les Emiffaires de 
Frédéric IT faifoient tous leurs éforts pour alumer le feu de 
la guerre dans la Lombardie ; le Serviteur de Dieu, conduit 
pär un autre efprit, n'oublioit rien, pour rétablir Liga la 
paix ou pour l'afermir. Ceux-là foufloient le feu de la divi- 
fion , afin de triompher enfuite de ceux qu’ils auroient afoi- 


blis en les divifant ; & celui-ci, en renverfant tous les pro- 
jets des ennemis de la paix , affüroit le avec la liberté des 


Peuples , & les retenoit toujours dans 
Siège , dont on cherchoit à les féparer. > | 
On peut préfumer que l’état . afaires en Italie arêta l’'E- 
vêque de Bologne dans fon Diocèfe , pendant la tenuë du 
premier Concile Général de Lyon. Nous ne lifons pas en éfet 
qu'il fe foit trouvé dans cette augufte Affemblée. æ Hifto- 
riens remarquent feulement, que lorfque le Pape Innocent IV, 
à fon retour de France, ariva à Polouns l'an 1251, notre 
Prélat eut l'honneur de le recevoir , & de le loger dans fon 
Palais, avec une partie de fa Cour. Sa Sainteté vit avec plai- 
{ir les À rs réparations , que cet Evêque faifoit alors à l'E- 
glife Cathédrale. Il avoit déja confacré celles des Religieux 
de faint François & de faint Dominique : & à fa nr D | 
les Bolonois venoient de mettre leur Ville fous la proteétion 
{péciale des deux faints Fondateurs, dont ils avoient tant de 
Fratribus pœnitentibus. Ugbel. Isal, Sacr. gentià ft affecutus , ut cives Capitali inter 
T. I, Col. 22. fe jam pridem odio diflidentes conciliarit, 
Maximé in conciliandis animorum diffi- fæpe & Chriftianæ pictaris , & publicæ {alu- 


diis polebat tantà auétoritate , ur quod Oc-  tis admonitos. Bzov. #s fr. 
tavianus perficere non potuerat, ipfe dili- | 
Ÿ ui 


’obéiffance du Saint 


LIVRE 
II. 


JAQUES 


BoNcAME1(O. 
Dr st —… 2: à 








Fontan. in Mon Do- 
mini. ad An. 1248. 


D 


174 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE fois admiré les vertus, & dont ils éprouvoient tous les jours 
IT. le crédit auprès de Dieu. 

Troie Les atentions du Religieux Pafteur s’étendoient à tout ce 
BoncaMBio, Qui pouvoit contribuer à entretenir l'union parmi les Ci- 
om toiens , en leur fourniffant de nouveaux éxemples de piété : 

1l reçut avec bonté les Freres , apellés de la ne y & 
leur procura un Etabliffement dans la Ville. Mais rien ne con- 
tribuoit davantage au deflein qu'il avoit de former un Peuple 
faint, & agréable à Dieu, que cette ardente charité, quile 
rendoit en quelque maniére prodigue à l'égard des pauvres, 
& infatigable dans les fonétions du faint miniftére. É profu- 
fion de És aumônes pouvoit bien épuifer fes revenus ; mais le 
zéle , dont il étoit animé , ne fe lafloit jamais ni par les fré- 
quentes vifites, qu'il faifoit de tout fon Diocèfe , n1 par fes 
inftru@ions familiéres , qui fervoient toujours à foutenir la 
confiance des Peuples , à nourrir leur piété , ou à les inftruire 
des devoirs de la Religion. Perfuadé qu'un fuétcefleur des 
Apôtres eft le premier Miniftre de la parole, le plus en 

ar fon état de l’anoncer fouvent aux Fidéles confiés à fes 
Pins , il n'avoit garde ni d'oublier ce FL faint Paul avoit 
fi expreflément recommandé à fon Düifciple Timothée , n1 < 
de fe difpenfer , fans une jufte nécefliré , du devoir de la réfi- 
dence. Il n’y eut que l’obéiffance qui put le féparer pour un 
tems dg fon cher oups | 

Les progrès continuels de Mainfroi , dont la tyrannie fem- 

bloit augmenter tous les jours avec fa puiffance, inquié- 
toient beaucoup le Pape Aléxandre IV , déja mécontent du 
Traité, que le Cardinal O&tavien avoit fait avec ce Prince, 
au préjudice des intérêts du Saint Siége (1). Dans la néceflité 
de pourvoir à la füreté de tout l'Etat Ecléfaftique , & au re- 
pos des Peuples , le Souverain Pontife jugea qu'il falloit opo- 
{er aux armes de Mainfroi les forces d’un plus puiffant Mo- 
narque ; & c'eft ce qui 2 ea à choifir l’'Evêque de Bolo- 
gne , pour l’envoier en qualité de fon Légat à la Cour d’An- 
Eee ; où nous favons qu’il fe rendit dans le mois d'O&to- | 


re 125$. 

(1) Oftavianus . .. Caput Gibelinorum , tra Manfredum fpurium , qui Siciliæ regnum 
fe præbuit in Hetruria ; Midas Frede- | invaferat, munere Legationis functus eft, 
rico II, quäm qui maximé ; cujus rei causä | fed infelici conatu. Si quidem cum fané gra- 
parum abfuit quin Innocentius ipfe, qui | ve detrimentum ee PU D ae etiam 
contulerat eidem rofeum pileum, non adi- | fuarum virtucum vifus eft amififle fplendq= 
meret. Cæterüm ab Oétaviano confecurum | rem. 1s4, Sacr. TITI, Col. 25, 


Pontficis fatun infortunium avertit. Con- | 





| DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 17; 
Le principal , ou l'unique objet de cette Légation , étoit de 
orter le Roi Henri III à faire pañler fans délai une armée en 

Le » & à accepter pour le jeune Prince Edmond, le fecond 

de fes Fils , l’inveftiture du Royaume de Sicile , fous les con- 

ditions , que le Légat étoit Pr de lui propofer. On con- 
voqua pour cela une “ra emblée de Seigneurs à Lon- 
dres, dans laquelle, Sa Majefté Britannique ayant accepté tour 
tes les conditions , & promis folemnellement le fecours qu’on 
demandoit , le Légat fit la cérémonie d'inveftir le Prince Ed- 
mond du Royaume de Sicile, & de Pouille, par un anneau 
qu'il lui donna de la a de Sa Sainteté. Ce Traité, ileft vrai, 
n'eut E le fuccès 


LIVRE 
IT. 


JaAqQues 
BoNcAMBIO. 





Math. Paris ,p. 77% 
Fleuri ; L, LXXXIV à 
A, 36e 


ont on s’étoit flaté, parce que la Cour 


d'Angleterre ne put remplir fes engagemens , (1) ni profiter | 


de fes avantages. Mais celle de Rome ne fut pas moins fatis- 
faite de la FE , & du zéle du Légat Apofñtolique, qui 
s'étoit aquité de fa commiffion au gré du Souverain Pontie . 
fans qu’on pût atribuer l'inéxécution du Traité qu'aux divi- 
PRÈS Anglois. | 
Nous ignorons le détail des a@tions de Jâques Boncambio 
endant les cinq derniéres années de fa vie. Nous favons feu- 
pe ue dès fon retour en Italie, il reprit Le foin de fon 
Eglife ; & qu'il eut la confolation de la faire jouir des dou- 
ceurs de la paix jufqu'à fa mort, arivée felon l'Abé Ughel, 
le troifiéme d'Oétobre , ou felon le Pere Echard, le cinquié- 
me de Décembre 1260. Il y avoit feize ans qu’il polar} 2rS 
avec autant de zéle que de réputation, tous les devoirs d’un 
bon Pafteur , toujours chéri de fon Peuple , honoré de la con- 
fiance des Souverains Pontifes , eftimé même par les Ennemis 
de l'Eglife. Il voulut être enterré avec fes Freres dans l'Eglife 
des Dominicains : & fa mémoire, dit l’Auteur de l'Italie Sa- 
crée (2), eft encore en bénédiétion parmi les Bolonois , qui 
ne pouvant oublier les biens tant fpirituels que temporels qu'il 
leur avoit procurés , l'ont toujours révéré comme un ami de 
Dieu, & un de leurs plus illuftres Evêques. On lui atribue 
quelques Ouvrages , qui n'ont point été imprimés. 


(1) Voyez les Annales d'Odoric Raïnaïd, f dée tertis menfis Oflobris anno 1160, Bo- 
125$, n. 8 & 9, où on raporte fommaire- | 7owiam delatus apud [nos Pradicatores [e- 
ment les conditions propolées par le Légat | pulchrum accepit. ... cujus fuavifimam 
du faint Siége, & acceptées par la Cour | memoriam pia crednlitas fidelium sanquans 
d'Angicterre. hominis Deo propioris veneratur çn ‘colits 

(2) Ad fexdecim annos Bononiexfem 44- Ughel. Ital, Sacr. T. 11, Col. 22. 
mnifirauit Ecclefiam .... excelfit à vita | . 


Echard. T. I, p. 16€ 





: 176 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
IVRE 
IL. CRE ENORME NEC ENNEMI ENIEENES 


ROGER DE LEONTINO, 


EVEQUE DE MELFI, 
LEGAT DU PAPE DANS LE ROYAUME DE SICILE. 


ROGER ONTANA, & l'Abé Ughel font en deux mots l'éloge 
2e LeonriNo. L de Roger de Leontino, qu'ils apellent un Perfonnage il- 
=" luitre par fes vertus , & par fon érudition : magne virturis 6 
Tia. SacteT, 1 ; Col fcientiæ Wir. D'autres relevent fa rare prudence, l'élévation  - 
dé de fon génie , la fupériorité de fes talens , & fon habileté dans 
le maniement des grandes afaires : qualitez qui portérent le 
- Saint Siége, dans des tems, & des circonftances extrémement 
critiques , à lui confier ladminiftration du Roïaume de Sicile, 
pour y rétablir les afaires de: Eglife & de l'Etat (1). 
Il faut cependant l'avouer, c'eft bien moins par le témoi- 
nage des os , que par les Lettres Apoftoliques du 
3 Innocent IV , que nous avons quelque connoiffance de 
ce grand homme. Noble Sicilien de naiffance , & Dominicain 
de profefion , il fleurifloit au milieu du treizième fiécle. Il 
n'étoit encore que Religieux particulier dans le Couvent de 
faint Dominique à Naples, & déja fa réputation, ou l'émi- 
nence de fes vertus, qui le rendoit célébre dans les deux Si- 
ciles, l’avoit fait connoître, & eftimer à la Cour du Pape. 
Nous ne pouvons raporter ici us ce que nous trouvons dans 
les Brefs, que Sa Sainteté adrefla au Pere Roger , en le char- 
geant de la up de Sicile, ou qu’elle écrivit aux Sei- 
neurs & aux Oficiers de ce Roïaume, pour leur ordonner 
e concourir avec fon Légat, & de lui obéir fidélement en 
tout ce qu'il ET néceflaire de faire , ou de régler pour le 
repos des Peuples , & la Crus , ou l'honneur de l'Eglife. 
+ Aprés la mort de Frédéric Il, lorfque la Cour de Rome, 
depuis long-tems fatiguée par les entreprifes de ce Prince, 
& toujours apliquée elle- mème à le réprimer, ou à lhumi- 


(1) Inter hæc Pontifex.... Fratri Ro- | ret, omniaque indidem , ad quierem Popu- 
crio Lentino , ex divi Dominici inftituto | li, & perfetam Regni adminiftrationcm 
dnjunxit , atqueut fe in Siciliam conferret , | pertinentia perageret , mandavit : datis ad 
8 jam de medio Frederico fublato , Curam | eum Litteris Lusduni, ipfis nonis Martit, 
rerum Eccleñæ, atque Regni illius fufcipe- | Bzovi. #d An, 1251 , n, 2. 
| lier, 


* 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. :77 


lier, commençoit à fe promettre des jours plus tranquilles , LIVRE 
elle vit toute l'Italie ( particuliérement l’une &c l’autre Sicile ) IT. 
expofée à de nouveaux troubles, par les prétentions , &les  Rocer 
Troupes des Enfans de Frédéric. La premiére atention du »s LeonriNo. 
Pape Innocent IV, dans cette fuite de calamitez , fut de cher- 
cher un homme , qui, par fa réputation , fon expérience, fa 

fermeté , & fa fagefle , pût réunir les Efprits infiniment divi- 

{és , contenir les Peuples dans la foumiflion au Siège Apof- 

tolique , réparer les maux fans nombre , caufés par les guerres 

paflées , & prévenir, ou écarter ceux , dont on étoit en- 

core menacé. Le Vicaire de J. C. crut avoir trouvé dans 

la perfonne du Pere Roger de Leontino , ce Miniftre prudent 

& fidéle , propre pour l'éxécution de tous ces grands def- 

feins. Le Bref qu'il lui écrivit de Lyon le feptiéme de Mars 

12$1, en eft fans doute une preuve. Voici comment s’expli- 

quoit ce Pape, qui fembloit fe trouver précifément dans l’é- 

tat , que faint Bernard avoit ME avec des couleurs fi vi- 

ves , en parlant à Eugene II, dans fes Livres de la Confi- 

dération, | | 








NNOCENT , .... à fon cher Fils, le Frere Roger, 

de l'Ordre des Freres Prêcheurs, SALUT , ET BÉNÉDIc- 
TION APOSTOLIQUE. | | | 

Parmi cette foule d’afaires, dont Nous nous trouvons pur or v:t, 
continuellement acablés , ayant toujours l’efprit & le cœur ?:'#: 
remplis de mille foins qui fe fuccédent , il nous convient de * 
paroître d'autant plus atentif aux nouvelles dificultez , qui fe | 
préfentent de toutes parts , que la qualité de Chef de l'Epglife 
univerfelle nous rend en quelque maniére débiteurs envers 
tout le Monde. Pour étendre donc notre vigilance dans les 
lieux mêmes, où Nous ne pouvons nous trouver en Perfon- 
ne ; que pouvons-nous faire de mieux , que de députer des 
perfonnes fages & difcrétes , en état de pourvoir à Le re d 
ce qu'il y a de plus preflé , & de remplir ainfi par leur Minif- 
tére , Le devoir de la follicitude paftorale ? Rien ne nous tient 
à préfent plus à cœur que l’afaire du Royaume de Sicile. Ré- 
folus de tout employer pour en procurer le rétablifflement, & 
donner quelque confolation à des Fidéles afligés , Nous nous y 
apliquons avec d'autant plus de zéle,que nous ne À sa ho pen- 
fer fans une vive douleur à ce déluge de maux , dont les Servi- 
teurs de Dieu ont été jufqu'iciinondés , & prefque fumergés. 

Tome Z 


LIVRE 
IT. 


ROGER 


p£ LEONTINoO. 
D + 7 |. << 








178 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Maintenant que le Seigneur a retiré de ce Monde Frédéric ; 
autrefois Empereur des po , qui avoit foulé en tant de 
maniéres ce Royaume , la charité & le devoir nous obligent 
de ne rien los afin d'y rétablir toutes chofes. Sum 
donc que vous avez une parfaite connoiffance de toute cette 
afaire , & defes mé re Pate , Nous vous ordonnans par 
ces Lettres Apoftoliques d'agir felon votre fagefle, en laquelle 
nous avons une pleine & entière confiance. Aflemblez les Evè- 
ques du Roïaume, les Seigneurs, les Oficiers , les Magiftrats', 
les Députez des Villes, Bourgs , des Communautez ; & 
délibérez avec eux fur tout ce qui concerne l’état de la Sicile. 
Réglez enfuite, & ordonnez par notre autorité tout ce que 
vous jugerez néceffaire, utile, ou convenable à l'avantage 
de ce Royaume, à la tranquillité des Peuples , & à l'honneur 
du Siége Apoftolique. Tout ce que vous aurez fait à ce fu- 
jet, Nous le tiendrons pour bien fait , & l'aurons pour agréa- 
ble. Donné à Lyon les Nones de Mars, la huitième année de 
notre Pontificat (1). 


On voit bien que ce Bref n'eft pas le premier, dont le 
Vicaire de JESUS-CHRIST ait honoré un Religieux , à qui il 
donnoit un emploi fi important, & un pouvoir fi étendu. 
Mais c'eft le premier de tous ceux qu’on nous a confervés. 
Le même jour Sa Sainteteté en fit expédier un autre , adreflé 
aux Seigneurs , aux Oficiers, & généralement à toutes les 
perfonnes conftiruées en dignité dans le Royaume de Sicile , 

our leur ordonner de rendre une promte obéifflance à fon 

égat, en tout ce qu'il trouveroit bon de leur prefcrire : 
çar, dit le Saint Pere, nous connoiffons fa prudence, fa fa- 
gefle , & fa fidélité , qui doivent lui atirer votre confiance, 
comme il a déja la nôtre (2). 


(1) Quiaigitur negotii, & circumftan- 
tiarum cjus notitiam plenam habes , difcre- 
tioni tuæ, de qua ie confidimus , per 
Apoftolica fcripta mandamus , quatenus 
cum Prxlatis, Baronibus , Militibus , ncc- 
non & Çivitatum, Caftrorum , & aliorum 
locorum Comitibus Sicilix , traétatum pro 
bono , & falubri ipfus Siciliæ ftatu habeas 
diligentem ; ordinans , & ftatuens cum eis 
fuper is, auétoritate noftrà , quæ ad hono- 
rem SedB Apoftolicæ, ac pacem , & tran- 
quillitatem illius terræ videris ftatuenda. 
Nos cnim gracum,& ratum habebimus quid- 


quid in hac parte duxcris ordinandum. Da- 
tum Lugduni Nonis Martii, Pontificatüs no- 
ftri anno ottavo. Vide Bullar. Ora. T.1, 


P-190. 


(2) De prudentia, circumfpeétione, ac 
fidelitate dileti Filii nobilis viri Rogerii de 
Leontino plenam in Domino fiduciam ob- 
tinentes, negotium Siciliæ , quod fpeciali- 
ter infidet cordi noftro , fibi in devotione 
Ecclefiæ perfiftenti duximus commitrendun 
idcoque Mandamus quatenus fibi in 
omnibus, quæ vobis ex parte noftra injun- 
xerit, intendatis. Lege sbsd, 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 179 


Nous trouvons deux autres Brefs d'Innocent IV fur le mê- 
me fujet. Ils font datés l’un & l’autre du dixième de Mars 1251. 
Par le premier, qui eft adreflé aux Archevêques, aux Evêques, 
& à tous les Supérieurs Ecléfaftiques , ou Réguliers , dans la 
Sicile , le Pape les exhorte d’honorer fa Perfonne dans celle de 
fon Lépgat. Le fecond eft écrit au Eégat même ; & Sa Sainteté 
Jui parle ainfi : Afin que l’afaire , dont Nous vous avons char- 
gé, ait un fuccès d'autant plus promt & plus heureux , que 
vous ferez revêtu d'une plus grande autorité, Nous vous 
donnons par ces Préfentes un plein pouvoir de faire lever 
dans les Villes , Bourgs, & autres lieux du Royaume de Si- 
cile , les droits du faint Siège , & d'employer toutes ces fom- 
mes felon vos lumiéres , pour la réüflite de l'importante 
afaire, qui vous a été commife par le faint Siége (1). 

Pendant les longs démêlez de l'Empereur Frédéric IT avec 
les Souverains Pontifes , ( Gregoire IX & Innocent IV ) les 
Siciliens , ainfi que les autres Peuples d'Italie , s'étoient trou 
vés divifés : mais les Partifans de Frédéric , en plus grand 
nombre, & plus puifflanment apuiés , avoient profité ou 
abufé dela proteétion du Prince & de fes forces , pour s'a- 
grandir eux-mêmes , & élever leur fortune fur la ruine de 
tous ceux, qui n'étoient pas dans les mêmes intérêts. Les 
Eglifes furtout, les Communautez réguliéres, plufieurs no- 
bles & illuftres Familles atachées au faint Siége , & dès-lors 
abandonnées par le Prince à la difcrétion de És Oficiers , ou 
de fes flateurs, avoient été dépouillées , en tout ou en par- 
tie, de leurs anciennes pofleflions & de leurs titres. Bien des 
Seigneurs , dont les Ancêtres , dans des tems plus heureux, 
avoient ocupé les premiers poftes dans le Royaume de Sici- 
le , profcrits par Frédéric , ou chaflés de l'héritage de leurs 
Peres , fe trouvoient réduits à la condition des plus vils rotu- 
riers , fouvent à la dure néceflité de fe banir eux-mêmes de 
leur Patrie , ou pour mettre leur vie en füreté , ou pour cher- 


LIVRE 
IT. 


RoGEr 


DE LEONTINO. 
VÉSRNCNMENTEE 











cher ailleurs avec moins de honte leur propre fubfiftance , & 


celle de leurs enfans. 


(x) Ut negotium Siciliæ, Le Providen- 


liæ, ad Sedem pertinentes eandem, libere ac 
tie tuæ duximus committendum , eo cffica- 


integre percipere valeas , expendendos præ- 


ciis , ad honorem & utilitarem Apoftolicæ 
Sedis, ac tranquillum , & falubrem illius 
terræ ftarum , exequi val:as, quo per Nos 
majori fueris Dre munitus, Nobilitati 
tuæ , quod omnes redditus Civitatum , Ca- 
itrorum, & aliorum locorum praditæ Sici- 


diéto negortio in illis partibus promovendo, 
auétoritate præfentium duximus conceden- 
dum. Datum Lugduni VI Idus Martii , Pon- 
tificatüs noftri anno octavo. In Bullar. nt 


JP. p. 191. 
Zi 


# 


LIVRE 
IT. 


ROGER 


DE LEONTINO. 
D 0 








Bullar. Oxd. T. I, 
p- 203. 


180 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


C’eft ce que le Pape Innocent IV apelloitavec raifon la dé- 
folation du Royaume de Sicile, les afliétions fans nombre; 
les rudes épreuves , les violences , & les perfécutions , dont 
avoient été acablés tous ceux qui s'étoient montrés fidèles à 
leur devoir (1). Pour remettre toutes chofes dans leur pre- 
mier état, il faloit donc ôter aux uns ce qu'ils avoient injuf- 
tement enlevé aux autres ; faire rentrer ceux-ci dans la pai- 
fible poffeffion de leurs terres , de leurs maïfons , & de leurs 
droits ; & réduire les Ufurpateurs dans les bornes étroites, 
d'où ils n’étoient fortis qu'en foulant aux pies toutes les 
loix de la juftice , de la Religion, & de l'humanité. Le zele 
de Roger de Leontino, & le choix qu'avoit fait de lui le 
Vicaire de JEsus-CHRIST , lui firent entreprendre une afai- 
re , qui rencontroit les plus grandes dificultez , & qui ne pou- 
voit que l’expofer à une infinite de périls. 

Il reconnut bien-tôt qu'avec toutes les reftitutions , qu'il 
avoit droit d’ordonner , mais dont l’éxécution CAE 
bien du travail & du tems, il ne feroit pas encore en état de 
pourvoir aux preffans befoins des familles ruinées , ou de 
dédommager fufifanment cette multitude de Fidéles , qui gé- 
mifloient dans l'indigence & la mifére. Les deniers qui étoient 
dûs au Saint Siège, & dont on commença à RE a dans 
toute l’'étenduë de l’Ifle ; le Lécat Apoftolique les diftribua 
avec tant de fagefle , & de proportion, qu'il mérita les béné- 
di&tions des Peuples. Dans le court efpace d’une année , 1l 
fit voir ce que peuvent les atentions d’un Homme, que l’ef- 
prit de Dieu conduit , que la charité anime , & qui , n'ayant 
d’autres intérêts en vüe , que ceux du bien public, fait faire 
{ervir l'autorité à la défenfe de la juftice , ou de l'innocence 
oprimée. | 

La conduite du Pere Roger fut fi agréable au Vicaire de 
JEesus-CHRIST , que dans un de fes Brefs adreffé au Car- 


dinal Rainald , Evêque d'Oftie, ( depuis Pape , fous le nom 


d'Aléxandre IV, ) il fit fon Eloge, & marqua la réfolution 
où il éroit d'élever ce Religieux à quelque dignité , qui le miît 
en état de rendre de nouveaux fervices à l'Eglfe. Peu de jours 
après , le Pere Roger de Leontino fut élû Évêque de Melf, 


(1) Dum innumeras affli@iones illius | bitarem fuarum vehementium paffionum 
CRegni Sicilie ) recolimus , & de variis ejus | participatione maximà fentientes , &cc. Î#- 
anguftiis cogitamus , in intimis quidem | #0. IV ,in Brevi, us fp. Bullar. Ord. T. I, 
præcordiis acuto dolore confodimur , açer- | p. 190. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 181 


dans le Royaume de Naples ; & Sa Sainteté confirma cette 
_ éleétion par un autre Bref, daté de Peroufe le feptiéme de Fé- 
vrier 1252. | 

Conrad , Fils de Frédéric IT, étoit déja entré dans l'Italie , 
‘avec une nombreufe Armée , qui portoit par tout la défola- 
tion, ou l’éfroi. Mais la mort de ce Prince, arivée deux ans 
après, & les difpofitions pacifiques , que fit d’abord paroître 
Mainfroi , laiflerent à notre Prélat la liberté de remplir dans 
fon Diocèfe tous les devoirs d’un charitable & dE mp Paf- 
teur, toujours atentif aux befoins de fon troupeau ; apliqué 
a inftruire les Fidéles ; à réconcilier les ennemis ; à Corriger , 
ou confoler les uns ; à afermir les autres dans la Foi , ou dans 
la foumiffion au Saint Siège ; & à rétablir partout l’ordre, la 
difcipline , la fubordination , que les is des guerres 
avoient fait méconnoître. h 

Ce calme cependant ne fut point de longue durée. Dès 
l'an 125$ Mainfroi reprit les armes, & fit foulever contre le 
” Pape Aléxandre IV une grande partie des Villes du Royaume 
de Sicile , & de celui de Naples. L'Evêque de Melf dans cette 
ocafion eut befoin de tout ce que le Seigneur lui avoit donné 
de fagefle , de fermeté , & de zéle pour la Religion , ou l’hon- 
neur de l'Eglife. Comme un Pilote expérimenté dans le fort 
de l'orage , 1] ne permit point à fes yeux de fe fermer. Maisil 
ne vit pas la fin de la tempête. Cette guerre opiniâtre ne fut 
terminée que par la mort de Mainfroi , & la viéoire de Char- 
les I Roi de Sicile l'an 1266. Roger de Leontino, après avoir 
faintement conduit fon Eglife pendant huit ans , & travaillé 
toute fa vie pour la paix , & le 7 des Peuples , s’étoit re- 
pofé dans le (ra l'an 1260 , felon Fontana (1). | 

Cette époque nous donne ocafion de faire remarquer la mé- 
prife de —. Ecrivains , qui ont confondu le Drélat dont 
nous parlons , avec Rainier , ou Rainald de Leontigo , frere 
de Thomas Apni Patriarche de Jérufalem. Il eft tra qu'ils 


étoient natifs de la même Ville , & qu'ils avoient fait Profef- 


fion dans le même Ordre. Mais l’un étoit mort Evêque de: 


(1) Rogerius de Leontio magna virtutis, | tm. Fontan..in Theat. Dom, P- 233. 
ac fcientie vir , à Raynaldo Epifcopo Cardi- | L'Abé Ughel ne marque pas précilément 
nali Offierfs , Apoftolica Sedis Legato Epif- | l'année de la mort de ce Prélat ; mais il parle 
copus conftitutus , ab Isnocentio IV, anno | de fon Succelfeur, qui gouvernoit déja l'E- 
12$2, fui Pontificatus nono confirmatus eff. | glife de Melf en 1261.. Iral, Sacr. I. I, 
1h qua Ecclefia, Melphicnf , #nnis circiter | Col, 929. 
oo egregiè vixit , tandemque emifit fhiri- 


Li 


LIVRE 
II. 


RoGER 


DE LEONTINO. 
D. ie >» 








LIVRE 
IT. 


ROGER 
DE LEONTINO. 
D ed 








* Bullar, Ord. T. 1, 
p-s33. 


GUILLAUME 


PERAULT. 
Le —— — ve: À 
Vide Nat. Alex. Hift. 
Eccl. T. VII, p.142. 


Et Echard. de Scripto- 
til. Ord. T.i, b. } 3 le 


182 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Melfi *, douze ans avant que l’autre fût élevé fur le Siége Ar- 
chiépifcopal de Meffine l’an 1272, fous le Pontificat de Gré- 
goire X. 


SES SP SVT ENST EN PENSAIS ESS 


GUILLAUME PERAULT, 
CELEBRE DOCTEUR DE PARIS. 


ARMI les Savans du treizième fiécle , il en eft peu quife 
foient fait une plus grande réputation de doétrine & de 
piété que Guillaume Perault, dont le nom & les Ecrits fe 
trouvent fouvent cités avec éloge par les Auteurs contempo- 
rains. Il étoit natif d’un Bourg anellé Perault, fur le Rhône, 
au-deffous de Vienne en a Le Pere Echard a cru qu'il 
étoit d'un âge déja mür quand ilembraffa l’Inftitut des FF. Prê. 
cheurs , atiré à l'Etat Religieux par les prédications du Bien- 
heureux Renaud de faint Gilles, ou du Bienheureux Jour- 
dain de Saxe : car on n’eft pas plus éxaétement inftruit de l’an- 
née de fa retraite, que de la Rite de fes aétions , & des cir- 
conftances de fa vie (1). 
_ Tout ce que nous pouvons avancer fur le témoignage des 
Anciens , c'eft que la do&rine de Guillaume Perault , fes ta- 
lens pourla Chaire, & la pureté de fes mœurs le firent égale- 
ment diftinguer dans le Cloître, où 1l fut regardé comme un 
modéle de régularité , & de modeftie ; & parmi les célébres 
Prédicateurs de fon fiécle , dont les Peuples admiroient l’élo- 
quence , & les Savans l'érudition. Le grand nombre de Ser- 
mons fur toutes fortes de fujets, dont on voit encore les Ma- 
SRE ee plufeurs Bibliothéques de Paris , & que les Co- 
piftes écdivoient pendant qu'il les prononçoit, montre aflez 
uelle étoit fa réputation. Mais le jugement qu'ont porté de la 
Dlidité de fa doëétrine les plus habiles Théologiens ; qui, 
fans être éblouis de fon éloquence naturelle, ont jugé de fa 
fience par fes Ecrits , mérite encore plus d’atention. Voici 
comment parle de lui M. Dupin, apuyé fur le fentiment du 
célébre Gerfon : | 


{x} Frater Guillelmus Peraldus , nulli pro- su fibi parum, & veritati confentiunt, &c. 
pè Scriprorum ignotus , fed nec fatis notus , | Echard. mt p. 
adco in ejus ætate, patria, nomine , fcriptif- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 1:83 

*« Guillaume Perault,fimple Religieux de l'Ordre des FF. 
Prècheurs, dans le Monaftére de Lyon,& non pas Archevé- 
que de cette Ville,comme quelques-uns l'ont écrit,fut en ré- 
putation de bon Prédicateur , & d'habile Théologien. Il fit 
une Somme des Vertus & des Vices, fort eftimée de fon 
tems, & dans le fiécle fuivant, laquelle eft citée avec éloge 
ar Gerfon,qui dit que cet Auteur n’a point fait une compi- 
Le de fa tête, mais qu'il a pris ce qu'il a écrit du fond de 
l'Ecriture Sainte : & que fi l’on compare les nouvelles ima- 
ginations de quelques-uns avec cette doëtrine , on connoi- « 
tra facilement qu'elles n’ont ni folidité , ni vérité. Cette 
Somme a été fouvent imprimée à Venife , à Bäle, à Lyon, « 
& à Paris. Il avoit aufli compofé plufieurs Sermons ; & c'eft « 
avec raifon que l’on croit que ceux qui font atribués à Guil- « 
laume de Paris , font de cet Auteur. Tritheme fait mention « 
d'un autre Ouvrage du même Ecrivain pour l'inftruétion « 
des Religieux ». | 
Suivons ces paroles de M. Dupin pour éclaircir quelques 
dificultez touchant l'Etat, & les Oise de Guillaume Pe- 
rault. L'Hiftorien moderne dit d’abord que notre Auteur n’a 
point été Archevêque de Lyon. Gerfon avoit déja penfé de 
même ; & le Pere Aléxandre l’a fuivi, auffi bien que le Pere 
Echard (1), qui a fortement combattu l'opinion contraire, 
Le fentiment de ces trois ou quatre habiles Critiques doit pa- 
roître d'autant plus “phomar t qu'on ne voit point dans quelle 
année on pourroit placer Guillaume Perault parmi les Arche- 
vêques de Lyon. Ceux qui ont entrepris de marquer fon rang , 
fe "ss vifiblement trompés, tantôt en le métant dans un tems , 
où on fait que ce gran M étoit rempli par un autre; & 
tantôt en le faifant fièger à Lyon plufeurs années, ou plu- 
fieurs fiécles après fa mort. Il ne faut pas néanmoins diffimu- 
ler que les Ecrivains Ecléfiaftiques des trois derniers fiécles, 


RIRES SERRS 


EN 


LIVRE 
Il. 


GUILLAUME 
PERAULT. 
td 





* Auteurs du XIII 
fiécle , p. 261. 


qui lui atribuent plus communément cette dignité , font auto- 


rifés par le Titre même de la plupart de fes Ouvrages, foit ma- 
nüfcrits ,ouimprimés. Le P. Echard le reconnoît ; & il fe con- 
tente de dire, que dans tous Ces Exemplaires, en fort grand 
nombre , où l'Auteur eft apellé Evêque , ou Archevêque de 
Lyon, le Titre a été ajoûté après coup par une main étran- 


(1) Neque vero idcirco minus habendus 
Peraldus , quamvis infulis caruerit, qui pro- 
pris meritis , doétrinà , eruditione, religio- 

U 


nn, 


xit , {ed & fxculis fequentibus abundè fulfie, 
& etiam num clarer. Echard. T. I, p.132. 





ne, zelo , operibus , non folüm quoad vi. 


184 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


gére. C’eft précifément ce qu'il auroit fallu prouver. 

Une Note,que nous trouvons dans unO uvrage fort eftimé, 
fervira peut-être à débrouiller ce fait, & à faire connoître ce 
que les À ar fentimens opofés peuvent avoir de vrai,& ce qu'ils 
ont de faux. Don Denis de St Marthe , dans le quatriéme To- 
me de fon Gallia Chrifliana , après avoir fait l'Hifoire de Phi- 
lippe de Savoye, qui, fans avoir jamais reçùû les Ordres Sacrés, 
pofféda l’Archevêché de Lyon depuis lan 1 245 jufqu’en 1267, 
ajoûte ces paroles : “ Ce Prélat avoit choifi pour Coadju- 
» teur (ou, comme on dit, pour Sufragant) Colas Pe- 
» rault Dominicain, Perfonnage fort favant, & d'une haute 
piété, qui pendant dix années entiéres fit toutes les fonc- 
tions Epifcopales dans l’Eglife de Lyon, dont il avoit cou- 
» tume de fe nommer Evêque, ainf qu'il paroït par fes 
Ecrits (1) ». 

Il femble que c’eft ce qu'on peut dire de mieux fondé , & 
en même tems de plus propre à concilier les Auteurs ; ou 
plutôt à faire remarquer leurs méprifes : car ceux-là n’ont 
point parlé avec aflez d'éxaétitude , qui ont dit abfolument 

ye Guillaume Perault avoit été Archevêque de Lyon. 
M. Dupin peut aufh s'être trompé en aflurant au contraire 
qu'il n'étoit que fimple Religieux de l'Ordre des Freres Prê- 
va | 

C'eft encore par méprife que Leandre Albert a comté parmi 
les Ecrits de cet Auteur le Traité des fept Dons du Saint Ef- 
prit (2), qui apartient à Etienne de Bourbon, Religieux du 
même Ordre. Nous ne connoiflons d'autres Ouvrages de 
Guillaume Perault que les fuivans : 1°. Sa Somme des Vices. 
& des Vertus , dont on trouve une infinité de Manufcrits dans 
les principales Bibliothèques de l'Europe. Ce qui n’eft pas une 
petite preuve de l’eftime qu'on a faite de cet Ouvrage, non- 
feulement dans le treizième , & le quatorziéme fiécles, com- 
me M. Dupin l'avoue , mais encore dans les fuivans : c’étoit 
dans le quinziéme que Gerfon en parloit avec tant d’éloge. Et 


LIVRE 
IT. 


GUILLAUME 


- PER AULT. 
D À 





3) 


ÿ 


Ÿ 


(1) Coëpifcopum , feu , ut vulgo alunt , Pifcopus Lugdunenfis , vir ingenio , & do- 


Suffraganeum fibi delegit ( Philppus de Sa- 
baudia ) Guillelmum Peraldum Dominica- 
num , virum doétum, & piiffimum , qui 
toto decennio munia Epifcopalia obiit Lug- 
duni, cujus fe EpOpUR in{cribere {ole- 
bat, ut videre eft ad caput cjus operum. 
Gal. Chrift. T. IV, Col. 146. 

(2) Guillelmus Peraldus, Gallus , Archic- 


Ctrinà clarus, Summam magnam tribus vo- 
luminibus diftinétam de feptem donis Spiri- 
tus Sanéti fcripfit , rationes fuas exemplis 
præclaris confirmans . ... & plura alia poft 
fe dimifit opera , quæ virioptimam Littera- 
turam præ fe ferunt. Leæn, Albert, de Viris 
slluftrib, L, II], fol, 86. 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 184 

il s'en eft fait plufieurs Editions dans le feiziéme , & le dix- 
{eptiéme fiécles *. 

2°, Les Sermons du même Auteur ont été auffi imprimés 

lufieurs fois dans le Roïaume ; & hors du Roïaume. Ces 

Diane ne feroient pas fans doute du goût de notre fiécle, 

fi diférent de celui du treizième : on y touve cependant un 


LIVRE 
II. 


GUILLAUME 
PER AULT. 








#* Echard.T.L,p. 132. 


en fond d'érudition. Et la piété de l’Auteur s'y fait partout 


entir. 


3°. Un Commentaire fur la Régle de S. Benoït, dont nous 
ne trouvons qu'une feule Edition, où on n’a marqué ni le lieu, 
ni l’année , n1 le nom de l’Imprimeur. 

4*. Un Traité pour l'inftruétion des Religieux , fouvent 
réimprimé à Paris, à Lyon, & ailleurs. | 

$°. Un autre Traité divifé en fept Livres, & intitulé De 
l'inftruition des Princes. I] a été imprimé pour la premiére fois 
à Rome, fous le Pontificat de Pie V , l'an 1$70. 

M. Dupin n’a fait mention que de trois de ces Ouvrages. 
Mais le témoignage des Auteurs contemporains, cités par le 
Pere Echard, l'autorité des anciens Manufcrits, qui portent 


prefque tous le nom de leur Auteur ; & la conformité même 


de ftile , & de doétrine , ne permettent pas de douter _ ces 


cinq Ouvrages ne foient véritablement de Guillaume Perault. 
C'eft ce qu’un Critique moderne prouve fort folidement. Et 1l 
remarque en même tems. qu’on a fupofé à notre Auteur bien 
des Ecrits qui ne font pas de lui; tandis qu'il n'y en a aucun de 
ceux qui lui apartiénent , qu'on n'ait tenté de lui enlever, pour 
le donner à un autre. | | 
Ses Sermons pendant quelque tems ont été atribués à Guil- 
laume d'Auvergne , Evêque de Paris dans le treizième fiécle. 
On a quelquefois donné à un certain Guillaume de Poitiers, 
l’'Explication , ou le Commentaire de la Régle de faint Benoit. 
Les Editeurs de la grande Bibliothèque FPE, qua mis par- 
mi les Ouvrages du Pere Humbert de Romans, le Traité pour 
l'inftru&ion des Religieux. Celui qui regarde l'inftruétion des 
Princes, a été d’abord imprimé parmi les Opufcules de faint 
Thomas. Et le Cardinal Bellarmin , qui l’apelle un Ouvrage 
d'une très-grande utilité, ne le juge pas indigne du Doëteur 
Angélique. Enfin dans la Bibliothèque des Grands Auguftins 
à Paris , on voit un Exemplaire de la Somme des Vertus & des 
Vices, fous le nom de Guillaume de Brucia Archevêque de 


Sens : _… ce Prélat ne fut certainement pas l’Auteur, 
ome Î, | Aa 


Echard. ibid.p.153;s 
134: 135. 


Vide Echard.T. 1, 
Peljjs 


LIVRE 
IT. 


con 


VINCENT 


DE BEAUVAIS. 
D "1"... À 
H:ift. Eccl. Liv. 


LYXXIV, NM, ç. 


Aur. du XIII fecle , 


p.139. 


186 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES | 


mais feulement l’admirateur de cet Ouvrage, qu’il eftimoit 
beaucoup, & dont il faifoit quelquefois préfent à fes amis 
choifis. | 


VINCENT 
DE BEAUVAIS. 


ET illuftre Ecrivain, auffi recommandable par la fain- 

teté de fa vie, que par le nombre de fes Ouvrages, n’eft 

connu que fous le nom de Vincent de Beauvais ; foit qu'il ait 

ris mn dans cette Ville, comme la cru M. Fleury ; foit 

lon M. Dupin, parce qu'il y fit fa réfidence ordinaire ; foit 

enfin qu’il en fut Evêque fuivant l'opinion de plufieurs Hifto- 
riens anciens , & modernes. 

Martin Polonois Auteur contemporain, faint Antonin, 
J'Abé Trithéme, Jâques - Philippe de Bergame , Raphaël de 
Volterra , Léandre Albert, Sixte de Sienne, Pofflevin, & 
ceux qui les ont fuivis , affürent que Vincent avoit été honoré 
du carattére épifcopal : & le Mire foutient qu'il étoit Evêèque 

de Beauvais. Nous trouvons auffñ un bon nombre d’Ecrivains 
qui font d’un autre fentiment : & le Pere Labbe remarque à 
ire , que Henri de Gand , en parlant de notre Auteur, ne 
T'apelle point Evêque. Îl auroit pu faire valoir encore le filence 
de Bernard Guidonis, comme a fait depuis le Pere Echard. 
Mais parmi les récens , dont le Pere Labbe croïoit pouvoir 
méprifer le témoignage , il ne devoit pas métre Martin Polo- 
nois (1), mort l'an 1278. 

Que Vincent de Beauvais ait été Evêque, ou qu'il ait per- 
févèré jufqu'à la fin dans l’état de fimple Religieux , Cell ce 
que nous ne croions pas devoir éxaminer de nouveau. Le 

(1) Deco ( Vincentio Bellovacenfi ) Hen- 
ricus Gandavenfis, capite xL111 Caralogi, 


qui eum Epifcopum non vocavit , quod fe- 
cerc recentiores plerique conferto agmine 


tus Senenfis, Poffevinus , aliique deinceps ; 
quorum lapfus non profequar Cd. 
În uno hærebo Miræo , qui in notis ad Hen- 
ricum de Gandavo tribuit illi inprimis E if- 


ab aliis jam merito reprehenfi , Martinus 
Polonus, S. Antoninus, Joannes Trithe- 
mius , Jacobus- Philippus Bergomas , Ra- 
phaël Volaterranus , Leander Albertus, Six- 


copatum Bcllovacenfem. Hac Phil. Labbews 
in Differt. hiflor. de Scriptorib. Ecclef.T. IT , 
p. 479, Editio Parif, an, 1660. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 1:87 


Letteur curieux peut lire la favante Differtation , que le Ré- 
vérend Pere Bremond, Théologien de Cafanate, a publiée 
dans fon premier Tome du Bullaire * de l'Ordre des Freres 
Prêcheurs, dédié au Pape Benoit XIII , & imprimé à Rome 
l'an 1729. 

On n’eft pas mieux inftruit de l'année, que du lieu de la naïf- 
fance de Vincent de Beauvais. Mais rien n'empêche de dire 
avec Duboulai +, qu'ilavoit fait fes Etudes à Paris, fous le Re- 
gne de Philippe Augufte ; & qu'il fut un des premiers, qui 
embraflérent l’Inftitut de faint Dominique. Il fe fit aimer de 
fes Freres autant par fon caraëtére d’efprit, & fon beau natu- 
rel , que par l'éclat de fes vertus. Et fes prédications le mirent 
bientôt en réputation à la Ville, & à la Cour. On prétend 

ue le Cardinal Eude de Chateauroux , Légat PR cr en 
rance , l'emploia pour la réforme des Freres & des Sœurs de 
l'Hôpital de Beauvais, pendant qu'il éxerçoit l'Ofice de Sous- 
Prieur dans le Couvent des FF. Prêcheurs de cette Ville. 
C'eft peut-être le feul emploi qu'il ait rempli dans fon Or- 
dre , ayant toujours fait fa principale ocupation de la le@ure, 
ou de Appen:vrs de divers Ouvrages. Ceux qui font véri- 
tablement de lui, font affez connoitre qu'il eft peu de Savans 
qui aient lu & travaillé autant que l'a fait cet infatigable Ecri- 
vain. Le RoiS. Louis l’aïant pris en afeéhon,le fit venir à l’A- 
baie de Roïaumont,oùilfe retiroit fouvent ; Vincent faifoit au- 
rès de Sa Majefté l'Ofice de Leéteur ; & il avoit infpeétion fur 
a Etudes des Princes fes enfans.Quelques-uns ont cru qu'ilen 
étoit le Précepteur. Et d’autres ajoutent qu'il faifoit des con- 
férences, ou des leçons de Théologie aux Moines de Roïau- 
mont , ce que nous ne voulons ni combattre , ni aflurer. 
Dans une Lettre de confolation écrite au faint Monarque , 
Vincent de Beauvais ne prend d'autre titre que celui ri pe 
teur du Roi. Nous trouvons cependant dans un autre de fes 
Ouvrages, que ce Souverain , aufh bien que toute la Famille 
Roiale , afoient fouvent à fes prédications ; qu'ils aimoient 
à lire fes Ouvrages après l'avoir mis en état de : compofer ; 
& qu'il en avoit déja écrit plufieurs par l’ordre même du Rai, 
quelques-uns pour fatisfaire aux défirs de la Reine Margue- 
rite , Provence , d’autres enfin à la demande du Prince Phi- 
lippe , & de Tibaud Roi de Navarre , beau-fils de faint Louis. 
Auff les premiers Ouvrages qui fortirent de fes mains , furent- 
ils , comme il le remarque lui-même, le” recueils des ma- 
a 1j 


LIverer 
IT. 


VINCENT 


DE BEAUVAIS. 
D. +". 





* P,2$59, &c. 


+ Hift. Uni. Pari[.T. 
III 3 P- 71 3e 


Du Boulai , T.IIL, 
p.713, Hit. Uui. 


I. 
Vincent de Bcau- 
vais, Lecteur, & 
Prédicateur de S. 
Louis, écrit divers 
Ouvrages par l'or- 
dre de ce Prince. 


LIVRE 
II. 








VINCENT 


DE BEAUVAIS. 
SRE 





IL 
Ce qu'on peut re- 
marquer dans fes 
Ouvrages. 


III. 
Traité de la Grace. 


188 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


ximes propres à édifier , & à inftruire les Princes, les Sei- 
gneurs de la Cour , les Oficiers, & ceux qui avoient l’admi- 
niftration de la Juftice. Vincent fe mat en même-tems 
d'avoir pour lui-mème, & de fournir aux Miniftres de JEsus- 
CHRIST , obligés de fréquenter les Grands, de quoi traiter 
dans les converfations particuliéres , ou dans les difcours pu- 
blics , les fujets les plus capables de faire aimer la Religion, 
& pratiquer la vertu (1). 

en pieux & favant Auteur ne s’eft point borné à ce feul 
objet. On peut dire qu'il a écrit pour les perfonnes de tous les 
Etats, & de toutes les Conditions : comme il a traité detoutes 
fortes de mauiéres. L’efprit de pieté, dont il étoit animé , paroît 
dans tous fes diférens Ecrits : & on eft étonné d'y voir , avec 


bcaucou 

infinité É 
fujet. Ce n'eft 
Saints , ou des 
teurs, 


Ce qu'il 


autre. 
C'eft dans ce goût 


de netteté, une érudition, qui fupofe la leéture d'une 

Ouvrages, dont il raporte à propos ce qui fait à fon 
roprement qu'un tiffu de textes des Livres 

.. des Peres, & des 

uiont fleuri dans les douze premiers fiécles de l’'Eglife. 

ajoûre du fien , n’eft que pour lier les Textes ,enfaire 

fentir l’acord & l'harmonie, ouéclaircir 


ce qu'il y a d'obfcur, de dificile, ou 


plus célébres Doc- 


_ uefois par Fun, 
‘embaraflé dans ur 


Vincent de Beauvais a écrit fon 


e 
Traité de la Grace, .. la Rédemption du Genre-Humain. 
Dans cet Ouvrage Théologique, partagé en quatre Livres, 
il parle d’abord de la génération éternelle du Verbe, & de 


toutes fes divines 
naiflance temporel 


PES Ïl fait enfuite l'Hiftoire de Iæ 
e du Fils de Dieu, de fa 


fainte vire fur la 


terre , de fes aëtions , de fes miracles , de fes myftéres. Enfin 


(1) Chariffimis & Relisiofiffimis in Chrifto 
viris, & illuftrifimis Dominis, omni hono- 
se & reverentia dignis Principibus, Ludovico 
Dei grauà, Regi Franciæ ac Theobaldo cjuf- 
dem favente clementia Regi Navarræ,& Co- 
miti Campaniæ, Frater Vincentius Bellova- 
cenfis de Ordine Prædicatorum , falutem in 
omnium Salvatore. Olim dum in Monaftc- 
rio Regalifmontis ad exercendum Le‘toris 
officium juxta fublimitatis velitræ bencplaci- 
tum , Domine mi Rex Francorum, moram 
facerem , ibique vos, & familiam veftram 
divinis cloquiis aurecm pariter ac mentem 
præbcre dilisenter interdum adverterem , 
mihi quidem utile vifum eft aliqua de mulris 


. DLibris , quos aliquando Icgcram, ad mores 


Principum & Curialium pertinentia fummar 
tim in unum volumen per diverfa Capitula 
diftingucndo colligere : quatenus &.Ego & 
Fratres de ifta materia , de qua nimirum 
pauca inveniuntur {cripta , fpeciale quid in 
prompeu haberemus , ad quod opportunè 
poiemus recurrere , fi quando nobis incum- 
beret hujuimodi gencribus horinum, uti- 
que Princivibus, Militibus, Confiliariis, Mi- 
nütris, Vallivis, Præpolitis , ac cæteris five 
in Cwia refidearibus , five foris rempubli- 
cam adminiftrantibus ea quæ ad vitx hone- 
{tarem , & animæ {alutem fpeétant , unicui- 
que pro ur tin fo competit, privatim vel 
publicè fuadcre. In MMS. Auglia T. IT, 
pe 1, 35. Ap. Echard. T. I, p.239. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 1% 


il traite du mérite de fes foufrances , des motifs, ou des cau- 
fes qui l'ont fait {oufrir. Et il termine tout fon Traité par de 
fages réfléxions fur l’aveuglement des Juifs, & leur répro- 
bation. 

Son Livre des Louanges de Ja Sainte Vierge , que M. Du- 
pin apelle un Difcours , eft divifé en cent quarante-deux Cha- 
pitres. L'Auteur le commence par ces paroles, qui nous font 
connoître d’abord fon deflein , & le plan de fon Ouvrage : 
# Le Saint Evangile ne raportant que très-peu dechofe des # 
aftions de la très-heureufe Vierge ; & les Peres de l'Eglife « 
aïant rejété comme apocryphes quelques anciens Ecrits, # 
- quifembloient contenir l'Hiftoire de fa naïffance , de fa vie, # 

de fon Affomption , & de quelques miracles , qu'on lui atri- « 
buoit ; j'ai cru que je nb contribuer en quelque ma- « 
niére à la gloire de la Sainte Mere de Dieu, ou à fon culte, « 
&c à l'édification des Fidéles , en recueillant avec foin, & « 
felon la portée de mon efprit, ce qui fe trouve fur ce fujet « 
de plus autentique dans les Livres des faints Doëteurs, dans « 
leurs Traitez , ou dans leurs Sermons ,. 

On a quelquefois confondu cet Ouvrage de notre Auteur 
avec un autre atribué à Nicolas Grenier, Chanoine de faint 
Viétor , fous ce Titre : Thefaurus Præconiorum Deipare Vir- 
ginis Marie ex didlis authenticis contextus. Les deux Ecri- 
vains, il eit vrai, avoient eu le même deffein. Et aïant puifé 
dans les mêmes fources, il étoit dificile qu’ils n'emploiaffent 
pas fouvent les mêmestextes. Mais l’ordre qu'ils ont fuivi , eft 
auffi diférent que leur ftile. Et il ne feroit point aifé de prou- 
ver que l’un eùt vû le travail de l’autre. | 
Ce Traité de Vincent de Beauvais eft fuivi d’un troifiéme 
beaucoup moins étendu , mais compofé dans le même goût à 


l'honneur de faint Jean l'Evangélifte. Dans ce petit Recueil, 


on trouve ce que les faints Peres, & les anciens Doéteurs de 
l'Eglfe ont dit de plus beau , touchant les vertus , les dons, 
& les id re du Difciple bien-aimé. | 

Le Traité de l’Inftruétion des Enfans des Rois, dédié à la 
Reine de France Marguerite de Provence , eft un de ceux 
que Vincent avoit écrits par le commandement de cette Prin- 
cefle. Il ne faut pas le confondre avec un autre , où le même 
Auteur s’étoit propofé de donner des maximes pour former 
les mœurs d’un jeune Prince: de Morali Principis Inftitu- 
tione, Celui-ci , dont il ef fait mention plus d’une fois dans le 

| Aa il] 


LIVRE 
IL. 


VINCENT 
DE BEAUVAIS. 
D 








IV. | 
Traité des Louan- 
ges de la Sainte 
Vierge, 


V. 
Des Louanges de 
S. Jean l'Evangé- 
€. 


VI. 
Diférens Traïtez 
pour l'inftru&ion , 
ou l'infticution 
d'un Prince. 


\ 


LIVRE 
II. 


VINCENT 


DE RRAUVAIS. 
D de rad 








VIT. 
Ouvrages qui 
n'ont point été im- 
primés. 


VIII. 
Ouvrage douteux. 


IX, 
Plan du Grand Mi- 
roir de Vincent de 
Beauvais. 


190 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Catalogue des Manufcrits d'Angleterre , avoit été fouvent in- 
terrompu, & ne fut achevé que plufeurs années après le pre- 
muer. Entre l'un & l'autre 1l faut placer felon l’ordre des tems 
le petit Ouvrage, qui a pour Titre: Lettre de confolation de 
Vincent de Beauvais au Roi de France , touchant la mort du 
Prince an Fils aine. 

Les cinq Traitez , dont on vient de parler, parurent impri- 
més pa remiére fois à Bâle l'an 1481. Mais long-tems 
avant la naïflance de l’Imprimerie , on en voioit les manufcrits 
dans les principales Bibliothèques du Roïaume , de même que 
dans celles du Roi d'Angleterre à Londres, & de la Maifon de 
Medicis à Florence. Les deux derniers furent traduits en plu- 
fieurs Langues : & nous en avons une Verfion faite l'an 1374 
par ordre du Roi Très-Chrétien Charles V , dit le Sage. 

Les anciens Auteurs atribuent encore à Vincent de Beau- 
vais divers autres Ouvrages, qui n'ont point été imprimés ; 
Fun fur le Myftére de la Trinité, un autre fur le Sacrement de 
Pénitence , un troifième pour expliquer l'Oraifon Domini- 
cale, & la Salutation Angélique ; & enfin un Volume de 
Lettres, qui contiennent les décifions de l’Auteur , ou fes ré- 

onfes à un grand nombre de cas , fur lefquels les Savans , & 
fs rfonnes de piété lui propofoient leurs dificultez. 
ous ne croions pas devoir métre dans le même rang un 
Opufcule, intitulé /’]mage du Monde , dans lequel on a voulu 
repréfenter comme dans un Tableau , mais d'une maniére très- 
abrégée , la difpofition , la beauté , & les parties de cet Uni- 
vers. Les Savans ne font pas d’acord touchant le véritable 
Auteur de ce petit Livre. M. l’Abé Fleuri n'eft pas le feul, 
qui le range parmi ceux de Vincent de Beauvais. Le ftile ce- 
endant ne paroît pas le même : & dans un ancien Manufcrit 
de la Bibliothèque de Sorbonne , à la tête de l'Opufcule on 
trouve une Lettre de l’Auteur , qui fe nomme Honoré. 

Nous n'avons point encore parlé du plus important, ou du 

lus connu de tous les Ouvrages de Vincent de Beauvais. Cet 
pets que le plus grand travail ne pouvoit rebuter ; que 
les veilles continuelles ne fatiguoient point; & qui, felon 
l'expreffion d'Antoine Poffevin , ne fe lafloit jamais d'apren- 
dre , & d’enfeigner , de Lire, ou d'écrire, après avoir pen- 
dant long-tems éxaminé prefque tous les Livres , qui avoient 
paru avant lui (1), entreprit de faire un précis de tout ce 

(1) Vincentius Bellovacenfis Epifcopus , natione Burgundus , ex Ordine Pradisaiee 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. rot 


qu'il avoit remarqué de beau , d'utile, ou d'intéreflant dans 
cette multitude de Volumes. Sans fe borner à quelque objet 
particulier , il embrafla généralement toutes les Siences , & 
tous les Arts ; tout ce qui peut nous faire connoître la Nature, 
fes vertus , fes fecrets, fes produétions , fes merveilles. Tout 
ce que les Poëtes , les Philofophes, les plus célébres Méde- 
cins , Paiens , ou Chrétiens , avoient écrit des chofes natu- 


LIVRE 
II. 


VINCENT 


DE BEAUVAIS. 


D | à 
SERGE POP 





relles, Vincent de Beauvais le fit entrer dans le Plan de fon | 


Ouvrage. | 

Pouffant plus loin fes Etudes, & voulant faciliter celles 
des autres , 1] médita avec encore plus d’atention les véritez 
furnaturelles , les myftéres de la Religion, ou la doétrine de 
l'Eglife , fes dogmes , fes loix , fa police , fa difcipline ; ce 

e les Ecrivains facrés nous ont enfeigné, & ce qui avoit 
été défini par les Conciles, ou expliqué par les Peres , & les 
Théologiens. Et pour ne rien omettre de tout ce que l’homme 
peut défirer de favoir , à un deffein déja fi vafte , notre Auteur 
ajoûta toute la fuite de l’Hiftoire, foit Sacrée, ou Profane, 


depuis la Création du Monde jufqu’après l'an 1250, de l'Ere 


Chrétienne. La riche Bibliothèque de faint Louis lui procu- 
roit la commodité, ou l'abondance des livres : & le pieux Mo- 
narque faifoit encore avec une libéralité Roïale toutes les dé- 
nfes néceffaires pour le falaire des Sécretaires. Avec ce dou- 
Pte fecours , Vincentde Beauvais fitun très-ampleRecueilcon- 
_ tenant dés extraits choifis de ce grand nombre de Livres, qu'il 
avoit lüs. Mais cet Ouvrage {qu'il apella le Grand Miroir, 
. pour le diftinguer d'un petit Livre déja publié par un autre 
Auteur, fous le titre de Miroir, ou Image du Monde croif- 
fant infenfiblement fous la plume, il fe trouva enfin d’une 
telle étenduë , que par cet endroit il pouvoit nuire à fon prin- 
cipal deffein , en décourageant ceux qu’il vouloit atirer à l’a- 
mour de l'étude. Le fage Auteur fentit le premier cet incon- 
vénient : & 1l fe rendit fans peine au confeil de fes amis, pour 
réduire tout lOuvrage à la troifiéme partie de ce qu’il étoit. 
rum , inexplicabili difeends , docendi, le- 


gends, [cribendi ardore captus, € nullis un- 


rat. Sacr. T. II, p. $27. 
quam ffudiorum laboribus, æc vigiliis fef- 


* Poflevin à mis ici le nom de Philippe 


Hexameron volumen ingens. Poflevi. appa- 


Jus , cum omnes omnium penè gentium Li- 
bros longo tempore , cd affidué diligentia re- 
voluiffet, hortatu amicorum , @ fumpribus 
Philippi Valefii * Gallorum Regis adjuins, 
collegit ex dictis innumerabiliun Auflorum 
tam Chriflianorum quam Gentilium , in 


de Valois pour celui de Louis IX. Il eft vrai 
que pour faire l'éloge de Vincent de Beau- 


L'Auteur abréve 
lui-même fon Ou- 
vrage, qu'il divife 
en trois Parties. 


vais, cet Auteur n'a fait que tranfcrireles 


paroles de Sixte de Sienne, L. IV, Biblier. 
Jante ; p. 332. 


LIVRE 
IT. 


VINCENT 
DE BEAUVAIS. 
RUSSES 








XI. 
Miroir moral {u- 
pofé après coup a 
Vincent de Bcau- 
vais, 


P. 749, &c. 


XII. 
Analyfe du Miroir 
pacurçl 


XTIIT. 
Du Miroir doctri- 


192 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Il le divifa en trois Parties, fous le titre de Miroir Naturel ; 
Doëtrinal , & Hiftorique. La premiére de ces trois Parties 
contient trente-deux Livres ; la feconde dix-fept ; & la troi- 
fième trente-un. | 

Nous avons remarqué ailleurs que le Miroir Moral , ajoûté 
dans la fuite aux trois précédens, n'a abfolument rien de 
Vincent de Beauvais. Ce fruit de l'ignorance ou de la mau- 
vaife foi d’un inconnu , ne pouvoit être plus déplacé , qu’en. 
paroiflant à [a fuite des véritables Ouvrages de Vincent, dont 
il défigure , ou dérange tout le plan, l'ordre , & l’æœconomie. 
Ce fait a été fi clairement démontré, qu'il ne feroit pas moins 
inutile qu'ennuieux d'y revenir. On n'aime point à lire des 
redites qui ne font point néceflaires ; & nous fommes encore 
plus éloignés de vouloir en faire. Il fufit de renvoier le Lec- 
teur curieux à notre fixiéme Livre de la Vie de S. Thomas. 

Mais on ne fera pas fâché de trouver ici un léger craion; 
ou un très-petit Sommaire de ce qui eft contenu dans les trois 
Parties du grand Ouvrage de Vincent de Beauvais. Après 
avoir traité de l’'Exiftence , & de l'Unité de Dieu, de la Li 
nité des Perfonnes Divines , de la Génération inéfable du 
Verbe, de la Proceflion du Saint Efprit, des Atributs, & 
des Noms divins , l’Auteur parle du Ciel empirée , & des An- 

es. Il confidére enfuite la matiére informe , & la Création 
À ce Monde vifible. Et en expliquant l'Ouvrage de fix jours, 
il éxamine par ordre la nature & les propriètez de tous les 
Etres, que k volonté fouveraine du Créateur a tirés du neant. 
Il parle des forces , & des puiffances de l’ame, des fens, des 
“gt ve , de toutes les facultez du corps humain ; du travail , 
du repos que l'Ecriture atribue à Dieu; de la félicité du 
Paradis Terreftre, de la condition de nos premiers parens 
dans l’état d'innocence , de leur chûte, & de la peine qui fui- 
vit de près leur défobéiffance. À cette ocafion, il traite aflez au 
long de la corruption du genre-humain , de la nature du pé- 
ché, de fa malice, & de fes diférentes efpéces. Venant en- 
fuite à la réparation de l’homme par les mérites du Rédemp- 
teur, il ne laiffle rien de ce que À Théologie nous enfeigne 
touchant la grace, les vertus , les dons du Saint Efprit, & 
les béatitudes. 

La doëtrine ou l’inftruétion étant encore néceflaire à l’hom- 
me , pour être rétabli dans une partie des avantages, que le 
péché lui a ravis, Vincent continue fon Ouvrage parle > 

ES 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 103 


des Siences en général , & en particulier. Il raporte ce que les LIVRE 
Anciens avoient remarqué de plus curieux touchant l’origine IT. 
ou l'invention, & les progrès des Arts, foit Libéraux, OU  yixerwr 
Mécaniques. La manière, : 1 il parle de lui-même, & de pe Brauvars. 
fon travail, doit faire eftimer fa modeftie, & fa candeur. 
On pourroit, dit-il, m’acufer de préfomption, de ce que 
n'étant que médiocrement verfé dans peu de Siences , j'ofe 
— entreprendre de parler de toutes. Mais je prie 
le Leéteur de fe fouvenir, que , fans m'ériger en Doëteur 
qui fait des Jecons , je me borne à donner des extraits en ra- 
portant avec ordre, & le plus briévement que je le puis, ce 
ue les habiles Maîtres ont enfeigné dans ouie Sience , &c 
Et chaque Art. Parmi cette multitude de matiéres , que je 
touche, il ne faut pas douter qu'il ne s’en trouve +, es- 
unes , dont la connoïffance ne paroïtra pas bien néceflaire. 
Mais s’il n’eft pas toujours important de les aprendre , il eft 
quelquefois honteux de les ignorer : #7 pa à etfi forfitan 
bat feu ; quæ non mulrüm expedit [cire ; quandoque tamen 








kec ipfa turpe eff ignorare. 


. La dernière Partie de cet Ouvrage,qui contient felon l’ordre 
des tems , l'Hiftoire abrégée de tout ce qui s’eft paflé demémo- | XIV: 
rable , depuis la Création du Monde, jufqu’au Pontificat d’In- * HS POS, 
nocent IV, ne doit pas être regardée comme la moins utile. 
Vincent y décrit d'abord les commencemens de l'Eglife du 
tems d'Abel , & fes progrès enfuite fous les Patriarches , les 
Prophétes , les Juges , les Rois , & les autres Condu@teurs du 
Peuple de Dieu, jufqu'à la Naiffance de JEsus-CHrisT. Il 
fuit le Texte facré , & les Ecrits des anciens Peres, pour faire 
l'Hiftoire des Apôtres, & des premiers Difciples du Sauveur. 
Les belles aétions , & les paroles célébres des grands Hommes 
de l’Antiquité Païenne , trouvent leur place dans fon Traité 
Hiftorique. Et il n’a point oublié de marquer les commence- 
7 mens des Empires, La Roïaumes , des autres grands Etats, 
leur gloire, leur décadence, leur ruine, les fucceflions des 
Souverains , & ce qui les a rendus illuftres, foit dans la paix, 
{oit dans la guerre, | 
Mais en Hiftorien Chrétien , Vincent de Beauvais s'étend XV. 
davantage fur ce qui apartient plus particuliérement , ou plus  L'Auteur s'atache 
diretement à l’état de TE life, fous les Empereurs Romains, SR et 2 
: | dE > pt Fu Re k | qui intérefle la 
depuis Augufte jufques 1 rédéric IT. Sa grande atention , eft Religion , & l'E- 
de nous faire admirer la fagefle de la Providence , & la vertu sl. 
Tome J. | Bb 


E | e 


LIVRE 
IT. 


VINCENT 


DE BEAUVAIS. 
RÉCASRNENSEE 








XVI. 
T reconnoït que 
tout cc qu'il rapor- 
te n'a pas le même 


dégré de certitude. 


194 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
de la Grace de JEsus-CHRIST , dans les viétoires que ee ÿ 


de fiécle en fiécle, a remportées fur tous fes ennemis. Tou- 
jours éprouvée, ou perfécutée , tantôt par la puiflance , & 
les Edits cruels des Tyrans , tantôt par les erreurs, ou les 
faux dogmes des Paiens, des Juifs, & des Hérétiques , on 
Ja vüe toujours triomphante, & par la conftance invincible 
de fes Martirs, & par la favante plume de fes Doë@teurs. C’eft 
à ce fujet , que notre Ecrivain raporte les Aétes qui parlent des 
combats , des foufrances, & des viétoires des uns; & qu'il 
met fous les yeux du Lefteur ce qu'il a trouvé de plus remar- 
quable dans les Ouvrages des autres. Il n’a eu garde d’omé- 
tre, ni les Canons des anciens Conciles, ou les Décrets des 
Souverains Pontifes , qui ont foudroïé les héréfies, & les au- 
tres Seétes Schifmatiques ; ni les vertus, & les éxemples des 
lus célébres Anacoretes , les Régles , & les Inftituts des Saints 
eres , les commencemens de divers Ordres Religieux , & 
leurs progrès. Tout ce grand corps d'Hiftoire , eft terminé par 
les réfléxions de l’Auteur fur le mélange préfent des bons & 
des méchans , fur l’état des ames féparées 3 leurs corps , fur le 
fiécle à venir , fur le tems & les aétions de l'Antechrilt. Il y eft 
enfin parlé du dernier Jugement , de la Réfureétion des Morts, 
de la Gloire des Saints, & du Suplice des Réprouvés. 
Vincent de Beauvais n’a point manqué d’avertir,que parmi ce 
grand nombre de faits , de maximes , de préceptes , & de tex- 
tes qu'ilraporte, il ne faut pas donner à tous le même dégré de 
certitude ; mais faire prudenment atention à la qualité , & au 
mérite des Ecrivains, dont il préfente les extraits. L'autorité, 
par éxemple , de quelques Beres , quoique toujours refpec- 
table, ne doit point être mife en parallele avec celle des Au- 
teurs Sacrés , qui ont été divinement infpirés. Ce que les Phi- 
lofophes , les Poëtes, ou les Hiftoriens Pronianet ont avan- 
cé, ne mérite pas fans doute le même refpeët , qui eft dû à ce 
‘on peut apeller la doftrine commune des Saints Doéteurs 
M l'Eglife. Et parmi les Ecrivains Ecléfiaftiques, il en eft dont 
les Livres ont été toujours lüs avec aprobation; & il y en a 
auffi d’autres qu'on fait avoir été rejétés en certains points (1). 
Entre les Livres Apocryphes, Vincent diftingue avec raifon 
ceux des Hérériques , qui combattent les véritez de la Foi, & 


© (1) Ex prædiétis itaque patet non om- | auctoricatis locum tenere , quædam verà 
nia ,quæ in hoc opere continentur paris au- | medium, & quædam infimum , quzdam au 
Goricaris cfle : fed quædamin js fupremum | tem pullum, &cç. Vincenss, inPrologo. C.xir. 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 195 


< : / ° ° 1! 
qu'il feroit dangereux de métre. entre les mains des Fidéles ; 
ceux dont les Auteurs font.inconnus , quoique dans leurs 
Ecrits on ne trouve rien de contraire à la Religion ; & eux 
enfin, qui, parmi plufieurs véritez certaines , mêlent bien des 
chofes douteufes, ou fufpeétes. C’eft furtout à l'égard de ceux- 
ci qu'il veut qu'on fe fouvienne de l’avertiflement de S. Paul : 
Æprouvez tout ; 6 retenez ce qui eff bon (1). On ne fauroit acu- 
{er notre Auteur de s'être lui-même écarté de cette maxime, 
qu'en fupofant qu'il ait prétendu adopter tout ce qu'il a cru 
pouvoir inférer dans fon Recueil. Mais il avoit déja déclaré 
que ce n'étoit point fon intention , ne voulant ni foutenir, ni 
abfolument rejéter quelques paffages de Livres apocryphes ; 
qu'il n’a raportés , que parce qu’on pouvoit les lire fans aucun 
préjudice de la Foi. | | 

Pendant que le Serviteur de Dieu donnoit tous fes foins, 
& la meilleure partie de fon tems, le jour & la nuit, à la per- 
feétion de fon ‘nn , {on efprit fe trouvoit bien moins fa- 
tigué par la grandeur du travail , que partagé entre le défir de 
rendre quelque fervice à fes Freres , & la crainte de déplaire 
à ceux qui ont coutume de fe rebuter à la feule vüe d’un gros 
volume. L’efpérance le foutint ; perfuadé qu'un auffi ample 
Recueil, où fe trouvent tant d’excélentes chofes , ne pour- 
roit être que d’une grande utilité à toutes les perfonnes , qui 


aiment à lire , ou pour s'élever par les créatures à la connoif- 


. fance & à l'amour du Créateur, ou pour aquérir les lumié- 
res qui leur fontnéceffaires , foit dans le Miniftére de la Pré- 
dicttion , foit dans leurs éxercices d'Ecole ; ou enfin, pour 
fe mêtre en état de parler à propos de tous les Arts, & de 
toutes les Siences. | 

… Si Vincent de Beauvais s’eft principalement étendu dans ce 
qui regarde l'Hiftoire de l'Eglife , il l'a fait autant parzéle, 
que par inclination. Je faifois atention, dit-il, que felon 
l'oracle du Prophéte Daniel, la fience des FRA 
prenoit tous les jours d'heureux acroiflemens ; & que les Sa- 
vans ( particuliérement nos Freres) s'apliquoient beaucoup 
à lire les Livres faints ; qu'ils en recherchoient avec foin les 
fens myftiques ; & qu'ils en expliquoient avec fuccès les en- 
: (1) Pauca illa de Apocryphis huic operi | etiam Philofophici , vel Poëtici legendi 
inferui , non ut vera vel falfa effe afferen- | funt, nifi in mente jugiter fervando quod 
do ; fedrantum ca fimpliciter recitando quæ | dicit Apoftolus : « Omnia probate , quod ce 


falvà fide flunt & credi & legi : nec enim | bonum cft tenete », Vincenti. in Prologo, 
aliter à Chriftiano Libri apocryphi, five | C. 2. Bb à 
| 1j 


LIVRE 
II. 


VINCENT 


DE BEAUVAIS. 
D Un 0 À 





Vüës de l'Auteur 


LIVRE 
II. 


VINCENT 


DE BEAUVAIS. 
D. a 


XVIII. 
* Il fe plaint de ce 
qu'on népligeoit 
trop de fon tems 
l'Hiftoire Ecléfiaf- 
tique. 





T1 fair la cenfure 
de fon propre Ou- 
vrage. 


196 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
droits les plus obfcurs *. Mais , ajoute-t-il, je ne voiois qu'a: 
vec peine qu'on négligeoit trop la connoiffance de l'Hifloire 
Ecléfiaftique , qu'on ne montroit communément que de l’in- 
diférence , & prefque du mépris pour une leQure, dont læ 
fimplicité de nos Peres aimoit autrefois à fe nourrir, comme 
d’un lait propre à réjouir l'efprit , & le cœur. C’eft pourquoi 
ayant atentivement confidéré tous les états, où s’eft trouvée 
l'Eglife, & tout ce qui eft arivé à cette fainte Epoufe de JE- 
SUS-CHRIST , depuis fon berceau jufqu’à l'âge parfait, jar 
voulu recueillir , & raporter fidélement felon la fuite des 
fiécles , une infinité d’éxemples de fainteté, de force , de 
conftance, que les Héros de la Religion nous ont donnés (r). 

Les réflexions que fait ici Auteur , font dignes de fa tendre 
piété,& de fon amour pour l’Eglife.Son humilité ne paroït pas 
moins dans la cenfure qu'il fait de fon propre Ouvrage. Il 
avoue qu'il y a bien des chofes, furtout El la premiere 
Partie , qui regarde l'Hiftoire Naturelle , le Phyfique , & la 
Médecine , qu'il auroit dù négliger , ou traiter plus fuccin- 
tement , foit pour fe renfermer dans les bornes que lui pref- 
crivoit fa profeflion ; foit- pour ne point donner à fa propre 
curiofité , ou à celle des autres, les veilles qu’un Rés 
n'employe jamais bien , que lorfqu'il les confacre à aflurer fon 
falut , & à contribuer à celui de fes Freres (2). Ce que Vin- 


- (1) Vidcbam præterea juxta Daniclis 
Prophetiam temporibus noftris , non tan- 
tummodo Sæcularium litterarum , verum 
etiam Divinarum $Scripturarum ubique mul- 
æiplicatam effe fcientiam ; omnefque præci- 
pue Fratres noftros affiduè facrorum Libro- 
rum , Hiftoricis, ac Mifticis expofitionibus, 
infuper & obfcurioribus quæftionibus eno- 
ra infiftere : inter hæc autem Hiftorias 
Ecclefiafticas , quarum late pafcebatur An- 
tiquorum fimplicitas,quodammodo viluifle, 
& in negleétum veniffe. Cum tamen non 
folum utique voluptatis , ac recreationis fpi- 
sitüs , verum & ædificationis plurimum in 
fe contincant ; ed quod primum quandam 
nafcentis Ecclefiæ infantiam in Apoftolis 
defcribant , quos ipfe Dominus tanquam 
Mater Filios , & tanquam Gallina pullos, 
fub alarum fuarum deliciis educavit & fovit. 
Deindé vero eandem fpiritüs oris fui virtute 


indutam, & quafi jam in robuftiorem æta- 


tem proveétam , non folum in ipfis Apofto- 
lis , {ed etiam in cæteris Martiribus , per 
duodecim perfecutionum rempora tribula- 
tonibus expofuir, ejufque patientiam io il- 


bis exercuir,&c. Visc. Belloo. in Prolog.C. II. 
(2) Hæc funt ergo, in quibus ficut nec 
ipfe mihi complaceo, fic & Deo & homini- 
bus difplicere formido. ... dum curiofis 
morem gerere volui, vitium curiofitatis in- 
curri. Etenim quod Medicorum eft promit- 
tunt Medici ; tractant fabrilia fabri. Sic & 
ego tam fublimis profeflionis homunculus , 
us {cilicet torum ftudium & labor debet 
efle præcipué circa lucrum animarum inten- 
dere , etiam in hoc opere debui præcipur iis 
ad profeflionem meam fpeétant , infi- 


uæ 
| le : de cæteris autem, maximêé quæ ma- 


gis ad Medicinam corporis pertinent, fi for- 
fan inciderent, ficut Doétoribus noftris mos 
eft, vel omnino taccre, vel breviter per- 
tranfire. Hoc cft igitur quod licèt multis 
etiam & Fratribus placcat, eo quod totumr 
per quafdam rerum fimilitudines , & integu- 
menta figurarum ad ædificationem morum 
referri valeat, fuper omnia tamen quæ con- 
tinentur in hoc opere, mihi confitcor dif- 
plicere; non quod illa quidem bona non 
fint, taliumque ftudiofis utilia ; fed quia 
profuilionem meam non decuit hujufcemo- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 197 


cent de Beauvais fe reprochoit d’avoir trop foigneufement 
éxaminé , avoit cependant fon utilité , & fe trouve en fa pla- 
ce. Mais dans un deflein auffi vafte, que celui qu'il s’étoit 
formé , on ne s’atend pas que tout y foit du même ar Et 
1l faut reconnoître que tout n’y eft pas traité avec la même 
éxaétitude. 
… Depuis le fiécle de notre Auteur, on a fait, & on continue 
encore à faire de nouvelles découvertes, pour perfeétionner 
de plus enplusles Arts & les Siences, particuliérement l'Hif- 
toire. Cela n'empêche pas que les Ecrits de Vincent ne foient 
toujours d'autant plus eftimables , qu'on y trouve le recueil 
d'un très-erand nombre de Livres , de Traitez, de Difcours , 
& d’autres Piéces , fur la Théologie , la Jurifprudence , l'Hif- 
toire, la Phifofophie , la Médecine , la Chymie , l’Aftrono- 
mie , &c. Ouvrages , la plüpart fort eftimés par les Anciens ; 
mais dont les uns ont péri dans la fuite des tems , & dont on a 
bien de la peine à déterrer les autres dans quelques coins de 
Bibliothéque. Nous fommes redevables à la diligence de Vin- 
cent de Beauvais de la confervation de toutes ces Piéces. 
D'ailleurs , fans beaucoup chercher, & comme d’un cou 
d'œil, on peut voir dans un feul de fes Ouvrages, quel étoit 
de fon tems le Gouvernement Ecléfiaftique , & la Politique 
dans toutes les parties du Monde ; quelles Loix on obfervoit 
chez kes diférens Peuples ; quelles opinions étoient en vogue 
dans les Ecoles ; quels Livres des Peres pañloient pour véri- 
tables , & autentiques ; en quel état fe trouvoient alors les 
Siences , & les Arts. Le Pere Echard ajoute , qu'il n’eft point 
d'Auteur, foit Eckfiaftique , ou Profane , qui ait écrit l’Hif- 
toire Univerfelle du treizième fiécle , avec plus de foin , 
_ d'éxaétitude , ou de fidélité que Vincent de nr : nul 
Ecrivain de fon tems, qui fe foit montré plus atentif à rejéter 
tout ce qui pouvoit reflentir la fable , ou la flaterie , dans 
l'Hiftoire de l'origine des Ordres Religieux de Cluni , de 
Citeaux , des Chartreux , des Dominicains, & des Fran- 
Cifcains (1). | | 
Sans rien rabatre de cet éloge, nous conviendrons avec le 


di rebus inveftigandis ac defcribendis tam | fcripferit. Hinc origines fuas non folm 
diligenter infiftere, &c. Prolog. C. xvi11. | Prædicatorum & Minorum Ordines , fed & 

(1) Alterum eftquod Hiftoriam fui {æcu- | Canonici Regulares , Cluniacenfes , Cifter- 
li Catholicam , tum Ecclefiaiticam , tum | cienfes, Cartufenfes , remotis fabulis pete- 
Profanam accuratiis nemo, nemo certiüs | re, & agnofcere poflunt. Echard, in Summ4 
ac veriis ,.& ab omni adulatione remotiis } S. Thom vindicaré ; p.495. 


Bb ii 


Livre 
IL. 


VINCENT 
DE BEAUVAIS. 
D 








XX, 
Utilité, & avans 
tages , que les Sa- 
vans peuvent reti- 
rer & Ecrits de 
Vincent de Beay- 
vais. 


XXI. 
Ceque les habiles 
Critiques ont pen- 
[é de ces Ouvrages, 





LIVRE 
IT. 


VINCENT 


DE BEAUVAIS. 


ee —-. nr E 





XXII. 


= Diférentes Edi- 
tions. 


æ 


XXIIT. 
Ouvrage {upofé. 


198 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


favant Melchior Cano , qu'un peu plus de cette juftefle que 
donne la critique , auroit bien relevé le mérite des Ouvrages 
de notre Auteur. Mais on fait que la Critique n'étoit pas la 
Sience de fon fiécle : on en ignoroit encore les régles. Etun 
crivain fenfé ne pouvoit fupléer en quelque maniére à ce 
défaut , qu'autant que l’a fait Vincent de Beauvais, par les 
qualitez naturelles de fon efprit, folide , éxaét , judicieux, 
aufli éloigné des fables , qu'ami de la vérité. C’eft ce que le 
Leéteur arentif remarquera fans peine dans fes Ouvrages. Et 
c'eft peut -être par cet endroit , autant que par l'érudition, 
dont ils font remplis, qu’ils furent d’abord fi recherchés. La 
offeur des volumes n’empêcha pas qu’on n’en fit une infinité 
e Copies. Et pendant plus de trois hcles , On les a lüs avec 
d'autant plus d'avidité , qu'on fe perfuadoit qu'ils fufifoient 
feuls pour faire des Savans en tout genre. Depuis l'invention 
de l’Imprimerie , on les a publiés à Strafbourg , à Bâle , à Nu- 
remberg , trois fois à Vemife, & ailleurs. Les RR. PP. Bé- 
nédiétins, qui procurérent l'Edition de Douai l'an 1624, fi- 
rent paroître le grand Ouvrage de Vincent fous le titre de Bi. 
bliotèque du Monde. | | 
Il ne faut point oublier que dans la plüpart des anciennes 
Editions , on trouve à la tête du Miroir ionique un petit 
Traité de l'Ele&ion de l'Empereur. Dans quelques autres on ne 
la mis qu’à la fin de l'Ouvrage. On auroit mieux fait de le 
rejéter us , comme une Piéce grofliérement compo- 
fée par un Allemand vers la fin du quinzième fiécle , & indi- 
gnement fupofée à Vincent de Beauvais (1). 
- Outre les Editions, dont nous venons de parler , on a im- 
ge plufieurs fois x es le Miroir ique, La ver- 
ion Françoife de cet Ouvrage avoit été faite dès le quator- 
ziéme fiécle , par Jean du Vingnay , à la demande A san 
de Bourgogne , Reine de France , premiere Femme de Phi- 
lippe de KAois, Etc'eft la même Verfion , qui, depuis impri- 
mée à Paris l'an 1495 , fut dédiée au Roi Charles VII. 
Mais c’eft aflez parlé des travaux littéraires de Vincent de 
Beauvais. Les bornes que nous nous fommes prefcrites , ne 
permettent pas que nous nous étendions davantage fur ce 
. (x) Supervacaneum cenfeo monere (Tr#- 4 cenfis , non cffe Vincentii noftri , {ed færum 
clatulum de Eleitione Imperatoris) opellam | cujufdam Germani circa finem fæculi XV 


prorfus infulfam & abfurdam , quam in ca- | viventis , qui ignorantiam fuam à capite ad 
pire Speculi Hiftorialis præferunt Editiones | calcem prodit ; certè indignam quæ pralum 


. antiquæ , ad finem verd rejecit Editio Dua- | pateretur. Echard. T. I, p.233, 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 199 


fujet ; & nous pañferons fous filence les louanges que les an- 


cieñs Ecrivains ont données comme à l’envi à cet Homme il- 
luftre. On peut dire que l’eftime fi parfaite , ou ( s’il eft per- 
ris de s'exprimer ainfi) la familiarité , dont le plus faint de 
nos Rois, & les Princes de fon augufte Maifon l’honorerent 
toujours , eft le plus beau de fes éloges , & la. plus grande 
preuve de fon rare mérite. 

Cependant la négligence qu’on a euë à écrire fa vie , a été 
jufqu’à ne pas remarquer l’année de fa mort. M. ns avoit 
crû que prefque tous les Auteurs qui-ont parlé de Vincent de 
Beauvais , l'ont fait mort en\1256. Les Éditeurs au contraire 
de Douai , font portés à croire qu'il a vècu jufqu’en 1274. Ce 
dernier fentiment eft peu fuivi ; & je ne crois pas qu'on en 

uifle donner quelque preuve. Mais pour rejèter celui de 

. Dupin, nous n'avons befoin que des Ecrits mêmes de Vin- 
cent de Beauvais. Sa Lettre de confolation au Roi Très-Chré- 
tien ( comme il paroit par le titre ) , fut écrite à l’ocafon de la 
mort du Prince Louis , l'aîné des Enfans de France. Or, ce 
jeune Prince mourut le treizième de Janvier 1 260. Vincent 
vivoit donc en cette année. Et il écrivoit encore en 1262, & 
1263, comme le remarque le Pere Echard , qui ne met fa mort 

v’en l’année fuivante , felon ces paroles de Louis de Valla- 
dolid : Vincent de Beauvais , de fainte mémoire | François de 
Nation , célèbre par toute la Terre par fes vertus , & par fa doc- 
trine , mourut l'an de Norre-Seipneur 1264 , dix ans avant la 


LIVRE 
Îl. 


VINCENT 


DE BEAUVAIS- 
RC À 








XXIV, . 
Mort de Vincent 
de Beauvais. 


mort de faint Thomas d'Aquin, & plus de feize avant celle du 


Bienheureux Albert (2). 


(x) Sanétus Pater , Frater Vincentius Bel- | ante B. Thomam , & fexdecim vel amplius 
lovacenfis Nationis Franciz , in vita, & | ante B. Albertum. Lad. Valleoleti in [no 
doë&trinà , in toto orbe famofiffimus . . ... Scriptor. Ord. Catal. an. 1413, Parifiis in 
obiit anno Domini 1264, per decem annos | Cosvewss S, Jacobi colleite. 

“ 


FE in du fecond Livre. 


® 


TRÉRRÉERESÉTS 


NN NN NU NRA NT AE ANNE NAT 


HISTOIRE 
HOMMES ILLUSTRES 


DE L'ORDRE 
DE 


SAINT DOMINIQUE. 





LIVRE TROISIÈME 


HUGUES DES. CHER. 


CARDINALPRÉÈÉTRE,DU TITRE 
_ DE SAINTE SABINE. | 








\t: j' 


Hucuss LR] À mémoire de ce grand Cardinal, le pre- 
RE DRE AE] mier Religieux de fon Ordre , qui ait été 
SE DT El honoré de la Pourpre Romaine, doit être 
Kor4E précieufe aux Savans , qu'il a enrichis de 
br 5/48) pluñeurs beaux Ouvrages : & fon Hiftoire, 
BU KZ) non moins curieufe qu'intéreflante , par la 
PAR AA NA Led Sa > P 
Y variété des faits dont elle eft remplie , ne 
peut que faire plaifir au Leéteur ; dont la pièté fera en même 
tems édifiée par le récit des vertus , qui ont relevé les talens 
du Serviteur de Dieu, dans les diférens états de fa vie. 
Ti, livmu,pas  M.Duchefne, dans fon Hiftoire des Cardinaux François, 
prétend 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 20: 


prétend que nul Auteur avant lui n'avoit {à , ni le lieu dela LIVRE 
naiflance de ce célébre Perfonnage , ni le véritable nom de US 
fa Famille. Mariana dit qu'il étoit né à Barcelonne en Efpa-  Hucuss 
gne ; Sixte de Sienne , & l’Abé Tritheme le font Evêque de DE S.Cxer. 
cette Capitale de la Catalogne. Tout cela eft avancé fans ga- "CT 
rant, & fans preuve. D’autres lui donnent la Bourgogne pour 
Patrie, & quelques-uns la petite Ville de Barcelonette en 
Provence , dans le Comté de Nice. On croit pouvoir apuier 
cette derniére opinion , fur l’inclination particuliére de notre 
Cardinal pour ïe Couvent de Barcelonette, qu'il favorifa, 
dit-on , de fes bienfaits. Mais, felon la remarque du Pere 
Echard , cette Maifon des Freres Prêcheurs n’a été bâtie que 
vers l'an 1310, près de cinquante ans après la mort d'Hugues 
de faint Cher. | 

Les recherches éxaétes qu’a fait Monfieur François Du- | 
chefne l'ont mis en état de prouver , 1°. qu'Hugues étoit né re she 
avant la fin du douziéme fiécle , dans un Bourg du Diocèfe trie du Cardinal 
de Vienne en Dauphiné , qu’on nomme indiférenment de. Hugues- 
faint Theuder, ou de faint Chef, à caufe du Chef de ce Saint. 
confervé dans l’Eglife du lieu. 2°. Que la Famille du Cardi- * * 
nal , apellée Celidorio , étoit originaire de la petite Ville de 
Bourgoin , dans le même Diocèfe. Et c’eft fans doute ce qui a 
donné ocafion aux Ecrivains , qui le font naître les uns dans 
la Bourgogne, les autres en Dauphiné, de l’apeller quelque- 
fois Hugues de faint Theuder , ou de faint Thierry, Ko com- 
munément Hugues de faint Chef, ou par corruption de faint 
Cher. Ciaconius dit l’un & l’autre en même tems (1). 

Doué d’un excélent naturel, d’un efprit jufte, folide, éle- LP 
vé ; & de toutes les belles qualitez , qui peuvent porter un Po de fon 
jeune homme fur le trône de l'honneur , Hugues commença de °? 
bonne heure à fréquenter les Ecoles de Paris : bien-tôt il s’y fit 
un nom, autant par {es vertus - par fes talens. Aïant achevé 
avec beaucoup de fuccès fes Etudes de Philofophie & de 
 Theologie , il s’apliqua avec la même ardeur à celle du Droit 

Civil & Canonique. Déja ä en faifoit des Leçons publiques 
dans l'Univerfité ; & il fe trouvoit en même-tems À ru des 
afaires du Prince Guillaume, fils de Thomas I, Comte de 





Tome [ , p. 1eç: 


(x) Frater Hugo de Santo Charo , aliàs [| dinalis tituli Sanétæ Sabinæ, primus Cardi- 
de Santo Theodoro , Viennenfis Diæccfis , | nalis Ordinis Prædicatorum, &c. Cisconi, 
Burgundus , Gallus , Ordinis Prædicatorum, | 5# Vivis Pontificum »> T. I, col. 696. 
£ximius Theologix Mapgifter, Prefbiter Car- 


Tome Z, | CC 


+ 


Livre 
III. 


Huaves 
DE S.CHER. 
D à 





III. 
Son entrée dans 
Ordre de S. Do- 
munique. 


TV. 


Ses ocupations. 
Ses Emplois. 


02 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Savoye , lorfque le Seigneur l’apella à fon fervice dans l'Or: 
dre des Freres Prêcheurs. Humbert de Romans, un de fes 
Difciples , avant que d'embraffer le même état , le confulta fur 
fa vocation ; & Hugues de faint Cher, en le confirmant dans 

fon deflein, lui dit: Vous pouvez me précéder dans cette fain- 
te carriere ; bien-tôt débarraflé de mes afaires , & de celles 

du Prince de Savoye , je ne diférerai pas de vous fuivre. Il 
éxécuta ce qu'il avoit promis. Le Difciple prit l'Habit de Re- 
ligieux dans le Couvent de faint Jâques, le trentiéme de No- 
vembre 1224 ; & le Maître entra dans le même Ordre le vingt- 
deuxième de Février 1225. Duboulay recule cette retraite de 
deux (1) ans; mais fans aucune preuve. 

” Le mérite éminent du nouveau Religieux, & fon âge déja 
mûr, firent qu’on reçut fes vœux avant la fin de fon année de 
probation , fuivant l’ufage aflez commun en cetems-là. Ainfi 
confacié felon fes défirs au fervice des Autels, & toujours fi- 
déle à la Grace, Hugues continua avec une nouvelle ferveur 
à remplir fon efprit de toutes les connoiffances , qui font ur 
Savant. Mais fa premiére atention étoit de fantifier fes études 

ar la priére , & fon travail par tous les éxercices de la vie re- 

Éigieut. . Humble, doux, modefte, toujours recueilli, & ce- 
pendant habile Théologien , & plus zélé Prédicateur , il ne 
négligea aucune des fonétions de fon état. Les fruits qu’il fai- 
foit , Bit dans les Ecoles, foit dans le miniftére de la Prédi- 
cation, pouvoient en faire efpérer de plus abondans, fi on eût 
moins multiplié fes ocupations. Mais les grandes qualitez , 
qu'on lui connoifloit pour le gouvernement , le placérent dès 
l'an 1227 à la tête de la Province de France. Il la conduifit, & 
l'édifia pendant quatre ans : après lefquels , l'obéiffance l'obli-. 
_gea de reprèndre fes Leçons publiques dans lUniverfité de Pa- 
ris. Ce fut fous le célébre Roland de Crémone, qu'Hugues de 
faint Cher GE 4 les Livres des Sentences l’an 1230.Tout 

! . ; : , à 
ce que la Théologie a d’obfcur & de dificile , 1l le métoit 
dans un fi beau jour , que , felon l’expreffion de François Du- 
chefne , les plus curieux , les plus délicats, & en même-tems 
les plus foibles , qui venoient en foule pour l'entendre, ne fe 


(1) HugodeS. Charo, vel deS. Thcodo- | giz Baccalaureus effeétus facras ibidem Lit- 
rico , de Calidorio ( his enim omnibus no- | teras cum laude omnium, auditoruimque in- 
minibus appellatus eft ) . . . primo juventu- | genti frequentià publicè docuerit. Prædica- 
Usflore Lutctix Parifiorum iberalibus difci- {torum habitum fumpfit anno 1227. De 
plinis operam dedit ; tantofque in virtute & Boulay, Hifi. Uni. Pari T. IIT,p. 689, 
dottrina fecit profe@us, ut facræ Theolo- | ni Çaral. illuffri. Academs. 


> 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 20} 


retiroient jamais que plus inftruits , & pleins de confolation. 

Les befoins de {on Ordre l’avoient fait pafler jufqu'alors par 
diférens emplois. Ceux de l'Eglife l'engagérent depuis dans 
des négociations d’une autre nature, & d'une plus grande 
conféquence. Bzovius , Oderic Raynald, Dupin, l'Auteur 
de l'Hiftoire des Cardinaux François , & quelques autres Ecri- 
vains ne doutent point que notre Hugues de faint Cher ne foit 
un des quatre Théologiens , que le Pape Gregoire IX envoia 
en Orient l’an 1233, avec la qualité de Nonces Apoftoliques, 
pour travailler à la réunion des deux Eglifes. Comme nous ne 
trouvons rien qui détruife cette opinion , nous croions pou- 
voir la fuivre , & parler ici de ces célébres conférences, dont 
tous nos Annaliftes ont fait mention. 

Dès le mois de Juillet 1232 Gregoire IX répondant à quel- 
ques articles propofés par Germain Patriarche Grec de Conf- 
tantinople, avoit promis d'envoier des Dofteurs Latins fur 
les lieux, pour expliquer plus amplement les dificultez , & 
faire connoître les fentimens du Saint Siège. En éxécution de 
fa promefle , le Saint Pere choifit l’année fuivante quatre Re- 
ligieux ; deux Freres Prêcheurs , apellés Hugues , & Pierre, 
& deux Freres Mineurs Haimon , & Raoul. Les Lettres apof- 
toliques ,. dont on les chargea pour le Patriarche Germain , & 
l'Empereur Jean Vatace , étoient datées du 18 de May 1233; 
& les Nonces arivérent en Natolie au commencement de l’an- 
née 1234, lorfque l’on comtoit encore 1233 (1} avant Pà- 
ques. Ils entrérent à Nicée le Dimanche après l'Odave de l'E- 
piphanie,qui étoit le quinzième de Janvier. Mais avant que d'y 
entrer , ils rencontrérent plufeurs Grecs envoiés, les uns par 
l'Empereur , & les autres par le Patriarche ; les Chanoines 
même de la Métropole vinrent au-devant d'eux aflez loin de 


(1) Anno Domini 1133, menfe Janua. 


755, nos de Ordine Fratrum Pradicatorum , 
Fr. Hugo *, ç Fr. Peirus : de Ordisse Fra- 
trum Minorwm, Fr. Aymo, ç Fr. Radul- 
phus , Nantii Papa Mifff ad Archiepifcopum 
Gracorum , intravimns Niczam Dominica 
prima pofi ottavam Epiphanie, bor4 qua 
vejpertina. Sed antequam civitatem intra- 
remus , plures Nuntii Imperatoris ab ipfo 
sranfiniffs , mobis frequenter occurrerunt ,ex 
parte dicti Imperatoris nos falutantes, €» 
detitiam cordis ejus de adventw nofiro nobis 
notificantes. Sed &@ Nuniis ipfins Patriar- 
cha nobis plures occurrerunt ; (x tandem 
ni Le 


ipfi Canonici Ecclefie majoris nobis longè à 
civitate occurrentes cum gaudio fufcepe- 
runt, C Hnañimiter omnes cum honore , 
reverentia ên civitatens introduxerunt. Âp. 
Odoric, ut {p. n. 5. 

* Nous croyons que ces deux Domini- 
cains étoient Hugues de S. Cher , & Pierre 
de Sezanne, Ville de France dans la Brie 
fur les confins de La Champagne. Le Pere 
Echard parle de ce dernier dans fon premicr 
Tome ie Ecrivains de l'Ordre des Freres 
Prêcheurs, p. 102, ou il raporte en abrégé 
la Relation É Conférences entre Les quatre 
Nonces & les Grecs. ue 


Ceci 


LIVRE 
IIL. 


HUGUES 


DE $S. CHER. 
D te "7" 





V. 

Il eft envoyé par 
le Pape vers l'E 
pereur , @& le Pa- 
triarche des Grecs. 


Odoric. Rayn. ad. 
An.123;. 
Fleuri , Iift. Eccl. 
Liv. Lxxx, N. 20,20. 
Echard.T, 1,p. 1v2, 
& gti. 


LIVRE 
III. 


HuGrves 


DE S. CHER. 
D 5 +... 2 


VI. 

De quelle manié- 
re les Nonces fu- 
rent reds du Pa- 
toiarche, 


VII. 
Et de l'Empereur. 


204 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


la Ville ; & les menérent d’abord dans l'Eglife où avoit été 
célébré le premier Concile Général l'an 325. Aufortir de-là, 
on leur fit faire un long circuit dans la Ville ; &c le Clergé les. 
conduifit avec honneur au logement que l'Empereur leur avoit 
fait préparer. | 

Le lendemain , feiziéme de Janvier, les Noncesfe rendirent 
chez le Patriarche , qu’ils trouvérent avec fon Clergé afflem- 
blé. Après l'avoir falué de la part du Pape, ils le remerciérent 
du favorable acueil qu’il leur avoit fait, & lui préfentérent la 
Bulle , dont ce Patriarche baifa le fceau. Il demanda enfuite 
aux Religieux s'ils vouloient être honorés comme Lépats du 
Pape : ils répondirent qu'ils n’étoient que de fimples Nonces , 
envoiés si rire , & non à un Concile. Germain déclara 
qu'on devoit un grand refpeét au moindre Nonce du à Et 
après plufieurs difcours de part & d'autre , fon Clergé les re- 
conduifit à leur logis. 

Le dix-feptiéme , l'Empereur leur donna audience dans fon 
Palais , en préfence du Patriarche, & d’une grande partie du 
Clergé. Après les complimens ordinaires , les Nonces propo- 
férent le ce de leur voiage. On leur demanda quels étoient 
leurs pouvoirs : ils répondirent qu’on le voioit par la Bulle qui 
avoit été remife au Patriarche ; & ajoütérent que le Pape ra- 
tifieroit tout ce qu'ils feroient de bien dans cette afaire. Les 
Grecs confentirent d'entrer en matière ; mais 1ls prétendoient 
que les Latins devoient commencer la difpute. Nous ne fom- 
mes pointenvoiés , dirent les Nonces, ne difputer avec vous 
fur quelqu’article de Foi , dont l’Eglife Romaine foit en dou- 
te; mais pour conférer dans un efprit de paix fur les points 
dont vous doutez : c’eft donc à vous à les propofer. Les Grecs 


_ perfiftant dans leur refus, les Nonces ajoûtérent : Quoique ce 


ne foit point à nous à propofer vos queftions,néanmoins pour 
ne pas perdre inutilement le tems, voici ce que l'Eglife Romai- 
ne admire le plus ; puifqu’il eft certain que l’Eglife Gréque lui 
a été autrefois foumife , comme toutes les autres Eglifes Chré- 
tiennes , quelles raifons a-t'elle euës de fe NE 2e à fon 
obéiflance ? Les Grecs , après avoir délibéré enfemble, ré- 
pondirent “ts ! avoit deux caufes de la féparation, dont 
lune regardoit la proceflion du Saint - Efprit, & l’autre le 
Sacrement de l’Autel. On convint donc de conférer au pre- 


mier jour fur ces deux articles. Cependant les Nonces prié- 


rent le Patriarche de leur affigner un Oratoire, où ils puf- 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 205 


fent faire leurs prières , & célébrer les faints Myftéres. 
On leur donna une Eglife près de leur logis , où ils firent le 
Service en préfence de A Catholiques Latins , de Fran- 
ce , d'Angleterre, d'Italie , & de diverfes autres Nations , qui 
{e rencontrérent à Nicée. Après l'Ofice un de ces pe 
vint trouver les Nonces, & fe plaignit avec larmes qu'un Pré- 
tre Grec l’avoit frapé d'excommunication pour s'être trouvé à 
leur Mefle(1). Les Miniftres du Pape juftementindignésdecette 
conduite , qu'ils regardoient comme une injure faite à l’'Eglife 
Romaine, députérent deux d’entr'eux au Patriarche, À lui 
marquer leur furprife , & demander une réparation. Germain 
vouloit diflimuler la chofe ; mais voiant que les Nonces en 
étoient extrémement ofenfés , 1l leur PE Prêtre Schifma- 
tique avec fes Confreres , qui le dépouillérent de fes habits fa- 
cerdotaux , & l’aïant conduit dans cet état par les ruës de Ni- 
cée, le ramenérent à la maïfon du Patriarche, affurant ce- 
pendant _ c'éroit fans malice, & par fimplicité qu'il avoit 
agi de la forte. Les Nonces fatisfaits , ou ne voulant point pa- 
roitre impitoïables dans le commencement de leur négocia- 
tion , reçurent les excufes du coupable , & priérent même le 
Patriarche de lui pardonner (2). | 
S’étant rendus fe jeudy matin au Palais de l'Empereur , ils 
prirent ocafion de ce qui étoit arivé la veille, pour demander 
‘on commençät la conférence par la maté du Sacrement 
: l’'Autel ; afin de favoir ce que penfoient les Grecs de la 
Confécration ufitée dans l’Eglife pcs Les Orientaux au 
contraire infiftérent opiniâtrément à commencer par la pro- 
cefion du Saint Efprit: & aïant demandé aux Nonces s'ils 
vouloient objeéter , ou répondre , ceux-ci dirent: C'eft à 
vous de propofer vos dificultez fur cet article, & à nous d'y 
_fatisfaire. Le Tréforier de l’Eglife Patriarcale fe leva alors au 
milieu de l’Affemblée ; & par F ordre du Patriarche,& de l’'Em. 
pereur , il dit: Croïez-vous qu'il y a un Dieu en trois Per- 
fonnes ? croïez-vous le Pere non sn le Fils feul en- 
gendré , le Saint Efprit procédant du ere ? Les Nonces aïant 
répondu : nous le croïons : le Tréforier., avec une grande 


(1) Finità autem Mifsà , & Divinis ritè 

ractis advenit ad nos quidam Latinus eju- 
Fe & flens, dicens Papatem fuum eum fup- 
pofuiffe Sententiæ, us Miffæ noftræ in- 
terfuifler. Ap. Echard, ut fh. p. 911. 

(2) Et quia confefli fuerunt alii ex fim- 


plicitate, non ex malitiä hoc illum feciffe, 
ne immifericordes videremur in principio, 
rogavimus ipfum Patriarcham , ut hac 

nà contentus diéti Papatis parceret 
tati. Ibid. p. 912,7 | 


Cci 


Gmplcs 


LIVRE 


LIL. 


HuGuss 
DE S. CHER. 





VIII. 
Aion fchifma< 
tique d'un Prêtre 
Grec. 


IX. 
Premiére Confé- 
rence à Nicée, Le 
19 de Janvier 
1234. 


LIVRE 
III. 


Huauss 


DES. CHER. 
D | 








X. 
Seconde Conf- 
rence, 


206 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


fimplicité levant les mains au Ciel, commença à bénir Dieu 
à haute voix. Il répéta plufieurs fois les mêmes demandes ; & 
voiant que les Nonces y faifoient toujours la même réponfe, 
ilajouta : Nous ne trouvons ici: aucun lieu de difpute entre 
vous & nous : Dieu foit béni de tout. Les Nonces dirent : Si 
vous ne trouvez point de diférend fur cet article entre l'Eplife 
Romaine & la Gréque , nous ne penfons pas que vous en 
trouviez davantage fur le Sacrement de l'Autel: & puifqu'il 
n’y a point eu d'autre caufe de fchifme , c’eft donc fans raifon 
que vous vous êtes fouftrairs à l'obéiffance du Saint Siége. 
L'Empereur aïant pris l'avis de fes Théologiens , dit aux 
Nonces: Nous venons d'entendre que vous parlez comme 
nous , & que vous confeflez les mêmes véritez, mais le Sei- 
gneur Patriarche demande fi vous ne dites rien de plus ; car 
on vous acufe d’avoir ajoûté quelque chofe au Symbole, 
quoique les Peres , qui l'ont compofé dans un Concile, aïent 
expreflément défendu fous peine d’anathème , d'y ajoûter , ou 
d'y changer mème une fyllabe. Les Nonces demandérent que 
le Patriarche leur montrat le Symbole écrit. Le Patriarche dit : 
Je vous prie de m’excufer pour aujourd'hui, je fuis fatigué & 
malade : demain , fi ma fanté me le permet , je vous montre- 
rai ce que vous fouhaitez. Ils fe féparérent. | 
Le lendemain , vingtième de Janvier , les Nonces après 
avoir célébré la Mefle , & le refte de l'Ofice, vinrent à la 
Conférence , & priérent d'abord le Patriarche d’aquiter fa 
romefle. Mais au lieu de préfenter le Symbole de Nicée, ce 
Prétar ordonna à un de fes Ecléfiaftiques de lire une Lettre de 
faint Cyrille à Jean d'Antioche, où on fit particuliérement 
remarquer ces paroles : Vous parlerons de l'Incarnation du Fils 
de Dieu , fans rien ajoûter a l'expofition de Foi faite a Nicée. I] 
eft marqué ici, dit le Leéteur, qu'il ne faut rien ajoûter à la 
Foi de Nicée ; pourquoi donc y avez-vous ajoûté ? Les Non- 
ces répondirent : faint Cyrille ne dit pas ici que perfonne ne 
doit ajoûter ; mais qu'il n'ajoûtera rien. Nous ne changeons 
rien au Symbole ; & ne difons rien de contraire. Les Den 
leur demandérent : Avez-vous ajoûté quelque chofe à ce Sym- 
bole ? Les Nonces répondirent : Qu'on le life ; & vous le fau- 
rez. On lut le Symbole de Conftantinople ; & les Nonces 
voulant tirer de la bouche des Grecs la raifon de l’adition faite 
par le Concile de Conftantinople au Symbole de Nicée, con- 
tinuérent à demander la leéture de celui-ci. Les Grecs réfifté- 


- pute; mais 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 207 


rent tant qu'ils purent; mais enfin on lut felon leurs défirs 
tout le Symbole de Nicée, puis celui de Conftantinople. 
Alors les Nonces dirent: S'il eft vrai, comme vous le fou- 
tenez , que vos faints Doéteurs ont expreflément défendu, 
fous peine d’anathèême, de rien ajoûter au Symbole de Ni- 
cée, qui eft:ce qui a ofé ajoûter ce que le Symbole de Conf- 
tantinople contient de plus ? Les Grecs craignant de répon- 
dre à cette queftion , s'éforçoient de détourner ailleurs la dif- 
nu Nonces les preffant toujours plus vivement ; 
après plufieurs confultations , êc ess fuites , les Orien- 
taux répondirent enfin que ce qui fe trouvoit dans le Symbole 


de Conftantinople, de plus que dans celui de Nicée ; n’étoit 


point une adition, ni un changement, mais une fimple ex- 
plication , ou plus he exprefhon d’une vérité contenue 
dans l’un & l’autre Symbole (1). | 
En répondant ainfi , les Grecs fentoient bien quel avantage 
ils donnoient aux Latins , qui n’avoient befoin que de leur ré- 
ponfe même, pour les convaincre que leurs anciennes plaintes 
contre le Fzlzoque étoient injuftes , & leur féparation {chifma- 
tique. Ils ne laiflérent pas cependant de demander de nouveau 
aux Nonces ce qu'ils avoient ajoûté au Symbole. Ceux-ci à 
leur tour leur firent cette queftion : Nous eft-il permis de 
croire tout ce qui apartient à la Foi ? Oüii, répondirent les 
Grecs. Et ce qui nous eft permis de croire , ajoûtérent les 
Nonces , nous eft-il permis de l'écrire , de le chanter , de le 
rêcher ? Les Orientaux en convinrent encore. Or, dirent 
w Latins , c'eft une vérité de Foi que le Saint Efprit procéde 
du Pere & du Fils. Les Grecs en demandérent la preuve: & 
les Nonces la prirent des faints Doëteurs même de l'Eglife 
Gréque , en particulier des Ecrits de faint Cyrille , & de faint 
Athanafe. Les Textes qu'ils produifirent fur le champ étoient 
formels. Les Grecs s'éforcérent inutilement de les éluder. 
Ils avoient afaire à des Théologiens. Ceux-là fe retirérent dé 
la Conférence aflez mécontens d'eux-mêmes ; & ceux-ci bien 
avertis de redoubler leur vigilance, pour ne pas fe laiffer fur: 
prendre aux artifices de leurs adverfaires, Ils n’avoient déja 
que trop reconnu leur peu de fincérité. . | | 


Ils en eurent de nouvelles preuves dans la Conférence, qui 


(1) Tandem poft multa confilia , & fub- | quia veriratis exprefho non facit aliud Sym- 
terfugia propulfi refponderunt : quod non | bolum , neque mutat, neque facit additios 
fuerat illud additio, fed veritatis expreflio.... | nem Symbolo , &c. Ap. Echard. ns f}. 
quod inde non fuit Symbolum mutatum , 


LIVRE 


LIT. 


HUGUES 
DE S. CHER: 





LIVRE 
III. 


Hucuss 


DE S. CHER. 
Ve ee à 


XI. 
#Troifiéme Conft- 


rence. 











Jean, xvr, 13. 


268 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


fe tint le vingt-uniéme Janvier après midy *. Les Grecs y firent 
aroître un de leurs Philofophes, qui, après un long préam- 
Pule , adreffa ainfi la parole aux Nonces: Nous favons que 
vous êtes des hommes faints & favans; & qu’amis de la vé- 
rité, vous aimez aufh la paix. Or il n’y a point de Catholique 
ui ait honte de mille fa Foi ; dites-nous donc par qui, 
en quel tems, en quel lieu, & pour quelle raifon votre Frlio- 
que a été ajoûté au Symbole (1). Les Théologiens du Pape 
connurent la fineffle F4 Orientaux ; & 1ls rétorquérent contre 
eux la queftion en ces termes : Vous avez fort bien remarqué 
un Cholaue doit confeffer publiquement fa Foi, vous 
evez donc nous dire, fi vous croïez que le Saint Efprit ne pro- 
céde point du Fils. Ils répondirent : nous ne croions pas qu’il 
procéde du Fils. Ce nef pas là, dirent les Nonces , ce que 
nous demandons. Nous voulons favoir fi vous croiez , & fi 
vous dites que le Saint Efprit ne procède point du Fils. Les 
Grecs ne voulurent pas l'avouer précifément ; mais ils pref- 
férent de nouveau les Nonces de Îles fatisfaire fur ce qu’ils 
avoient demandé. Ceux-ci répondirent donc : Votre premiére 
queftion eft de favoir qui a fait cette adition ? Nous difons que 
c'eft JEsUS-CHRIST. Où? Dans l'Evangile, lorfqu'il a dit : 
Quand l'E fprit de Veriré fera venu , il vous * Mdr coute Ve- 
rité. Pourquoi ? Pour l’inftruétion des Fidéles , & la confu- 
fion des + ao , qui oferoient un jour nier cet article : 
Car quiconque ne le croit pas , eft en voie de perdition. Nous 
rouvons cette vérité par l'Evangile , par les Épitres de faint 
Paul , pat les Ecrits de vos Peres ; par les nôtres, fi vous vou- 
lez recevoir l'autorité , ou le témoignage de faint Aupuftin, 
de faint Gregoire , de faint Jerôme, de faint Ambroife, de 
faint Hilaire , & de plufeurs autres (2), 


(1) Vos Venerabiles Apocrifarii San&iffi- 
mi Papæ veteris Romz, fcimus quod Viri 
fantti , & literati eftis, & pacem & veri- 
tatem ‘diligitis ; & non -pudet Catholicum 
quempiam confieri fidem fuam : dicite no- 
bis, quis appofuit , & quando, & ubi, & 
qua de caufa fuit rm vos dicitis 
in Symbolo, &c. Ibid. p. 913. 

(2) Nosigitur videntes omnium commu- 
nem inftantiam tale dedimus refponfum :ut 
fciatis quod FidesRomanæEccleliæz non quæ- 
rit fubterfugium ; nec per alrercationem pu- 
deat nos Fidem noftram confiteri, hoc modo 


ad veflras quæftiones refpondemus : prima | 


veftra quæftio fuit, quis appofuit, &dixit pri- 
mo:Dicimus quod ile Ubi ?In Evange- 
lio quando ait:cum venerit Spiritus veritatis, 
docebit vos omnem veritatem. Quare ? pro- 
pter inftructionem piorum , & confufionem 
Hzæreticorum , qui one articulum negaturi 
erant;& quicumque iftam Fidem non habent, 
in via perditionis funt. Et quod hoc fit verum 
quod diximus,probamus perEvangeliur,per 
Épiftolas Pauli,per Hagiographa Sanétorum 
veftrorum, per noftros, ñ illos admittere vel- 
letis, ut Auguftinum, Gregorium , Hyeroni- 
mum, Ambrofium, Hilarium,'& plures alios. 


His diétis obftupuerunt omnes , &c. Ur 7 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 2o9 


À ces mots les Grecs demeurerent dans le filence comme 
tout étonnés ; & l'Empereur dit en Grec : kanës : c’eft-à-dire, 
fort bien. Et après avoir long-tems confulté avec fes Savans, 
ce Prince dit aux Nonces : Montrez-nous en quel endroit de 
l'Evangile vous trouvez que le Saint Efprit procéde du Fils. 
Un des quatre lüt d'abord ces paroles de faint Jean, ou plutôt 
de JESUS-CHRIST raportées par faint Jean: Quand l'Efprit 
de Vérité [era venu , rl vous par pie route Verre. Etil ajoûta : 
En difant dan de Vérité , il nous aprend que l'Efprit Saint 
per de la Vérité. Voilà ce que nous avons voulu prouver. 
es Grecs firent paroitre un de leurs Philofophes pour répon- 
dre ; & les Nonces lui demandérent : L'Efprit, en ce pañlage, 
es quel Efprit fe prend-il ? Pour le Saint Efprit, répondit 
e Grec. Les Nonces ajoûtérent : Et la Vérité ne fe prend-elle 
pas ici pour JESUS-CHRIST ? Le Philofophe le nia d’abord; 
mais on lui fit bien-tôt perdre terre, & obligé de fe rétraéter , 
il avoüa enfin que le Saint Efprit eft l'Efprit de JE su s- 
CHRIST (1). Les Nonces demandérent pourquoi le Saint 
Efprit eft nommé l'Efprit du Fils de Dieu ? C’eft, dirent les 


LIVRE 
III. 


HUGUES 


DE S. CHER. 
Ds sr = 











Grecs, parce qu'il eft de même fubftance que lui. Donc, re- 


nn”: les Nonces , le Pere, étant de même fubftance que le 


ils , doit être aufli apellé l'Efprit du Fils : ce qui eft faux. 


Alors ils fe féparérent , & il étoit près de minuit. | 
Dans la Conférence du Lundy, 23 de Janvier, les Théolo- 
giens du Pape reprirent la même dificulté ; & firent remar- 
LS que le Saint Efprit ne peut être nommé l’'Efprit du Fils 
e Dieu, que pour une de ces trois raifons , ou parce qu’il eft 
de même fubftance , felon la derniére réponfe des Grecs, ou 
parce que le Fils envoie le Saint Efprit dans les Créatures, 
ou enfin parce que le Saint Efprit procéde du Fils. Or, conti- 
nuérent les Nonces, nous avons déja réfuté la premiére de 
ces trois raifons. Nous détruifons la feconde , en difant que 
de toute Eternité le Saint Efprit eft l'Efprit du Fils , & toute- 
fois le Fils ne l’a pas envoié de toute éternité dans les Créa- 
tures. Îl faut donc dire néceffairement que le Saint Efprit eft 
nommé l'Efprit du Fils de Dieu , parce qu'il procéde du Fils, 
aufli-bien que du Pere. | 


Les Grecs voulurent avoir ce raifonnement par écrit: on 


de leur donna en Latin, & en Grec; & on leur acorda tout 


(1) Et territus cœpit concedere veritatem , dicens :'Spiritus veritatis , id eft Spiritus 
Paactus , qui eft Spiritus Chrifté Ibid, 


Tome L. | | D d 


XI1. 
Quatriéme Con- 


férence. 


LIVRE 
III. 


rentes 
Hrcues 
SE S.CuERr. 
D Al n°. À 
YIL 
# Cinnuiéme Con- 
fi:ese. 


XIV. 
Sxiéine Confc- 


- TCHCC, 


des difputes : avançons, & montrez-nous par 


210 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


le tems qu'ils avoient demandé pour délibérer entre eux *. Le 
Mardy au foir le Patriarche arant afflemblé fon Cleroe, & 
apellé les Nonces, fit lire en leur préfence un long Écrit, 
contenant, difoit-1l, la réponfe à leurs areumens. Nos Théo- 
losiens en aïant oui la lecture, y trouvérent plufieurs faufle- 
tez, & plufieurs puérilitez : ils delibérérent s'ils le recevroients 
& 1ls s y refolurent plutôt pour la confufion des Grecs , que 
pour leur propre confolation. Les Orientaux cependant aiïant 
remarqué le peu de cas que faifoient les Nonces de leur Ecrit, 
les pricrent de fe retirer en paix, les-affurant qu'ils leur enver- 
roient inceffanment cet Écrit : ce qu'ils ne firent néanmoins, 
qu'après en avoir changé la plus grande partie, & y avoir 
ajoûté plufieurs nouvelles propofitions. 

La mauvaife fanté du Patriarche Germain ne lui permit 
point de fe trouver à la Conférence du 25 : on s'affembla ce- 
pendant dans fon Palais. Les Grecs demanderent aux Nonces 
s'ils avoient vüû leur Ecrit. À quoi ils répondirent, que la tra- 
duétion n'étoit pas encore faite, qu'on pouvoit toutefois en 
faire la Icéture en leur préfence, parce qu'ils étoient prêts à y 
répondre. Un des Philofophes fe leva , & commença à lire ce 
long Ecrit, plein de fyllogifmes , & de termes de dialeétique. 
Las None M fortement : & l'Empereur voiant 
l'embarras des Orientaux , qui ne pouvoient défendre leur 
propre ouvrage, dit: Laiflons cet Écrit, qui ne produit que 

be Peres la 
vérité de ce que vous foutenez. Alors un des Nonces, verfé 
dans la ledure des Livres Grecs, ouvrit ceux de faint Cyrille, 
& lut le neuviéme de fes Anathèmes , où le faint Doéteur 
condamne quiconque ofe avancer que JESUS-CHRIST a reçù 
du Saint Ef rit une vertu étrangère pour faire des miracles, 
au lieu de . que le Fils de Dieu opéroit des merveilles par 
l'Efprit qui lui eft propre, Z Saint Efprit étant du Verbe, & 
fubftantiélement en lui. Or, ajoùtoient les Nonces , une Per- 
fonne Divine ne peut être d'une autre que par génération , ou 
par proceflion : le Saint Efprit ne vient pas du Verbe par gé- 
nération ; c'eft donc par proceflion. L'Empereur répondit que 
faint Cyrile difputant contre un Hérétique , s’étoit expliqué 
avec un peu moins de précifion. Les Nonces demandérent fi 


en parlant contre l’héréfie , le faint Doéteur avoit dit quelque 


chofe contre la vérité. Non, répondit le Prince. Il eft donc 
vrai, reprirent les Nonces , ce qu'a dit faint Cyrille, que le 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 21? 
Saint Efprit eft du Fils, c'eft-à-dire , qu’il procéde du Fils (1). 
Les Grecs chicanérent encore un peu fur cette preuve; puis 
on fe fépara. . | 
Dans ;" Conférence du 26, les Nonces propoférent la quef- 
tion de l'Euchariftie. Ils favoient que l'Empereur devoit partir 
le lendemain de Nicée ; & ils vouloient parler en fa préfencé 
de ce que les Grecs regardoient comme Îa feconde caufe de 
leur féparation. Les ou cependant ne confentirent 
qu'avec peine qu’on traitât de cette matière ; aufh confumé- 
rent-ils le tems en difcours frivoles jufques à l’heure du diner. 
Enfin le Patriarche dit aux Nonces : oc. comment 
vous confacrez, & quelle eft la matière de votre Confécra- 
tion. On le fatisfit ; & il ne voulut ni aprouver ni contredire ; 
mais il demanda tréve jufqu'après le repas. Réfolu cependant 
de ne rien conclure, 
Germain parla ainfi aux Nonces : Nous avons nos Freres, les 
Patriarches de Jérufalem , d’Aléxandrie, & d’Antioche ; 
fans le confeil defquels il ne nous eft point permis de répondre 
à vos propofñtions. Nous convoquerons un Concile pour la 
mi-Mars ; nous vous prions d'y aflifter ; & vous entendrez 
alors ce qu’on répondra à ce vous avez propofé. Les Non- 
ces s’atendoient à quelque femblable défaite de la part des 
Grecs. Ils dirent donc au Patriarche : Nous vous avons aflez 
déclaré que le Pape ne nous a point envoïés à un Concile, 
ni à aucun autre Patriarche qu'à vous ; c'eft pourquoi nous 
. ne voulons excéder en rien les ordres de Sa Sainteté. Nous 
vous confeillons néanmoins d’aflembler vos Freres, & de 
rendre enfemble une réfolution , qui méne à l'union, & à 
b paix. Nous nous arrêterons jufqu'au mois de Mars à Conf- 
tantinople , pour atendre votre réponfe , & avoir quelque 
chofe de certain à mander au Pape. Dieu veuille que vous 
nous métiez en état de lui donner des nouvelles, qui foient 
à fa fatisfaétion , & à la gloire commune de l’une & de l'autre 
Eglife. 

Le Vendredy , 27 de Janvier , les Nonces, après avoir dit 
la Meffe, allérent au Palais prendre congé de l'Empereur, 
qui étoit fur fon départ. Ils y trouvérent te DE a Ger- 

(1) Et cm non haberent quod poffent ! ter Hzæreticum mentitus eft B. Cyrillus? Ref 
contradicere , cœpit eos excufare Imperator ; pondit : Non. Erso Spiritus San£tus proce- 
dicens : Ibi locutus eft Cyrillus contra Hære- | dic à Filio , ut ipfe-dicit ; & qui hoc non cre- 


ticum , & idco locurus eft largius quäm jus | dit, anathema eft. Et his diétis ab invicens 
. <rat. Âd quod refpondimus : Numquid prop- } reccilimus. Us ff. p. 916. 
d ij 


LIVRE 
IT. 


HuGurs 
DE S. CHER. 
me ed 
XV. 
Septiéme Confé: 
rence, 








orfqu'on fe fut aflemblé de nouveau; 


XVI. 
Conférence entre 
l'Empereur & Îles 
Nonces , qui par- 
tent pour Conftan- 
tinople. 


212 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE main, en préfence duquel le Prince voulut encore conférer 
II. avec les Miniftres du Pape , fur la maniére en laquelle l'Eglife 
Hueurs Gréque pourroit fe réconcilier enfin avec la Romaine. Ce 
DE S.Cuer. feroit , répondirent les Nonces , en croïant , & enfeignant 
%—— les mêmes Véritez ; & rendant au Saint Siège Apofñtolique la 
même obéiflance , qu'on lui rendoit avant la naïiflance du 

fchifme. L'Empereur ajoûta : fi le Patriarche veut obéir à 

l'Eglife Romaine, le Pape lui rendra-t-il fon droit ? Il en- 





tendoit fans doute la poffefhion de l'Eglife de Conftantinople | 


dont le Siège étoit alors ocupé par un Patriarche Latin. Les 
Nonces répondirent : Si le Patriarche rend au Saint Siége 
l'obéiffance qu'il lui doit, nous croions ee trouvera plus A 
grace qu'il ne penfe devant le Pape, & toute l'Eglife Ro- 
maine. Aïant pris enfuite congé, ils partirent de Nicée » & 

fe rendirent à Conftantinople. : 
_. Dans le tems qu'ils comtoient de recevoir. la réponfe , 
Le Pauiarche Ou la derniére réfolution du Patriarche , ils reçurent une de 
Jeur écrit, pour les fes Lettres , par laquelle ce Prélat les invitoit de fe trouver 
jvierauaCondi- ay Concile qu'il alloit convoquer , fupofant que les Nonces 
en étoient convenus , & qu'ils ne manqueroient pas d'y ve- 
nir. Sur leur réponfe , conforme à ce qu'ils avoient protefté 
étant encore à Kicée , le Patriarche les prefla par de nou- 
velles Lettres , prétendant qu'étant feul à Nicée , il n’avoit 
pû rien répondre de décifif. Et il ajoûtoit : Si vous vous re- 
tirez maintenant , nous Croirons que vous n'êtes point venus 
en Orient pour faire la paix ; mais À ps nous tenter (1). 
XVIII. L'Empereur Vatace leur écrivit aufh ; mais dans un autre 
ee . fens ‘1lne parloit point de Concile , ni de nouvelle difpute. 
venirjoindre, Il prioit feulement les Nonces de le venir trouver à Lefcare ; 
parce qu'il leur avoit fait préparer un Vaifleau , avec tout ce 
qui pouvoit être nécellaire pour leur paflage, & celui de fes 

Ambaffadeurs , qu'il vouloit envoyer au Pape. 

= La demande de ce Prince méritoit d'autant plus d’atention , 
nd ae. que les afaires des Latins or alors dans 
terminent les Non- Un pitoiable état. L'Empereur Jean de Brienne , environné 
cesarctourner vers d’ennemis de tous côtez , & hors d'état de lever, ou d’entre- 
du tenir les troupes néceffaires pour la füreté de la Ville, fe 
trouvoit prefque deftitué de tout fecours : tous les Chevaliers 
qu'il avoit à fa folde s’étoient retirés : Les Vaiffeaux des Veni- 


(1) Quod fi ita recefleritis , videbitur nobis quod non venifis pro pace, {ed ut ten= 
gaxetis nos. Jbsd. p. 917. | 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 213 


tiens , des Pifans ; ceux de Saint Jean d'Acre, & des autres 
Nations étoient déja partis , ou fe difpofoient à métre à la 
voile. Ces confidérations firent réfoudre les Nonces à retour- 
ner vers l'Empereur Vatace , afin de négocier , s'il étoit poffi- 
ble, une Tréve d’un an entre lui, & Jean de Brienne Em- 
pereur Latin de Conftantinople. Mais pour ne pas prendre 
de leur feule autorité une telle réfolution , ils confultérent le 
Chapitre de fainte Sophie, les Prélats du Pais, & l’'Empe- 
en de Brienne lui-même : tous leur confeillérent de re- 
tourner (1), & de fe charger de cette négociation. Ils par- 
tirent donc de Conftantinople le dernier Dimanche du mois 
de Mars 1234 ; & ayant pañlé la mer , ils arivérent à un lieu 
nommé Chalongore, d'où ils envoyérent par diférens Cou- 
riers deux Copies de la même Lettre au Patriarche Germain 
à Nicée, le priant de fe rendre le plütôt qu'il pourroit à Lef- 
care , où il les trouveroit prêts. Ils écrivirent auf à l’'Em- 
pereur Vatace, qui leur répondit, pour les Eee de venir 
à Nymphée ; ils s'y rendirent; & le Patriarche Germain y 
ariva quelques jours après. Les Nonces le priérent de les 
expédier au plûtôt. Il répondit : Je sn ; & voilà les Pré- 
lats déja affemblés , qui demandent auffi d’être expédiés , afin 


Livre 
III. 





HuGuEs 
DE S. CHER. 


de pouvoir fe trouver dans leurs Eplifes à ces jours folemnels. 


Il ne cherchoit cependant qu’à traîner l'afaire en longueur ; 
& l'Affemblée, qu'il devoit tenir pendant la femaine de la 
Pafon , il la remit depuis au Lundi de Pâques. 
Ce fut le 24 d'Avril que commença le Concile de Nym- 
hée. Les Nonces ayant pris leur place , expoférent d’abord 
À fujet de leur voiage à Nicée , & ce qui s’étoit pañlé fur-tout 
dans la derniére Conférence ; la promeffe que leur avoit fait 
le Patriarche , de leur envoyer vers la mi-Mars fa réponfe 
fur le Sacrement de l’Autel , & combien de fois il avoit chan- 
gé les conditions , dont il étoit convenu avec eux. Puis ils 
ajoutérent : Nous avons bien voulu néanmoins paroître de- 
vant vous , fans y être obligés par aucune promeffe de notre 
art, ni par l'ordre de nos LA  r ; mais de bonne vo- 
onté , & par le feul défir de procurer la paix & l'union, 
fondés fur À promefle du Patriarche , que nous retournerions 


videremur attentare voluntatc, Capitulum | fcilicet ultimâ Dominicà Maïtii arripuimus 
Sanétz Sophix , Prælatos terræ , nec non & | iter verfus Lefcara, &c. Ap. Echard, nt [p. 
ipfum Imperatorem fuper hoc confuluimus | p. 917. 

‘negotio, qui omnes id nobis confuluerunt. 


(1) Veruntamen ne talia noftrà tantüum re tertia Dominica in quadragefime, 
C 1 


Dd ii 


ph 





XX. 
Concile de Nyms 


ée, 


LIVRE 
IL. 


HyçGuEs 


DE S.CHER. 
"1e 4 











XXT. 
Plaintes des Non- 
ces dans ce Conci- 


214 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


contens vers celui qui nousa envoyés. C’eft l'efpérance d’un 
fi grand bien , & la charité fraternelle , qui nous ont fait mé- 
prifer les périis de la mer , les fatigues , & l'ennui d’un long 
voiage , avec la perte du tems, pour vous fatisfaire. . 

Les Grecs vouloient difputer de nouveau fur la Proceffion 
du Saint-Efprit ; & les Nonces répliquérent : Vous avez ex- 
pliqué vos fentimens fur cet article ; mais nous n’avons pas 
encore eù de réponfe touchant ce que vous penfez fur le É- 
crement de l’Autel : c’eft ce que nous voulons favoir main- 
tenant du Concile. Les Grecs embaraflés, ne favoient pas 
trop quel parti ils devoient prendre. Tantôt ils prétendoient 
que ce feroit confondre l'ordre de la Théologie , que de ne 
pas commencer par la matière la plus relevée : tantôt ils pro- 
métoient d'écrire leur réponfe à l’une & à l’autre queftion , 
& de la donner aux Nonces. Enfin , ils demandérent du tems 
jufqu'au vingt-fixiéme ; & les Nonces acordérent le terme : 
mais craignant d'être encore trompes , 1ls répéterent les con- 
ditions qu'ils avoient propofées ; & on fe fépara. 

Dès le matin du 26 d'Avril, les Nonces du Pape fe rendirent 
chez le Patriarche , où le Concile étoit aflemblé. Ils deman- 
dérent inutilement la réponfe qu'on leur avoit promife ; & les 
artifices, dont les Orientaux continuérent à fe fervir, pour 


_ éluder toujours la queftion des Azimes, les obligérent de s’ex- 


XXII. 
Réponfe des Grecs. 


pliquer un peu fortement. Nous voions bien , direntnos Théo- 
logiens , que vous ne cherchez qu'à gagner du tems , & 
que vous n'évitez de répondre à notre queftion , que parce 
que vous n'ofez manifefter vos fentimens. Nous vous parle- 
rons à cœur ouvert; nous favons que vous avez mauvaife 
opinion de notre Sacrement en azimes. Vos Ecrits font pleins 
de cette héréfie ; & c'eft de peur de la découvrir que vous re- 
fufez de parler de cette matière. Mais vos a@ions ne manifef= 
tent-elles pas vos penfées ? Vous lavez vos Autels quand nos 
Prêtres y ont célébré; & lorfque les Latins viennent pour 
recevoir de vous les Sacremens , vous leur faites abjurer ceux 
de l'Eglife Romaine. Vous avez ôté le Pape de vos Dyptiques : 
&c nous favons que vous n'en Ôôtez que des Excommuniés, ou 
des Hérériques. Enfin vous lexcommuniez une fois l'an, fe- 
lon le raport de ceux qui l'ont oui, 

. Le Tréforier de l'E clife de Conftantinople fe leva au milieu 
du Concile, & nia hautement ce dernier fait. Puis il ajoûta : 
Pour le refte de ce que nous faifons , ne vous en étonnez pas; 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 215 


vos Latins quand ils prirent Conftantinople ne profanérent-ils 
pas les lieux les plus facrés ? Ils renverférent les Autels, em- 
portérent l'or & l'argent , jétérent les Reliques dans la Mer, 
_foulérent aux piés les Images des Saints, & changérent les 
Epglifes en Etables. Si vous vous étonnez , dit alors le Patriar- 
che, que nous aïons Ôté le Pape de nos Dyptiques , je vous 
demande pourquoi il m'a Ôté des fiennes ? Les Nonces répon- 
dirent : Le Pape ne vous a point ôté de fes Dyptiques, puif- 
que vous n’y avez jamais êté. Mais fi vous vous informez de 
ce qui regarde vos prédéceffeurs , vous verrez fi c’eft le Pape 
ut les en a Ôtés le premier. Les Grecs ne répliquérent rien ; 
les Nonces continuérent ainfi: Quant aux violences, & 
aux profanations que. vous imputez à l'Eglife Romaine , elle 
n'y a aucune part. Si tous ces excès, qui excitent vos juftes 
plaintes, ont été commis, c'eft par des Gens de guerre, que 
le Pape a défavoués. Mais ce que nous vous reprochons, 
vous f autorifez vous-mêmes par vos écrits, par vos difcours, 
& par vos aétions : ce font vos Prêtres, vos Evêques, vos 
Patriarches qui le font, & qui l’enfeignent (1). Et comme 
nous ne voions en vous aucune volonté de vous corriger, 
nous nous en retournerons vers celui quinous a envoïés. Auf- 
fi-tôt ils fortirent du Concile. 
Le même jour après diner les Nonces allérent trouver l’'Em- 
pereur ; & lui aiant fidélement raconté tout ce qui s'étoit 
aflé , 1ls lui demandérent une efcorte jufques hors de fes 
pr Ce Prince adroit, & toujours modéré , commença à 
excufer les Grecs, & à prométre qu'ils fe Corrigeroient ; ajoù- 
tant que s'il avoit été préfent à la Cons , on n’en feroit 
| point venu aux injures. Mais, continua-t’il, il ne faut pas que 
vous vous fépariez ainfi mécontens les uns des autres. Ê e veux 
vous entendre, &c eux auffi fur votre queftion : & quand vous 


LIVRE 
JIT. 


HUGUES 
DES. CHER. 
à 








XXII. 
Replique des Non« 
CCS 


XXIV. 
Entretien de l'Em- 
ses Vatace avec 
es Nonces. 


aurez terminé l’afaire à l'amiable , vous vous en retournerez : 


en paix. Voilà mes Galeres prêtes pour vous porter en Italie A 


8 mes Ambaffadeurs , que j'enverrai ivec vous au Pape, 
car.Je veux l'honorer comme il convient , & lui faire des pré- 
{ens, afin qu’il me tienne pour fon ami, & fonfils. | 
Seigneur , répondirent les Nonces, nous ne devons point 

(1) Sed dicimus de vobis vera funt ; | non habetis in peccatis veftris. Et quia tot 

-& hæc verbo & opere teftificamur. Et ifta | abominabilia invenimus apud vos , nec ali- 
- faciunt primo veftri Patriarchæ, & Archie- quam voluñtatem emendandi quod haétenus 


-pifcopi, & Epifcopi, & cæteri veftræ Ec- | erratum eft ; ecce nos revertimur ad eum 
clefix Prælati..,. nunc jam excufationem qui nos milit, &c. Ap. Echard. p. 919. 


218 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE vous céler la vérité : vous ne vous rendrez point agréable au 
TIL: Pape par des préfens : mais quand vous lui ferez agréable par 
Hueves l'unité de la Foi , alors vos préfens le feront auffi. Sans cela , il 
pe S.CHER. ne VOUS recevra jamais pour ami, ni pour fils ; & nous n’o- 
==" ferions lui préfenter vos’ Ambafladeurs. L'Empereur mon- 
trant alors un vifage trifte, dit : Le fchifme a duré déja plus 
de trois fiècles , 1l ne peut être ôté en peu de jours. Fa a ; 
je parlerai demain aux Prélats, & les prierai de répondre à 
votre queftion. 

XXV. Ce fut le 28 d'Avril, que les Nonces du Pape, à la priére 
Suite du Concile de l'Empereur, & du Patriarche , rentrérent dans le Concile, 
D our entendre enfin la réponfe qu’ils demandoient depuis fi 
Pr Le Patriarche Germain après avoir confulté avec 
l'Empereur , & les autres Prélats , dit aux Nonces: Nous ré- 
de, st à votre queftion. Puis l’Archevêque de Samaftro 
commença ainfi: Vous demandez fi on peut confacrer le 
Corps de JEsus-CHRIST en Pain azime; & nous répondons 
que non. Les Nonces demandérent s’il vouloit dire qu'on ne 
le pouvoit de droit, ou que la chofe étoit abfolument impof- 
XXVI. fi Al . L'Archevêque Grec répondit : Cela eft abfolument im- 
Erreur des Grecs. poflible : & il voulut effaïer de le prouver. Les Nonces aïant 
demandé aux deux Patriarches préfens , & à chacun des au- 
tres Prélats en particulier , fi c’étoit leur créance ; ils répon- 
dirent tous l’un après l’autre : Nous le croïons ainfi (1). Les 
Nonces ajoûtérent : Nous demandons que vous nous donniez 
cette réponfe par écrit. Le Patriarche répondit : Donnez- 
nous aufli par écrit que le Saint-Efprit procéde du Fils; & 
que celui qui ne le croit pas, eft en old perdition. La pro- 
_pofition fut acceptée ; & on donna jufqu’au lendemain pour 

dreffer ces écrits de part & d'autre. | 
XXVIL Ils furent en éfet produits , & lus dans le Concile le 29 d’A- 
Is fignenc leur yrili 234. Celui des Grecs, figné par le Tréforier de l'Eglife de 
RS Conftantinople , fuivant l’ordre du Patriarche Univertel , de 
Nonces. celui d’Antioche , & de tout le Concile , fut remis aux Non- 
ces. Nous verrons bientôt jufques où allérent les artifices , &c 
les violences des Grecs, pour fe faire rendre cette déclara- 





(1) Deinde Archiepifcopus Samaftriz hoc modo poffet fieri. Et refponderunt : imd 
modo cœpit loqui : Vos quæritis fi Corpus | quia nullo modo potelt fieri. . .. Nos au- 
Chrifti poteft confici in azimo. Et nos ref- re hanc hærefñim , quæfivimus figilla- 
pondemus quod hoc eft impoñlibile . . ... tim ab unoquoque . . . . & refponderunt fi- 
quæfivimus fi iftud diceret, non pofle fieri , | gillatim : Hæc eft Fides noftra & hoc credi- 
id eft quia de jure non potelt, vel quia nullo ! mus, &c. 4p. Echard. p. 920, | 

tion, 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 217 


tion , où leur héréfie étoit écrite en gros caraëtére. Les Non- 
ces aïant auff figné leur Profeflion de Foi touchant la Pro- 
ceffion du S: Efprit, ils la donnérent aux Grecs en leur Lan- 
ue ; & ils leur parlérent ainf : Vous nous avez donné votre 
Écr , qui contient une Héréfie ; mais comme c’eft la défenfe 
opiniâtre de l'erreur, qui fait l'hérétique , nous voulons fa- 
voir fi c’eft par ignorance, ou par malice , que vous avan- 
cez celle-ci. Et puifque nous n’avons point ici des Juges, 
qui puiflent décider entre vous & nous, confultons l'Ecri- 
ture & les Peres. De tous ces Prélats & Théologiens Orien- 
taux , 11 n'y en eut pas un feul , qui de préfenter un Exem- 
plaire de l’ancien , ou du nouveau Teftament. Les Nonces 
du Pape en furent furpris ; & ils ne laiflérent point de prou- 
ver folidement la Doëtrine de l’'Eglife Romaine touchant la 
matiére de l’Euchariftie , & de réfuter avec avantage les ob- 
jetions tant rebatues des Grecs. La difpute dura bien avant 
dans la nuit , & l'Empereur confentit qu'on terminât la 
Conférence. 
… Quelques-jours après , tandis que les Nonces ne penfoient 
qu'à leur départ , Jean Vatace les fit fonder , fi on ne pouvoit 
pas trouver quelque moïen d’acorder les diférens fentimens, 
& de procurer l'union des deux Eglifes. Quand nous ferons 
devant l'Empereur , répondirent les Nonces, nous nous ex- 
ao avec lui. Le Prince les fit venir au Palais ; & il 
eur parla le premier en ces termes : — les Rois ou les 
autres Princes , ont quelque diférend fur une Place , ou fur 
une Province , c’eft l’'ufage que chacun relâche quelque chofe 
de fes prétentions pour parvenir à la paix. Et c'eft ainfi qu'il 
faudroit en ufer en cette ocafion, pour réunir votre Eglife 


avec la nôtre. Il y a deux points qui nous divifent : fi vous. 


voulez la paix , relâchez-vous fur l’un des deux ; nous en fe- 
tons de même fur l’autre ; & nous voilà bien-tôt d'acord. Nous 
aprouverons , & révérerons votre Sacrement : abandonnez- 
nous feulement votre Symbole ; dites-le comme nous, en re- 
tranchant votre adition , puifqu’ellenousfcandalife (1). 

Cette maniére de traiter de ce qui apartient à la Religion, 


mittatis Symbolum veftrum nobis, & dica- 
de Proceflione Spiritus San@i ; fecundum de | tis nobifcum, ficut nos dicimus , ficut con- 
Corpore Chrifti. Si igitur velitis pacem ; | ftiturum habemus à fanétis Patribus in Con- 
wos dimirtatis de Mob his unum. Nos | ciliis fuis ; & hoc quod vos fuperaddidiftis 
vencrabimur , & gratum habebimus San- | non dicatis ulterius | quod fcandalum eft 
étum Sacramentum veftrum. Vos autem di- | nobis. Ap. Echard. p. 522. 


Tome L, e 


(1) Duo funt inter nos & vos : primum 








—_ 


LIVRE 
III. 


HuGuESs 
DE S. CHER. 
D à 








XXIX. 
Acomodement 
politique pronoté 
pat l'Empereur, 


LIVRE 


JIT. 


HuGuss 
DE S.CHE 


Re 


mes = 


XXX 


iemient rejé- | 
té par les Nonces 


du Pape. 


XXXI. 


Les Nonces fe 


trouvent por la 
O 


dernicre fois 
Concile dc N 
phée, 


au 
rs 


318 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 

& à la Foi , doit paroître d'autant plus finguliére , que l’'Em- 
pereur ne la propofoit qu'après en avoir férieufement délibéré 
avec le Clergé. I] n’y avoit que quatre jours que les deux Pa- 
triarches , les Archevêques, & les autres Prélats du Concile 
de Nymphée avoient déclaré , en préfence même de l'Empe- 
reur , que la Confécration en Pain azime étoit abfolument 
nulle , facrilëge , contraire à l'éxemple , & au précepte de 
JESUSCHRIST ; à la pratique des Apôtres , & à toute la Tra- 
dition des Peres. Er on voit ici ce Prince , ( l'organe des mê- 
mes Prélats } qui promet d'aprouver , & d'adorer cette mê- 
me Confécration , pourvû qu'on ait la complaifance d'aban- 
donner une autre Vérité de Foi, ou du moins d'en fuprimer 
ta profeffion dans le Symbole. La promefle ne pouvoit être 
fincére ; & la demande étoit abfurde , ou l’artifice trop grof- 
fier. Bien éloignés de femblables fineffes , les Nonces répon- 
dirent fans héfiter, que l'Eglife Romaine ne fauroit retran- 
cherun1ïota de fa Profeflion de Foi , ni éfacer ua mot du Sym- 
bole (1). Hé, comment donc , reprit l'Empereur , pourrons- 
nous faire la paix ? Si vous voulez en favoir la maniére, di- 
rent les Minifires du Pape, la voici: Vous devez croire, & 
enfeigner aux autres, je peut confacrer le Corps de No- 
tre-Seigneur avec des Âzimes, comme nous reconnoiflons 
que vos Prêtres le peuvent faire avec de pain levé. Vous de- 
vez croire épalement , que le Samt-Efprit procéde du Pere 
&c du Fils ; & 1l eft PA de l’enfeigner au Peuple : mais 
fi vous ne le voulez point chanter dans votre Symbole, le 
Pape ne vous y obligera pas. Enfin , il faut condamner au 
feu tout ce qui a été écrit pour combatre l’un, ou l’autre de 
ces deux Dogmes Catholiques. L'Empereur fort mécontent 
de cette réponfe , la raporta aux Prélats, qui en parurent 
également furpris & indignés. 

Le dixiéme de Mai, les Evêques firent prier les Nonces de 
vouloir fe trouver le lendemain au Concile , pour en voir, 
difoient-ils, la conclufion , & fe féparer enfuite amiablement 
les uns des autres. La féance étoit chez le Patriarche , dans 
une grande Salle remplie d'une foule de Peuple , à portes ou- 
vertes. Lorfque les Nonces furent affis , le Patriarche Ger- 
main leur adreffa ces paroles : Tant que nous avons efpéré la 


(1) Et nos ad hoc refpondimus : Hoc fcito- | nec aliquid de hoc quod dicitur in Symbold 
te quod Dominus Papa , & Ecclefia Roma- | noftro. Ur /p. p. 922. 
na non dimittent unum jota de Fidc fua, 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 219 


paix, nous vous avons traités avec toute forte d'afeétion : 
maintenant fruftrés de notre efpérance , nous vous prions de 
nous écouter paifiblement ; & cette journée confommera 
l'afaire. Puis il ajoûta : Vous nous avez donné par écrit la 
créance de l'Eglife Romaine : nous l'avons vüë ; nous vou- 
lons la publier dans nos Provinces ; & nous fouhaitons que 
tout le monde l’entende. En êtes vous contens ? Nous en 
fommes contens , répondirent les Nonces ; & notre conten: 
tement fera parfait, lorfque tous vos Peuples connoitront , 
& fuivront la Foi de l'Eglife Romaine. Le Patriarche or- 
donna’ à un de fes Clercs de lire tout haut cette Profeflion 
de Foi. On la lut , mais avec quelque altération , que les 
Nonces furent obligés de relever. 

Après cette-leéture, les Grecs citérent quelques pañlages 
des Peres en faveur de leur opinion, ou de leur erreur. Ils 
lürent en particulier un Texte du Pape faint Damafe, qui 
dit : Quiconque ne croit pas que le Saint-Efprit procède pro- 
prement du Pere , qu'il {üit anathéme. Les Nonces dirent : 
Qu'il foit anathéme. Et ajoûtérent : Nous croions auf 
avec les Peres, que le Saint-Efprit procéde proprement du 


Fils ; & nous difons anathéme à ppane ne le croit pas, 


Voulez-vous croire , & parler de même ? Le Patriarche Ger- 
main , plus décidé qu'il ne l’avoit paru au mois de Janvier 


dans les Conférences de Nicée , dit nettement : Nous croions 


que le Saint-Efprit ne procéde point du Fils. Mais , reprirent 


LIVRE 





HUGUES 


DE S.CHER» 
D 





les Nonces , faint Cyrille, qui préfida au troifiéme Concile 


général , a anathématifé tous ceux qui ne croient pas que 
le Saint-Efprit procéde du Verbe. De plus, vous continuez 
à foutenir qu'on ne peut confacrer le Corps de JESUS-CHRIST 
avec des Azimes : c'eft foutenir une feconde héréfie, Ne pou- 
vant donc vous rapeller à l'unité de la Foi Catholique , nous 
vous laiffons tels que nous vous avons trouvés. 


‘Les Nonces s'étant ainfi retirés du Concile, convinrent 


entre eux de ne point manger ce jour-là , qu'ils n’euflent ob- 
tenu leur Po à de l'Empereur. Ils l'obtinrent en éfet ; mais 
ce Prince parut extrêmement afligé, de ce qu'ils s’étoient fé- 
parés mécontens les uns des autres. Sans trop s'embaraffer de 


XXXIL. 
Ils fe retirent avec 
le congé de l'Em- 
pereur. 


<e quitouchoit la Religion, il fouhaitoit avec ardeurunacom- . 


modement , quel qu'il pût être, afin de fe rendre le M fa- 

vorable , fans fe rendre lui-même fufpe& à fon Clergé. L'état 

préfent de fes afaires, demandoit qu'il ee également 
on ei 


220 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE l'un & l'autre. Avec moins de politique, & plus d’entêtes 
. ment , les Prélats fchifmatiques foutenoient leurs vieilles er- 
Hueurs fleurs par toutes fortes de moyens , pour engager ledrs ad- 
De S.Cner. Verfaires dans quelque défilé , dont ils puffent fe prévaloir 
“= devant le Peuple ; ils employérent les ta & les mauvais 
traitemens , les carefles , les menaces , les fubtilitez de leurs 
Philofophes. Ils défavouoient quelquefois , ce qu'un moment 
après ils foutenoient avec hauteur. Les vüës des Nonces 
étoient plus fimples ; leurs démarches plus réguliéres : la pru- 
dence régla tous leurs pas ; & jufqu’à la fin , ils montrérent 
une fermeté , digne de la Caufe qu'ils défendoient. 
Ils partirent de Nymphée le matin du, Samedi, treizième de 
Mai ; & continuant leurs journées, ils étoient arivés au Vil- 
lage de Calame, lorfqu'ils furent joints par des Envoiez de 
l'Empereur , & du Patriarche Germain. Les premiers leur 
dirent que l'Empereur les faluoit, & témoignoit être fàché 
u'ils fe fuffent ainfi retirés fans avoir falué le Patriarche , ni 
a la Bénédiétion aux Peres du Concile. Les Nonces 
répondirent : Dieu conferve l'Empereur pour le bien de fes 
Peuples ; maïs il n'ignore pas les raifons que nous avons eûés 
de ne point demander le congé du Patriarche, ni la béné- 
diétion de fon Concile. L’'Envoyé du Patriarche ayant répété 
Les Grecs veulex le difcours de celui de l'Empereur , ajoüta : Voilà l'Ecrit que 
Se des mains yous avez donné au Concile ; le Patriarche vous le remet , 
es Nonces Ja Pro- . . + ! 
fon de Foi, © VOUS prie de lui rendre auff celui qu 1l vous a donné tou- 
qu'ils leur avoien chant les Azimes. Il vous envoie en mème-tems fes Lettres 
es & la Profeflion de Foi du Concile fur la Proceflion du S. Ef- 
prit : 1l vous prie de préfenter le tout au Pape. 

Les Nonces répondirent : Nous avons donné notre Ecrit 
au Concile, pour expofer la Foi de l'Eglife Romaine ; afin 
que tous ceux qui l'auront Iù éxaétement, croient, & enfei- 
es ce qu'il contient , & que nous parlions tous le même 

angage : c'eft pourquoi nous ne voulons point reprendre 

cet Ecrit. Quant à celui qui nous a été remis par les Grecs, 

_il'eft à préfent à nous. C'eft un témoignage fcandaleux de 

leur créance : nous ne devons point vous le rendre, mais le 
| D au Pape , & à toute l’Eglife ; fi vous n'aimez mieux 
e revoquer par un confentement exprès de tout le Concile. 
Il éroit tard ; & les Grecs ne conteftérent pas davantage. 
Mais le lendemain matin ils revinrent à la charge avec tant 
de chaleur , qu’ils menacérent ouvertement les Nonces de ne 





DE L'ORDRE DÉS. DOMINIQUE. 221 


les point laiffer fortir du Pais, s'ils ne rendoient de bon gré 
l'Ecrit en queftion. Nous fommes chez vous , répondirent 
les Nonces, vous pouvez nous Ôter de force ce que vous 
nous demandez ; mais vous ne l'aurez jamais de notre gré. 
Ayant enfuite fait apeller l'Oficiér de l'Empereur , ils lui de- 
mandérent s’ilavoit ordre de fon Maître d'empêcher leur voia- 

e ; & fur ce qu'il aflura , qu'il étoit venu au contraire pour le 
Éciliter ; les Nonces fe difpoférent à continuer leur route. 
Alors l’'Envoyé du Patriarche les fomma de nouveau de ren- 
dre l'Ecrit ; ce que ne pouvant obtenir, il prononça excom- 
munication contre les gens de leur efcorte, s'ils ne fe reti- 
roient aufli-tôt de leur fervice. La menace eut fon éfet. Les 
Nonces abandonnés d’abord de leur guide & de leurs fervi- 
teurs , furent obligés de porter eux-mêmes une partie de leurs 
Livres : ils laiflérent les autres en garde à l'Oficier de l'Em- 
pereur , & partirent feuls à pié. 


/ 


Livre 





Hucuzs 


DE S. CHER, 
de 





” Menaces & vio< 
lences des Grecs. 


Le Pais étoit défert, & ils avoient encore fix journées à : 


faire jufqu’à la Mer de Conftantinople : mais pleins de con- 

fance en Dieu, ils fe mirent en chemin. Les Grecs envoyérent 

inutilement après eux , pour leur répréfenter les dificultez des 

chemins , & les périls évidens dont ils étoient menacés, s'ils 

alloient plus avant dans des bois & des montagnes , fans ef- 

corte & fans guide. Les Nonces ne s'arêterent pas pour ces 

avis. Mais à peine avoiént-ils fait deux lieuës, que l'Oficier 

député de l'Empereur fe préfenta une feconde a à EUX 3 

profterné à leurs piés , il les conjura de retourner au Village, 

d'où ils étoient partis , leur prométant de faire revoquer l’ex- 

communication portée contre leurs ferviteurs , & réparer 

tout ce qui avoit été dit ou fait à leur préjudice. Sans re- 
tourner à Calame , les Nonces , d'un commun confentement , 

s’arêtérent à un Village voifin, & envoyérent querir leurs 

Livres. Cependant Envoyé du Patriarche délia leurs balots, 

fouilla tout leur bagage , & ayant enfin trouvé l’Ecrit des 
Grecs , il le faifitavec emprefflement. Mais les Nonces avoient 
eu la précaution d’en faire une copie , ou plütôt une Traduc- 

tion , qu'ils aportérent au Pape. Les Orientaux , qui n’avoient 

aucune connoiffance de cette Traduétion , croyant avoir ob- 

tenu, ou enlevé tout ce qu'ils pouvoient défirer , revinrent 
aux paroles d'honèêteté envers les Nonces ;, & les laiflérent 
| en paix ; après leur avoir donné une Lettre adreflée au 
ape au nom des Evêques du Concile de Nymphée > Qui ex- 

€ il] 


XXXV. 
Leurs artifices: 


-  XXXVI 

Ils reprennent de 
force leur Ecrit, & 
reviennent aux pa- 
roles d'honëteté. 


LIVRÉ 
HI. 


HucuEs 
DE S. CHER. 





222 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


pliquoit fort au long leur créance fur l'article du S. Efprit : 


mais fans dire un feul mot fur celui du S. Sacrement *. 
Le caraétére des Grecs fe peint au naturel dans toute la fuite 
de cette Hiftoire. On y voit leurs perpétuelles variations , 


=’ jointes à une opiniâtreté infléxible ; leurs détours , leurs dé- 


Hift. des Cardinaux 
Franç. T. 1, Liv. NW, 
Pe231e 


XXXVII. 
Hugues de faint 
Cher, de retour en 
France, commence 
fes Concordances 
de La Bible, 


T. IV, Anedotor, 
Col 1676, N. 34. 


fiances , ou leur crainté quand il falloit s'expliquer fur la ma- 
tiére de la divine Euchariftie. Mais la fagefle des Miniftres du 
Pape ne mérite pas moins d’atention. François Duchefne a 
eu fans doute raifon de dire , que les foins & les peines du 
célébre Hugues de faint Cher euffent mis les deux Epglifes fous 
un même Chef, fi l'amour du bien général de la Chrétienté 
eût pù prévaloir à la paflion de l'intérèt. | 

Après de fi longues fatigues , rendu enfin à lui-même , & à 
fes Livres, Hugues ne chercha le repos que dans un nouveau 
travail. Il avoit déja formé le grand deflein de faire les Con- 
cordances de la Bible; c’eft-a-dire, d'en diftribuer tous les 
mots par ordre alphabétique , & de les ranger de telle forte, 
que ceux qui font profeffion d'anoncer la parole de Dieu, 
ou d’enfeigner les faintes Lettres, puflent dans un moment, 
& fans aucune peine , trouver tous : paflages de l'Ecriture, 
qui leur font néceffaires. Comme il avoit férieufement médité 
nn fuiet, il en expofa fi bien l'utilité, ou la néceffité ; que le 
Bienheureux Jourdain de Saxe, alors Supérieur Général de 
{on Ordre , lui acorda volontiers tous les fecours néceffaires 
pour ce grand travail. Sixte de Sienne, Poflevin, Mariana, 
& plufieurs autres Auteurs Ecléfiaftiques , après faint Anto- 
nin, aflurent que Fo Religieux de l'Ordre de faint Do- 
minique , fous la direétion d'Hugues de faint Cher, travail- 
‘lérent en même-tems à la pertettion de fon Ouvrage. On l’a- 
voit déja commencé en 1236. Et dans le Chapitre Général, 
qui fut tenu cette même année à Paris , on fit une Ordonnan- 
ce, que Don Martenne raporte en ces termes : Nous voulons 
que tous les Exemplaires de le Bible à l'ufage de norre Ordre, 
foient revüs , corrigés , 6 ponüues felon la correëion , que font 
ailuellement nos Religieux deflines a ce travail (1). 


# Cette Relation, un peu longue ; mais 
aflez intércffante, pour mériter d'être infé- 
rée dans l'Hiftoire d'un des quatre Nonces, 
fe trouve dans l’onziéme Tome des Conci- 
les généraux , & dans Res Annales de Wa- 
ding. Le Pere Echard l'a fait imprimer fur 
un ancien Manufcrit de la Bibliotéque de 
Navarre, qu'il croit plus correct ; & la Tra- 


duétion de M. Fleuri , que nous avons fui- 
vie, eft conforme à ce Manufcrit. 

(1) Velumus do mandamus ut fecundum 
correclionem quam faciunt Fraires, ne 
hos injungitur in Provincis , alie Biblia 
Ordinis corrigantur ; © purgentur. Apud 
Man. ut fp. | 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 223 


Ce n’étoit pas feulement le College de S. Jâques , mais toute 
la Province de France, qui avoit entrepris ce glorieux tra- 
vail. Pierre de Rheims, qiu depuis cinq ou fix ans gouvernoit 
cette Province, aïant été fait Evêque d'Agen, comme nous 
l'avons remarqué ailleurs, Hugues de faint Cher lui fuccéda 
une feconde fois dans la Charge de Provincial. Il bonora cette 
place par fes grandes vertus ; il enrichit en même-tems fon 
Ordre d’un bon nombre d'excellens Sujets, qu’il reçut, & de 
plufieurs nouvelles Mañons, qu'on Le pria d'accepter en di- 
férens lieux. C'eft à lui qu'on atribue la Fondation des Cou- 
vens de Dijon, de Bourges , d'Auxerre , de Coutances dans 
ka Bafle-Normandie, d'Amiens, de Tours, de Bergues dans 
le Pais-Bas, de Toul, & de quelques autres. 

Dans le Chapitre Général afflemblé à Bologne l'an 1238, 
pour donner un Succefleur au Bienheureux Jourdain, & un 
er à tout l'Ordre de faint Dominique, Hugues ne fe 
contenta pas d’avoir fait nommer faint ca de Pegna- 
fort à une place, qu'il méritoit lui-même de remplir, il vou- 
lut encore entreprendre le voiage de Barcelone , pour dé- 
terminer le Général élu, à ne point fe refufer aux vœux de 
tous fes Freres. Le Seigneur bénit fon zéle ; & Le fuccès fut 
heureux. | | 

Revenu en France , il fe trouva à Paris, dans le tems que 
Guillaume d'Auvergne , Evêque de cette Capitale, fit enfin 
décider la fameufe Jr an 8 Pluralité des Bénéfices. Cette 
matiére avoit êté deja agitée dans une difputefolemnelle, où 
le plus grand nombre des Doéteurs en Théologie avoit opiné 
contre À pluralité ; mais il n‘y eut point alors de décifion ; & 

endanttrois ans, on difputa vivement de part & d’autre. En- 
fin l'an 1238 l'Evêque de Paris aïant convoqué pour le même 
fujet une feconde Aflemblée dans le Chapitre des Domini- 
cains , après un nouvel éxamen , & une longue difpute , il fut 
décidé qu'un Bénéficier ne peut en.confcience tenir.en même: 
tems deux Bénéfices , lorfqu'un feul. fufit à fon honnête 
entretien (1). Thomas de mer , qui étoit préfent, & 
M. Fleuri qui le cite dans fon Hiftoire Ecléfiaftique , nom- 
ment Hugues de faint Cher immédiatement après l’Evêque, 

(x) Verüm poft longam differtationem difputationé magnum fibi nomen , famam- 
prior tandem fentenia pravaluit; ftatu- que peperit M. Hugo de Sanéto_Charo Bac+ 
tumque neminem poile duo Beneficia reti- | calayreus Licentiatus in Thoologia, & Ma- 


nere, abfque peccato morrali, fi-unum ad : nue regens,;tunc Dominicanus. Ds Bow 
victum , veftitumque fufficcret. In hacce 47 » Till, p.164 





LIVRE 
 UI. 


Huçuss 








XXX VIII. 

Il gouverne une 
feconde fois la 
Province de Fran 
ce. 


XXXIX. 

Il détermine faint 
Raymond 2 accep- 
ter la’Charge de 
Général. 


LIVRE 
III. 


HuGuEs 


DE S. CHER. 
Bu. à 


XL. 
Son fentiment 
touchant la plura- 
lité des Bénéfices. 


Bilt. Eccl. Liv. Lxxx1, 
D. lis 


XLI. 
Il confeille à l'E- 
vêque de Liége de 


faire célébrer dans 


{on Diocefe la Fête 
du S. Sacrement. 


. faint Cher, confulté par l'Evêque 


224 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


& le premier parmi les Doëteurs, qui foutinrent fortement 
que la pluralité des Bénéfices , dans le cas exprimé , étoit con- 
traire à l'intention des Fondateurs , au fervice de l’'Eglife, & 
à l'utilité des Fidèles. 

Hugues porta le poids de la difpute publique , dans laquelle ; 
felon l’expreflion de M. François Duchène , il eut l'avantage 
de faire fes partifans de fes Juges , & les proteéteurs de fes fen- 
timens ceux qui s’en étoient déclarés h ennemis. Le Pere 
Echard affure la même chofe (1). Cependant Thomas de 
Catimpré femble infinuer que la décifion de la Sacrée Facul- 
té, quoique aplaudie par le plus grand nombre des Théolo- 
giens , ne fut pas unanimement aprouvée de tous. Les opi- 
nions étoient dès-lors aflez partagées. Mais, difoit Hugues de 
faint Cher avec le favant Evêque de Paris : Si la meon eft 
douteufe , le doute même montre certainement qu'il n’eft 
point permis de pofléder tout-à-la-fois per Bénéfices ; 
puifque c'eft déja un mal que de s’expofer au péril de com- 
métre un péché mortel. Ce court raifonnement devoit paroi- 
tre bien fort, dans un tems furtout où le probabilifme n'étoit 

as encore à la mode. M. Fleuri remarque que faint Louis 
von dans la pratique la décifion de l'École de Paris pour 
la diftribution des Bénéfices , qui dépendoient de lui. Quel. 
que réputation de fience , de capacité , ou de mérite, qu’eût 
un Echéfiaftique déja pourvû d'un Bénéfice, le faint Roi ne 
lui en conféroit pas un autre , qu'il n'eût réfigné purement & 
fimplement le premier. - | 

Ée que nous venons de raporter eft une preuve qu'Hugues 
de faint Cher foutenoit déja une partie des fentimens, que 
faint Thomas a depuis fi bien établis. Ce qui fuit , nous fera 
voir un autre trait de reflemblance entre ce grand homme, & 
le faint Doëteur , dans la dévotion particuliére de l’un & de 
l'autre envers l'Augufte Sacrement de nos Autels. L'an 1240 
notre zélé Provincial faifoit fa vifite dans le Couvent de Lié- 

e , lorfque le Clergé de cette Eglife délibéroit fur le projet 
. nouvelle Fête pour honorer le Saint-Sacrement. Ce def- 
fein , propofé par des perfonnes d’une grande piété, étoit 
aprouvé par les uns, & contredit les autres. Hugues de 

e Liège, & par les Cha- 
noines de faint Martin, éxamina avec Bin cette afaire ; & 


r U Partem negativam ita defendit ut cjus {ententix omnes adhælvcrint. Echard, 
4) ?- J 95 


_—— 


après 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 22, 
après un éxamen férieux , il répondit qu'il lui paroïfloit jufte , 
& utile à l'Eglife, que l'Inftitution du Saint-Sacrement fût 
célébrée par une Fête particukére , & avec plus de folemnité 
u'on ne vos fait jufqu’alors. Il expliqua les raifons qui le 
D tien parler ainfi : Mais la réputation .de doëtrine , & de 
fainteté , où il étoit, donna un nouveau poids à fes raifons. 
On fe conforma à fa décifion. Nous verrons bien-tôt ce que 
ce favant Religieux , devenu Cardinal, & Légat du Pape en 
Allemagne , fit dans la même Eglife de Liège, pour éten- 
dre, ou gutorifer davantage cette dévotion, & la rendre 
toujours plus folemnelle. 

Cependant les vifites qu'il continuoit de faire réguliére- 
ment dans tous les Couvens, ou Monaftéres d'une vañfte Pro- 
vince ; le foin de tout un Ordre , qu’il gouverna pendant une 
année après la démiflion volontaire de faint Raymond; fes 
réponfes à plufeurs Savans , qui lui écrivoient pour le con- 
fulrer : & les diférentes afaires , dont il étoit chargé quelque- 
fois par le Pape , & fouvent par les Evêques : Ces ocupations 
fi multipliées ne lui firent jamais négliger ni la priére , ni l’é- 
tude. Et tous les momens , qu’il ne us as aux befoins de 
{es Freres , étoient confacrés ou à la méditation des faintes 
Ecritures , ou à la compofition de divers Ouvrages, dont il 
enrichifloit le Public. Un Livre intitulé, Le Miroir des Pré- 
tres ; un ample Commentaire fur les Pfeaumes , que quelques- 


LIVRE 
I. 


HuGuEs 


DE S. CHER. 
D — À 





Fleuri, Liv. Lxxxw, 
1. 16. 


XLII. 
Saintes ocupa- 
tions du Serviteur 
de Dieu. Ses Ou- 
yrages. 


uns ont autrefois atribué à Aléxandre de Halez , mais que les” 


Critiques , après Henri de Gand (1), & faint Antonin, re- 
connoiflent aujourd’hui être d'Hugues de faint Cher * ; de fa- 
vantes notes fur tous les Lires de l’Ancien & du Nouveau 
Teftament , ou fes explications de la Bible felon le fens litté- 
ral & fpirituel : tels étoient les fruits de {es veilles, & fon 
travail. Mars , ajoûte M. Dupin, l'entreprife la plus utile, & 
qui pat Ja mémoire , c'efl la eee ls de la Bible, dont 
il fut l'Inventeur. | 

Ces belles produétions de fon efprit parurent prefque toutes 


(1) Hugo Ordinis FF. Pradicaterum..…….. traté, pour le reftituer à Hugues de faint 


totum Corpus veteris ac noui Tefiamenti di- 
citur poflillaffe : diffufius tamen [cripfit in 
P/almos. Henricus Gandav. de Scrip. Ecci. 
C. XL. 

*  Poffevin , trompé peut-être par une 
Edition faite à Venile l'an 1496 , avoit 
atribué ce Commentaire fur les Pfeaumes a 
Alfxandre de Halez; mais il s’eft depuis re- 

Tome JL, 


Cher , fon véritable Auteur : Sciendum eft 
autem aliquande Alexandro Alenfi fuiffe 
afcriptos Commentarios in Pfalmos , qui ve- 
rè funt Hugonis. Poflev. in Appar. facr. 
Verbo Hugo. T.I, p.770. Hinc expun- 
gendum quod idem incautss [cripferat ; p. 
33, ejufiems voluminis, 


F£ 


LIVRE 
III. 


Hucurss 


DE S. CHER. 
D 


XLIII. 

* Son Eloge par 
Mariana, Eif. 
d'E‘pagne , Liv. 
XIII , p.15. 





Pag. 129, 340, 141. 


XLIV. 
Innocent IV le 
charge de diverfes 
Coimmiflions. 


226 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


dans le tems , qu'il étoit encore chargé du gouvernement de 
la Province de France. Aufh eft-ce fur l'année 1241 , que 
Mariana , Jefuite Efpagnol * , qui fait honneur à fa Nation de 
la naiffance de ce grand homme , parle ainfi de fa réputation, 
& de fes Ouvrages : “ Environ ce même tems fleuriffoit Hu- 
» gues , Dominicain, né à Barcelone , fameux par la vafte 
» étenduë de fon génie, & fa profonde érudition. Il écrivit 
» de grands & dortes Commentaires fur prefque tous les Li- 
, vres de l’Ecriture Sainte. Cet illuftre Cardinal entreprit le 
» premier avec un travail prefque infini , de faire leg Concor- 
» dances de [a Bible. Quelque long, pénible, & ennuïeux 
» que fut ce grand Ouvrage, il y réuffit, & trouva le moïen 

Es l'éxécuter, aidé de cinq cens Religieux de l'Ordre de 
» faint Dominique , qui y travaillérent avec une aplication , 
» qu'on ne fauroit trop louer , và l'avantage que tous les Sa- 
» Vans en ont retiré, & qu'ils en retirent encore. Les Juifs 
» & les Grecs, à l'uinitation du Cardinal Hugues, mais long- 
» tems après fa mort, entreprirent de faire de femblables Con- 
» Cordances ; ce qui eft d’un fecours merveilleux pour tous 
» ceux qui s’apliquent à l'étude de ces deux Langues fi nécef- 
» faires à l'intelligence des Livres Saints ,. 

Dans le premier Tome du Bullaire de l'Ordre des Freres 
Prècheurs , jetrouve trois Brefs d'Innocent IV adreflés à Hu- 
gues de faint Cher encore Provincial de France. Par le ne 
mier , daté de Rome le treizième de Décembre 1243, le Pape 
Jui ordonne d’éxaminer les raifons , qui avoient empêché juf- 
qu’alors l’Abé de Secufe dans le Diocèfe de Turin, de fe faire 
ordonner Prêtre ; lui recommandant de fe fervir de fa fageffe 
ordinaire , ou pour ufer d'indulgence envers cet Abé, ou 
pour lui interdire kéxercice de fes fonétions, felon qu'il le ju- 

eroit plus ou moins coupable. 

L'Eglife de Beley, Ville de France fur les Frontières de Sa- 
voye , étoit depuis long-tems fans Evêque , & le Chapitre 
fans Doyen. Un certain Etienne, qui pendant plufeurs an- 
nées avoit ocupé , & déshonoré cette derniére place, s'étoit 
enfin retiré , foit par l'horreur de fes crimes , foit par la crainte 
du châtiment. Innocent IV par fes Lettres Apoftoliques du 15 
& du 16 Avril 1244, donna commiflion à notre Droyhétl 
de choïfir un digne Sujet pour Le métre à la tête du Chapitre 
de Beley ; & d'obliger enfuite le même Chapitre de procéder 
dans huit jours à l'életion d’un Evèque : faute de quoi, Sa 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 227 


Sainteté ordonnoit à Hugues de faint Cher de nommer lui- 
même un Evêque , de le faire facrer , & reconnoître (1). 
Ces diférentes commifñons , qui fembloient le difpofer lui- 
même à l’éminente dignité, dont il fut bien-tôt après revêtu, 
étoient déja une preuve bien fenfble de l'eftime que le Vi- 
caire de JESUS - CHRIST faifoit d'un homme qui réunifloit 
tant de talens, & dont les grandes lumières étoient encore re- 
levées par de plus grandes vertus. Un ancien Auteur , qui 
avoit été Confefleur & Chapelain d'Innocent IV, nous aprend 
que ce Pape, dès la premiére année de fon Pontificat , fe 
voiant expofé à de grands périls, & méditant lui-même de 
grands defleins, chercha avec foin des hommes puiffans en 
œuvres & en paroles, des Doëéteurs éclairés z vertueux , fa- 
ges, zélés, intrépides ; tels que le demandoit l’état, où fe 
trouvoit alors l'Eglife. La longue vacance du Saint Siège 
après la mort de Gregoire IX, & l'opiniâtre perfécution de 
Frédéric II, avoient réduit les Cardinaux au petit nombre de 
fept. Innocent IV étant encore à Rome le Samedy dans l'Oc- 
tave de la Pentecôte, vingt-huitiérhe de May 1244, augmen- 
ta le Sacré College de douze nouveaux Sujets, tous d’un mé- 
rite éminent, ou fort diftingué ; & c'eft dans cette Promo- 
tion qu'Hugues de faint Cher fut nommé Cardinal Prêtre du 
Titre de fainte Sabine. Le témoignage d'un Auteur contem- 
porain (2), qui parle de cette promotion comme témoin 
oculaire, ne nous permet pas de l’avancer , ni de la reculer. 
On ne nous a point confervé le Bref, que lui écrivit le 
Saint Pere, pour lui ordonner d'accepter cette dignité. On 
peut croire qu'Hugues le reçut pendant qu'il s’aquitoit de la 
dernière commifñon , dont nous venons de parler ; & il eft 
certain que dès le mois de Novembre de la même année il fe 


Livre 
III. 


HUGUES 


DE S. CHER. 
Rs 








XLV. 
Hugues de faine 
Cher eft fait Car- 
dinal Prêtre du ti- 
tre de Sainte Sa. 
bine. : 


rendit à Sufe , Ville d'Italie 


(1) Capitulum ipfius Ecclefiæ moneas at- 
. tentius, & inducas , ut infra octo dies poft 
monitionem tuam , de tuo confilio , & af- 
fenfu , eligant fibi perfonam idoneam in E- 
pifcopum , & Paftorem. Alioquin tu ex tung 
provideas cidem Ecclefiæ de perfona idonea 
vice noftra , & facias ei à fuis fubdiris obe- 
. dientiam, & reverentiam debitam exhiberi, 
ac ci....-munus confecrationis impendi, 
&c. In Baullar.T. I, p. 141. 

(2) Poft hæc cernens Dominus Papa fe 
plurimum Fratrum indigere confilio, cm 
non effeac tunc nil feptem in Ecdefia Car- 


dans le Piémont, où il eut 


dinales , primo anno Pontificatüs fui in Ec- 
clefia Beati Petri Apoftoli de Urbe , Sabbaro 
infra otavam Pentecoftes, duodecim Car- 
dinalium , fcilicet trium Epifcoporum, & 
trium Prefbiterorum , & {ex Diaconorum 
Ordinatione decentiflimà Ecclefiam ador- 
navit.... D. Otto Epifcopus Tufculanus, 
& de Hugo tit. Sanétæ Sabinx Prefbiter 
Cardinalis, qui venerunt de Francia, & qui 
in Caftro Saguliæ fui Cardinalatüs nl 
reccperunt , diéto fummo Pontifici occurre- 
runt , &c. Nic. de Curbio Minor, in Vita 
Inso. Papa IV. 4p. nr: T.1, p. 196. 


fi 


LIVRE 
III. 


HUGUES 


DES. 


CHER. 





Hift. des Cardin. 
Franc. Liv.1I,p. 2132. 


XLVT. 


Il fert a. 
Je Pape dans le 
Cancile de Lyon. 


228 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
l'honneur de faluer le Pape, qu'il nn à Lyon : Ce fut 


là qu’en préfence de faint Louis, de l'Empereur Baudouin, 
des Patriarches de Conftantinople & d’Antioche, & d'un 
grand nombre d’autres Prélats , Sa Sainteté lui donna le Cha- 
peau de Cardinal. M. Duchefne ajoûte que la modeftie d'Hu- 
gues de faigt Cher lui fit d’abord refufer une dignité , dont 
tout le monde croioit qu'il devoit être revêtu à jufte titre ; &c 
que fa réfiftance ne püt être vaincuë, que par le commande- 
ment abfolu du Pape, & les preffantes exhortations du Roi 
faint Louis. Il y avoit Fra ans que cet illuftre Perfonnage 

ortoit l’'Habit de S. Dominique ; & il en paffa autant fous la 
5 re, fans que l'éclat de l’une lui fit jamais oublier ee qu'il 
devoit à l'autre. Eloigné de tout fentiment d’orgueil, d'am- 
bition , & de cupidité , il ne parut ni moins pénitent, ni gué- 
res moins recueilli dans le tumulte de la Cour, qu'il avoit 
été dans le repos du Cloitre : & parmi les grandes afaires , qui 
partageoient néceffairement les atentions de fon efprit, en 
cœur fut toujours à Dieu fans partage. 

Dès le mois de Janvier 124$, Innocent IV commença à tout 
difpofer pour le prochain Concile Général , dont il fit l’ou- 
verture | le mois de Juin de la même année. Et le nou- 
veau Cardinal, en qui ce Pape montra toujours depuis la 
confiance la plus safe , eut beaucoup de part à tout ce qui 


fut réglé dans le même Concile (1), foit pour réformer les 


mœurs des Peuples & du Clergé, foit pour réprimer l'info- 


Jence des Sarrafins , la cruauté des T'artares., les entreprifes 


des Grecs, & celles de l'Empereur Frédéric IE. C'eft à ces 
rincipaux chefs que le Pape Innocent IV avoit réduit tous 
. maux , dont il falloit chercher le reméde ; & qu'il apelloit 
les cinq fléches , qui lui perçoient le cœur. | 
Dans le même tems Aimery Archevêque de Lyon, Prélat 
refpetable par fa piété, & par fa doétrine , mais déja chargé 
d'années & d'infirmitez , fit la démiflion volontaire de fa 
dignité entre les mains du Pape; & fe retira au Monaftére de 
Grandmont , pour y paffer le refte de fes jours dans les faints 
éxercices de la pénitence , & de la priére. C’étoit au Vicaire 
de JESUS-CHRIST à donner un nouveau Pafteur à l'Eglife de 
Lyon; & fi nous en croions quelques Auteurs, le fort tomba 


{x} Hugone deinde ad graviora Eccleñæ 
ncgoth , ut viro induftrio & intrepido fum- 
us lontifczx ufus eft, Quantum ei fucrir 


utilis in Concilio Lugdunenfi primo , nar- 
rant qui Aéta fcriplerc. Ech#rd TT. I, p. 1954 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 229 
fur Hugues de faint Cher. Onuphre le dit expreflément dans 


fa Chronique. Léandre Albert dans fon troifième Livre des 
Hommes Illuftres, Ciaconius, Fernandez, Antoine de Sien- 
ne, Thomas Malvenda, Duboulay, & plufeurs autres Ecri- 
vains, cités dans le premier Tome du Bullaire de l'Ordre des 
Freres Prêcheurs * , ont fuivi le même fentiment. Le favant 
Pere Echard au contraire rejéte hautement cette opinion ; & 
il prétend que felon les Hiftoriens du treizième fiécle , Hugues 
de faint Cher ne fe démit de fa Charge de Provincial, que 
pour entrer dans le Sacré College ; & qu'il ne fut jamais fa- 
cré Evêque (1). 
I n'efl pas impofñible de concilier des fentimens qui pa- 
roifient fi opofés : Don Denis, dans fon quatriéme Tome de 
Gallia mp res aflure qu'après l'abdication d’Aimery, le 
Chapitre de Lyon avoit élu, ou poftulé Hugues de faint 
Cher pour fon Archevêque. Et il ajoûte que le Pape , qui 
avoit d’autres deffeins , au lieu de confirmer cette életon : 
donna la Pourpre à l'Archevèque élu , & l’Archevêché à Phi- 
lippe de Savoye (2). Il eft certain que ce Prince fuccéda im- 
médiatement à Aimery ; & le Pere Echard a raifon de dire 
que notre Cardinal ne fut jamais chargé de la conduite de l’'E- 
life de Lyon. Ceux . ont penfé autrement, fe font fans 
oute apuiés fur l’éleétion , ou la poñtulation du Chapitre, 
fans éxaminer davantage ce fait. 

Après le Concile de Lyon, pendant le féjour que le Pape 
Innocent IV fit dans cette Ville, les Religieux du Mont Car- 
mel s’adrefférent au Saint Siège , pour demander une explica- 
tion de leur EE qui paroifloit à plufieurs , ou obteé ; 
ou trop auftére. Le Souverain Pontife commit pour cela Hu- 
gues de faint Cher, qui s’aquita de cette commiflion avec 
autant de fuccès, que de foin & de diligence. “ Nous obfer- 
vons, difoit long-tems après fainte Thérefe, la Régle de « 
Notre-Dame du Mont-Carmel, fans aucune mitigation, « 
telle que le Pere Hugues , Cardinal de fainte Sabine, l'a « 


(1) Sed non fine correétione dimittendi | unquam Epifcopali infulà dotatum. Ibid, 
noftri Leander Albertus , Lufitanus, & alii | p. 197. 
fequaces, qui Hugonem à Sancto Charo vo- (2) Abdicante Aimerico , in Archiepif_ 
Junc primo ad Sedem Lugdunenfem eve- copum Lugdunenfem elcétus , feu poftuta- 
étum , exinde ad Collegium Cardinalium | tus, eft Hugo. Sed Innocentius, qui Phi- 
afcitum. Apud ue noftros Gerardum | lippum tanto benefñcio cohoncftare vole- 
de Fracheto , Salanhacum , & Bernardum | bat, Hugonem Cardinalirià purpura ftatim 
Guidonis concors eft fententia ex Provin- | induit. G#/. Chr. I. IV, Col. 143. 
çiali Franciz faétum Cardinalem , nulläque 

FF if 


LIVRE 
IT. 


HuGuEs 
DE S. CHER. 
Ne 4 
W  Pag. 255. 
XLVII. 
Il n'a point été 
Archevêque de 
Lyon : 


XLVIII. 
Quoique poftulé 


par le Chapitre. 


XLIX. 
Ce Cardinal ex- 
pre & adoucit 
ancienne Régle. 
des Carmes. 


Dans fa Vie: Chap. 6 


230 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE , ordonnée, & qu'elle a été confirmée par le Pape Inno- 
IL. » cent IV ». 
Huçues Lannalifte des Révérends Peres Carmes Déchauflés ex- 
DES. Cuer. plique ainfi ce fait: “ Saint Simon Stok , Général des Car- 
———" » mes, tenant fon Chapitre en Angleterre , fut prié par des 
Lit. Carmel de y mg is particuliers , de réfoudre ag Le dificultez , 
Mu ” »# qui fe rencontroient dans la Régle, que faint Albert Pa- 
» triarche de Jérufalem leur avoit donnée. Le faint Général, 
» & les Définiteurs députérent au Pape Innocent IV , pour 
» le fuplier humblement de déclarer fa volonté fur ce he 
» Le Vicaire de JESUS - CHRIST aïant écouté les Députez 
» avec bonté, nomma pour Commiflaires Hugues de faint 
» Cher, Cardinal de fainte Sabine, & Guillaume Evêque 
» d'Anterade, Ville de Syrie, qu'on nomme aujourd’hui Tor- 
» tofe. Ces deux grands Perfonnages , étant l’un & l’autre de 
» l'Ordre de faint Dominique ; c’eft-à-dire , d'une Famille, 
» qui de tout tems a eu beaucoup d’afeétion pour les Reli- 
; es du Mont-Carmel, travaillérent avec grand foin, & 
. eaucoup de prudence à régler toutes chofes felon les in- 
‘ » tentions du Pape; & ils déclarérent au nom de Sa Sainteté, 
» que certains Statuts de cette Régle devoient être adoucis, 
» parce qu'ils éroient trop auftéres. Ils les adoucirent en éfet 
» par un tempérament fort fage , & très judicieux : & ren- 
» voiïérent les Députez du Chapitre Général avec la déci- 
» fion de leurs doutes. C’eft la Règle que gardent aujourd’hui 
les Carmes Déchauflés ,. 

Bullar, Or, T.1, Je trouve la confirmation de tout ce qu'on vient de dire dans 

Fo un Bref du Pape Aléxandre IV , conçu en ces termes: 


Ÿ 


LEXANDRE, Evêque....:. à nos chers Fils, le Su— 
AN périeur Général , & les Freres Hermites de l'Ordre du 
Mont-Carmel , SALUT ET BÉNÉDICTION APOSTOLIQUE. 
La raifon & la charité nous portent à écouter toujours favo- 
rablement les demandes qu’on nous fait, lorfqu’elles font fon- 
dées fur la juftice, & l'honnêteté. C’eft pourquoi notre Pré- 
déceffeur Innocent IV , d’heureufe Mémoire , aïant commis 
{elon vos défirs , notre cher * Fils Hugues, Cardinal , Prêtre 
de fainte Sabine, & notre vénérable Pre , Guillaume , Evé- 


Hugues , fon cher Fils. Cette expreffion eft 
une nouvelle preuve, que le Cardinal de, 
Sainte Sabine n'avoit pas été facré Evêque. 


_* Le Letteur peut remarquer ici, que 
le Pape Aléxandre IV apelle l'Evèque d'An- 
crade , fon vénérable Frere i & le Cardinal 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 231 


que d’Anterade, pour sg » Corriger, ou adoucir quel- 

ques points de votre Régle , comme il paroît par les Aëtes, qâi 
en furent dreflés , nous voulons bien (ainfi que vous le fou- 
haitez ) aprouver , & confirmer par notre EE" Décret Apof- 
tolique , ces éclairciflemens , cette correction , ou mitigation ; 
de même que les Lettres de notre Prédécefleur', que nous fai- 
fons inférer mot pour mot dans les nôtres. Donné à S. Jean 
de Latran , le troifiéme des Nones de Février , la feconde an- 
née de notre Pontificat ; c'eff-a-dire , l'an 1256. 


Selon François Duchefne, après que l'Empereur Fréde- 
ric IT eut été dépofé dans le Concile de Lyon, notre Cardi- 
nal fut envoyé en Allemagne , pour porter les Elefteurs à 
métre inceffanment un autre Prince fur le Trône de l'Empire. 
Sixte de Sienne, Poffevin , & quelques autres Modernes , di- 
fent la même chofe ; mais le fentiment commun, & fans doute 
le mieux fondé , difére cette Légation de plufieurs années , & 
lui donne un autre objet. En éfet , depuis la Sentence pro- 
noncée contre Fréderic en 124$ , jufqu’à fa mort arivée l’an 
1250, nous trouvons deux Eleétions d'un Roi des Romains ; 
aufquelles il ne paroît pas que le Cardinal de Sainte Sabine 
ait eû aucune part. Philippe Fontaine , Evêque de Ferrare, 
etoit Légat en Allemagne aucommencement de l'année 1 246, 
lorfque Henri , Lantgrave de Turinge , fut élà Empereur 
par les Archevêques de Mayence & de Cologne , fuivis de 
quelques Seigneurs laiques.Ce Prince aïant gagné une Bataille 
le jour de faint Dominique, quatrième d'Aoùt ,ilen perdit 
bien-tôt après une autre ; & mourut de chagrin dans le Ca- 
rème de 1247. Le Légat , Pierre Capoche, Cardinal du ti- 
tre de faint George au Voile’ d’or, aflembla enfuite quel- 
ques Evêques , & autres Seigneurs , qui proclamérent Em- 
pereur Guillaume , Frere du Comte de Lol ande , jeune Prin- 
ce d'envirof vingt ans , bien fait de fa Perfonne, & foutenu 
par de grandes alliances. La premiére de ces deux Ele&ions 
fut faite le 17 de Mai 1 246 ; & la feconde, le troifiéme d'Oc- 
“de 1247. Hugues de faint Cher étoit encore auprès du Pape 
à Lyon. | 


Cege fut donc qu'après la mort de Frédéric II, qu'Inno- 


cent IV fe difpofant à retourner en Italie l'an 1251 , envoya 


LIVRE 
III. 


HuGuzs 


DE S. CHER. 
RSR 








Liv. II, p.234 


Fleuri, Liv. Lxtxr1, 
n. 36. 


Ibid, n. ç2, 
Ibil, 11, ss, 
L . 


Hugues va en A[- 


le Cardinal de Sainte Sabine en Allemagne , avec la qualité lemagne, avec la 


de Légat à latere ; non pour faire élire un Roi des Romains 


qualité de Légar à 


3 latcre, 





2,2 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE mais pour y foutenir par fa préfence , & la fagefle de fes con- 

HT. ftils , les intérêts de ET hs de Hollande (1) , & ceux de 
. Huçues la Religion. Rien ne pouvoit être plus importantpour le Saint 
DES, CHER. Siêge, ni plus périlleux pour le Légat , que la commiffion 
dont on le chargeoit. Un grand nombre de Princes, & de 
puiffans Seigneurs Allemans demeuroient toujours fortement 
atachés à la Maifon de Souabe , & aux Enfans de Frédéric. 
Le Prince Conrad , fon Fils, fe portoit pour fon Succeffeur 
a l'Empire : & fes nombreufes Troupes , difperfées dans tou- 
tes les Provinces, animoient le zéle , ou relevoient le cou- 
rage de fes Pärtifans ; tandis que ceux de Guillaume de Hol- 
lande ( qu’on apelloit par dérifion l'Empereur des Prêtres ) ne 
le foutenoient que 6 nee D'ailleurs , la licence des Peu- 
ples , & la corruption extrême du Clergé , dont la politique 
de Frédéric avoit difimulé les défordres , ne pouvoient que 
faire redouter la préfence du Légat, & porter la plüpart Ep 
coupables à fe joindre aux ennemis du Pape , pour tendre par 
tout des pièges à fon Miniftre. Notre Cardinal avoit prévû 
tous ces dangers : mais ayant mis fa confiance en Dieu, il ne 
penfa _ obéir aux ordres de Sa Sainteté. 

La Chronique de Colmar porte, que le Cardinal Hugues 
étant arivé à Strafbourg , il y fu reçù avec des honneurs ex- 
traordinaires ; & que le lendemain matin , comme il fe difpo- 
foit à célébrer les faints Myftéres , il y eut un fi grand con- 
cours des Peuples , qui a hd recevoir fa bénédiétion , 

ue l’Eglife n étant pas afflez vañte, 1l fallut drefler un Au- 
tel dans la Place , qui eft devant le Couvent des Freres Prè- 
cheurs. Le Légat continua enfuite fa route, acompagné de 
l'Archevêque d'Embrun , Henri de Sufe, depuis Cardmal 
Evêque d'Oftie. Le trouble & la violente agitation , où fe 
trouvoient tous les Etats en Allemagne , ne l’empéchérent pas 
de traiter avec les Eleéteurs , & les aurres Princes ; dont quel- 
es-uns abandonnérent le parti de Conrad, felen les défirs 

u Pape. L’Archeyêque de reves ne fut point de ce nombre : 
auffi Bat acufé d’avoir infpiré , ou du moins favorifé l’entre- 
prife des Habitans de Coblentz , qui , s'étant joints à la gar- 





.. (x) Anno Chrifti 1251, indiétione no- | Hugone tituli fanétz Sabinæ Prefbitero Car- 
nà , Innocentius Pontifex audità Lugduni | dinale Legato , eundem Guillelmugg ad rem 
morte Friderici,Guillelmum Germanix Re- | fortiter agendam hortatus eft ; Principibuf- 
gcm iterum confirmavit; & Conradum Fri- | que Imperii mandavit, ut ei firmiter adhæ- 
derici Filium , omnefque ejus fautores ex- | rcrent , rejcéto Conrado Friderici Filio. 
communicavi. Mifoque in Gcrmaniam ! Sposdanns #4 An, 1351, 0.3 

| nifon, 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. :33 


mon , tombérent brufquement fur quelques re des 
Croifez,atachés au parti de l'Empereur Guillaume de Hollan- 
de ; en mirent une partie en fuite ; en pañlérent plufieurs au fil 
de l'épée , & en précipitérent quelques-uns dans le Rhin (1). 
Innocent IV étoit F Péroufe , quand il aprit cette nouvelle ; 
&c aufli-tôt il adreffa deux Brefs À fon Légat. Par le premier, 


Hugues étoit chargé d’'éxaminer avec foin la vérité du fait (2), 


Le procéder enfuite , de la maniére qu'it eft marqué dans le 


econd , contre l’Archevêque de Treves , s'il fe trouvoit cou- 
pable du crime, dontil étoit violenment foupçoné. Ces Let- 
tres Apoftoliques font du 12 Décembre 1252. 

Nous ignorons quelles furent les fuites de cette afaire : 
mais nous favons que dans le cours de fa Légation , notre 
Cardinal réforma plufieurs abus trop multipliés, tant par- 
mi les Peuples, que dans le Clergé d'Allemagne. Il rétablit 
le Service Divin , interrompu, ou mal célébré dans plu- 
fieurs Eglifes , donna à quelques-unes de bons Miniftres, 
ou en chaffa ceux qui continuoient à déshonorer leur Profef- 
fion par une vie fcandaleufe ; confirma les Priviléges , & fou- 
tint les Immunitez de quelques Maifons AT 2 , qu'il re- 
tira de l'opreffion ; cafla. , ou réhabilita felon qu'il convenoit, 
plufieurs mariages contraftés contre les Loix , & la Difcipline 
de l’'Eglife ; fit part des Graces du Saint-Siége à plufieurs Pis 
ces, ouilluftres Familles , qui avoient fait de grandes pertes, 
ou qui foufroient encore la perfécution à caufe de leur ata- 
chement à la Cour de Rome. Tout cela paroït par les Brefs 
Apoñtoliques d’Innocent IV , ‘adreflés à fon Légat, & rapor- 
tés dans le premier Tome du Bullaire de l'Ordre des Freres 
Prêcheurs. . 

Tous les Hiftoriens ont loüé Hugues de faint Cher , comme 
un Prélat , dont la droiture faifoit le caraëtére , & en qui le 
zéle de la juftice fe trouvoit joint à une fermeté infléxible, 
pour ne jamais faire, ni aprouver ce qui n'étoit pas felon la 


(1) Sufcepic graves &c juftas iras Inno- | (2) Ne igiturtantæ præfumptionis teme- 


LIVRE 
III. 


HUGUES 


DE S. CHER. 
D te À 








LI. 
Fruics de cette LÈ 
gation. 


Videp.214, e15s 
216,217,11235217)9 
234, &c. 


LIT. 
Droiture, & isi< 
tégrité du Légat. 


centius in Treverenfem Archicpifcopum , | ritas, propter D ta tranfeat aliis in 


cüm eo jubente , vel connivente, confluen- | exemplum , mandamus quatenus, fi de pla- 
tiz, qu ipfus ditionis erat , Sculteto Du- | no , & ab{que judicii ftrepitu , fuper hoc per 
ce, à miliibus præfdiariis, civibufque in | te , vel per alium inquirens, invencris ita 
arma concurrentibus , Guillclmi quæzdam | efle, diétum Archiepifcopum moneas, vel 
Crucefignatæ copix partim cæfæ , partim | moneri facias, ut plenariam fuper his fatis- 
diffipatæ, aut præter labentis fluminis aquis | faétionem ad mandatum tuum, imo no- 
merfæ fuiflent. Odoric. Rsin. #4 An. | ftrum ftudeat exhibere , &c. Ibid. de in 
2252, 18 Buller. Ord,T. I, p.119. 
Tome I. Gg 


Livre 
III. 


Huauss 


DE S.CHER. 
D" | 





Bullar. T.1, p. 235. 


334 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


confcience , la probité , ou la religion (1). Selon l'expreffions 
de M. Duchefne , après Ciaconius , quelque vafte que fut fon 
érudition , il étoit encore plus eftimable par l'intégrité de fes 
mœurs , & par fon éloignement de tout ce qui reffent l'ava- 
rice, ou la “oc Aiant été un jour vivement follicité de 
fuprimer une feule parole, qu'il croiïoit pouvoir fervir à la 
gloire de Dieu, & à la défenfe de la vérité, il méprifa géné- 
reufement une grande fomme, qu'on avoit ofé lui préfenter , 
& demeura 6 de , pour ne point donner Ë moindre 
ateinte à la vertu, dont il avoit toujours fait profeffion (2). 

Il fe trouva cependant plus d’une fois dans l’ocafon , & la 
néceflité de faire céder fes lumiéres particuliéres à des ordres 
fupérieurs. Nous avons déja vû quels étoient fes fentimens 
touchant la pluralité des Bénéfices. Le Pape Innocent IV, 
lorfqu'il le croïoit avantageux au bien général de l'Eglife, ne 
fe montroit pas trop rigide fur ce point. La difpenfe qu'on 
avoit demandée en faveur d’un jeune Seigneur Allemand, 
pour qu'il pût pofléder-en même-tems plufeurs Bénéfices , le 
Saint Pere l’acorda par fon Bref du quatriéme de Juin 1253 : 
&c il fit pañler ce Bref par les mains de fon Légat. Nous vou- 
drions que l’Hiftoire nous eût apris quelle fut la conduite du 
Cardinal en cette ocafñion. Nous ne fommes pas mieux inf- 


_truits des véritables motifs qui le portérent à dépofer Chriffien 


Serar. rerum Mo- 
Quut, Liv, V, 


Archevêque de Mayence. Onfait, il eft vrai, que ce pacifique 
Prélat n’étoit pas au gré de l'Empereur Coillames de Hol- 
lande, & qu'il fut acufe auprès du Pape d’être entiérement 
inutile à l'Etat, parce que peu éxercé au métier de Ja guerre, 
il n'alloit qu'à regret aux expéditions militaires , quand il y 
étoit apellé par le Souverain. Mais ces raifons , qu’on donne 
de fa dépofition (3) , ne paroïffent guéres plaufibles : encore 


(x) Univerfim judicem incorruptum , re- 
éti tenacem, ac ne larum quidem unguem à 
juftitia deflectentem , Hugonem , ubique 
& femper quoad vixit expcrti funt omnes, 
& uno ore prædicant qui de co fcripicre, 
&c. Echard. T. I, p. 196. 

(2) In hoc viro eruditio fanétiratem non 
fuperabat : cum illi magna pecuniz fumma 
oblata eflct , non ut aliquid contra æquita- 
tem diceret, fed ut al pro æquitate crat, 
#lentio præteriret, eam magno animo réje- 
cit. Ciaconi. T. I, Col. 697. 

(3) Chriftianus Archicpifcopus Mogun- 
tinus . . . . depofitus afleritur ab Hugone 


A 


Cardinale Legato : cum in odium incurrens 
Guillelmi Regis & aliorum Principum, ex 
co quod vocatus ad expeditiones militares 
invitus accederet , accufatus fuiflet apud 
Pontificem tanquam prorfus inutilis Eccle- 
fiæ, Quoniam enim receptiflima horum 
temporum Germaniæ confuetudo erat, ob 
continua bella inter Ecclefiam & Imperium, 
ut ctiam Epifcopi arma traétarent , exerci- 
tufque ducerent, vel iis intereflenc , vifus 
dt Reoi vir ifte probus Epifcopatu indi- 
gnus , quôd ipfum ad bella fequi, togamque 
& pedum in fagum & gladium mutare nol- 
ler, &c. Spondan. 44 An, 1151,9n,7. 


tre, & refpeéter la Re 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 235 


moins feroient-elles conformes à l’efprit des Canons , dont le 
Cardinal de fainte Sabine fut toujours fi religieux obferva- 
teur. Nous aimons mieux croire que l'Hiftorien de Mayence 
a voulu taire les véritables raifons de cette dépofition; ou 
qu'il les a lui-même | SE Ce qu'il ajoûte d'injurieux à la 
mémoire du célébre Henri de Sufe, alors Archevêque d'Em- 
brun , & Collegue du Légat, feroit penfer que cet Auteur 
n’étoit que l'écho des partifans du Prince Conrad. Quoiqu'il 
en foit, la piété folide de notre Cardinal , la fagefle de fes 
démarches, & la vivacité de fon zéle parurent toujours les 
mêmes. La régularité de fa conduite lui mérita l'admiration, 
&r-les louanges des gens de bien , l'eftime même des ennemis 
du Saint Siége. Il fervit utilement le Roi des Romains : & il 
n'édifia pas moins les Fidéles par fon atention à faire connoi- 


Onraporte qu'étant à Liege dans le mois de Décembrer25 2, 
on lui montra un Ofice te Le depuis peu en l'honneur de 
l’augufte Sacrement de l'Autel. Le pieux Cardinal après lavoir 
lù , & aprouvé, voulut donner l'éxemple , & fe fervir de fon 
autorité de Légat Apoftolique pour achever ce qu’il avoit au- 
trefois commencé, n'étant encore que Provincial de fa Provin- 
ce de France : Il célébra la nouvelle Fête à S. Martin du Mont; 
où , au milieu d’une grande multitude , il prêcha fur l’Inftitu- 
tion de la Divine Euchariftie, & aïant dit la Meffe avec beau- 
coup de folemnité , il fit une Lettre adrefléææ à tous les Prélats, 
& à tous les Fidéles dans l’étendué de fa Légation, pour or- 
donner que la Fête du Saint Sacrement füt à l'avenir célébrée 
tous les ans le Jeudy après l'Oétave de la Pentecôte ; & exhor- 
ter les Peuples à s’y préparer par la confeffion de leurs pé- 
chez, & la pratique des bonnes œuvres. Le Pape Urbain IV, 

eu d'années après , étendant cette folemnité à toute l'Eglife, 
A fixa au même jour , re avoit êté marqué par le Légat, & 
fe fervit des mêmes raïfons, qu'Hugues de faint Cher avoit 
aportées , pour inviter tous les. Chrétiens à faire paroître leur 
reconnoiflance envers JESUS-CRHIST dans le Sacrement de 
{on amour. 

Bernard Guidonis nous a confervé une autre Lettre du mè- 
me Cardinal, écrite de Liège le premier de Janvier 1253, 
pour faire obferver dans tous les Chapitres & dans les Com- 
munautez Religieufes , les Bulles de Gregoire IX touchant 
la Fête de faint Dominique , dont quelques Eglifes d’Allema- 


Ggi 


D 


LIVRE 
III. 


Hucuess 


DE S. CHER, 
D 15e 


Voyez Fleuri, Liv. 
LXXXIIT y 7 17. 


Idem, Liv. LXxxv 
CON 26, 27. 2 


LIII. 

Il écrit à toué les 
Prélats, & à tous les 
Peuples dans l'é- 
tenduë de fa Lésa- 
tion, pour faire cc- 
lébrer la Fête dus. 
Sacrement, 


LIV. 
Et celle de $. Do- 
minique. 


LIVRE 
III. 


HuGuESs 


DE S. CHER: 
SR 








LV. à 
Le Cardinal res 
tourne en Italie. 


LVI. 
Mort du Pape In- 
nocent IV. 


EVII. 
Création d'Alé- 
andre IV, 


236 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


gne ne faifoient pas encore l'Ofice. C'étoit une nouvelle preu- 

ve que le Serviteur de Dieu vouloit donner de fa dévotion 
envers le faint Patriarche, dont il portoit toujours l’Habit, & 

dont il-gardoit éxaétement la Régle. 

Le terme de fa Légation lui procura une efpéce de repos, 
qu'il mit à profit pour reprendre la plume , & vaquer avec un 
peu plus de liberté à fes éxercices fpirituels. Tandis qu’il s’ocu- 
poit à À nn Ouvrages, & furtout fes Commen- 
taires fur l'Ecriture Sainte ; le Pape Innocent IV mourut à Na- 

les , le feptiéème de Décembre 1254, après avoir rempli le 
Éaine Siège pendant onze ans, cinq mois, & quatorze jours. 
PO aint Cher entra dans le Conclave ; & il ne con- 
tribua pas peu à une éle&tion , qui fit beaucoup d'honneur à 
tous les Cardinaux, parce qu’elle fut promte , pacifique , & 
en faveur d’un Sujet digne de monter fur la Cliaire de faint 
Pierre. Le Cardinal Raynald, de la Maiïfon des Comtes de 
Signi, Evêque d'Oftie, & Doien du Sacré College , fut élu 
la veille de Noël, & couronné le Dimanche fuivant vingt- 
feptiéme de Décembre. 

Ce nouveau Pontife, qui prit le nom d’Aléxandre IV , eut 
toujours pour. le Cardinal de fainte Sabine les mêmes fenti- 
mens d'efime , & de confiance, qu’avoit fait paroître fon 
prédéceffeur : mais il ne le chargea point de nouvelles Léga- 
tions , parce. qu’il aimoit à l'avoir toujours auprès de fa Per- 
fonne , afin de rec@roir fes confeils dans la conduite de l'Egli- 
fe , qui étoit menacée au-dehors par les incurfions des T'arta- 
res, & fort agitée au-dedans par les divifions des Chrériens. 
On fait que ce fut principalement aux lumiéres de notre Car- 
dinal, que le Saint Pere commit l'éxamen de deux Livres, qui 
faifoient alors beaucoup de bruit dans le monde ; & qui 
avoient excité la jufte indignation de tous les Fidéles , qui ai- 
moient la paix, ou qui s'intérefloient à l'honneur de laRelie 
gion. Nous avons eu ocafon de parler ailleurs de ces deux 
mauvais Ouvrages , & de leur condamnation. Le premier, 
dont on n'a peut-être jamais bien connu l’Auteur, étoit rem- 
pli d'erreurs, ou d'héréfies , préfentées fous un dehors de 
piété. Et le fecond , expreflément compofé pour décrier quel- 
que mr Religieux, par une ridicule aplication de ce qu'a- 
voit prédit faint Paul , en parlant des périls des derniers tems, 
ne contenoit peut-être pas moins de venin ; & paroifloit en- 
core plus propre à divifer les efprits, ou à nuire à la vérité, 
en détruifant la charité, | 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 237 


* Hugues de faint Cher, avec un autre Doéteur Dominicain, 
Archevèque de Mefline , aïant foigneufement éxaminé le pre- 
mier de ces deux Livres , en réduifit les principales erreurs à 
vingt-fept articles ; condamna tout l'Ouvrage ; &r le fit brûler 

ar ordre du Pape. Le fecond , après un éxamen encore À va 
rpssie , parce qu'il avoit des défenfeurs , eut le même fort; 
& la condamnation en fut publiquement prononcée par Alé- 
xandre IV, dans l’'Eglife Cathédrale d'Anagni. Sa Sainteté 
commit enfuite notre Cardinal , & Jean des Urfins pour. re- 
cevoir la foumiflion de quelques Doéteurs , qui avoient pris 
la défenfe du Livre avant le jugement rendu. 

Pendant tout le Pontificat d’Aléxandre IV , & les deux pre- 
miéres années de fon fucceffleur, Hugues de faint Cher conti- 
nua avec le même zéle, & le même fuccès à confacrer fes 
veilles à une étude (1) utile à la Religion ; & à faire fervir 
tout ce qu'il avoit de crédit, ou de talens , à la défenfe de la 
vérité, de la juftice, & de l'innocence. Auff fut-il toujours 
confidéré comme le Pere & l’Avocat des pauvres, le Pro- 
teteur des veuves & des orphelins, l’afile des afligés , le 
modéle des Savans , l’apui du Clergé, & le plus bd orne- 
ment du Sacré Colége. Mais fes glorieufes ocupations, &z la 
rigueur de fes pénitences, en augmentant fes mérites , abré- 

érent fes jours. Il en preflentit la fin par un avertiflement, 
sh un Auteur, qui ne pouvoit venir que du Ciel. Dès-lors il 
ferma tous les livres , pour n'étudier que celui de la Confcien- 
ce. Il l'éxamina de fi près fous les yeux de Dieu , que malgré 
cette grande pureté de mœurs , qu'on avoit toujours admirée 
en lui , depuis fon enfance jufqu'au dernier période de fa vie, 
il ne put s'empêcher d'avouer qu'il eût mieux aimé mourir cou- 
vert de lépre, dans l’état d’un fimple Religieux , que revêtu 
de la pourpre de Cardinal (2). ; 

M. Dupin met le décès d'Hugues de faint Cher au mois de 
Mars 1260. Mais c’eft une méprife ; puifqu’il eft certain, 
comme le remarque M. Fleury, après Oderic Raynald , que 
le Cardinal de Ste Sabine s’étoit trouvé au Conclave d'Ur- 
bain IV , élu le vingt-neuvième d’Août 1261. L’Abé Tritheme 


LIVRE 
III. 


HuGuEs. 


DE S. CHER. 
D. À 


 LVIII. 
* Le Cardinal Hui 
gucs de S. Cher 
éxamine , & fait 
brüler deux mau- 
vais Livres. . 





LIX. 
Glorieufes ocu=< 
pations du pieux 
Cardinal. 


Hift. des Cardinaux 
Franç. T. 1, Liv. If, 
Pe 233e 


Aut. du XIII. fi6i 
cle, p.261. 


(1) Inter cæteras autem hujus excellen- | (2) Cüm mortem non longe à fe abefle 


dffimi viri virtutes hæceminet , qud quan- | intelligeret, hæc protuliffe dicitur : quantd 
diu vixit, litteris femper vacarit, & felici- | mallem vel elephantino morbo cruciatum 
rer , ut teftantur cjus in omnes facræ Scrip- | in meo paupere inftituto vixiffe, quàäm Car 
turæ Libros commentaria , &c. D# Bon- | dinalem fille. Cisconi. st fp. 

Lay ; Hifi. Univ, Pari, T. III , p. 197. 


G8 il] 


LIVRE 
III. 


Hucurs 


DE S. CHER. 


* LX,. 
$a mort à Orviete. 


LXTI. 
Son corps eft por- 
té a Lyon. 





LXTII. 
Editions de fes 
principaux Ouvra- 


ges: 


LXIII. 

Quelques Mo- 
dernes obfcurs ont 
inutilement tenté 
de faire douter , fi 
Hugues de S. Cher 
étoit le véritable 
Auteur des Con- 
cordances, 


238 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


aflure qu’il finit fes jours à Lyon; & il eft encore contredit 
ar Étienne de Salanhag Aüteur contemporain : felon lequel 
Ée Cardinal Hugues mourut à Orviete le 19 de Mars1263*. Le 
Pape Urbain IV , & tous les Prélats de fa Cour honorérent 
les funérailles de ce grand homme ; dont le corps d’abord en- 
terré à Orviete, & trouvé l’année fuivante encore entier, fans 
aucune marque de corruption, fut porté à Lyon, pour y être - 
inhumé dans dr de fon Ordre. Ce quife fit en préfence de 
Gui Fulcodi, Cardinal Evêque de Sabine , alors Légat du 
S. Siège , & depuis Pape, fous le nom de Clement IV (1). 
On a fait diférentes Editions de fes Ouvrages, que nous 
avons en huit gros volumes. Ses Notes fur la Bible furent im- 
primées l'an 1504 à Bâle, l’an 1548 à Paris, & à Venife l'an 
1600. Ses Sermons avoient été déja imprimés en 1479 à Zuvol 
dans le Pais-Bas ; & le Miroir des Prêtres à Lyon en 1554. 
Nous ne par!erons pas en particulier de divers autres Ouvra- 
ges , cités par Tritheme , dont quelques-uns font certarne- 
ment du même Cardinal , & quelques autres doivent être re- 
gardés comme douteux, ou même fupofés. Il ne paroît pas 
non plus néceffaire d'indiquer ici les diférentes Editions, qu'on 
a faites des Concordances de la Bible, puifqu’elles font pref- 
que fans nombre. | 
Mais il ne fera pas inutile d'obferver que plufeurs Savans 
aïant travaillé dans la fuite fur le même Es e, pour l'en-: 
richir, & le perfettionner., il eft arivé quelquefois ( peut-être 
à deffein , peut-être par négligence ) que le nom du véritable 
Auteur a été omis dans eo a Editions. Et quoique jufqu’au 
dernier fiécle , les Concordances aïent été unanimement, 
conftanment reconnuës pour l'Ouvrage d'Hugues deS. Cher, 
il a plu à quelques Modernes de former gratuitement des dou- 
tes , & de chercher à les apuier par de vaines fubtilitez , qui fe 
trouvent détruites d'avance, tant par le témoignage exprès 
des Ecrivains du treizième , quararziéme , quinzième & fe1- 
ziéme fiécles ; que par tous les anciens Manufcrits , dont plu- 
fieurs fe confervent encore dans la Bibliotéque de S. Viétor à 


(1) Hic obiit apud Urbem veterem x1v | & fine corruptione repertus , & f{epulrus 
Kal. Aprilis anno Domini 1162 ( ffylo Jci- | ibidem per manum Domini Guidonis tune 
licet veteri, novo autem 1163 ) Sepultuf- | Epifcopi Sabinenfis , & Apoftolicæ Sedis Le- 
que fuir ibidem præfente Urbano Papäin | gati, qui fuit poftmodum Papa Clemens 
ocbfequio funeris , cum Cardinalibus, &|1V, &c. Stephan. Salan. apud Echard, 
aliis Écclefiarum Prælatis, Poftmodum fuit | T. I, p. 197. 
tranflatus apud Lugdunum, quafi integer, 


. DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 239 


Paris, dans celle du Colége de Navarre , & dans diférentes 
Maïfons de l'Ordre des ous Prêcheurs. Il ne feroit point 
dificile de porter la preuve de ce fait jufqu’à l'évidence de la 
démonftration. Auf voyons-nous les plus habiles parmi les 
Modernes d’acord avec les Anciens, pour reconnoître une 
vérité , qui ne fauroit être mife férieufement en doute. 
Nous ne croyons # devoir raporter ici les juftes louan- 
es , qu'ont données à l’'éminente piété , & à la profonde Eru- 
= Fa de notre Cardinal, prefque tous les Auteurs, qui ont 
eu ocafon de parler de lui ; les uns eftiment avec raifon la fu- 
périorité de festalens , l’'étenduë de fon génie , & les grands 
fervices qu'il a rendus à l'Eglife, & à la République des Let- 
. tres. Les autres ont particuliérement admiré fes vertus mora- 
les , fa rare prudence , fon parfait défintéreflement , fa mo- 
deftie, fon humilité, & cet amour de la juftice , qui le gui- 
da dans toutes fes aétions. Sanderus veut que toute la poñté- 
rité révére les lumiéres & la doëtrine de ce favant Cordoal ; 
le premier qui ait fait fur prefque tous les Livres de l’Ecriture 
des Notes, dignes d’être préférées à tout ce qui a été depuis 
écrit dans ce genre , & juftement admirées même dans un fié- 
cle ; où il femble que la Sience des faintes Lettres a été por- 
tée à fa perfe&tion (1). M. Sponde , & du Boulay , après avoir 
loué l'utilité des Concordances , le deflein , le zéle, & la di- 
ligence de notre Auteur , ge apellent un excélent Théolo- 
en, & un Ecrivain illuftre , ils citent Genébrard , qui fem- 
le lui atribuer encore la diftiné&tion , ou diftribution des fain- 
tes Ecritures en diferens chapitres (2). | 


. (1) Hugo de fanéto Charo , Gallus , in 
Diæœcefi Viennenfi natus , ex Ordine Prædi- 
catorum primus ad Cardinalitiam dignita- 
tem affumptus ft. Ejus eruditionem omnis 
ætas reverebitur. Primus quoque in uhivet- 
fa ferè Biblia poftillam Tapie » quæ præ 
cæteris probata, etiam hactempeftate , quà 
fummum facrarum Litterarum eruditio atti- 

itapicem, Doétorum manibus teritur , &c. 
Se in Elosiis Cardinalium. 

(2) Hugo desS. Charo, five de S. Theo- 
dorico dius , infignis Ordinis Prædica- 
torum Thcoloous....& fcriptor clarifli- 
us, qui in univerfam Scripruram juxta 


quadruplicem fenfum breves Commenta- 
rios edidit.... Concordantiarum Biblio- 
rum laboriofiffimum opus,multorum adhibi- 
tà operà, primus omnium inftituit, ingenci 
ftudioforum commodo. Cui tamen operi 
pofteriorum induftria multa addidit. Ejuf 
que diligentiam deinde imitati funt Græci 
& Hebrzi..... Eodemque rémpore , ac 
forté corundem operà qui cum Hugone 
Coricordantias concinnaruñt , primum di- 
ftinéta effe Biblia in Capitula Genebrardus 
exiftimavit : nam anteifta crempora Theolo- 
gos ca non ufurpañle , pofthinc frequenter. 
ponsanus #4 An, 1140, P, 10, 


2 


LIVRE 
III. 


HUGUES 


DES. CHER. 
Ne A 








LXIV. 


Eloge de ce grand 
Homme. 


ue, 4 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
I. ___ PE SRE SPRICE EE RC PE SR PES PE I PE TE 
HENRI POLONOIS, 
EVÈQUE DE CULME, 


LE GAT APOSTOLIQUE. 
HENRI L: s Hiftoriens Polonois & Allemans , ont fouvent par- 


POLONOIS: lé avec éloge du Pere Henri, qu'ils apellent un Homme 
———— puiflant en œuvres & en paroles , l'un des plus zélés Prédi- 
ti aiopor, Cu. Cateurs de la Foi dans le Septentrion , & pe plus illuftres 
fm  r. Prélats de fon tems. Nous voudrions qu'on eut été auffi aten- 
STE tif à nous aprendre la fuite de fes belles a&tions , qu'on l’a été 
|  àrecueillir pe Lettres Apoñftoliques , que les Souverains Pon- 
tifes lui adrefloient ; & Hefquelles il faudra prendre une par- 

tie des faits que nous pouvons raporter. 

Rempli de l’efprit de faint Dominique , & formé par les 

éxemples encore plus que par les inftruttions de faint Hyacin- 

the, fe Pere Henri commença de bonne heure à ajoûter aux 

pratiques du Cloître le Miniftére de la Parole , dont il fit la 

i a rs » &t la plus continuelle de fes ocupations. Le zéle 

Ecat de laReligion de la Réligion & du falut des ames , nelui in pas de voir 
dans le Nord. d’un œil indiférent, ce qui fe pañloit vers le commencement 
du treizième fiécle dans prefque toutes les Provinces du Nord, 

l'ignorance grofhére des Peuples , le déréglement des mœurs, , 

les criminelles pratiques , les vaines fuperftitions de la plüpart 

de ceux qui fe glorifioient d’être Chrétiens , le nombre lle 

infini de Schifmatiques , l’impiété enfin , 8& en même-tems la 

cruauté des Payens, qui, non contens de fe fouiller par des 

facrifices abominables , dont ils honoroïent leurs ftupides 

Divinitez , vouloient encore forcer les adorateurs de JESUS- 

CHRIST de fe conformer à eux , & ne cefloient de leur faire 

une ee auff 2 qu'injufte , pour les ÿ contrain- 
dre. Dans les Miflions , que les Papes & les Supérieurs de 
- l'Ordre de faint Dominique firent Aire dans tous ces Pais , 

Henri de Culme 4fin de procurer le à , Ou la füreté des Fidéles , leur con- 
fe dévoue au fan vVerfion , & celle de leurs ennemis, Henri de Pologne tra- 
Miniflére. vailla avec le zéle d'un Apôtre ; & fes fuccès ne le diftingué- 
rent pas moins que fes talens, . 

Mais 





à 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 24r 


Mais , tandis qu'encouragé par les bénédiétions que le Ciel 


répandoit furfes travaux , il commençoit à efpérer que la rui- 
ne du Paganifme fuivroit de près la converfion de tant de 
Chrétiens , dont il avoit déja réformé les mœurs , ou aboli 
les folles fuperftitions , 1l vit naître un nouveau fcandale , 
qui fittomber les foibles , ébranla les plus forts , & dévoila 
l'hypocrifie de plufieurs. Suantopoulc , Duc de Poméranie, 
facrifiant la Religion à fa Politique , ou à fes deffeins ambi- 
tieux , entreprit de renverfer tout l'ordre des Chevaliers Teu- 
thoniques dans la Prufle. Il traita d’abord fécrétement avec 
les Gentils & les nouveaux Chrétiens du Païs , encore mal 
afermis dans la Foi. Sous prétexte de les faire jouir de leur 
ancienne liberté , il leur fit prendre les armes ; & avec ce 
puiffant fecours , 1] commença à ataquer les Chevaliers , por- 
ta le fer & lefeu dans toutes leurs Places , les en chaffa , ou 
les égorgea : & il fe ao de ne cefler de piller , de brü- 
Jer , ou de tuer , jufqu'ä ce qu'il ne reftât plus ni Chevalier 
Teuthonique , ni aucun ancien Chrétien dans toute la Pruffe. 
C’eft ainfi que ce Prince apofñtat, plus méchant que les Païens 
mêmes qui le fuivoient dans fon brigandage , ayant fait ré- 
volter les Sujets d’un Ordre militaire contre leurs Maîtres, 
les entrainoit dans fon apoñftañe , & faifoit tous les jours de 
nouvelles plaies à l'Eglife. Après s'être retiré de l'obéiffance 

uil avoit jurée au S. Siège , il méprifoit fes avertiflemens , 
es menaces , & fes cenfures. Cette révolte , la premiére con: 
tre les Chevaliers Teuthoniques , ariva l'an 1242, après la 
mort du Pape Grégoire [IX , & avant l'éxaltation de fon Suc- 
ceffeur. 

Henri de Pologne fut des premiers , qui acoururent au fe- 
cours des anciens Chrétiens de Pruffe. Prêt à donner fa vie 
pour confirmer {es Freres dans la Foi , il afronta les dangers 
avec cette intrépidité, que l’Efprit de Dieu infpire aux Hom- 
mes apoftoliques. Cependant le Pape Innocent IV, dès qu'il 
fut monté fur la Chaire de faint Pierre , tourna fes premiers 
regards vers l'Eglife défolée de Prufle : il y envoya en qualité 
de Légat le célébre Guillaume , ancien Évêque de Modéne, 
qui avoit autrefois prêché l'Evangile dans le même Pais. Ce 
ne” Homme , témoin du zéle, & de la fermeté de notre 

aint Prédicateur , l’honora de fa confiance , & l’aflocia à fes 

travaux. Lorfque le Lépat écrivit dans la fuite à Sa Sainteté, 

pour l'informer de l’état des afaires du Nord, & de l’obftina- 
Tome I, | Hh 


LIVRE 
III. 


HENRI 


Poconors. 
D 


III. 
Apoftafie du Due 
de Poméranie : il 
favorife tes Païens, 
& fair révolter les 
nouveaux Chré« 
ticps. 








Odoric. ad An.1245; 
3 245 3 n. 85. 

Fleuri, Liv. Lxxxss 
Be 2le 


IV. 
Zéle, & travaus 
du Pere Henri. 


LIVRE 
III. 


HENRI 


Poconolis. 
SRE 





” Bullar. Ord. T. 1 , 
pP- 145, &c. 


Odoric. ad An.1243, 
"1. 34. 
Fleuri, ut fp. 


V. 
Le Duc, vaincu 
Le les. Croifez , 
emande la paix. 


VI. 
Le Pape écrit au 
Pere Hçnri, 


242 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


tion de Szançopoulc , qui continuoit à faire encore plus d’a- 
poftats par fes artifices, que de martirs par fa cruauté , il nè 
manqua pas de faire connoître les mérites du Pere Henri , & 
les fruits de fes prédications. Le Pape conçut dès-lors une fi 
haute idée des talens , & des vertus du Serviteur de Dieu , 
qu'il le chargea de plufieurs importantes Commiffions , avant 
même qu'il l'eût mis parmi les Princes de l'Eglife. C’eft ce qui 
paroit , par les Brefs qu'on nous a confervés. 

Innocent IV en écriviten même-tems plufieurs autres , foit 
au Duc de Poméranie , à qui il reprochoit fes horribles im- 
PEU , fa cruauté , & le mépris qu'il faifoit de l'Eclife ; foit à 
‘Archevêque de Gnefne, & à fes Sufragans , pour exciter 
leur zéle contre les entreprifes de ce Prince ris : {oit 
enfin aux Provinciaux des Freres Prècheurs de Pologne , & 


d'Allemagne, Le le même fujet (1). Ceux-ci eurent ordre 


de choifir des Religieux dans les Provinces de Magdebourg 
& de Brême , dans les Diocèfes de Ratifbone, de Paflau, 
d’'Halberftat & de Verdun , & de leur faire prêcher la Croi- 
fade contre les Payens de Pruffe , ou des environs , particu- 
liérement contre l’impie Suantopoulc ; afin , difoit le Pape, 
que cet ennemi de Dieu , abufant de la dignité du nom Chré- 
tien , ne puifle fe glorifier d’avoir écrafé impunément les Fi- 
déles. Nos Prédicateurs , répandus dans les Provinces, por- 
térent plufieurs nobles Allemans à prendre la Croix & les ar- 
mes en faveur des Chevaliers Teuthoniques , & des Fidèles 
de Prufle. Le nombre & le courage des Croifez étonnerent 
d’abord le Duc de Poméranie, & lui firent perdre di rives 
de pouvoir continuer fes ufurpations par la force : il eut re- 
cours à fes artifices ordinaires ; & h ne lui réufhrent Fe 
mieux. Enfin , après plufieurs Traitez violés, & plufieurs ba- 
tailles perduës , 1l fe vit réduit à demander la paix en fupliant. 

Le Pape envoya Opizon , Abé de Meffine, pour la con- 
clure.; & Sa Sainteté écrivit en même-tems au Pere Henri, de 


faire fufpendre la Eee de la Croifade, jufqu’à l'arivée 


de cet Abé , avec lequel il éxamineroit ce qu'il conviendroit 
de faire, pour les intérêts de la Religion , & la tranquillité 


des Fidéles dans la Pruffe. M. Fleuri , dit, qu'Opizon fut 


(1) Cæterum qu curà ac follicitudine in- 


demonftrant litteræ tum ad Priorem, & Pro- 
cubuerit Innocentius , ut perdomitas eas 


vincialem FF. Prædicatorum in Germania , 
Barbaras gentes, Chriftianaà Religione ex- | tum ad alios exaratæ , quibus idoneos , ac 
coleret , tum nova fubfidia ex circumpofitis | lediffimos ad Evangelium promulgandum 


Chriftianis regionibus colligi ftuderet. . . . | viros fubmittere impcravir. Oéoric. ut Jp. 





DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 243 


envoyé pour cet éfet au mois d'Oétobre 1243 : cependant le 
Bref , par lequel Innocent IV avertit le Pere Henri, que ce 
Député alloit partir pour la Pruffe , n’eft que du feptiéme Oc- 
tobre 124$ (1) ; & : l’aveu de M. Fleuri , la paix ne fut con- 
cluë , par la médiation de l’Abé de Mefline , qu'en 1246. 
Suantopoulc renonça à l’aliance des Payens , & fut abfous des 
cenfures qu'il avoit encouruës. Dès le mois de Février de 
l’année précédente , le Pape avoit adreffé deux Brefs au Pere 
Henri. Nous métrons ici la Tradu@ion du premier, parce qu'il 
eft fort court : 


NNOCENT .... A notre cher Fils, Frere Henri, 

de l'Ordre des Freres Prêcheurs, Chapelain de notre vé- 
nérable Frere l'Evêque de Sabine , Légat du Saint Siège , 
SALUT , &c. 

Nous nous fouvenons d’avoir ordonné à notre vénérable 
Frere Chriflien , Evêque de Pruffe , de choifir un des Diocèfes 
érigés dans ces quartiers , & de fe renfermer dans les bornes 
prefcrites par l'autorité du Saint Siége. C’eft pourquoi Nous 
voulons qu’en préfence de plufieurs témoins, vous l’avertif- 
fiez qu'il ait à éxécuter nos ordres : n'oubliez rien pour l'y 
engager. Et s'il refufe d’obéir , ou s’il difére plus de deux mois 
après que vous l'aurez averti, vous lui Ôôterez dès-lors par 
notre autorité , l’adminiftration & la conduite de tout Dio- 
cèfe dans la Prufle. Donné à Lyon le huitième des Ides de 
Février , la feconde année de notre Pontificat : c’e/f-d-dire , 
le fixième jour de Février 1245. 


Par un fecond Bref, daté du même jour , le Saint Pere, 
après avoir félicité notre Prédicateur de fes travaux pour la 
propagation de la Foi , lui donne divers pouvoirs : 1°. D’a- 
corder vingt jours d’indulgence aux Fidéles de Prufle, & de 
Culme , qui venoient entendre fes prédications , ou qui con- 
tribuoient en quelque forte à la füreté de leurs Freres , contre 
les violences … Centils : 2°. D’abfoudre des cenfures ceux 
des Croifez , qui les auroient encouruës dans les défordres de 


9 
(1) Præfentium tibi auctoritate manda- | Mezano , quem ad partes illas in proximo 
mus, quatenus in nggotio Crucis , & aliis | tranfmittimus fuperfedere procures, procef. 
contra Prufliæ Neophitos ....tibi vel à | furus poftmodum in eifdem juxta as Ab- 
Sede Apoftolicà , feu quacumque alià Apo- | baris osbaas » &c. Datum Lugduni 
ftolicä auétoritate commiffis , ufque ad ad- | Nonis Oftobris Pontificarôs noftrianno ter. 
ventum dilecti Filii Abbatis Monafterii de | tio. Bwllar. Ora. T. I, p. 156. 


Hh 1j 


LIVRE 
III. 


HENRI 


Pozonors. 
D 











VIT. 
Qu'il fait fon 
Cormiffaire A- 
poftolique. 


VIIT. 
Pouvoirs , & Pri- 
viléges , que Sa 
Sainteté lui acorde, 
pour rendre {on 
Miniftére plus 
utile. 


0 


244 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE laguerre: 3°. D'ufer de difpenfe envers les Clercs, qui , avant 
IT. que de fe faire abfoudre , avoient reçu les Ordres , ou célébré 
Henry es faints Myftéres , foit qu'ils l’euflent fait par ignorance, ou 
Poconors. autrement. Enfin, le Pape vouloit que le Minifre de JEsUs- 
=” CHRIST réconcilit à l'Eglife les Poméraniens, qui avoient 
été excommuniés par le Légat, pour avoir envahi la Prufle, 
& le Pais de Culme. Et il lui permétoit d’éxercer la même mi- 
féricorde envers les apofñtats pénitens, qui prométroient de 
faire fatisfa@ion pour les maux qu'ils avoient caufés aux 
Fidéles , particulièrement aux Chevaliers de l'Ordre Teu- 
thonique. 

Muni de ces pouvoirs, le zélé Prédicateur travailla avec 
Le Re a une nouvelle ferveur à rapeller dans le fein de l'Eglife , tous 
Dieu ufe avec f- Ceux qui avoient eu le malheur de s’en féparer , foit par leur 
see fs Pou- propre malice, ou à la perfuafon , & par les intrigues de 
Suantopoulc. Mais parmi cette multitude de coupables , il fit 
un fage difcernement , afin de ne | ar rebuter par une ri- 
gueur outrée ceux Eu rentroient fincérement dans leur de- 
voir, & ne pas aufh expofer l'indulgence de l'Eglife au mé- 
pris des hypocrites , ou Le libertins impénitens. Il fit connoi- 
tre aux premiers , que leur repentir devoit être acompagné 
d'humilité , de reconnoiffance , & d’une fidélité déformais per- 
févérante. Et ne défefpérant point de la converfion des der- 
niers, ik anima de plus en plus fon zéle, pour leur infpirer 
des fentimens de crainte de Dieu , & un véritable défir de leur 
falut. Le fcandale que venoient de donner les Néophites de 
Pruffe , par leur criminelle confpiration avec les Idolâtres 
” contre les domeftiques de la Foi, devoit fans doute gg 
les Miniftres de l'Evangile à redoubler leurs précautions, foit 
envers les Infidéles , qui demandoient le Sacrement du Baté- 
me , foit à l'égard des Apoîñtats, qui vouloient être admis à 

celui de la Pénitence. 
Pendant que le Serviteur de Dieu s’ocupoit ainfi à faire ou- 
blier les maux pafñlés, & à éloigner , ou prévenir ceux qu'on 
x pouvoit craindre de l'inconftance des Septentrionaux, le Pa- 


ee. ef HE pe le nomma à l'Evêche de Culme, Ville de Pologne dans la 
Fe rufle Roïale , fous l’Archevêché de Gnefne. Cette Eplife 


avoit befoin d'un Pafteur , tel qu'Henri de Pologne’, plein de 

une OT. T, fagefle, de zéle, & de charité, ferme, prudent, aétif, labo- 
rieux , incapable de fe rebuter par les dificultez, n1 d'être 

ébranlé par la vûé des dangers, où fe trouvoient çontinuelle- 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 245 


ment expolés les Miniftres de JEsus-CHRIST , au milieu des 


Infidéles , & des fort mauvais Chrétiens , qui n’avoient pourla 


plupart niconnoiffance de l'Evangile , ni mœurs, ni probité. 
Tels étoient encore vers le ei du treizième fiécle ceux 

on apelloit Néophites, ou nouveaux Chrétiens, dans le 
Diocèf de Culme, & dans le refte de la Pruffle. Toujours 
mêlés avec les Gentils, ces Néophites , pour avoir reçü le 
Batème, n'étoient pas moins atachés aux plus grofhéres fu- 
perftitions des Idclâtres. Comme eux, ils brüloient leurs 
morts ; & avec leurs cendres ils enterroient des hommes, des 
chevaux , des habits, des meubles Épeons Afin de rendre 
plus folemnelle la pompe des funérailles , ils y faifoient paroi- 
tre ces impoñteurs , nommés Zalffons , qui louoient publique- 
ment les morts, des larcins , des meurtres , des impuretez , & 
de plufieurs autres crimes , dont leur vie avoit été fouillée : en 
regardant le Ciel , ces impofñteurs crioient qu'ils voioient le 
défunt volant en l'air, à cheval , revêtu d’armesbrillantes , & 
paffant à un autre monde avec une grande fuite. Tous les ans, 
après la recolte des fruits , les Néophites , ainfi que les Gen- 
ils, ofroient des libations à une Idole, qu'ils adoroïent fous le 


nom de Curche. Selon leur volonté , leur mécontentement, # 


ou la fituation de leurs afaires , ils faifoient mourir leurs en- 
fans , ou les vendoient ; & s'ils les marioient , ils n’obfer- 
voient point les dégrez de parenté fuivant les loix de l’'Eglife. 
L'ufure, le vol, la poligamie n'étoient point regardés parmi 
eux comme des crimes. 

Il n’eft pas néceffaire d'en dire davantage pour donner une 
idée de la religion, des mœurs , & des coutumes de ces Peu- 
ples ; ou pour faire connoître quel fut d’abord l'objet du zéle 
de notre Evêque. Cette nouvelle dignité ne changeant rien 
dans fa vie se , & toute apoñtolique, il continua à rem- 
plir les fonétions du faint Miniftére : mais ce qu’il faifoit déja 
avec un zéle fi édifiant , il le fit dans la fuite avec plus d'apli- 
cation , plus d'autorité , & de fuccès, La parole de Dieu , qu'il 
ne cefloit d'anoncer, fut prefque l’unique moïen , dont il vou- 
lut fe fervir ea abolir tant de vices & de fuperftitions. Par 
la patience & le travail , il mérita d’éprouver la vérité de ce 
qu'a dit fat Paul , que toute Ecriture infpirée de Dieu eft 
utile pour inftruire , pour reprendre, pour corriger , pour 
conduire enfin à la pièté, & à la juftice. L'Epglife de Culme 
recueillit les premiers fruits de fa folicitude Paftorale ; mais les 

Hhi 


Livre 
II. 
HENRI 


Poronors. 
D à 





Superftitions coms 
munes aux Gentils, 
& aux nouveaux 
Chrétiens de Pruf- 


{e. 


Fleuri, Liv, CXXX117; 
n, $. 


f Chron, Prufl. p.466; 
c. 


I, Tim. LI, 269 


Livre 
IL. 
HENRI 


Poronois: 
D 


Tom. XI Concil. p. 








701. 
Fleuri , Hift. Eçcl. 
Liv.cxxxit1, nn, 5. 


XII. 
L'Evèque de Cul- 
me aflitc au Con- 
cile de Breleau : il 
travaille avec le 
Léyat à aflurer une 
{ulide paix. 


: XTII, 

1! commence la 
Réforme de fon 
Diocefe, par celle 
du Chapitre. 


XIV. 
Converfion réel- 
le, ou aparente , de 
Mendog , Duc de 
Lituanic. 


- 


246 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Provinces voifines , les Peuples , & leurs Souverains éprou- 
vérent dans plus d’une ocafion ; que la charité du pieux Pré- 
lat étoit fans bornes. 

Ïl fe trouva avec le Légat du Pape , l'Archevêque de Gnef- 
ne , & les autres Evêques de Pologne , au Concile de Brêleau 
en Siléfie l'an 1 248. On peut voir dans les aétes de ce Concile, 
les fages Réglemens , qu’on y fit pour le maintien , ou le ré- 
blitement de la Difcipline écléfiaftique ; & les fecours , que 
ces Prélats acordérent généreufement au Pape, pour les pref- 
fans befoins du Saint Siége. Dès le commencement de l’année 
fuivante , l’'Evêque de Culme travailla avec le Légat Apofñto- 
lique à régler les diférends entre les Chevaliers Teurhoniques, 
& les Néophites de Prufle. Ceux-ci promirent de renoncer 
fincérement à l’adoration des Idoles , à la poligamie , au meur- 
tre, ou à la vente de leurs enfans , à l’ufage de brüler leurs 
morts , & à toutes les autres pratiques paiennes , dont nous 
avons parlé. Ils DE encore à batir plufieurs Eglifes , 
& à les fournir de Calices , de Livres , d'Ornemens, & des 
autres chofes néceflaires. Les Chevaliers promirent auffli de 
doter ces Eglifes, & de fournir à l'entretien des Curez , en 
atendant que les Néophites fuffent en état de paier les dixmes. 
Ce même Réglement, qui fut figné le feptiéme de Février 
1249, contenoit plufieurs autres articles, qui, en raflurant 
les Néophites contre la crainte de perdre joe liberte, de- 
voient en même tems leur ôter tout prétexte de fe révolter de 
nouveau. La charité de l'Évêque de Culire ne fe lafloit pas de 
procurer toutes fortes d'avantages à un Peuple, qui lui étoit 
Cher. Il l’avoit inftruit par fes prédications ; il fe concilioit 
fon afettion par des bienfaits ; & l'édifioit par la fainteté de 
fes éxemples. 

Longin , dans fon feptième Tome de l'Hiftoire de Pologne, 
nous aprend que ce Prélat, dont il loue beaucoup le zéle , & 
la religion, pour mieux réuflir à réformer les mœurs de fes 
Diocefains, ss par le Chapitre de fa Cathédrale , au- 
quel il fit embraffer la Règle , & les pieufes pratiques des Cha- 
noines Réguliers. Mais ce ne fut qu'en 1250 qu'il vint heu- 
reufeiment à bout de certe Réforme. 

Peu de mois après, Mendog, ou Mindof, Prince de Li- 
tuanie aïant renoncé au culte des Idoles , pour faire profeffion 


de la Loi de JEsus-CHRIST , atira à la Foi un grand nombre. 


de fes Sujets, Et afin de procurer plus facilement la conver- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 247 


fion de tous, il fit prier le Pape d'établir un Evêque dans le 
Pais , & de faire enforte que la conduite des Miniftres de l'E- 
glife, à l'égard des Lituaniens, ne donnût point ocafion aux 
uns de fe repentir d’avoir changé de Religion , & ne mit pas 
d'obftacle à la bonne volonté des autres. Pour marquer en 
même-tems la fincérité de la fienne , ce Prince voulut métre 
fous la prote@ion particuliére du Saint Siège , fa Perfonne, 
& fon Roïaume. Le Pape Innocent IV étoit à Milan , quand 
il reçut fes Ambafñladeurs , &es Lettres ; & 1l lui répondit du 
même lieu. Le Bref eft du feiziéme Juillet 1251. L'Hiftorien 
de Pologne a cru que la démarche de Mendog n’avoit eu rien 
moins que la Religion pour principe , ou pour motif. Ce 
Prince avoit donné quelques Terres aux Chevaliers de Prufle ; 
& ceux-ci lui avoient confeillé de prendre le titre de Roi’, 
ou plutôt de fe le faire donner par le Pape (1). Voilà felon 
Longin toute la raifon de cette converfion aparente. On ne 
blämera pas la réfléxion de cet Auteur, fi on veut juger des 
intentions du Duc de Lituanie par la conduite , que nous lui 
verrons bien-tôt tenir. | 
Quoiqu'il en foit, le Souverain Pontife en jugéa d’abord 
plus favorablement ; il crut qu’il falloit profiter de cette oca- 
fion pour étendre le Chriftianifme dans le Nord. Et fur ce 
lan, le Saint Pere choifit l'Evêque de Culme, qu’il honora de 
L qualité de fon Légat , pour donner la Couronne à ce Prin- 
ce, & un Evêque à fes Sujets. Nous avons trois Brefs d’Inno- 
cent IV , l'un du quinzième de Juillet, & les deux autres du 
dix-feptiéme du même mois 1251, tous trois adreflés à notre 
Prélat. Dans le premier Sa Sainteté s'explique ainfi : 

“ Il faut cultiver avec un foin tout particulier les jeunes 
plantes, afin qu’après avoir jété de profondes racines , elles 
puiflent croître à proportion , & porter dans Id fuite une 
abondance de bons fruits. Nous n'avons apris qu'avec une 
finguliére fatisfaétion , Le notre très-cher È isenJEsuUs- 
CHRIST, Mendos, illuftre Roi de Lituanie , autrefois 


Idolâtre, & fans aucune connoiffance du vrai Dieu , étoit « 


(1) Scribit Longinus , in fuis ad annum 
Pis Anaoalibus , illum pon ex animo, 
ed fiété Ecclefñæ fe aggregafle, Crucifero- 
rum Equitumr, quibus nonnullas pofleffio- 
nes in Lituania tradiderat , confiliis indu- 
£tum ad Regium nomen fbi comparan- 
dum : & Culmenfi Epifcopo , quem ait Præ- 
dicatorum difciplinä excultum fuifle ; ac 


magnä Religione præditum , atque etiam 
hoc iplo anno Canonicorum fæcularium 
Collegium Ecclefiz fuæ ad inftituta Regula- 
ria, ut in una domo fub eadem vivendi ratio- 


Livre 
III. 


HENrr 
_ Pozonors. 
SERRES 








Sentiment de Lon- 
gin, fur les motifs 
de cette conver- 
fion. 


XVI 
Le Pape charge 
J'Evèque de Culme 
de couronner ce 
Prince, & de don- 
ner un Evêque aux 
Lituaniens, 


ne virtutibus perpolirentur, traduxifle, Pro- 


vinciam fuifle demandatam, ut Mendog Re- 
S1a inunctionc folemni pompà ex ritu facro 


linirer,&c. Odoric. Rain. ad An. 1251,n.454 : 


LIVRE 
II]. 


HENRI! 


Pozonors. 
D 








248 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


, enfin entré dans la fociété des Fidèles par le Barème; & 
» que fon plus ardent défir aujourd'hui, eft de voir cette mul- 
» titude de Paiens , qui lui font foumis , faire profeflion com- 
» me lui de la Religion Chrétienne. 
» Mais parce que ces Peuples, qui n'ont connu jufqu'ici 
» d'autre loi que celle des fens, & de la nature , ne pour- 
» roient s’acoutumer d'abord à tout ce qui eft ordonné par le 
Droit pofitif , & les Canons de l'Eglife, nous devons avec 
une atention de pere, ménager leur foibleffe, & ne leur 
préfenter que du lait, atendant qu'on puiffe leur donner une 
nourriture plus folide. Vous ferez donc favoir à l'Evêque, 
& aux autres Miniftres Ecléfaftiques , qui feront écablis 
dans la Lituanie ; que notre intention eft , qu'en levant les 
dixmes fur les Terres de ce Prince, & de fes Vaffaux, ils 
fe comportent avec tant de douceur , de fagefle, de modé- 
ration , que ces nouveaux Chrétiens ne puiflent être fcan- 
dalifés , ni avoir aucun fujet de fe repentir d’avoir embrafté 
le joug de JESUS-CHRIST. Si vous trouvez quelqu'opofi- 
tion à nos ordres, ou à ce que vous aurez vous-même réglé, 
fervez-vous de toute l'autorité que nous vous donnons, 
our foumétre fans apel quiconque refufera d’obéir, &c ,. 
Le fecond Bref du Pape donnoit commifhon à lEvêque de 
Culme d’affembler un certain nombre de Prélats, & d’autres 
perfonnes Ecléfiaftiques , ou Religieufes, & de couronner 
avec folemnité le Prince Mendog, le déclarant Roi de Litua- 
nie, Souverain de tous les Pais , qu'il avoit déja retirés , ou 
ul pourroit retirer à l’avenir des mains des Infidéles , à con- 
don cependant que le nouveau Roi, & fes Succefleurs re- 
connoîtroient tenir du Saint Siége la Dignité Roïale , & le 
Roiïaume (1). | 
Enfin par fon dernier Bref, Innocent IV ordonnoit à notre 
Evêque de choifir un digne Sujet pour la nouvelle Eplife de 
Lituanie , & de le facrer avec les cérémonies ordinaires, 
après que le Roi auroit fondé, & fufifanment doté une Ca, 
thédrale. Selon l'intention bien exprefle de Sa Sainteté , l'Evê, 
ue de Lituanie ne devoit être foumis qu’au Saint Siége. Celui 
. Culme avoit commiffion de recevoir de lui le ferment or- 


Ÿ 


LYS SNL YY 


* (x) Ita tamen quod ipfe , ac Succeflores | & proprietatem Beati Petri fufcepimus, fe 
fui Repnum præditum , & præfatas terras , | ab Apoitolicà Sede tenere ee [ECO 
gux ad fuarum precum inftantiam , in jus, | gnofçant. In Bwler. Ord, T. I, p, 197. 


dinaire 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 249 


dinaire de fidélité ; mais feulement au nom du Pape, & de 
lEglife Romaine (1). . ÿ Ne 

Tout ce qui étoit.porté dans ces Lettres Apoñtoliques fut 
éxécuté dans fon tems. Et l’Evêque de Culme, toujours zélé 
pour la converfon des Infidéles , ne borna point fon g: à 
une fimple cérémonie d'éclat : 1l profita fagement de l’ocafon 
pour faire connoître JEsus-CHRisT , & fon Evangile, aux 
Grands qui étoient à la fuite du Roi, & à fes Peuples, dont 
la multitude continuoit.à vivre dans le Paganifme. Plu- 
fieurs fans doute profitérent de fes prédications ; & le Bien- 
heureux Vital, que les Polonois apellent faint Vitus, autre 
Difciple de faint Hyacinthe , établi premier Evêque de Li- 
tuanie (2), continua ce que Henri de Culme avoit commen- 
cé. La fainteté de fes éxemples, fes inftruétions , fes miracles 
même , felon Bzovius , convertirent un nombre de Litua- 
niens , qui renoncérent à leurs Faufles Divinitez , pour em- 
brafñfer le Chriftianifme. Mais toute la Nation ne fe convertit 
pas ; & le Paganifme fut encore pendant long-tems la Reli- 
gion dominante dans ce pais. Plufieurs même de ceux qui 
avoient reconnu la vanité des Idoles , les adorérent de: nou- 
veau ; & Mendog leur donna l’'éxemple par une honteufe 
apoñtafie (3), trois ans après avoir demandé, & reçu le 
Batème. nu _…— | 

L’inconftance naturelle de ce Prince, peut-être auff la 
- crainte des Grands de fon Roïaume , ou les mauvais confeils 
de ceux qui abufoient de fa confiance, le portérent à marcher 
fur les traces du Duc de Poméranie. Dès l'an 12$$., pendant 
que le Saint Siège continuoit à le combler de fes faveurs , 1l 
tourna fes armes contre les Chrétiens. Peu content d’avoir 
traité avec beaucoup d'iihumanité le faint Evêque , qu'ilavoit 
demandé , & ceux de fes Sujets qui vouloient demeurer fer- 
mes dans la profeflion de la Foi, il entra avec une puiffante 


ES 


(1) Cæterüm poftquam de præfato Epif- 
copo , quem foli Romano Pontifici volumus 
fubjacere , provifum fuerit juxta mandati 
noftri renorem , tu ab ipfo fidelitatis folitæ 
juramentum , noftro , & Romanz Ecclefiæ 
nomine recipias juxta formam, quam fub 
Bulla noftra übi mittimus introclufam , &c. 
Ibid. p.198.  .: | 
(2) Primus qui tunc Liruanis à Sede A- 
poltolica datus erat Epifcopus , ex nomine 
vocabatur Vitus , Ordinis Prædicatorum , 


Tome L, 


fan@titate, & miraculorum glorià illuftris ; 
paulo poft cum contumelia vulneribus affe- 
us, & à Sede fua ejeétus. Non enim mul‘ 
tÔ poft ftabilitis rebus fuis Mendocus neque 
Cruciferis præftitie promiffa, neque Religio* 
rem fervavit, &c. Bzov. 44 An. 12152,n. $! 
- (3) At deferbuit cito ille pietatis ardor , 
quem præ fetulerat Mindanus, five larvam 
Religionis tantummodo tunc induiffer ; five 
poiteà bonam mentem in nefas detoriit. 
Odoric. m8 fps. à 3 ie 
1 


Livre 
III. 


HENRI 


Poconors. 
D. x" À 


| XVII 

aps de Cul: 
me prèche l'Fvan- 
gile dans la Litua- 
nie ; il y établit ur 
faint Evèques 


‘Odoric, Rain. ad 
An, 1251, 7. 48. 


XVIII. 
Inconftance, & 
Apoftañe de Men- 
dog ; fa cruauté, 


240 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 





LIVR£ Armée fur les Terres du Roi de Polagne, brüla la Ville de 
IT. Lublin , Capitale du Palatinat de ce nom ; ravagea toute la 
Hewrr Province de Mäzovie; pilla, ou renverfa plufieurs Villages ; 
Poroxoiïs. fit un grand nombre d’Efclaves ; & s'en retournaen Lituanie 

——#" jout chargé de butin (1). Les Paiens de Prufle, à fon éxem- 
XIX. ple , & peut-être par fes folicitations ,recommencérenten mê- 


Lcs Payens de 
Prufle maltraitent 
les Fidcles, 

XX. 

Zék & fermeté 
du faint Evéque de 
Culme. 


me-tems leurs hoftilitez contre ‘les Fidèles , avec lefquels ils 
fe trouvoient mêlés. oh | 
Tout ce qu'on peut atendre du zéle d'un bon Pañfteur, qui 
expofe fa vie pour défendre fes Brebis , le pieux Evêque de 
Culme le fit en cette ocafion. Par fes vives exhortations, il tâ- 
cha de ramener les uns, ou du moins de les adoucir, & d’en- 
courager les autres à mourir en Chrétiens , plütôt que de fe 
rendre les ennemis de Dieu, & les efclaves du Démon ; par 
une lâche prévarication. Mais lorfqu'il vit que la brutale fu- 
reur des Paiens augmentoit toujours, jugeant qu'il étoit tems 
de repoulfer la violence par da force, 1l mmplora le fecours de 
Prémiflas, ou Ottocar , Roi de Bohème ; & ce Prince , à la 
tête de plufieurs Seigneurs Allemans , ne diféra pas de mar- 
cher avec une Armée de Croifez, contre les olites agref- 
: feurs. Après un rude combat, où les Infidéles furent vaincus, 
& plufeurs faits prifonmiers., Le Roi Ottocar donna la vie à 
tous ceux qui fe firent baptifer , ou qui rentrérent dans le fein 
de l'Eglife, dont ils s'étoient féparés. Tous les autres furent 
paflés au fil de l'épée. Cette févérité parut néceflaire pour 
contenir, par la crainte des mêmes peines, les autres Infidéles, 


XXI. 
Il procure de 
grards fecours aux 
Hiucles perfécurés, 


. . qui, fans autorité, comme fans raïon , faifoient éclater leur 

&e punis. haine contre les Chrétiens, toutes les fois qu'ils croioient pou- 
voir le faire impunément. _. D | 

XXIIT. Les deux Chefs des Pruffñens, après la déroute de leur Ar- 


Suite de la défaire 
des Prufliens Ido- 
Ltres. 


mée , s'étoient enfermés dans une Ville où fe voiant hors : 
d'état de foutenir.un fiége , faute de provifions & de forces, 
ils demandérent confeil aux Habitans, qui répondirent : No- 
tre réfolution eft déja prife ; nous voulons embraffer la Reli- 
gion Chrétienne. C’eft bien auff notre intention , dtrent les 


(x) Eodem auno Mendocus .. . . abjecta 
_Rcligione Chriftiana , quam fimulaté 4d 
tempus fufceperat, infeftior in dies Chriftia- 
nis vicinis erat ; coactoque & fuis Lituanis , 
pariterque Pruflis idem fentientibus valido 
exercier. . .. Mazoviam omnem crudelif- 
fimè vaflavit. Pagos, & oppida quam pluri- 
ma, & Caput Gentis , Plocenfem arcem de- 


ee 


fenfonibus vacuam imcendir ..... Ejccit 
cunc temporis B. Vitum Ordinis Prædicaro- 
rum ,primum Lituanorum Epicopum, qu 
Cracoviam proper veniens , Cœnobium 
fanétifimæ Trinitatis, vivens & va funétus 
mriraculis iluftravit , &c. Bzovui. #d An. 
1254, 2. 8... : 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 25: 
deux Capitaines , car nous voïons clairement que le Ciel com- 
bat contre nous ; & qu’en vain nous nous obftinerions à com- 
battre contre Dieu. Aufh-tôt ils envosérent leurs Députez au 
Roi de Bohème, ofrant de fe rendre le lendemain à difcré- 
tion. Ottocar les reçut avec bonté; ces deux Oficiers deman- 
dérent le Batème; & les autres Païens , non-feulement du 
lieu, mais auf de toute la Prufle, fuivirent leur éxemple. 
Les Prélats Allemans, qui fe trouvoient à la fuite du Roi , 


en batiférent À eh , qu'on jugea fans doute aflez inftruits , 


& dans les difpoftions néceflaires. Mais l'Evèque de Culme 
fe chargea d'inftruire plus à loifir la multitude , & de pren- 
dre les précautions convenables. Bzovius , dans fon Hiftoire 
de Pologne , dit que plufeurs Pruffiens aprirent de lui les 
faintes maximes de l'Evangile , & reçurent de fes mains le 
Sacrement du falut (1). | É ue 
La Religion Chrétiénne , ajoûte Oderic Rainald, après 
quelques anciens Auteurs Polonoiïis, commença dès-lors à 
être très-floriflante dans la Livonie & dans la Prufle, par 
les foins particuliérement , & le zéle infatigable de l'Evêque 
de Culme , Henri de l'Ordre des Freres Prêcheurs, & d'un 
autre illuftre Prélat du même nom, Religieux deS. François. 
Il eft vrai que ces nouvelles Eglifes, environnées de Nations 
infidelles, éprouvoient fouvent les mêmes perfécutions , qui 
avoient afligé l'Eglife naiffante du tems des Apôtres. Les Gen- 
tils n'avoient pas plütôt quité les armes , réprimés par la puif- 
fance des Princes Chrétiens , qu’ils les reprenoientavec le mê- 
me acharnement ; tomboient lorfqu’on s’y atendoit le moins 
fur leurs voifins , qui ne facrifioient point aux Idoles ; tuoient 
impitoyablement tous ceux qu'ils pouvoient furprendre ; & 
ne cefloient.de ravager le Pais , que lorfque des forces fupé- 
rieures les contraignoient de fe retirer , ou de recevoir la loi. 
Ce n'eft pas fans | par la voie des armes qu'on doit éta- 
blir ou étendre une Religiongqui ne prêche:que la douceur , 
l'humilité , & la paix : mais les mA Chrétiens ne font pas 
moins obligés de fe fervir du glaive dans le befoin , pour dé- 
fendre la Religion de leurs Sujets , que pour repoufler la 
violence des ennemis, qui en veulent à leurs biens ; à leur li- 
berté , ou à leur vie, - | LS 


(1) Eodem anno ( 125$ ) Pater Henricus cefignatoram exercieu, Pruffiam ingreflus 
Polonus , Culmenfis Epifcopus cum Præmi- | contra Barbaros, & Prutenos , in Sambicnfi 
lao Bohemiz Principe , atque copiolo Gru- | Provincia deditjonem facientes , multos 


Î1 1j 


LIvRrE 
III. 


HENRI 
Poczonotrs. 


Fleuri,Liv. LXXXIV, 
8 2. 


AdAn.1256,n. 15. 


LIVRE 
III. 


HENRI 


Pozonors. 
D 1 A4 


XXTIV. 
* Dar ordre du Pa- 
pc Aléxandre IV, 
notre Evèque pre- 
che, & fair prêcher 
la Croifade contre 
Jes Payens, 





252 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
C'eft aufhi ce qui porta le Pape Aléxandre IV à adreffer aux 

deux Evêques , dont nous venons de parler , fes Lettres A pof- 

toliques ” 21 Août 1256, pour les exhorter à prècher la 


-Croifade *#, & à la faire prêcher par les Religieux de leur Or- 
dre , afin de métre les Ë 
- couvert des infultes des Idolâtres. L'Evêque de Culme fe con- 


hrétiens de Prufle & de Livonie.à 


forma éxaétement aux intentions du Pape ; & en communi- 


ps le Bref de Sa Sainteté aux Freres Prêécheurs de Liége , 
1 


n'ajoûta que ce peu de paroles : “ C’eft de fa part du Vicaire 
» de JESUS-CHRIST, que nous vous faifons favoir la Com- 
» Miflion , qui nous a été donnée. Nous vous prions en mê- 
» Me-tems Cp de plus en plus votre zéle pour la itaid 
» de Dieu , & la propagätion , ou la défenfe de la Foi. Apor- 
tez toute la diligence que vous pourrez , pour l’heureux fuc- 
cès de cette grande afaire , (1). | 
_ ÎL'en fentoit mieux qu'un autre l'importance ; & il en fou- 
haitoit d'autant plus la réüffite , qu'il voyoit de plus près le 
éril éminent qui menaçoit fon T roupeau , & les pertes She 
Hit tous les jours, par les fréquentes irruptions des Bar- 
bares. Les défirs du pieux Prélat furent remplis : ce qu'il fai 
foit lui-même dans la Prufle Royale , pour réunir par une 
fainte confpiration les cœurs , & toutes les forces du Peuple 
de Dieu , contre les entreprifes de ceux qui ne cherchoient 
qu’à l'acabler , ou le détruire ; fes Freres le firent dans la Po- 
méranie, la Pologne, ke Danemarc, la Suéde , la Norvège, 


$ Ÿ 


de Gofthland , & dans les parties les e Septentrionales de 


l'Allemagne. Danstous ces Pais, les Fidéles , excités par les 
prédications des Miniftres de JESUs-CHRIST, prirent géné- 
reufement les armes, & marcherent avec confiance au fecours. 
de leurs freres, les plus expofés à la fureur des ennemis du 


nom Chrétien (2). 


Chriftianis Legibus imbuit ; facroque fava- | Fidei dilatationem , prædi@to negotio dili- 
croregenceravit Chrifto Domino.&c. Bzovi. @pentiam quam poteritis , adhibere velitis. 
H5f. Provin. Polo. C. Ill ; @ Fontan. in | Datum in Lipz fecundo Idus Jumii anno> 
Monu. Domin. p.70. Domini11$7. Bullar. Ord.T.I,p. 317. 
(1) Dileétis in Chrifto, Priori & Fratribus (2) Affurgebat feliciter ad ingens decus 
Ordiuis Prædicatorum Leodienfibus, Fra- | in Livonia ac Prufia, Chriftiana Religio:; 
tr Henricus ejufdem Ordinis , Epifcopus | ad quamlatius diffundendam Pontifex, plu- 
Culmienfis , Salutem in nomine Jefu Chri- | rium zelum inflammare conatus eft; inter 
fti. Licteras Apoftolicas reccpimus in hac | quos maximè Henricum Culmenfem , artque 
forma .... hujus ergo auctoritate manda- | Henricum Curovienfem Epifcopos, ex Præ- 
ti vobis committimus quidquid nobis in | dicarorum & Minorum familia ad eam di- 
pradiis Litteris on ( eft, vel con-| gnisatcm ob egregias virtutes afcitos , ad 
ecifum , rogantes ut propter Dominum &' urgendum divinum negotium provocavite 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 253 
# L'ardente charité de l'Evêque de Culme , fa folicitude paf- 


torale, & fon atention continuelle à foutenir les Domefti- 
ques de la Foi, à les inftruire, & à leur procurer toutes {or- 
tes de fecours, foit fpirituels , foit temporels , ne lui permé- 
toient point de foûter quelque repos. Saintement alarmé du 

éril, ou de la perte de ceux qu'il portoit toujours dans fon 

ein, parce qu'ils lui étoient unis en JESUS-CHRIST , il pou- 
voit dire, à l'éxemple de faint Paul : + Quz ef? foible, fans que 
je m'afoiblifle avec lui ? Qui eff [candalfe , La que je brüle ? 
Auf, toute fa vie ne fut-elle qu'un éxercice perpétuel de la 
charité apoftolique. Et c'eft dans ce glorieux travail qu’il fi- 
nit fes jours. Les Auteurs ne s’acordent pas fur l’année de 
fa mort : mais le Bref que le Pape Aléxandre IV lui adreffa au 
mois d'Août 1256, & la Lettre qu'il écrivit lui-même aux 
Dominicains de Liège , datée du douzième de Juin 1257, font 
une preuve fans replique, que M. Fleuri s’eft trompé , lorf- 

ue dans le quatre-vingt-rroifième Livre de fon Hiftoire Eclé- 
Autique , iladit, que notre Evêque mourut le premier jour 
de Juillet 1254. | 

Dans les Lettres du Pape Innocent IV , & dans les Annales 
de l'Eglife , il eft fouvent parlé d’un autre Prélat du même 
nom, & du même Ordre , homme fort célébre , dans le trei- 
ziéme fiécle , par fes grands talens , & par les emplois , dont 
1l fut honoré. Son mérite l’avoit d’abord élevé à la dignité 
d’Archevêque d’Armach, Primat d'Irlande: & les befoins de 
l'Eglife dans les Roiïaumes du Nord, portérent le Souverain 
Pontife , au commencement de l’année 1 246 , à le faire Ar- 
chevêque de Prufle , de Livonie , & d’Eftonie. Je ne fai s'il 
s’étoit trouvé l’année précédente au premier Concile Général 
de Lyon. Oderic Raynald nous aprend qu'il avoit été quel- 
que tems à la Cour du Pape , qui voulut honorer fon mérite: 
en lui acordant l’ufage du Pallium , & le droit de faire porter 
devant lui la Croix dans toutes les Provinces , où s’étendoit 
fa Jurifdiétion. 

Cet dm ne fut plutôt arivé dans fa nouvelle 
Eglife , que le Pape le fit fon Légat atprès de Daniel Roi de 
Rufe. Et dans le Bref adreffé à ce Prince , Sa Sainteté faifoit 
l'éloge du Légat en ces termes : “ Nous vous envoions notre 


Nec in Pruflia modo , verüm in Pomerania, | cruceatam expeditionem concitati à Religio= 
Polonia , Dania , Suecia , Norvegia, Goth- | fis viris. Odoric. #4 An.1256, n. 1 
Jandia, univerfaque Germania, Fideles ad 


ii 


“LIVRE 
IT. 


HENRI 


PoLonNors. 
D on | 


XXV. 
* Il finit fes jours 
dans les travaux,de 
l'Apoftolat. 


t I] , Cor. XI» 29, 








Nomb. $. 


XXVI. . 
Henri, Archevé- 
c de Prufle & de 
ivonie. 


Vide Bullar. Ord, 
T1, peiss,162, 
256. 

Odoric.. Rayn. a 
An. 1246,n.18,29, 
30» 33 


Ibid 


L 154 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE » Vénérable Frere, l'Archevèque de Prufle , & d’Eftonie, 


IT. » que nous pouvons apeller un homme felon notre cœur , 
| Henrs  » parce que fes vertus, fa Sience , & la fageffe de fes confeils 


. Poonois. » nous le rendent fort chér ». 

mm” La trop grande négligence de nos anciekk Ecrivains , fait 
ue nous ignorons aujourd'hui le lieu, & l'année de la naif- 
ance de ce Prélat, le nom de fa famille , le détail de fes ver- 

tus , la fuite de fes aëtions , & le tems de fa mort. Ce défaut 

de Mémoires ne permet pas de donner fon Hiftoire. Et pour 
la même raifon nous omettons celle de plufeurs autres faints 

Perfonnages , dont les Auteurs ont loué quelquefois par oca- 

fion les vertus, & les talens. 

rovt.ad Anny,  Lels font en particulier trois illuftres Difciples de S. Hya- 

seat, Cinthe , le Bienheureux Vital premier Evêque des Lituaniens, 

dont le tombeau, illuftré par des miracles , eft encore en vé- 
nération à Cracovie, & fon nom invoqué par les Polonois: 
Le Bienheureux Gerard, premier Evêque dans la Ruffe-rou- 
e, à qui le Pape GregoireIX avoit fouvent adreffé fes Brefs, 
donné des marques finguliéres de fa confiance, par les im- 
portantes piton? , dont il le chargeoit, pour Free 
nement , & le bon ordre des Eglifes du Nord : & le Pere Alé- 

xis , dont le Prince Daniel honoroit fi particuliérement la- 
fageffe & les vertus, qu'il demanda , comme une faveur , de 
ouvoir le retenir auprès de fa Perfonne : ce que le Pape In- 
nocent IV lui acorda par un Bref. Oderic Raynald fait en 
deux mots l'éloge de cet excélent Religieux , qu'il apelle un 
Homme célébre , & digne de toute pe : Conceffirque 

Odoric. Rain. ad An. - N ° 7: : 

{ Pontifex ) ur Alexzus rædicatorum Familiæ , vir on 7 


3246, 7, 30e ac 
cumulatiffimus una , cum focio in ejus aula verfaretur. 








‘DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 255 
SPP SNS Sr Sr S rss suisse 
THOMAS 

E CATIMPRE. 

ELON les Auteurs, que le Pere Echard a fuivis, Tho- 

mas , furnommé de Catimpré , naquit l’an 1201, à Leuve, 

petite Ville du Pais-Bas , dans le Duché de Brabant , fur les 

frontières de l'Etat de Liège, pe de Bruxelles. Ses parens 

étoient nobles ; & fon pere, homme militaire, portoit les 

armes fous Richard, Roi d'Angleterre, lorfque ce Prince , 

à la tête des Croifez , marcha contre les Sarafins de Syrie au 
commencement du treizième fiécle. 

On prétend que ce Gentilhomme fe trouvant à Antioche , 
entendit parler de quelques Solitaires , qui vivoient dans le 
Pais en grande réputation de fainteté. Soit piété, foit fimple 
euriofité , 1l voulut les voir, & jouir de leur converfation. 
Charmé de leur manière de vivre, & ne doutant pas que des 


hommes , qui lui paroifloient fi parfaitement détachés detou- 
tes les chofes de la Terre, ne fuffent auffi tout remplis des lu- 


LIVRE 
IT, 


THoMaAs pe 
CATIMPRE’. 


L 
Naiffance de Tho- 
mas, apellé depuis, 
de Catimpré. 


miéres du Ciel ; 1l leur demanda quelques avis ee régler fa : 


conduite , & mériter le pardon de fes péchez. Parmi les au- 
tres inftruttions qu'on lui donna, un dé ces bons Solitaires 
lui fit efpérer qu'il obtiendroit de la divine Bonté À os 
pénitence , & une heureufe mort , s’il confacroit au fervice 
de Dieu celui de fes enfans qu'il aimoit davantage. L'Oficier 
le promit ; & à fon retour d'Orient , l'an 1206 , il envoya le 
jeune Thomas , âgé alors de cinq ans , dans la Ville de Liége, 
pour y être élevé par les foins des perfonnes capables de le 
former à la piété & aux Lettres. 

: Pendant onze ans qu’il étudia dans cette Ecole, onfuten- 
core plus apliqué à lui aprendre à connoître JEsus-CHR1ST . 
{on Evangile , & les faintes maximes de la Religion, qu’à rem- 
phr fon efprit de ce qu'il peut y avoir de beau , ou de curieux 
dans les Auteurs Profanes. Il ne népligea pas entiérement la 


IT. 
Son pere le dévoue 
au fervice de Dieu, 


III, 
Le fait élever dans 
la crainte du Sei- 
gneur. | 


lettre de ces fortes d'Ouvrages ; mais celle des Livres faints : 


faifoit dès-lors fes délices, Auffi répondit-il parfaitement aux 


LIVRE . 
I 





THOMAS DE 
CATIMPRE’. 
CHARME 





Louable émula- 
tion du jeune Tho- 
mas. 


, V. 

Il prend l’habie 
de Chanoine Ré. 
gulier dans l'Abaïe 
de Catimpré, 


. L'obéiflance l'2- 
plique au faint Mi- 
niftére, 


256 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


défirs de fes parens , & à leurs efpérances. Pour foutenir ; 
régler , ou enflammer cette ferveur naïffante , la Providence. 
fe fervit encore des prédications patétiques du célébre Jâques 
de 7. , alors Chanoine Régulier dOgnies , depuis Evé- 
que de Saint Jean-d’Acre, & enfin Cardinal , Evêque de Tuf- 
culum. La réputation de ce grand Homme , fes vertus & fes 
talens , furent comme des liens fecrets , qui lui atachérent le 
jeune Etudiant. Dans tous les lieux , où le Chanoine devoit 
anoncer la parole de Dieu , Thomas ne manquoit jamais de 
le prévenir, ou de le fuivre ; & par cette afliduité, autant 
que par fa candeur & fa modeftie , il mérita à fon tour d’être 
connu & aimé du Miniftre de JESUS-CHRIST. | 
Ce fut fans doute par le confeil de Jâques de Vitry , ou par 
le défir de retirer de plus grands fruits de fes inftruéions , que 
Thomas embraffa le même Inftitut. Agé feulement de feize 
ans , 1l prit l’habit de Chanoine Régulier de faint Auguftin 
dans l'Abaie de Catimpré : Monaftére , aujourd'hui prefque 
ruiné par les malheurs des tems & des guerres ; mais alors 
fort célébre par fa régularité , autant que parfes richeffes. Et 
c'eft de là que le nouveau Chanoine fut depuis apellé Tho- 
mas de Catimpré , ce nom n'étant pas celui de fa famille , ni 
du lieu de fa naifflance. Le plus grand avantage qu'il trouva 
dans ce Sanétuaire , où Dieu étoit fervi avec beaucoup de fi- 
délité , fut l’éxemple dont il avoit befoin pour confervertou- 
jours fon innocence, & aquérir Ep de nouveaux éforts la 
perfeétion des vertus chrétiennes. Fidèle à fa vocation , il ai- 
moit la priére , la pfalmodie , la leéture des bons Livres, les 
obfervances régulières : on ne le voyoit jamais diffipé , jamais 
oifif ; & aux éxercices de piété , 1l faifoit toujours fuccéder un 
travail utile. RE | 
Il nous aprend lui-même , que dès qu’il fut honoré du ca- 
raétére facerdotal , la volonté des Supérieurs , & l’ordre ex- 
rès de fon Evêque , l'engagérent à entendre les confeflions 
des Fidéles. Ilobéïit : mais fe défiant toujours de fa foibleffe , 
& craignant que dans un âge fi À mé avancé , il ne manquât des 
qualitez requifes pour un firedoutable Miniftére , ilfe trou- 
va agité de divers fcrupules , ou peines d'efprit. Preffé d'un: 


côté par l’obéiffance, & arêté de l'autre par un fentiment in- 


térieur , qu'il pouvoit fupofer venir de Dieu , puifque ce n’é- 
e e ! e e 0 
toit que la crainte de lui déplaire , qui fembloit donner des 


bornes au zéle dont il fe fentoit animé , il eut recours aux 
lumiéres 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 257 


Tumiéres de fainte Lutgarde, qu’il honoroïit comme fa mere. LIVRE 
Cette illuftre Vierge, da fort eftimée par l'éclat de fes ver- II. 
tus , & par les faveurs extraordinaires qu'elle recevoit du Tuomas pe 
Ciel, fit des priéres particulières pour le pieux Chanoine : Carimrre”. 
enfuite elle le raflura ; lui dit de méprifer fes peines, & de ===» 
continuer avec ferveur, ce qu'il n’avoit entrepris que pour vil. 
obéir à fon Evêque , & travailler au falut des ames. Plus tran- Agé de ee 
quile après cette répon£e , le Serviteur de Dieu redoubla fon ne Did : 
affiduité à la priére , fans difcontinuer un ofice de charité , où qui prie pour lui & 
on aprend tous les jours à connoître fes propres foibleffes par *1°ralurc. 
celles des autres. : | 
Depuis quinze ans, le fervent Chanoine édifioit le Chapitre 
de Catimpré , par l'innocence de fes mœurs ; & le Public, 
ar de petits Ouvrages de dévotion , qu'il avoit déja pu- 
liés , lorfque le défir de mener une vie plus auftére, & en 
même-tems plus apoftolique , le porta à demander l’habit des 
Freres Prêcheurs. Il le reçut Fe Couvent de Louvain, l'an (a 
1232; & ce premier trait de reffemblance avec le Bienheu- ,enredans or 
* reux Fondateur , qui de Chanoine étoit devenu Apôtre , aug- cheurs. 
mentant dans fon cœur le zéle du falut des ames, ilréfolut 
de fe confacrer fous les loix de l’obéiffance à toutes les fonc- 
tions du faint Miniftére. Mais, pour en retirer des fruits plus 
abondans , il voulut aquérir de nouvelles lumiéres , & re- 
rendre le rang de Difciple. Depuis l'an 1233 jufqu’en 1237, IX. 
il étudia avec fruit la Théologie à Cologne , fous le Bienheu- , 5° Frntes ? Ce 
reux Albert le Grand. De-là il fut envoyé à Paris , foit pour 
s’y perfeétionner encore dans les Siences, foit pour y cher- 
Fe: des modéles dans le Miniftére de la Prédication. Ilétoit 
dans cette Capitale l'an 1240 ; &e 1l fait mention de deux cé- 
lébres difputes , aufquelles il avoit été préfent : l’une tou- 
chant la pluralité des Bénéfices ; l’autre, à l’ocafion des Li- 
-vres du Thalmud , juftement condamnés par le grand nombre 
des Doëéteurs , & trop vivement défendus par quelques Poli- 
tiques intéreflés , dont l'Hiftorien a fagement fuprimé les 
noms. | 
De retour à Louvain , Thomas de Catimpré y fit des leçons 
publiques de Philofophie , & de Théologie, qui lui aquirent 1 enfeisne avec 
‘beaucoup de réputation. Et felon Duboulay ; il fut en grand aplaudiflement à 
commerce avec les Savans de Paris, contre lefquels cepen- =°uvain. 
dant il prit dans fes Ecrits la défenfe de fes Freres”( 1 ). Mais 


(1) Thomas Cantipratanus Patià Brabantigus . .,,. Canonicus primum Repulas 
Tome L. | 








2,8 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE fonatrait particulier le portant à travailler à l’inftruétion des 
III. peuples , & à la converfion des pécheurs, il anonça la pa- 
Tuomas pe role de Dieu, non-feulement dans les Villes de Brabant, 
Carimrre. mais aufh dans plufeurs Provinces de France, & d’Allema- 
see gne. Catéchifer les fimples , & les ignorans, réconcilier les 
XL ennemis, confoler les afligés ; ce fut pendant plufeurs an- 
4,55 Prédications nées la principale ocupation d'un homme , qui avoit apris de 
fais plufieurs Pro- fiint Paul le fecret de fe faire tout à tous, pour les gagner 
‘ i tous à JESUS-CHRIST. Bien éloigné de fuir le travail, ou de 
{e refufer jamais aux befoins de ceux qui demandoient fon fe- 
cours , il confultoit moins fes forces , que la vivacité de fon 
zéle, pour courir après la Brebis égarée ; & la ramener au 
bercail. Ce qu’il avoit commencé ee {es prédications, ilavoit 
mA part 205 confolation de l’achever dans le Tribunal de la 
Pénitence. Les pieufes adrefles de fa charité délioient fouvent 
la langue des muets fpirituels , & portoient la paix dans l'ame 

des F Téles ui fe métoient fous fa direétion (1). 
Parmi de fi faintes ocupations, le Serviteur.de Dieu atentif 








XII. à métre tous fes momens à profit , fe ménageoit toujours un 

Ses Ouvrages de tems ; foit pour la prière, où 1l renouvelloit fa ferveur, & 
piété. puifoit de nouvelles forces ; foit pour un autre travail qui a 
rendu fes veilles utiles à nm Vies de fainte Criftine, 


de la Bienheureufe Marguerite d'Y pres, de fatnte Marie d'O- 
gnies, de fainte Lutgarde Religieufe de Citeaux, décédée 
so le mois de Juin 1246 , celle du Bienheureux Jean, pre- 
mier Abé du Monaftére de Catimpré , & Fondateur de cette 
Abaïe : tous ces Ouvrages, & quelques autres , que nous 
trouvons dans Surius, ou dans les Aëtes des Saints, publiés 
par les Bollandiftes , furent les fruits du zéle de ce faint Reli- 
sieux , & les produétions de fa piété toujours apliquée à inf. 
truire., ou à édifier celle des Fidéles. 
sit. . Il compofoit en même-tems un autre Ouvrage beaucou 
Autres Ouvrages. plus confidérable , intitulé, Le Bien Univerfel , ou Des Abe 
| 7 ; parce qu'il fe fert de la figure des Abeilles , pour donner 


rum faluti promovendæ fe votum addixir 

variafque Teutoniz, Belgii, Galliæ Pro 
vincias , qua verbo, qua & opere & exem- 
plo peccatores ad pœnitentiam , meliorem- 
que frugem adducendo , miferos & affitos 
confolando , paftoralifque folicitudinis vi- 
ces implendo peragravit , &c. Echard, T. E, 


p250. 


ris in Cœnobio Cantipratenfi, deinde Domi- 
nicanus .... Epilcopi Cameracenfis fuffra- 
ganeus, magnum habuit cum Academicis 
noftris commercium. Pro fuis contra cos 
ame pañlien {cripfit, &c. Du Boulay , Hifi. 
Univ. Parif. T. III, ?. 711, in Casal. 
slluftr. Acadesmi. 

(1) Ex quo Ordini nomen dedit , anima 








DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 259 


des préceptes touchant la conduite , ou les devoirs, tant des 
Supérieurs , que des Inférieurs. Cet Ouvrage, dédié au Pere 
Humbert de : pis , & fouvent cité par les Ecrivains Eclé- 
fiaftiques , a été imprimé à Deventer es le Pais-Bas, à Pa- 
ris, & trois fois à Douay en 1527, 160$ , 1627. Cette der- 
niére Edition, procurée par les foins de George Colvenere,Do- 
minicain , Doëteur , & Chancelier de l’'Univerfité de Douay , 
eft, felon M. Dupin, la plus éxaéte & la plus parfaite. 

Dans le Prologue de cet Ouvrage, Thomas de Catimpré 
fait mention d’un autre , apellé De /a Nature des Chofes , divifé 
. en vingt Livres, auquel Fhent avoue qu'il avoit travaillé 
avec foin pendant quinze ans. Celui-ci n’a point été imprimé ; 
mais on en trouve un grand nombre d’éxemplaires manufcrits 
dans les principales Bibliothèques de Paris. Le Pere Echard 
remarque que quelques Auteurs l'ont fouvent confondu avec 
un autre Ouvrage, compofé par un Religieux de faint Fran- 
çois, & intitulé, Des Sa at Chofes. 

On prétend que Thomas de Catimpré favoit le Grec ; 8 
qu’à la priére de faint Thomas d'Aquin , il avoit fait une Ver- 
don Latine des Ouvrages d’Ariftote , dont le faint Doéteur fe 
fervit, dit-on, pour ns fes Commentaires fur ce Philofo- 

he. Mais ce fentimeæg n’eft pas commun parmi les Savans ; 
& nous parlerons ailleurs du véritable Auteur de cette Ver- 
fon. | 

Il eft encore douteux fi Thomas de PR avoit été fa- 
cré Evêque Titulaire , pour fervir de Sufragant , ou de 
Coadjuteur à l'Evêque de Cambray. Plufeurs Ecrivains de 
{on Ordre l'ont cru ainfi. Les Editeurs des Aîtes des Saints, 
Duboulay dans le troifiéme Tome de fon Hiftoire de l'Uni- 
verfité de Paris , & Dupin ont embraflé le même fentiment. 
Don Denis a prétendu le prouver par le quarante-feptiéme 
Chapitre du fecond Livre, intitulé des Abezlles (x). Nous ne 
voulons point opofer au fentiment de tant d’habiles Critiques 
le filence de Bernard Guidonis : onfait que cet Hiftorien, d'ail 
leurs éxaét, a oublié, ou ignoré les noms de bien d’autres 
Prélats, dont il n’a fait aucune mention. On pourroit faire 


{1) Sub hoc Præfule ( Nicolas de Fonts- | confecratus fub tirulo mendicato Epifcopi 
nis Epifcopo Cameracenff ) Thomas Canti- | Lufentini, munia Paftoralia & Epifcopalia 
pratenfis, ita diétus à Cœnobio Cantipratenfi | obivit vice ipfius , cujus meminit Libro fe- 
Ordinis Canonicorum Regularium , ubi Re- | cundo Apum, C. xzv11. Gal. Chrifi, T, III; 
Lgiofam vitam fuerat amplexus ; poftea Or- | Col, xxxvix | 
d'nis fanéti Dominici Theologiz Door , 


Kk ij 


LIVRE 
III. 


THoMAS DE 
CATIMPRE’. 





Aut. du XIIT, fiécle, 
Pe 263 


XIV. 
Thomas de Ca- 
timpré , felon quel- 
ues Auteurs,avoit . 
de facré Evèque 
fufragant de celui 
de Cambray. 


260 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE plus de poids fur les paroles même de Thomas de Catimpré ; 

paroles , qui ont fervi de principal fondement à ceux Fr D 

Taomas pe Mis aurang desEvêques ; & qui néanmoins bien confidérées, 

Carimrre. femblënt prouver qu'il ne l’a jamais été. Selon la remarque du 

a Le Echard,c'étoit en 1261, que l’Auteur parloit de l'expérience 

XV. qu'il pouvoit avoir aquife pendant trente ans dans diférens 

Re sn is pais , où 1l avoit anoncé la parole de Dieu , & adminiftré le 

probable, Sacrement de Pénitence ; ce qu'il apelle les fonétions d’un 

Evêque (1). Or pendant ces trente années en reculant, nous 

trouvons qu'il étoit tantôt Chanoine Régulier de S. Auguftin, 

tantôt Novice,ou Etudiant dans le Couvent des FF.Prêcheurs 

à Cologne, & à Paris ; tantôt Prédicateur Miflionaire en 

diférentes Provinces ; & tantôt enfin Profeffeur,ou même Sou- 

prieur à Louvain. Tout cela ne convtent guéres à un Evêque. 

J'avoue que ces raifonnemens ne prouveroient rien contre 

Com.1,p.sor. Île favant Auteur du Bullaire, qui ne fait commencer l'Epif- 

NN copat de Thomas de Catimpré , qu’en 1266, fous le Ponti- 

ficat de Clement IV. Mais fi la difculté n'eft plus la même, 

. elle n’eft pas moins confidérable ; & 1l refteroit bien des ré- 
fléxions à faire. 

o °1 ( 

1°. En nous fixant à cette derniére époque, on ne peut 

lus citer le témoignage de Auteur, g: prouver qu'il a été 

Évéque : ce qu'il écrivoiten 1261 , ne auroit être une preuve 

de ce qui n’auroit été fait qu'en 1266. D'ailleurs s’il n’a été 

facré qu'en 1266 , où trouverons-nous ces trente années d'E- 

pifcopat ? Il faudroit pour cela le faire vivre, & écrire juf- 

" qu’en 1296. Je ne m'arête point à l'opinion de Jufte Lipfe, 

qui met fa mort au mois de May 1263. D’autres la placent 

en 1270: 8 ceux ” la reculent le plus, la métent en l'an: 180. 

Quand nous voudrions bien fupofer gratuitement ce qui n'eft 

pas prouvé, 1l y auroit toujours au moins feize années de 

mécomte. 

2°. On peut encore remarquer avec le Pere Echard, que 

Thomas de Catimpré , en parlant de lui-même, ne fe donne 

jamais d'autre titre que celui de Frere. C’eft ce qu’on doit par- 

ticuliérement obferver dans la Lettre, qu'il écrivit dans fes 

vieux jours à Don Anfelme , Abé de Catimpré , en lui en- 

voiant la Vie du Bienheureux Jean , Fondateur de ce Monaf- 


(r) Sicut ipfe expertus fum , qui à tri- | pifcoporum , confefliones audiens exeque- 
giata annis in diverfis regionibus vices E- | a Lie. IT, de Apib, C. xLvix, 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 26: 


tére (1). Ce petit Ouvrage, il eft vrai, avoit été commencé 
vers l’an 1224 par Thomas de Catimpré , alors jeune Cha- 
noine Répgulier, à peine ge de vingt-trois ans; mais ce fut 
dans fa vicilleffe, que, preflé par Les priéres réitérées de l’Abé, 
&c de la Communauté de Catimpré , il entreprit de revoir cet 
Opufcule, & d'y métre la derniére main. Il commence ainf 
le Prologue de fon Livre : “ Au Révérend Pere en JESUSs- 
CHRIST, Don Anfelme, par la Grace de Dieu, Abé de « 
Catimpré, & à toute fa fainte Communauté , Frere Tho- # 
mas , le dernier des Freres Prêcheurs dans le Couvent de # 
Louvain, humble refpeét, & foumiffion ,.. 
On ne voit encore ici ni le ftile d’un Evêque, ni fa maniére 
ordinaire d'écrire à des Religieux. 
3°. Enfin nous ne pouvons oublier , ni méprifer le témoi- 
gnage du favant Guillaume Seguier. Ce Doëteur Dominicain 
a fait un Catalogue éxaët des Religieux Flamands, qui ont été 
élevés à l'Epifcopat : & ce n’eft qu'après beaucoup de recher- 
ches, & un éxamen férieux de tout ce qui pouvoit apartenir 
en particulier à l'Hiftoire de Thomas de Catimpré, qu'il l’a 
pofitivement exclu du nombre des Evêques. 

Nous ne prétendons pas cependant décider la queftion. Il 
nous fufit FU avoir raporté les diférentes opinions des Criti- 
ques. Le Leéteur peut s’en tenir à ce qui lui paroïîtra plus pro- 
bable. Il n’y a pas le même doute touchant la réputation de 
fainteté du Serviteur de Dieu. Confacré au Seigneur prefque 
dès fon berceau , 1l coula fes jeunes années dans l'innocence 


& les éxercices de piété. Toutes fes inclinations fe ortgrent 


au bien. Îl eut l'eftime & l'amitié des plus faints Perfonna- 
ges de fon tems, avec qui il fut en relation. Et c’eft avec 
juitice qu'on l'a toujours confidéré comme un Religieux d’u- 


+- (1) Reverendo in Chrifto Patri Anfelmo 
Dei gratià Cantipratenfi Abbati, totique 
fané@o Conventui, Frater Thomas de Ordi- 
ne Prædicatorum Minimus in Lovanio , de- 
bitæ reverentiæ famulatum. Venir ad me ex 
parte veftra venerabilis Geraldus procura- 
tor providus Domüs veftræ in Bellenchen 
Librum vitæ poftulans, quem olim apud 
Vos annOrum vix XX111 ætatem habens im- 
perito fais fermone defcripferam : fed quo- 
niam nondum vobifcum diétum Librum 
compleveram , refñiduum quod de morte 
Beati Joannis Abbatis, & Fundatoris di- 
gran relatione reftabat, vix fubunius dici 

patio accerfuo fcriptore complevi. Sufci. 


piatis, Domini & Fratres chariffimi munuf- 
culum quod tranfmitto : nec enim fperner- 
dum credimus iis, qui primordia veftræ fun- 
dationis defiderant . . . . Nunc igitur in fine 
peto chariflimi , quatenus in audità die mor. 
tis meæ hoc beneficium impendatis , ut ficut 
Fratri defunéto folet fieri apud vos, idem 
fieri mihi concedatis. Licèt enim alterius 
profeflionis Frater nunc fim , tamen apud 
vos fine ullo ur confido fcandalo , vel odio 
Frater vefter annis quindecim, & eo ampliis 
vixi. Nunc autem languore diutino arthe- 
ticæ, & podagræ detentus diu vivere non 
confido , &c. Ap. Echard. T.I, p.252. 


KKk ii 


LIVRE 
III. 
es memes | 
THoMAS DE 
CATIMPRE’. 
RC 





262 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE ne haute piété, d'une humilité profonde , & d'un zéle très 
HIL. ardent, George Colvenere , qui a écrit avec foin fa vie, 
Tomas ps faporte les magnifiques éloges, que les Auteurs ont faits de 
Carimrre. fes vertus , aufli bien que de fes talens. Plufieurs lui donnent 
a |c titre de Bienheureux. Et quelques-uns l'ont mis dans le 
. Catalogue des Saints du Pais-Bas. Continuateurs de Bol- 
landus en font une honorable mention le quinziéme jour de 

Mai (1), & ils ne marquent point l’année sn fa mort. 


CÉFÉFÉEÉÉSELTÉÉÉEÉÉES ES) 
ANNIBAL ANNIBALDI 


DE MOLARIA,; 


CARDINAL PRÈTRE, DU TITRE 
DES DOUZE APÔTRES. 


ANNIBAL "ANCIENNE Maifon des Annibals eft aflez connuë ; 
DE MOLARIA. furtout par le ar nombre & le mérite des Sujets, 
D À * ! È 

——— dont elle a rempli le Sacré Colége. Celui dont nous devons 


Vide Tholom. Lu- Darler naquit à Rome, fous le Pontificat de Grégoire IX ; & 


an. Ci ci embraffa l'Inftitut de faint ne EE , pendant que le Pape 
3 . 3 Oë. ° . . e 
rs Innocent IV étoit encore aflis fur la Chaire de faint Pierre. 


mherr ns. La fie pure & innocente , qu'il mena dans la maifon de fes 
Pan Per, PATENS le mit en état de profiter des beaux éxemples de vertu 
qu’ils lui donnérent , & de fuivre fa vocation dès qu'il la 

connut. | . 

L Comme fon illuftre naiflance , & les qualitez naturelles de 
Premiéres inci- fon efprit fembloient lui prométre les premiers Emplois ; une 
ie . il- tendre piété , & une vigilance continuelle fur lui-même , le 
préparoient auffi aux plus grandes graces. Dans un âge , qu'on 


apelle la faifon des plaifirs , des jeux, des amufemens , ilne 


(1) Thomas Cantipratanus , ex Canoni- | Raïfio in Auétorio Molani ad natales Sans 
co Regulari in Cantiprato propè Camera- | étorum Belgii. Vitam ejus habemus ex co 
cum , Ordinis Prædicatorum , & demum E- | dice Manufcripto Rubæz - Vallis , quam 

ifcopus fuffraganeus Epifcopi Cameracen- | Hyacinthus Choquetius edidit in Libro de 
Ës , bac die mortuuseft , ut venerabilis fan- | Sanétis BelgiiOrdinis Prædicatorum. Ace 
étirate telatus à Miræo in Faftis Belgicis, & | Send. T. III, Mais, p. 440. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 263 
parut touché que de la beauté de la vertu , ou de sn sat 
des biens éternels. Le choix qu'il fit de la retraite dans le Cou- 


vent defainte Sabine , donna d’abord à parler à bien des gens. 


Mais la ferveur, avec laquelle il foutint cette premiére dé- 
marche , le fit encore plus admirer de ceux même , qui l'a- 
voient trop légérement condamné. Les auftéritez d'un Ordre 
prefque naïflant , & dans la premiére vigueur de fa difcipline, 
ne l’éfraiérent pas. Ces épreuves ,ileft vrai, paroifloient peu 
proportionnées aux forces d’un jeune homme de qualité, 
nourri & élevé d'une maniére bien diférente de ce qui fe pra- 
tique dans le Cloître : ce n'étoit cependant qu'aux se 
du monde , acoutumées à vivre dans la molleffe , & à ne ju- 
ger des chofes que par les fens , que cette prétendué difpro- 
portion paroifloit fi frapante. Le jeune Annibal avoit jugé 
plus fainement des deffleins de Dieu , & de la force viétorieufe 
de fa Grace. | 
Il ne fut pas le premier , à qui une heureufe expérience ren- 
dit fenfible l'illufñion des raifonnemens humäins : mais fon 
éxemple mérite d’être joint à celui de tant d’autres, dontil 
femble que le Seigneur ait pris plaifir de fefervir , pour con- 
fondre la faufle fagefle du ie & faire connoître que les 
douceurs qu'on goûte à fon fervice , font pour tous ceux qu’il 
apelle, de quelqu'âge & de quelque condition qu'ils foient. 
3 fidélité à leur vocation eft toujours la mefure des béné- 
diétions , dont le Ciel a coutume de récompenfer la promti- 
tude de leur obéiffance. 
Celle de notre fervent Novice ne fe démentit jamais. Et le 
même défir de la perfeétion, qui le rendoit atentif à imiter 


tout ce qu'il voyoit de beau , ou de faint , dans la conduite 


de fes Freres , redoubla fon ardeur à aquérir le tréfor des Sien- 
ces, par l'union qu'il fit toujours de la priére avec l'étude. 
Après avoir donné de belles preuves de fa capacité, foit dans 
les Aëtes qu'il foutint, né u'il fe formoit encore fous 
fes Profefleurs à Rome ; foit dans les Leçons publiques qu'il 


fit depuis dans cette Capitale du Monde , il fut envoyé en 


‘France pour s’y perfeétionner , & prendre les Dégrez dans 
J'Univerfté de Paris. C'eft là qu’il eut l'avantage de connoître 
faint Thomas d'Aquin , d’enfeigner pendant quelques années 
avec lui, & de contraëter enfemble une amitié d'autant plus 
‘folide, qu’elle étoit fondée fur la conformité d’inclinations , 
de mœurs & de fentimens. L'union de ces deux Amis de 


LIVRE 
IIT. 


ANNIBAL 
DE MoLaArIA. 
D 1) 


IT. | 

Il embraffe l'Inf- 

titut de S. Domi- 
nique, 


III. 

Ses Etudes à Ro- 
me, & a Paris. Il 
prend les Décrez 
dans cette Univer- 
ité. 


IV. 
Etroite amitié 
qu'ilcontraeaycc 
S. Thomas. 


LIVRE 
III. 


ANNIBAL 


DE MOLARIA. 
Re  - 








L'an 1261. 


IL ef fair Maître 
du Sacré Palais : 


Et honoré de la 
Pourpre Romaine. 


Stephan. Salau. 


Fleuri , Liv. LxxxY, 
ñn. L2s : 


264 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Dieu , fervoit à l'avancement fpirituel de l’un & de l’autre. 
Portés par les mêmes motifs , à fournir faintement la même 
carriére, ils marchoient prefque d’un pas égal dans les voyes 
de Dieu ; & tout ce que on admiroit dans le faint Doéteur , 
déja l’Oracle des Ecoles , on pouvoit le remarquer dans le 
Pere Annibal de Molaria , fon zélé imitateur ; même amour 
du filence , de la retraite & de l’oraifon ; même aplication à 
la leéture des Livres faints ; même modeftie , même recueille- 
ment dans leurs éxercices fcolaftiques ; enfin , même aten- 
tion à fe remplir tous les jours de nouvelles lumiéres , ou 
à les communiquer à leurs Difciples, pour en faire des Saints 
& des Savans. | 

La Providence les fépara enfuite. Et bien-tôt après , ils eu- 
rent la confolation de fe rejoindre à Rome. Lorfque faint Tho- 
mas y fut apellé par le Pape Urbain IV, qui voulut fe fervir 
de fa plume, pour combatre le fchifme & les erreurs des 
Grecs , Annibal de Molaria expliquoit depuis quelque-tems 
les Epitres de faint Paul dans le Ecré Palais. Il avoit été ho- 
noré de cet Emploi, non par le Pape Innocent IV , en 1246, 
comme l’a crû Fontana , qui le fait fuccéder à Barthelemi de 
Bragance , dans un tems où Annibal n’étoit pas encore dans 
fa vingtième année ; mais par le Pape Aléxandre IV , vers la 
fin de 1260, ou au commencement de l’année fuivante. 

Dans ce pofte diftingué , le pieux & habile Profeffeur fe 
fit également eftimer , par fes talens & par fes vertus (1). 
Aplaudi des gens de Lettres , & honoré de toute la confiance 
du Vicaire de JEsUs-CHRIST , il n’eut pas befoin de la re- 
commandation de fon Oncle , le Cardinal Richard Annibaldi 
de faint Ange , pour monter plus haut. Il ne faut pas même 
douter qu’en cela , ainfi que dans tout le refte, les fentimens 
de fon cœur ne fuflent conformes à ceux de fon fidéle Ami, 

1 préféra conftanment fon état de fimple MR cr aux plus 
éminentes Dignitez de l'Eglife. Mais le Pape Urbain IV ne le 
confulta point ; & dans fa première promotion de Cardinaux, 
faite au mois de Novembre 1261, felon un Auteur contem- 
porain , ou felon M. Fleuri , dans la fèconde du trente-unième 
de Mai 1262, Sa Sainteté donna au Maître du Sacré Palais la 

(1) F. Hannibaldus Hannibaldenfis de } nio fubtilis, & ad difputandas, folvendaf. 
Molaria, Romanus , Ordinis Prædicatorum, | que difficiles quæftiones idoneus. . . . Sa- 
Masgifter in Theologia, Lector Sacri Palatii , | crarum Scripturarum eximius interpres fuit, 
PrefbiterCardinalis Bafilicæ SS. duodecim A- | &c. Ciaconi, nt Jp. 
poftolorum, vir eximie doctus, & pius, inge- | 

| Pourpre 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 26; 


Pourpre Romaine , & le Titre des douze Apôtres. 
* Cette éminente Dignité , qu'il honora pendant dix ans , ne 
fut point un écueil à fa piété. Auff node obfervateur de fa 
Régle à la fuite de la Cour , qu'il l'avoit été dans le Cloître ; 
au milieu des pompes & du tumulte du Palais , il conferva 
toujours la pureté de cœur & la paix de l’ame ; & fa conduite 
parut également humble , modefte , réguliére. Apliqué aux 
importantes afaires , dont 1l fut chargé , il ne négligea jamais 
le Ein de fa perfeétion. Ennemi de la flaterie , & des flateurs , 
ce n'étoit ni par les préfens , ni par les louanges , qu’on pou- 
voit mériter l'honneur de fa proteétion : il ne la refufoit pas 
aux plus pauvres ; & il ne l’acorda jamais à leurs opreffeurs. 
Parmi les avantages qu'il procura à toute l'Eglife, il faut 
comter celui de lui avoir sr deux des plus faints & des 
plus grands Papes qui tn gouvernée , Clément IV & Gré- 
oire X. Le premier , François de Nation ; & le fecond , 
talien ; tous deux honorés après leur mort par les Peuples , 
qui fe glorifient de pofléder leurs Reliques. 
La candeur & la droiture , dont notre Cardinal faifoit pro- 
feffion , ne le rendirent pas moins cher à ces deux Pontifes, 
u’il l'avoit été à leurs Prédécefleurs. Auf reçut-il de l’un & 
de l'autre les marques de la plus parfaite confiance. Clé- 
ment IV , dès la premiére année de fon Pontificat, voulant 
opofer les forces & la valeur des François aux armes de 
Mainfroi , dont les entreprifes caufoient tous les jours de 
nouvelles inquiétudes à la Cour Romaine, donna le Royau- 
me des de iciles à Charles d'Anjou, Frere de faint Louis : 
Sa Sainteté nomma en même-tems trois Cardinaux pour l’é- 
xécution du Traité ; & le Cardinal des douze Apôtres fut mis 
à la tête de la Commifñon. | 
Dans la Bibliotéque de Colbert à Paris, on trouve l’A@e 
ar lequel les Cardinaux députés faifoient favoir à ce Prince, 
k la Commiffion dont le Saint Pere les avoit chargés, & les 
conditions portées par fa Bulle. L’Aéte commence ainfi : 
“ A l'éxcélent & magnifique Prince , Charles , illuftre Roi « 
de Sicile , Fils du Roi de France Louis VIII de glorieufe mé- « 
moire ; Frere Annibal , par la Grace de Dieu, Cardinal Pré. « 
tre du Titre des douze À pètres ; Jean de faint Nicolas , & « 
Jâques de fainte Marie en Cofmedin, Cardinaux Diacres, « 
Salut en Notre-Seigneur , (1). 
(1) Excellenti & magnifico Principi, D. Carolo illufti Regi Siciliæ, claræ memo- 
Tome L, LI 


LIVRE 
III. 


ANNIBAL 
DE MOLARIA. 
CRE 
VII. 

# Conduite du jeu- 
ne Cardinal dans 
cette éminente Di- 
gnité. 


Il eft Comte par 


le Pape, pour don- 


ner l'inveftiture du 
Royaume de Na- 
ples à Charles 
d'Anjou. 


| 


LIVRE 





ANNIBAL 


DE MOLARIA. 
CHR 





1X. 
Annibal , avec 
quatre autres Car- 
dinaux , couronne 
a Rome le Roi & 
la Reine de Sicile. 


X. 

Le pieux Cardi- 
nal aime Ja <on- 
verfation des Sa- 
vans, & des per- 
fonnes de vertu. 


266 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Ïls déclarent enfuite leur Commiffion , pour lui donner 
l'inveftiture du Royaume de Naples & de Sicile ; ils raporten 
au long les conditions du Traité ; & après avoir éxigé du 
nouveau Roi le ferment, comme Vaffal du Saint Siéve , ils 
finiflent l’AËte par ces paroles : “ Fait à Rome, devant le faint 
» Autel de la Bafilique du Sauveur , apellée l'Eglife de Conf- 
» tantin, le quatrième des Calendes de Juillet , l'an de No- 
» tre-Seigneur 1265 , la première année du Pontificat de No- 
» tre Saint Pere le Pape Clément IV (1). 

Le Roi Charles I arivé à Rome, reçut des mains de notre 
Cardinal l'inveftiture du Royaume des deux Siciles , avec 
l'Etendart , devant l’Autel de faint Jean de Latran. Enfin le 
Cardinal des douze Apôtres fut un des cinq, qui, le jour de 
l'Epiphanie , fixième de Janvier 1266 , après avoir reçu au 
nom du Pape, qui étoit toujours à Péroufe , l'Hommage du 
Roi, le facrérent , & le couronnérent folemnellement , avec 
Ja Reine Béatrix de Provence , fa Femme. | 

Dès que l'embarras des afaires pouvoit le lui permétre , le 
Serviteur de Dieu cherchoit le repos de la folitude, & fe dé- 
roboit pour un tems aux tumultueufes ocupations , ou pour 
renouveller fa ferveur , & nourrir fa piété dans l’éxercice de 
la priére ; ou pour délaffer utilement fon efprit dans la con- 
verfation des Savans & des perfonnes vertueufes. Il en avoit 
toujours plufieurs auprès de lui , dont les faints entretiens 
l'édifioient , & qu'il édifioit lui-même par fes éxemples. L’Abé 
Ughel parle d'un certain Laurent, Religieux du même Or- 
dre , très-habile Théologien , que notre Cardinal avoit fait 
fon Chapelain (2), pour profiter de fes lumiéres , ou pour 
jouir LE douceur de fes converfations ; & que le Pape Cle- 
ment IV créa depuis Archevêque d’Acerenza , dans le Royau- 
me de Naples. 

Nous avons remarqué ailleurs , que pendant le féjour que 
faint Thomas fit en Italie , depuis l'an 1262 jufqu'en 1269, il 


riz Ludovici Regis Francorum Filio, Fra- 
ter Annibaldus miferatione divinä Baflicæ 
duodecim ‘Apoftolorum Prefbiter Cardina- 
lis, Joannes fan@i Nicolai in carcere Tul- 
Lano, & Jacobus fantæ Mariæ in Cofme- 
din Diaconi Cardinales, falutem in Domi- 
no, &c. Apud Echard. T.I,p. 261. 

(1) Aétum Romæ apud Lateranum in 
Bañlica Salvatoris, quæ appellatur Conftan- 


tina , ante facratiffimum altarc ipfius Balli- |. 


cæ , IV Cal. Julii anno Domini 116$ , Poe 
tificis Domini Clementis IV primo. Apud 
Echard, ut f}. 

(2) Frater Laurentius Ordinis Prædicato- 
rum , vir Litteratiflimus , ex Capellano An- 
nibaldi Cardinalis tiruli Bafilicæ duodecinr 
Apoftolorum , à Clemente IV renunciatus. 
ef Archiepifcopus Acheruntinus anno 126%. 
Iral. Sacr.T. VII, Col, xLui. 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 267 


fut obligé de faire fes Leçons de Théologie , tantôt à Rome, 
tantôt à Bologne, à Viterbe , à Orviete & dans les autres Vil- 
les , où le Pape fe trouvoit avec fa Cour. Cette ocafion fut 
précieufe au Cardinal Annibal ; 1l füt en profiter, pour con- 
verfer plus fouvent & plus longtems avec un ami, dont les 
difcours étoient également propres à lui donner toujours de 
nouvelles lumiéres , & à élever fon cœur à Dieu , par le mé- 
pris des grandeurs , ou des vanitez du monde. Le pieux Car- 
dinal , fincérement ataché au faint Doûteur , par les fentimens 
de refpe& & de vénération , avoit le plaifir de favoir qu'il en 
étoit lui-même tendrement aimé , parce que dans fon éléva- 
tion , il confervoitune modeftie éxemplaire , un zéle ardent 
our la Vérité, & une pureté de mœurs , qui le rendoit vérita- 
han digne de l'amitié du Saint , dit Tholomée de Luques. 
On peut remarquer une preuve de cette eftime mutuelle 
dans les Ecrits de l’un & de l’autre. Saint Thomas, qui avoit 
réfenté la premiére Partie de fon Expofition des Livres de 
f Evangile au Pape Urbain IV , dédia la feconde Partie de 
cet Ouvrage au Cardinal Annibal, Et celui-ci parmi fes gran- 
des ocupations continuoit à faire fon étude, & fes délices des 
Ecrits du faint Doëteur. Il ne pouvoit fe laffer de les lire. Et 
il entreprit d'en abrèger quelques-uns, afin de fe les rendre 
en quelque maniére propres. C’eft ce que les Anciens ont par- 
ticuliérement remarqué dans fes Commentaires fur les quatre 
Livres des Sentences (1). La conformité de principes, & de 
doûtrine, qui fe trouve entre cet Ecrit, & un autre beaucou 
plus ample , que faint Thomas avoit fait fur le même fujet, ef 
caufe qu’on a fouvent atribué , & que plufieurs atribuent en- 
core l’un & l’autre au Doëteur Angélique , comme s’il avoit 
lui-même abrégé fon propre Ouvrage. Antoine Poffevin étoit 
dans cette opinion : & il afluroit que, dans ces deux Commen- 
taires, l’Auteur a fait paroître une rare érudition , & une très- 
grande connoiffance , foit de ce qu’il y a de beau , & de plus 
recherché dans les Livres des Interprètes de l'Ancien, & du 
Nouveau Teftament ; foit de tout ce qu’on trouve de plus fo- 
lide dans les Ecrits des Philofophes Grecs, ou Arabes (2). 


(1) Frater Hannibaldus de Ordine Præ- itris Thomæ. Thol. Luc. Liv. XXII, C. 13. 
dicatorum , Magilter in Theologia, fuit vir (2) Petri Lombardi opus , quod Magiftri 
magnæ humilitatis & veritatis, & fanctus | Sententiarum nominatur, &uphici Commen- 
homo , quem Frater Thomas valdé dilexit ; | tario interpretarus eft, Senciss Thomas ; al- 
fecitque fcripta fuper fententias , quæ nihil | cero dum effet junior , copiofiflime ; altero 
aliud funt quam abbreviatio diétorum Fra- | breviore , ac prefliore in fe Hannibal: 

1] 


LIVRE 
III. 


ANNIBAL 


DE MOLAR'!A. 
Re à 








XT. 

Son Eloge par 
Tholomée de Lu- 
ques. 


XII. 
S. Thomas lui &- 
die quelques Ou- 
vrages. 


LIVRE 
III. 


ANNIBAL 
DE MoOLARIA. 
D 7 


XTII. 
Commentaires de 
ce Cardinal fur les 
Livres des Senten- 
ces, 








XIV. 
Il eft vifité par les 
Rois de France & 
de Naples, 


268 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


C'étoit faire, fans le favoir , l'éloge de notre Cardinal , vé- 
ritable Auteur du fecond Commentaire fur les Sentences, 
qu'on a fait imprimer parmi les Œuvres de faint Thomas, 
avec ce Titre: Scriptum fecundum in Sententias ad Hannibal- 
dum , au lieu de, Dos annibaldi fuper Sententias. Tholo- 
mée de Luques Auteur contemporain, aflure expreffément 
dans le vingt-deuxiéme Livre de fon Hiftoire Ecléfiaftique, 
que ce fecond Commentaire eft le propre ouvrage du Cardi- 
nal Annibal. Le Pere Echard a auf rouvé le même fait, & 
par le témoignage de plufieurs autres Ecrivains , & par les an- 
ciens Manuicrits. Ce point paroit aujourd’hui affez éclairci, 
pour qu'il n'y ait plus ni difpute, ni équivoque. | 

Il ne fera pas inutile de faire remarquer ici la méprife de 
Poffevin, qui , dans les deux Tomes de fon Apparat, a fuivi 
deux fentimens tout à fait opofés. En faifant le 2 He des 
Ouvrages de faint Thomas, 1l met de ce nombre celui, dont 
il s’agit à préfent. Et en parlant du Cardinal Annibal, qu'il 
apelle un homme, que le Ciel avoit enrichi de fes dons, il 
lui atribue le même Écrit (1) , fans faire aucune mention du 
doute , que les Savans ont formé touchant l'Auteur de cet 


uvrage. 
Ce RE Cardinal avoit publié quelques autres petits Trai- 
tez Théologiques, qu’on a négligé de ne imprimer. Et on 
na pas été plus atentif à nous aprendre la plupart de fes ac- 
tions. Nous favons feulement qu'étantà Viterbe, après la mort 
du Pape Clement IV , il eut l'honneur d'y recevoir le Roi de 
France , Philippe IT, Fils de faint Louis, & le Roï de Sicile, 
Charles I, qui à leur retour d'Afrique l’an 1270, rendirent 
vifite aux Cardinaux, les faluérent tous par le baifer de paix, 
& les priérent de donner promtement un Chef à route l'Eglife. 
Mais on ne vit pas fi-tôt l'acompliflement des juftes défirs de 
ces Princes, & des vœux de tous les Fidéles. Ce n'étoit point 
encore la coutume que les Cardinaux fuffent renfermés en 


bus qui gefta Dominicani Ordinis confcrip- 
ferunt , fui fuifle Ordinisevincitur : id quod- 
Antonius item Senenfis teftatur. Sed & 


di Cardinalis : in quibus omnibus mirum 
eft quantam ubique doétrinam, folertiam , 
pietatem , memoriam, eruditionem € Græ- 


cis, & Arabibus Philofophis, & è Latinis 
veteris ac novi Teftamenti interpretibus pe- 
titam fpirer,&c. Ans. Poffeus. Apparat. Sacr. 
T. IT, p. 478. 

(1) Hannibaldus Romanus , Parifienfis 
autem Thcologus , quem alii Ciftercicn{em, 


alü Carmeliram fuiffe ferip{erant, à Patri- 


Cardinalis creatus eft, cui plura Deus cone 
tulic dona ; fcripfit autem Comimentaria in 
quatuor Libros Magiftri Sententiarum. Qui- 
bus in Commentariis fecutus D. Thomæ , 
ac Petri de Tarantala doétrinam , eorum- 
tanquam abbreviator eft habitus , &c. Ans. 


Pofevi. Appar. Sacr, T, I ni ?: 717 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 269 


Conclave : ceux qui fe troyvoient à Viterbe , au nombre de 
quinze, fe contentoient de s’aflembler une fois le jour; & 
comyne fi l'intention de quelques-uns avoit moins été de pro- 
curer une éle&tion , que de l'empêcher , trente-trois mois s’é- 
coulérent , fans mA à puffent s’acorder. Clement [V étoit 
mort à Viterbe le vingt-neuf de Novembre 1 268 ; & Thealde, 
ou Thibaud, ns de Liége , qui lui fuccéda fous le 
nom de Gregoire X , ne fut élu que le premier jour de Sep- 
tembre 1271. 

Le nouveau Pontife s'étant rendu auprès des Cardinaux, 
Annibal de Molaria, toujours zélé pour toutes fortes d'œu- 
vres de piété , & de religion , entra avec plaifir dans tous les 


LIVRE 
III. 


ANNIBAL 


DE MOLARIA. 
ses 


XV. 
Election du Pape 
Grégoire X. 


projets , que Sa Sainteté avoit formés , foit pour la convoca- 


tion d’un Concile Général, foit pour le fecours, ou le fou- 
lagement des Chrétiens dans la Paleftine. Il acompagna le 
Pape à Rome, & affifta à fon Couronnement, qui fe fit le 27 
de Mars 1272. Envoié enfuite à Orviete pour quelques afai- 
res de l'Eglife, il y mourut dans le cours de la même année, 
& fut enterré avec fes Freres , dans l’Eglife de faint Domi- 
nique , où on voit encore fon Epitaphe. On prétend qu'il 
n'étoit âgé que de quarante-cinq ans ; mais nous pouvons dire 
que fes jours étoient pleins. Un Auteur aflure qu'il perdit la 
vie pour n'avoir pas voulu confentir à ce qui pouvoit fouiller 
fa pureté (1) : Il congédia les Médecins , & s’abandonna gé- 
néreufement entre les mains de Dieu, fous les yeux duquel 
1l avoit toujours marché dans une crainte refpeftueufe , pé- 
nêtré d'un vif fentiment de fes divines perfeétions , & rempli 
de confiance en fes miféricordes. - 

(1) Puritatis candor ita in eo eluxit, ut | fub Gregorio X, quem in Pontificem maxi- 
mori potius quam fœdari non dubitaverit, : mum poît diuturnam duorum annorum no- 
cjectis à fe Medicis , qui pro falute confe- : vemque menfium Apoftolicæ Sedis vacatio- 


quenda puritatis jaéturam fuadebant ....|nem eligi curaverat. Fontana in Theatr. 
corporis farcinam depofuit in Urbe vetcri} Domin. p. 14. : 





XVT. 
Mort du Cardinal 
Annibal. 


— 270 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
| E 
a OR 
JAQUES CRESCENTI: 


ILLUSTRE PREDICATEUR DE LA FOI 
DANS LE NORD. 





JAQUES N écrivant l’Hiftoire de faint Hyacinthe , nous avons 

CRESCENS. dit quelque chofe de Jâques Crefcens, ou Crefcenti, 

=" l'un de fes Difciples, dont il faut maintenant faire connoître 

les qualitez , les vertus , & furtout les travaux apoftoliques ; 

nt rendirent très- célébre dans les Provinces du Septen- 

et trion. Il étoit né à Rome fous le Pontificat d’Innocent II, 
Naïfance, No- ; \ J- ° 1 , 

blete, & édurarion C'eft-à-dire , fur la fin du douzième fiécle , ou au commence- 

de JäquesCrefcens. ment du treiziéme. Parmi les grands Perfonnages de l’ancien- 

ne Maifon des Crefcens , dont il étoit 1flu, la Providence lui 

fit trouver un modéle de toutes les vertus, & de toutes les 

qualitez qui forment le vrai mérite , dans la perfonne de fon 

oncle paternel , Gregoire Crefcens, Cardinal Diacre, du Ti- 

tre de faint Théodore. Sous les yeux , & par les atentions de 

ce Prélat, le jeune Crefcenti travailla à {e métre en état de 

fuccéder un jour aux glorieux emplois de fes Ancêtres , ou 

à leurs travaux pour le fervice de l'Eglife. | 


Il * L'étude, & ia fréquentation des Savans avoient déja rem- 


ee es ue pli fon aq de plufieurs connoiffances utiles. Les Langues , 
"les Belles-Lettres , l'Hiftoire, la Théologie, la Sience des Ca- 
nons , & des Loix; il en étoit inftruit au-delà de ce que fon 
âge fembloit le permétre , lorfque le Cardinal de faint Théo- 
dore , après plufieurs autres Légations , fe trouva dans une 
nouvelle ocafion de métre fes talens à profit, & de faire con- 
noître ceux de fon Neveu. , 
Plufeurs Princes , que le zéle de la Maifon du Seigneur 
faifoit gémir fur le trifte état, où fe trouvoit alors la Religion 
dans les Roïaumes de Suede, de Danemarc, de Bohème, & 
de Pologne , demandérent au Pape Honoré III un Légat Apof- 
tolique , capable d’extirper une infinité d'abus , de fuperf- 
titions , ou d'erreurs ; de réformer les mœurs corrompuës des 
Fidéles ; d'inftruire le S de fes devoirs les plus eflentiels ; 


& de rétablir la difcipline Écléfaftique, Le Souverain Ponti- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE 271 
fe *, trop zélé pour être infenfible aux befoins des Peuples, 
ou pour méprifer les juftes demandes des Princes Chrétiens, 
choifit pour cette Légation Gregoire Crefcens (1), celui de 
tous les Cardinaux, dont il avoit plus fouvent éprouvé la 
capacité, & en qui il avoit plus de confiance. Il le revêtit de 
toute l'autorité que peut avoir un Légat Apoftolique ; & 1l 
Jl'exhorta à s’en ei felon fa prudence , pour aracher, & 
pour détruire , pour planter, & pour édifier. 

Le Cardinal voulut avoir pour compagnon defes vaoiages, 
& de fes'travaux, fon neveu Jäques Crefcens ; foit précifément 
dans le deffein de le former aux afaires de l’'Eglife ; foit, com- 
me l’a cru Bzovius, pour fe fervir de fon miniftére , dans les 
importantes négociations , dont il étoit chargé. Mais quelles 

e puflent être les vüëés du Légat , la Providence avoit les 
ee Et la fuite des événemens fit voir que le Ciel l'avoir 
ainf ordonné, pour procurer aux Eglifes du Nord un homme 
felon le cœur de Dieu ; un Miniftre de la parole, rempli de 
l'efprit de JEsUus-CHRIST , dont ke zéle, & les riches talens 
parurent dans les longs fervices , qu'il ne ceffa de leur rendre 
fe refte de fes EN deux Crefcens aïant reçu la béné- 
diétion de Sa Sainteté , & fes inftruétions , partirent d'Italie, 
avant la fin de l’année 1220 ; mais ce ne fut qu’en 1221 qu'ils 
arivérent dans le Roïaume de Danemarc. 

Voldemar, Prince très-zélé pour la propagation de la Foi, 
&k illuftre par fes viétoires fur les Paiens de Livonie, & de 
Prufle , régnoit depuis long-tems dans ce Pais. Mais la piété 
du Souverain, petit-Neveu de faint Canut Martir , n’empè- 
choit point que la religion des Peuples ne fût extrémement 
altérée, & la corruption des mœurs prefque générale dans 
tous les états, & dans toutes les conditions. Les Miniftres de 
l'Autel ignoroient , ou méprifoient ouvertement Les loix du 
Célibat : eux, 
dre aux fimples Fideles , les régles de la continence , & le mé- 
rite de la chafteté , ne rougifloient point de reconnoître pour 
leurs enfans , de jeunes gens , qu'ils enrichifloient du patri- 


_ (1) Anno Chrifti 1221 Gregorins fancti 


set, clegit ad tantum opus Gregorium , vi- 
Theodori Diaconus Cardinalis, Patrià Ro- 


-Eum utique, ut loquitur , prudentià & hæ- 


-manus , ex antiqua Crefcentiorum Familia , 
-aliis etiam Legationibus Apoltolicæ Sedis 
cgregie funétus , infignem valdè obivit ad 
Reges & Populos Septentrionales : cüm ro- 
-gatus Honorius Pontifex Lepatum à latere 
mittere , qui res illum Eccleliarum ordina- 





.neftate confpicuum , & inter cæteros Car- 
dinales, fuis exigentibus meritis, ipfi Pon- 


tifici fpecialiter charum , conceflo eï plenæ 


Legationis officio, ac plenarià poteftate , ur 
-extirparet nociva, & plantaret falubria 8e, 


Spenñan. ad An, 1221, #%, be 


LiVRre 
HI. 


JaAqQuEs 
CRESCENS. 
Éd 








UI. , 
*Le Cardinal Gré. 
goire Crefcens, fon 
Oncle, choifi pour 
la Lépation du 
Nord. 


a. 
L'emmenne avec 
lui dans les Cours 
de plufeurs Prin- 


CES . 


V. 
Etat de la Refi- 
gion dansieRoiau- 
me de Danemarc. 


qui par leur caraëtére étoient obligés d'apres 


LIVRE 
111 


JaAQuESs 
CRESCENS. 
D er: À 





Cromerus. 
Alb. Krantius. 
Michovyi. Bzovius. 


Dans Éctx de Sué- 
de , de Boheme, & 
de Pologne. 


Vide Sponan, ut fp. 
B25$) 73 


VIL. 
Concile de Slef-. 
vik en Danemarc, 


cenfere, ut virtus Crefcentii utriufque am- 


272: HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


moine des pauvres ; & à qui ils laifloient en mourant , leurs 
Bénéfices à titre d’héritage. Les Grands , fans refpe& pour 
la Religion, ni pour ceux qui l’honoroient fi peu , ufur- 
Olent à main armée les biens des Eglifes ; empêchoient les 
Elettions , ou les retardoient tant qu'ils pouvoient , afin de 
jouir plus long-tems des revenus deftinés à l'entretien des Evé- 
ues , & de leurs Oficiers. Les Vaffaux imitoient les mauvais 
exemples de leurs Maîtres , s'ils ne les furpañloient. Cruels, 
avares , vindicatifs , turbulens , ambitieux, auffi corrompus, 
& quelquefois plus méchans, que les Paiens mêmes, dont ils 
étoient environnés, on peut dire avec quelques Auteurs qu'ils 
n'avoient que le nom, & la profeffion extérieure de Chrétien. 
_Ce ‘ae nous remarquons ici touchant les mœurs des an- 
ciens Danois , Bzovius le dit de même des Peuples de Suede, 
de Pologne , de Bohëme , & des autres Roïaumes du Septen- 
trion (1). Cependant au milieu de cette éfroiable corruption, 
il fe trouvoit des Saints , & des Elus. Le grand nombre étoit 
gate; mais pour le ramener, Dieu lui avoit donné dans fa mi- 
éricorde des Prélats d’une haute piété, & des Princes felon 
fon cœur. Les uns & les autres vivement touchés de ce dé- 
luge de maux , qu'ils ne pouvoient ni ignorer , ni guérir, 
avoient adreflé leurs priéres au Vicaire : JESUS-CHRIST , 
pour obtenir un Légat a larere : ils le reçurent avec de grands 
onneurs ; & ils travaillérent de concert avec lui, pour cher- 
cher un reméde au mal dans le rétabliffement des Losx. Per- 
fuadés que les peuples fe retireroient enfin des routes de l’ini- 
quité , À ceux qui en chargés de les conduire , ne leur don- 
noient que de bons éxemples , ils fixérent d'abord leurs pre- 
miéres atentions fur le Clergé ; & commencérent par-là tout 
le plan de la réforme. | 
nu le Concile , qui fut affemblé à Slefvik, Ville de Da- 
nemarc, Capitale du Duché de ce nom, on fit plufieurs fages 
Réglemens , à la tête defquels on renouvella l’ancienne Loi 


touchant le Célibat des Prêtres , & des autres Ecléfiaftiques ; 


fià illorum Chriftianä pullulabant, mentis li. 
bido , animi impotentia ; & hinc dira rerum 
inconceflarum cupido, ambitio , difcordia, 


(1) Porrd quæ caufa fuiffet Honorio 
ee mittendi Legatum non a re- 


” plius illucefcat. Res eft :cum inquies , at- 


que indomitum Septentrionalium ingenium 
in certamine libertatis, aut dominationis 
verfaretur , & ex voro univerfa haberet , 
fecundis rebus orixi confueta mala in EccJe- 


avaritia, ventris vitæque licentia, cætcræ- 
que peftes quafi contaglo omnes & omnia 
tt latiüs {ævicbant , mifccbant , ac 
fœdabant illa florentiflima Regna , &c. Bzo- 
vi. in Annal, 44 An, 1213 ,n, S. 

dont 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 273 


dont les enfans furent déclarés incapables , non-feulement de 
fuccéder aux Bénéfices , mais encore de recueillir l'héritage 
de leurs peres (1). On comprit bien que pour l’heureux fuc- 
cès d’une réforme fi Dr » il falloit quelque chofe de 
plus que des réglemens , des menaces , ou des peines canoni- 

ues. Et ce fut peut-être le principal motif, qui porta le Légat à 
aire déclarer par ce Concile, que l'entrée dans le Roïaume 
de Danemarc eut libre aux Mifhionaires de l'Ordre des Fre- 
res Prêcheurs. M. Sponde croit que cette déclaration avoit 
été faite à la recommandation du Pape, & de faint Domi- 
nique même (2). Nous avons vû ailleurs l'ufage que S. Hya- 


LIVRE 
III. 


JAQUES 
CRESCENS. 








cinthe , peu d'années après , fit de cette liberte, pour la con- 


verfion d’une infinité de Peuples. Jâques Crefcens , qui mar- 
Cha fur fes traces , travailla avec fuccès pour la même fin. 
Au fortir de Danemarc, le Cardinal & le 4 ve de 


fa Légation, entrérent fur les Terres de la Suéde , & de la Go- 


tie. Le Roi Jean , furnommeé le Jeune , & le Pieux, mourut 
en ce même tems: & Henri le Begue , Héritier du Trône, 
auffi-bien que des vertus de faint Henri, & de faint Canut, 
fut couronné pour régner en fa place. Le Légat du Pape, heu- 
reufement fécondé par le zéle ke ce religieux Prince, aporta 
les remédes , qu’il jugea les plus propres , finon à guérir en- 
tiérement des maux fans nombre , & déja trop invétérés, du 
moins à les diminuer , en faifant connoitre ce 
de contraire aux Loix divines, ou hurnaines, 


glife , les droits de fes Miniftres , leurs immunitez , & leurs 


priviléges. Tout ce que le Légat , de l'avis des DE > VE- 


9 


noit d'ordonner fur ces articles , le nouveau Roi 
agréable ; & il emploïa depuis toute fon autorité, pour le 
faire obferver dans l'étendue de fes Etats (3). 


André , Evêque de Prague , acompagna enfuite le Légat 


(1) Concilio Slewici celebrato, inter alia 
ad refticutionem Difciplinæ Ecclefiafticæ 
ftatuta , decrevit ( Cardinalis Gregorius ) 
Sacerdotes & quicumque Ecclefiaftici Ordi- 
ais cflent, cœibes vivere ; ac ne liberi eo- 


nicanis, five Prædicatoribus ingreffum in 
Daniam, commendatione Pontificis, & 
ipfus fanéti Dominici. Spondanus ad An. 


_. avoient 
à la Nature 
même. Il vengea l'honneur de la Religion, la liberté de l’'E- 


eut pour 


(2) Denique ejufdem Gregorii oper” 
conceffum primüm volunt Fratribus Domi- 


tum hæreditatem adirent : cum plurimi, ut 
rem Sacerdotibus licitam exiftimatam , ma- 
- trimonia inirent , eaque de re a Pontifice, 
qui hunc abufum per Épifcopos auferri cu- 
raverat , ad Concilium generale jam ante 
provocaffene. 


Tome L, 


1221, 7. 4. 

(3) Graviffimafque ftatuit pœnas in Ec- 
clefiafticæ Libertatis violatores , præcipiens 
Dei Sacerdotes & Templa facrofanéta, atque 
inviolata ab omnibus We 
Jp. n. 5. 

Mm 


cri Spondan, us. 


VIIL. 
Réglemens pour 
l'Eglife de Suéde. 


274 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE dans le Roïaume de Bohëme * : & la premiére ehofe que fit 
III. dans ce pais le Miniftre du Pape , fut de réconcilier ce Prélat 
Jaowes avec le Roi Prémiflas, ou Ottocar. Le zéle de l'Evêque pour 
Crescens. les droits de fon Eglife, l’avoit depuis long-tems expofe à l’in- 
—” dipnation du Prince, qui fe fit cependant un mérite d'obéir 
IX. aux avertiflemens du Jets ontife , & de fon Légar. 
* LeRoi de Bohë- Pendant qu'on travailloit enfuite à pacifier les troubles, qui 
die étoient grands , & dans l'Etat, & dans les Eglifes de Bohème, 
gue. le Bienheureux Ceflas, l’un des premiers Difciples de faint 
Dominique, ariva à Prague; où le Ro, le Légat Apoftoli. 
ne "4 À , & l'Evêque, l'aiant reçu avec beaucoup de bonté , ils lu 
mene des FF. Pre. donnérent l'Eplife de faint Clement , & firent bäâur pour lui, 
cheurs dans le  & pour fes Freres, la premiére Maifon, que fon Ordre ait 
poraume de Bo- eñé dans ce Roïaume. —— | née. asie Crefcens eut pu- 
blié, ou renouvellé quelques loix, dont la plüpart regar- 
doient le Clergé, il laiffa à nos fervens Miffionaires le foin de. 
travailler à l'inftru@ion des Fidéles, & à la réforme des. 
mœurs , parmi les Peuples de Bohème, de Luface , de Mora- 
vie, de À ace , de Siléfie , & des Provinces voifines. Les Hif- 
toriens remarquent que les Habitans de ces contrées , bierr 
ES alors de la poto de l'Evangile, n’avoient quel- 
quefois prefque rien des fentimens de l'humanité. 

ee Lefci, ou Lefcus apellé le Blanc, Prince dont on loue 
béies © beaucoup les vertus Roiales , furtout fon amour pour fes Su- 
jets, & {on aplication à les rendre heureux, étoit fur le Trô- 
ne de Pologne. Il reçut le Légat à Cracovie, dans le tems 
que faint Hyacinthe, l'Apôtre & le nur à de tout ce 
pais, y fanfoit tous les jours une foule de converfons , autant 
par la fainteté de fes éxemples , & la bonne odeur de fa vie, 
que par fes prédications , prefque toujours acompagnées de 
miracles. Le Cardinal de faint Théodore pouvoit avoir vü le 
Serviteur dè Dieu , lorfque trois ans auparavañhit il étoit venu 
à Rome, avec Yves de Konski , fon oncle, déja Evêque de 
Cracovie: mais ce ne fut qu’en Pologne qu'il eut le plañir 
d'être le témoin, & l’admirateur de tout ce que l'Efprit du 

Seigneur opéroit par le miniftére de ce grand homme. 
| Jiques os ne fe contenta pas d'admirer , & d’eftimer 
Jiques Crefcens I Difciple de JESUS-CHRIST ; mais en aplaudiffant aux juftes 
s'arache à, Hya- louanges , que tout le monde, & fon oncle en particulier , 
cinrhe, donnoient à fes vertus, il confidéra avec les yeux de la Fort 
les fruits merveilleux qu'il avoit déja faits , & les biens im- 


- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 275; 


menfes que fes prédications continuoient de produire dans 
ces Vaftes Régions , qui paroïfloient d’ailleurs comme enfeve- 
lies dans les ombres L la mort. La Grace toucha dès-lors un 
cœur qu’elle avoit déja difpofé. Et ce généreux Romain con- 
çut une fi haute idée de l’héroifme Chrétien, ou de la fainteté 
d'un homme, qui mort au monde & à lui-même, ne vivoit 


_ de l’efprit de Dieu , qu'il réfolut de le prendre , pour gui- 


e, pour maître , & pour modéle. Dès ce moment, toutes les 
grandeurs, ou les efpérances du fiécle ne lui parurent que va- 
nité , & fes ocupations que frivoles amufemens , comparées à 
celle d’aflurer fon propre falut, & de gagner des ames à J. C. 





IVRE 
III. 


JAQUES 


CRESCENS. . 


, 





Jufqu’alors Jâques Crefcens avoit eùû fa part à tout le bien, | 


que pouvoit avoir fait le Légat du Pape dans les quatre Roïau- 
mes, qu'ils venoient de vifiter. Mais un nouveau genre de 


vie, où il fe fentit apellé, lui fit former de nouveaux projets, 
afin de procurer plus éficacement par la prédication, & par 


l'éxemple , une réforme qui n’eft pas le fruit ordinaire des 
confeils , & des ordonnances. Réfolu de marcher fur les pas 
de faint Hyacinthe, il lui demanda avec humilité l’'Habit de 
fon Ordre. Il le reçut à Cracovie dans le Couvent de la Tri- 
nité (1) : Eten faifant au Seigneur le facrifice de fa liberté, 
il renonça fi parfaitement à tout ce qui auroit pû l’atacher au 
monde , ou à fes parens, qu’il ne fortit plus du Roïaume de 
Pologne, que pour continuer les fonétions de l’Apoftolat dans 
les autres Contrées du Nord, & porter le flambeau de la Foi 
aux Nations Infidelles. M. Sponde a raifon de dire que les ver- 
tus de cet excélent Religieux , fes belles aétions , ou fes tra- 
vaux pour étendre l'Empire de JESUS - CHRIST , & procu- 
rer le falut des ames , rendirent fon nom célébre, & donné- 
rent un grand luftre à l'Ordre de faint Dominique , où la Pro- 
vidence l’avoit fait entrer (2). 


(1) Eodem anno Gregorius de Crefcen- 
tia Honorii III, de latere Legatus venit in 
Poloniam , & tam à Lefcone Albo , Princi- 
pe, quam Ÿvone Epifcopo, & univerfis Or- 
dinibus Cracoviæ magno honore fufceptus 
cft : ubi & pluribus dicbus immoratus quof- 
dam Clericorum refcidit abufus, & nonnul- 
ks edidit pro corum regimine Conftitutio- 
nes. Sub ejus præfentià Jacobus ejufdem 
Cardinalis Nepos Secretarius, Natione Ro- 
manus, Ordinem Prædicatorum in Mona- 
fterio fan@æ Trinitatis Cracoviæ affumpfit, 
{æculo reuunciando, Famibaribus ejufdem 


Cardinalis ingreflum fuum flecu &, lacrimis, 
profcquentibus. Bzovi. #4 An. 1223, n. 4. 

(2) Jacobus Crefcentius Nepos prædict{ 
Gregorii Legati, cüm iifdem temporibus in 


Poloniam cum patruo venifflet , divinitus 


taétus ingenti animi ardore , totum ejufdem 
Hyacinthi difciplinx fefe dedens , habirum 
Religionis ab co fufcepit, eumque Ordinem 
egregià virà , & Mmagnorum opcrum editio- 
ne pro Fide Chrifti, & falute animarum pro- 
movendà , admodum illuftravit. Spond. #4 
An. 1221,9. 8. 


M m 1} 


XIII. » 
Il fe rend fon 
Difciple, pour de- 
venir fon imita- 


teur. 


Ü 


LIVRE 
IT. 


JAQUES 
CRESCENS. 
D 


XIV. 
*Rerour du Légat 
a Rome. 








XV. 
Ferveur de Jà- 
ques Crefcens : $es 
progrès dans la 


Yestu. 


:76 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Nous ne devons guéres moins admirer la piété du Cardi- 
nal, & le zéle de la APE , qui le fit confentir à la retfaite 
d'un homme, dont la converfation lui étoit fi douce, & les 
fervices fi agréables. #* Comme fi par ce généreux facrifice , il 
eut achevé tout ce qu'il étoit venu faire : les Provinces du 
Nord, le Légat ne penfa plus qu'à fon retour en Italie ; & 
tandis qu'il É hâtoit d’ariver à : , pour inftruire le Pape 
du fuccès de fa Légation , le jeune Crefcens fous la difcipline 
de faint Hyacinthe , aprenoit à devenir lui-même un Saint, & 
un Apôtre , pour achever avec le fecours de la Grace, ce que 
fon oncle avoit fi glorieufement commencé. Bzovius , qui a 
éxaminé avec un foin particulier l’Hiftoire de fa Province , 
& celle des grands Hommes , qui l'ont illuftrée par leurs ver- 
tus , ne fait point dificulté de métre celui-ci au rang des plus 
faints Perfonnages , dont la mémoire doit être toujours pré- 
cieufe à quiconque fait eftimer le mérite. 

La ferveur d'efprit avec laquelle il porta fans fe laffer la 
Croix de JESUS-CHRIST , répondit à la premiére démarche 
qu'il avoit faite pour ne pas manquer à fa vocation ; & 1l ne 
perdit jamaiSde vûüé l’objet qu'il s'étoit propofé pour le fervice 
du prochain. Perfuadé qu'il n'eft rien de plus grand , ni de 
plus glorieux , que d’apeller les Infidéles à la Foi, & les pé- 
cheurs à la pénitence ; il crut qu’il ne devoit rien négliger , 
pour fe M un digne Miniftre de la Parole. De-là , cette 
aplication continuelle à mortifier fes fens , & à faire mourir 
le vieil homme, en combatant les illufions de l'amour propre , 
& tout ce qui naît de la racine de la cupidité ou de l'orgueil.. 
De-là , laffiduité à la priére ou à la méditation des Livres 
faints, dont il faifoit fes chafñtes délices. De-là enfin, cette 
atention à prévenir fes Freres dans les ofices de charité , & à. 
imiter toutes leurs vertus ; l'humilité chrétienne lui cachoit 
celles que les autres admiroient en lui, & qui, par les foins 
de faint Hyacinthe, devenoient tous les jours plus éclatantes , 
ou plus pures (+). 

Il eut le bonheur de faire fes vœux de Religion entre les. 
mains de cet Ami de Dieu , & de lui être dès-lors aflocié dans 


(1) Sacra Prædicatorum tog3 à fanéto | animum aflumpferat. Mox ad obfequen- 
Hiacintho Jacobus indutus , in ipfus oculis | dum majoribus, mentem , aurem, manus ,. 
per omnem Religiofarum Artium culrum , | & pedes paraverat ;tum demum quidquid 
probarionis annum exegit , incredibili dili- | præclari Pénois , aut fanctæ honcftatis in 
gentià ad æmulationem paternæ fan@itatis | Hyacintho fufpexiffet , patriffare niccbatur, 
fc componens. Imprimis fui coptemprorem | &c. Bzovi, #4 An. 1213, 1, 6. 


: DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 277 


les fonétions de l’Apoftolat. * Ils parcoururent enfemble plu LIVRE 
fieurs Provinces de Pologne , anonçant par tout l'Evangile UE 
de JEsus-CHRIST , détruifant les œuvres de Satan, &n'o-  Jaques 
pofant que la vertu de la Parole de Dieu aux erreurs, ou aux Crescens. 
vices des Peuples, & à leurs fuperftitions. Les fruits de cette 
temiére Mifon furent très-abondans ; mais le zéle de faint XVI. 
che ne fe borna pas là ; & lorfque l'Efprit du Seigneur ? $ LR 
le conduifit enfuite dans les extrémitez du Nord ; cet Homme Hinhe, 
admirable voulut que fon cher Difciple fit dans tout le Royau- 
me de Pologne , ce qu'il lui avoit vù faire dans quelques Pa- 
latinats. Il lui donna en même-tems quelque jurifdiétion fur 
{es Freres, afin que la Communauté de Cracovie, par les 
foins de Jâques Crefcens , continuât à former des Miñikres de 
l'Evangile. 
_ Ce ue là fon partage , & fon ocupation pendant plufieurs | 
années : Et quoique ces deux Emplois paruffent peu compa- 
tibles , il remplit avec fuccès tous les devoirs de l’un & de 
l’autre. Tantôt dans le fecret de la retraite , levant fes mains 
au Ciel, il prioit le Maitre de la moiffon d'envoyer des Ou- 
vriers pour travailler dans fa vigne , & de jéter cependantun 
regard de miféricorde fur l'aveuglement de tant de Peuples , 
dont les uns ne connoifloient pas fon Fils, & les autres mé- 
prifoient fa fainte Loi. Tantôt , à l'imitation du bon Pafteur , 
. 1] couroit après la brébis égarée. Ses travaux, ainfi que fes 
priéres, contribuoient toujours au falut , ou à la converfion 
de plufeurs. Eftimé des Prélats, refpeété des Peuples, aimé 
de tous, ce qu’il ne pouvoit d'abord obtenir par fes preffantes RATE De. 
exhortations , fouventil l’obtenoit par les charmes u fa dou- dications. | 
ceur , ou par fa fermeté & fa perfévérance : les dificultez ne 
lui faifoient jamais abandonner l’œuvre de Dieu ; & la viva- 
cité de fa Foi paroifloit particuliérement dans les obftacles 
qu'il avoit à vaincre , ou pour détruire le mal qu'il combatoit ; 
ou _ faire réufhr le bien qu'il vouloit procurer. 
: Un Hiftorien remarque , que par fes maniéres également 
nobles &c afables , il favoit engager les plus opiniâtres à faire 
tout ce qu'il demandoit d'eux. Sa préfence, ou fon regard, 
infpiroit aux Peuples je ne fai quels fentimens de vénération , 
ce ne leur permétoient pas de fe montrer indociles à la voix 
u faint Prédicateur (1). L'opinion qu’ils avoient de fa vertu, 


(1) Ex ejus afpectu immane eft quantüm animi Sarmatarum ad culruram fandtioris 
Vitæ exarferint. Bxoui. #4 An. 1223 ,n. 6, ee 





M m ii] 


LIVRE 
II. 


JAQUES 
CRESCENS. 
A nn.) 


XVIII. 
Guerre entre 
quelques Princes 
Chrétiens 


278 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


faifoit qu'ils écoutoient volontiers fes inftruétions , perfuadés 
‘elles ne tendoiëent qu’à les rendre heureux , en les rendant 
Aéles à la Loi de Dieu , & foumis à celles de l'Eglife. C’eft 
ce que les Compagnons de fes travaux apoñtoliques admiré- 
rent particuliérement parmi certains Peuples du Nord, dont 
les mœurs plus que barbares , le naturel mauvais & le génie 
groflier , n'étoient guéres moins opolés aux coutumes des 
autres Nations, qu'à la pureté de l'Evangile. Auffi portoient- 
ils jufqu’à l'irréligion , l'ignorance & le mépris des chofes fain- 
tes (1). Le Difciple de JEsus-CHRIST ne méprifa pas lui- 
même des hommes , d'autant plus dignes de compañfion , qu'ils 
fentoient moins ce que leur état avoit d’afreux. Mais avant 
ue de leur expliquer les maximes de l'Evangile & les véritez 
: notre Foi, sl entreprit de les humanifer. Dieu bénit fa cha- 
rité ; & fes travaux ne furent pas fans fruit. Il eft vrai que la 
fagefle de fes démarches, & la prudence finguliére qui en 
éroit la régle , fembloient en aflurer le fuccès. Quoiqu'Etran- 
er dans un Païs , dont il étoit devenu l'Apôtre, il avoit trou- 
vé le fecret de s’atacher fi bien les efprits & les cœurs, qu'on 
l’apelloit communément , l'amour & les délices de la Nation 
Polonoife f2). 
Trop habile pour négliger ces heureufes difpofitions des 
Peuples à fon égard ; mais en même-tems trop religieux , 
pour ne point faire remonter plus haut l'honneur qui lui en 
revenoit, Jâques Crefcens métoit tout à profit, pour apeller 
les uns à la Foi , ou à la connoiffance Le JESUS-CHRIST ; 
pour former les mœurs des autres fur les préceptes de la Loi , 
dont ils faifoient déja profeflion ; & pour conferver ou réta- 
blir entr’eux la paix , & terminer leurs diférends. 
= Pendant la minorité de Boleflas , furnommé le Chafte , 
Conrad , Duc de Mafovie , & Henri, Duc de Brêlau, pré- 
tendoient également à la tutelle de ce jeune Prince, & au 
ouvernement de fes Etats. Ils foutenoient leurs droits, our 
ca prétentions par les armes : & cette guerre , déja fatale 
(1) Sacra omnia infcfta invenerat apud | tare, it fuaviloquenti Suada ad fandtita- 
Boream {upra fxvum. Pro pudore , pro mo- | tem exhortari, qua virrutisexemplo 4d {um- 
deftià, pro abftinentià, licentia , improbi- | mam perfcétionis præire perfeverabat, &c. 
tas, ca volitabant. Ornamenta bona | Ibid. 
mentis, petulantiæ e detracta, libidini | (2) Ita prudens , negotiofus, Juris divi- 
ambitui , cæterifque dehoncftamentis locum | ni & humani cuftos tanto incenfu apud om 


conceffcrant. Iraque Jacobus theatrum exer- | nes fuit, ur & iple Rs  licèt alieno cxlo 
cendæ virtutis na@us , qua Salvatoris Jefu | natus, amor , & dclicix Poloni generis cene 


Hoftiam incruentam quotidianà manu Li- | feretur , &c. Ibsa. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 279 


à leurs Sujets, ne pouvoit avoir que des fuites encore plus 
funeftes pour la alien ; parce que les Infidéles profitoient 
des divifions des Chrétiens , pour fe rendre néceffaires ou for- 
 midables aux uns & aux autres , & faire revivre leurs an- 
ciennes fuperftitions dans les Pais, d'où on avoit eu bien de 
la peine à les déraciner. La méfintelligence des Princes de 
Polo ne alloit encore plus loin : car x ont cherchant à fe 
fortifier contre fon ennemi , ils grofifloient leurs armées du 


LIVRE 
III. 


JAQUES 
CRESCENS. 
Ne or à 





fecours qu'ils mendioient chez Les Sarafins ou les Ruffens , la : 


plüpart Gentils ou Schifmatiques : & ces ennemis de la Foi fe 
fervoient de cette ocafion , pour fouler aux piés nos plus 
faints Myftéres , après avoir renverfé les Autels & brûle les 
Epglifes. Le Pape Grégoire IX ayant apris ces défordres , écri- 
vit à Jâques Crefcens, & l'exhorta fortement à employer tout 
fon crédit, & les Cenfures de l'Eglife , s’il étoit néceffaire, 
pour faire cefler le fcandale , en réconciliant les Princes (1) : 
ce qu'il fit heureufement. 

Mais, peu content d’avoir ainfi éloigné les Infidéles des ter- 
res des Chrétiens , l’ardeur de fon zéle lui fit entreprendre la 
converfion de ces mêmes Infidéles ; & 1l alla les chercher dans 
leur propre pais. La Rufle-rouge, qui s'étend vers le Midi, 
entre la ons & la Mofcovie , fut pendant plufieurs 
années le théatre des Miffions de Jäques Crefcens. Plufieurs 
de ces Peuples étoient encore Idolâtres : il y en avoit auff 
qui faïfoient profeflion du Chriftiantfme , mais felon le Rit, 

ou le Schifme des Grecs ; & les mœurs des uns n'étant ni 
” plus cultivées, ni moins corrompuës que celles des autres, 
te zélé Prédicateur eut à combatre en même tems, la fuperfti- 
tion , l'opiniâtreté , le Libertinage , & l'humeur féroce de 
gens , peu acoutumés à fuivre les lumiéres de la raifon , ou 
à fe conduire par les Loix. Le travail cependant ne put le re- 
buter. Et fa Pb naturelle , & la fupériorité de fes talens 
lui ayant enfin concilié lafeétion des Ruffens ; il fe fervit 
avec avantage de ces premiéres difpoñtions , pour leur faire 
connoître la vérité de notre Religion , & la fainteté de fes 
Myftéres. Nous favons que la Grace , quiéclairalesuns, & 


. (1) Perceperat deinde Greporius ipfos | primi, fan@iffimum Domini Corpus conta- 
Duces Poloniæ Chrätianos inter fe digla- | minare non verebantur. Ideo monebat 
diari, focialiaque arma in invicem exercere, | ( Gregoriws Paps ) Provincialem Poloniæ 
advocatis in auxilia Saracenis & Ruchenis , | Ordinis Prædicatorum , ut prædiétos Duces 
inimicis Ecclefiæ Catholicæ , qui Ecclefias | ad pacis & concordiz gratiam reducere {a 
dirucbant , & horribiluis quam deceat ex- | rageret , .&cc. Bzavius #4 An. 1232,2. 12, 


: XIX, 

"Le Pape ques 
Jäques Crefcens de 
travailler à leur ré- 
conciliation. 


XX. 
Travaux du Mi. 
niftre de J.C. dans 
la Rufle-rouge. 


XXT. 
Idolâtres & Schif- 
matiques conver- 
tis. 


LIVRE 
III. 


Es nent 
JAQUES 
CRESCENS. 
À à 





XXII. : 

On leur donne 
un Evèque Catho- 
lique, {ur le raport 
de Jâques Cref- 
ceas. 


XXTII. 

Qui réünit les 
Princes du Nord 
contre Îles Tar- 
tares. 


XX1V. 
Grands avanta- 
es qu'il procure à 


Religion. 


28e HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


qui les retira du fchifme , ou du culte facrilége des Idoles, ne 
produifit pas le même éfet à l'égard de tous ; mais il eft cer- 
tain que plufeurs entrérent dans le fein de l’'Eglife. 

Nous en avons une preuve, dans la priére que firent ces 
Peuples au Vicaire de JESUS-CHRIST , pour avoir un Evé- 
que de fa Communion. L’Archevêque de Gnefne demanda 

our eux cette grace. Er Jâques Crefcens ayant reçu du 

ape la commiflion d'éxaminer l’état du Païs, les avantages 
ou les inconvéniens qui pourroient fe trouver dans l’éxécu- 
tion de ce deffein ; ce fut fur fon raport , & de fon avis, que 
Sa Sainteté érigea un Siége Epifcopal dans la Ruffie-rouge ; 8c 
nomma pour premier Evêque le Pere Gerard , autre célébre 
Difciple de faint Hyacinthe , qui avoit déja gouverné la Pro- 
vince de fon Ordre , dans le Ho aume de Pologne (1). 

Les travaux de notre fervent Miflonaire ne furent pas tou- 
jours renfermés dans les fept Palatinats, qui compofent la 
Ruffie-rouge ; il éxerça fon miniftére avec le même fuccès 
dans les Duchez de Pruffe , de Mofavie , & de Lituanie. La 
grande réputation qu'il s'étoit aquife dans ces diférens Pais,, 
le mit en état de réunir tous ces Princes & ceux de Pologne, 

our leur commune défenfe, contre les incurfions continuel- 
le des Tartares ; & on atribua quelquefois au mérite de fes 
“es , les avantages remportés par les Chrétiens fur ces 

ations infidelles (2). 

Je ne parlerai point de la fageffe de fon gouvernement dans 
la Charge de Provincial ; de fon aplication à faire fleurir par 
tout la Régularité , Les Etudes , & l'Efprit apoftolique ; ni en- 
fin du grand nombre d'Eglifes , d'Hôpitaux , & d’autres Mai. 


{ons de 
tien des 


(x) Et quia fupplices Gregorio fuerant, ut 
eis recens converfhs , aliquem Antiftitem, 
vitæ fan@timoaiä, & Ecclefiæ adminiftran- 
dæ prudentià infignem præficeret ; ea prop- 


tes Gregorius Jacobo Crefcentio Provincia- 


li, & Frater Domaflas Ordinis Prædicato- 
rum Provinciæ Poloniz commiferat potefta- 
tem inquirendi ftarum , circumftantiafque 
Regionis, & Nationis Ruthenorum, cæte- 
raque omnia quæ ad inftitutionem Epifcopi 
pertinere videbantur....1s porro Fratris 
Beati Gcrardi , nuper Provincialis Polonix, 
probirare , & dexteritate perfpeétà , cum 
Genti Ruthenorum recens converfæ primum 


prxfecit Epifcopum, &c. Bzovi. #4 An, 


ee qu'il fit élever , foit pour le logement & l’entre- 
auvres , foit pour l'inftruétion des Fidéles, ou pour 


1231,9M. 12. 

(2) Gresorius co nomine IX .... vi- 
tum ad ingentia natum fummopere admira- 
tus, maxima ci negotia Ecclefiæ commit- 
tebat , quæ tam alacri animo fufcepit, tam 
fclici fucceflu perfecit, ut majorum glo- 
riam adæquarit, fibi vero æterniratem me- 
rucrit .... Tartarorum impetus ferales non 
femel fupplicationibus repreflit ; Principes 
Poloniæ contra cos, & Prutenos communes 
hoftes , una cogitatione profigandi anima- 
vit. Toparchias Volinix , Podolix , Pede- 
montii, Rufliæ, Prufliæ, Maloviæ , Litua 
niæ diviniore Spiritu informavit, &c. Bzxo- 
Vi, Ad An, 1223 , 7 6. + | / 
l'éducation 


- DE L'ORDRE DE $. DOMINIQUE. 281 


l'éducation de ceux, qui devoient leur diftribuer un jour le 
pain de la Parole. Il faudroit avoir des Mémoires beaucoup 
plus circonftanciés que ceux qu'on nous a laïflés , pour ra- 
porter en détail tous les avantages que le Serviteur de Dieu 
avoit procurés à la Religion , tant par lui-même , que par le 
miniftére de {es Freres , qu'il formoit avec tant de foin aux 
fonéions de l’Apoftolat , & qu'il favoit diftribuer felon les be- 
foins des Peuples. La connoiffance qu'il avoit aquife dans le 
cours de fes longues Miflions , touchant les coutumes , la 
religion, les mœurs , ‘& les vices de tant de diférentes Na- 
tions , le métoit à portée de travailler plus éficacement à la 
propagation de la Foi & au falut des ames. 

À fon retour des Contrées les plus reculées du Nord, faint 
Hyacinthe n'eut que de très-humbles aétions de graces à ren- 
dre à Dieu , de l’état où il trouva , & fa religieufe Commu- 
nauté de la Trinité, & les autres pieux Etabliffemens qu'il 
avoit faits , tant dans la Ville , que dans le Diocèfe de Gra- 
covie. Le zéle & la vigilance de Jâques Crefcens avoient 
augmenté celle-là de plufieurs bons Sujets ; & il s'étoitenfuite 


LIVRE 
III. 


JAQUES 
CRESCENS. 








Re ee 7 ose) 


L'an 1241 


fervi à propos de leur miniftére , pour entretenir ou perfec- 


tionner ceux-ci, & pour les multiplier. Tous fes Religieux , 
fous fa conduite,fe dévouoient d'autant plus volontiers au tra- 
vail, qu'ils avoient le plaïfir de le voir toujours le premier , 
& dans les pratiques réguliéres , & dans les périls , ou les fa- 
tigues de l'Apoftolat. Son éxemple ranimoit leur ferveur ; 
& fa fermeté , lorfqu'il s’agifloit des intérêts de la Foi, ou 


de l’honneur de l’Eglife , infpiroit du courage aux plus ti- : 


mides (1). 

Dès l’année 1243, lorfque faint Hyacinthe recommença 
fes Courfes apoñftoliques , pour porter la lumiére de l'Evan- 
gile à de nouveaux Peuples , ou pour afermir dans la Foi ceux 

ui il l'avoit déja prêchée , Jâques Crefcens partagea avec 
lui tout le poids de ces longues & pénibles Miffions. Il tra- 
vailloit dans la grande Ruffie, ou la Mofcovie, vers l'an 
124$ : & on croit que ce fut principalement par fes foins que 
la Nation des Rufles, mieux inftruite des Véritez de notre 
Foi, voulut entrer dans la Communion de l’'Eglife Romai- 


(x) Ipfe enim agmen Fratrum , quo cæ- | giffet. In depofcendis pro Fide , Ecclefa , & 
toris par animus fimilibus facinoribus effet , | Religione periculis, & arduis rebus alacris ci 
antcibat lætus lubens ad virturem. Nec | promptitudo , &c. Bzovi. n. 6. 
quidquam A vd » quod non perc- 


ome L Nn 


XXV. 
Ce qu'il fait dans 
la grande Ruilic, 


282 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE ne (1). Daniel , un des plus puiffans & des plus diftingués 
IL. entre les Souverains du Pas , envoya des Ambañfladeurs & 
Jaques des Lettres au Pape , pour demander d’être réuni , lui & fon 
Crescens. Peuple, au Saint Siège. Cette démarche fut fi agréable au 
=" Souverain Pontife, qu’il nomma un Légat Apoftolique pour 
confommer cette grande afaire. Et parce que le Prince Da- 

niel pouvoit fervir utilement la Religion contre les éforts des 

Infidéles , le Pape Innocent IV , pour l'atacher à l'Eglife par 

de nouveaux bienfaits , lui donna le titre & la Couronne de 

Roi. Ceci ariva en 1246. Les fuites , il eft vrai, ne répon- 

dirent point aux grandes efpérances , que la converfion de ce 

Prince avoit fait concevoir. Son changement , aflez connu 

par les reproches que lui fit depuis AléxandreIV ,ne pût qu’afli- 

ger fenfiblement notre zélé Prédicateur , qui continuoit à por- 

ter ailleurs les paroles du falut', & à procurer aux nouveaux 

Chrétiens tous les fecours fpirituels , dont ils pouvoient avoir 

_— befoin. Bzovius prétend , qu'il avoit établi n Couvens de 

Hl fonde des Mai- fon Ordre parmi tous ces diférens Peuples , aufquels il anon- 
fons de fon Ordre ça l'Evangile, depuis le Mont Crapax en Pologne , jufqu’aw 
anne Pont-Euxin , ou à la Mer-Noire (2}. Il eft certain, qu'il aéré 
toujours confidéré comme le digne Coopérateur de faint Hya- 

cinthe, dans la fondation d'une grande Province , d’où on a 

vû fortir tant de faints Evêques , & un nombre prefqu'infint 

de zélés Prédicateurs de la Foi. Dans la fuite des terns, les 

Tartares , les Sarafins , les Grecs fchifmatiques , & enfin les 

Luthériens , ont détruit la plüpart de ces San@tuaires de piété. 

Mais la Providence en a confervé quelques-uns , où la mémoi- 

re & le nom de Jâques Crefcens font encore en bénédiétion. : 

- XXvIIL. Ce fut en continuant à combatre les œuvres de Satan, & 
Sa mort précieufe. 4 prêcher le nom de JESUS-CHRIST , que cet homme vérita- 
blement apoñtolique termina fa glorieufe carriere. La viva- 

cité de fa bi parut furtout dans fes derniers momens (3) : & 

fa confiance en la miféricorde du Maitre , qu'il avoit fervr 





(5) Danielem Romanovicium Ruflorum | correptus familiari edulio Sacrofanétz Eu 
Ducem Ecclefizæ Catholicæ concorporavit ; chariie refici , & facro ungine inungf 
Regioque & Nomine , & Diademate di- Ipoftulavir. Morbo ingravefcente , à facris 
gnum ecit, &c. Ibid. Canonicis recitandis revocari non poterar. 

(2) Religionem Prædicatorum eis mon- | Cum Fratres circa morientem complora- 
tem Carpanthum , adufque Pontum Euxi- frent ; honefté vixi, ait, honeftè moriar. 
num , & Sinum Balticum , fimul cum fan@o | Mei nulla vos habeat cura ; ad eum prope- 
Hyacintho propagavit, &c. Ibrd. ro , qui vitæ mex arbiter, explorator , exae 

(3) Cumque ætatem & vires in folis lu- | étor, & munerator meus , &c. Ibid. 
cidioris iinerc exegiflet , tandem morbo: : 


‘DE LORDRE DES. DOMINIQUE. 283 


-avec une fidélité fi perfévérante, en infpira à fes Freres, qui 
devoient être les héritiers de fon efprit , & les fucceffeurs de 
fon Apoftolat. On ne nous a point apris le jour , ni l’année de 
fa mort , que nous croions pouvoir placer vers l'an 1272. 

Les Auteurs Ecléfiaftiques remarquent fur la même année 
un événement, qui mérite d'être raporté ici: 1l n’eft point 
étranger à notre fujet. Parmi les Religieux , qui , dans la Com- 
munauté apellée de la Sainte Trinité à Cracovie , travaille- 
rent à leur propre perfeétion , 1l y avoit trois Freres utérins , à 

ui faint Hyacinthe avoit donné dans un même jour l’Habit 
de fon Ordre ; ils étoient parconféquent, ou du moins ils s’é- 
toient trouvés pendant quelques années , fous la direétion de 
Jäques Crefcens. Et leur rare piété faifoit honneur à de tels 
Maîtres. Plus unis encore dans la charité de JESUS-CHRIST , 
que par les liens du fang, ou par la profeflion de la même Ré- 

le, les trois Freres marchoient d’un pas égal, fous les yeux 
… Seigneur , dans la voie de fes Commandemens. Tous les 
jours L renouvelloient leurs faintes réfolutions ; & leur avan- 
cement dans la pratique de la vertu, répondant à l’ardeur de 
leurs défirs , ils goutoient toutes les douceurs, & éprouvoient 
tous les avantages d'une union fi chrétienne. 

Rien n’avoit été capable de l'afoiblir, ou de la diminuer 
pendant leur vie ; & la mort bien loin de la rompre, la ren- 
dit à jamais indifloluble. Ces innocentes vitimes de la charité, 
& de la pénitence étoient un fruit mür pour le Ciel. Dieu 
voulut finir en même-tems leur carrière , & leur donner la 
même Couronne. Le Jeudi-Saint de l'année 1272, après avoir 
fait la Communion Pafchale , pendant que profternés devant 
le faint Autel , ils répandoient leur cœur en a@tions de graces, 
ils s'endormirent doucement dans le Seigneur ; & pañférent 
des travaux de cette vie au repos de l’Eternité. 

Cependant une mortaufli extraordinaire frapa extrémement 
tous les efprits. On craignit où il n'y avoit pas lieu de crain- 
dre : & les grands éxemples de fænteté que ces jeunes Reli- 
gieux n'avoient ceflé de Ps , dans toute la fuite d’une vie 
très - pure & toujoürs fans reproche , ne purent empêcher 
que l’on ne regardât leur fin comme tragique. On n'ofoit d’a- 
bord condamner d'hypocrifie la piété den de Dieu, 
dont on avoit été long-tems édifié, qui s’étoit foutenuë dans 
les épreuves, & qu'on n’avoit jamais vû fe démentir. Malgré 
tous ces favorables préjugez , les timides __— de quel- 

| n 1j 


LIVRE 
III. 


JAQUES 


CRESCENS. 
D us en 








XX VIII. 
Hiftoire édifiante 
de la vie & dela 
mort de trois jeu- 
nes Religieux, fre- 
res utérinse 


LIVRE 
III. 


JAQUES 
CRESCENS. 
nr cr 








284 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


ques-uns fe “sais Meier bien-tôt aux autres. Les TE 
çons, la crainte , ou le trouble allérent fi loin, qu’on fe dé- 
termina enfin à refufer les priéres de l’'Eghfe , & les honneurs 
de la fépulture à ceux que le Ciel avoit déja couronnés. On 
fe contenta de cacher leurs corps dans une terre profane. 
Mais Dieu ne laiffa pas long-tems fes amis fous cette efpéce 
d'anathême. Il nr leur gloire ; & en multiplia les preu- 
ves d'une maniére , que tous les doutes furent heureufement 
diflipés. La triftefle & la fraïeur aïant fait place aux aplaudif- 
femens publics, & à une joie univerfelle, ces faints corps fu- 
rent tranfportés avec Sn religieufe dans la Chapelle, 
qu'on apelloit alors des Trois Rois, & qui eft confacrée au- 
jourd'hui fous l’invocation de Notre-Dame du Rofaire. L’'E- 
glife de Cracovie , qui écrivit dès-lors cet événement, nous a 
confervé les noms Ex ces trois Religieux , dont le plus ancien 
étoit Prêtre, le fecond n’étoit encore que Diacre, & le troi- 
fiéme Soudiacre (1). On peut inférer de-là qu'ils s’étoient 
confacrés à Dieu dès leur plus tendre jeunefle ; puifque faint 
Hyacinthe qui leur avoit donné Habit de Religieux, étoit 
mort depuis quinze ans, c’eft-à-dire , le 1$ d'Août 1257. 


(1) Eodem anno Cracoviæ in Polonia| Cun@ifque exiftimantibus id eis contigiffe ; 


tres Fratres uterini, Wenceflaus Prefbiter, 
Wiladiflaus Diaconus, & Wiflaus Subdia- 
conus , qui uno die Religionis fanéti Do- 
minici habitum 2 fanéto Hyacintho fufce- 
perant , & in co plurima puritatis fanctita- 
tifque confpicuæ illuftria fpecimina dede- 
rant , uno item die, nempe Feria quinta 
majoris Hebdomadæ , cum facrofanétà Eu- 
chariftiâ refecti , pro oe Poloniæ con- 
fuetudine , ante altare proitrati gratias Deco 
perfolverent , fubito exanimati reperti func. 


quod ore contaminato Chrifti menfz com. 
municaflent , terrà profanäà abfque ullis Ec- 
clefiafticis ceremoniis fepuki fuere : donee 
idem ipf Priori Conventüs lucidiflimä fpe- 
cic femel , iterum tertioque in fomnis ap- 
parentes, beatitudinem fuam demonftra- 
runt ; & maximo hcminum plaufu in fa- 
crum Sacellum illati funt. Sponden. ad An. 
1272,9.121: @ Bzovi. ad eund. An. ». 
20 , ex Diarsis Ecclef. Cracevi. I Paru 
fol. 41. 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 285 
SÉSVSVSE SES VS ST SNS ST ST STSTS 


THOMAS DE BERTA ; 


EVÉQUE DE SIENNE. 
L E peu que nous favons de la vie & des aétions de ce 


faint Evèque, nous le devons à la diligence de l’Abé 
Ughel , qui l’a recueilli des Regiftres du Vatican. 
homas, de la noble Famille de Fufconi de Berta, fort 
diftinguée dans (1) Rome , aïant embraffé l’Inftitut des Fre- 
res Précheurs , dans le Couvent de fainte Sabine, s’apliqua 
avec tant d’ardeur à la pratique de toutes les vertus, & à l'é- 
tude des Siences , qu’il fut confidéré comme un Religieux des 
plus acomplis, & l’un des plus habiles Théologiens de fon 
tems. Ces deux qualitez, la fience, & la fainteté , jointes à 
l'éclat de fa naiffance , à fes autres talens, & à une haute ré- 


putation, le portérent fur le Trône Epifcopal, lorfqu'il ne 


penfoit qu’à fe cacher dans l'obfcurité du Cloitre , ou à ne pa- 
roître aux yeux du Public que dans l'éxercice du miniftére de 
la parole. 

É en remplifloit les fonétions avec dignité : & déja il avoit 
été élu Evêque de Cefaledi, Ville de Sicile , dans la Vallée de 
Demona, quand le Chapitre de Sienne le choifit pour fon 
Pafteur l'an 1253. Cette Eglife pleuroit encore la perte , qu’elle 
venoit de faire par la mort de fon Evêque , nommé Bonfili, 
qui lavoit fort faintement covers ut de trente-fix 
ans. Mais dans les mérites & la charité du nouveau Prélat, 
les Fidéles trouvérent un jufte fujet de confolation. Ils s’aper- 
E d'autant moins du changement , que Thomas de Berta 
e propofa d’abord de marcher fur les traces de fon illuftre 

rédéceffeur ; d’imiter (s’il ne pouvoit la furpafñfer ) fa libéra- 
fre envers les pauvres ; & de faire éxaftement obferver les 
Joix très-falutaires, qui avoient été faites pour la majefté du 
culte divin, le bon ordre, ou l'honneur du Clergé, le régle- 

(1) Quelques guerre ont crû qu'il étoit | ler. Nes ver Romansm ex Nobili Fufconæ 
natif de Sienne. Mais l'Abé Ughel a prouvé | de Berre Familis profeminsium , @ #4 
Je contraire par les Regiftres du Vatican : | banc infwlem à Cœnobie Dominicane evecs- 
ÆEjus honorificè meminit . .... Gregorius l'ium , ex Reg. Vatic. [upra retulimus. tal 


Lombardells quem Pairiä Senenfem #ppel- VSacr. T. II, Col. Dix. 
| Nn ii 


Livre 
OU, 
A 


THoMAs 
DE BERTA. 
D 


Ital, Sacr, T. IE, 
Col. zvir, &c. 


I. | 
Belles qualitez de 
Thomas de Berta. 


IT. 

Il eft élû prefque 
en même-tems E- 
vêque en Sicile & 
en Lofcane. 


‘286 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE ment des mœurs des Fidéles, mais furtout pour la conferva- 
HIT. tion du facré dépôt, par l'extirpation de l'héréfie. L'erreur 
Tuomas  AVOIt déja jété de profondes racines dans la Ville même de 
peBerra. Sienne, du vivant de l’'Evêque Bonfili. L’Abé Ughel atribue à 
v—— l'impiété de quelques Albigeois fortis de nos Provinces, le ve- 
nin des dogmes impies , qu'on prêchoit avec un malheureux 
fuccès dans la Tofcane ; & aufquels la vigilance du Prélat, 
dit cet Auteur, opofa le miniftére des Freres Prêcheurs, & 

, des Freres Mineurs (1). 








UIL Les atentions de Thomas de Berta ne furent pas moindres 
Vigilance pato- que celles de fon prédéceffeur , foit pour chaffer les loups du 
PRE milieu de la Bergerie , ou pour les empêcher d'y rentrer. C’é- 


toit furtout contre l'honneur de la Reine des Vierges, que ces 
bouches impures avoient coutume de blafphémer : & le fage 
Pafteur s’apliqua principalement à faire connoître aux Fidéles 
les glorieux privilèges de la Mere de Dieu, & le véritable culte, 
IV. .  quiluieft du. Cette tendre dévotion , qu'il avoit fucée dans 
Sn San en Ordre , il la prècha fiéficacement , que laVille de Sienne , 
fon Pafteur,femet par un vœu Caps fe mit dès-lors fous la proteétion particulié- 
parues PA re de la très-Sainte Vierge. Les difcours patétiques d’un Evêque 
rcction de la Se naturellement éloquent , avoient perfuadé aux Siennois cette 
Vicrge. premiére démarche : & par la fainteté de fes éxemples , il leur 
aprit de quelle maniére ils devoient remplir leurs engagemens. 
Humble , modefte, charitable , pénitent , il infpiroit à tous 
le zéle de laReligion , l'amour, & la pratique des bonnes 
œuvres. Plus fa vie étoit auftére, plus fa charité fe répandoit 
fur tous ceux qui fe trouvoient dans l’indigence : & la profu- 
fion de fes aumônes ne l’empêcha pas de paroître magnifique 
Y. dans l’ocafion. Sur les revenus de fon Evèêché, il affigna des 
Le pieux Evêque fonds très-confidérables , pour l’agrandifflement , ou la déco- 
ST RCa- ration de l'Eglife Cathédrale. Et c'eft avec raifon qu’on lui 
atribue les beaux commencemens d'un Temple, qui, porté 
depuis à fa perfeétion , pafle aujourd'hui pour un des plus 

magnifiques de toute l'Italie (2). _ 
(1) Bonfilius autem diligens Ecclefiæ fux (2) Frater Thomas Fufconus de Berta 
Antiftes, cum didicifict Albigenfium im- | Romanus ex Ordine Prædicatorum, electus 


picrarem Senas à Galliis à ere cjuf- | Epifcopus Cefaludenfis , ad hunc Epifcopa- 
dem Seétz Novatoribus delatam , altas ra- | tum ( Senenfem ) affumptus eft anno 1253 ; 


dices egifle , indocuit , ftuduitque omni | Idibus Decembris . . "E in divina fapicn- 
prorfus laboreeam ex Urbe eliminare. Fre- | tia longe clariffimus, ac fingulari pietate er- 
tus jtaque Prædicarorum , Minorumque | ga Dciparam Virginem , Auëtorque Senen- 
Fratrum auxilio illam ex voto jugulavir, &c. | fibus , ut fingulari voto ad ejufdem tutclam 


Jbid. Col. pui, confugerent. Ecclefix Cathedralis operarios 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 287 


, Tout ce qui peut fervir à entretenir, ou augmenter la piété 
des Peuples : fx toujours l’objet de fa vigilance. Et il la re- 
doubla à l'égard de fon Chapitre , dont il eut foin de faire re- 
nouveller, ou confirmer par le Saint Siège les Statuts, les 
louables coutumes , & les pratiques réguliéres. Le Cardinal 
O£tavien, Légat du Pape, agit de concert avec le pieux Pré- 
lat. Et Aléxandre IV Fu fon Bref de 1257 autorifa tout ce 
que le zéle de la Maifon du Seigneur avoit infpiré à l’un & à 
l'autre. | 

Le Sénat de Sienne aïant publié l’année fuivante quelques 


! 


Ordonnances, que les perfonnes fages jugérent contraires à 
la liberté de l'Eglife, & de fes Miniftres Thot de Berta, 
pour remplir fon devoir, & fuivant les ordres du Saint Pere, 
s’opofa avec beaucoup d'intrépidité à léxécution de ces Dé- 


crets. Mais fa fermeté vraiment Epifcopale ne lui fit jamais 


négliger les voies de la douceur. Aufli fe conferva-t'il tou- 
jours une fi grande autorité au milieu de fon Peuple, que fa 
feule médiation fufit pour pacifier les diffentions , & les trou- 
bles , & rétablir dans la Ville de Sienne la tranquillité , qui 
avoit été troublée par l'ambition, & les intrigues d'un mauvais 
Citoien (1). Toutes les fois que la malice de Satan effaïa de 
jéter parmi le peuple , toujours facile à s'émouvoir , de nou- 
velles femences de divifion , le Serviteur de Dieu eut l’aten- 
tion , & le bonheur ou d’étoufer aufli-tôt les premiéres étin- 
celles de ce feu , ou d'en arêter le progrès, & d'en prévenir les 
plus fâcheufes fuites. | 
. Après avoir travaillé pendant vingt ans à cimenter la paix 
parmi les Citoiens de Sienne , à les inftruire , & à les atibe: 
plein de jours & de mérites , 1l fe repofa dans le Seigneur 
l'an 1273. Son Corps fut enterré dans l’'Églife Cathédrale (2). 
Tout ce qu'on vient de dire , eft pris : A troifiéme Tome de 
l'Italie Sacrée. Mais nous ne devons point diflimuler que plu- 
dieurs Auteurs Italiens donnent beaucoup moins d’années à 
l'Epifcopat de Thomas de Berta. Gregoire Lombardelli, 


Fontana , & quelques autres prétendent que ce Prélat aïant 


# 


inftituit , attribuitque fumptus non paucos 
ex menfa Epifcopali ad Templi honeftamen- 
tum : unde poftea ftupendum opus venit ad 
“pofteros , &c. Ital. Sacr. T. III, Col. buvix. 

(x) Idem ab Urbano IV Clementis Suc- 
<eflore , anno 1262 , per licteras exoratus, 
graves lites compefcuit , quas inter fe inhu- 
maniter exercebant Sennenfes | quorum 


Princeps habebatur malitià Scottus, dives 
& præpotens civis. Ial. Sacr. st fp. 

(2) Thomas denique cm benè Eccle- 
fiam fibi creditam adminiftraffer annorum 
viginti curriculo , meritifque plenus anno 
1273 ulimumdiem claufit , conditufque eft 
in communi Epifcoporum offuario in æde 


Cathedrali, &c. Ibid, Col. Dix. . 


LIVRE 
III. 


THoMASs 


DE BERTA. 
A à 








Soutient le ou2- 
bles pratiques de 
fon Chapitre. 


VIT. 
Défendles Libers 
cez del'Eglle 


VIII. 
Rétablit la tran- 
quillité publique. 


IX, 
Finit fainterment 
fes jours, 


288 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE gouverné fon Eglife avec beaucoup de gloire, & de fainteté ; 

| mais pendant fort peu detems, il eur pour fucceffeur dans fon 

Tuomas Siège, un noble Siennois, Religieux du même Ordre deS. Do- 

pe BERTA.  minique,nommé Thomas Balzetti,à quiils atribuent la plüpart 

———— des faits dont nous avons parlé d’après l'Abé Ughel. Celui-ci 

eft fondé fur les Regiftres du Vatican : & les autres citent 

les anciens Manufcrits des Archives de Sienne. L’Auteur , qui 

nous a donné la feconde Edition de l'Italie Sacrée , dit que le 

tal Sr nr, féntiment des derniers ne paroît pas éloigné de la vérité : 
Nota (1. ‘  ” Quod quidem à veritate alienum nequaquam puto. 


CÉFFFFÉFÉÉESERSSESSESSESE] 


GUILLAUME DE TRIPOLI; 


CELEBRE PREDICATEUR DE LA FOI 
DANS L'ORIENT , ET NONCE DU PAPE. 


DE TRIPOLI. Mont Liban, à trente-cinq lieuës d’Antioche, étoit cé- 
lébre du tems des Croifades , & dès-lors fort fréquentée par 
les Italiens , les Allemans, & les François, qui poffédoient 

vide Echard, 7. 1, Le Comté de Tripoli dans le treiziéme fiécle. ef dans cette 

SE Ville que naquit vers l'an 1220 Guillaume furnommé de Tri- 
sudo: POU: Les arens faifoient profeffion de la Religion Chrétien- 
vie de Dieu. ne; &ils per eu avec tant de foin dans la crainte de Dieu, 
& l’étude des Lettres , que la fréquentation des Schifmatiques , 
ou des Infidéles , mêlés avec les Latins , ne püût ni afoiblir fa 
foi, nicorrompre fes mœurs. Il en conçut au contraire un 
plus grand défir de fe mêtre en état de travailler un jour à la 

converfion des uns & des autres. 
Déja favant dans les langues, & n'ignorant ni les dogmes, 
ou les vaines fuperftitions des Sarafins , ni leurs coutumes , le 
. pieux jeune homme pour fe confacrer au Seigneur , s’éloigna 
11 quite fon Païs, de la maïfon de fes parens, & fe rendit à Ptolemaide , apellée 
(or ones Saint Jean d'Acre, où 1l demanda l'Habit de Religieux, qu'il 
Ml reçut dans le Couvent des Freres Prêcheurs. Apliqué d’abord 
à l'étude de la Religion , à la leéture des Livres faints, & à la 
riére , il donnoit au foin de fe perfeétionner dans les Siences , 
dans la pratique des vertus , tout le tems que les autres 
étoient 


GUILLAUME TC RiProLi, Ville de Turquie dans la Syrie, proche du 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 289 


étotent obligés d’emploier à É. les Langues Orientales, 
L’unique objet de fes études , & de fes éxercices de piété , n’é- 
tant que de faire glorifier le nom de JEsus-CHRIST , en prè- 
chant fon Evangile à ceux qui avoient le malheur d'ignorer 
l'un , & de blafphémer l’autre , le Seigneur bénit fes deffeins ; 
& les Supérieurs ne tardérent pas de métre fes talens à profit. 
-_ Lorfque le Roi faint Louis, après la défaite de fon Armée, 
ariva dans la Paleftine , l'an 1250, il y avoit déja quelque- 
tems que Guillaume de Tripoli éxerçoit dans ce Païs le Minif- 
tére L la Parole ; & fon travail avoit été utile à plufieurs. Il 
ke continua encore pendant plus de vingt ans avec le même 
zéle | 8 avec tant de fuccès, qu'un très-grand nombre d’In- 
fidéles , inftruits par fes Prédications & par fes Ecrits, aban- 
donnérent la Loi de Mahomet, pour faire publiquement pro- 
feflion de celle de JEsus-CHRIST. C’eft ce ma pe P- 
lui-même dans un de fes Livres, compofé pour réfuter les er- 
reurs des Mahométans (1) , & dédié à un faint Perfonnage , 
qui avoit été , ou qui étoit alors témoin de fes travaux Apof- 
toliques, & des bénédiétions que le Ciel répandoit fur fon 
Miniftére. | : 
Thibaud , Archidiacre de Liège , depuis Pape , fous le nom 
de Grégoire X , fe trouvant en 1269 à Saint Jean-d’Acre, fut 
fi édifié des vertus , & furtout du zéle infatigable du Servi- 


teur de Dieu, qu'il contraéta avec lui une étroite amitié. Il 


lui propofa enfuite de faire un Ouvrage , qui püût fervir aux 
autres Prédicateurs de la Foi , pour bien connoitre la Loi des 
Sarafins & de leur faux Prophète. Le fervent Religieux ac- 
cepta fans peine le travail ; fuivit fidélement le plan propofé, 
&t préfenta os Livre à l’Archidiacre même de Liège en 1270, 
eu de tems avant qu’on eût apris dans la Terre-Sainte fon 
ous au Souverain Pontificat. Cela paroït par la Dédi- 
cace de cet Ouvrage. | 
Guillaume de Tripoli le commence par l'Hiftoire de Maho- 
met , dont il fait connoître l’origine , la Patrie , les avantures 
& la politique. Il parle enfuite des commencemens & des pro- 
grés L fa Seëte, k de tout ce qui a fervi à fes Seftateurs pour 


. (x) De flatu Saracenorum , @ de Ma- j Conventäs Ordinis Pradicaterum , ipfum 
ometo Pfeudopropheta eorum , Gr corum | in Chriffo pie peregrinationis adipifcs vo- 


Lege, &@ Fide..,. Venerabils Patri ac l'iiva. C'eft le Titre & le commencement de 


Domino Thealdo Leodienfis Eccleffe Archi- | cet Ouvrage, dont on voit encore un Ma- 
4iacono , digno Terre Santte peregrino , | nufcrit dans la Bibliotéque de S. Viétor à 
Fraser Guillelmus Tripolisanms Aconenfis | Paris. Cod. DCLIV, 

Tome LI. | O0 


Livre 
UE. 
GUILLAUME 


DE TRIPOLr. 
D à 





NII. 

Il combat les Er. 
reurs de Mahomet, 
par fes Difcours & 
par fes Ecrits. 


Il contracte une 
étroite amitié avec 
Thibaud Archi- 
diacre de Liége , 
depuis Pape. 


V. 

Deflein de Guil- 
laume de Tripoli, 
dans {on Ouvrage 
contre l'Alcoran. 


ed 


LIVRE 
III. 


GUILLAUME 


DE TRIPOLI. 
D 7 "08 








VI. 
Sarafns batifés. 


200 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


s'étendre , s’agrandir , & s'élever enfin à ce haut point de 
puiflance , qui les a rendu formidables à toutes les Nations 
dans les trois parties du Monde. L’Auteur explique avec foin 
toute la Doëtrine, ou les principes de la Loi de Mahomet : 
& il fait remarquer d’une part , ce qui fe trouve dans l’Alcoran 
de favorable à la Religion Chrétienne ; & il montre de l’au- 
tre tout ce qu'il y a d’abfurde, ou de contraire à la raifon na- 
turelle , pe bien qu'à la révélation. Il propofe enfin les vé- 
ritables moyens de combatre avec fuccès la Loi du faux Pro- 
phête , & d’atirer fes Difciples abufés à la lumiére de l'Evan- 
gile. Tous les raifonemens de Guillaume de Tripoli font 
apuyés fur l'expérience fréquente qu’il. avoit faite , dans le 
cours de fes longues Mifhons. Et il conclut fon Traité par 
ces paroles : “ C'eft ainfi _ fans le fecours des argumens 
y cofonliquee , & fans la terreur des armes matérielles, 
» par la feule vertu de la parole de Dieu , nous avons vùû les. 
Lrafins fe préfenter en grand nombre , pour demander le 

» Batème de JESUS-CHRIST , & entrer comme des brebis do- 
» Ciles dans le bercail du bon Pafteur. Celui qui écrit, & 
» qui atefte ceci, en a déja batifé plus de mille , par la grace 
: Dieu , à qui feul apartient la roma & la gloire dans le 

» fécle desfiécles , {1}. | 
Pendant que Théalde , où Thibaud , continuoit fon féjour 

à Ptolémaide , n'étant encore qu’Archidiacre de Liége , trois 
célébres Voyageurs Venitiens , apellés Nicolas, Marc ê 
Mafée , lui 4e, re vifite , & lui propoférent d'écrire à l’'Em- 
pereur des Tartares , pour lui donner quelques inftruétions 
fur notre Foi. Deux de ces Venitiens avoient autrefois fré- 
uenté la Cour de ce Prince ; & ils retournoiént le join- 
dre dans fon camp. Théalde leur donna les Lettres qu'ils de- 
mandoient , & 1ls partirent. Mais l’Archidiacre ayant reçû 
bien-tôt après le Décret de fon Ele&ion à la Papauté , il fit 


(1) Quoniam intellexi illuminatam Fi- 


que dilatata. 3°. De Lege corum , five de 
dem veftram cupere {cire quid gens Sarace- 


Libro qui dicitur Alcoranum ; & quid in 
norum , & Liber corum, de Fide fentiat | ipfo de Fide Chriftianorum contineatur 
Chriftiana , votis piæ devotionis ftudui in | .... Et fic fimplici fermonc Dei, fine Phi- 
Doruino defervire, & offerre cupita, tria ! lofophicis argumentis , fine militantibus ar- 
in medium adducendo, & demonftrando ; : mis, ficuc oves fimplices petunt Baprifmum 
1°. Videlicer quis fuit Mahomeres memora- | Chrifti, & tranfeunt in ovile Dei. Hoc di- 
t& gcontis Dux , & Rector, & Pfeudoprophe-, xit, & fcripfit, qui Auétore Deo plufquam 
ta ,unde furrexit , & quando cœpit es mille jam baptizavit. Laus fit Deo in [cu 
honorem. 2°, Quomodo memorata gens | la fxculorum. 18 Biblior, Vic. Cod, DCLIv. 

ira potenter ,ac vchementer excreverit, fit- 








-DE L'ORDRE DE $. DOMINIQUE. 21 
rapeller les trois Voyageurs , les chargea de nouvelles Let- LIVRE 
tres ; & afin de contribuer plus éficacement à la converfion __2: 
des Tartares , il envoya avec les Vénitiens deux Religieux Gurrraume 
de l'Ordre de faint Dominique , dont il connoifloit le zéle, De Trirour. 
la prudence & la capacité. Dans l’Itinéraire de Marc-Paul, — 
Vénitien , ces deux Religieux font apellés Nicolas de Vi- VIL. 
c<ence , & Guillaume de Tripoli (1). M. Sponde ne nommè … Pape Hp 
expreffément que ce dernier ; & il croit que ce qui détermina ne de Tripoli vers 
particuliérement le nouveau Pape à le choifir pour fon Nonce le Grand Can des 
auprès du Grand Can des Tartares , fut la parfaite connoif- Tartarss. 
fance qu’il avoit des afaires d'Orient (2). : | 


9°” D] + + e 


Nous favons cependant qu’il n’ariva point jufqu’à la Cour 
des Tartares : car étant entré dans l’Arménie , il fe trouva 
comme invefti par une nombreufe Armée de Sarafins, que. 
le Sultan de Babilone avoit répanduë dans tout ce Pais. Après 
avoir efluyé bien des fatigues, & couru bien des périls , 
n'ayant aucune efpérance de pouvoir aller plus loin , fans tom- 
ber entre les mains des Infidéles , il s’arêta avec fon Compa- 
gnon & le Maître du Temple dans une Province d'Arménie, 
tandis que les Vénitiens , chargés des Lettres &rdes préfens de 
Sa Sainteté, cherchoient un paffage , pour effayer de conti- 
nuer leur route à travers les dangers dont ils étoient environ- 
nés de toutes parts. | 

Il eft à croire que Guillaume de Tripoli revint dans la Pa- 
leftine , où 1l continua fes travaux apofñtoliques jufqu'à la 
mort. Îl paroït du moins par quelques endroits de fon Ou- 
vrage, qu'ilécrivoit encore vers la ka de Juillet 1273. Quel- 
ques Auteurs lui atribuent un fecond Livre , intitulé : CZades 
ET , parce qu'il y décrit la prife de Damiete, & la rui- 
ne de cette Ville par les Sarafins , qui la brülérent, EE em- 
pêcher les Chrétiens de la reprendre une troifiéme fois. 


=" (æ) Duofque Fratres Ordinis Prædicato-| Ap. Ech#rd. ut h. | 
rum litteratos & probos , qui in Aconc] (2) Legitur in Bibliotheca Gefneri-eur 
<rant, mifit cum cis, quorum unus diceba- | ( Guillelmum Tripolitanum ) ad prædiétum 


tur Frater Nicolaus Vicentinus, alter ve- | Thealdum .... poftea Gregorium X Pa-- 
ro Frater Guillelmus Tripolitanus : cumque | pam, fcripfifle Commentarium de ftatu Sa- 
perveniffent ad Glazam, Soldanus Babilo- | racenorum . ... quare exiftimamus eum 


niæ cum fuo exercitu magno Armenos in- | antea notum Thealdo , ob cognitiSem re- 
. vafit ; Fratres vero illi propter pericula , & | rum Orientalium, ab eodem faéto Pontifi- 
-viarum difcrimina merucntes ad Tartaro- | ce ed libentiüs ad Tartaros Legatum cfle, 
rum Regem Se non poffe , cum Ma- | Spondan, 44 An. 1871, n. 6. 

gitro Templi in Armenia remanferunt, &c. 


Oo ii. 


292 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
RTL TITES TES TS TS. 
_ GEOFROY DE BEAULIEU, 
CONFESSEUR DE SAINT LOUIS: 
GUILLAUME DECHARTRES; 
CHAPELAIN DU MÊME ROL : 


GEOFROY Ous métons fous le même titre ces deux illuftres En— 


LIVRE 
III. 





DE BEAULIEU. fans de famt Dominique , dont les Hiftoriens ont cou- 
GUILLAUME 


tume de parler en même-tems. Le premier étoit natif du Dio- 
cèfe de Rouen *; & le fecond de la Ville même , dont il por- 
Joinville. Oderie, T4 Je NOM. On ne nous a point apris ce qui regarde Îles pre 
Rav. Sponde. Fluri, miéres années de leur vie : mais la confiance fi perfévérante, 
Dupin, Echasd, ° . | | : 
dont le plus faint de nos Rois les honora , eft une borne preur 
ve que la fainteté de l'éducation & l'innocence des mœurs, 
relevoient en eux les qualitez de l'efprit , & tous leurs talens 
naturels. a D | 
Pendant plus de vingt-deux ans , Geofroy de Beaulieu fut 
e . . e ! ? à 
le Confeffeur ordinaire de faint Louis , le fidéle dépofitaire 
de fes fecrets, & l’imitateur, aufhi-bien que l’admirateur de 
fes héroïques vertus. Il fufit de favoir l'Hiftoire du faint Mo- 
narque , pour ne pas entiérement ignorer celle du pieux Con- 
fefleur | qui eut l'honneur de partager avec lui les œuvres de 
charité & de miféricorde , les fatigues des né do , & les. 
périls mêmes de la Guerre : 1lle fuivit dans toutes fes expédr- 
tions contre les emmemis du nom Chrétien ; & ayant reçu les 
derniers foupirs du faint Roi , il ne put l’abandonner même 
après fa mort. | | | 
7 Lorfque le défir de procurer aux Fidéles de la Paleftine la 
Geokoy 20m Jiberté , & la poffeflion des Lieux faints , porta le Roi Louis. 
pagne S. Louis en à ; ; | 
Orient. IX à expofer fa Perfonne , les Princes de fa Maifon , & la 
_-Noffiefle de fon ve , à toutes les fuites d'une longue 
Guerre , Geofroy de Beaulieu ( déja fon Confeffeur ) entra 


DECHARTRES, 
Re | 


* L'illuftre Famille des Marquis de Beau- ! parmi les grands Perfonages , qui ont le 
Tieu de Beromas , fort diftinguée encore plus relevé l'éclat de cette ancienne Maïfon, 
dans le Pais , comte Gcofroy de Beaulieu | Vide Echard. inter addenda.'p. $. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 293 


avec Sa Majefté dans le même Vaiffeau le vingt-cinquième 
jour d’Août 1248 : & dès-lors nous le trouvons toujours aux 
côtez du Prince, foit dans l’'Ifle de Chipre, où pendant le fé- 
jour de huit mois il travailla à la converfion des Grecs fchif- 
-matiques *, & à la réconciliation de quelques Seigneurs croi- 
{és bi à la prife de Damiete , où faint pre ne donna pas 
de moindres preuves de fon courage , que de fa piéré & de 
fon zéle pour la Religion ; foit ve PA a captivité du faint 
Monarque , après la fatale journée de Charmafac. 

La conftance plus qu'héroique de ce religieux Prince ; fon 
égalité d’ame, & {a Lenuél rejéter toutes les propofitions 
qu'il ne croyoit pas raifonables , le faifoient admirer de fes 
ennemis mêmes , & confoloient en quelque maniére fes Ser- 
viteurs. Mais la folide confolation , dont il avoit lui-même 
befoin , il la cherchoit en Dieu , par fes faints entretiens avec 
fon Confefleur, & par les ferventes prières qu'ils faifoient 
enfemble , toujours moins afligés de la perte de leur liberté , 
qu'ocupés à rendre leurs aétions de graces au fouverain Maï- 
tre de nos deftinées. Lorfque la Tréve eut été concluë pour 
dix ans entre les deux Nations , & la liberté rendue au Roi : 
Geofroi de Beaulieu délivré en même-tems , acompagna faint 
Louis dans la Paleftine , où , pendant près de quatre ans , il 
fut ocupé à expliquer aux difciples de Méhomes les Myftéres 
de notre Religion ; à leur prouver la vérité du Chriftianifme, 
& à leur faire fentir le foible ou les abfurditez de l’Alcoran. 
Il nous aprend lui-même , dans. la Vie defaint Louis , que les 
grandes vertus de ce Roi felon le cœur de Dieu , furtout fa 
charité , & fa patience dans les épreuves , contribuérent en- 
core plus que les inftruétions à la converfon de plufeurs Sa- 
rafins. Ces Infidéles s’adrefloient à lui avec confiance ; & il 


les recevoit tous avec bonté : 1l les faifoit foigneufement inf- 


truire. Le Confefleur , avec plufieurs autres Religieux de fon 
Ordre & de celui de faint François , fe chargeoit volontiers 
de ce miniftére. Après s'être aflurés de la fincére converfion 
des Néophites , ils | acordoient la grace du Batème ; & le 
Roi ne refufoit pas de pourvoir à leur fubfiftance. 

La mort de la Reine Blanche fut une de ces ocafions, où 
on put connoitre , & toute la confiance dont faint Louis ho- 
noroit le Pere Geofroy, & le talent particulier que Dieu avoit 
donné à ce Religieux, pour confoler le Prince dans toutes 
fes peines les plus fenfibles. La trifte nouvelle cette mort , 

o il 


Livre 
III. 


GEOFROY 
DE BEAULIEU. 
GUILLAUME 
DE CHARTRESe 
à 








II. 
# Ce qu'il fait dans 
l'Ifle deChipre. 


III. 
En Egypte. 


IV. 
Dans la Paleftine, 


Math. Paris, p. 740, 
Fleuri , Liv, LxxuiS 
n, 37. 


LIVRE 
TT. 


_ GEOFROY 
DE BEAULIEU. 
GUILLAUME 
DE CHARTRES. 
NN 








Il céufole le faint 
Roi fur la mort de 
la Reine Blanche. 


294 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
arivée le premier jour de Décembre 1252, ayant été portée 
en Paleftine , le Légat Eude de Chateauroux la reçut le 
premier, prit avec lui Gilles Archevêque de lyr , & Geo- 
froi de Beaulieu ; & dit au Roi qu'il vouloit lui parler en pré- 
fence feulement de ces deux er ras On lifoit fur leurs vifa- 
es les fentimens de leur cœur. $. Louis comprit d'abord qu'ils : 
hi aportoient quelque fâcheufe nouvelle ; mais toujours fou- 
mis aux ordres de la Providence , illes fit pañler tous trois de 
fa chambre dans la Chapelle du Palais, où1ils’aflit devant 
l’Autel ; & ils s’afiirent après lui. Alors le Légat repréfenta au 
Roi les graces dont le Ciel l'avoit comblé depuis fon enfance: 
il vouloit s'étendre fur les louanges de la Reine Mere , dont 
la fagefle & la piété avoient fait pendant long-tems l'admira:- 
tion & le bonheur de l'Empire François : mais les pleurs ou 
les fanglots étoufant fa voix, le Cardinal ne put continuer 
fon diféours , que pour dire que cette pieufe Princefle avoit 
cefle de vivre. 
A ces paroles, le faint Roi fondant lui-même en larmes, jéta 
un hab à cri ; puis s'étant profterné devant l’Autel , il dit avec 
une feufible dévotion : Je vous rends graces, Seigneur , de 
m'avoir prêté une fi bonne mere ; vous l'avez retirée quand il 
vous a plù ; j'adore vos miféricordes , & je ne me plains point 
de vos jugemens. Il eft vrai que j'aimois plus qu'aucune au- 
tre Créature mortelle une mere fi digne d'être aimée ; mais, 
puifque’c’eft votre bon plaifir que je fois déformais privé de 
cette confolation "je me foumets , & je bénis votre faint 
Nom. Le Eégat ayant fait enfuite une courte priére pour la 
Défunte , le Roi témoigna qu'il vouloit demeurer feul avec 
fon Confeffeur dans la Chapelle. Celui-ci, après quelques 
difcours de piété , propres à adoucir la douleur , & à foutenir 
le courage du Prince afligé, lui repréfenta modeftement, 
qu’il avoit aflez donné à la nature , & qu’il étoit tems d’écou- 
ter la raifon éclairée par la Grace. Aufli-tôt le Roi fe leva ; 
& ils récitérent enfemble tout l'Ofice des Morts. Nonobftant 
la vive douleur, dont le Saint étoit pénétré, il ne parut ja- 
mais diftrait ; & il ne fit aucune faute dans la récitation de 
fes longues priéres. Pendant quelques jours , qu'il voulut 
garder f, chambre , fans donner audience , ni recevoir de 
vifite, fon unique confolation , après Dieu , fut la compa- 
gnie de fon faint Confefleur ; fa A piété , fes difcours tou- 


jours animés de l'Efprit du Seigneur , toujours pleins de lu- 


‘DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 29: 


miére & de force. Ces grandes maximes de Religion & de 

erfeétion , que la Grace avoit gravées de bonne heure dans 
fe cœur de x Louis ; maximes, qu'une éducation chré- 
tienne avoit cultivées avec tant de foin , & qui n’avoient ja- 
mais été obfcurcies par les pafhons ; le Miniftre de JESUs- 
CHRIST favoit les rapeller à propos , pour exciter, ou re- 
nouveller dans l'ame de ce Prince tous les fentimens qui con- 
venoient à fon état préfent. L’innocent artifice dont il {e fer- 
voit , pour éloigner de fon efprit les plus triftes objets, étoit 


de lui propofer quelques œuvres de charité , de miféricorde, 


ou de juftice à pratiquer. | 

L'année que le pieux Monarque pafla encore dans la Pa- 
leftine , depuis qu'il eut apris la mort de la Reine Blanche, il 
l'employa toute entiére , ou à favorifer la converfion des In- 
fidéles , ou à délivrer de leurs fers un grand nombre de Chré- 
tiens ; ou à procurer à la Terre-Sainte tous les fecours & les 
avantages, que l’état.des afaires ne rendoit pas impofhbles. 
Par fes foins & par fes libéralitez , Sidon , Céfarée , Jaffa , 
Ptolémaide , & les autres Villes ocupées encore par les La- 
uns , furent réparées , fortifiées , & mifes en état de défenfe. 
Ce ne fur qu'après avoir donné mille beaux éxemples de la 
es tendre pièté & de la générofité chrétienne , que faint 

ouis , chargé des bénédiétions de tout le Peuple, des Pré- 
lats & de la Nobleffe du Pais, partit du Port d’Acre le vingt- 
quatrième d'Avril 1254. Geofroy de Beaulieu, & plufeurs 
autres Religieux de faint Dominique & de faint François , qui 
étoient à {a fuite , fe mirent fur le même Vaifleau , où le Lé- 


ErvRE 
IE. 


GEOFROY 
DE BEAULIEU 
GUILLAUME. 


DE CHARTRESe 
SERRE 








G € 


VI. 
Il revient en Fran 
ceavecS. Louis. 


gat avoit pag À portàt le Saint Sacrement , & donton 
t 


une efpéce dEglfe. Pendant deux mois & demi qu’on fut 
fur mer , on y célébra tous les jours l’Ofice Divin ; on chan- 
toit les Louanges de Dieu ; on adminiftroit les Sacremens aux 
malades ; & on prêchoit réguliérement trois fois la femai- 
ne. Lorfque la mer étoit calme , les Religieux faifoient une 
inftruétion particuliére aux Matelots ; & ils entendoient leur 
confeflion. Le Pere Geofroi de Beaulieu , qui raporte tous 
ces faits ,. n'étoit pas le feul à remplir ces pieux ofices de Re- 
lLgion , ou de charité : mais on le voyoit toujours le premier 
_ dans l'éxercice du faint Miniftére. La Flote ariva heureufe- 
ment au Port: d'Hyeres le Samedi onziéme de Juillet 1254. 
De là le Roi vint à Aix en Provence ; & fon Confefleur | 
compagna à la fainte Beaume, lieu célébre , confacré par la 


. VIL 
Il l'acompagne à 


’a- la fainte Beaume. 


LIVRE 
III. 


GEOFROY 
PE BEAULIEU. 
GUILLAUME 
DE CHARTRES. 
D 





VIII. 
Conduite de Geo- 
froi à la Cour. 


IX, 
S. Louis fe prépa- 
te à marcher une 
feconde fois contre 


les Infidéles, 


296 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


eu de fainte Madeleine , felon l’ancienne Tradition du 
ais. 

On voit que l'Hiftoire de Geofroy de Beaulieu eft fi unie 
avec celle de faint Louis , que pour raporter tout ce qui peut 
faire honneur à l’un, il faudroit parler de prefque tout ce que 
l'autre fit dans les vingt - deux | pres années de fon Ré- 
gne. Il fufira donc de remarquer ici , que pendant que le faint 

oi continuoit à gouverner & à édifier fes Peuples, depuis 
fon retour de la Paleftine jufqu'en 1270 , qu’il porta une fe- 
conde fois fes armes contre les ennemis du nom Chrétien , fon 
Confefleur travailloit avec le même foin à fe perfeétionner dans 
la pratique de toutes les vertus , & à sn tous les devoirs 
de fon état. Fidéle obfervateur de fa Régle , & toujours aten- 
tif à fe renfermer dans ce que lui prefcrivoit fon Emploi , il ne 
parut jamais ni moins modefte , n1 moins Religieux à la Cour 
qu’en la compagnie de fes Freres. Sa droiture , fon défintérefe: 
ment connu, le zéle & l'amour de la juftice, lui méritérent l’efti- 
me des Grands , & l’aprobation de tous ceux qui s’adrefloient 
avec confiance à lui, Le pour folliciter quelque grace auprès 
du Prince, foit pour expofer leurs peines ou leurs befoins. 

Cependant les afaires de la Religion dans la Terre-Sainte, 
fembloient dépérir tous les jours. Et les Souverains Pontifes 
ne cefloient de preffer les Princes Chrétiens de faire de nou- 
veaux éforts, pour fecourir les Eglifes d'Orient, & arêter 
les progrès des Infidéles. A la fanté de faint Louis, 
déja fort afoiblie par diverfes maladies , & par fes rigoureufes 
pénitences , dût, ce femble, le difpenfer des travaux de la 
Guerre ; c'étoit cependant vers lui que le Saing Siège tournoit 
principalement fes regards. De tous les Souverains de l'Eu- 
rope , ilétoit le plus puiffant , & le À are redoutable aux Infidé- 
les. Sa piété égaloit fa puiffance ; & le zéle qui le dévoroit 

our la gloire de JEsUS-CHRIST , ne pouvoit feralentir. Au 
lieu de goûter les douceurs du repos après tant de fatigues, 


il n’étoit ocupé me des intérêts de laReligion , & des moyens 


de la fervir. Selon Geofroy de Beaulieu , il avoit formé la 
fecréte réfolution d'entreprendre encore avant fa mort quel- 
ue chofe de grand, pour le fervice de Dieu & l'honneur de 
l'Eglife. Le Pape Clément IV , qu'il avoit confulté par une 
erfonne de confiance , après avoir long-tems délibéré fur le 
deffein du faint Monarque, lui écrivit pour l'en féliciter , & 
lui donna de grandes louanges , de ce qu'il s’étoit croifé une 
feconde 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 297 
feconde fois. Nous n’oferions affurer que fon Confeffeur , té- 
moin de fa mauvaife fanté , & du grand befoin qu'avoit le 
Royaume de fa préfence , lui eût confeillé une feconde ex- 

Écran , que bien des gens ne craignoient pas de blâmer 
pme À Il ne paroît pas auffi qu’il ait entrepris de l'en dif- 
fuader. Ce qu'il y a de certain , * c'eftqu'il fuivit lui-même le 
“Prince fur les côtes d'Afrique. 

Le dix-feptiéme de Juillet 1270 , l'Armée Chrétienne ariva 
au Port de T unis , près les ruines de l’ancienne Carthage. La 
décente fe fit fans réfiftance. Mais nos troupes étoient à peine 
campées , que les fièvres , les diflenteries caufées par la mau- 
vaife nourriture , l’intempérie de l'air , la chaleur du climat 
& de la faifon , firent beaucoup plus de dégât dans FArmée, 


LIVRE 
III. 


GEOFROY 
DE BEAULIEU. 
GUILLAUME 


DE CHARTRES. 
Do là 


| X, 
* Geofroi le fuit 
encore. 


ue ne pouvoient faire les ataques continuelles des Sarafins. 


e Prince Jean Triftan , Comte de Nevers, un des Fils de 
faint Louis , mourut dès le troifiéme jour d’Août ; & le Car- 
dinal Raoul, Légat du Pape, décéda le feptiéme du même 
mois. Îl avoit ( Sent les Hiftoriens ) fubdélégué un Frere 
Prêcheur , qu’on ne nomme point. Je ne fai fi cela fe doit en- 
tendre du Confeffeur même du Roi , comme le plus diftingué 
de fes Freres , qui fe trouvoient alors dans l'Armée des Croi- 
{és ; car , pour ceux qui depuis long-tems éxerçoient les fonc- 
tions Apoftoliques dans la Ville de Tunis , le Prince Infidéle 
les avoit fait arêter , ainfi que tous les autres Chrétiens répan- 
dus dans fes Etats , lorfque la Flote Françoife parut fur les 
côtes d'Afrique. Quoiqu'il en foit, plufieurs Jurifconfultes 
doutérent dès-lors , que le Légat du Pape eût en éfet le pou- 
voir de fubftituer un autre à fa place. Et la maladie mortelle , 
dont faint Louis fut ataqué peu de jours après , ocupa affez 
Geofroy de Beaulieu , pour ne point lui permétre de donner 
fes foins à aucune autre afaire. 

Le devoir , la reconnoiffance & la Religion , qui l'ata- 
choient à la perfonne d’un Prince fi digne de l'amour de tous 
fes Sujets , lui firent redoubler fes atentions auprès du faint 
Malade. Comme il avoit été témoin pendant fa vie de fes hé- 
roiques vertus , 1l Le fut aufñ à la mort des faintes difpofitions 
de bn cœur , de fon efprit de pénitence & de facrifice, du 
zéle très-ardent LU avoit de faire connoître JESUS-CHRIST, 
& prêcher fon Evangile aux Infidéles * ; des inftruétions en- 

* Nos Hiftoriens racontent que S, Louis | parler qu'avec peine , il difoit À ceux qui 
aprochant de fa fin, & ne pouvant plus | aprochoient leur orcille de fa bouche : Powr 

Tome LI. | | Pp 


Fleuri , Liv. LXXxYT 3 
M, 7. 


Maladie du faiat 
Roi devant Tunis. 


Joinville, p. 128. 
Duchef. p. 474. 


LIVRE 
II. 


GIOEROY 





DE BRAULIEU. 
GUILLAUME 
DE CHARTRES. 
À _ 





XII. 


Geofroy . entend 
fa confcffion, & 
teçoit fes derniers 


foupirs. 


XIII. 
I] entreprend d'é- 
crire fa Vie, par 
un ordre exprès du 


Pape: 


XIV. 


Bref de Grégoi- 


re X. 


Apud Petr. Mari. 
Campi, Hift. Placen, 


T.Il , p.410. 


Odoric. Rain. ad 


AN.1172,n,ç9. 


Bullar, Ord. T, I, 


p.503. 


Œ. 9: 


Fleuri, Liv, zxxxvr, 


298 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
fin fi chrétiénnes qu’il voulut donner à Philippe III , fon Fits 


aîné & fon Succefleur , & à fa Fille Habelle , Reine de Na- 


varre. Le Confefleur , atentif à tout , recueilloit précieufe- 
ment ce qu'il devoit tranfmétre enfuite à la poitérité , pour 
l'édification de l'Eglife. | 

Après avoir entendu Ka derniére confeflion du Roi , Geo- 
froy reçut fes derniers foupirs le vingt-cinquiéme jour d’Août 
1270 ; & depuis ce moment, jufqu’à celui où les os du Confef- 
{eur de JESUS-CHRIST furent remis dans l'Eglife de faint De- 
nis, le 22 Mat 1271, on le vit prefque continuellement le 
jour & la nuit auprès du cercueil, continuant fes priéres , 
foit dans le Vaiffeau , foit pendant lerefte du voyage qu'on 
fit par l'Etat Ecléfiaftique , la Tofcane , la Lombardie & la 
Savoye. Il ne borna pas encore là fes fentimens de reconnoif- 
fance & de vénération : perfuadé que les aëtions & les vertus 
d'un Prince fi acompli devoient être publiées chez toutes les 
Nations & dans tous les fiécles , Geofroy fe propofa dès-lors 
d'écrire avec foin l’'Hiftoire de fa vie. Îl y fut encore invité 
par les exhortations de fes Supérieurs , & les priéres de fes 
amis. Mais l'ordre exprès de Sa Sainteté ne lui permit point 
de diférer l’éxécution de fon deflein. Grégoire K ne fut pas 
plürôt élà, qu'il écrivit pour ce fujet le Bref, que nous alons 
raporter. 


2: Evèque élu , Servi- 
J teur des Serviteurs de Dieu, à 
notre cher Fils , Geofroi de Beaulieu, 
de l'Ordre des Freres Prècheurs, SALUT 
ET BENEDICTION APOSTOLIQUE. 

Le fouvenir des mérites éclatans de 
l'illuftre Roi de France , Louis de glo- 
rieufe mémoire , dont la vie doit fervir 
de modéle à tous les autres Princes 
Chrétiens, nous remplit d'autant plus 
de confolation , malitenant qu'il eft 
entré dans la céiefte Patrie, que nous 
avions pour lui À da d’afection & d'’ad- 
miration , pendant qu'il vivoit encore 
fur la Terre. Mais la connoiffance que 
nous avons de fes vertus, & de fa fidé- 


REGORIUS eleëlus E- 
pijcopus , Servus Servorums 
Dei, dileëto Filro Fratri Gaufrido 
de Belloloco Ordinis Predicatorum, 
Salutem, & Apofiolicam Benedi- 
éfronein. | 
Clare memorie Ladovicr Regis 
Francorum precel{a meritarecolen+ 
tes, de bearnudine vite [ue que 
Cateris Principibas Orthodoxis bea- 
te vévendi prabebat exemplum , tan- 
t0 imajoris adbuc percipimus [uavi- 
tatis odorem , quanto ipfum ; quent 
Vivum para mente dileximus ; revo- 
catum ad patriant in recentiori me 
moria retinemus. Verum licet de 


Dies , cherchons comment on pourroit pré- | y avoit été autrefois , & qui éroit connu du 
cher La Foi à Tunis. O qui pourroit-on y en- | Roi de Tunis. 


voyer ? Et il nommoir un Dominicain , qui 


» 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 299 


pite modo quem- [ui Redemptoris be- 
neplacita profequendo fervabat ; ba- 
buerimus in parte notitiam , cupien- 
testamen quôd modus buju/modi no- 
bis plenius innoteftat , in tis poriffi- 
me que fécretins agebantur , devo- 
tionem tuam rogams , € hortamur 
atrenre , per Apoftolica tibs [cripta 
Mandantes , quatenns fatisfaciens 
devora follicitudine votis nofiris, 
predium vivendi modum in omni- 
bus © fingulis ailibus, ©’ obfervan- 
tiis [uis , nibil ultra, quam fuerit, 
addito , fed veritatis pure fervata 
fubflentia, feriarim nobis & [ecre- 
Lo , füb emo figillo , quam citils po- 
teris, per certum nuncium, firibere 
non pofiponas. 

Volumus autem quôd apud te ver- 
bum remaneat , nemin: referendum. 
JNec mireris quod Bulla non expri- 
mens nomen noffrum , eft appenfa 

prefentibus , que ante Confécratio- 
nis , @ Benedidtionis nofire [olem- 
MIA tranfmittuntur 5 quia # , qui 
fuerunt hactenus in Romanos elciti 


lité à acomplir les volontezdw Seigneur, 


eft trop imparfaite , pour fatisfaire nos 


défis : c’eft pourquoi, Nous vous prions, 
& par ces Lettres Apoftoliques Nous 
vous enjoignons , de nous aprendre en 
détail tout ce que vous favez de plus 
particulier touchant fes ations , fes 
pratiques fécréres de piété , & fa ma- 
niere de vivre , fans rien diminuer, ni 
rien ajoûter à l’éxacte vérité. Dès que 
vous aurez fait cet Ecrit, ayez foin de 
nous l'envoyer en diligence , par une 
voye sûre, & fous votre fceau. 

Mais gardez fur cela un religieux fe- 
cret : Nous ne voulons pas que vous en 
parliez à perfonne. Et ne . point 
futpris de ce que le plomb pendant à 
ces Préfentes ne porte pas notre nom ; 
les Pontifes Romains , n@s Prédécef- 
feurs , en ontufé ainfi dans les Leteres, 
qu'ils ont écrites avant la folemnité de 
leur Couronnement. 

Fait à Viterbe le quatriéme des Ca- 
lendes de Mars , la premiére année de 
notre Pontificat. 


Livre 
III. 


GEOFROY 
DE B&AULJEU. 
GUILLAUME 


DE CHARTRES. 
RÉ RNSRGEeEEER 








Pontjfices, confueverunt in bullandis Litteris ante [ue confecrationis munus 


moduns bujufmods obfervare. 


Datum Viterbii IV Nonas Martii , fufcepts à nobis Apoftolatüs officii anne 


primo. 


Ce Bref eft une preuve , & de la haute idée qu'avoit le 


nouveau Pape des grandes vertus de Eouis IX, dont le Ciel 
commençoit déja à faire éclater la gloire par des prodiges ; & 
de la perfuafñon où il étoit que perfonne ne pouvoit mieux 
l'inftruire de l’intérieur, & de toute la conduite du faint Roi, 
que celui qui , pendant une longue fuite d'années , avoit été le 
témoin de fes a&ions, le dépoñitaire de fes fecrets , & le di- 
retteur de fa confience. Pour répondre aux intentions de Sa 
Sainteté , Geofroy de Beaulieu prit aufli-tôt la plume ; &1l 
écrivit avec une noble fimplicité la Vie du Serviteur de Dieu. 
Sans rien outrer , il fit connoître ce que la Grace avoit opéré 
enlui, & par lur, les fentimens de fon cœur , fes maximes, 
fes pratiques de piété , la fuite de fes aétions , ou de fes 
- tences, & furtout les motifs qui les avoient animées. Lebape 


| Pp} 


Le Pape lit avec 


éni- plaifir la Vie de 
S. Louis, 


LIVRE 





GEOFROY 
DE BEAULIEU. 
GUILLAUME 


DE CHARTRES. 
D 5 +4") 





XVI. 
,Ufage qu'on fait 
a Rome de cet 
Ecrit, 


XVII. 
Mort du P. Geo- 
froy de Beaulicu : 
fon Eloge. 


300 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


aiant [ü avec beaucoup de fatisfaétion ce petit Ouvrage, vou: 
lut qu'on le publit; & ce fut depuis une des piéces, dont onfit 
ufage dans fe rocès de la Canonifation. Ce que les Hiftoriens 

rançois, ou Italiens , dans les fiécles poftérieurs ont écrit de 
faint Louis, ils l’ont puifé dans cette fource. Oderic Raynald 
avoue qu'il a pris de-là les plus beaux traits, dont il a enrichi 
fes Annales Écléfaftiques , lorfqu'il a eu à parler du Régne 
de ce Prince , & de ce que le zéle de la Religion lui avoit fait 
entreprendre pour la propagation de la Foi. Le même Anna- 
lifte remarque que Guillaume de Nangis avoit auff copié en 
plufieurs endroits cet écrit de Geofroy (1). 

On peut préfumer qu'après le décès, ou les obféques de 
faint Louis, fon Confefleur , rendu à lui-même, fe retira en- 
tiérement de la Cour, foit pour compofer fon Ouvrage avec 
plus de tranquillité dans le repos du Cloitre, foit Le % 
ocuper plus férieufement du foin de fa propre perfeétion, 
de la penffe de la mort. Un Auteur croit qu'il mourut le neu- 
viéme de Janvier 1274. Et Guillaume de Chartres femble in- 
finuer que le Seigneur l’apella à lui, dans le tems qu'il métoit 
la derniere main à l’'Hiftoire de faint Louis. Voici comment 
s'explique ce fidéle ami: “ Notre Pere Geofroy de Beaulieu , 

u'on peut apeller un homme de fainte mémoire, & un par- 
ER modele de religion , pour obéir au commandement du 
Pape Gregoire X , entreprit fur la fin de fes jours d'écrire 
la Vie de Po IX , dont il avoit été le Confeffeur : & il 
ordonna que cet écrit, figné de fa main, feroit envoié au 
Souverain Pontife (2) ». | 
Il n'eut donc que le tems de l’achever, fans avoir celui de 
le faire préfenter de fon vivant au Vicaire deJEsUs-CHRIST. 
Mais ce digne a avoit aflez vécu , aïant déja rempli 
tout le miniftére , dont.la Providence l’avoit chargé. La con- 
fiance fi marquée d’un puifflant Roi l’avoit comblé d'honneur 
devant les hommes: & il ne faut pas douter que la maniére, 
dont un Saint aimoit à agir avec lui, n'ait beaucoup fervi à fa 
propre perfeétion. Si par fes lumières, & fes fâges confeils il 


ŸY 


» 


% 
» 
# 
#9 


(1) Obfecurus eft juffis Pontificiis Gau- 
fridus, & Libellum de Vita Sanéi Ludovi 
ci, oui omnium manibus circumfertur , 
fcripft :é quo lectiora in Annales fuo loco 
contuli. D etiam plura ex co Nan- 
gius. Oxoric. Rain. ad An. 1172, n. 60. 

(2) Sanétæ memoriæ Pater nofter , to- 
tius Religionis fpeculum , Frater Gaufridus 


de Belloloco, Ordinis Prædicatorum, ejus 
( Ludovici IX) Confeflor & confcius fe- 
cretorum, circafinem vitæfux, ad Manda- 
tum Domini Papæ Gregorii, ficut otuit , 
vitam ejus , & aéta, proprià inanu lufcrip- 
fie ; & fcripta reliquit ipñ Domino Pontifici 
deftinanda. Guil, Carnot. in Vite Sanch 
Ludovic, : 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 30or 


contribua lui-même à la fantification de fon illuftre Pénitent , 


il eut comme par furcroiît la confolation de voir la premiére 


manifeftation de fa gloire, ateftée par des miracles ; & d’avoir 
mis les premiéres difpofitions au culte religieux , que l'Eglife 
devoit bientôt après lui décerner. 

Les Editeurs des Attes des Saints ne tarderont pas à publier 
de nouveau l'Hiftoire du faint Roi, écrite par Geotroy de 
Beaulieu. Et leurs recherches nous aprendront peut-être quel- 

ues particularitez de la vie de Auteur. Nous ne l'avons con- 
Adérd que fous la qualité de Confeffeur de faint Louis ; quoi- 
on nous n'ignorions point qu'il avoit fouvent éxercé avec 


LIVRE 
III. 


GEOFROY . 
DE BEAULIEU. 
GUILLAUME 
DE CHARTRESe 
SRE 





uccès le miniftére de la prédication , foit à la Cour , foit 


dans la Ville Roïale. Nous en trouvons encore des monu- 
mens parmi les Manufcrits de la Bibliothéque de Sorbonne. 
Ce que nous avons dit de Geofroy de Beaulieu, convient 
aufñ en partie à Guillaume de Chartres ; excepté que l'emploi 
de l’un étoit diférent de celui de l’autre. Guillaume étoit déja 
engagé dans l'Etat Ecléfiaftique,& enrichi de plufieurs talens, 
lorfque faint Louis aïant connu fon mérite, À em d’ailleurs 
du caraétére de fon efprit, le fit fon Chapelain pour l’atacher à 


fa Perfonne. En lui conférant en tems après un Béné- 


Odorit. Rayn. 
Fleuri, Liv. Lxxxv, 


n, $2. 
Echard,T.1,p. 381. 


fice , le faint Roi lui prédit qu’il en joüiroit pendant cinq ou 
fix ans ; & qu'il le quiteroit enfuite pour embraffer la pau- 


vreté volontaire dans un Ordre Religieux (1). 
Ces paroles , qui fembloient moins marquer une prophétie 


qu'un fimple défir du pieux Monarque , furent éxatement 


vérifiées. Îl n'y avoit que cinq ans & fix mois que Guillaume 
de Chartres poffédoit fon Bénéfice , lorfqu'il fentit que la 
Grace l’apelloit à un autre état. Il fuivit fans héfiter fa vo- 


cation, & reçut l'Habit de l'Ordre des Freres Prècheurs. I] 


XVIII. 
Guillaume de 
Chartres déja Cha- 
pelain deS. Louis, 
entre dans l'Ordre 
des FF. Prècheurs. 


avoua depuis que lorfqu'il fit cette démarche, il n’avoit plus 


préfent à fon efprit ce que faint Louis lui avoit prophétife. Et 
ce fut avec un renouvellement d’ation de graces , qu'il en ra- 


pella long-tems après le fouvenir. On comprend bien que 


pour avoir changé d'état, il ne fut ni moins agréable au Roi, 
ni moins ataché à fon fervice. Aufñi ce Prince voulut-il l'avoir 
toujours auprès de lui à la Cour, dans fes voiages , dans l’ar- 
mée , & dans fa captivité. | | 
- Après la viétoire que les Sarafins remportérent fur les Croi- 
(1) Ifte D. Guillelmus ludet modo de ifta | & poft Religionem intrabit. Guil, Carnet. 
{ua Thefauraria per quinque vel {ex annos ; | in Vice S. Lud, ap. Fe nt fp. 
| P 1] 


. M. 19. 


302 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE féslan:2ço*, S. Louis demeura un moisentier au pouvoir 
_ HE de ces Infidéles ; & pendant ce tems il ne cefla point de réci- : 
Grorox ter tous les jours l'Ofice Divin felon l'ufage de l'Eplüfe de 
pe BEAULIEU. Paris, avec deux Freres Prêcheurs, dont l'un étoit Prêtré, 
GuILLAUMS & favoit l'Arabe , l’autre nommé Guillaume de Chartres, 
PE CHARTRES. étoit fon Clerc. Ils difoient tant l'Ofice du jour , que celui de 
la Vierge, & la Mefle entiére , mais fans confacrer , le tout 
* Fleuti,Liv.aut, aux heures convenables , & même en préfence des Sarafns 
qui gardoient le Roi. ” 

XIX. _: André Duchefne , & M. Fleuri , dont nous venons de ra- 
er ee porter les paroles , racontent ces faits fur le témoignage de 
Lee à Guillaume de Chartres, qui avoit eu l'honneur de contefler 
le nom de JEsus-CHRIST en préfence de fes Ennemis , & de 

foufrir dans la prifon la faim, &c les chaînes pour la confef- 
xx, fon de la Foi. Quoiqu'il ait écrit après Geofroy de Beaulieu , 
4 Déivéaves S 1] n'a point oublié ce que le faint Roi avoit fait paroître de 
Fe Wepal nndeur d'ame, deconitance , &c de fermeté dans ces tems 
de reuve. Mais la modeftie lui a fait pañler fous filence ce 

qui le regardoit lui-même ; ou il n’en a parlé qu'en peu de 

mots, & par néceflité. Aufli ignorons-nous le détail de fes 

aëtions , & de fes ocupations. Nous voions feulement par la 

fuite de l'Hiftoire , que depuis qu’il fe fut ataché à faint Louis, 

il eut l'honneur d’être afidument auprès de fa perfonne : & 1l 

affifta à fa mort devant Tunis. De retour en France, à la fuite 

de Philippe HT , dit le Hardi , il vécut encore neuf ou dix ans 
dans la pratique des vertus, & le miniftére de la parole. Ses 

talens pour la chaire l’avoient fait métre parmi les célébres 

Prédicateurs du treiziéme fiécle. Dans une colleétion des Ser- 

mons, qui furent prêchés à Paris pendant l'Oétave de faint 

Martin, en1272, & 1273, on en trouve plufieurs fous le 

nom de Geofroy de Beaulieu , & quelques autres qui font atri- 

bués à Guillaume de Chartres Religieux du même Ordre. 

XXI. Mais le feul de fes Ouvrages qui ait été imprimé , eft lacon- 

Il ajoute àl'Hif tinuation de la Vie de faint Louis. Tout ce qui avoit pü écha- 
A Ro per à la diligence de Geofroy , Guillaume : Chartres le re- 
omis par Geofroi cueillit avec foin , & l’ajouta à fon Ouvrage. Outre les Me- 
Fou moires au’il avoit faits, foit dans la Baffe- Egypte après la 
rife FA co res par les François ; foit pendant fon féjour 

dans la Paleftine , 11 pouvoit parler de plufieurs miracles opé- 

rés au tombeau de faint Louis , depuis la premiére publication 


de fon Hiftoire. Cette adition, que M. Duchefne a inférée 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 303 
dans le cinquiéme Tome de fa Cotieétion, contient plufeurs 
chofes , qui méritent d’être füës, & dont les Ecrivains Eclé- 
fiaftiques ont fait ufage dans l’ocafion ( 1 ). 


PRE EEE ANSE EEE EEEENTE 
= PIERRE DES. ASTIER, 


ANCIEN EVÊQUE DE PERIGUEUX. 


PET illuftre Prélat (qui avoit vieilli dans l’éxercice des 
fonétions Epifcopales , lorfqu’il fe démit volontairement 
de fa dignité, pour embraffer l’Înftitut de faint Dominique ) 
étoit iflu de l’ancienne Famille des DE de-faint Aftier, 
fort diftinguée parmi les premiéres Maifons du Périgord, 
L'Hiftoire ne nous a point apris l’année’de fa naiffance , ni de 
quelle maniére il avoit pañlé fes jeunes années. Îl eft probable 
qu'il naquit vers le commencement du treiziéme fiécle ; & que 
par les atentions de fes parens , aufli recommandables par leur 
religion que par les titres de leur nobleffe , il fut formé avec 
foin à la piété , & aux Siences. Confacré d’abord au fervice 
des Autels dans l'état Ecléfiaftique , il en remplifloit fainte- 
ment les devoirs ; & il ne cherchoit pas à monter plus haut, 
lorfqu'en 1232 Raymond de Pons , Evêque de Périgueux ; 
 aiant été honoré de la Pourpre Romaine, le Chapitre préfera 
Pierre de faint Aftier à tous les autres Sujets , qui auroient pü 
remplir le Siège vacant. C'étoit, dit Don Denis, un homme À 
ui F innocence des mœurs , une éminente piété, & une vertu 
an avoient déja aquis une très-grande réputation (2). 
_ L'Hiftoire de fon Epifcopat, quoique fort abrégée, nous 
le repréfente toujours ocupé des devoirs de fon miniftére , 
zélé pour la difcipline Eckéfiäftique, doux, afable, compa- 
tiffant aux néceffitez du Peuple, qu'il nourifloit du pain de 
la parole , charitable & libéral envers les pauvres, à qui il 
. GY Guillelmus vero Carnotenfis | qui | #4 4n. 1272 , #. 60. | 
fandti Regis  Rodene gefta oculis contre-| (2) Petrus de S. Aftier ex nobili profa- 
étaverat , poftca nonnalla digna memorià | pia Dominorum de fancto Afterio » Ray- 
ab alio (Gaæufrido fcilicèt ) prætermiffa , | mundo fucceffit » Vir ob probitatem, inte- 
ab oblivione vindicavit ; {criptifque eradi- gritatem, ac pietatem , magnz apud fuos 


dit. Quo. etiam auétore, dum de fanéto populares cxiftimationis, Gal, Chrifi. TITI, 
Ludovico egimus , uf fumus, Odoric. Ram, | Coi, mccccixxiv, nu 


Lrvrt 





Prerre 
DE S. ASTIER. 
D 
Bern. Guido. | 


Gal. Chrift, T, IL, 
Col. Mccccixxiv. 





La réputation &c 


les vertus de Pierre 


de S. Afticr. 


| ET. 
Sa folicitude Paf.. 
torale , fa charité 
& {a fermeté. 


304 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE ne femmoit jamais ni fon cœur, ni fa maïifon; ferme cepen- 
NII. dant, & d'une grande intrépidité à + “ain des Pécheurs fcan- 
Pierre  daleux, ouincorrigibles , 1l les chaffa quelquefois de l'Egli- 
pe S. Astier. fe , & les fépara de la Communion des Fidéles, pour effayer 
"au moins fi une jufte févérité rapelleroit au devoir ceux qu’il 
n'avoit pù réduire es la patience , ni gagner par la douceur. 
On en raporte quelques éxemples ; mais ils furent rares : la 
charité ne févit qu'à regret. 
Toute l'autorité que donnoient au faint Evèque de Périgueux 
fon cara@ére , & fa réputation, il la mit fagement à profit, 
TI. pour réconcilier les ennemis, & faire ceffer des diflenfions 
1 pacife les Peu déja fatales , non-feulement aux Familles , mais aux Villes , 
Eau & aux Peuples. Les animofitez , qui régnoient depuis long- 
tems entre les Citoiens de Périgueux, & les Habitans du 
Bourg de faint Fronton , avoient dégénéré en une efpéce de 
guerre, d'autant plus dangereufe , qu'elle fe faifoit entre des 
voifins , & des parens. Pierre de faint Aftier entreprit de pa- 
cifier ces troubles ; & il en vint heureufement à bout, à la 
fatisfaétion des uns & des autres. Il eft vrai que le feu de ces 
difputes populaires n’étoit jamais fi bien éteint, qu'il n’en pa- 
rût de tems en tems quelques nouvelles étincelles , qui fem- 
bloient menacer d’un incendie prochain. Mais la charité du 
Pafteur ne fe lafloit pas ; & fa médiation eut toujours un fa- 
vorable fuccès (1). 
Pendant qu'il s'ocupoit ainfi, ou à chaffer du milieu de fon 
Peuple le démon de la difcorde, ou à recueillir les premiers 
fruits de la paix, la Providence lui envoïa un nouveau fe- 
cours, dont il fe fervit à propos pour donner la derniére per- 
I. fe&ion à fon ouvrage. Les premiers Difciples de faint Domi- 
Ilemploye utile- nique , tout embrafés de ce zéle apoftolique qu'ils avoient hé- 
ment le Miniftére _: . . / , 
des FE. Précheurs T1 LA leur Bienheureux Patriarche , s'étant préfentés dans 
pour. l'inftruétion le Diocèfe de Périgueux, Pierre de faint Aftier ne fe coñtenta 
es Fidéles. pas de les acueillir avec bonté , mais les confidérant comme 
des envoiez de Dieu , il fe fit un plaifir de partager avec eux 
le travail, & les fonétions du faint miniftére. Il diftribuoit 
les uns dans les diférentes parties de fon Diocèfe ; & il faifoit 
rêcher les autres en fa préfence , afin de donner lui-même à 
tous les Fidèles TE de la docilité , avec laquelle ils de- 


(x) Tantæ apud fuos auctoritatis erat, ut 
Jites inter Petrogoricenfem civitatem & 


| {and Frontonis Burgum graviflimas, imd 


& quædam belli _. , femper nullo re« 
clamante, compofueric & extinxerit. G4l, 


Chrifi, nt f?. 





voient 


DE L'ORDRE DE $. DOMINIQUE 30; 


voient écouter les véritez du falut qu'on leur anonçoit. 

Pour rendre ce fecours toujours préfent, & par-là plus 
utile, ce zélé Evêque chercha d'abord les moïens de faire 
bâtir un Couvent dans fa Ville Eprcopale. Il fe déclara le 
Protetteur & Le Pere des Religieux , dont il aima la profef- 
fion dès qu’il la connut: & à fa recommandation , les Cha- 
noines de faint Martin, & de faint Jean leur donnérent une 
ancienne Abaie, ou Maifon Abatiale, qui fut leur premier 
afyle , & dès-lors le lieu de pois , Ou de retraite le plus fré- 
Sep par le pieux Prélat. L'innocence , la candeur , le zèle 

e ces Miniftres de l'Evangile, la ferveur de leurs prédica- 
tions , leurs éxercices de dévotron , .& lauftérité de leur vie; 
tout cela avoit de fi forts atraits pour le faint Evêque, qu'il ne 

Srouvoit ni plaifir, niconfohtion , que dans leurs entretiens. 

Après avoir admiré leur genre de vie , il fe propofa de l'rmi- 
ter , de prendre le même Habit, & d’obferver la même Régle. 
Dans ce deffein , ilécrivit au Pape GregoireIX , pour avoir la 
perauflion d'abdiquer fon Evêché. Mais le Vicaire de JEsus- 
CHRIST, bien inftruit des vertus du Prélat, & des grands 
fruits qu'il faifoit dans tout fon Diocèfe , lur refufa conftan- 
ment ce qu'il demandoit. Après la mort de ce Pape , Pierre 
de faint Aftier renouvella És inftances , où fes pieufes im- 
portunitez auprès de fes Succeffeurs Innôcent EV , 8: Aléxan- 
dre IV , & il en reçut toujours la même réponfe. On admiroit 
fon humilité , fa modeftie, cet efprit de retraite, de péniten- 
ce , ou de facrifice, qui le faifoir foupirer avec. tant d’ardeur 
après le moment , où libre de tout autre four, il ne s’ocupe- 
roit que de celui de mourir à lur-mèême , pour ne vivre: que: 
pour JEsus-CarisT. Mais on fafoit moins d'atention à ce. 
us étoit felon fes défirs , qu’à ce qui convenoit à fon: Eglife.. 

1 vous n'étiez déja Evêque , lus difoit un Pape, ce feroit à 
nous à vous apeller à cette portion: de la folicitude Paftorale. 
Maintenant que la Providence vous a placé-fur un Siége 
qu'on vous. voit remplir avec honneur depuis tant d'années . 
vous ne devez point penfer à en décendre ; & nous n’avonis- 
garde d'y confenuir. 

Un refus fi perfévérant mortifoit le Serviteur de Dieu, 
fans lui faire rien changer dans fes réfolutions. ILobéit cepen- 

dant; & ajoutanr dès-lors aux folicitudes d'un Evêque toutes 

les auftéritez d’un Religieux, il continua encore pendant plu- 

fieurs. années à conduire avec la même-vigilance un Peuple ,, 
Tome I, | Qq 


LIvRrE 
JT. 


PIERRE 


DE S. ASTIER. 
D" it à 


Vs . 

H feur procure un 
Etablifiement dans 
la Ville de Péri- 
guecux. 





Pour imiter leur 
genre de vie , if 
veut abdiquer fa 
Dignité ; ce qu'il 
ne peut faire d'a- 
bor agréer au 5. 
Siégc. 


LIVRE 
III. 


PIERRE 


DE S. ASTIER. 
DAT et 


VII. 
* I] favorile la Fon- 
dation d'une fe- 
conde Maiflon Re- 


Jigicufe. 


VIII. 
Invention , & 
Tranflation des 
Reliques de faint 
Fronton , premier 
Evèque de Péxi- 
gueux. 


ee ae 


306. HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


dont il étoit également chéri & refpeété. * En même tems il 
favorifa la Fondation d’un autre Couvent des Freres Pré- 


cheurs. L’illuftre Dame Marguerite de Turenne, Epoufe de 


Renaud, Seigneur de Pons, & de Bergerac, l’'avoit fait bâtir 
dans cetté derniere Ville , à cinq lieuës de Périgueux : & le 
Pere Guillaume de faint Aftier, proche Parent du faint Evé- 
que , en étoit déja Prieur l'an 1260 (1). 
L'année fuivante , le même Prélat aïant fait la découverte , 


& la tranflation du Corps de faint Fronton ; il voulut en inf- 


truire la Poftérité par un Ecrit qu'il adreffa à fes Diocéfains, 
en ces termes : “ Depuis plufieurs fiécles on doutoit file Corps 
* du BB. Fronton, premier Evêque de Perigueux,repofoit dans 
, l'Eglife ,où1l À honoré : car quelques-uns parignorance 


Ÿ 


/ e. 


nous avoit été autrefois enlevé par les Normans. Voulant 
donc difliper ces bruits, ou éclaircir ce fait, felon les dé- 
firs de notre Chapitre, & de tous les Habitans du Bourg 
faint Fronton, nous nous fommes rendus fur les lieux le 
dernier jour d'Avril : & en notre préfence on a ouvert (non 
fans beaucoup de peine ) un fépulchre de pierre , où la Tra- 
dition commune , & diverfes conjeétures ne nous permé- 
toient point de douter , que les faintes Reliques ne fuffent 
cachées. Nous y avons trouvé en éfet une grande caifle de 
bois, forte, & bien ferrée ; & dans celle-ci une autre de 
plomb , qui contenoit les Offemens du Serviteur de Dieu , 
encore entiers , & fans corruption. ...... Nous les avons 
montrés à notre me , & à tout le Peuple : & les avons 


Ÿ ŸYYY ÿ$ Y Y 


SSL S y y 


Ÿ 


nous puiffions les placer honorablement dans une Chäffe 
lus propre, ce que nous efpérons faire en ee de tems. 

nu ordonnons cependant à tous les Fidé 

cèfe , de célébrer tous les ans la Fête de cette Tranflation, 

le trentiéme d'Avril. Et nous acordons quarante jours d'In- 

dulgence à tous ceux qui D Le mc avec pièté de ce de- 

voir de Religion. Fait le V 

y Notre-Seigneur 1261 ». 


Y Y YYYY > 


Kd 


(1) Jam plurima Dominicanis Epifcopus | rundem Conventüs Brageraci fundationem 
contulerat beneficia : eos in Urbe recepe- | probavit anno 1160, ex donatione Marga- 
rat ; ac de confenfu prioris, Canonicorum- | ritæ de Turena , Raynaldi Domini de Pon- 

ue fanéti Martini, & fancti Jôannis de | tibus , & Brageraci uxoris ; cujus primus 
Cola vetercm fan@ti Martini Abbatiamillis | Superior fuit Guillelmus de fanéto Afteria 
dono conceflerat , ubi Sedem fixeré. Eo- | Epifcopi confobrinus. G4/. Chriff. us fp. 


&c d'autres par malice publioient que ce précieux dépôtæ 


enfuite remis avec refpeét dans le même lieu , atendant que 


es de notre Dio- . 


des Nones de Mai, l'an de 


Lé 


‘DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 307 
* Don Denis remarque que dans le même tombeau on avoit 
trouvé une lame de plomb, & une autre de cuivre. Sur la 
premiére étoient gravés ces mots : Îcz repofe le corps du Bien- 


keureux Fronton , LE de de JESUS-CHRIST , qui avoit été 


batifé par faint Pierre. La feconde marquoit la même chofe ; 
& ajoutoit que ce Difciple du Sauveur étoit de la Tribu de 
Juda, né dans la Lycaonie, & décédé le huitième des Ca- 


LIVRE 
III. 


PIERRE 


DE S. ASTIER. 





& Ibid. 


lendes de Novembre, la quarante-deuxième année après la 


Pafiion de Notre-Seigneur. | 

Il faut pourtant avouer avec le même Auteur, que ces inf- 
criptions paroifloient bien poftérieures aux tems apoñtoliques : 
Que recentiora & fequiora tempora redolent. On ne doute pas 
que faint Fronton ne doive être reconnu pour le premier Evè- 

ue de Perigueux , & qu’il n'ait fait de grandes converfions 
sm le Pais, foit par la fainteté de fes éxemples, foit par fes 
miracles , fes prédications , & fes travaux apoñftoliques. Mais 
on ignore le lieu de fa naiflance , auf bien que les particula- 
ritez de fa vie. Et il eft toujours incertain , fi c’eft dans le pre- 
mier fiécle de l'Eglife, ou feulement dans le troifiéme qu'il 
faut métre fon Epifcopat. Ainfi parle Don Denis en commen- 
çant fon Catalogue des Evêques de Perigueux (1). 

Revenons à Pierre de faint Aftier , un des plus illuftres Suc- 
ceffeurs de faint Fronton. Le défir de la retraite le preffant 
toujours plus vivement, il crut devoir renouveller fes inftan- 
ces auprès du Saint Siége , pour faire agréer fa démiffion. Ja- 
mais peut-être ambitieux ne travailla avec plus de conftancé 
& de réfolution , pour s'élever à une place d'honneur, que 
l’humble Prélat , pour avoir la liberté . décendre. Sa per: 
févérance ne fut pas toujours inutile : elle obtint enfin de Cle- 
ment IV , ce que trois de fes prédécefleurs n’avoient point vou- 
lu acorder à des priéres fouvent réitérées. Dès que £ Sainteté 
eut donné un figne d'aprobation , ou de confentement, Pierre 
de faint Aftier prit congé de fon Troupeau par un Difcours, 
qui fit répandre bien des larmes , & pouffer bien des gérifle- 
mens. On fe rapelloit les grands éxemples de vertu qu'il avoit 
donnés à fon life ; les faintes inftru&tions , dont il avoit 

(1) Primum Petrocoriorum Antiftitem | dem Chrifti verbo traxerit, & exemplo..… 
fuiffe S. Frontonem in confeflo eft dv At quo fæculo floruerit , an primo, an ter- 
omnes. Reliqua omnja, ætas, patria , gelta , | tio dumtaxat , noftrum non eft hic definire. 
-&c. incerta funt . .. . Urureft, non@ide- | Gallia Chrifliana T. II , Col, mccccxLvr, 


tur negari poffe primum Petrocoriorum An- | MccccxLvIl. 
tiftitem fuifle Frontonem , qui cos ad Fi- h 
Qaiÿ . 


IX: 

Pierre de S. Aftier 
fait de nouvelles 
inftances , & ob- 
tient enfin du Pape 
la permiflion d'ab- 


diquer fon Evéché. 





LIVRE 


PIZRRE | 
DS S. ASTIER. 
à | 





X. 
1lfe retire chez 
les FF. Précheurs , 
dans leur Couvent 
de Limoges. 


XI. 
Joye & faes 
éxercices du reli- 
gicux Prélat, 


308 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


coutume de nourrir la piété &c la ferveur des Fideles ; ces au 
mônes , qu'il répandoit avec profufion dans le fein des pau- 
vres ; fes foins , fes atentions à écarter tout ce qui auroit püù 
troubler le repos du Peuple , & les douceurs de : IX, dont 
1] le faifoit jour. Toutes ces confidérations Sd acte bien 
fenfible la perte, ou la féparation d'un Evêque , que chaque 
Fidèle ofoit apeller , non-feulement fon Pafteur , & fon pere, 
mais fon proteéteur , fon guide, fon apui, fon ami le plus 
fincére , & le plus généreux. Il ne vit pas couler tant de lar- 
mes fans en être atendni; mais il n'en fut point ébranle. Ré- 
folu de fuivre la voix de Dieu , il demanda à tous les Fidéles 
Je fecours de leurs priéres ; il leur promit les fiennes : & aufli- 
tôt 1] fe retira dans le Couvent des Freres Prêcheurs à Limo- 
pese Ce fut le premier jour de Mars 1266 qu'il entra dans ce 
ieu de repos , où il demeura une année entiére fans quiter les. 
marques de fa dignité, atendant la Bulle qu’on lui avoit pro- 
mife , & qu'on lui faifoit efpérer. Peu de jours après qu'il l'eut 
reçüe , à prit l'Habit de S. Dominique , des mains du célébre 
Etienne de Salanhac, alors Prieur de cette Communauté. 

La joie que reflentit ce véritable Difciple de JEs us- 
CHRIST, fe voiant enfin déchargé du pefant fardeau , fous 
lequel 1 gémifloit depuis trente-trois ans , lui fit regarder fa 
retraite comme un Paradis de délices. Rendu à lui-même, & 
débarafle de mille foins , qui partageoient auparavant fes aten- 
tions, la préfence de Dieu ocupoit continuellement fon ef- 
prit & fon cœur. Er comme s'il n'eut commencé que dès-lors 
à vivre pour lui-même , ou à travailler pour l’Eternite , il apre- 
noït tous les jours à fe dépouiller du vieil homme , & à fe re- 
vêtir du nouveau. La méditation des Livres faints fut défor- 
mais fa plus douce ocupation ; & la pratique de l’obéifflance 
fon éxercice RE De foumis que le plus jeune des No- 
vices, on le vit marcher avec une divine ferveur à la fuite 
de JEsUS-CHRIST , par l'amour de la Croix, & des humulra- 
tions , tout Eee e fon propre néant, & ne penfant qu'à 
mourir de plus en plus au monde , à lui-même, & à tout ce 
qui n'eft pas Dieu. 

Clement IV , en lui acordant la liberté d'embraffer l’état 
Religieux, lui avoit permis d’éxercer à l'égard de fes Freres, 
le pouvoir , que lui donnoit fon caraétére ; c’eft-à-dire, de 
leur conférer les Ordres ; & 1 ufa quelquefois de cette per- 
miflion. Bernard Guidonis , alors jeune Profs dans le Cou- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 30 
vent de Limoges, & depuis Evêque de Lodeve, fe glorifioit 
d’avoir reçû la Tonfüure Cléricale des mains de ce faint hom- 
me. Dans la fuite des Evêques de Perigueux , nous voions 
que fon Succeffeur , Helie Pileti, ne monta fur le Trône de 
cette Eglife que l'an 1268 , par conféquent après la Profeflion 
Religieufe de Pierre de faint Aftier. 
 : Nôus'ne parléronis point des grands biens ; dont il enrichit 
la Sacriftie, & la Bibliothéque du Couvent de Limoges. 


ErvRe 
UT. 


PIERRE 


DE S. ASTIER, 
0 0) 








Quelque magnifiques que puflent être fes préfens , le plus efti- 


mable de tous fut fans doute celui qu'il fit de lui-même. Le 
Seigneur prolongeant fes jours pour augmenter fes mérites , 


le religieux Prélat vécut huit ans , quatre mois, & quinze 


jours dans les faints éxercices du Cloitre ; & mourut en odeur 
de fainteté le 14 de Juillet 127$ (1). Son Corps fut enterré au 
milieu du Chœur de notre Eglife de Limoges ; où on voit en- 
core fon tombeau, & une épitaphe , qui contient l’abregé de 
{a vie , & la preuve de ce que nous avons raporté. | 


(1) Deniqué pius Præful musdi pertæ- 
fus , continuis follicitationibus ac precibus 
apud fummos Pomifices Epifcoparüs fai 
ceflionem accipi poftulat ;annoque 1166 
gr ad Lemovicenfem Phcdicicora 

onventum ; ac tandérni acceptà à Clemen- 
té Papa IV, licentià, abdicar ; Dominicasi- 


que Ordinis habirum induit ; ac in eo oéte 
annis , menfibus quatuor cum dimidio , 
fumime cum fervore Deo militat : aé tan< 
dem viametemporalem cum æterna com» 
mutat anno 127$ , fepultus in medio Chori 
Éccletié Prædicatorum Lemovicis , &c. 
Gal, Chrifi. us fp. 





Qaii 


XII. 
I] meurt fainte- 
ment. 


. 310 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
IVRE 
IT __ SEE SEE SE SN EEE OY SE SV SEVEN SN SNSTSY 


RAINIER, 


VICE-CHANCELIER DE L'EGLISE ROMAINE, 
EVÊQUE DE MAGUELONE: 


RAINIER DE PLAISANCE: 
| ET 


RAINIER DE PISE. 


UorquE ces trois Auteurs aient vécu dans des tems 
diférens , nous en parlerons ici de fuite, pour faire évi- 
fan.Guidon. ter plus facilement l'équivoque , qui a donné ocafion à quel- 
Peur. Cariel in ua QUES Ecrivains de les confondre, à caufe de la conformité du 

FGa.cha, Tv, nom, de la Nation, & de leur profeffon. 

a be. LE premier , apellé communément Rainier de Lombaæ 
die, nétoit pas moins illuftre par fa naiffance , fa doétrine, 
fa piété, & fon habileté dans les afaires, que par fes em- 

… plois, & fon crédit auprès des Souverains Pontifes. Il avoit 
ris l'Habit de faint Dominique peu d'années après la mort du 
So ar Patriarche , dont il pouvoit avoir entendædles 
prédications ; êc dont il imita fi fes les vertus , l'efprit de 
priére, & de pénitence , furtout le zéle pour la propagation 
de la Foi, l’extirpation de lhéréfie, & le falut des ames, 
que fes ee. le rendirent extrémement cher au Pape Gre- 
oire IX. La premiére marque d’eftime que Sa Sainteté lui 
onna , fut de le nommer Vice-Chancelier de l'Eglife de Ro- 
me ; emploi diftingué , dont plufieurs Religieux du même Or- 
dre furent fucceflivement honorés dans È treizième fiécle ; 
& qui n’eft poffédé aujourd’hui que par un Cardinal. Le Pere 
Rainier aïant rempli avec beaucoup de dignité, toutes les 
fonétions de cette. Charge pendant les quatre dernières années 
du Pontificat de Gregoire IX, il y fut continué par Inno- 
cent IV, qu'il eut l'honneur d'acompagner en France , pour 

”_ R trouver au premier Concile Général È Lyon. 


RAfNIER. 
D =: - — à 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 311 


: Deux ans après la tenuëé de ce Concile, Jean de Montlaur, 
Evêque de Maguelone * étant venu préfenter fes refpeëts au 
Pape, mourut à Lyon vers le mois de Juin 1247. C’éroit à 
Sa Sainteté à lui donner un Succefleur , par le droit qu'ont 
les Souverains Pontifes de nommer à tous les Bénéfices va- 
cans en Cour de Rome. Il ÿ avoit alors dix ans que Rainier 
de Lombardie, dans fa dignité de Vice-Chancelier, fe fai- 
foit eftimer par fes talens , & e fes vertus. Innocent IV crut 
faire un préfent à l'Eglife de Maguelone , en lui donnant un 
Pafteur également propre à l'édifier, & à l'inftruire (1). Mais 
elle ne profita pas long-tems de ce double avantage. 

- Dès que le nouvel Évêque eut été facré , après avoir prêté 
le Serment de Fidélité au Roi Très-Chrétien, il fe rendit en 
diligence dans fon Eglife , pour en connoître par lui-même 
les ES y & y pourvoir. Les Régleinens qu'il fe crut obli- 


e rétabliflement de la difcipline Ecléfiaftique , extrémement 
déchuë dans le Clergé du Diocèfe, 1l ne les fit que dans un Sy- 
node , afin de les rendre plus folemnels , & plus refpeétables. 


Ils ne laifférent, pas d’exciter d’abord les À ren de quelques. 
t . / / e 
Ecléfiaftiques , dont les murmures ne déconcertéfent point 


les deffeins du fage Prélat (2). Mais quoique fa fermeté ne fut 
pas moins connuë que fa piété , il diffimula prudenment ce 

u'il ne vouloit point punir , afin de ramener par la douceur, 
Es perfonnes , dont les inftruétions &r les éxemples devoient 
contribuer à la fantification des Fidéles. | 

. Les revenus de plufieurs Bénéfices, dont il auroit pû reti- 
rer fa portion , il les deftina en entier, pour les Habits des 


Chanoines de fa Cathédrale , qui étoient encore Réguliers. 


Et il pourvut aux néceflitez des jeunes Ecléfiaftiques , pen- 
dant le tems de leurs Etudes ; mais à condition qu'ils porte- 
roient toujours l’'Habit Clérical dans les lieux, où ils étudie- 


gé de faire, foit pour l'adminiftration du temporel , .foit pour. 


* Maguelone, autrefois Ville de France, 
au bas Languedoc , dans la petite Ifle de 
même nom ; quoique ruinée l'an 737 par 
Charles Martel , elle a eu fes Evêques juf- 
qu'en 1536 , que le Siége Epifcopal fut 
transféré à Montpellier par le Pape Paul III. 

(1) Joanns ( de Montelauro ) è vivis fu- 
blato , pro jure de morientibus in Curia, 
ab Innocentio IV fnffeétus eff menfe Julio 


11247, Rainerius Iralus, Lombardus Na- 


tione à quibufdem diitus , Ordinis Fre- 
trum Predicatorum alumnus, vir natali- 


‘ 


bus, doûtriné , pietate , ac agendorum peri- 
tià clarss , qui ob eximias animi dotes Gre- 
gorio IX in primis acceptus , S.R.E. Vice- 
Cancellarirs inftitusus eff anno Chriflix: 37. 


Gal. Chrift. ut {p. 


(2) Failus Épifcopus Rainerius nofter , 
Regi facramentum dixit, nonnullaque cir- 
ca bons Ecclefie [ua temporalin fancivit ; 


Canones quoque #4 reflaurandam difcipls- 


nam edidit ; #nde exorte contra prefulem 
rixa ; quem habuerint finem hand [ais [ci 
sur » ;s 


ce, Gal. Chrift, ur fp. ! _ 


Livre 
III. 


RAINIER. 
RE 








312 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE raient. Dans le fixiéme Tome de l'Ouvrage intitulé Ga/La 
HE. Chrifliana , nous trouvons divers autres Statuts, ou Régle- 
Rainisr. Mens, qui font la preuve de la fagefle , & du zéle de notre 
=” Prélat. Auf furent-ils confirmés long-tems après fa mort par. 
le Pape Clement IV , qui en connoiflait d'autant mieux l’'uti- 
lité, ou la néceffité, qu'il avoit pañlé fes premiéres années 
dans le Pais. | 
Mifellan. T. vit, . M. Raluze fait mention d’un Bref d'Innocent IV , daté du 7 
PT de Juillet 1248 , pour autorifer F'Evêque de Maguelone, à 
faire quiter aux Juifs dans toute lPétendue de fon Diocèfe, 
leurs Robes longues & noires, dont la forme & la couleur 
ouvoient les confondre avec nos Eclefaftiques. Il eft à pré- 
umer que ces Lettres'Apoftoliques avoient été expédiées à la 
demande de l’'Evêque Rainier, toujours atentif à corriger tout 
ce qui paroifloit tournér au déshonneur de l'Eplfe , ou de fes. 
Miniitres. 
_ Mais pendant que tout ocupé du foin de fon propre falut, 
& de celui de fon troupeau , il s'apliquoit fans relâche à rem- 
plir les devoirs d'un bon Pañfteur , une main facrilége vint 
abréger fes jours, par un atentat d'autant plus éxécrable , 
qu'on fe férvit de la matiére même du Sacrifice , pour lui faire 
avaler le poifon fatal. Ce fut le 13 de Janvier 1249 , après. 
dix-huit mois feulement d'Epifcopat , que le fains Evèque en 
recevant le Corps adorable de faits - CHRIST , reçut en 
même tems le coup de la mort. Si elle fut un fujet de joie pour 
le fcelérat , qui l'avoit procurée , elle ne fur pas moins un 
fujet de larmes., d'afliéion, & de deuil, pour tous les gens 
de bien, que les grandes vertus de leur. Pafteur avoient édi- 
fiés, & qui fe prométoient de plus grands avantages de fa 
charité, & de la fagefle de fon gouvernement. 
Les Chanoinesen particulier parurent également confternés, 
& de la perte . avoient faite , & de la noirceur du crime , 
. ui venoit de la caufer. Pour en éfacer , s'il étoit pofhble , le 
ARRET réfolurent de ne pointfaire detrop longues recher- 
ches touchant l'Auteur, ou les Complices. Et en même tems 
il fut déterminé que fi on venoit à les connoître , le Chapitre 
en pourfuivroit à frais communs la punition , & empêcheroit 
qu'aucun. de leurs parens. jufqu'à la quatrième génération ne: 
poflédât quelque Bénéfice dans le Diocèfe (1). Nous laifflons 
inaudito-hactenus fcelere intoxicatà facro». 


fanûæ Euchariltiæ Hofkià fublatus eft Idi. 
aux 


. (1) At dum omnibus boni Paftoris mu- 
ns adimplendis totus. iacumbit Rainçrius, 





DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 313 
aux autres à juger , fi une feconde réfolution que aie les 
Chanoines de Maguelone, pour prévenir des cas fe 
à celui qui les remplifloit de chagrin & d'horreur , étoit bien 
propre à en abolir pour toujours le fouvenir , felon leurs in- 
tentions. Don Denis , après les anciens Auteurs , raporte que 
ce Chapitre, par une délibération commune, fit un Décret 

our ordonner que dans la célébration des Saints Myftéres le 

rêtre donneroit à l'avenir une petite partie du Pain confa- 
cré , & quelques goutes du précieux Sang , aux Miniftres qui 
ferviroient à Put en qualité de Diacre, & de Soudiacre. 


mblables 


LIvRE 
IIL. 


RAINIER. 





Nous ignoronsfi le Pape Innocent IV eutconnoiffance dece 
Décret: mais il paroît qu’il fut bientôt informé de la mort de 
l'Evêque , puifque dès le onziéme jour de Février, Sa Sainteté 


fit ordonner au Daïen , & au Sacriftain du Chapitre , Exécu- 
teurs Teftamentaires du Prélat, de remétre avant toutes cho- 
fes au Prieur des Freres Prêcheurs de Montpellier , les Livres 
du défunt, fes Ornemens , & tout ce qu’il avoit eu avant fa 


promotion à l’Epifcopat , parce que tout cela apartenoit de” 


droit à fon Ordre (1). Ce font les termes du Bref, 


. Outre les Statuts Synodaux , que l’'Evêque de eg ac | 
À | 


avoit faits pour le bon ordre de fon Clergé, & du Peuple, 
1 avoit publié un Traité Théologique , en forme de Diétio- 


naire, que Bernard Guidonis apelle un Ouvrage rempli d'é- 


tudition. 


LE fecond RAINIER , qui fleurifloit dans le même fiécle, 
peu d'années après celui, dont nous venons de parler , étoit 
auffi Italien , natif de Plaifance, Ville Capitale du Duché 
de ce nom. Il avoit de grands talens naturels, beaucoup de 
génie, d'éloquence, d'érudition, &c tout ce qui pouvoit le dif- 


bus Jannarii 1249 . .. : pol oétodecim in | fumptibus puniendos : cautumque ne cui ex 


Epifcopatu tranfattos menfes. Ad vitandum 
deinceps tale facrilegium communi Cano- 
nicorum Decreto Sratutum , ut Prefbiter fa - 
crum peragens , Diacono & Subdiacono in 
akaïi fibi miniftrantibus , Hoftiz confecra- 
tæ fragmentum, & facri Calicis ftillam im- 
pertiret. Nec non & Canonicos omnes tam 
atrociter facinoris adeo execrandi portentum 
porculit , .ut FA en pro Vicario deli- 
gendo comitiis , ordinaverint ad delendam 
citiüs ex animis tanti fceleris memoriam, 
ejus auétores non inquirendos effe diligen- 
es ; fed fi proderentur , publicis Capituli 
ome L, 


4 


RAINTER 


DEPLAISANCE. 
D 


Petr. MariaCampi, 
Hift. Pla. Lib. xvars. 
Lean. Alb. Lib. IV. 
de Vir. Illuftr. fol 
148, 





corum gente ad quartam ufque generatio- : 


nem in Diæcelñ tota Magalonenfi Bencf- 


cium Ecclefiafticum craderetur. G#2. Chrif, 


st f?. | 

(1) Rainerio defunéto , præcepit Inno- 
centius IV præpofito , & Sacriftæz Magalo- 
nenfis Ecclefiæ, quos fui executores confti- 
tucrat Teftamenti, ut Libros, ornamenta, 
& bona, quz ante promotionem habebat, 
Priori Fratrum Prædicartorum Monfpelien- 
fium, ut pote quz ad diétum Ordinem de 
jure pertincbant , quantociuüs remittercat, 


Tbid, 
Rr 


314 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE tinguer dans ne profeffion qu’il voulût embraffer. Mais if 





RAINIER 


DEPLAISANCE. 
D 


Fontana, 
Poffevinus. 
Dup'n. 

Echard, T. ], P. 354. 


Vie de $. Dominique, 


abufa d’abord des dons de H nature : la fience enfla fon efprit 
& fon cœur. Après avoir perdu l'humilité, & la connoiffance 
de lui-même , il perdit le précieux don de la Foi ; & avant que 
de confacrer fon corps à la pénitence , & fa plume à la défenfæ 
de la Religion, il avoit fait lui-mème une cruelle guerre à 
lEglife. 

 Séduit par les Miniftres des Vaudois, Rainier devint lé 
Défenfeur de leurs faux dogmes , le Doëteut, le Pafteur, 82 
le Chef de leur Seéte , dont 1l fut confidéré comme l’apui pen- 
dant une longue fuite d'années. Peu content de s'être féparé 
des Catholiques, il commença à combatre de toutes fes for- 
ces les véritez de la Religion, dont il avoit été initruit dans 
fon enfance. Son naturel ardent , & le faux zéle qui l'animoit , 
comme un autre Saul , le faifoient courir de toutes parts , 
pour augmenter le nombré de fes Scttateurs. Subtil, élo- 
quent en réputation de doétrine, & de probité, il féduifoit 
les uns par És écrits , il ébranloit les autres par fes difcours ,, 
toujours remplis de fophifmes, & de fubtilitez trop cäpables 
d'ébloüir les Star , Où de corrompre ceux qui étoient en- 
core foibles dans la Foi. Ce n’eft que d’après lui, que les an< 
ciens Hiftoriens ont écrit fes premiers égaremens. Le moment 
vint enfin , auquel le Seigneur , qui l’avoit choïfi de toute éter- 
nité pour en faire A aufh bien que l'objet de fes. 
miféricordes , jéta fur lui un favorable er} | 

- Rainier ouvrit les yeux à la vérité: il en fut convaincu , & 
en même tems changé , & parfaitement converti (non par les 

rédications de S. Dominique , dans le Roïaume d'Efpagne,. 
La la fin du douzième fiéele , comme l'ont cru le Pere Giry ;: 
Minime, & M. Baillet) mais par le miniftére de faint Pierre 
Martir, l’'Apôtre de f'Ttalie, vers le milieu du fécte furvant. 
Depuis cet heureux changement, l'héréfie n'eut point d’en- 
nemi plus intrépide , ni d’adverfaire plus redoutable. N'aïant 
que trop fidèlement imité les emportemens de Saul , perfécu- 
teur de l’Eglife, Raïinier fe rendit auff le zélé imitateur de la 
foi , & de 4 énitence de faint Paul. Il fit paraitre le même 
courage , & la mème ärdeur à prêcher hautement les véritez 
qu'il avoit combatués , & à combatre toutes les erreurs, dont 
il avoit pris la défenfe. 
"Mais afin d’atirer fur lui-même de nouvelles faveurs du 
Ciel, & être moins expofé à fe tromper , en fuivant fes lu-: 


- DE L'ORDRE.DES. DOMINIQUE. 371: 
miéres particuliéres, ou fes Éa e fentimens , il demanda 
J'Habit de faint Dominique: il le de & après les épreuves 
néceffaires, on l'emploia , avec quelques autres célébres Pré- 
dicateurs, au miniftére de la parole. Pendant long-tems, il en 
éxerça les fonétions avec des fruits incroïables. es difcours 

leins de force & d’érudition afoiblirent bientôt le parti des 
Vo , des nouveaux Manichéens , & des autres hs 
Plus il avoit connu leur venin, & leur hypocrifie , leurs ma- 
ximes , leurs dogmes pernicieux, & tous les artifices dont ils 
{e fervoient pour les faire recevoir ; plus il étoit en état de les 
ataquer avec fuccès, & de les confondre , en les démafs 
quant (1). | : 
Il travailla quelque tems dans la vigne du Seigneur avec 
faint Pierre Martir, qu'il honor#it comme fon pere dans lg 
Foi, & dont il s’éforçoit d'imiter les vertus. Il fuivit depuis 
le célébre Jean de Vicence dans fes courfes apoftoliques, 
Mais pour donner plus de crédit à fes prédications, ou une 
lus grande autorité à fon miniftére , les Souverains Pontifes 
£ chargérent fpécialement du foin de veiller à la conferva- 
tion dé La Foi dans quelques Diocèfes d'Italie. Sa-vie y fut fou: 
vent en danger , fans que les plus sai périls pufflent jamais 
ralentir la vivacité de fon zele. La petite Vi 
dans la Province de Lombardie , étoit devenuë l’afyle de l’hé- 
réfie, & de fes plus ardens Miniftres. C'étoit-là que les Doc- 
teurs du menfonge tenoient leurs conventicules ; là , les Pro 
félites féduits éroient initiés aux myftéres profanes ; de-là par- 
toient les féduéteurs , chargés de répandre par-tout leur mi 
trine anti-chrétienne. Saint Pierre Martir, bien inftruit de 
tout ce qur fe faifoit dans cette Sinagogue de Satan, s’étoit 
quelquefois rendu fur les lieux , pour eflaier de ramener dans 
le droit chemin çes aveugles volontaires. La force des dif- 
cours les plus patétiques, &c l'éclat des miracles , il avoit em- 
loié l’un & l’autre pour combatre l'erreur, ou diffiper lillu- 
on. Mais il n’avoit jamais trouvé parmi les Habitans de Ga- 
(1) Frater Raïinerius Sacconus Placen- | ma antea tam vehementer tutatus fuerat ; 
tz in Gallia Togata natus, primd hæreti- | bellum indixit ; & quantum prius cæcutiens 
corum Antiftes, antequam ad fanam redi- | illis faverat, tantüm & multo plus ex cis 
ret mentem fuerat ; & multa damna Recipu- | fupplicium fumpfit. Suo enim juflu oppi- 
blicæ Chriftianæ in Æmilia intulerat. Tan- | dum Gathæ, cujus ruinam D. Petrus Ve- 
dem in fe reverfus orthodoxam fanétamque | ronenfis , poftea Martir, aliquando præ- 
Chrifti Fidem totis viribus , totoque animo | dixerat, flo everfum eft, &c. Lean, Alk. 


compleétens , Prædicatorum togam accepit | L:b, IV, de Vir Illuffr. fol. 148. 
#.. mox Hercticis quorum falfum dog- 
| R r 


Livre 
III. 


RAINIER 


DEPLAISANCE, 
D à" à 





e de Gatha, 


316 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE tha qu'une invincible opiniâtreté , qui tenoit contre les plus 
__ HE. mon es , & les plus charitables folicitations , contre les con- 
Rarnier  feils, les prières, & les prodiges. Forcé de fe retirer fans 
DEPLAIsANcE, aVOir pù rien obtenir, le Saint , en fecoüant la poufhére de 
VW les piés, avoit prédit que cette malheureufe Ville » aufl cri- 
Yi A@a Santo. minelle , & plus indocile que Ninive Idolâtre , feroit bientôt 
7° 8-7 renverfée : & ce fut Rainier de Plaifance, qui acomplit peu 
d'années après la prédiétion du ep nr 
Auf les Seétaires lui tendirent-ils fouvent des pièges ; &e 
leurs Fauteurs , alors fort puiffans dans tout le Duché de Mi- 
lan , le condamnérent à l’éxit. Le Serviteur de Dieu avoit gé- 
néreufement méprifé les menaces ; il foufrit avec joie le 
baniflement, & la profcripgon , prêt à faire le facrifice de fa: 
vie, pour. gagner des ames à JESUS-CHRIST , & réparer par 
l'éfufon de fon fang les pertes, qu'il avoit eaufées à lEglife 
dans les jours de fon aveuglement. Nous avons remarqué ail-. 
leurs que les mêmes Hérétiques, qui procurérent la couronne 
du martire à faint Pierre de Veronne, avotent aufñ deftiné 
une grande fomme d'argent, pour rs a celui, qui 
d'un feul coup les délivreroit des recherches continuelles, 
que Rainier ne cefloit de faire , ou pour découvrir leurs com- 
lots fecrets, ou pour déconcerter leurs defleins, toujours pré- 
judiciables au repos de PEglife. Les Manichéens n'étoient pas. 
même fàchés qu’il aprit qu'on en vouloit à fa vie, paree qu'ils 
fe flatoient que la crainte de la mort l'obligeroit enfin r fe 
taire. Îls furent trompés dans leur efpéranee. Le zélé Miniftre 
de JESUS-CHRIST avoit pris pour maxime, & pour fa régle, 
celle de faint Paul : chargé d'anoncer les véritez du falut, & 
de combatre par le glaive de la parole tout ce qu} ofon s’éle- 
ver contre Dieu, 1l regardoit comme un gain de mourir pour 
le facré dépôt, qui lui étoit confié. Ce qu'il ne lui étoit pas 
donné de faire dans un tems, ou dans un lieu, il le failoit 
dans un autre. 

Mais ee fut principalement après [a mort de faint Pierre: 
Martir, que la moiflon parut abondante , & que fon fidéle 
Difciple recueïllit les plus précieux fruits.de fes travaux. On 
voioit tous les jours un grand nombre de Seétaires, plufeurs 
même de leurs Chefs , ou de leurs Doëteurs, autrefois les 
plus opiniâtres à foutenir les dogmes pervers de leur Seéte , 
venir 5 abjurer entre les mains de Rainier , & aprendre de 
Jui ce qu’ils devoient croire, ou pratiquer , pour mériter d'être 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 317 
admis à la communion de l'Eglife , & de recevoir les miféri- LIVRE 
cordes du Seigneur. * Le Pape Aléxandre IV Fhonora de plu- IE. 
fieurs Brefs , tantôt pour l'exhorter à continuer avec le même  Rurnrer 
zéle à s’aquiter de la commiffon , dont fon À sense > In- pePLAIsANcE. 
nocent IV , l’avoit chargé dans toute la Lombardie, & la 
Marche d’Ancône ; tantôt pour lui tent la maniére , dont * sul. or. r.1 
il devoit fe comporter, foit envers les Apoftats pénitens ; foit P3571,2 2%» #%» 
‘à l'égard de ceux qui foutenoient encore opiniâtrément leurs 
erreurs, ou qui en favorifoient les Miniftres. 

Par fes Lettres Apoftoliques du 28 Décembre 1260, le 
même Pape avertifloit tous les pt La » & les Evêques 
d'Italie, que le Saint Siège aïant commis le Pere Rainier pour 
travailler à l'extirpation de l’héréfie dans leurs Diocèfes , ou 
dans leurs Provinces, ils devoient de leur côté veiller en fa- 
veur de ce digne Miniftre de l'Evangile , lui prêter aide & 
confeil dans le befoin , & le défendre contre les infultes , ou 
la mauvaife volonté des Hérétiques. Nous trouvons un autre 
Bref du Pape Urbain IV, éd Viterbe le 21 Juillet1262, #7 
par lequel Sa Sainteté ordonnoit au Pere Rainier de fe rendre 
inceflanment en Cour de Rome, où fa préfence étroit abfolu- 
ment néceflaire pour des afaires importantes , quiregardoient 
la Religion ; & fur lefquelles on ne doutoit pas qu'il ne pût 
donner de grandes lumiéres (1). 

La date : ce dernier Bref eft une nouvelle preuve contre 
le fentiment de ceux qui métent la converfion de Rainier dans 
le douziéme fiécle : elle nous fait connoître en même tems la 
méprife de M. Dupin, qui a À se la mort de ce grand hom- x rée: 
me en 1260, avant le Pontificat d'Urbain IV. p.270. 

Le principal Ouvrage , que Rainier ait compofé, & le feul 
qui nous refte , c’eft la Somme contre les Cathares, ou nou- 
veaux Manichéens, & contre les Vaudois, apellés les Pau- 
vres de Lyon. Après avoir fait l'éloge de la Foi Chrétienne, 
& de l'Eglife Coliaue , l'Auteur y traite favanment de l’o- 

_igine des nouvelles Seétes, de leurs Dogmes , de leurs Myf- 
_téres , de leurs Sacremens , de leurs Mmiftres, & de leurs 








Ibid. p. 402, 


(1) Urbanus Epifcopus . . .. dileéto Fi- | Apoftolica Scripra. ... mandamus , qua- 
lo Rainerio Placentino, Ordinis Prædica- | cenus affumpto recum uno focio tui Ordinis 
torum , &c. Cum fuper quibufdam agen- | idonco .. . . ad nos fublatä difficultate qua= 
dis Ecclefiz nesotium Catholicæ Fidei con- | libet feftinanter accedas, &c. Datum Viter- 
tingentibus ,tecum velimus habere traéta- | bii XII Cal. Augufti, Pontificaüs noftri 
__ tum, tuaque fit nobis propter hoc præfentiz | anno primo. Biler. Ord. F. I, p. 427. 

y Pluimum opportuna ; diferctioni tux per 


Rr 


LIVRE 


RAINIER 


318 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Eglifes. Il nous aprend quelles font les marques , par lefquel- 
les on peut connoître les nouveaux Se&taires, leurs fentimens, 
ou leurs mœurs ; & de quelle maniére il faut les éxaminer, 


DEPLAIsance. les convaincre, les corriger , ou les punir. Il fait obferver 


nn 


ue , felon l’éxaété fuputation faite en fa préfence par les 

hefs des Cathares , le nombre de leurs Difciples de l’un & de 
l'autre féxe, répandus dans tout le Monde, n'alloit pas à qua- 
tre mille (1). 

Cet Ecrit, fouvent cité par les Savans, & qui eft en éfet 
d'une très-grande utilité pour avoir une parfaite connoiffance 
de tous les dogmes des Hérétiques du treiziéme fiécle , fe trou- 
ve dans la Bibliothéque des Peres, Edition de Paris, de Co- 
logne, & de Lyon. Îl avoit été déja imprimé en 1613 à In- 

olftad dans la ide , par les foins de Jäques Gretfer. L'E- 
: ji paroît avoir un peu changé l'æœconomie de l'Ouvrage, 
& y avoir inféré quelques exprefhions propres à fa Langue, 
Peut-être auff avoit-il trouvé ce changement , & ces expref- 
fions dans le Manufcrit, dont il a procuré l’impreflon. 

_ À la fin du Traité il y a une Adition touchant les hypocri- 
tes, dont Rainier avoit entrepris de faire connoitre les er- 
reurs . & les artifices , dont ils avoient coutume de les voiler. 
Mais c’eft dans le cinquiéme chapitre de fa Somme, qu'en 

arlant de la faufle pénitence des Cathares , l’Auteur fait un 
bts aveu de fes anciens égaremens. Îl reconnoît que pen- 
dant dix-fept années il avoit été engagé dans l'héréfie; & il 


rend à Dieu de folemnelles aétions de graces , de ce que par 


une gratuite miféricorde , il l'avoit enfin apellé à la lumiére 
admirable de la Foi (2). 

À l’éxemple de faint Auguftin (qui durant près de neuf ans 
avoit écouté les anciens Doéteurs de la même héréfie ) Rainier 
crut que ce n'étoit pas aflez pour lui, que d'ouvrir enfin les 
yeux à la lumiére, & de fe foumétre humblement au joug 
de la Foi, s’il ne faifoit en même tems tous fes éforts, ou 
pour ramener à la vérité ceux qui lui avoient infpiré l'erreur, 
ou pour aprendre du moins aux Fidéles les mojens d'éviter 
leurs pièges. C’eft dans cette vüë, & par ce motif de cha- 


(1) In toto mundo non funt Cathari | Ordine Prædicatorum licèt indignus, dico 
utriufque fexüs numero quatuor.millia : & | indubitanter , & teftificor coram Deo , qui 
diéta computatio pluries olim faéta eft inter | fcir quod non mentior ..,. præterea dica 
cos. Rain. is Sum.C. VII; apud Echard. ut fp. | indubitanter qudd in annis renier , 

(2) Ego autem Frater Raïinerius olim | quibus converfatus fum çum eis (Carharis 


Haærefarcha , nunc Dei gratià Sacerdos in 1 Jcslicet, ) Ibid. C, V. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 319 


rité, qu'il compofa l’'Ouvrage, dont nous venons de parler. 


RAINIER de Pife, Profs du Couvent de Cia Domini- 


e de la même Ville, étoit né vers la fin du treiziéme fiécle ; 
fe rendit célébre dans le fuivant. Cependant, comme il eft 
remarqué dans le Gallia Chriffiana , on l'a quelquefois con- 
fondu avec Rainier de Lombardie, qui étoit mort Evêque de 
Maguelone plufeurs années avant la naïffance de celui-ci. 
, peo l’Abé Tritheme , Léandre Albert, & plufeurs 
autres Ecrivains aflurent qu’il s’étoit fait un grand nom par 
fes vertus, fon érudition, & fes Ecrits (1), ils ne nous apren- 
nent aucune particularité de fa vie, fe contentant de dite que 
ce digne Religieux n'aïant jamais ceflé de travailler à fa pro- 
re perfeétion , & au falut de fes Freres, mourut en odéür dé 
nu l'an 1351.11 eft vrai que fon grand Ouvrage, recueilli 
des divines Ecritures, des Livres des Peres, & de ceux des 
Théologiens les plus aprouvés , ne refpire par-tout que la 
. piété ; l'amour de la fagefle, ou le défir de faire préférer la 
crainte du Seigneur , & l'amour de la vertu, à tout ce qui 
flate les fens , l'ambition , & la cupidité des mondains. 


:. Dès le commencement de fon Ouvrage, Rainier de Pife 


déclare que fon deflein a êté de rémédier en quelque forte à 
trois inconvéniens , qui ont coutume de détourner les jeunes 

ens de l'étude des Livres Saints ; ou qui caufent au moins 
eme de dégout , & de travail à ceux qui veulent s’y apli- 
quer. Ces inconvémens font , 1°. la diverfité d'opinions par- 
mi les Interprètes de l'Ecriture : 2°. le grand nombre de livres, 
qu'il faut lire pour devenir favant : 3°. la dificulté de trouver 
ce que l’on cherche dans cette multitude prefque infinie de 
Volumes. Rainier a cru pouvoir lever la plus grande partie 
de ces dificultez, ou les diminuer beaucoup, par le choix 

u’il a fait des Auteurs les plus eftimés, les plus recomman- 
ir par leur orthodoxie, & la‘ folidité de leur doë&rine, 


pour compofer un feul Ouvrage , qui renfermät en 2 . 


& par ordre alphabétique, tout ce qui fe trouve répandu dans 


une infinité d'autres , qui traitent de la Religion, & des ma- 


niéres Théologiques. 


” (1) Frater Raïnerius de Pifis à patria , ce-1 hoc tamen in lettione Librorum vigoris in+ 


Jebri Etrurix civicate , ut & à profeffione fic | defefi. Obiit non fine fama fanétitatis anno 
nuncuparus, vir fuit fæculo x1v medio cir- | 1351, ut habet Leander Albertus, &c. E- 
“citer currente clariffimus, vitæ fpirituali , | cherd, T. I, p. 635. 


, 
. 


: 


dc ad perfctionem anhelanti addittus ; cum | FT 


LIVRE 
III. 


RAINIER 


DE Prse. 
Re —. — à 








Tom. II ? Col, 
DCCLXVIL 


De Viris Illuftril, 
Lib. iv, fol 138, 


{] 


IIT. 


CA 
+ 


LIVRE 


320 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Jâques de Florence, Francifcain , a ajouté depuis plufeurs 
chofes à cet Ouvrage, & l'a fait imprimer à Neuremberp l'an 


Dupin) Au duXIV 1473. Il a été auffi imprimé de la même maniére à Venife l’an 
»P.3 é 


HuMBERT 
DE ROMANS: 


EE 


1486 , à Lyon en 1519 , à Brefle en 1,80. Et depuis à Paris 
avec les Aditions , ou les Notes du P. Niçolaï, Dominicain, 


CÉEEEEREEESEERTESESESESISE 
HUMBERT DE ROMANS, 
ve. GENERAL DES FF PRÊCHEURS. 


| UMBERT , loué par tous nos Hiftoriens comme un des 
. ? e P Le Ê / / 

plus faints Religieux, & des plus illuftres Généraux de 

l'Ordre de faint Dominique , naquit vers le commencement 


Naïffance & Eds. du treizième fiécle , à Romans en Dauphiné, dans le Diocèfe 
cation d'Humber. de Vienne , à quatre lieuës de Valence fur l’Ifere. Un Auteur 


IL 
Ses Etudes à Paris. fe 


moderne dit que fes parens étoient nobles, riches , & fort 
pieux. Thomas de Catimpré peut être cité pour garant de leur 
nobleffe : & nous avons une grande preuve de leur piété dans 
la fainte éducation, qu’ils donnérent à leurs enfans ; aufli-bien 
ue dans loficieufe hofpitalité, qu'ils fe faifoient un plaifir 
’éxercer envers les Serviteurs de Dieu, particuliérement à 
l'égard des Chartreux, lorfque l’ocafon, ou la néceffité les 
bligeoient de pafler par leur Ville. Les édifiantes converfa- 
tions de ces pieux Cénobites, nourriffant dans le cœur du 
jeune Humbert toutes les femences de vertu , que la Gracey. 
avoit déja mif& , il conçut le défir d’'embraffer leur Inftitut, 
&t d'imiter leur pénitence. Ce défir ne contribua pas peu à le 
faire marcher dès fes plus tendres années dans les fentiers de 
la juftice , comme un homme, qui aïant déja renoncé au fié- 
cle, ne devoit prendre aucune part ni à fes amufemens, ni à 
fes À sa ù À 
nvoié par fes parens dans les Écoles de Paris, pour y faire 
s Etudes, a il fuioit avec foin les légéretez or- 
dinaires à la jeuneffe ; mais on le vit toujours conftant dans. 
diverfes pratiques de piété & de pénitence, peu communes 
aux Ecoliers. Cette précaution étoit néceflaire furtout dans 
un tems, & dans un lieu, où, felon l’Hiftoire , les mœurs 
des Etudians étoient extrémement çorrompuës., Les je ver 
: cnes 


DE L'ORDRE DE S. DNOMIIQUE: 321 


ches les plus criminelles , ils les regardoient comme un Jeu : 
l'ocafion , & léxemple fembloient les y inviter. Jâques de 
Vitry , témoin oculaire, dit que dans une même Maïfon on 
trouvoit les Ecoles , & les lieux infames. Les Clercs qui fai- 
{oient le plus de dépenfe , étoient les plus eftimés : ceux qui 
vouloient vivre avec frugalité, & obferver les régles de la 
modeftie , on les traitoit d’avares, d’hypocrites , ou de fuperf- 
titieux. La plupart n’étudioient que par des motifs de vanité, 
de curiofité , d'’ambition , ou d'intérêt. Ils étoient divifés non- 
feulement par la diverfité des Ecoles, mais aufli par celle 
des Nations, François, Anglois, Allemans, Normans, Poi- 
tevins , Bourguignons, Bretons , Lombards , Siciliens , Bra- 
bançons, Flamans & autres. A chaque Nation on repro- 
choit fon vice particulier ; & des paroles , on en venoit fou- 
vent aux mains. M. l'Abé Fleuri , après le Curé d'Argenteuil, 
charge beaucoup plus le portrait : nous fuprimons ce qu’il a 
de ph afreux. | 


n comprend aflez combien il étoit dificile de ne pas fuivre 


le torrent , ou de n’en être point entraîné prefque malgré foi. 


Pour fe foutenir contre la mortelle contagion de l’éxemple, 
Humbert ajoutoit la pratique des bonnes œuvres , la priére, 
les jeûnes, l’'aumône , à une férieufe aplication à l'étude. Sans 
vouloir pafler pour dévot, & fans craindre la cenfure des li- 
bertins, ni leurs piquantes railleries , il entendoit fouvent la 

arole de Dieu, ke alloit tous les jours faire oraifon, tantôt 
dans l'Eplife de fa Paroifle , tantôt dans celle de Notre-Dame, 
où il afhftoit quelquefois à l’'Ofice de la nuit. Bien loin que 
ces éxercices de piété fuffent un obftacle aux progrès de fes 
Etudes , il en fit au contraire de très-grands, foit dans les 
Belles-Lettres , foit dans les hautes Siences ; principalement 
dans la Théologie, & le Droit Canon. Son atention à fuir 
les mauvaifes compagnies , ne lui épargnoit pas toujours la 


_vûé des fcandales , dont fa timide piété étoit ofenfée ; & il en 


prenoit ocafion de foupirer avec plus d’ardeur vers le lieu 
deftiné à fa fantification. Pour hâter fa retraite, & fixer fa 
vocation, la Providence fe fervit des prédications du Bien- 
heureux Jourdain de Saxe , & des fages avis que vint lui 
donner le Curé de faint Pierre aux Bœufs , un jour qu’il le 
trouva dans un coin de fon Eglife , où le pieux jeune homme 
faifoit fes priéres. La bonne odeur que répandoient parmi les 
Peuples les premiers Enfans de faint Dominique, le folicitoit 
Tome J, Sf 


LIVRE. 
III. 


HUMBERT 


DE ROMANS. 
Re 


Hift. Occid. C. vir. 
Fleuri, Liv. £xxvt, 
8. 60. : 


YIT. 
Sages précautions 
contre la corrup- 
tion du fiécle. 


e LIVRE 
III. 


HUMEERT 


DE ROMANS. 
À 
IV 


Vocation du jeu- 
ne HumbertalOr- 
dre de S. Domini- 
que, 


V. 
Ses progrès dans 


la vertu. 


VI. 
Ses Emplois en 
France. 


322 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


d’une part de demander leur Habit ; &c le fouvenir de fa pres 
miére vocation le retenoit, ou le prefloit de l’autre. La réfo- 
lution, qu'il avoit prife prefque dès fon enfance d'entrer par- 
mi les Chartreux , il la confidéroit comme une efpéce de 
vœu ; & il ne penfoit pas qu'il lui füt permis de s'engager dans 
un autre Etat. 

Aïant propofé fon doute à des perfonnes fages , & désinté- 
reflées , on lui fit comprendre qu'une fimple réfolution n’eft 
pas un engagement fans retour ; qu'il étoit toujours libre de 
choifir ; & que dans l’un ou l'autre Inftitut 1l pouvoit fe fan- 
tifier ; mais que parmi de faints Solitaires ,1l n’auroit pas, ainfi 
que dans un Ordre Apoftolique , les moïens de faire valoir 
les talens qu'il avoit reçüs de Dieu , fans doute afin qu'il les 
emploïât à l’inftruétion des Peuples, & au falut des ames. 
Décidé par cette réponfe , Humbert n'héfita plus : il reçut 
l'Habit des Freres Prêcheurs dans le Couvent de faint Jâques, 
le Jour de fait André 1224. Et trois mois après 1l atira à la 
même Profefhon le célébre Hugues de faint Cher, fous lequel 
il avoit étudié le Droit dans les Ecoles de Paris, comme nous 
Pavons déja remarqué dans l'Hiftoire de ce Cardinal. 

Si la retraite d'un Doéteur du mérite, & de la réputation 
d'Hugues , fut un fujet de joie pour le nouveau Religieux, 

ui fembloit commencer ainfi fes conquêtes par celle de fon 
Maitre ; 1] ne fut pas moins fenfible à la démarche d'un de fes 
freres felon la chair , lequel après avoir étudié avec beaucoup 
de fuccès à Paris, & à Bologne, fe confacra au fervice du 
Seigneur fous l’'Habit de faint Bruno. I} parut que la Provi- 
dence avoit fait le partage, & marqué la deftination des deux 
freres. Aufli répondirent-ils l’un & l'autre avec une égale fidé- 
lité à la Grace de la vocation. Le Chartreux, dans le filence, 
& la retraite, vécut comme vivent les Amis de Dieu, qu 
n'ont que le corps fur la terre: & 1l mourut en odeur de fain- 
teté. Le Dominicain ajouta à la pratique de toutes les vertus 
chrétiennes & religieufes , les travaux de l’Apoftolat, qui 
l'élevérent à une haute perfeétion. 

Bientôt après fa Profeflion Religieufe , il fut emploié fe- 
lon fes talens à mftruire les Fidèles dans les Chaires , & dans 
les Ecoles : 1l remplit l'un & l’autre emploi avee beaucoup 


_ d’aplaudiffement à Lyon; &t avec un fre grand fuccès à Pa- 


ris. La fience des Ecritures, le don de la parole, & l'inno- 
cence de fa vie le rendirent d'abord célébre, difent l’Abé Tri 


LS 


. DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 32 


theme , & Duboulai qui.le comte parmi les illuftres Acadé- 
miciens (1). Nous ne favons pas | sr quelle année le Pere 
Humbert alla éxercer le PET Va de la prédication dans la 
Paleftine : mais il nous aprend lui-même qu'il avoit vifité les 
Lieux Saints ; & qu'il pouvoit parler favanment des profana- 
tions , dont les Sarafins, à la fuite même de l'Empereur Fré- 
déric, les avoient fouillés (2). L'Hiftoire nous oblige de 
métre cette mifhon après l'an 1229 , & avant l’année 1236. 

À fon retour on lui donna la conduite de la Province Ro- 
maine ; & il fe compoñta avec tant de fagefle , de prudence, 
d'habileté dans l’éxercice de fa Charge, qu’en fe conciliant 
l'amour de tous fes Freres , il gagna en même tems l’afeétion 
des Peuples , l’eftime des Prélats, & la confiance des Cardi- 
naux. Thomas de Catimpré , cité encore par Duboulai , affure 
qu'après la mort du Pape GregoireIX , plufeurs Cardinaux 
jétérent les yeux fur le Pere Humbert pour l’élever à la Papau- 
té (3). Nous ne connoifflons point d'autre Auteur contempo- 
rain qui ait parlé de ce fait. Mais on fait que pendant la longue 
vacance du S.Siége , les Cardinaux dans leurs Affemblées pro- 
poférent bien des Sujets avant que de s'acorder en faveur du 
Cardinal Sinibale de Fiefqui, qui ne fut élû que le vingt-unié- 
me mois depuis la mort de fon prédécefleur , & prit le nom 
d'Innocent W. 

Ce nouveau Pape aïant donné la Pourpre Romaine à Hu- 
gues de faint Cher, Humbert lui fuccéda dans le gouverne- 
ment de-la Province de France ; & on le continua pendant 
près de dix ans dans cette Charge. Aufli connoifloit-on peu de 
en a , en qui on vit tant de talens réunis , foit pour con- 
ferver l'Ordre dans fa pureté, & la Difcipline nie dans 
fa vigueur ; foit pour infpirer à tous les Particules , par la 
force de l'éxemple, l'amour de leur état , & la fidélité à leurs 


(1) Humbertus Viennenfis....vir in 
Divinis Scripturis erudius , inquit Trithe- 
mius , & declamator egregius, vità evan- 
gelicus , confcientià purus, actione præci- 
puus, cloquio dulcis, & ad perfuadendum 
idoneus , &c. Duboul. in Cat. Illufir. 
Acad. Hifi. Univ, Parif. T. III ,p. 690. 

(2) Vidi ego oculis propriis, qui tracta- 
tum iftum confcripf , Capellam in qua fe 
receperant Saraceni , qui ibant cum Frede- 
rico Imperatore ; & dicebatur pro certo qudd 
il@ dormiebant noétu cum mulieribus ante 


faciem Crucifixi. Hswmbertus ipfe Lib. de |. 


negotio Terre Sante , Par. I, C. vit. 

(3) De fic fcribit Cantipratanus ( de 
Apib. Lib. Il, C. Lvi1, 6. 60.) fucceflit 
venerabilis vir, Humbertus , gencrofus , & 
{pcétabilis genere , de Burgundiz partibus 
natus, qui gratià Prædicationis infignis, 
Letor Fratrum Prædicatorum faétus, adeo 
Romanæ Curiæ gratiofus & charus fuit, 
ut eum plures Cardinales in Papam elige- 
rent ço tempore , quo Dominus Innecentius 
IV in Apoftolicum eft affumptus, &c. Du 
boul, nt fp. 


Sf ij 


LIVRE 
III. 


HUMBERT 
DE ROMANS. 
D + À 


7 VII. 
Dans la Paleftine. 


VIII. 
En Italie. 


IX. 
Sa grande reputa- 
tion. 


| 


X. 

If gouverne pen- 
dant dix ans la 
Province de Fran- 
ce. 


Livre 
III. 


HUMBERT 
DEROMANS. 








XI. 
Il eft fair Général 
de tout fon Ordre. 


XIT. 
Sascfle de fon 
gouvernement. 


324 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


devoirs. Les Religieux François aétoient pas les feuls - 
penfoient ainfi de leur illuftre Supérieur ; les Italiens , les 
Allemans , les Polonois, les Anglois , les Efpagnols , refpec- 
toient également fon mérite : & ils le firent paroïtre dans 
le Chapitre tenu à Budel’an 1254, pour le choix d’un Géné- 
ral. Les fufrages ne furent point partagés : le Pere Humbert 
les eut trous, & lui feul en fut furpris. 

Comme fes Prédéceffeurs , le Bienheureux Jourdain , faint 
Raymond & Jean le Teuthonique, avoient éxaftement fuivi 
le plan du Bienheureux Fondateur , & s’étoient, pour ainfi 
dire , formés fur fon efprit ; Humbert de Romans fe propofa 
auffi de marcher toujours fur leurs traces, & de les prendre 
pour fes modeles , autant pour fa propre perfe&tion , que 

our la conduite de fes Freres, & Énftruéhon des Peuples. 
ous les Réglemens qui avoient été faits dans les trente-deux 
Chapitres précédens , il les confirma dans celui de Bude ;. 
& il prit de nouvelles mefures , afin qu’on les gardät dans 
toutes les Provinces , avec la même éxaétitude avec laquelle 


11 les avoit fait obferver dans celles de Rome & de France. 


Nous verrons qu'après l'efprit de priére & de régularité , qui 


doit être comme le premier fondement , & le principal apui 


d'un Ordre Religieux ; ce fage Supérieur n’eut rien plus à 
cœur que de former de bons Prédicateurs, en faifant fleurir 
dans "4 Ordre l'étude des Siences, & celle des Langues. Il 
étoit perfuadé qu’un Miniftre de la Parolo ne fera jamais-tout 


le fruit qu'on a lieu d’atendre de fon Miniftére, s’il n’eft vérita- 


: blement favant : comme il ne fauroit porrer au loin la lumiére 


XNT. 

Ce qu'il fait dans 
à Province de 
Hongrie, & à la 
Cour du Roi Bela 
AV. 


de la For, fans le fecours , ou la connoiffance des Langues. 
La premiére Province , dont le nouveau Général fit la vi- 
fite, M celle de Hongrie. Elle étoit dès-lors d’une grande 
étenduë ; il ne laiffa pas cependant de la parcourt à pié, 
d'obferver fans aucun adouciffement les A Ts les 
jeünes de la Régle, & d’anoncer la parole de Dieu à tous 
les Peuples , chez qui les intérêts de fon Ordre pouvoient l'a- 
eller. Les Religieux profitérent de fes éxemples , les Fidé- 
{es de fes inftruétions , & la Cour de Hongrie de fes falutaires 
avertiflémens. Bela IV ne fe contenta pas de l’honorer de fon 
afe&ion; il voulut lui donner des preuves plus marquées de fon 
eftime & de fa confiance, en lut l Apue ant comme une faveur 
de vouloir sarêrer quelque-tems dans fes Etats, pour recevoir 
les vœux de la jeune Princeffe Marguerite de Hongrie. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 325 
Bollandus , après les Hiftoriens de la Nation , raporte que LIVRE 
la Reine Marie, Princefle aufñ illuftre par fes vertus que HIL. 
ar fa naiffance , fe trouvant enceinte dans le tems que les Humserr 
Tate l’an 1241 ravageoient toute la Hongrie avec une DrRomans. 
cruauté plus que barbare, le Roi & fon Epoufe promirent "=== 
à Dieu de confacrer à fon fervice l'enfant qu'il leur donne- _ A&- sana. 7.11, 
roit , s'il vouloit bien les regarder dans fa miféricorde , en “” _— 
les délivrant de cette impie & féroce Nation. Leurs vœux Le Roi & la Rei- 
furent éxaucés : ces Infidèles , également ennemis de l’Autel , ne de Hongrie 
& du Trône des Princes Chrétiens , déja foûlès de fang , re ra 
{ortirent aufli-tôt d’un Païs où ils avoient porté la défolation , fervice de Dieu, 
& la Reine acoucha heureufement d’une Fille » qui fut nom- È Re délivrés de 
mée Marguerite. Lorfqu'elle eut l’âge de trois ans, on re- en % T# 
connut que fon naturel & toutes fes inclinations , qui com- 
mençoient à fe déveloper , la rendoient bien plus digne d’a- 
voir JEsUus-CHRIST pour Epoux , que propre à pafler fa vie 
dans les délices de la Cour. On ne trouva point de lieu plus 
favorable pour ce deflein, que le Monaftére . Religieufes de 
faint Dominique , bâti depuis peu à Vefprime , & déja célé- 
bre par la fainteté d’un grand nombre de Vierges , qui s’y 
étoient confacrées à Dieu. Le Roi & la Reine , pour acom- 
lir leur vœu, y conduifirent en grande cérémonie la jeune 
Princeffe y qui s’avança toujours de plus en plus dans la pié- 
té , à mefure qu’elle s’avançoit en äge. 
Ses auguftes ei , Connoiflant par-là que la viétime 
qu'ils avoient préfentée à l'Autel , étoit agréable au Seigneur , 
en conçurent tant de joye , qu'ils réfolurent de faire conftrui- 
re une Ë life , & un nouveau Monaftére en l'honneur de la 
Mere de Dieu, On choufit pour cela une Îfle , diftante feu- 
lement de demi-lieué de la ville de Bude , & apellée depuis 
l'Ifle fainte Marguerite. Ces Edifices étant achevés en1254, 
le Roi de Hongrie les remit auffi-tôt à la difpofñition de notre 
Général, & le ee d'y amener la Princefle, avec un nom- 
bre d’autres Religieufes de Vefprime , afin que dans ce nou- 
veau Sanétuaire , moins éloigné de la Ville Pt , elle con- 
tinuût à fervir Dieu fous lhabit de faint Dominique. Le Pere 
Humbert confentit d'autant plus volontiers aux défirs de Sa 
Majefte , ” connoifloit déja tout le mérite du précieux dé- XV. 
pôt qu'on lui confioit. Il éxamina cependant avec foin les Le P. Humber 
difpofitions de la Bienheureufe Marguerite, qui venoit de LB Marcaie. 
donner de nouvelles preuves de fa vocation , en refufant de Hongrie. 


{ ii 





326 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE l'Alliance des Rois de Pologne & de Bohëme (1). Elle n'a- 
voit encore que douze ans, si le Pere Humbert reçut 
Humserr fes vœux folemnels de Religion. La pratique de ce tems-là 
peRomaxs. le permétoit ainfi ; ou le Saint Siège avoit acordé la difpenfe 
w——— néceflaire ; & la meilleure preuve qu'on n’avoit rien précipi- 
té , fut la perfévérance , ou res le progrès continuel de 
cette chafte Ve: dont la fainteté répandit une odeur de 
vie dans tout le Royaume de Hongrie. C’eft ce qu'on peut 
voir dans l'Hiftoire de {es vertus & de fes miracles , écrite 
ar un Auteur de la même Nation, inférée depuis dans le 
ir Tome des Attes des Saints, & mife enfin en notre 
Tom.U,p.656. Langue par M. Arnaud d'Andilly. 
- Après avoir rempli les intentions du Roi de Hongrie, & 
tous les devoirs de fa Charge dans ce Pais, le Pere : Br Bin 
XVI. fe rendit en Italie ; où 1l reçut d’abord deux Lettres du Pape 
Lettres du Pape Aléxandre IV. Elles étoient écrites l’une & l’autre de Na- 
| Re “4 ples, & datées du dernier jour de Décembre 1254. La pre- 
” miére, adreflée à notre Général & à tous fes Religieux , n'é- 
toit proprement que pour leur aprendre l'Exaltation du nou- 
veau Pontife, & demander pour lui le fecours de leurs prié- 
, Mullrd. On. T.1, res, La feconde revoquoit quelques Brefs d'Innocent IV , qui 
paroifloient peu favorables aux Réguliers. Ceux-ci avoien 
trouvé dans la Perfonne d'Aléxandre IV un puiffant & zélé 
Protefteur, qui, pendant tout le tems de fon Pontificat , ne 
ceffa de leur donner de nouvelles preuves d’un amour de 
Pere. | 
Afin que ces favorables difpofitions puflent fervir plus uti- 
lement à l'édification des Peuples , & au falut des ames, les 
Supérieurs généraux des deux Ordres de faint Dominique & 
- de faint François , animés du même Efprit de JEsus-CHR1sT, 
concertérent enfemble les moyens de es de plus en plus les 
XVIL. nœuds de l'amitié fainte, qui devoit toujours unir leurs Fre- 
Le & res, Nous avons une longue Lettre du deuxiéme de Février 
çois, écrivent une 125$ , adreflée à tous les Religieux de l'un & de l’autre Infti- 
Lettre commune à tyr,, & fignée des deux Généraux , Humbert de Romans & 


leurs Reli- | 
D Jean de Parme. On peut regarder cette Piéce comme un pré- 








(1) Fuit Bela miti ingenio Princeps , & tam Margaritam , quæ ex voto parentum ab 
vità integer, fed in rebus gerendis , bellif- | ineunte ætate Ordini fanéti Dominici in- 
que agitandis po fortunatus : felix ta- | ferta, rejeétis Regum Poloniæ, & Bohe- 
men qud fuis fubditis accepriflimus extitit; | miænuptiis, præclaros tulit purifimæ, at- 
& quod Sororem habuit Sanétam Elizabe- Fe fan@iffimæ , afperrimz vitæ fructus. 
cham Lantgraviam Turingiæ ; Filiam Bea- | Spondan. nd An. 1270 ,9. 12. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 327 


cieux monument du zéle , de la piété, de l’humilgé , & du 
faint amour qui embrafoir les cœurs de ces deux grands Per- 
fonnages. Auffi , tout leur but étoit-il de relever l’excélence 
ou la néceflité de la charité fraternelle , & de prefcrire la ma- 
niére de la pratiquer, en prévenant ou faifant cefler tout fu- 
jet de divifion, de mécontentement , ou de plainte , 8 mé- 
tant à profit tout ce qui peut contribuer à rendre à jamais in- 
violable cette parfaite union, qu’on avoit toujours admirée 
entre les Bienheureux Fandateurs , & qu'ils avoient préten- 
du laifer à leurs enfans , comme leur plus riche héritage. 

Ce que le Pere Humbert , par cet Ecrit _. de Lu & 
d'onétion, venoit de recommander à tous fes Religieux ré- 
pandus dans diférens Royaumes , il le propofa de nouveau à 
ceux qui fe trouvérent ee de mois après aflemblés à Milan, 
où il tint fon fecond Chapitre général. Le grand nombre 
de Mifonnaires , qu'il falloit continuellement envoyer en 
Orient & dans les vaftes Régions du Nord, étoir le princi- 
pal motif de ces fréquentes Affemblées , & le fujet des foli- 
citudes d'un Supérieur, dont le zéle s'étendoit à tout. Com- 
me fi la Providence l’avoit fpécialement chargé de procurer 
la réduétion des Schifmatiques , & la convertion . Juifs , 
des Sarafins, des Idolätres ; 1l n’ométoit rien pour donner à 
tous la connoiffance de JEsUS-CHRIST , de fon Evangile , & 
de la véritable Eglife (1). Peu content d'avoir fait partir du 
Chapitre même de Milan plufieurs Prédicateurs de la Foi pour 
les Mifions étrangères , 1l écrivit une Lettre commune à tous 
fes Freres , dans quelque partie du Monde qu'ils fe trouvaffent. 
Et il leur 2 rincipalement trois chofes. La pre- 
miére étoit, une (érieute aplication à l'Etude des Langues 
Orientales , la Greque , l’'Hébraique & l’Arabe , dofit la con- 
noiffance leur étoit particulièrement néceffaire , pour com- 
muniquer les lumières de l'Evangile aux Schifmatiques Grecs, 


 G) Ad hæc fignifico Charitati veftræ, } Siquis infpirante Dei gratià cor fuum inve- 


quod inter multa defideria cordis mei, quæ 
ratione fufcepti regiminis in me es fuf- 
ciuata ,illud non eft modicum, fcilicet ut 
per Minifterium Ordinis noftri, & Schifma- 
tici revocarentur ad Eccleliæ unitatem, & 
Nomen Domini noftri Je{u Chrifti deferre- 
tur coram perfidis Judæis, coram Sarace- 
ais, à Propheta fuo tanto tempore jam de- 
eeptis, coram Paganÿs, coram Barbaris , &c 
gentibus univerfis , ut effemus teftes ejus , & 
falus omnibus ufque ad ultimum terræ . . 


nerit fecundum voluntatem gubernantis pa- 
ratum , ad Linguam Arabicam , Hebraï- 
cam, Græcam , feu aliam Barbaram addif- 
cendam ....Si & repercrit fe difpofitum 
ad exeuhdum caftra propriz Nationis, trane 
fiturus ad Provinciam Terræ Santæ, Græ- 
ciæ , vel alias vicihas Infidelibus... pre- 
cor, & moneo, ut ftatum animi fui circa 
hoc mihi fcribere non omittat, &c. Ap. 
Marten, T. IV , Col. Mpccvyit. 


LIVRE 
III. 


HUMBERT 


pz ROMANS. 
Ne cn eg 





Martene , T. [V, 
Anecd. Col. Mpccx. 


XVIII. 
Chapitre de Mi- 
lan ; zéle du K. P. 
Humbert. 


LIVRE 
III. 


HUMBERT 


DE ROMANS. 
D À 








XIX. 
Fruit de fes vives 
exhortations. 


XX: 
Les FF. Précheurs 
travaillent avec 
fuccès à la conver- 


fon des Maures. 


328 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


aux Juifs, aux Mahométans , aux Gentils. La feconde étoit 
un entier détachement de toutes es commoditez que chacun 
pouvoit trouver dans fon Pais &c parmi fes parens , afin qu’en 
véritables Difciples de JESUS-CHRIST , qui ne connoiffent 
d'autre Patrie que le Ciel, ils fufent toujours prêts à fe rendre 
fans peine & fans aucun délai , dans tous les Païs où la Provi- 
dence les apelleroit pour les intérêts de la Religion. Enfin, il 
exhortoit tous ceux qui fe trouvoient déja dans ces heureufes : 
difpofitions , de le lui faire favoire afin que diftribuant les 
Ouvriers Evangéliques felon les befoins des Peuples , il pût 
procurer à tous les fecours fpirituels , dont ils avoient befoin. 

Pour infpirer à tous fes Freres les mêmes fentimens de cha- 
rité & de facrifice, dont fon cœur étoit rempli , le zélé Supé- 
rieur leur propofe l'éxemple des Apôtres, qui, après l'Afcen- 
fion de leur divin Maitre , & la Décente duS. Efprit , n’étoient 
point demeurés oififs dans laGalilée, mais fe gg. eut à en 


2 maniére le monde entier , avoient porté le flambeau 


e la Foi, ceux-là dans les Indes, ceux-ci dans l'Ethyopie ; les 
uns dans l’Afie, les autres dans l’Achaïe, & parmi les autres 
Nations connuës. La longueur de cette Lettre ne nous permet 
point d’en donner ici la Traduétion. Il fufit de remarquer qu’elle 
ne fut point fans éfet : car (pour parler avec faint Antonin} 
qui airs dignement raconter quel fut le nombre & le mé- 
rite de ces fervens Religieux , qui, des pais les plus éloignés , 
non-feulement fe préfentérent avec joie pour ces dificiles mif- 
fions ; mais conjurérent encore le ou Général, par le Sang 
de JESUS-CHRIST , de les envoïer felon fa volonté par tout, 
où il le jugeroit à propos , parce qu'ils étoient tous difpofés à 
foufrir le martire ge les Gentils pour la confeffion , & la 
propagatfon de la Foi (1). 

Saint Raymond de Pegnafort, qui vivoit encore dans fa 
retraite de | hp , donna en même terns un autre fujet 
de confolation & de joie, à notre Général, en lui aprenant 

ue fes Religieux d'Efpagne , dont plufieurs avoient apris les 
Leu , travailloient avec beaucoup de fuccès à la conver- 
fion des Maures, furtout dans les Roïaumes de Grenade, & 
de Tunis. Mais afin que les fruits de leurs Mifions fuffent tou- 

(1) Quis dignè valeat enarrare quot , & | dem , ut iplos mitteret, fciens cos efle para- 
quanti Fratres, & quam de cunétis Natio- | tos ad mortem propter Fidem , & gloriam 
nibus , ad hoc non Liste fe gratis obtule- | Salvatoris, tolerandang. S. Antoss. III Part, 
runt ; fed per afperfionem fanguinis , & | Hiff, Ti. XXIII ,.C. x, 


beatam mortem Fiii Dei adjurarunt cun- ; 
Jours 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 329 


jours plus abondans, le Pape Aléxandre IV exhorta le Pro- 
A | d'Efpagne à multiplier les Miniftres de la parole parmi 
les Infidéles. Et Sa Sainteté leur acorda, outre plufieurs pri- 
viléges , le pouvoir d'ôter toute forte d'irrégularité , de la ma- 
niére que le peuvent les Légats a larere. Le Bref eft du 27 de 
Juin 1256. | 

Humbert étoit alors à Paris, où, pendant qu'il célébroit 
on troifiéme Chapitre Général , le Roi de France S. Louis 
l’honora de plufieurs marques de fon eftime. La plus précieufe 
fans doute fut celle de le choifir pour tenir fur les Fonts de 
Batème, un de fes enfans, le Prince Robert, Comte de Cler- 
mont , qui a été la glorieufe Tige de la Branche aujourd’hui 
régnante. Parmi les modernes, qui raportent ce fait, nous 
nous contentons de citer l’Auteur de l'Hiftoire Généalogique, 
& Chronologique de la Maifon Roïale de France ; & le Sa- 
vant Don Denis (1) dans fon Gallia Chriftiana. 

Les fâcheux démêlez excités depuis quelques années entre 


les Doûteurs Séculiers & les Réguliers, dans l'Univerfité de 


LIVRE 
_JIL. 


HUMBERT 
DE ROMANS. 
D à 


XXI. 
Humbert donne 
le nom à Roberr 
de France. 


Tom. 1, p.195. 


Il travaille à p2- 


cifier quelques 


Paris, faifoient alors beaucoup de bruit. Un homme auffi troubles : ordonne 


amateur de la paix que l'étoit lé Serviteur de Dieu , ne pou- 
voit qu'être infiniment afligé , & du fcandale que donnoient 
ces longues difflenfions ; & du préjudice qu’elles caufoient au 
repos des perfonnes, qui , uniquement confacrées au fervice 
de l’'Eglife & du prochain » fe trouvoient par-là bien éloi- 
nées de la tranquillité néceffaire pour la priére , l'étude , & 
a Srédication. Tout ce que-le Bere Humbert avoit d’élo- 
quence , d'habileté, & de crédit, 1l l'emploïa d’abord pour 
pacifier les efprits , & ramener cette défirable paix , que tous 
_ avoient un intérêt égal de procurer. Mais le moment marqué 
par la Providence n'étoit pas encore venu. Tous les éforts du 
pieux Général étant inutiles, 1l fe contenta d’ordonner des 
priéres particuliéres dans toutes les Maifons de fon Ordre. Et 
par le confeil de faint Louis , 1l retourna en Italie, dans le 
deffein de propofer au Vicaire de JESUS-CHRIST , les moiïens, 
dont il paroifloit qu’on pourroit fe fervir pour métre les pre- 
miéres difpofitions à la _ , tandis que la fagefle , & le zéle 


du faint Monarque lui faifoient tout emploïer , pour en hâter 
la conclufon. 


. (1) Anno 1256 nafcitur Robertus Filius 
fanéti Ludovici , quem nofter Philippus bap- 
HZavit ; | Magifter Gencralis 


ome JL, | Tt 


{ 


Ordinis Prædicatorum, de facro Fonte fu. 
cepit, G#l, Chrifi, T. II , Col. Lxix. 





priéres , & y2 


en Italic. 


e 


- 


330 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE Nous avons remarqué ailleurs que le Livre intitulé, Des 
HI. Périls des derniers tems , Ouvrage né dans le feu des difputes, 


Humserr avoit auf fervi à les rendre plus vives. L'Auteur fut acufé de 
pe Romans. plufieurs erreurs : & ce fut par l'éxamen de cet Ecrit, que Sa 
Ve $ainteté jugea à propos de commencer les procédures contre 

XXII. celui qui fembloit ne l'avoir mis au jour , que pour faire avor- 

Ce qu'il obtient ter tous les projets de réconciliation. Saint Thomas d'Aquin, 


du Pape Aléxan- 


dre IV. + ur en Italie, travailla heureufement par ordre du Pere 
| umbert , & fous fa direétion , à faire connoître tout ce que 
ce Livre contenoit de contraire à la piété, & à la vérité. Le 


jugement d'Hugues de faint Cher , & celui des autres Cardi- 


naux Commis pour cet éxamen , fe trouvérent conformes aux 
réfléxions du faint Doëfteur. L'Ouvrage fcandaleux fut prof- 
crit. Le Pape, & le Roi fevirent contre l’Auteur, toujours 
opiniâtrément ataché à fes fentimens particuliers. Mais tout 
cela ne rétablit pas fi-tôt le calme défiré. Les troubles conti- 
nuérent encore aflez long-tems pour éxercer la patience, & 
augmenter les folicitudes de notre vigilant Supérieur. De fon 
côté , il continua à gémir devant Dieu , & à exciter dans le 
cœur de tous fes Freres un renouvellement de ferveur, de 

iété , de confiance en Dieu, & en la puiffante prote&tion de 
ja Sainte Vierge; afin d'obtenir du Ciel par fes interceflions , 
ce qui paroiïfloit déformais inpoñhble à toute l'induftrie des 


hommes. - 


|  C’eft ce qu’il recommanda fpécialement & par fes Lettres, 
a  . & par un Difcours fort patérique qu'il fit dans fon quatrième 
CNCC - e ? ! A 
7 Chapitre Général, affemblé à Florence dans le mois de Ma 


Joulc. 


1257. Mais dans celui qu’il tint l’année fuivante à Touloufe, 


il eut enfin la confolation de pouvoir anoncer à tout fon Or- 
dre , que le Seigneur l’avoit regardé dans fa miféricorde. La 
Lettre de ce faint Homme, di&tée par la charité , & toute rem- 
Fe de l'Efprit de Dieu , ne : qu'édifier le Leéteur. Nous 


raporterOons ICI avec fa tra 
XXV. Tous les Freres Précheurs , que 
Lettre du Pere nous aimons dans la charité de 


Humbert à 

Po e ue Jesus- Cnrist , Frere Humbert leur 

on Ode. Serviteur inutile, SALUT, & avance- 
ment continuel dans la fainteté. 


2p. Martene. T.IV : : : L 
anrdeer oplV» . La fage Providence, toujours aten 


MDÉC XX. tive aux befoins des hommes , & parti- 
culiérement des Elûs , a ordonné dans 


uétion. 


HARISSIMIS in vif- 
ceribus charitatis Fratribus 
Pradicatoribus univerfis , Frater 
Humbertus , eorum Servusinatilrs, 
SALUTEM, C° continuum 5h 0M- 
nt fanctirate profectum. 
Superna Providentia, cut Curæ 
efl de omnibus , & maxime de Elc= 


e — . 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 331 


&is , fecundum alricudinem confilii 
Jai difpofuit , ut omnes qui pse vo- 
lunt in Chriffo vivere, perfecutio- 
Hem in prafenti feculo nequam pa- 
tiantur , ut ipfi toto corde queren- 
tes Dei Reonum , © ejus juflitiam, 
tant digniores habeantur ipfo Re- 
gno, quant datam eff eis plurs pati 
pro ipfo , © ex hoc multiplex ma- 
reria virtatum ad juffitiam ipfius 
Regns pertinens miniftretur esfdlem. 
Verum ne fub onere tali deficiat ip- 
forum bumana fragilitas , eos in 
omni tribulatione confolatur dulcs- 
ter , juvat potenter, © abbreviat 
dies malos : quod quidem experien- 
#14 nos docuit his diebus. 
Ecce enim, dileitiffims Fratres, 
#n perfecutionibus multis, @ gra- 
vibus, longe , larèque diffufis , quas 
ën fervitio Chrifli , pro noffro mo- 
dulo laboranres, palfi fumus its tem 
poribus, prater confolationem quam 
sntrinfecus in mulrorum cordibus eff 
diffufa ; quantim confolatus ef? be- 
nignus innocentium confolator sn fa- 
vore, quem Beariffinus Papa no- 
fer , Cardinaliun cœtus , Chriflia- 
niffimus Rex Francorsm Ludovicus, 
aliaque innumera malritudo Doms- 
#5 devotorum Fidelium , spfo snfpt- 
rante nobis in noffris vexarionibu 
prefliterunt. 
Animadvertite,que{o, quale,non 
an terris foläm , fed 7 in Cœlis ad- 
jutorium babuimus ab illis , quos 
Patronos habemus in illa Curia fin- 
gulares. Quis enim dsftredat quin 
Regina Efther advocata noftra, Vir- 
gine gloriosa, & Mardochæonoftro, 
fctlicet Beato Dominico procurant:s- 
bus apud beatitudinem fummi Re- 
gis, Popali fui liberationem confe- 
cuti fumus, C 4 vexationibus ex- 
pediti? Confiderate quam cird pius 
Dominus , qui nos dereliquiffe vide- 
batur ad puxiluim , poft tempeflatem 


la profondeur de fes confeils , que tous 
ceux qui veulent vivre avec piété en 
Jesus -CHrisr , foient expofés à la 
perfécurion de ce fiécle malin ; afin 
qu'inftruits par les épreuves , ils cher- 
chent de tout leur cœur le Seigneur , 
fon Royaume & fa juftice , & qu'ils fe 
rendent d'autant plus dignes de régner 


un jour avec lui , qu’ils auront foufert 


davantage , & pratiqué de plus hé- 
roiques vertus pour fon amour. Mais 
de peur que Éimaine fragilité ne 
fucombe peut - être fous le poids des 
afliétions , ce Dieu miféricordieux ne 
eee point d’adoucir deurs peines 


‘par fes inéfables confolations : il les 


foutient par la puiffance de fon bras; 
& il abrége les jours mauvais. C'eft ce 
qu'une heureufe expérience vient de 
nous aprendre. 

Vous le favez, mestrès-chersFreres, 
parmi ces longues & cruelles perfécu- 
tions, que vous avez tous éprouvées 
( & qui nous ont frapé plus vivement, 
parce que par le devoir de notre Char- 
ge,nous devionsètrecomme le Bouclier 
de tous) en combien de maniéres n’a- 
vons-nous pas reflenti la force victo- 
rieufe du fecours divin ? Sans parler ict 
de ces confolations intérieures , que le 
Dieu de paix n’a ceflé de répandre dans 
le cœur plufieurs , n'ati1l pas donné 
à tous des preuves éclatantes de fa di- 
vine protection , par les fentimens qu'il 
a infpirés en notre faveur , tant au Saint 
Pere & à tout le Sacré College, qu’au 
Roi Très- Chrétien, & à cette multi- 
tude de faints Perfonnages, qui ne 
nous ont point oubliés dans la tribu- 
lation ? 

Vous ne pouvez méconnoître ce que 
nos glorieux Patrons dans le Ciel ont 
demandé & obtenu pour nous. Com- 
me le Peuple de Dieu fut autrefois re- 
devable de fa délivrance à la Reine 
Efther , & au Fidéle Mardochée ; nous 
le fommes aufli de la nôtre à la fainte 


Tty 


LIVRE 
III. 


HuMBERT 


DE ROMANS. 
ER 











IT. 


HuMBERT 





332 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE Mere de Dieu, notre glorieufe Prorec- 


trice , & au Bienheureux Patriarche 
faint Dominique. Vous en ferez fans 
doute perfuades , fi vous faites aten- 


_DEROMANS. tion à toutes les circonftances d’un évé- 


Nues à | : 
——___— nement , dont vous ne devez rs 


perdre le fouvenir. Et certes , le Sei- 
gneur fembloit s’ècre retiré pour un 
tems : mais au fort de la tempête , 1l 
eft venu à notre fecours ; les vents & 
la mer ont refpecté fes ordres ; & une 
douce nulle a fuccédé à l'orage : 
elle eft maintenant parfaite, cette tran- 
quillité. Nos Freres, affemblés ici en 
rand nombre , nous aprennent 4 
ns toutes les Nations , ils jouiflent 
aujourd’hui d’une profonde paix , uni- 
quement apliqués à fervir Dieu & l'E- 
glife , felon l’efprit de leur vocation. 

Il ne nous ns donc , mes très-chers 
Freres, qu’à cueillir de ces piquantes 
épines , es fleurs de toutes les vertus , 
& d’affurer notre vocation par la pra- 
tique des bonnes œuvres. Faïfons en 
{orte qu’on trouve en nous ces fruits 
de bénédiction, que lestribulations de 


‘certe vie ont coutume de produire dans 


les Elüs; car tout coopére au bien de 
ceux qui aiment Dieu. Mais en ren- 
dant + dignes aétions de graces à ce- 
lui qui nous a délivrés de fi grands pé- 
tils, prions-le dans l’efprit de JEsus- 
Carisr, de ne point imputer un jour 
ce péché aux Auteurs de tous ces trou- 


bles. Denotre côté, plus vigilans que 


jamais à évirer tout ce qui ee é- 
plaire au prochain , ou ‘ofenfer en 
quelque forte , confervons foigneufe- 


” ment la paix avec tous. Ne nous con- 


tentons pas de vivre avec piété, & 
fans reproche ; redoublons encore nos 
oficieux fervices envers ceux, dont les 
yeux perçans trouvent du mal dans ce 
que nous penfons faire de bien : car 
s'ils reprennent avec tant de rigueur 
nos pratiques mème de vertu, que ne 
feroient-ils pas , fi nous léur dpnnions 


tranquillum fecit ; ventis € mari 
smperans potenter , in [uccurfim fe- 
re periclirantis navicule, [u4 do- 
minatione mitigans flutus ejus. Si- 
cut enim in snflanti Capitulo, mul- 
timoda Fratrum diverfarum Natie- 
num relatione percepimus , per Des 
gratiam Fratres ubique pace fruur- 
tur optata , tranquillamque vitam 
ducentes , in quicte jucunda fuo [er- 
vsunt Salvators. 

Reliquem eff, Diledi Domini,& 
ÆEleii 4b eo, ut per bona opera cer- 
tam facientes vocationem noftram , 
ex pradiitis fpsnis flores colligamus 
virtutum ; inveniantur in nobis be- 
nedidti fruëlus, ques afflidiones bu 
ane folent relinquere in Eleüis , 
quibus omnia cooperantur in bonam. 
Agamus magnificas gratias de ma- 
gnis periculis liberati. Rogemas piè 
pium Jefum fecundum fusm doëtri- 
nam , ut quod aîlum eff non impu- 
tetur ailoribus in die noviffimo ad 
peccatum. Precaveamus [olito cau- 
tiüs ab omnium offendiculis € offen- 

Jis. Servemus pacem cum omnibus , 
effeéti imitatores illorum , in quo- 
rum landem dicitur, quêd in mundo 
vixerunt fine querela. Ambalemus 
in omni fapiensia , @ boneflate 4d 
illos qui tam callidé calumnian- 
tur bonam converfationem noffram.; 
f enim in viridi virtutum boc fa- 
ciunt , quid in arido operum mor 
tuorum ? Er firutemur vias nofiras, 
ne fuerit aliquid in nobis , quod Do- 
minice majeflatis offendens oculos , 
tp{um contra nos ad iracundiam pro- 
vocaverit, Et cum omns dsligentss 
corretlsonem talium intendentes , 
bumiliemus illi animas noffras fuper 
offenfis prateritis , cum omni contri- 
tione veniam poflulantes. Addifta- 
mus in perfecutionibus non dejics 
corde , fed confidere in adjutorio al- 
tiffims ; cum omni fiducia dicentes ; 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE 333 


non timebo quid faciat mihi ocafion de nous reprocher des actions 
‘homo. véritablement repréhenfibles ? Dans les 
Experti jam auxilii fai tamce- plus fecrets replis de notre Cœur ; r€- 
lerem , tamque efficacem effectum , cherchons tout ce qui mérite d'être 
affueftamus in omnibus angufliis no- corrigé. Et profondément humiliés de- 
firis ad illum recurrere ; qui nes vant le Seigneur , fi nous découvrons 
clamantes ad fe tam fubito de noffris en nous quelque chofe , dont les yeux 
necefiratibus liberavit. Exercitati de fa Divine Majefté puiffent être ofen- 
jam in modicis , & per illa edoti, fés, ayons recours au reméde falutaire 
‘reperismur viridiores ,admajoræin de la pénitence. Quand même la per- 
tempore opportuno. Recordemur Ver-  {écution fe renouvelleroit , vos efprits 
bi Domini Jefu Cbrifli dicentis : n'en devroient pas être troublés , n1 vos 
Non eft Servus major Domino. cœurs abatus : fous la protection de 
Nec miremur fiperfecutionem pari- Dieu , il faut méprifer les éforts de 
mur quam C ipfe. Gaudeamus f- l'homme ennemi. | 
miles faëli fantlis Apoflolis , & . Le pañlé doit nous inftruire pour l'a- 
Ecclefie primitive , paf 4 noffris venir, nous rendre paie atentifs, ou 
contribulibus ficur ipfi , communi- plus forts, & nous faire recourir avec 
cantes Paffionibus Chrifli , & ei une nouvelle confiance à celui, dont 
faiti fimiles in boc mundo, tenea-  |a puiffante main nous a délivrés de ces 
mus firmam fem , quod conformes tribulations momentanées. Puifque {e- 
erimus cidem in gloria , in fplendo- lon l'oracle de Jesus-CHristr même, 
ribus fentlorum , 1pfo proteflante le Serviteur n'eff point au - deffus du 
qui eff anteomnia, © fuper omnia, Maitre , n’aurions-nous point tort de 
© inomnibus , per infinita fecula nous plaindre , lorfqü’on ne nous fait 
‘benediltus , &' gloriofus Deus nofler  foufrir qu'une partie de ce qu'il a lui- 
Jefus Chriflus , cujus vos gratie re- même foufert ? Réjouiflons - nous au 
commendo. contraire , de ce qu’il veut bien nous 
Orate Chariffimi pro invicem, aflocier à fes foufrances , & partager 
à fpecialiter pro defunétis noftris, fon Calice avec nous, ainfi qu’il l’a 
quorum multos Dominus evocavit, fait avec fes Apôtres , & avec tant de 
cum damno , non eorum, fed noffro Héros de la primitive Eglife. Que cela 
non modico , G jattura. Orate pro même nous foit un gage précieux de 
me fiplacet , fervo veftro, 6 ranro la gloire , que nous efpérons de poffé- 
affeduofius , quantd non folüm pro der dans la fplendeur des Saints, par 
me , fed etiam pro vobis indigeo plu- \a miféricorde du Pere , & la Grace de 


zibus donis Dei. fon Fils Jesus- CuR1sT, notre Dicu 
Datum Tolofe anno Domini Souverain , béni & glorieux dans tous 
1258 , én Capitulo generali. les fiécles. | 


Continuez toujours , mes très-chers 
Freres , à prier les uns pour les autres : & faites des priéres particuliéres 
our un grand nombre de fervens Religieux , que le Seigneur a apellés à 
fi dans le cours de cette année : leur mort eft un gain pour eux ; comme 
elle eft une perte pour nous. N'oubliez pasfurtout dans vos Oraifons celui , 
qui , étant le Servireur de tous, a aufi un plus grand befoin des dons de 
Dieu , pour travailler utilement, & à fon propre falut, & à votre perfection. 
Fait dans le Chapitre général de Touloufe, l’an de Ares gneur12$8. 

| | tiij 


LIVRE 
III. 


HuMBERT 


BE ROMANS. 
RER 








Jean ,13: 16: x 
20 


LIVRE 
III. 


CHoMBErRT 


DE ROMANS. 
D … A 





XXVI. 
S. Louis admet le 
P. Humbert dans 
fon Confeil. 


‘tre aux 


334 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


L’Evêque de Touloufe étoit alors Raymond de Felgar, l’un 
des premiers Difciples de faint Dominique. La joie de cet il- 
luftre Prélat ne fut fans doute pas petite , en confidérant dans 
l'afflemblée de tant de faints Perfonnages, les bénédiétions du 
Seigneur fur un Ordre, dont il avoit vû les foibles commen- 
cemens. Mais il donna lui-même un autre fujet d’édification à 
tous fes Freres , par la régularité de fa vie également religieu- 
fe , & épifcopale. Nous avons fait ailleurs Fe éloge, en fai- 
fant le récit de fes aétions, & de fes vertus. | 
Philippe de Montfort venoit de fonder un Couvent dans la 
Ville de Caftres en Albigeois. Il avoit aufli obtenu l'agrément 
de l’Abé, & des Religieux, qui poflédoient auparavant la cé- 
Ibre Eglife de faint Vincent Martir: & il donna l’un &r l’au- 
… Prêcheurs. Le Pere Humbert aiant accepté la 
fondation & le don, dans fon Chapitre de Touloufe, en par- 
tit vers la fin de May , pour aller ob la vifite du Monaltére 
de Prouille. Comme on fuivoit avec beaucoup d'éxa&titude 
les maximes de faint Dominique, fa régle , & fon efprit, dans 
cette premiére Maifon de fon Ordre, le pieux Général a 4 
trouva rien, qui eut befoin de correétion, ou de réforme. Il 
fe contenta de faire quelques réglemens touchant l’adminif- 
tration du temporel ; & d'ordonner que le nombre des Reli- 
gieufes feroit fixé à cent : les facultez de la Maifon fufifoient 
pour leur entretien , fans qu’il fût néceffaire de recevoir au- 
cune dotdes jeunes Demoifelles , que Dieu apelloit à fon fer- 
vice. Cette Ordonnance raportée par Bernard Guidonis, & 
inférée par Don Martene dans le quatriéme Tome de fes Anec- 
dotes , eft du onziéme de Juin 1258. | 
Le huitiéme jour de Septembre de la même année, faint 
Louis donna une autre preuve de fa confiance aux lumiéres, 


& en la probité du Pere Humbert. Le Comté de Clermont 


étant en difpute entre le Roi, & les Comtes de Poitiers, & 


d'Anjou ; Sa Majefté, pour faire éxaminer les droits d'un 
chacun, & avoir une décifion fre, fit aflembler fes Gonfeil- 


lers, plufieurs Archevêques, & Evêques du Roiïaume: & 


ee ces grands Perfonnages, dit Budée dans fes Notes fur 
es PandeËtes , fe trouvoit le Général des Freres Prêcheurs (1). 


(1) Anno 1258 judicium peractum fuiffe | Andegavenfis : in coque judicio adfuiffe Re- 
in monumentis noftris extarin Parlamento | gem cum Confiiio Rcegio , adfuiffe etiam Ar- 
ad Natalem Divæ Dei Genitricis habito , de | chiepifcopos Remenfem, Rothomagenfem, 
Comitatu Clarmontenfi. Contendebant au- | Trecenfcm, aliofque non paucos Epifco- 
sem dc co cum Regc Comites Pictavienfis, & | pos, Abbatefque, & Maximum Fratrum 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 335 


Il eft vrai que le P. Humbert n'étoit pas moins habile Jurifcon- 
fulte , que favant Théolopien. Et le faint Monarque croioit 
avec ralfon pouvoir d'autant mieux sen dr. pes a fon juge- 
ment , qu'il le connoifloit incapable de parler contre fes pro- 
pres lamiéres. » | . 

. Au fortir de Paris , notre Général continua fes vifites, &c 
fes travaux ordinaires, jufqu’au tems du Chapitre, quil tint 
l'année fuivante à Valenciennes dans le Comté d'Hainaut. Son 
atention pour le progrès des Etudes , fut heureufement fecon- 
dée par Ê zéle du | PE ss Albert le Grand, de faint 
Thomas d'Aquin , & de Pierre de Tarantaife, ni Cardi- 


nal, & enfuite Pape , qui fe trouvérent avec plufieurs autres 


célébres Doéteurs de Paris dans le même Chapitre. Un autre 
objet l’ocupoit encore davantage, parce qu'il étoit plus pref- 
{ant. Les Tartares venoient de recommencer leurs incurfions, 
& leurs cruautez ordinaires , fur les T'erres des Chrétiens, 
particuliérement dans le Roïaume de Hongrie: & la charité 
atentive du Pere Humbert lui faifoit prendre les mefures né- 
ceffaires , foit pour procurer des retraites aflurées aux Reli- 
gieux , que l’aproche des Barbares obligeroit de fe retirer de 
tous ces lieux Ééfolés : foit pour remplacer ceux que le glaive 
des Infidéles avoit déja immolés; & empêcher que les Peuples, 


LIVRE 
III. 


HUMBERT 
DE ROMANS. 


XX VII. 
Chapitre de Va« 
lenciennes. 


XX VIII. 
Tartares en Hon- 
prie ; charité du P. 
umbert. 


après avoir perdu leurs biens & leurs fortunes, ne fe trou- 


vaflent encore dépourvüs de tout fecours fpirituel. Il joignit 
auffi fes humbles repréfentations aux avertifflemens du Pape 
Aléxandre IV , pour détourner le Roi de Hongrie d'écouter 
les propofitions des Tartares ;'parce que l'alliance , & les con- 
ditions qu'ofroient ces Infidéles , étotent également honteu- 
fes à la gloire d’un Prince Chrétien * , & à la Religion dont 
Bela IV avoit été jufqu’alors le défenfeur. — 

Nous ne voions pas que ce Souverain ait éfe@ivement con- 


Prædicatorum ; ad hæc Magiftrum Militum, | d'un mariage , où de mon Fils avec la ce 
id eft Conftabularium, Comites, ac Pri- | Fille de leur Prince , ou de fon Fils avec ce 
morcs Nobilitatis, &c. Ap. Budeum im | une de mes Filles ; mais toujours avec la « 
Pandeit, fol. 62. condition exprefle, que mon Fils, fuivi ce 
= * Nous aprenons quelles étoient ces con- | de la quatriéme partie de mes Troupes, « 
ditions , par une Lettre de Bela IV au Pape. | marchera à la tête des Tartares contreles ce 
« Mes forces , difoit ce Prince, n'étant pas : Peuples Chrétiens ; & qu'il aura la cinquié- ce 
» aflez grandes pour réfifter à la puiffance | me partie du butin, & des conquêtes : de cc 
. = formidable des Tartares, fi le fecours du | plus, je ferai éxemt de leurpayer tribut , ce 
» Saint Siége me manque à préfent , je fe- | & ils n’engreront plus fur mesterres , &cc. ce 
# raicontraint, à mon grandregret, d'ac-.| Oxoric. Rain. pa An. 12$9,n.31. Fleuri, 
» Cepter la paix & l'alliance qu'ils m'ont | H5f, Ecel, Liv. LxxX1V ,n, 55. 
# fouvent oferte. Ils me donnent le choix} ‘. : nn 


336 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE traé aucune alliance particuliére avec les Ennemis du nom 
IT. de JEsus-CHRIST. La Providence fe fervit d’autres moïens 
HUMBERT pe fauver les reftes de fon Peuple. Et dès l’année 1160, le 
pe Romaxs. Roi de Hongrie jouifloit de la paix , du moins du côté des In- 
———" fdéles ; Le la tranquillité du Roïaume eût été encore 
xxx  troublée par l'inquiétude du Roi Etienne , Fils de Bela IV, 
| Le faint Général OU par l'ambition de fes Miniftres. Cela paroît par les Lettres, 
reçoit. des Lenres que le Roi , & la Reine de Hongrie écrivoient au Pere Hum- 
u Roi & dela Rei- se > : : 
ac de Hongrie.  Dert, dans le tems qu'il préfidoit à fon Chapitre de Strafbourg 
l’an 1260. Nous avons raporté ces Lettres dans l’Hiftoire de 
Jean le Teuthonique , parce que c’eft à fon ocafion qu’elles 
avoient été écrites. | 
Celles que notre Général reçut en même tems de Rome , 
lui aïant apris que Sa Sainteté venoit de choifir Albert le 
Grand, pour remplir le Siège de Ratifbone, il en fut fenfi- 
blement afligé ; parce qu'il craignoit que cette promotion ne 
füt bien plus préjudiciable à l'un de fes plus 1lluftres Reli- 
gieux, &c à fon Ordre , qu'avantageufe à un Peuple, dont il 
net are CONNOÏTOIt l'indocilité. Il écrivit auflitôt au Bienheureux Al- 
x Albert le Grand, Pert pour lui perfuader de refufer cette dignité , &. de demeu- 
pour l'exhorer à rer toujours ferme dans fon refus. Pour cela, il le prioit de 
sut conte confidérer d'abord quels étoient les embarras qui fe rencon- 
Ratifbone, troient dans le gouvernement des Eplifes d'Allemagne; & 
combien il étoit dificile dans ces poîtes de ne point ofenfer 
Dieu, ou les hommes. Il lui demandoit comment , après avoir 
tant aimé les Livres Saints , & la pureté de confience, il pour- 
roit fe voir “9 é dans le tumulte des afaires temporelles, 
toujours expoié F des périls continuels de péché. Enfin il lui 
faifoit remarquer en e bien qu'il y avoit à faire dans l'Epif- 
copat étoit tout-à-fait incertain ; tandis que par fon change- 
ment d’état il alloit perdre les grands fruits qu'il faifoit déja , 
non-feulement en Fr mais dans toute l'Eglife, par 
fa réputation , par fes éxemples , & par fes Ecrits. Cette vive 
& patétique exhortation , il la concluoit, en proteftant qu'il 
aimeroit mieux voir porter un de fes Religieux ‘dans le cer- 
cueil, que fur une Chaire Epifcopale. Le us Jour- 
dain dans la même place avoit parlé de même; & cette ex- 
preffion dans la bouche de l'un & de l’autre étoit fincére. 
Cependant les défirs du faint Général, fes priéres , fes aver- 
tiflemens , toutes fes remontrances furent alors fans éfet, Al- 


bert le Grand, il eft vrai, ne penfoit pas autrement ge le 
ere 





DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 337 


Pere Humbert ; & il craignoit autant, peut-être davantage, 
le péril, qu'il voioit de plus près. Mais on ne lui laïfloit pas 
la Éberté de refufer le fardeau : le Vicaire de JESUS-CHRIST 
voulut être obéi ; & Albert accepta en tremblantune dignité, 
qu'il fe feroit reproché d’avoir défirée. Les fuites firent aflez 
connoiître fes véritables fentimens. Trois ans après, aiant en- 
fin réuff à faire agréer fa démiflion au Pape Urbain [IV , le 
faint Dofteur rentra dans fon Couvent de Cologne , en même 
tems que le Pere Humbert, par la ceflion volontaire de fa 
Charge, reprenoit fon premier état de Religieux particulier. 


Il avoit tenu fon huitiéme pe Général à Barcelone, & 


le neuviéme à Bologne. Ce ne fut que dans celui de Londres, 
l'an 1263 , qu'il obtint des Définiteurs la permiflion de fe dé- 
métre d’un Emploi , que la feule obéiffance avoit pü lui faire 
accepter, & dont il avoit faintement rempli tous les devoirs 
ma neufans. 
= En quittant fa place, Humbert laifla à fes Succefleurs de 
grands éxemples à imiter. Aufli a-t-1l toujours été regardé 
comme le parfait modéle d'un Supérieur fage , zélé , vigi- 
Jant, capable de compatir aux infirmitez des foibles , inca- 
pable de molir par lâchefé, ou de diflimuler par FR Peur di, 
ce qui auroit pù énerver la vigueur de la Difcipline régu- 
liére. Les plus grands travaux ne le rebutoient point. Les 
contre-tems les plus fâcheux n’avoient pü ébranler la ferme- 


LIVRE 
I. 


HUMBERT 


DE ROMANS. 
rs 7 0 4 








XXXT. 
Il {e démet de fa 
Charge de Géné- 
ral 


XXXIL. 


Portrait de ce 


grand Homme. 


té de fon ameËt les faveurs des Princes , les honneurs qu'il 


recevoit à Rome , en France, en Hongrie , bien loin de lui 


infpirer quelques fentimens d'orgueil , n'avoient fervi. qu’à 
. mieux faire connoiître la folide humilité de fon cœur , fa mo- 
deftie & fon défintéreflement ; vertus chéries , dont il donna 
de beaux éxemples dans les diférens états où il fut placé par 
l'Ordre de la Providence ; mais qui parurent avec un nou- 
vel éclat, lorfque le Pape Urbain IV voulut l'arracher aux 
délices de la folitude, pour l’élever à la dignité de Patriarche 
de Jérufalem. Senfible aux befoins de cette Eglife , qu'il 
avoit lui-même gouvernée pendant plufieurs années , le Sou- 


verain Pontife fouhaitoit ardenment qu'un homme du carac- £ 


tére du Pere Humbert, fût chargé de la conduire après lui. 

Plus les intérêts de fon premier Trobbeit lui étoient chers, 

lus il défiroit les remétre aux atentions d'un Pañfteur , dont 

1} connoifloit parfaitement le zéle , les talens , la longue ex- 

périence dans la conduite des ames , & dans le maniment des 
Tome L, | Vu 


XXXTIT. 
Il refufe Ie Pa. 
triarchat de Jéiu. 
alem. 


__ LIVRE 
7 IL 


et 


HuUM2ERT 


DE ROMANS. 
A us ". À 








XXXIV. 
Ses ocupations 
dans la retraite, 


| | pour prêc 


XXXV. 
Ses Ouvrages. 


de plus parfait dans les voyes intérieures. 4°. Une 


333 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


afaires. La feule modeftie du Serviteur de Dieu s'opofa aux 
défirs de Sa Sainteté. Rien ne fut capable de le faire confen- 
tir à fon élévation : il demeura toujours ferme dans le refus 
de cette Dignité , & de toute autre (1) ; car il en refufa plu- 
fieurs , felon le témoignage d’un Auteur contemporain. 

Ce n’étoit ni par un défaut de zéle , ni par la crainte du tra+ 
vail, que ce faint Homme refufoit de fortir de fa délicieufe re- 
traite. Parmi les folicitudes du gouvernement , il avoit fçu fe 
renfermer dans la folitude du cœur , pour s’y entretenir feul 
à feul avec Dieu ; & dans le filence du Cloitre, 1l joignit tou: 
jours avec les douceurs du repos, la variété de plufieurs ocu- 

ations utiles. Plus uni à Dieu, & menant une vie toute cé- 
fefte dans les pratiques de la Religion , 1lne cefloit de prier 
# , ou pour écrire. Les Ouvrages de pièté | 

ortirent de fa plume, pour aprendre à tous les Chrétiens les 
voyes füres du falut , ou pour aider en particulier les perfon- 
nas religieufes à aquérir la perfeétion de leur état , nous font 
connoitre quel fut l'emploi de fon loifir ,. pendant les. qua- 
torze années qu'il vêcut encore dans le Couvent de Valence 
en Dauphiné. .. à _ 

Les pre Ecléfiaftiques , l'AD8 Tritheme , le Cardinal 
Bellarmin , M. Dupin , le P. Echard, & plufieurs autres , ont 
parlé avec éloge des Ecrits du P. Humbert, & ils en ont don- 
né le Catalogue. Nous nous contentons d'en indiquer ici quel- 
ques-uns : 1°. Un Traité touchant les trois vœux de Religion, 
imprimé à Haguenau l'an 1508 , & à Venife en 1603. 2°. Un 
Commentaire fur la Régle de faint Auguftin ; & un autre fur 
le Prologue des Conftitutions des Freres Prêcheurs : le pre- 
mier a été imprimé à Come, dans le Duché de Milan , en 
160$ , & à Mons l'an 1645 ; le fecond devenu fort rare , fe 
trouve en partie dans la Glofe fur le Prologue, & les pre- 
miers Chapitres de nos Conftitutions. 3°. Un Traité des fept 
déorez de la Contemplation , où l’Auteur explique avec au- 
tant d'onétion , que :s précifion & de lumiére, ce . y a 

iftoire 
abrévéé de la Vie de faint Dominique. $°. Une petite Chro- 
nique de fon Ordre , depuis l’an 1203 jufqu’en 1254. Ce der- 
nier Ouvrage eft quelquefois atribué au Pere Gerard du Cou- 


poftca. Stephan. Salanb. ap. Echard. T. I ; 
pe 142: 


(r) Frater Humbertus de Romanis , Ma- 
gifter Ordinis V , renuit Patriarchatum fan- 
Az Civicatis Jerufalem , & Epifcoparum 


+ 





: DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 339 
vent de Limoges ; aufli-bien que l'Hiftoire de l’origine de l'Or- 
dre des Freres Prêcheurs, ou de fes Hommes 1lluftres : on 
fait cependant que le Pere Humbert avoit fourni la a 
des pièces , & dirigé la compofition de l'un & de l’autre. 
Nous avons encore - même Auteur deux cens Sermons, im- 
primés à Haguenau & à Venifé ; & deux Livres pour l'inftruc- 
tion des Prédicateurs :.ils ont été imprimés à Vicence l'an 
1604, & à Barcelone l’an 1607. 


LIVRE 
III. 
HUMBERT 
DE ROMANS. 








On ne doit pas confondre cet Ecrit avec un autre, quien- 


feigne la manière de prêcher la Croifade contre les Sarafins, 
Rien n'étoit plus commun dans le treizième fiécle , que l’u- 
fage de prècher la Croifade : mais il s’y glifloit fouvent bien 
des abus. Et fi les Miniftres de la Parole n'étoient toujours 
atentifs à . leur zèle par la prudence , ce qui devoit être 
un moyen de falut, pouvoit devenir à plufieurs une ocafion 
de ruine. La plüpart de ceux qui prenoient la Croix pour al- 
ler combatre les infidéles en Do ; S'imaginoient que l'In- 
dulgence qu'on leur prométoit , jointe aux travaux & aux pe- 
rils , où ils s’alloient expofer dans une guerre fainte , leur aflu- 
roit pleinement le pardon de leurs crimes ; quoique d’ailleurs 
ils fe miffent peu en peine de changer leur maniére de vie, de 


fatisfaire leurs créanciers , ou de fe réconcilier avec leurs en- 


nemis. On fent de quelle importance il étoit que les Miniftres 
de l'Evangile , au lieu d'entretenir les Peuples dans cette 
folle préfomption , travaillaffent au contraire à leur faire bien 
comprendre , & les devoirs les plus effentiels de la Religion, 
& les motifs particuliers qu'ils devoient avoir , afin de rendre 
méritoires les peines toujours inféparables de l’entreprife à 
laquelle ils s'engageoient. Et c’eft en partie ce que fe propo- 
foit notre pieux Auteur , dans Ouvrage dont nous parlons. 
Parmi les Manufcrits du Vatican , on en voit un avec ce 
titre : Livre du Venérable & Religieux Frere Humbert , cinquie- 
me Général de l'Ordre des Freres Précheurs , touchant ce qui 
doit être traité dans le prochain Concile général de Lyon , fous le 
Pape Grégoire X, l'an de Notre-Seipneur 1274. Éet excélent 
Manufcrit , qu'on confervoit autrefois dans la Bibliotéque 
de la Reine Chriftine de Suéde , & que le Pere Mabillon avoit 
lù depuis dans celle du Vatican , eft divifé en trois Parties. 
Dans la premiére , partagée en vingt-fept Chapitres, le 
Pere Humbert entreprend de montrer, 1°. Bar quels moyens 
on pourroit reprendre les Lieux faints , & les conferver con- 


Vu: 


XXXVI. 
Ouvrage impor 
tant , donton con- 
ferve le Manufcrit 
dans la Bibliothc- 
que du Vatican. 


XXXVIL. 
Analyfe de cet 
Ouvrage. 


340 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE tre les éforts des Infidéles : 2°. Quels devoient être les Of- 
Ji. ciers & les Soldats qu'on employeroit à cette expédition : 
Humserr 3° De quelle maniére il faudroit pourvoir à leur fubfiftan- 
De Romaws. Ce : 4°. L’Auteur infifte principalement fur la néceflité de 
mm” faire obferver aux Troupes les Loix de la Difcipline mili- 
taire , & encore plus celles de la Religion, afin de banir 
des Armées des Croifez ces crimes Paper , qui ont fou- 
vent atiré la colere de Dieu fur les armes des Chrétiens, & 
fait échouer les entreprifes des Papes , ou des plus faints: 
Monarques. | : 

La feconde Partie, qui contient dix-neuf Chapitres , re2 
garde le Schifme des Grecs. Après avoir fait fentirtoute la 
grandeur de ee mal , & avoir expliqué fort clairement les 
caufes qui l'ont fait naître , & celles qui l’entretiennent depuis 
tant de fiécles , ke Pere Humbert propofe les remédes qu'on 

ourroit y apliquer avec fuccès. Pour faciliter le retour des 
Schifmatiques , il voudroit, 1°. qu'on tolérât par une fage 
condefcendance la diverfité de leurs Rits., de po Coutu- 
mes , de leurs Cérémonies, dans tous les points qui r’inté- 
reflent pas la Foi : 2°. Qu’on empêchät les véxations des Mi- 
niftres , ou de l'Eglife Romaine , ou des Princes Latins : 
3°. Que les Nonces envoyés vers les Grecs , évitaflent fur- 
tout de les aigrir par des maniéres hautes , ou par de trop 
grandes dépenfes : 4°. Pourvu que les Patriarches Orientaux 
vouluffent fe foumétre à demander leur confirmation au Saint 
Siége , le Pere Humbert croyoit qu'il ne falloit pas métre leur 
obéiffance à de trop fréquentes épreuves. Enfin, H remar: 
que que de fon tems, à peine fe trouvoit-il ie à la 
our de Rome , qui pût lire les Lettres des Orientaux. De 
kR il prend ocafion de recommander fortement l'Etude des 
Langues , aufli-bien que eelle de la Théologie , trop Re 
par ceux-mêmes qui en devoient tirer les armes de leur Milice: 
. La troifiéme & derniére Partie de ce Traité, renfermée en 
". douze Chapitres , fait le détail des abus que ke Concile gé- 
néral pourroit corriger dans le Clergé, tantféculier que régu- 
lier de l'Eglife Latine. L’Auteur en marque en même-tems 
les moyens les.-plus éficaces, parmi lefquels il n'oublie pas la 
réfidence des Pafteurs , & la fréquente célébration des Conci- 

les Provinciaux. | 
Ce petit échantillon peut faire connoître le mérite de tout 
l'Ouvrage , qui n’a pas cependant été imprimé. On doit pré- 





DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 341 
fumer que ce fut par l'Ordre du Pape Grégoire X que le Pere 
Humbert l’avoit compofé vers l'an 1273, après la publica- 
tion de la Bulle, pour la convocation d’un fecond Concile 
général de Lyon. 

A tous ces diférens Ecrits , il faut en ajoûter un autre , que 
nous aurions pû mêtre parmi les premiers, puifque le Pere 
Humbert le compofa vers l'an 1254. Comme tous les Reli- 

ieux connoifloient fa capacité , & qu'ils étoient convaincus 
Es zéle qui l’animoit pour le fervice de Dieu ; la premiére 
chofe que les Définiteurs lui recommanderent dans le Cha- 
pitre de Bude , fut d'ordonner felon fa 2 RE » tout ce qui 
eut regarder l'Ofice Divin de jour & de nuit , les Légendes, 
JR difrBurion des Pfeaumes , le Chant , les Rubriques ; en un 
mot , toutes les parties du Bréviaire , le Miffel , Le Martirolo- 
e , les Livres oe à l’ufage de l'Ordre des FF. Prêcheurs. 
5 Pere Humbert éxécuta tout cela avec autant de diligence 
ue d'éxattitude , de méthode & de clarté. Déja fous fon Pré- 
déceffeur , plufieurs Religieux de‘diférentes Nations avoient 
été chargés du même travail ; & on ne peut point dire qu'ils 
l'euflent négligé. Mais on n'avoit jufqu'alors préfenté que 
des effais, me colleétions , ou des ébauches , dont quelques- 
unes avoient leur mérite, ou leur beauté , fans avoir ce dé- 
ré de correétion & de perfettion qu’on défiroit. Tous ces 
dérens effais furent donc remis au Révérend Pere Humbert. 
Il en prit ce qu'il jugea convenir davantage à la décence , ou 
à la majefté hi culte Divin. Mais il fe fervit plus particuliére- 
ment de l'Ofice qui étoit en ufage dans l'Eglife de Paris, 
pour régler celui qui a toujours été depuis commun à tout 
l'Ordre de faint Dominique. | 

Le Succeffeur du Pere Humbert le fit autorifer.par une 
Bulle de Clément IV, datée de Viterbe le feptiéme de Juil- 
let 1267. Ce Pape, après avoir loué la fagefle de l’Auteur, 
& l'utilité de fon Ouvrage ( divifé en quatorze Livres), dé- 
fend d'y faire aucun changement fans une permiffion fpéciale 
du Saint Siége (1). L’intention du Vicaire de JEsus-CHR1IST 
a toujours été refpeétée : Et c’eft principalement dans la célé- 


(1) Nos itaque veftris Supplicationibus 
inclinati , Ordinationem eamdem , ficut 
provide faéta eft , ratam, & firmam haben- 
tes .... confirmamus, & præfentis Scripti 
Patrocinio communimus, diftriius inhi- 


bentes ,.ne aliquis fine fpeciali licentia Sedis 


Apoftolicæ circa prædiétum offcium, con- 
tra Confirmationis, & Conftirutionis nof- 
træ , ac Ordinationis prædiétæ tenorem , 
aliquid immutare præfumat. Datum Viter- 
bii Nonis Julii , Pontificatüs noftri anno. 
tertio.. Bxllar. Ord. T.I, p.486. 


u 11] 


LIVRE 
II. 


HUMBERT 


DE ROMANS. 
D 


XXX VIII. 

Humbert eft char. 
gé de la correction 
du Bréviaire , du: 
Miflel , & de tous 
les Livres choraux 
à l'ufage des Freres 
Précheurs. 








XXXIX. 
Le Pape aprouve 


fon travail. 


LIVRE 


III. 
a 
HuMBERT 

DE ROMANS. 

CREUSE 








In Cod. Regio. 
MMMMCaxx, fol. 921. 


Aliàs, de Eruditione 
Ress ioforun. 


XL. 
Autres Eerits atri- 
buis au P. Hum- 
bert, 


XLI. 
Mort de ce faint 
Perfonnage. Son 


Eloge. 


/ 


342 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
bration des Saints Myftéres , que l'Ordre des Freres Pré- 


cheurs a conftanment fuivi fans aucune variation fon ancien 
Rit. Parmi les Rubriques de la Meffe, celle qui prefcrit au 
Prêtre de fe fervir de la main gauche pour recevoir le Corps 
du Sauveur , & de la droite pour le précieux Sang , eft plus 
ancienne que le Pere Humbert : il ne l’a adoptée, que parce 
qu'elle étoit dès-lors en ufage , même parmi les Evêques & 
les Cardinaux. On peut voir la preuve de ceci dans un Ma- 
nufcrit du treizième fiécle , er our dans la Bibliotéque du 
Roi, dontle Titre eft : Cæremoniale Romanum mulriplex. , 

On a encore atribué au Pere Humbert , 1°. Un Écrit inti- 
tulé Ze Miroir des Religieux : 2°. Un Livre qui traite des vé- 
ritables & des faufles vertus : 3°. Un Recueil de Sermons fur 
la Confrairie du Rofaire. Mais le premier de ces Ouvrages , 
comme on l'a remarqué ailleurs , apartient à Guillaume Pe- 
rault ; & les Anciens n'ont point bit mention des deux au- 
tres, parmi ceux qui font véritablement de notre Auteur : 
ce qui peut les faire resarder au moins comme douteux. Îl 
n'en eft pas de même de celui qui marque en détail les devoirs : 
particuliers de tous les Religieux chargés de quelque Ofice 
dans l'Ordre des Freres Prêcheurs. Il eft vrai que dans l’Edi- 
tion de 162$, il y eft parlé des Ouvrages de Louis de Gre- 
nade , parmi ceux dont on doit recommander la leéture aux 
Novices. Mais il eft vifible que ces paroles ont été ajoutées 
par l'Editeur : on ne les trouve pas en éfet, ni dans les pre- 
miéres Editions , ni dans les anciens Manufcrits , qui portent 
tous le nom du Pere Humbert. Comme fi rien ne devoit écha- 
per au zéle de ce digne Succeffeur de faint Dominique , fon 
atention femble avoir été de fournir à chacun de fes Freres, 
des fecours & des lumiéres fur tout ce qui peut fervir, ou à 
diriger l'intérieur , ou à marquer les fon@tions extérieures de 
chaque Emploi. Auffi apartenoit-il à un Homme tout rempli 
de l'efprit de fon Ordre, & juftement confidéré comme la 
régle vivante de ce qui eft bon & parfait , de faire des leçons 
de perfe&ion & de fainteté. : 

C'eft dans ces louables ocupations , & dans l’éxercice du 
Miniftére de la Parole , que le Serviteur de Dieu coula fes 
dernières années. Mais tous les jours de fa vie, il pratiqua en- 
core plus parfaitement ce qu'il enfeignoit aux autres. Coté. 
mé enfin de travail & de veilles, & plus chargé encore de 
mérites que d'années , il mourut dans le baifer du Seigneur 


. DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 343 | 
le quatorziéme dé Juillet 1277. Sa mémoire eftencoreenbé- LIVRE 
nédiétion parmi fes Freres ; & fon faint Corps repofe dans III. 
notre Epglife de Valence en Dauphiné , où on lit fon Epi- Ejyyserr 
taphe , {on Eloge , & la date de fa mort., comme nous venons 5x Romans. 
de la marquer , conformément aux Aëtes du Chapitre tenu à 
Milan au mois de Juin 1278 (1). C’eft donc par erreur, que 
dans une petite Chronique qu'on trouve à la fin de nos Contfti- 
tutions, on a mis la mort du Pere Humbert en l’année 1274. 
M. Dupin s’eft encore trompé , quand il a dit que ce grand 
Homme , après fa démiffion volontaire , s'étoit retiré dans le 
Couvent de Lyon. Il eft vrai Late Albert , Michel 
Pie , Bzovius, le Jéfuite Théophile Raynaud , dans fon Ca- 
talogue des Saints de Lyon , voient déja dit la même chofe. 
Mais , felon les Auteurs contemporains, le Couvent de Va- 
lence fut le lieu de la retraite ordinaire du Pere Humbert , & 
celui où il finit faintilhent fes jours. Le 

Quoique fur la réputation de fes grandes vertus , plufieurs 
Hiftoriens lui donnent le titre de Saint où de Bienheuréux , 
nous n'avons pas crü devoir prévenir le jugement de l'Eglife. 


(1) Item volumus &-mandamus quod j lendario recitentur. Venerabilis autem Pa- 

nomina Venerabilium Patrum , Fratrum vi- | cer Frater Humbertus de Romanis obiit pri- 

delicet Raymundi de Penna-forti, Humber- | die Idus Julii , anno Domini 1277. A4. 

ti de Romans, & aliorum Magiftrorum | Cap. Mediol, an. 1178 celebrati, Ordina-. 
 Ordinis, in diebus obitüs corum in Marti- | rione xv, apud Martene. Tom. IV, Col. 

rologio reponantur, & in codem die in Ca- | MDccxcIII. 


Fin du troifième Livre. 


344 | 
ARR LS AR RAR SE BAR ER ER RAS A, 8,8, 4,2 2 4 À À À 5, À bé 


À ARS AG CSS SR SENS CGR URSS RSS Fe 
2 ND 02e Se Se Se Se AUD Éd € 


OTTTETITETTET TES PET TT TE TETITITTTTR 


HISTOIRE 

| D ES | 

HOMMES ILLUSTRES 
- DE L'ORDRE 

DE  %# 


SAINT DOMINIQUE. 











LIVRE QUATRIÉME. 


INNOCENT VV: 
PAPE. 


nf) E faint Pape Innocent, Cinquiéme du nom; 
YA EI] étoit apellé auparavant Pierre de Tarantaïfe, 
du lieu de fon origine. Dès fes tendres an- 
nées , 1] porta avec joie le joug du Seigneur : 
les belles qualitez dont la nature l’avoit fa- 
vorifé , & une fidélité conftante à la grace de 
fa vocation, le firent pafler par tous les em- 
lois , dont le mérite le plus brillant peut être récompenfé ; 
ke 1l les remplit toujours avec honneur. Saint Religieux , Doc- 
teur , & Prédicateur célébre, favant Ecrivain, illuftre Arche- 
vêque, Cardinal, & Doïen des Cardinaux, il fut le troifiéme 
de fon Ordre , qui porta la Pourpre Romaine, & le premier 
qu'on vit aflis fur le Trône Apoftolique. Selon des done” 
| e. 


INNocENT V. | 
Re 








n 
_— 
— 
—_— 
dd 
cd) 
= 
nn 
dt 
—— 
D. 
un 
…. 
= 
— 
J 





. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 34; 
de l’Abé Ughel, une haute réputation de fainteté , & l'éclat 
de fa doétrine lui fervirent comme de dégrez , pour s'élever à 
cette fuprême dignité (1). Il eft cependant l’un de ceux, dont 
nos anciens Auteurs ont négligé d'écrire éxaétement la Vie. Le 
is qu'ils enraportent,nous tâcheronsdelerecueilliravecfoin, 
inon pour compofer une Hiftoire complette de cefaint Pon- 
tife, Fa moins pour donner la fuite de fes principales aétions. 

On croit communément que ce fut vers l'an 122$ que 
Pierre naquit d’une Famille illuftre , dans cette petite Province 
du Duché de Savoye fur l'Ifere , qu’on nomme T'arantaife, & 

ui a la Ville de Moutiers pour fa Capitale. Dans nos Annales 
il eft indiférenment apellé Pierre de Tant » & Pierre de 
Bourgogne ; fans doute parce que toute la Savoye, ainfi que 
la Provence & le Dauphiné , apartenoient alors au Roïaume 
de Bourgogne , felon la remarque de plufñeurs Ecrivains du 
treiziéme, & du quatorziéme fiécle, cités par Don Denis (2). 
Quoique François Duchefne comte Pierre de T'arantaife par- 
mi les Cardinaux François, il n’ofe cependant rien détermi- 
ner touchant la Province, ou la Ville particulière , qui a été 
fa Patrie. 

Il ne feroit pas plus facile de marquer précifément le tems 
& le lieu, où 1l fit le facrifice de fa liberty , enfe confacrant 
au Seigneur. Bernard Guidonis dit qu'il étoit encore dans fon 
enfance ; & felon Louis de Valladolid il n’avoit point fini fa 
neuviéme année , lorfqu'il reçut l'Habit de faint Dominique. 
Suivant cette opinion, on pourroit dire avec Duboulay que 
le Bienheureux arr de Saxe , qui atiroit un fi grand nom- 
bre de Sujets à fon Ordre, y admit le jeune Pierre de Taran- 
taife , déja étudiant à Paris (3), dans le tems que ce Général 

tenoit fon Chapitre au mois de Juin 1234. La Providence fe 
Râtoit donc de dérober à la corruption du fiécle celui qu’elle 


(1) Frater Petrus de Tarantefa Ordinis 
Prædicatorum, Archiepifcopus Lugduuenfis, 
à Gregorio X Epifcopus Oftienfis, ac Ve- 
liternenfs elctus , ac major Pæœnitentiarius 
S. R.E. vir Santtimoniz laude præftantifli- 
mus, doétrinâque confpicuus, quibus vir… 
tutibus iter fibi ad AT aperuit, &c. 
Iral. Sacr. T. I, Col. 1xx. 

(2) In Annalibus Prædicatorum Burgun- 
dus vulgo nominatur, five à loco Profeflio- 
nis .... five ex eo quod Provincia , in qua 
patus eft , ut & Sabaudia, & Delphinatus 
fub Regno Burgundiæ continerenrur , qudd 

Tome LI, 


innuunt Bernardus Guidonis, & Nicolaus 
Trivet, &c. Gal. Chrifi. T. IV, Col, cxrix. 

(3) Petrus de Tarentafia in Divinis Scrip- 
turis eruditiffimus , in Phflofophia Ariftote- 
lis nobiliter dous, Theologiam pluribus 
annis fumma cum laude docuit inter Do- 
minicanos , quibus fe adjunxiffe dicitur an 
no ætatis nono ; & is forte unus et à {exa- 
ginta parvæ litteraturæ pueris, quos Jorda- 
nus ad Ordinem recepit Patifius , ut loquitur 


LIVRE 





INNOCENT V. 
VERRE 





L 
Naïffance & Pa- 
trie du Pape Inno- 
cent Y. 


Tom.Il,Liv.ll,p. 
273 


IT. 

Dès fa plus ten- 
dre enfance il en- 
tre dans l'Ordre de 
S. Dominique. 


Cantipratanus Lib. Il, de Apib. C. x1x. 


Duboul, Hiff. Univ. Pari. T. III, P:70$5 
in Casal. Llufir. Academ. 


X 


F 


| 346 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE vouloit placer un jour fur le premier Siége de fon Eplife. 
: Ce que nous favons des foins , que prenoient nos Peres de 
Innocent v, l'éducation , & de la confervation des Novices ; ne nous per- 
=" met point de douter qu'ils n'aient eu une égale atention à for- 
mer l’efprit & les mœurs d’un Sujet de fi grande efpérance, 
&c à ménager fes forces , en ne lui laiffant d'abord pratiquer de 
la Régle , que ce qui pouvoit convenir à fon âge. La Grace 
boue toujours fon beau naturel , 1l fut profitèr des 
rands éxemples de vertu, qu'il avoit continuellement fous 
es yeux. La piété lui devint comme naturelle; & il ne com- 
mença à connoître le vice, que lorfqu'il fut en état de le com- 
batre & par fes éxemples , & par fes difcours. 
IL. Dès qu'on l'eut apliqué à l'étude des Siences, on vit tout 
. Qualiez de l'ef. ce que l'on pouvoit fe prométre de la pénétrarion de {on ef- 
PRE prit, également vif, & folide. Les progrès qu'il faifoit tous 
j es jours pat les nouvelles lurniéres, dont il fe remphfloit , ne 
diminuant rien de fa modeftie , ni de fon recueillement ordi- 
naire , il fe concilia l'amour de tous fes Freres , l'eftime ou 1a 
confiance des Süpérieurs: & il eut le bonheur de fe confer- 
ver l'un & l’autre pendant près de quarante ans, qu'il vécut 
IV. avec eux dans les mêmes pratiques de religion , ocupé tantôt à 
Premiers Emplois. expliquer aux Fidéles les véritez du falut , felon l’efprit de fa 
vocation ; & tantôt à faire des leçons de Philofophæ , & de 
Théolopie aux jeunes Religieux. 11 éxerçace double emploi 
pendant long-tems , & avec beaucoup de fuccès. 
Nous ne pouvons aprouver la conjeQure, hi fuivte le fen- 
timent d'un moderne ; felon lequel Pierre de T'arantaife éroit 








un des quatre Nonces , envoïés par le Pape Grégoire IX vers . 


le Patriarche Germain, & l'Empereur d'Orient, pour tra- 
vailler à la réunion de l’Epglife Gréque avec la Latine. I eft 
vrai que le fecond de ces Nonces eft nommé Pierre, de l’Or- 
dre des Freres Prêcheurs. Mais cette preuve feroit bien foible 
pour apuñer l'opinion de l’Auteur, quand elle ne fe trouveroit 
pas déja détruite par le témoignage exprès de Pierre de Sé- 
zanne (1), & par les dates que nous venons de remarquer 
touchant l’année de la naïflance de Pierre de T'arantaife, & 
celle de fon entrée dans l'Ordre de faint Dominique. Il fufit 
. (1) Pierre de Sezanne , Dominicain , | Jowsnis , veneram Conflantinepolim cum 
parle d’une converfation qu'ilavoit eué avec | Frerribus aliis à Domino Paps miffis pre 
un Sarafin , lorfqu'il furenvoyé par Grécoi- | fedanda , fi fieri polfet , Modernorum con- 


re IX, avec.les autres Nonces, vers l'Em- | radiétione Gracorum. In Vit. Fratr. Paru 
pereur Vatacc : Tempore pisffimi Imperatoris : IN , C, xx115. Ap. Echard , T. I, p. 102. 


» 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 347 


de faire atention que felon tous les Hiftoriens, ce fut en 1233, 
ue Grégaqjre IX envoia fes quatre Nonces vers l'Empereur 
ds Grecs : Pierre de Tarantaife ne pouvoit comter alors que 
la huitiéme année de fon âge. Et depuis qu'il eut été reçü dans 
le Couvent de faint Jâques (mais comme on croit pour celui 
de Lyon, apartenant à cette partie de la Province de France, 
u’on apelloit la Nation de Bourgogne) 1l fut toujours ocupé 
a la même Province à aquérir, ou à communiquer ce tré- 
for de fience , qui le mit en état d'enfeigner avec réputation 
dans les Ecoles de Paris. | 
Il ne prit les Dégrez qu'après faint Thomas d'Aquin ; & il 
- profeffa quelques années avec lui : fon mérite ne parut point 
obfcurci par celui du faint Doéteur. L’éclat de fes vertus, fes 
Lecons T héologiques , & les Ouvrages qu'il commençoit 
publier , lui avoient donné un rang og 2 parmi les Sa- 
vans, lorfqu’en 1259, dans le Chapitre Général de Valen- 
ciennes , 1l fut choiïfi avec le même faint Thomas, pour for- 
mer les Statuts, que devoient fuivre déformais les Etudians 
” dans les Colléges de l'Ordre. Pierre de T'arantaife afñifta à ce 
Chapitre, ou à raifon de fon grade , ou en qualité de Défini- 
teur de fa Province. Ce ne fut qu'en 126$ qu'on l'élut pour la 
remiére fois Provincial de France. Deux ans après il fut ab- 
ne de fa Charge , & envoïé encore à Paris, pour reprendre 
la conduite de nos Ecoles, & recevoir le Bonnet de Dofteur. 
Un Ecrivain cité par M. Duchefne , dit que fes rares talens, 
fon Erudition , & fa maniére d’enfeigner le faifoient préférer 
aux plus habiles Profefleurs de cette fameufe Univerfité (1). 
Mais il évoit encore plus eftimé , &c en éfet beaucoup plus efti- 
mable par ce grand fonds de religion , & d’humilité , qui don- 
noit le prix à É aétions , & un nouveau luftre à fes vi 
Tant de belles qualitez réuünirent unefeconde fois en fa fa- 
veur tous les fufrages dans le Chapitre Provincial de France. 
Pierre de Tarantaife dès l’an 1269 fut obligé de paroître en- 
core à la tête de cette Province, pour la confolation, & l'a- 
ms à de fes Freres , acoutumés à lui obéir avec d'autant 
lus de plaifir , qu’ils trouvoient en lui, non-feulement un 
nus , & un pere, mais le modéle de ce qu'ils devoient 
être eux-mêmes , pour ateindre à la perfeétion de leur état. 
Nous ne lifons point que pendant les cinq ans , qu’il gouverna 
(1) Diu Lutetiæ inter Profeflores Theo- | docendique genre maximè inclaruit. 4y. 
logos primas, omnium opinionc tenuit ; | Duchafue, T. Il, p. He —. 
X 1} 


Livre 
IV. 


LE nee 
INNOCENT V. 
D | 





V. 
Il enfeigne avec 
S.Thomas dans les 
Ecoles de Paris. 


VI. 
Où il eft reçu 
Docteur, 


VIT. 
On le fait l’ro- 
vincial de la Pro- 
vince de France. 


48 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE fa Province, il ait accepté de nouvelles Maifons, que celle 
IV. de Provins en Brie. Mais s'il n’aimoit point à myltiplier les 
‘INnocenr V. Communautez, il étoit infiniment atentif à les bien remplir , 
= à éprouver avec foin la vocation , & les qualitez des Sujets, 
VIII. & à procurer l'avancement fpirituel de tous fes Religieux, 
Sagcife de fon afin qu’il n’y en eût aucun , qui ne pût être utilement emploïé 
gouvernement. . A . or 
felon la mefure des talens , dont le Ciel l’avoit favorifé. 
IX. = Don Denis prétend que de la Charge de Provincial , Pierre 
Méprife de Don de T'arantaife pañla à celle de Supérieur Général de tout fon 
— Ordre (1). Nous ignorons ce qui peut avoir donné ocafion à 
ce favant Ecrivain d'avancer un fait aufli opofé à la vérité de- 
lHiftoire. Il eft certain que Jean de Verceil , fuccefleur immé- 
j diat du Pere Humbert de Romans, ocupa fans interruption la 
place de Général de fon Ordre , depuis Fan 1264, jufqu’à fa 
mort , arivée vers la fin de 1283. Aufhi les Auteurs contem- 
porains , Tholomée de Lucques, & Nicolas Trivet, ont-ils 
remarqué que Pierre de T'arantaife étoit encore Provincial de 
France , quand il fut élevé à la dignité d'Archevêque de Lyon 
l'an 1272. Bernard Guidonis le dit expreflément ; & il ajoute 
qu’à l’ocafion de cette Promotion , la Province de France de- 
meura près de fix mois fans Provincial (2); parce que d’une 
parts les ordres précis de S. S. obligérent l'Archevêque élü de 
{e rendre mcefflanment à fon Eglife ; & de l’autre, nos Statuts 
ne permétoient pas de prévenir le tems marqué pour latenuë 
d'un Chapitre, où on ai lui donner un Succeffeur. 
. On fait quel étoit alors le trifte état de l’Eglife de Lyon , 
tant pour le temporel que pour le fpirituel. Philippe de Sa- 
hit Ecl 1in vOye, dont la vie, dit M. l’Abé Fleuri, étoit plus Militaire 
Fr  qu'Eckfaftique, avoit pendant vingt-trois. ans retiré les re- 
x. venus, & porte le titre £ Archevêque de Lyon, fans en avoir 
Etat del'Eglife de jamais fait les fonétions. Après que ce Prince eut enfin abdi- 
in a Uhilse de qué tous les Bénéfices, dont il étoit care les Chanoines 
Savoye. 7” -de faint Jean voulurent procéder à une Eleétion , & ne purent 
s’acorder : ainfi le droit de nommer à ee grand Siège étant 
dévolu au Pape, felon l’ufage de ce tems-là, Clement IV 
choifit Gui Evêque d'Auxerre ; mais ce Prélat préféra fon re- 








(1) Evañt etiam in Francia Præfeétus | vincialatu Franciæ ad Archiepifcoparum 
Provincialis ; deindé totius Ordinis Superior : Lugdunenfem eveétus anno 1172. V aca it 
generalis. Gal. Chrif. T. IV, Col, cx11x. : Provincialatus Francix inter moras elcéto- 

(2) Frater Petrus de Tarentaña pro fe- . ruin anno quañ dimidio. Bern. Guid. aps 
eunda vice fucceflit Fratri Joanni de Caftcl- | Echard. T. I, p. 351, 

Kone , anno Domini 1269 ; fuitque de Pra- | | 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 349 


os , ou les intérêts de fon propre Troupeau, à la dignité de 
rimat des Gaules. Son refus , & la mort de Clement IV laif- 
férent le Siège de Lyon vacant, depuis l'an 1268 jufques 
en 1272. On peut voir dans l'Hiftoire le récit des féditions, 
& des révoltes, qui éclatérent contre le Clergé , pendant 
cette longue vacance. mé 
Le Chapitre juftement jaloux de fes anciens droits , ne vou- 
loit rien céder; & les Citoiens de leur côté fe plaignoient 
u’on les dépouilloit de tous les privilèges qui leur avoient 
été acordés par le Pape Innocent IV : fe croiant donc opri- 
més, ou maltraités , 1ls fecouérent le joug du Clergé, apel- 
lérent à leur fecours plufeurs Seigneurs de Breffe, Fa de Sa- 
voye, fe faifirent en tumulte des Portes de la Ville, & de la 
Tour , quieft fur le Pont; enfin ils afégérent les Chanoines 
dans le Cloître, qui fut forcé , pendant que ceux qui s'y étoient 
enfermés, s'étant fait un pañlage, cherchoient leur falut dans 


LIVRE 
IV. 


INNOCENT V. 
RE 





la fuite. L'Evêque d'Autun , Adminiftrateur né de l'Eglife de : 


Lyon pendant la vacance du Siège, aïant inutilement PE 
pofé des conditions de paix , qu'on rejéta toujours avec hau- 
teur , le Concile Provincial, aflemblé à Belleville l'an 1269., 
mit la Ville de Lyon en interdit; & prononça une Sentence 
d'excommunication contre les Citoiens. Tous ces défordres 
donnérent ocafon au Roi S. Louis de prendre connoiffance 
de la maniére, dont la juftice étoit adminiftrée parmi les 
Lyonnois , & de leur donner le Baïllif de Mâcon pour Juge 
dans leurs afaires temporelles (1). CE 


© (1) Obfervandum denique durante In- | runt utriufque Ecclefixe Canonici, ut hos tu- 


terpontificio cives ;jin Clerum aperté rebel- 
lafle. Ii privilegiis fibi ab Innocentio IV 
collatis freti ; irritati ob diverfas rum Epif- 
<opi, tum Cleri Curias , quibus diftraheban- 
tur, & vartis gravabantur incommodis, 
Jugum Ecclefiæ excutere decreverunt. À Ca- 
nonicis vero primum intentatæ minæ ; de- 


hinc in Clauftrum indu@i plurimi Nobiles, 


amici aut affines, ut Rebelles ad Oficium 
revocarent ; {ed evoluti omnis fimulationis 
antegumento cives , .Brefliæ & Sabaudix 
Nobiles advocant ; Urbis claves arripiunt , 
Turrim in Ponte Araris fitam occupant , fe 
fe armis accingunt , & aperto marte Clau- 
ftrum oblident, vi capiunt , omnia diri- 
piunt, Canonicos fugere cogunt , & apud 
Santum Juftumgæræfdium quærere ; ubi 
diverfis velitationibus , imd & præxliis ac af 


fultibus hinc inde lacefliti , nihil nontenta- 


multus‘compefcerent. Ac primo vicinorumt 
Principum & Nobilium operà ufi funt, fed 
fruftra. Deinde Girardum Eduenfem Epif- 
copum , Lugdunenfis Archiepifcoparüs, Se- 
de vacante , Adminiftratorem advocanr. 
Expofitæ hinc & inde querclarum caufe, 
propofitæ pacis conditiones , eleéti fæpius 


 Arbitri, dataque funt compromiffa : fed iis 


omnibus in caffumtentatis , tandem in Con- 
cilio Provinciali Bellæ-Villæ anno 1269 Ca- 
lendis Decembris coato , Sententia inter 
diéti Ecclefiaitici in Civitatem, & cxcom- 
municationis in cives lata eft. Hincaue cûm 
cives Eduenfem Epifcopum ejuraflent, ut 


pote qui aperté Capitulo faveret, San@tus 


Ludovicus in Jurifdiétionis fæcularis pof- 
feffioncm fe fe immifit, & Judicem declara: 
vit Matifconis Ballivum. Gal. Chrifi. T. IV, 
Col. CXLVILJ, CXLIX, : 


Xxüù 


# 


LIVRE 
IV. 


INNOCENT V. 
D | 





XI. 
Atentions de Gré- 
goire X à bien 
remplir les pre- 
miers Sièges. 


Vide Bullar. Ord. 
T1, p.537 538. 


XII. 

Pierre de Taran- 
taile nommé à 
l'Archevéché de 
Lyon. 


350 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Tout le tems que le Saint Siège demeura vacant, celui de 
lEglife de Doit fut aufli : & perfonne n'ofoit fe flater de 
pouvoir aporter quelque reméde à des maux, que l’opiniä- 
treté du Peuple fembloit rendre incurables , & qui caufoient 
la perte d’un grand nombre de Fidéles. Enfin pour le bonheur 
de la Chrétienté, Grégoir#®X élevé fur la Chaire de faint 
Pierre l'an 1271 , près de trois ans après la mort de fon prédé- 
ceffeur , donna d’abord fes atentions aux befoins fpirituels des 
Peuples, qui n’avoient point de Pafteurs. Mais réfolu de n’a- 
vancer que des hommes éminens en Sience & en Sainteté , il 
en Pr. de ce caraétére ; & il eut la confolation d’en trou- 
ver plufieurs , que la Providence avoit pris plaifir de former, 
& qu'elle fembloit tenir en réferve pour le befoin. Ce n'eft pas 
ici le lieu de parler de tous ceux qui furent retirés de l'Ordre 
de S. Dominique , pour remplir les Sièges de Jérufalem, de 
TyrenSirie , de Genes , de Meffine , de Malthe , de Tarente 
dans le Roïaume de Naples, de Cantorbery en Angleterre, 
&c. L'Eglife de Lyon ne devoit pas moins atirer les favorables 
regards d'un faint Pape, qui en connoifloit les befoins , & 
qui n'ignoroit point quels étoient les talens de Pierre de Ta- 
rantaife , dont les vertus, dit en cette ocafion Oderic Ray- 
nald, n’étoient pas inférieures aux plus grands emplois (1). 
Sa Sainteté aïant propofé fon deflein au Sacré College, ce 
choix fut aplaudi de tous les Cardinaux ; & le Saint Pere écri- 
vit auflitôt au Serviteur de Dieu , pour lui ordonner d’acce 
ter cette dignité , & de fe rendre fans aucun délai à fon Egli- 
fe , afin d'y ramener la paix , de faire cefler les fcandales, & 
de rétablir toutes chofes. Nous croïonsdevoir raporter ici ces 


Lettres Apoftoliques. 

G REGOIRE , Evèque , Serviteur REGORIUS Epifiopus 
des Serviteurs de Dieu, à notre XF .... diletto Filio Fratri Pe- 

cher Fils, Pierre, élù Archevèque de tro eleilo Lugdunenfi, Salutem & 

Lyon, Sazur 5T BSNEDICTION Aros- -4Poflalicam Benedictionem. 

TOLIQUE. Conceptum innobis ab olim dete, 


Religiofum , virum gerendis quibufque 


(1) Cum vero ad Ecclefiarum optimum 
maximis muneribus vireutibus parem , Lug- 


regimen maximi interfit viros probitate 


” confpicuos earum gubernaculis admovere, 


fingulares curas in evehendis ad dignirates 
Ecclefiaiticas viris fcientià & fanétitate in- 
fignibus collocavit ( Gregoris X.) Ita Ro- 
bertum egregiis virtutibus ornatum Can- 
tuarienfi Ecclefiæ impofuit . . .. Petrum è 


Tareutafa , facræ Prædicatorum Familiæ 


dunenfem Ecclefiam gerere juflit ; ad quem 
in MS. Vallicellano Codice extant datæ 
Literæ, quibus ipfum ad zelum pro divina 
augenda gloria explicandum, munufque ob- 
eundum, eft adhortatus® Orioric. 44 An, 
1272, #, 68. 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 351 


Fili , figna evidentis formarunr, 


quèd vir virtusis exiffas , C7 in Per- 


fona tua ille à quo cunita data funt 
opsims , multa dons congefferit ; per 
qua in confpeilu ejus acceptus red- 
deris, © in oculis bominum gratio- 
fes haberis. Ideoque opportunuate 
concella , conceptum bujufinodi pro- 
ducere intendentes in parts, ne 
salenta tibi credita per bumilitaterm 
flarlis quafi fuffoffe remanvant ; [ed 
ea tanquam fidelis Servus © pru- 
dens | malriplicata credenti tenore 
duplicato prafentes . te in eminen- 
tioris gradus loco patavimus collo- 
tendam , st velut accenf(a lacerna 
fupra candelabrurm pofita , per vir- 
suoforum exempla operum., C leu- 
dabilis doûtrine Minifiertum ingre- 
dientibus in Domum Dominsprebeas 
lumen vite. Propter qued Lugdu- 
nenfi Ecclefie tunc pacanti, te, de 
Fratrum nofirorum confilio , in Ar- 
chiepi[copum prefecimus , € Pafto- 
rem:in quo fic Corper: , majoris 
oneris , C laboris moles imponitur , 
gaod menti fpes fœcundioris retribe- 
tionis offertur. 


… ANonigitur laborum certamen de-. 
terreat , [ed magnitudo potits pre- 


miorum obleitet : prefertim cüm tan- 
quam expertus intelligis , quam te- 
ve fit onus Domini , jugumque [ua- 
ve, quod ad'honum tibi , ab ædolef- 
centia tensritate portafii , cimque 
merces luboris debesiur ,. elaboran- 
dum eff tibs follicite , ur poffis cum 


 Apoftolo gloriari , te , quantim 


conceditur ex alto, plus aliis labo- 
rafle. En remiflionem traque tuornm 
peccaminum fuailemus , ur vocations 
Domini ,per cujus contemptum ip- 
_ fius inte poÎfes iracundi am pravocu- 
re , nullatenus contradicas ; fed 
31li prompre confentiens , eandem 
Lugdunenfem Ecclefiam adeas , ip- 
Jiufque regimen fub fpe Omnipoten- 


L'opinion avantageule que nous 
avons conçué depuis long-rems de 
vous, notre cher Fils, eft fondée {ur 


Livre 
IV. 





des preuves, non équivoques , de vo- INNOCENT V, 


tre vertu , & des dons excélens que le 
Seigneur 2 réunis en votre Perfonne, 
pour vous rendre agréable à fes yeux, 
& à ceux des Fidéles. Dès que la Pro- 
vidence nous a mis en ctat de morwrer 

ucts étoient nos. fentimens à wotre 

ard, Nous avons ingé à propos de 
. retirer d’un ee 'hunnilié , où 
vos talens demeureroient comme en- 
fevelis, & de vous placer comme une 
ampe brillante fur le Charglelier safin 
que par les éxemples de vos faintes 
atons, vous édifiez tous ceux qui en- 
trent dans la maifon du Seigneur, & 
ie vous les éclairiez.par les lumiéres 

une doétrine pure & falutaire. C'eft 
encore de l'avis, & par le confeil de 





Odoric. ad An, 1274, 
8 


n. 66. 
Bullar, Ord. T. 1, 
P. f10. 


nos Freres , que Nous vous avons choifi 


de Lyon. Le 
chargeons ,; vous paroîtra fans doute 
péfant ( & al l'eften éfer), mais l'efpé. 
ranæ d'une plus grande récompenfe 
doit en même-rems vous confoler, & 
vous animer. 

Ne regardez. donc pas avec frayeur 
Je travail , mais confidérez avec joye la 
gloire qui en fera le prix. Une longue 
expérience vous a déja fait goûter com- 
bien doux & léger eft le joug dn Sei- 
gneur , que vous avez eû Le bonheur 
de Pa dès votre plus tendre jeu- 
nefle : portez-le encore cet aimable 


joug ; & faites enforte ,-qu’avec le fe. 


cours d’erthaut vous puifliez vous glo- 
rifrer, æinfi que faint Paul, d’avoir 
plus travaillé que les autres. Recevez 
pour la cémiflln n de vos péchez cette 
nouvehe charge, que vous ne pourriez 
refufer , fans vous opofer à la volonté 
de Dieu, & atirer br vous fa colere. 
Rendez-vous fans délai à l'Eglife de 
Lyon :.& ne vous défiantjamais ni du 


_pout SE & Pafteur de l'Eglife 
ardeau , dent nous vous - 


LIVRE 
IV. 


INNOCENT V. 
Do +. 








XIII. 

Il commence par 
réünir les Efprits, 
& pacifier les trou- 
bles, 


- 


352 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
€ 


cours du Tout-puiflant, ni de notre 
afliftance , prenez avec confiance l'ad- 
miniftration de cette Eglile, tant pour 
le temporel , que pour le fpirituel. Dieu 
en urera fa gloire; vous y trouverez 
une nouvelle matiere de mérite; & le 
peuple confié à vos foins, en ss 
pour fon falut. Nous ne voulons pas 
vous laiffer ignorer que nous fommes 
réfolus de vous faire éprouver , autant 
qu’il fera en Nous, les plus favorables 


tis, © nofiri fiducia fecure fufits 
piens, ejus adminiffrationem in fPi- 
ritualibus , € temporalibus ad [a- 
lutem Populs tibs commif} , € 
tuam , exerceas confidenter : fcitu- 
rus quod nos in tuis , @ Ecclefiz - 
pradiite necefitatibus , guantüm ti- 
bi cum Deo poterimus, conflanter 
adefe proponimus , € tanquam ma- 
nuum noflrarum operi auxiliatricens 
dexteram libentifimeporrigemus. 


atentions du Saint Siége , toutes les 
fois qu'il fera néceflaire , pour votre confolation , ou pour les befoins de 
votre Eglife. | 


Oderic Raynald, qui avoit copié ce Bref fur un ancien 
Manufcrit, ena ad derniéres lignes , qui nous auroient 
fait connoître le tems, & le lieu , où il avoit été donné. On 
croit que ce fut vers les Fêtes de la Pentecôte, au mois de 
Juin 1272, que Pierre de Tarantaife, foumis aux ordres du 
Souverain Pontife, prit poffeflion de fon Eglife. Après les 
cruelles divifions , dont nous avons vû qu’elle étoit déchirée, 
on ne peut douter que le nouvel Archevêque n'ait eu beau- 
coup à travailler, pour pacifier les troubles , & réünir les ef- 
prits, en faifant oublier tous les fujets de mécontentement, 
qu'ils avoient les uns contre les autres. Il ne falloit pas de 
moindres talens que ceux de l’illuftre Prélat, pour entrepren- 
dre avec fuccès, ce qui avoit mis à bout la politique, & la pa- 
tience de tous ceux qui s’en étoient mêlés avant lui. Le ie 
gneur l’avoit chargé de cette grande afaire : & il la fit réufüir 
entre fes mains. 

Avant la fin de la même annéer 272, PArchevêque avoit prê. 
té ferment de fidélité & fait hommage au Roi de France, Phi- 
lippe TT , pour les biens de l'Eglife de Lyon, fituésen-deçà de 
la Saône : & il étoit entré en pofleffion de tous les droits , dont 
avoientjoui fes prédécefleurs. Au mois de Février de l'année 
fuivante, les Envoiez de S. M. ordonnérent au Baillif de Mà- 
con , & aux autres Oficiers Roïaux de fortir de la Ville de 
Lyon, laiffant à l'Archevêque , & à fon Chapitre, le libre éxer- 
cice de la Jurifdi&tion temporelle , qui leur apartenoit (1). 


rifdittionis fæcularis Lugduni ipf Domino 
electo reftiruerunt Ballivo Matifco- 
nenfi jufferunt ut infra menfem unum à Cie 
vita Lugdunenfi removerct Gentes > 

(2 


(1) Decimo-quarto Calendas Marti 
(1273 ) duo Nuntii Regis Francorum ... 
ex parte Domini Regis tenutam & faifivam 
totius Juftitiæ meri & mix Imperii, & Ju. 


/ DE L'ORDRE DES: DOMINIQUE. 353 


Le choix que Sa Sainteté fit en même tems de cette Ville, 
pour y aflembler un Concile Général , eft une nouvelle preu- 
ve qu'on y joüifloit déja des avantages de la paix. Il s'y trou- 
voit cependant quelques particuliers mal intentionnés , qui 
s’éforçoient encore de troubler la tranquillité publique , & de 
faire revivre les premiéres divifions. Ceft ce qui donna oca- 
fion aux Lettres Apoftoliques du dixiéme Avril 1273. Elles 
font adreflées aux Citoiens & au Peuple de Lyon , à quile Sou- 
verain Pontife reproche, mais avec la charité d'un pere, les 
excès où ils s'étoient portés , & les dommages qu'ils avoient 
caufés au Chapitre. Sa Sainteté les exhorte , & leur commande 
en même tems, de les réparer, pour obtenir le pardon de leur 
faute , & en éfacer le fouvenir. 

Dans ce Bref , ainfi que dans les autres Aftes du même tems, 
Pierre de Tarantaife eft toujours nommé Archevêque élu ; ce 
qui montre qu'il n'avoit point été encore facré. Il continuoit 
cependant à veiller à la garde, & aux befoins de fon trou- 
En toujours zélé pour la paix de fon Eglife, & aterttif à 

carter avec foin tout ce qui auroit pü y donner quelque atein- 
te. Il étoit ainfi ocupé à l'œuvre du Seigneur, forfqu'l 7” 

ue le Pape venoit de l’élever à une nouvelle dignité. Ce fut, 

elon quelques Auteurs, dès le mois de May 1273, ou felon 
l'opinion de quelques autres , aux . Tems de Septembre 
de la même année, que Gregoire X, peu content d’honorer 
ce grand homme de fa Pourpre Romaine, le mit d'abord à la 
tête du Sacré College , en le gréant Cardinal , Evêque d'Oftie. 
Dans la même promotion, l'illuftre faint Bonaventure fut fait 
Cardinal, Evêque d’Albane. ° 

Perfonne n’ignore avec quel éclat ils parurent l’un & l’au- 
tre dans le fecond Concile de Lyon. Notre Cardinal, felon 
les intentions du Pape , s'étoit arêté dans cette Ville, L Y 
afermir de plus en plus la paix , qu'on regardoit comme 
vrage , & difpofer toutes chofes pour la réception de Sa Sain- 
teté, & d'un grand nombre de Prélacs , Qui y arivoient tous 
les jours des Païs les plus éloignés. Pierre-Marie Campi, dans 
fon Hiftqire de l'Eglife de Plaifance, fait mention d'un Aëte 
du 15 de Novembre 1273, où Pierre de Tarantaife eft figné 
mini Regis, videlicet Judicem » Vigerium , | nomine didi Domini DS tenebat occu- 
Badellos, & alios exercentes J urifdiétionem pata tam in Civitate Lugduni, ie extra, 
nomine dicti Regis in Civitate Lugduni..… reftitueret incontinenter Capitulo memora- 
Itèm præceperunt diéto Ballivo Matifco- | to, &c. Gel Chriff, T, IV, Col. cxzix , cL, 
… &enfi quod:omnia jura, quæ deipfo Capirulo | 


Tome I, Ÿr 


LIVRE 
IV. 


INNOCENT V. 
D 4 








XIV. . 

Le Pape choifit La 
Ville de Lyon , 
pour la célébration 
d'un Concile géné- 
ral. | 


Bullar, Ord.T. I, 
P. fut. 


XV. 
Le nouvel Arche- 


vêque cft fait Car- 
dinal. 


Tholom. Lucens, 
Bern. Guido. 
Peur. M, Campis 


on Ou- 


Liv. xiX, p.263, 


354 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE Evêque d'Oâtie, & de Veletry (1), Adminiftrateur de l'E- 
__ IV. glife de Lyon. * Mais il ne tarda pas à abdiquer cette Adminif. 
Innocenr V. tration ; puifque dès le commencement de May 1274, Aimar 
_— Je Roufhllon, fon Succefleur , avoit déja pris pofñleffion de 


* XVI. ce Siège, & en cette qualité faifoit l'Ofice de Gardien du . 


Ilabdiquel'Admi- Concile 
niftration de l'E- C’eft : 


elife de Lyon. rincipalement dans cette fainte & augufte Affemblée, 

que le Doïen des Cardinaux fut toujours le confeil , ou com- 

née me le bras droit du Pape ; & qu'il fit également admirer fa 

paroi dansle Con- profonde érudition , fon zéle pour l'honneur de l'Eplife, & 

cile, = fon habileté dans la conduite des afaires les plus dificiles, ou 

les plus importantes. Il prononça plufieurs Difsouss en pré- 

fence de Sa Sainteté , & de tous les Peres du Concile, fur les 

motifs, pour lefquels ils étoient aflemblés. Dans la troifiéme 

Sefon , tenue le feptième de Juin, Pierre de Farantaife aïant 

Hi. EcL Lis. pris pour texte ces paroles d'Tfaye : Levez les yeux, & regar- 

VID RESE dez de tous côtez ; route cette grande affemblée de monde vient fe 

rendre à vous : i parla avec beaucoup de pe & de dignité, 

fur les glorieufes prérogatives de l’'Eglfe Romaine , le centre 

de l'Unité Catholique ; fur la réunion des Grecs , & les véri- 

tables moiïens de la procurer, ou de la rendre folide ; enfin 

fur les avantages, que l’extinétion du fchifme procureroit à 

Nomb. 4 l'une & à l'autre Eglife. La quatrième Seffion, . laquelle 

notre Cardinal prononça encore un excélent Difcours, fe 

tint le fixième de Juillet. Et neuf jours après , tout le Concile 

pleura la perte, que l'Eglife vegoit de faire par la mort de 

faint Bonaventure , dont on avoit fouvent adnuré l'éminente 

été , la doëtrine , & l’éloquence. Ses obfèques furent célé- 

XVIII. ns avec beaucoup de pompe, en préfence de Sa Sainteté, 

1 ir l'Eloge fu & de tous les Peres du Concile. Le Doiïen des Cardinaux, 

vemture, © Pierre de Tarantaife, chanta la Meffe, & prononça l'Oraifon 

Funébre , fur ces paroles de David : Doleo fuper te, Frater 

mi Jonathas : votre mort me perce de douleur , mon Frere Jona- 

thas. Le pieux Cardinal s'atendrit beaucoup dans cet éloge, 

ul confacra à la mémoire d’un Saint, & d’un fincére ami. 

on cœur, encore plus que fon efprit , lui fournit des expref- 

fions fi patétiques , qu'il tira les larmes des yeux de tous les 
afhiftans. | 

Le lendemain de cette lugubre cérémonie, notre Cardinal 


Fleuri , ibid, n. 46. 


(1) L'Evéché de Veletry , qui ne relêve | celui d'Oftie, & toujours poffédé par le 
que du Saint Siége, eft uni a perpétuité à | Doyen du Collége des Cardinaux. 


\ 


+ DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 35; 


en fit une autre d’une efpéce diférente. Les Ambaffadeurs du 
Grand Can des Tartares s'étoient rendus à Lyon au nombre 
de feize, pour faire alliance avec les Princes Chrétiens contre 
les Sarafins. Les motifs de cette Ambaffade ne regardoient pas 
la Foi: Ces Infidéles , uniquement ocupés de leurs projets de 

uerre , & de conquêtes , ne penfoient à rien moins qu’à la 
Religion. Le Seigneur cependant avoit jété fur quelques-uns 
d'eux un regard de miféricorde. Il y en eut trois, qui aïant 
été inftruits des Véritez de l'Evangile, crurent en JESUSs- 
CHRIST, & demandérent le Batême, qu'ils reçurent des 
mains de notre Cardinal (1). La cérémonie fe fit en préfence 
de tout le Concile, le feiziéme jour de Juillet, avant que le 
Pape entrât dans l'Eglife, pour la cinquième Seffion. La fixié- 
me, ou derniére, cn célébrée le 17. Je ne trouve pas que le 
Cardinal Evêque d'Oftie y ait fait de Difcours ; mais il avoit 
eu beaucoup . part aux deux Conftitutions , qui y furent 
publiées. Dans la première, contre la trop grande multiplica- 
tion des Ordres élue, on remarquoit, que malgré ce 
que le quatriéme Concile de Latran avoit fagement déterminé 
pour en défendre la diverfite exceflive , les demandes impor- 
tunes de quelques particuliers , & la témérité de quelques au- 
tres en avoient introduit plufieurs , qui n’étoient point encore 
aprouvés. “ C'eft pourquoi, difent les Peres, nous défen- 
dons , & en tant qu'il eft befoin , nous révoquons tous les 
Ordres Mendians inventés après ledit Concile, s'ils n’ont 
pas été confirmés par le Saint Siège. Et quant à ceux qu'il a 
confirmés , nous us défendons de recevoir perfonne à la 
Profeflion , d’aquérir de nouvelles Maifons , ou d’aliener 
celles qu'ils ont déja, atendu que nous les réfervons à la 
difpofition du Siège Apoftolique, pour être emploiés au fe- 
cours de la Terre Sainte, ou à d’autres œuvres de piété. 
Nous défendons aufli aux Religieux de ces Ordres, de prè- 
cher, d'entendre les confeffions , & de donner la fépulture 
aux Etrangers. Mais nous ne prétendons point que cette 
Conftitution s’étende aux Ordres des Freres Prêcheurs , & 
des Freres Mineurs , à caufe de l'utilité évidente, qu’en re- 
çoit lEglife Univerfelle ,. | 


SSSR REÉESSESZSS 


Ceux-ci avoient cependant leurs adverfaires. Et,, au raport 


(1) Die decima fexta ejufdem menfis in | ravie unum ex Nuntis Tartaroram ) cum 
Quinta Seflione Frater Petrus Oftienfis Epif- | duobus fociis. G#l. Chrifi. T. IV , Col, cu. 
copus præfentibus omaibus Prælatis bapi- | 


Yyi 


LavReEe 
IV. 


INNOCENT V. 
D à 








XIX. 

En préfence de 
tout le Concile, il 
donne le Batème à 
trois Seigneurs 
Tartares. 


Fleuri , ibid, n. 47e 


XX. 
Décret contre Îa 
multiplication des 


Ordres Religieux, 


Fleuri, sbsd, n. 48, 


Spondan. ad As, 
1274 , LA 17: 


LIVRE 





INNOCENT V' 
D 


#* In MSS. 


XXI. 
Projet d'une Bul- 
le pour l'Election 
du Pape. 


XX. 
Sujet de Contefta- 
uon. 


Fleuri, ibid, n, 45. 


3:16 HISTOIRE DÉS HOMMES ILLUSTRES 


de Bernard Guidonis *, dès le commencement du Concile fe 
Pape avoit donné commiffion à deux Cardinaux , faint Bona- 
venture , & Pierre de Tarantaife, d'éxaminer les contefta- 
tions , qui étoient entre quelques-uns du Clergé Séculier , & 
les Religieux des deux Ordres. Après la mort du premier , le 
fecond demeura feul chargé de toute cette afaire : & la ma- 
niére pleine de fagefle, dm artialité, ou de modération, 
dont  la traita, fut fi agréable au Souverain Pontife, qu'it 
voulut que de part & d'autre on s’en tînt à là décifion du Care 
dinal d'Oftie. | | 

Mais de toutes les Conftitutions , dont on fit la lefture dans 
le fecond Concile de Lyon, la plus célébre , celle du moins 
qui rencontra les plus grandes dificultez , fut la Bulle qui ré- 


gloit la manière, dont on devoit procéder à l'avenir à l'Elec:. 


non d’un Pape. Les longues vacances du Saint Srège , & les 
maux fans nombre qui en étoient les fuites naturelles, avoient 
donné ocafion à ce Dies, par lequel Grégoire X, toujours 
zélé pour l'honneur & le repos de l’Eglife, fe propofoit de 
faire accélérer l'Eleétion de fes Succeffeurs , & prévenir tous 
les inconvéniens. Le projet de cette Bulle, dès qu'il eutéré 
communiqué aux Cardinaux, devint un fujet de contefta- 
tion , qui éclata bientôt entre le Chef & les premiers Princes 
de l’Eglife. Le Pape apelloit les Prélats fans les Cardinaux ; 
& les Cardinaux s’aflembloient tous les jours en Confiftoire 
fans le Pape. Ceux-ci prioient les Evêques de ne rien décider 
qu'après avoir oùr leurs raifons: & le Pontife de fon côté, 
aiant expliqué fes volontez , & ordonné le fecret fous peine 
d’excommunieation , fit confentir les Prélats , &rles engagea à 
métre leurs fceaux à la nouvelle Conftitution. La conjonéture 


_ ne pouvoit être plus délicate, furtout pour le Doïen des Car- 
_ dinaux, obligé en cette qualité de fe trouver à la tête des au- 


Conftitution du 
Couclavc. 


tres dans toutes leurs-Délibérations. La Rehgion , l'honneur, 
& le devoir étoient les grands principes, fur lefquels 1l fe dé- 
cidoit toujours ; & dans une afaire , où il paroifloit impoffi- 


ble de réunir les fentimens, il fe conduifit avec tant de Le | 


dence , de droiture & de candeur , que fans rien perdre de la 
confiance de fes Collégues, il fe sh end fans altération celle 
du Souverain Pontife. On en verra la preuve dans la fuite de. 
cette Hiftoire. +. 

Le Leëteur curieux ne fera pas fâché de trouver ici le précis 
de la Conftitution du Conclave , qui fit alors beaucoup de 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 3:57 | 
bruit ; & qui fut mife pour la premiére fois en éxécution, en LIVRE 
faveur de notre Çardinal, comme nous le dironsdans la fuite, ___ [V. 
Tout le contenu de cette Bulle fe réduit à ces treize ou qua- Innocent V. 
torze articles. | . a 

1°. Le Pape étant mort, les Cardinaux s’aflembleront dans gzovi. ad An. 1274; | 
ha Ville où il réfidoit avec fa Cour ; pour procéder à l'Eleétion "C{: purpura. p. 42. 
de fon Succefleur. 2°. On atendra pendant dix jours les Car- Pucheñne,T.Il,p. 
dinaux abfens : après quoi ceux qui fe trouveront fur le lieu, Fleuri, Liv, EXEXI , 
fe renfermeront dans le Palais, de le Pape, ou dans" 
celui de l'Evêque , dans le Diocèfe duquel il eft mort. 3°. Les 
Cardinaux qui n’entreront point dans le Conclave, pour 
uelque ibn ue ce puifle être, ne pourront donner leur 
ie. Et nul Cardinal préfent ne pourra être privé du droit 
d'élire, fous quelque prétexte que ce {oit. 4°. Non-feulement 
les Cardinaux abfens , mais les autres Fidéles, de quelqu'Or- 
dre , ou condition qu'ils foient , peuvent être élevés au Sou- 
verain Pontificat. $°. Les Cardinaux fe contengeront chacun 
d'un feul Serviteur, Clerc, ou Laïque, à leur choix { & en 
cas de maladie ; ils peuvent en avoir plufieurs pour les fervir. 
Ils logeront tous dans le même lieu, fans aucune féparation 
de muraille, leurs Cellules étant feulement féparées par des 
rideaux. Mais le lieu du Conclave fera fi bien fermé de toutes 
parts, que perfonne ne puifle y entrer , ni même en fortir hors 
fe cas de maladie. 
6°. Les Seigneurs du lieu , ou les Magiftrats chargés de la 
arde du Conclave, prêteront ferment aux Cardinaux , & 
Lu obéiront éxaétement pour veiller à leur füreté , & empé- 
cher tout ce qui pourroit leur caufer du trouble, ou de l'in- 
commodité. 7°. ani ne pourra aprocher les Cardinaux , 
ni parler à quelqu'un d'eux en fecret, que du confentement 
sde tous ; & pour l’afaire de l’'Ele@ion. 8°. Les Cardinaux ne 
quiteront point le Conclave , pour quelqueraifon , ou prétex- 
te que ce puifle être, rès avoir donné un Chef à l'Eglife, 
9°. Si quelqu'un des Cardinaux n’entre point dans le Concla- 
ve, ou 51} fe trouve obligé d'en fortir pour caufe manifefte de 
maladie , on continuera toujours à procéder à l'Eleétion : fi 
étant guéri 1} veut rentrer , ou fi ceux qui étoient abfens, ari- . 
vent après les dix jours, l’Éleétion n'étant pas encore faite , ils 
feront admis en l’état où l'afaire fe trouvera. 10°. S'il arive 
{ ce qu'à Dieu ne plaife } que trois jours après l'entrée des Car- 
dinaux dans le Conclave , ils n’ayent pas encore élû un Pape, 


Yyi. 





» 


358 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE les cinq'joursfuivans ils fe contenteront d’un feul plat tant à 
IV. diner , qu’à fouper. Mais après ces cinq jours, on ne leur don- 
Innocent V, nera plus que du pain, du vin, & de l’eau , jufqu’à ce que l'E- 
am” letion foit faite. 11°. Pen@ant le tems du Coasbne ,ilsnere- 
cevront rien de la Chambre Apoftolique , ni des autres reve- 
nus de l’Eglife Romaine : & ils ne fe mêleront d'aucune autre 
afaire que de l’'Elettion , fi ce n’eft en cas de péril , ou d’autres 
néceflitez évidentes. 

12°, Les Cardinaux ne feront entr’eux aucune convention, 
ni ferment, ni ne prendront aucun engagement ( contraire à la 
liberté de l'Eleétion ) ; mais ils procéderont dans cette grande 
afaire, de bonne foi, fans préjugé, & fans pañfhon , n’aïant 
en vûë que la gloire de Dieu, & l'utilité de l'Eglife. 13°. On 
ne reconnoîtra pour Souverain Pontife, que celui qui aura été 
élu par les deux tiers des Cardinaux préfens. Pendant la va- 
cance du Saint Siége , on fera par toute la Chrétienté des prié- 
res publiques pour l'Eleétion du Pape. 

el eft le fommaire de cette célébre Conftitution , que les 
Hiftoriens ne raportent pas tous de la même.maniére, peut- 
‘être à caufe de divers changemens , qui y ont été faits par quel- 

ques Succeffeurs de Gregoire X. 

XXIV. Ce Pape, après le Concile de Lyon, continua toujours à 
NL fe fervir des confeils, & du miniflére du Cardinal Evêque 
| node confian. d'Oftie. Il le nomma Grand Pénitencier de l’Eglife de Rome ; 
ce du Pape. & il voulut l'avoir auprès de lui, foit dans les arrangemens 

| qu'il fit, ou pour réformer divers abus dans le Clergé, ou 
our arêter le feu des divifions, qui recommençoient en Îta- 
fe entre les Guelfes & les Gibelins ; foit dans fes Conférences 
avec Alfonfe le Sage Roi de Caftille, & avec Rodolfe Roi 
des Romains : le premier étoit venu joindre le Pape à Beau- 

| caire fur le Rhône, & le fecond à Laufane en Suifle. ee 
XXV. Vers la fin de Décembre 1275 , Grégoire X étant arivé 
L'acompagne en aVec fes Cardinaux à Arezzo , dans le Téritoire de Florence, 
ftalic. il y tomba malade , & mourut le dixième de Janvier 1276, 
c'e quatre ans deux mois, & quinze jours de Pontificat. 
a Tous les Hiftoriens parlent des grandes vertus de ce pieux & 
Mort de Grégoi- Zélé Pontife. On aflure même , qu'il fe fit d'abord plufieurs 
rcX, miracles par fes intercefhons. Auf eft - 1l regarde comme 
Saint dans le Païs qui eft honoré de fes ol. La nou- 

velle Catédrale, bâtie à Arezzo dans le fiécle fuivant , porte 

{on nom. Les Aretins célébrent tous les ans fa Fête, & en- 








DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 359 


tretiennent continuellement une Lampe ardente devant fon LIVRE 
Tombeau. Quoiqu'il n’ait pas encore été canonifé dans les IV. 
formes ordinaires , on a fouvent parlé de fa Canonifation. INNOCENT V. 
Et M. Sponde raporte que de fon tems , la facrée Congré- = 
gation des Rits, après un férieux éxamen , avoit enfin dé- XXVIL 
Claré , qu'on avoit aflez de preuves des vertus héroïques de ne dec 
Grégoire X , ainfi que de celles de Pie V, pour qu'on pût ? | 
procéder à la Canonifation de l’un & de l'autre (1). | 

Dès que les Cardinaux eurent réndu les derniers devoirs à 
ce faint Pape, conformément à la Conftitution qu'il venoit 
de publier, ils entrérent en Conclave dans la Ville même 
d'Arezzo ; & il parut que le Saint-Efprit préfidoit à leurs Dé- 
libérations. Tous Les fufrages fe trouverent d’abord réünis en XXVIIL. 
faveur du Cardinal Evêque d'Oftie, qui futélû Pape levingt- Notre Cardinal 
uniéme de Janvier ; c’eft-à-dire , le Far jour du Con- ‘ ‘là Pape onze 

pe - F / | . Jours après la mort 

clave, onziéme depuis la mort de fon Prédéceffeur. I] orit de fon Prédécef- 
le nom d’Innocent V , & pour Devife ces paroles du "sh feur. 
phête : Oculi mei femper ad Dominum. Mes yeux regardent Tholom: Lucen. | 
toujours le Seigneur. Homme jufte , & felon le cœur de Dieu, Spondan | 
ilne s’étoit jamais éloigné de la voye des divins Commande- ,, "Liv, 
mens ; & le Seigneur l’avoit conduit comme par la main , h T 
pour le faire monter fur le premier Trône de l'Helife. | 
Une Eleétion faite avec autant de promtitude, que de con- 
corde & d'unanimité, nous fait connoître encore mieux ue 
Je témoignage même des Auteurs contemporains , les mérites 
fupérieurs de ce grand Hômme , & l’idée avantapeufe que les 
Eardinaux s’étoient formée de fes vertus & de fes talens. 
Quoiqu'élevé dans le Cloître depuis fon enfance , il parut né 
pour les grandes afaires , dès qu'il falut les traiter. À une raré 
piété & à la plus profonde érudition , H Joignoit une grandeur 
d'ame & une fermeté , querien n'ébranloit. Zélé , aétif, cha: 
ritable, il alloit toujours au bien par des moyens, qui fai: 
foient conrioitre que la prudence régloit fes pas , & que la fa- 
gefle infpiroit toutes fes démarches. | 

Les premiers foins du nouveau Pape , même avant fon XXIX 
Couronnement , furent confacrés à rétablir la paix parmi les Premiers foins 








(1). Paulo antequam hæc fcriberemus , ['nibus Cpræter prudentiam rerum agenda. 
cenfuit facra Rituum Ecclefiafticorum Con- | rum » fortitudinem animi, conteinptum 
Bregatio Romæ, de illius ( Gregoris X. )| divitiarum , & vitæ fanétitarem ) de fum. 
virtutibus , ficu & de Pii quinti , fatis con- | ma hnmanitate, & benignitate in pauperes, 

€ 5 ut poflit ad utriufque Canonifatio- | Sposdan. ad An, 1176, 5, 1. 
acm procedi, Commendatr autem ab om- : | 


/ 





LIVRE 


EE net 
INNOCENT V. 
Ru 4 





d'Innocent V, pour 
Ja paix & [a tran- 
quillité de l'Italie, 


XXX. 

11 exhorte la Ré- 
publique de Genes 
a encrer dans Îles 
mêmes vÜés, 


Bulfar. Ord. T, I, 
P- LIT 


360 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Peuples , & à banir les diffentions ou les difcordes alors fort 
allumées , furtout dans cette partie de la Ligurie , qu'on 
apelle aujourd’hui la Côte de Genes. Les uns ouvertement 
déclarés contre Charles I Roi de Sicile, & les autres forte- 
ment atachés à fes intérêts , fe faifoient une cruelle Guerre, 
tant au dedans qu'au dehors de leurs Villes. Et ce fut par la 
pacification de ces troubles , que le Vicaire de JESUS-CHRIST 
voulut commencer fon Pontificat. Il envoya pour cela aux 
Génois un Religieux de fon Ordre, d'un mérite fort diftin- 

ué. Il leur adrefla en même-tems fes Lettres Apoftoliques, 
us d’Ârezzo , & conçüés en ces termes : 


Dieu , au Sénat , aux Oficiers , & à la Communauté de 
Genes , &c. 

Au moment que par une fécrete difpofition de la Provi- 
dence , ce Roi LP pacifique , qui regarde avec com- 
plaifance ce quieft bas, & qui —. e ceux qui s'élévent, 
nous a apellés, fans aucun mérite de notre part , au Trône 
Apoftolique , Nous n'avons été ocupés que du défir de pro- 
curer Ja paix à tous les Peuples Chrétiens, & à vous particu- 
liérement , en qui l’Eglife Romaine fe glorifie d’avoir toujours 
trouvé une promte obéiflance , & une afeétion pleine de ref- 
peét .’. . . Nous n'avons pû , fans fentir un zéle de com- 
paflion qui a émû nos entrailles , confidérer toutes les fuites 
où vous expofent les cruels démêlez , que l'homme ennemi a 
fait naître entre vous & notre cher Fils le Roi de Sicile, au- 
quel anis de vos Vars illuftres Citoyens demeurent en- 
core fagement unis. Faifant donc atention aux périls dont 
vous êtes menacés, & cherchant avec la follicitude d'un 
pere à les détourner par un | airs reméde , Nous vous aver- 
tiflons , & par ces Lettres Apoftoliques , Nous vous ordon- 
nons expreflément d'entrer au plütôt dans des difpofitions de 

aix. Choififfez-donc parmi vous des Hommes fages & de 
Dos volonté, capables de vous procurer un fi grand avan- 
tage ; donnez-leur vos Inftruétions & vos Pouvoirs, & en- 
voyez-les Nous avant le fecond Dimanche du Carême pro- 
chain, afin que par notre médiation ils travaillent heureufe- 
ment à terminer tous vos diférends avec le Roi de Sicile. Nous 
efpérons que votre promte obéiflance fera abondanment ré- 
compenfée , par les fruits de bénédiétion que vous ne man: 
quérez 


Ï NNOCENT, élù Evêque, Serviteur des Serviteurs de 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 36r 


eregrpas d'en recueillir. Mais , afin que vous ne puifhez 
outer de nos favorables difpofitions à votre égard, Nous 
vous envoyons notre cher Fils Hugues des Ubertins , de l'Or- 
dre des Freres Prêcheurs , Profeffleur dans le Couvent de 
Sienne , Homme véritablement recommandable , autant par 
fes vertus que par fa doétrine , & dont les confeils ne pourront 
que vous être falutaires , fi vous voulez les écouter fans ai- 
greur , & les fuivre fidélement. 


Pendant que le Nonce Apoftolique s’aquitoit de fa Com- 
miffion à Genes , le Pape partit d’Arezzo pour fe rendre à 
Rome , où il fut couronné dans l’Eglife de faint Pierre , le 
premier Dimanche de Carême, vingt-troifiéme de Février 
1276. Les Lettres qu'il adreffa aufli-tôt aux Evêques , aux 
Princes Chrétiens & aux Républiques , étoient toutes rem- 
plies de ce zéle dont il étoit animé , & qu'il vouloit infpirer à 
tous les Chrétiens , afin de les réunir dans la défenfe de la 
Religion , vivement ataquée par les Infidéles , foit en Orient, 
{oit dans les Provinces du Nord , mais furtout dans les Roïau- 
mes d'Efpagne (1). Les Maures d'Afrique , unis à ceux 
du Royaume de Grenade, étoient entrés avec de grandes 
forces dans les Etats du Roi de Caftille & de Leon , & fem- 
bloient menacer la République Chrétienne d’une entiére 
défolation. Grégoire X , fur le premier bruit de la marche 
de ces barbares , avoit permis au Roi Catholique de faire le- 
ver les Décimes fur le Clergé ; & ss sh br 1 de Séville 
étoit en même-tems chargé de prêcher la Croifade , pour re- 
poufler les éforts des ennemis de l'Eglife. Innocent ÿ > non 
moins zélé pour les intérêts de la Religion , preffa encore 
plus vivement la levée d’un fecours fi néceffaire dans ces 
conjonétures critiques. Il étendit auffi fa follicitude Pañfto- 
rale fur les Fidéles de la Paleftine , dont il ne pouvoit ignorer 
les befoins , niles méprifer. Etil écrivit à l'Empereur Michel 
Paléologue , pour l’exhorter à métre 1£ derniére main à ce 
qui venoit d'être réglé dans le Concile général de Lyon, pour 
l'extinétion du Schifme & la réünion des Eglifes (2). 

(1) Perhorruit tunc Hifpania extremum 
difcrimen adiifle . ... In rebusadeo trepi 
dis Pontifex, facrum cecinit claflicum, ac 


Populos ad arma Capeflenda pro Chriftiana | 
caufa Apoñtolicis Litteris zelo ardentiflimis 


lico auxilio non deftituit , ad quas inftau- 
randas Fideles adhortatum , ac Palæolo- 
gum follicitaffe ut faétam in Concilio Lug 
unenfi Græcorum Ecclefiæ conjun&@io- 
nem , atque alia in eo Statuta confirmaret, 
incitavit. Odoric. #s fp.n. 10. ex Litreris fuo infertis loco colligitur. Ode. 
{2) Collapfas res Terræ Santtæ Apofto- | ris. ibid, 5, 24. 


ome L, LE 








Livre 
IV. 


INNOCENT Ve 
Re 4 





XXXI. 
Couronnemenr 
du nouveau Pape. 


Odoric. Rais, al 
As. 1276 


XXXII. 

Sa follicitude Pal 
torale pour les 
Chrétiens mena- 
cés dans les Pro< 
vinces d'Efpagne , 


XXXIII. 
Et dans la Palefc 
tinc. 


XXXIV. 
Sa Sainteté écrit 
à l'Empereur des 
Grecs. 


TK 


362 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Livre Si ce faint Pape , dès les premiers jours de fon Poatificat , 
IV. portoit fi loin fes atentions pour procurer le repos des Fi- 


Innocenr V. déles & le retour des Schifmatiques , il n’avoit garde de né- 


gliger cette portion du Troupeau qui l'environnoit. Floren- 
ce, Milan, Pavie, Véronne & plufeurs autres Villes d’Ita- 
lie, frapées d'anatheme, étoient depuis long-tems fous l’in- 
terdit, Des aucun éxercice public FAP L'indocilité 
de quelques faëtieux , ou for leur acharnement à fe dé- 
truire les uns les autres , & à méprifer tous les avertiflemens , 

les prières , les menaces des Souverains Pontifes , avoient 

atiré les foudres de l'Eglife fur leurs têtes coupables, & fur 

le Peuple , viétime A des pafions des Grands. Mais 

la charité du Pere commun le rendit fenfble à des maux qu’ils 

ne fentoient pas eux-rnêmes : il les prévint avec bonté , pour 

les engager à rentrer dans le devoir , & à mériter la grace de 

la réconciliation. Quelques-uns répondirent aux charitables 

intentions du Pontife. Et l'invincible opiniâtreté des au- 

tres les fit paroître toujours plus indignes du pardon qu’on 

XXXV. leur ofroit. Les Fiorentins furent des premiers, qui promi- 
gs rlrntirS rent de fe foumétre aux ordres de l'Eglife, en rétabliflant les 
F£glife. malheureufes Familles qu'on avoit injuftement dépouillées 


de leurs biens , & chaffées de la Ville : Sa Sainteté leva auff- 
tôt l'interdit , & les autres Cenfures dont Grégoire X avoit 


xXxvI.  frapé les Habitans de Florence (1). Ceux de Pavie & de 


se de Vérone, moins difpofés à la paix , ou plus endurcis dans 
FPE S Jeur rébélion , éprouvérent au contraire la jufte févérité du 
Pape. Il renouvella contre eux , & agrava même toutes les 
peines canoniques , dont le Saint Siège s’étoitfervijufqu'alors 
pour eflayer de domter leur orgueil (2). 
La Guerre allumée depuis long-tems entre les Pifans & 
les Luquois , atira encore les atentions du Vicaire de JE- 
sus-CHRIST. Îl confidéra avec douleur que ces deux Peu- 
ples , quoiqu'extrèmement afoiblis par leurs pertes, ne pa- 
_roiffoient ocupés que du défir de contenter leurs animofitez , 
& de continuer avec la même fureur à répandre du fang. 
35% Fed. Norz, Selon le témoignage de Tholomée de Luques, la Vilie de 
777 Pife étoit d'autant plus menacée de fa prochaine ruine, 
(1) Sciffæ quoque difcordiis Iraliæ curam { rebellium Ecclefix frangendam pervicaciam, 
gcc ( Jengcentsus ) Florentinos facris re- | cenfurasin papienfes, veronenfes,arque alios 
fituir, quos Gregorius interdito percule- | à Prædecefloribus contumaciæ damnatos 


tat. Odoric. ad An. 1176, n. 14. jeciffe , teftatur Joannes x x1, in fuis Diplo- 
(2) Innocentium porrd Apoltolico zelo ad | matibus adyerfus cos editis, Oderic. #. 18. 


en — 


J 
; 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 363 
tu'elle fe trouvoit ataquée tout à la fois au dedans & au de- 
hors. Une grande partie de la Tofcane étoit armée pour la 
détruire ; & fes propres Citoyens ne cefloient de la déchirer 

ar leurs haines implacables , leurs vengeances & leurs dif- 
Anis Cependant , au moment que tout fembloit défefpé- 
té , les foins , la vigilance du Saint Pere , & fes priéres peut- 
être autant que l’habileté de fes Légats ; unis aux Ambafla- 
deurs du Roi de Sicile ; fauvérent le Peuple de Pife (1), & 
rétablirent la paix dans la Tofcane. | 
_ Onaprit en même-tems à Rome, que l'Empereur Rodolfe 
fe préparoit à entrer en Italie avec une puiffantè Armée, fous 
prétexte de recevoir la Couronne Impériale des mains du Pa- 
pe ; & enéfet , pour faire valoir les droits de l'Empire prefque 
anéantis , ou trop méprifés depuis la dépofition de l'Empereur 
Frédéric IT. Mais la préfence u ce Prince &+t de fon Armée , en 
relevant le courage des Gibelins , pouvoit être funefte au re- 
pos de l'Italie , & rompre toutes les mefures que prenoit Inno- 
cent V, pour conferver ou rétablir la tranquillité publique dans 
les Provinces. La prudence du Saint Pere lui fit prévoir tous 
les inconvéniens que l'on devoit craindre ; & Sa Sainteté en- 
voya Bernard de Caftanet Evêque élù d’Albi , vers l'Empe- 
reur Rodolfe , pour le prier de remétre fon Expédition à 
un autre tems ; ou, felon l'expreffion d'un Auteur, pour 
lui défendre d'entrer en Italie, qu'après en avoir afluré le 
repos & la liberté par un Traité de paix avec le Roi des 
deux Siciles. Les Hiftoriens remarquent que cette fage po- 
litique d’Innocent V, fut depuis imitée par fes Succefleurs 
Adrien V , Jean XXI & Nicolas IIT (2). | 
La tendre afettion ; dontce Pape étoit toujours rempli pour 


fon Ordre, il la fit paroître dans toutes les ocafions : & nous 


en trouvons des preuves particuliéres, dans le Bref qu'il écri- 
vit au Chapitre Général des Dominicains aflemblé à Pife, au 
mois de May 1276."Après avoir témoigné combien :il fe 


(1) Pifanos , Lucenfefque mutuo cruen- 
tatos fanguinc, Legatorum fuorum & Ca- 
roli Oratorum operä .... mutuo fœdere 
conciliavit. Ibid, n. 14. 

(2) Non prætermittendum id etiam vi- 
detur , comparante in Italiam expeditionem 
Rodulpho Rege Romanorum , ut diffipata 
diuturno interregno Romani Imperii jura 
recuperaret, atque infignibus Imperialibus , 
fbi à Gregorio X promiflis, cingeretur , ve- 


tuiffe Innocentium , miffo ad ipfum Bernar- 


do Epifcopo Albienfi defignato, Italiam in- 
gredi, antequam cüm Carolo Sicilie Rege 
controverfias omnes firmiflimo fœdere con- 
ciliaflet ; ne nova bellorum difcrimina , ac 
Guelforum & Gibelinorum faétiones in mu- 


tuas cædes concitaret : qua in re Adrianum, 
‘Joannem , & Nicolium Succeflores , illius 


veftioiis inftitiffe viluri fumus. Odoric. ne 
f?. n. 24. : 
| Zz i 


LIVRE 
IV. 


INNOCENT V. 
NE EEUERS 





XXX VII. 


La Tofcane paci- 
fiéc, 


XXXVIIT. 

Le Pape ne per- 
met point à l'Em- 
pereur Rodolfe 
d'entrer en Italie. 


Il écrit au Cha- 
pe général de 
"Ordre des Frereë 
Prêcheurs. 


LIVRE 
IV. 


INNOCENT V. 
Dr "cs 





Bullar. Ord.T, 1, 
P-54ie 


XL. 
Informations 


pour la Canonifa- fation de la Bienheureufe Marguerite de 


164 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


reconnoifloit redevable à la divine bonté , qui l’avoit apellé 
dès fes jeunes années à une profeflion fi fainte , 1] exhorte tous 
les Religieux à en remplir avec un nouveau zéle tous les de- 
voirs, par le miniftére de la prédication, & la vertu de l’é- 
xemple. En même tems il leur donne trois avis propres à 
maintenir parmi eux le bon ordre , ou à augmenter la régula- 
rité. Le premier eft de ne point trop mulkiplier les Maifons ; 
furtout de n'en point _— dans les petits endroits, parce 
que la difperfion qu’il faudroit faire de bons Sujets, pour rem- 
plir ces nouveaux Monaftéres , ne pourroit qu'afoiblir les 
Communautez , & caufer ou de la difhpation dans les Infé- 
rieurs , ou de l'inquiétude pour les Supérieurs. Nous avons 
remarqué qu'il avoit lui-même fuivi cette maxime, lorfqu’ik 
étoit Provincial de la Province de France. Le fecond avertif- 
fement regardoit la réception des Novices , dans laquelle ce 
fage Pontife fouhaitoit qu’on füt très-circonfpelt , pour n’ad- 
mètre que ceux , en qui on reconnoitroit une véritable voca- 
tion , & toutes les qualitez néceffaires pour en remplir digne- 
ment les ue RC avis étoit encore d’une extrême confé- 
quence. Par le troifiéme enfin , Sa Sainteté recommandoit à 
tous les Supérieurs de ne laiffer jamais les fautes fans correc- 
tion, de rs que l'impunité ne les fit multiplier ; mais de ré- 
gler auf la févérité de la difcipline par la douceur de la cha- 
rité, qui feule peut rendre le remède utile, & la correétion 
profitable. 

Ce Bref, qu’on peut apeller la Lettre d’un Pere à fes chers. 
Enfans , Innocent V le termine ainf : “ Quoique nous nous 
trouvions prefque acablés par la multitude des foins , & des 
afaires , qui fe fuccédent, nous ne ceflons point de pen- 
fer à vous , & de prier avec ardeur pour l'avancement 
de votre Ordre , afin qu'il plaife au Seigneur de répan- 
dre toujours plus loin cette odeur de vie, qui fert à édi- 
fier les Peuples, & à les apeller au falut. Avec la grace du 
Très-Haut, & felon le bon plaifir de fa volonté , nous fe- 
rons toujours atentifs à vous favorifer , afin que ne man- 
» quant point de fecours temporels, vous fafliez toujours de 
» nouveaux progrès dans la Maifon du Seigneur ,. 

Ee Pape dre oire X avoit déja nommé des Commiffaires 
pour faire les hr qui F es a la Canoni- 

ongrie (1). Inno- 
(1) Cette fainte Princeffe , beaucoup plus illuftre par fes grandes vertus & fes mira- 


LS YLYYLEES SE 


Na 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 


365 


cent V reprit cette afaire , & fit expédier deux nouveaux 


Brefs , raportés 


ar Pierre-Marie Campi dans fon Hiftoire 


de l’'Eglife de Plaifance. Les Députez s’aquitérent de leur com- 
miflion avec autant de fuccès que de zéle : mais ils ne Es 


faire le raport qu’à un des Succeffeurs du faint Pape, 


ont le 


Pontificat fut trop court pour le bien de l'Eglife , & la confo- 


lation des gens de bien. 


Tous les jours du Serviteur de Dieu , on Se dire tous 
fes momens, étoient utilement remplis. 


ette muhiplicité 


d'ocupations , dont il fentoit le poids , ne l'empêchoit pas de 
prendre connoiffance de chaque afaire en particulier. Et, fans 
jamais négliger fes éxercices ordinaires de pénitence ou d'o- 
raifon , il fe livroit avec tant d'éfufion aux befoins de tous 
ceux qui avoient recours à lui, qu'on eût dit que les intérêts 
du moindre des Fidéles étoient les fiens propres. Auffi avoit-il 

déja fait de grandes chofes en fort peu de tems: & il en mé- 


ditoit de 
entre les 


lus grandes, foit pour l’afermiflement de la paix 
Ponte , ou les Princes Chrétiens ; foit pour la ré- 


forme des mœurs , & de la difcipline ; mais particuliérement 
pour la défenfe de la Religion, qu’il voioit avec douleur in- 
ultée , ou ataquée ei fes ennemis. La mort , pour le malheur 


de l'Eglife , renver 


a tous ces grands projets (1). Certe belle 
Fleur, à peine éclofe , felon l’expreffion d’un Auteur 
contemporain , fécha tout-a-coup. Après avoir rempli 


As Los 


e Saint 


Siège cinq mois , & deux joufs feulement, Innocent V mou- 
rut, dans la cinquante-uniéme année de fon âge, le 22 de 
Juin 1276 (2). Il fut enterré à faint Jean deLatran ; & Char- 


cles , que par le Sang Royal dont elle étoit | preventus non potuit adimplere : 


fed prob 


iffuë , n'a pas encore reçü les honneurs de | dolor ! Mox in fuo ortu'exaruit Flos deco. 


la Canonifation. Mais toutes les Eglifes de 
Hongrie , depuis plufieurs fiécles , lui ren- 
dent un Culte public. Et les Freres Pré- 
cheurs , dans le même Royaume , en font 
Ja Fête le dix-huitiéme de Janvier, par un 
Décret du Pape Pie II. François San{ovini, 
Auteur Italien , la met parmiles Saintes qui 
ont illuftré la Maiïfon des Urfins. Hif. di 
Cafa Orfinsa, Pars. II, Lib. I, p. 7. 

(5) Ingenris alia molicbatur Innocentius 
confilia ad rem Chriflisnam defendendsm , 
augendamaque ; CN e8 MOTS, BiMiNM Hni- 
verfe acerba Ecclefia , que magnam de illius 
Pontificatu expeitasionem conceperat , fre- 
£tt. Quod deplorat his verbis Bernardus : 
. hic licèr mulia facere propofuiffet , morte 


rus, &c. Odoric. a4 An. 1176, n. 25. 

(2) Cette année eft mémorable par la 
mort de trois Papes, & l'Exaltation d'un 
ns Grégoire X mourut le dixiéme 

€ Janvier ; Innocent V le vingt. deuxiéme 
de Juin ; Adrien V le dix-huitiéme d'Août. 
Jean XXI, élu le feiziéme de Septembre, 
ne remplit la Chaire de faint Pierre que pen- 
dant huit mois ; fa mort ariva le feiziéme de 
Mai 1277. On peut cependant remarquer 
dans la promte Eleétion de ces trois derniers 
Pontifes , le bon éfet qu'avoit produit la 
Conftitution de Grégoire X ; Conftiturion 
méditée avec foin, & portée avec tant de 





INNOCENT V. 
D de 4 





tion de la B. Mar. 
guerite de Hon- 
gric. 


XLI. 
Mort du Pape In- 
nocent V. 


fagefle pour l'avantage de l'Eglife Uni- 
ver{elle. | 


Lzii] 





LIVRE 


INNocENT V. 
A 





XLII. 


Ouvrages de ce 


Pape. 


366 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


les TI, Roi de Sicie afñita à fes funérailles, pour honorer Ia 
mémoire d'un faint Pontife , qui avoit eu pour lui les fenti- 
mens, que tous les Papes du même Ordre ont toujours fait 
paroître envers les Princes de la Maïfon de France. 
Innocent V , auf favant que pieux, nous a laiffé plufieurs 
Ouvrages, qui lui ont mérité un rang parmi les Interprètes 
de l'Ecriture , & les célébres Dofteurs de l'Ecole. Outre fes 
Commentaires fur la Genefe, l'Exode , le Lévitique , les Nom- 
bres , & le Deutéronome , fur l'Evangile felon faint Luc , & 
fur toutes les Epîtres de faint Paul , Sixte de Sienne fait men- 
tion d’un autre Commentaire du même Auteur fur les Pfeau- 
mes, & fur le Cantique des Cantiques. M. Düpin dit que 


nous avons de lui un Abrégé de Théologie, imprimé à Paris 


| Vide Echard. TI, 
be 353: 354 


XLIII. 
Son arachement 
2 la Doctrine de 
S. Thomas. 


l'an 1$$1, mais les Savans ne conviennent pas que ce dernier 
Ouvrage f{oit d'Innocent V. | | 

Ses Corine fur les quatre Livres des Sentences font 
particuliérement eftimés. M. Sponde , & Don Denis les apel- 
eh une excélente produétion d’un génie élevé (1). Sixte de 
Sienne femble les avoir confidérés comme un précis de tous 
les Ouvrages de faint Thomas (2). C'eft en éfet dans ces 
Commentaires qu'on remarque l’atachement de Pierre de Ta- 
rantaife à la doétrine du faint Doëteur. Thomas Turcus , Gé- 
néral de l'Ordre des Freres Prêcheurs, les a fait imprimer à 
Touloufe, par les foins du célébre Antonin Réginal, quia 
mis à la tête du Livre les éloges que les plus _ Per{o- 
nages avoient faits du mérite, des vertus, & de l'Erudition 
du Pape Innocent V. | 

Si dès fon vivant il eut quelques adverfaires de fa doërine, 
on peut croire que leur critique ne parut qu'après fa mort ; il 
eft du moins fort probable que l'Opufcule écrit pour la jufti- 
fication de Pierre de Tarantaife , qu'on trouve parmi les Œu- 
vres de faint Thomas, n’eft ni de ce Pape, ni du Doéteur An- 

élique , comme nous l'avons remarqué ailleurs après le Pere 


chard. 


_ (x) Extant multa & præclara nobilisin- F. Antonini Reginaldi. Gal. Chrifi. T. IV, 


genii Scriptorum monumenta ante Pontifi- | C. cc. ù 
catum exarata, &c. Spondan. de Inne. V , (2) Innocentius . ...vir certé in divinis 
sd An. 1276, n. 3. Scripturis eruditifimus ....omnia opera 


Extant multæ nobilis ingenii lucubratio- | D.Thomæ in Epiromen redegit, & magnam 
nes , ante Pontificatum exaratæ, & typis | fuæcruditionis laudem acquihivit, &c. Six, 
mandatæ Tolofæ operà viri doétifluni R. D. | Sesenf. is Biblios, Sanct, Lib. IV, p.176. 


, DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 367 





| IVR 
SEE Dre Ro Best 2 3e e 30e 3e Ne 
_ ANDRÉ D'ALBALATE. 
EVÊQUE DE VALENCE EN ESPAGNE, 
CHANCELIER DU ROI D'ARAGON, 
ET SON AMBASSADEUR AUPRES DU S, SIÉGE. - 
N Aspar EsooraNo, Auteur Efpagnol , nous aprend, Axpre' 


| dans fon Hiftoire du Roiïaume de Valence, que l'illuftre p’ArsarAre. 
Maion d’Alhalate tiroit fon origine du Sang Roïal d'Aragon. 
Mais les grands Hommes, que cette ancienne Famille a don: 1v.m, col. rx. 

nés à l'Eglife , & à l'Etat, particuliérement dans le treizième Echard. T.1, p. 360. 
fiécle , n'ont pas été moins recommandables par leurs belles L 
aétions, que par leur noblefle. Pierre d'Albalate , Archevêque  Illuftre naiffance 
de Tarragone, & fon frere André , Evêque de Valence , qui Fone d'Alba- 

rempliffoient dans k même rems ces deux Siéges , nous four- ” 

niroient les preuves de ce fait, finous avions à écrire l'Hif- 

toire de l’un & de l'autre. Celle du premier n’entre point dans 

notre deflein : & le fecond eft affez illuftré par fes propres 

vertus, & par tous les emplois qu’il a r.àplis. 

Nous avons remarqué ailleurs que le Roi d'Aragon , Don , Pans La vie de s, 
Jäques I, après une longue fuite de viétoires , & de conqué- De er 
tes, aïant enfin chaflé les Sarafins de tout le Roïaume de Va- 
lence , fit ériger un Siège Epifcopal dans la Capitale du Païs 
conquis ; & donna fes Fes Patentes , datées du mois d’A- 
vril 1239, pour la fondation d'un Couvent des Freres Pré- 
cheurs dans la même Ville. Le célébre Michel de Fabra, Dif- 
ciple de faint Dominique , & alors Confefleur du Roi, fut 
chargé de faire bâtir cette premiére Maifon Religieufe , dans 
un Roïaume, où:depuis plufieurs fiécles on ne connoiffoit 
d'autre Loi que celle de l'Impofteur Mahomet. Mais le mo- 
ment étoit venu , Où la lumiére de l'Evangile devoit diffiver 
les ténébres de l'erreur , & abolir les ot, Le Ciel bé- 
niflant les pieufes intentions du Prince, & le zéle du Pere 
Michel; le nouveau Monaftére étoit à peine achevé, qu'on 
le vit rempli de faints Religieux, dont les beaux éxemples , 

&c les travaux apoftoliques contribuérent également à l'inf- 





.._ 368 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE trudion des Peuples, & à leur converfion. Le jeune André 
IV. d'Albalate eft comté parmi les premiers , qui embrafférent 
Anore”  linftitut de faint Dominique dans le Couvent de Valence. 
p'Azsazare. Comme il avoit {ü profiter de l'éducation, que lui avoient 
a” Jonné fes illuftres parens, pour aprendre tout ce qui pouvoit 
II. faire honneur à un homme de fa naiflance, il fe rendit auf 
Il a &é an des docile aux inftruétions de fes Maîtres dans le Cloiître, & fi 
premiers Relisieux - ne : 
du Couvent de Va- atentif à imiter leurs éxemples de vertu, que , dans un âge 
lence. encore peu avancé , il fut jugé digne d'être placé parmi les 
Princes de l'Eglife , & en état de conduire fagement un grand 
Diocèfe. | 
” Ce fut en 1248 que le fecond Evêque de Valence, Arnaud 
de Peralta , aïant èté transféré à l'Archevêché de Saragofe, 
le Chapitre s’afflembla pour élire fon Succefleur. Les Chanoi- 
nes ne purent cependant s’acorder en faveur d'un Sujet ; mais 
ils firent un compromis entre les mains de Pierre d’Albalate 
Archevêque de | enr , de Don Martin Archidiacre de 
Valence , & de Dominique Chantre de la même Eglife , 
: avec promefle de reconnoitre pour leur Evêque celui que les 
III. trois Arbitres nommeroient. Le Pere André d’'Albalate é trou- 
Etletroifiéme® voit le premier dans la lifte préfentée par le Chapitre; & il 
lu ks fut élu tout d'une voix par les trois , à qui on avoit déféré le 
Maurcs. droit de choifir. Le Clergé & le Peuple aplaudirent à l'Elec- 
tion : le Pape Innocent IV Ia confirma ; mais elle fut parti- 
culiérement agréable au Roi d'Aragon , qui voulut donner en 
même tems une marque de fon eftime, pour le Prélat, en le 
nommant {on Chancelier dans le Roiïaume de Valence. 
__ Si le nouvel Evêque ne refufa point cette Charge, qui le 
métoit en état de conferver la bonne intelligence entre les 
Oficiers du Prince, & les Miniftres de FAutel, il n’en prit 
as ocafion de négliger fon Troupeau , ou d'en commétre le 
Zéle à vieil _— Li & la conduite à un autre. Pendant vingt-neuf ans qu'il 
dupieux Pré.  gouverna fon Eglife, il ne parut atentif qu’à lui procurer tou- 
tes fortes de biens fpirituels & temporels : & fes autres ocu- 
pations , Le EE Lt om qu'elles puffent être , cédérent 
toujours à celle-ci. Dans les Archives de l'Eglife de Valence, 
on voit encore aujourd'hui les Statuts dreflés , ou publiés dans 
fept diférens Synodes , que ce zélé Pafteur avoit afflemblés , 
our régler avec fon Clergé tout ce qui pouvoit apartenir au 
ee ordre dans fon Diocèfe ; c’eft-à-dire, au culte divin, à 
la Difcipline écléfiaftique, à l'honnêteté , à la bienféance , à la 
: | fubordination 


V. 
Synodes fréquens. 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 3:69 


fubordination des Clercs, aux mœurs des Fidéles , à l’entre- 
tien, & à l’adminiftration des Hôpitaux, à l'ufage des Sacre- 
mens , furtout à l'inftru@tion de la À Ena e L'Auteur Ef{pa- 
gnol, que nous avons déja cité, a fait un Abrépé de ces Sta- 
tuts Synodaux , qu’il a inféré dans fon Hiftoire , pour inf- 
truire, dit-il, la poftérité, du zéle, & de la folicitude Pafto- 
rale de ce religieux Prélat. . 

Une de fes principales atentions fut de pourvoir les Eglifes, 
& particuliérement les Paroiffes, foit de la Ville, ou de la 
Campagne , de Miniftres pieux & favans, propres à édifier 
les anciens Chrétiens, & capables d’inftruire les nouveaux 
Convertis, ou d’atirer à la Foi ce grand nombre de Juifs, & 
de Maures , qui fe trouvoient encore mêlés parini les Fidéles. 
Son Diocèfe , alors auffi étendu que le Roïaume même de 
Valence, il le confidéroit comme un vafte champ, d'autant 
plus dificile à défricher, que pendant une longue fuite de fié- 
cles, 1l n'avoit porté que des fruits de mort, des ronces, & 
des épines. Mais la grandeur du travail ne put décourager le 
Serviteur de Dieu ; i apella à fon fecours de dignes coopéra- 
teurs de fon zéle ; &1il en forma lui-même plufeurs , qui tra- 
vaillérent long-tems, & avec fuccès à la Vigne du Seigneur. 
Toujours le premier à métre la main à l'œuvre, il les animoit 
&t les eut par fes éxemples. Sa charité envers les pau- 
vres lui faifoit répandre en aumônes, non-feulement les reve- 
nus de fon Evêché , mais encore une partie de fes penfions, 
ou des bienfaits qu'il recevoit du Roi. 

Il ne fit pas moins éclater fa libéralité à l'égard des Maïfons 
Religieufes ; il en embellit quelques-unes ; & ilen fonda quel- 

ues autres. Celle de fon Ordre avoit été bâtie hors des murs 
de la Ville; la fituation en étoit belle & commibde ; mais elle 
fe trouvoit expofée aux infultes des Maures , peu acoutumés à 
obéir aux Princes Chrétiens , & encore aflez puiffans dans le 
Pais pour former quelque entreprife. Le prudent Evêque fit 
une grande dépenfe pour étendre l'enceinte de la Ville du côté 
de la Riviére, apellée Guadalaviar , afin de métre en fureté 
Le Monaftére , où il avoit pris l’'Habit de Religieux. Les Peres 
Chartreux, ufqu’alors inconnus dans les Roïaumes d’Ara- 
gon , & de Vies » y furent apellés par André d’Alba- 
ate, qui leur procura un établiflement , & des revenus fort 
confidérables : 1l donna le nom de Porta Cæli au magnifique 

Couvent qu'il leur fit bâtir, | 
Tome L. Aaa 


æ 


LIVRE 
IV. 


ANDRE’ 
D’'ALBALATE. 
NAMERNERECTENS 








VI. 

Il choifit de bons 
Miniftres , & il 
leut donne l'éxem< 
ple. 


VIT. 
Charité envers 
les Pauvres, 


VIN. 
Et les Mailons 
Religieufes. 


IX, 
L'Evèque de Va- 
lence apelle les PP. 
Chartreux, & leur 
fait bâtir un Cou- 
vent. 


LIVRE 


ANDRE” 
D'ÂALBALATE. 
D A 

FRS re 
X. 
Il augmente les 
revenus & le nom- 


bre des Prébendes 
de fon Chapitre. 


XI. 

Il fait ceffer les 
ditputes entre les 
Cficiers du Roi & 
Jcs Miniftres de 
l'Eglife, 


\ 


Petr. Marfilli, in 
Vita D, Jacobi I. 

Diagus, Hift, Prov. 
Arago, 


370 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


L'Eglife Cathédrale de Valence éprouva auffi en plus d'une 
maniére que le zéle de fon Evêque, dans tout ce qui pouvoit 
apartenir à la majefté du fervice divin, n’avoit d’autres bor- 
nes que celles de fes facultez. Par une fage œconomie il aug- 
menta de beaucoup les revenus du Chapitre , auff bien done, 
nombre des Miniftres deftinés à chanter les Louanges du Sei- 
gneur : dès l’an 1259 1lavoit déja fondé, & doté douze nou- 
velles Prébendes. | les befoins de l'Etat, cinq ans 
après , l'obligérent à acorder au Roi Jâques I les décimes, 
qui parurent néceflaires pour les frais de la guerre contre les 
Infidéles , l'habile Prélat fut en même tems dédommager avan- 
tageufement fon Eglife , en perfuadant au Prince de lui céder 

our toujours, foit dans l’Aragon, ou fur les Côtes de la 
Mer , quelques Châteaux, & divers Villages, qui ont été 
depuis de la Jurifdiétion de l'Eglife de Valence. Par cetacord, 
{elon la remarque des Hiitoriens , notre Prélat termina heu- 
reufement plufieurs difputes , & fit cefler les conteftations, 

ui troubloient de tems en tems la bonne intelligence entre 
es Miniftres , & ceux de Sa Majefté. André d’Albalate étoit 
d'autant plus en état de concilier les intérêts des uns & des 
autres, qu'avec beaucoup de zéle pour honneur de la Re- 
Hgion , À s’étoit toujours confervé la confiance entiére de 
fon Souverain. Il n’en abufa jamais; mais auf la crainte de 
la perdre , ne put lui faire oublier ce qu'il fe devoit à lui-mèê- 
me , & ce qui étoit dû aux Peuples, dont 1l n'étoit pas moins 
le Pafteur & le pere , que le Miniftre du Roi. | 

Ces fentimens de Juitice , d'équité & de modération qu'on 
Jui connoifloit , firent que dans les conjon@ures les plus criti- 

ues , 1l rendit des fervices importans au Prince & à l'Etat. 

n voici quelques preuves, prifes de l'Hiftoire d'Efpagne. 
Les Guerres continuelles que | le Conquérant foutenoit 
depuis plufieurs années contre les Sarafins , l'avoient mis 
dans la néceflité de faire lever des impots extraordinaires , 

ue fes Sujets ne portoient qu'impatiemment. L'an 1264, ce 
ppt. : réfolu de reprendre les armes , pour chaffer les 
Infidéles du Royaume de Murcie, tandis que le Roi de Caf- 
tille les ataqueroit dans celui de Grenade ; ii demanda de nou- 
veaux fecours pour fubvenir aux dépenfes de la Guerre. No- 
tre Prélat , Chancelier du Royaume de Valence , trouva le 
fécret de contenter les défirs du Prince , fans fouler les Peu- 
ples. La levée des deniers fe fit dans le Royaume fans plain- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 37: 


tes, ou du moins fans émotion , nitumulte. Il n’en fut pas de 
même dans les Etats de Catalogne affemblés à Barcelone, où 
la préfence même du Souverain ne put empêcher , qu'un Par- 
ticulier ne s’opofât fortement à ces nouvelles impofitions , 
qu'il apelloit exceffives , propres à ruiner la Province & à 
oprimer la liberté des Peuples , en renverfant toutes les Loix 


du Pais. Les Seigneurs d'Aragon & la fimple Nobleffe , trop 


jaloufe de fes priviléges , portérent encore plus loin leurs 
opofitions dans les Etats de Saragoffe. On vit éclater tout-à- 
coup une efpéce de révolte jufques dans la Famille Royale. 
L'Infant Don Ferdinand Sanchez , Fils du Roi d'Aragon, & 
Don Simon d’Urrea fon Beaupere , fe déclarerent haute- 
ment, & fe rairent à la tête des ot , fous prétexte du 
bien public. Ils alérent même fiavant, qu'ils fortirent de l’Af- 
femblée & fe retirérent à Alagon, réfolus de s’opofer de toutes 
leurs forces à leur Souverain, & à l’éxécution de fes ordres. 
Jamais broüillerie , ajoute l’'Hiftorien Efpagnol , ne vint 
plus à contre-tems. Les Efprits de ne & s'échaufoient 
de part & d'autre ; & peut-être en feroit-on venu aux armes, 
fi Fu perfonnes de probité ne fe fuflent mifes en devoir de mé- 
nager quelqu'acomodement. Ce fut dans ces circonftances 
que Don Jäques 1, pour fe métre en état de pouffer fes con- 
uêtes fur les Infidéles , & de ne pas craindre une partie de 
on propres Sujets , apaifés en aparence fans être peut-être 


_ mieux intentionnés , réfolut d'envoyer des Ambañladeurs au 


Pape Urbain IV, afin d'obtenir de Sa Sainteté la permiffion 
de faire prêcher la Croifade contre les Maures , & de lever 
les Décimes fur le Clergé. Notre Prélat, chargé de cette 
Ambañffade , fe rendit en diligence auprès du Saint Pere , 


_ qu’il trouva à Péroufe le vingt-troifiéme de Mai 1264. La 


ulle qu'il demandoit fut auffi-tôt expédiée , & adreflée à 
Pierre d'Albalate Archevêquede Taragone. On fait que les 
fuites en furent également glorieufes à l'Eglife & à l'Etat. Les 
Ennemis du nom Chrétien , humiliés dans le Royaume de 
Grenade , devinrent Tributaires de la Couronne de Caftille. 
Et le Roi d'Aragon, après leur avoir enlevé plufeurs For- 


terefles, avec fa valeur & fa rapidité ordinaire , s'étant pré- 


fenté devant Murcie, Capitale du Royaume de ce nom, il 
preffa fi vivement les Barbares, qu'il les réduifit à la néceffité 
de capituler, & de remétre entre fes mains les clés d’une 
Place , qui avoit pañlé jufqu’alors pour 7. 

aa 1} 


LIVRE 
IV. 


ANDRE’ 


D'ALBALATE. 
a 








Mariana, Hift. d'Ef- 
pagnc ,; Liv. XII, 
P- 95» 964 


XII. 
Le Roi Don Jà- 
ie , le nomme 
on Ambaffadeur 
auprès du Pape. 


XIII. 
Succes de cette 
Ambailade. 


LIVRE 
IV. 


ANDRE 


D'ALBALATE. 
RE 








Pie screens à 


L'an 1274. 


XIV. 

Le Roi d'Aragon 
vient en France : 
notre Prélat l'a- 
compagne. 


372 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


De tous ces avantages , qu'on ne pouvoit regarder d'un œil 
indiférent , notre pieux Evêque en tiroit un jufte motif de ren- 
dre à Dieu fes humbles a@ions de graces, d’infpirer à tous 
les Fidéles de fon Diocèfe les fentimens dont il étoit lui-même 
pénétré , & de travailler avec une nouvelle ardeur à la con- 
verfion des pécheurs & des Infidéles. A cela il confacroit fes 
vifites Paftorales , fes prédications , & tous les autres moyens 
que lui infpiroit le zéle le plus ardent. Il ne fe lafloit point de 
travailler , parce que fon travail étoit ordinairementutile , &c 
aux domeftiques à la Foi, & à ceux qui en avoient long- 
tems ête les perfécuteurs ou les Pr pan ne trouvoit point 
la même facilité à détourner le Prince de fes amours illicites , 
on peut du moins aflurer qu'il ne flata jamais fa pafñon. IE 
lui parla toujours en Evêque ; & cette généreufe liberté ne 
diminua rien de l'amitié , dont le Roi continuoit toujours à 
l'honorer. 

Ce Monarque en donna une nouvelle preuve, [orfqu'in- 
vité par le Pape Grégoire X à fe trouver au fecond Concile 

énéral de Lyon, 1l voulut avoir l’'Evêque de Valence parmi 
u plus fidèles Confeillers qui le fuivirenten France. L'Infant 
Don Pedre , héritier préfomptif de la Couronne , chargea 
en même-tems notre rélar de fes intérêts particuliers , afn 
que , s’il étoit néceflaire, il püt agir dans le Concile & ré- 
pondre en fon nom. L'intention fécrete du Roï d'Aragon, 
auffi ami de l'éclat , que de fes plaïfirs , étoit de fe faire cou- 
ronner par le Pape , dans l’Affemblée des Princes & des Evé- 
ques. Cf ce qui lui avoit fait entreprendre un ” voiage, 
malgré le poids de fes années & de fes infirmitez. Il croyoit 
que les importans fervices qu’il avoit rendus à la Chrétienté , 
par trente Batailles Les fur les Maures , lui avoient bien 
mérité cette efpéce de triomphe. Etil s’étoit propofé de faire 
des dépenfes extraordinaires en cette ocafon , pour paroître 
avec toute la gloire d’un grand Conquérant ; mais Dieu ne 
permit pas œil fut enyvré de la fumée de cet encens FE ar- 
denment défiré. Le Pat Pontife , bien éloigné de ré- 
pondre aux intentions du Prince, refufa de lui métre la Cou- 
ronne fur la tête , qu'il n'eut auparavant aquité le tribut , 
que Pierre d'Aragon fon pere s'étoit engagé de payer tous les 
ans au Saint Siége. Extrêmément choqué de cette prapofi- 
tion, JâäquesI, s’en retourna aufli-tôt, fort mécontent des 
Romains ; parce qu'il regardoit { dit un Hiftorien de la Na- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 373 


tion ) comme une chofe indigne de la Majefté du Trône, de 
rendre tributaire d'un Prince étranger, un Royaume que fes 
Ancêtres avoient conquis à la pointe de l'épée. 

Cependant l’'Evêque de Valence s'arêta à Lyon, foit pour 
prendre fon rang dans le Concile, foit pour y veiller à tout 
ce qui pouvoit regarder les afaires du Roi fon Maître, ou les 
intérêts de linfant Don Pedre. Les mêmes raifons l’oblige- 
rent d'acompagner le ok en Îtalie ; où , pendant deux ans 
& quelques mois qu’il paffa à la fuite de la Cour de Rome , il 


Livre 


ANDRE’ 


D’ALBALATE. 


D à 
XV 


Il ‘affifte au C2 
cond Concile gé« 
néral de Lyon. 


XVI 


{e fit eftimer de quatre Souverains Pontifes. Ilfe trouva à la 11 vaune feconde 
mort de Grégoire X ; il vit le commencement & la fin du fois en Italie. 


Pontificat d'Innocent V , & d’Adrien V fon Succefleur. Etant 
enfin à Viterbe auprès dü Pape Jean XXI, au mois de Mars 
1277 , le pieux Prélat y termina fa carriére, orné des vertus 
chrétiennes , religieufes , épifcopales , & fincérement regrété 
des Gens de bien , comme un pe > Qui, ayant fçu réu- 
nir tous les devoirs, & métre fes talens à profit , avoit tou- 
‘jours vécu pour Dieu , pour l’Eglife & pour l'Etat. Son 
Corps, transféré depuis en Efpagne, fut enterré dans l'E- 

life Cathédrale de Vince , à côté du Maitre-Autel. Les 
Pauvres furent fes héritiers , & leurs larmes firent fon Eloge 
funébre. : | 

Excepté les A&es Synodaux , dont on a déja parlé, nous 
n'avons aucun Ouvrage de famain. Cependant, ni fes ocu- 

ations , n1 fes Emplois , ne l'empêcherent point de cultiver 
si Siences , de favorifer les Etudes, d'aimer & de protéger 

toujours les Savans. Thierri (ou Théodoric}) , Dominicain 
Catalan , Chapelain & Pénitencier du Pape, ne fut pas le 
feul de fon FE A » qui fe fir un plaïfir de dédier fes Ouvrages 
à André d'Albalate , & de reconnoître que la proteétion , 
dont ce grand Evêque honoroit les Auteurs , enrichifloit tous 
les jours la République des Lettres. 

Il ne faut pas Pa Le (comme l'ont fait quelques Ecri- 
vains ) les Ouvrages de Thierri , Efpagnol de Nation ) avec 
ceux d’un autre Savant du même Ordre , Qui portoit le même 
nom, & vivoit dans le même fiécle. Ce Fi , natif d'une 
noble Famille de Luques en Tofcane , après avoir long- 


XVII. 
Sa mort à Viterbe. 


Echard, T. I, p. 3565 


tems édifié fes Freres & les Fidéles, par l'éclat de fes ver- 


tus , fut élevé fur le Siège Epifcopal de Cervia, Ville de 

l'Etat de l’'Eglife dans la Ps , & mourut faintement 

à Bologne dans la quatre-vingt-treiziéme année de fon âge. 
À aa ii] 


LIVRE 
"IV. 


__ ANDRE? 
D'ALBALATE. 
D 0... à 
Lib. III, de Viris 
Jluftrib. fol, 320, 


MARTIN 


POLONOIS. 
a 


Tholo. Lucen. 
Bern. Guido.  Od 
tic. Rain. 
Spondan. Nat. Alex, 

Echard, Fleuri, 
Dupiu. 


374 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Il avoit gouverné fon Diocèfe pendant quarante-deux ans ; 
felon Léandre Albert ; ou vingt-huit feulement , fuivant 
l'Abé Ughel , qui met le commencement de fon E ifcopat 
en 1270, & fa mort en l'année 1298 (1). La fuite ha Evé- 
es de Cervia, raportée par Ughel , dans fon fecond To- 
me de l'Italie Sacrée ,. nous oblige de préferer fon fentiment 
à celui de Léandre Albert : car , pour donner quarante- 
deux ans d'Epifcopat à Thierri de {a ues , il 1 ans dé- 
placer deux de fes Prédéceffeurs dans le diége de Cervia. 


SESVSPSP SIENS PES SE SPAM EP EN ETS E SE 
MARTIN POLONOIS,; 


PENITENCIER DU PAPE, 


ARCHEVÈQUE DE GNESNE, 
E T Ù 


PRIMAT DE POLOGNE. 


ARTIN , Polonois de Nation , Homme favant & ver- 
tueux , très-diftingué par les Emplois qu'il a remplis 
auprès de fix Papes , & célébre dans la Répub ique des Let- 
tres par les Ecrits qu’il nous a laiffés , étoit entré dans l'Ordre 


Bovi, des FF. Prêcheurs , déja du vivant de faint Hyacinthe , Fon- 


dateur de la Province de Pologne. Les Hiftoriens , qui l'ont 
fouvent confwndu avec un autre Auteur Archevêque de Co- 
fenza dans le Roïaume de Naples , ne s’acordent guéres fur le 
lieu de {a naïffance , & ils ont extrêmement embarrafñlé l’'Hif- 
toire de fa Vie (2). Le plan que nous nous fommes faits de ne 
rien avancer fans preuve , ne nous permet point d'adopter ce 


que ces Ecrivains n’avancent eux-mêmes , que fur une faufle 


(x) Frater Theodoricus Burgundionus[ (2) Frater Martinus Polonus Auétor ætae 


Lucenfis , ex Ordine Prædicatorum , vir 
longè doétifimus , ad Cervienfem Sedem 
pervenit anno 1270 ; quam ille Ecclefiam 
piè , fanétèque rexit plures annos. Bono- 
niæ deceflit 1298 ; fepultufque eft apud fan- 
étum Dominicum propè majus altarc, Iral. 
Sacr. T. II , Col, coccLxxut. 


te fua, & fequentibus celebris, pofteriori- 
bus his fæculis ex vario præcipiti & impe- 
rito plurium nomenclatorum criterio quo- 
ad patriam, ætatem, profeflionem, off- 
cia, dignitates, obitum, fcripta, tot te 
nebris afperfus eft, ut jam vix agnofcatur, 
Echard , T.I s ?: 361. 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 37: 


fupofñition , ni de fupléer à leur filence par des conjeétures ha- Livre 

zardées , & peut-être peu conformes à la vérité hiftorique. IV. 
Simon Starovolski dit que Martin Polonois étoit iflu de  Manrix 

Parens très-nobles , & ue ne fut pas moins l’ornement de fa  Pozonois. 

Famille par fes grandes vertus , que la lumiere de toute la Po- 

logne , qu’ila le premier illuftrée par de favans Ouvrages (1). 

Cet Auteur cependant ne nous a point apris dans quelle Vil- 

le , ou dans quelle Province l'illuftre Polonois étoit né. Un 

autre Ecrivain , fuivi parle Pere Echard, prétend qu'il avoit 

recu l’habit de Religieux à Troppau , Ville de Bohëme dansla 

Haute Silefie , mais alors unie au Royaume de Pologne. 

Ayant été envoyé par fes D rie en italie , foit pour ÿ 
continuer fes Etudes , & s’y perfe&ionner dans le commerce 
des Savans , foit pour quelque autre raïfon que nous igno- 
rons , fes talens le mirent en reputation dans la Cour de Ro- 
me. Il étoit Chapelain , & Pénitencier du Pape dès le tems de | 
Clement IV , & il éxerça les mêmes fonétions fous Grégoire ou 
X , Innocent V, Adrien V, Jean XXI, & Nicolas II. Un 
Emploi honorable , éxercé pendant tant d'années, & dans 
une Cour aufñ éclairée , feroit déja une grande preuve du mé- 
rite fupérieur de ce Religieux. La régularité de fa vie , fes 
ferventes Prédications , les Ouvrages dont il enrichiffoit le 
Public , tout cela ne foûtenoit pas feulement l'idée avanta- 
geufe, que les Romains avoient conçué de lui ; mais rendoit 
encore Ga nom célèbre parmi les Etrangers : & la Nation Po: 
lonoife , à laquelle il faifoit tant d'honneur , voulut profiter 
en particulier de fes talens. 

Ée Primat de Pologne étant mort l'an 1272, l'Eglife de Vide Odoric at Au 
Gnefne , depuis fix ans fans Pafteur , fe voyoit expofée à une OS un 
infinité de maux , que le Pape Nicolas III déploroit depuis 
dans une de fes Bulles. Le défaut d'inftruétion , l'ignorance, 

Jes mauvais éxemples , & l'impunité fembloient autorifer en 
quelque maniére le libertinage des Peuples , le rélâchement 
du Clergé , & les ufurpations de ceux qui ne penfoient qu’à 
s'enrichir des biens de l'Eglife. Les plus puiflans, en même- 
tems les plus ambitieux kon des cabales pour fe faire 
- élever à la dignité de Primat , ou pour procurer cette Place 


(1) Virtutibus & do@rinâ fuit infignis, 
ut qui non Familiæ modo Streporum , {ed 
totius Poloniæ ferè fub id temporis lumen | Scytha, quôd alium à Scychia parem fibi. 
clariffimum fucrit : quod primus tum exPo-} ingenio non habuerit, &c. Simon Staro- 
lonis , feu Sarmatis , ifque folus Scriptis; 5) in Hekaïonta ap. Echard.T.I , p. 370. 





} 


inter extraneos inclaruerit : unde & Polonus 
à gente cognominatus eft , ac Scylurus ille 





LIVRE 
IV. 


MARTIN 
Poronors. 


376 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


à quelqu'un de leurs Parens. Toujours atentifs à fe fuplanter 
les uns les autres , ils fomentoient la divifion dans le C ne 


de Gnefne: tandis que les Infidéles , fans crainte ni refpeét 


pour ceux qui auroient dû les de se ) m2 Je tous les 
jours un nombre de Chrétiens fous les yeux de leurs Freres, 
& enlevoient inpunèment leurs jeunes Gens pour les faire 
apoñtafier. Après avoir pes hype gémi fous ces fleaux , les 
Chanoines fe réunirent enfin pour donner à leur Eglife un 
Pafteur , capable non-feulement de la bien gouverner pour 
le Spirituel, mais auffli de la défendre contre ceux qui la dé- 


. poüilloient de fon Temporel. Ils crurent avoir trouve l'Hom- 


me qu'ils cherchoient , dans la Perfonne du Pénitencier du 
Pape. Les Grands du Royaume joignirent leurs prières à cel- 
les du Chapitre , pour fuplier Sa Sainteté de leur donner le P. 
Martin Polonois pour Archevêque de Gnefne , & Primat de 
l'Eglife de Pologne. 

| Nicolas IT reçut avec bonté leurs Députez , qui fe préfen- 


 terentà lui à Viterbe. Senfible à tous les maux dont ils fe plai- 


gnoient , il aprouva le choix qu'ils venoient de faire d'un Su- 
jet propre à y apliquer le remède. Le Souverain Pontife facra 
lui-même fon Pénitencier le vingt-un de May 1278 , & lui 
enjoignit de fe rendre inceflanment à fon Eglife , pour tra- 
vailler , felon les talens qu'il avoit reçus de Dieu , à confoler 
un Peuple afligé , à l'édifer , & à l’inftruire en Pere & en Pa- 


fteur. Le nouveau Prélat, fuivant des ordres fi précis , fe mit 


aufhitôt en chemin , acompagné des Députez de fa Nation ; 
mais à peine arivé à Bologne , il y fut ataqué de la maladie, 


. dont il mourut peu de jours après. Il voulut être enterré avec 


Hift. Eccl. Liv, 
LXXXVII , 7. 40. 
Spondan. ad An, 
1278, 1, 18, 


fes Freres dans l'Eglife de S. Dominique , où on voit fon Tom- 

beau , & fon Epitaphe, 
M. Fleuri après Bzovius dit que cet Archevêque avoit été 
apellé en Pologne par les rt du Royaume : & il ne parle 
oint de l'Éleétion faite par le Chapitre de Gnefne. Sponde 
Éemble dire que ce choix venoit uniquemeut du Pape, qui 
avoit rejété tous les autres Sujets , qui lui avoient été préfen- 
tés. Quoiqu'il en foit de cette circonftance particuliére , le 
fentiment de ces Ecrivains touchant la Nation & la Profef- 
fion de notre Archevêque , eft conforme au Texte d'une Bulle 
de Nicolas III, raportée par Oderic Raynald , & autémoigna- 
ge exprès de Tholomée de Lucques , Auteur éxaét, & ami 
particulier de Martin Polonois , avec lequel il avoit vécu 
| familiérement 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 377 


familiérement. Par-là on peut corriger les méprifes de plu- 
fieurs Modernes , dont quelques-uns l'ont fait Ecoflois de Na- 


tion , les autres Italien ; ceux-là Benedi&tin , & ceux-ci Moi- 


ne de Citeaux ; tandis que le Souverain Pontife , qui venoit 
de le facrer Archevêque de Gnefne , dit expreflement qu'il 
étoit de l'Ordre des ie Prêcheurs (1). Tholomée l’apelle 
toujours Polonois , & le diftingue avec foin de l'Archevêque 
de Cofenza , Auteur d’une autre Chronique , que les Savans 
u confondent point avec celle de l'Ecrivain , dont nous par- 
ons | | 

Martin Polonois , dit M. Fleuri , eft fameux par fes Ecrits, 
qui font de trois fortes : 1°. ilavoit publié plufieurs Sermons, 
tant fur les Evangiles , que fur les spas , & à la louange des 
Saints. Ils parurent imprimés à Strafbourg l'an 1486 , & 1488. 
2°. Nous avons de lui une Table très-ample du Décret de 
Gratien , où toutes les matiéres font rangées par ordre alpha- 
bétique. On l’apelle quelquefois /a Perle du Décrer, ou la Som- 
me du Droit Canon , & plus communément, /a Somme Mar- 
tinienne. Il paroît par les propres paroles de l’Auteur, qu'il n’a- 
voit entrepris cetravail , que pour fon _ particulier (2). 
3°. Le'plus cannu de fes Ouvrages, eft la Chronique , qu'il dit 
avoir compofée principalement pour l’ufage des Théologiens, 
&c des Jurifconfultes , parce qu'il leur importe de favoir les 
tems des Papes , & des Empereurs. Auf toute fa Chronique 
confifte-t-elle dans ces deux parties ; d'un côté font les Papes 
depuis JESUS-CHRIST , premier Pontife de la Loi nouvelle, 
Chef perpétuel de fon Eglife, jufqu'à Clément IV. À l’autre 
page nu les Empereurs depuis Augufte jufques à Frédéric IF, 
avec les années en marge. 

Après la mort de Clément IV, l'Auteur continua fa Chro- 


(1) Gnefnenfis Ecclefia, quæ diu antea 
Paftore vacarat , & nunc per mortem bonx 
memorixz Martini de Ordine Prædicato- 
rum , quem in Archjiepifcopum eidem præ- 
feceramus Ecclefiæ , vacare dignofcitur, 
tam per tyrannidem Paganorum Fidem per- 
fequentiüum Chriftianam , quam per temeri- 
tates, & infolentias plurium aliorum , non 
folum in fuis bonis & juribus , gravibus eft 
attentata moleftiis, fed & in perfonis Popu- 
h.... enormibus eft convulfa difpendiis , 
&c. Nico], IT, æp. Odoric. #4 An. 1179, 


n ° 43 e 
(2) Ege Frater Martinus de Ordine Pra- 
Tome I, 


dicatorum , Domini Papa Pœnitentiarius 


G Capellanus , pro faciliori inventione de - 


comprehenfione , ad meam potiffimè ntilita… 
tem veces quaflibet hujus Libri cum fuis fi 
gnificationibus per alphabetum fecunduns 
ordinem , cum multa diligentia , @ labore 
fudui compilare , dre. Dans tous les Exem- 
plaires de la Somme Martinienne, foit ma- 
nufcrits ou imprimés , on lit ces paroles de 
l’Auteur. Poflevin n'avoit donc pas vü cet 
Ouvrage, lorfqu'il écrivoit que Martin Po- 
lonois étoit de l'Ordre de Cireaux. Appar. 
Sacr.T, Il, p. 82, | 


Bbb 


LIVRE 
IV. 


MARTIN 


PoLoNors. 
D à 





Ut {pè 


LIVRE 


MARTIN 


Poconoïs. 
Ro À 





Ut fp. 


Aut. du XIII fiêcle, 


P. 230, 


F1, p.365, 366, 
267, 368, 369, 


378 HISTOIRE DES HOMMES ILEUSTRES 


nique, pour y ajoûter ce qui regardoit les Succefleurs de ce 
Pape jufqu'en l’année 1277 , fous le Pontificat de Nicolas III ; 
pendant lequel il finit fon travail , & fa vie. Cette continua- 
tion , qui ne {e trouve pas dans tous les Manufcrits , a donné 
lieu à quelques Ecrivains de lui atribuer deux diférentes Chro- 
niques. 
Quelque utile que puifle étre la Chronique Martinienne ; 

il faut avouer qu’on y trouve bien des Hiftoires , qui avoient 
cours du tems de l’Auteur , & que les habiles Critiques ont 
depuis rejétées comme fabuleufes. Mais , felon la remgrque 
del'A bé Fleuri , celle de la Papefñfe Jeanne, que plufeurs Mo- 
dernes ont injuftement atribuée à Martin Polonois, ne fe 
trouve point dans les meilleurs Exemplaires de fa Chroni- 

ue. M. Dupin a fait la même réfléxion : on avoit ajoûté , 
dit-il, plufieurs chofes à cette Chronique, & entr'autres , 
lHiftoire de la Papefñle Jeanne ; mais ces aditions ont été re- 
tranchées dans l'Edition , que Jean Fabricius , Chanoine Ré- 

ulier de Prémontré , en a fait fur un Manufcrit du tems. Le 
Ds Pere Pagi avoit déja porté le même jugement fur l'an. 
née 853. | 

Mais ce que ces trois Ecrivains , en cela plus équitables, 

ou plus éxaëts que Poffevin , fe font contentés de farre remar- 

uer pour la juftification de l’Auteur de la Chronique , le P. 
Échard l’a clairement démontré par des preuves fans repli. 

ue. tire la premiére de la difpofition même de l'Ouvrage, 
res lequel un fauffaire n’a pü faire glifler le conte ridicule 
de fa fabuleufe Papeñle, qu'en renverfant tout l'ordre, que 
Martin Polonois avoit fuivi dans fa Chronique. Un Leëteur 
atentif aperçoit fans ae ce dérangement Fait après Coup. 
La feconde preuve eft prife de la confrontation des Manuf- 
crits , qui fe trouvent en grand nombre dans les plus célébres 
Bibliothèques d'Italie , de France , & d'Allemagne. En ran- 
geant ces Manufcrits en trois Claffes, felon Les caraëtéres qu'ils 
ont d’antiquité, on voit que les plus correëts , & les plus an- 
ciens , ceux qui ont été publiés du vivant de l’Auteur , ne 
font aucune mention de la prétenduëé Papefle. Parmi ceux 
qui ont moins de caraëtéres d’antiquité, on en trouve quel- 

ues-uns , dont la marge eft chargée de cette fable, tantôt 

ans un endroit , tantôt dans un autre. Ce n’eft enfin que dans 
quelques Manufcrits des plus récens, qu’on a inféré cette adi- 
uon , entre le Pontificat de Léon IV ( apellé quelquefois Léan 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE 379 


V) & celui de Benoît III. Le premier de ces deux Papes étant 


mort le dix-fept de Juillet 85 $ , le fecond lui fuccéda immé- 


diatement , & mourut le dix de Mars 858 , ayant tenu le S. 
Siège deux ans & demi. | 

Le deffein que nous nous fommes propofé de remplir , ne 
nous permet point de réfuter plus au long une rêverie , 
que les ennemis de l'Eglife ont été feuls capables d'inven- 
ter ; mais contre laquelle il y a des argumens mvincibles 
dans l’Hiftoire & dans la Chronologie. Il nous fufit d’avoir 
montré qu'elle n'eut jamais pour Auteur, ni pour Aproba- 
teur ,un Ecrivain aufli habile & aufñi conftanment honoré 


de la confiance des Papes , que l'a été notre Archévêque -- 


de Gnefne. Sans doute que l’Impofteur , qui a ofé ainfi noir- 
cir fa réputation &c fon Ouvrage , ne l’avoit fait que dans 
l'efpérance de donner quelque crédit à une vieille Fable , 
qu'il vouloit faire pañler dans l’efprit du Peuple crédule , pour 
une Hiftoire réelle, 

Nous favons au refte qu'avant la publication de la Chro- 
nique Martinienne , on lifoit l’'Hiftoire de la Papeñle Jeanne 
dans quelques Chroniques fans nom. Etienne de Bourbon, 
décédé l'an 1261 , dix -fept ans avant la mort de Martin 
Polonois , en avoit parlé dans {on Traité des fept Dons du 
Saint-Efprit. | 





Ÿ Bbbij 


LIVRE 


MARTIN 
PoronNors. 





Part. V, Tit, De 
Pruden, $, 10, 


380 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE 


HN: HERSEERNENEEEEMENENNENENEENEREENENER 
ALDOBRANDIN, 


EVÊÈQUE D'ORVIETE, 
ET 
 VICAIRE DU PAPE GREGOIRE X. 





ALDOBRANDIN. 
er nr + ‘4 





LhoBRANDIN,ou Aldobrandini, D nt aufl quel- 
—_——— quefois Hildebrand , iflu de la noble Famille des Ca- 
Rage Caro Flo yalcanti , naquit à Florence vers le commencement du trei- 


xcutinus. 


des ziéme fiécle. Les anciens Auteurs Italiens , & ceux qui ont 
vir.Iluftb, bu, écrit après Léandre Albert, nous le repréfentent comme un 
fl. Sacr, T.1,Col, HOMME , s'étoit rendu également utile à l'Eglife & à la 
Rae m1 p.80, Patrie par fes talens , cher & refpettable à fes Freres par de 
7" grands éxemples de vertu, & aufli digne de la confiance 
. Souverains Pontifes que de l'amour des Peuples , par 
la pureté du zéle', dont 1l éut toujours animé pour le bien 
public. ; | _ 
L'éducation qu'il avoit reçuë de fes parens , conformément 
à la délicatefle de fa complexion , fembloit devoir l’'éloigner 
du parti du Cloitre. Tout lui prométoit d'ailleurs ce sa le 
monde apelle une riante fortune, les richefles, les plaifirs & 
mo 1. les honneurs atachés à fa naïffance. Mais le fidéle Difciple 
odeftie , inno- RE . 

cence & ferveur du de JESUS-CHRIST , éclairé d'une lumière plus pure , ne laiffa 
june Aldobran- pas long-tems douter de la réfolution qu'il avoit prife , auff- 
tôt que fon âge en avoit été capable. Dès fes jeunes an- 
nées, il fit paroître tant de goût pour les éxercices de piété 
& deReligion , tant d’éloignement pour les vanitez du fié- 
cle , une fi grande horreur de tout ce qui peut faire per- 
_ dre l'innocence, ou en ternir la beauté, que les perfonnes 
fages connurent dès-lors , que prévenu par la Grace & do- 
cile à fes infpirations , Aldobrandin feroit un jour l’apui , 
aufli-bien que le Miniftre des Autels , l’ornement de fa Pa- 
trie , la ou & la confolation de fes Concitoyens dans 

leurs calamitez. Tout cela fut éxaétement -vérifié. 
Les premiers Difciples de faint Dominique , établis depuis 
peu dans la Ville de Florence , y faifoient de grands fruits, 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 38: 
parce que la fainteté de leur vie foutenoit la ferveur de leurs 
prédications. Aufli voyoit-on fouvent d'illuftres Perfonages 
quiter leurs Dignitez , leurs Charges , leurs Bénéfices, pour 
les imiter dans la même profeflion. Aldobrandin , à peine 
{orti de l'enfance ,. voulut fuivre le même éxemple. Le fa- 


LIVRE 
IV. 


ÂLDOBRANDIN. 





crifice que faifoient les premiers , avoit fans doute d'autant Dès fon enfance 
plus de mérite, qu'il leur falloit rompre de plus grands en- 1! imire les plus 


agemens , pour obéir à l'atrait de la vocation : mais d’ail- 
AE leurs forces ne paroifloient point au deflous des faintes 
rigueurs qu’ils embrafloient, ou pour expier leurs péchez , 
ou pour aquérir la juftice chrétienne, dont ils ne s’étoient 
peut-être pas formé jufqu'alors une idée affez éxaîte. On ne 
pouvoit point dire la même chofe d’un jeune Homme de quin- 
ze ou feize ans, très-foible de corps, mais dont l'innocence, 
la modeftie & la pudeur avoient déja fixé les regards & atiré 
l'admiration du public. Telle étoit la viétime que Dieu fe 
choifit , pour exciter l'émulation de plufieurs autres , ou pour 
confondre la faufle délicatefle des pécheurs impénitens , & 
faire éclater davantage la vertu de fa Grace. | 
Le fervent Novice foutint fans adouciflement toute la ri- 
ueur de la Régle. On eût dit que l'abftinence , les jeûnes, 
es veilles , le chant des Pfeaumes & des Cantiques , la mé- 
ditation des Livres faints , & les autres pratiques de péni- 
tence étoient la nourriture de fon corps, comme elles fai- 
foient en éfet Les chaftes délices de fon ame. A l’imitation de 
fon Bienheureux Patriarche , 1l s'acoutuma de bonne heure, 
autant que l'obéiffance le lui permétoit, à prolonger fes prié- 
res après l'Ofice commun , & à continuer À a jour fon 
oraifon. Îl ne prioit jamais avec plus de ferveur & de re- 
cueillement , que lorfqu'il fe trouvoit feul dans l'Eglife pen- 
_ dant le filence de la nuit. Le même efprit qui le A prier, 
lui aprenoit auffi l’objet de fes priéres. L’extirpation de l'hé- 
réfie , qui faifoit alors de funeftes progrès dans l'Italie ; la 
pacification des troubles , dont la ville de Florence étoit par- 
ticuliérement agitée ; le triomphe de la Foi, le repos de l'E- 
glife , l'acroiflement de l'Ordre Apoftolique dont il faifoit 
rofeffion : voilà , dit un Hiftorien de la Nation , ce que le 
De Religieux ne cefloit de demander à Dieu dans toutes fes 
oraifons. | | 
_ L'affiduité à un éxercice qui forme les faints, & qui fera 
toujours la confolation des ames chaftes , bien loin de le 


b ii 


IT. 
La méditation & 


l'acompliflement 


de la Loi du Sei- 
que , font fes dé- 

ices dans le Cloi- 
tre. 


Lean. Albert. ut fp. 


4381 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE détourner de l'aplication à l'Etude, remplifloit fon efprit de 
IV. lumiéres ; & fes Maîtres dans les Siences , ne l’admiroient pas 
AinosranDiN, MOINS que ceux qui étoient chargés de régler fon intérieur, 
Dès qu'on le fit paroïtre dans les Chaires , le Peuple eut le 

IV. bonheur d’éprouver combien la parole de Dieu ef éficace ; 

La Prche ae dans la bouche d'un Homme qui a profondément médité les 
ration, &aven Véritez faintes qu’il anonce ; qui en eft tout pénétré , 8 qui 
pie prod fuit ne veut erfiondes aux autres que ce qu'il D le pre- 
Vies anne Pas mier. Les principales Villes de Tofcane , Florence , Pife, 
Sienne , Arezzo, Cortone, recueillirent les premiers fruits 
de fes prédications. Il prêcha depuis avec les mêmes aplau- 
diflemens & le même fuccès dans les autres Provinces d’Ita: 
lie. La douceur & l'humilité fembloient faire le caraétére 
articulier du Miniftre de JESUS-CHRIST : mais le zéle de 

la Maïfon du Seigneur le remplifloit de force & d'intrépidité , 
quand il falloit s'élever contre les pécheurs fcandaleux , & 
ataquer les vices publics, linjuftice ou l'ambition démefu: 
rée des Grands , & l’hypocrifie des faux Doëteurs. Ceux-là 
fe faifoient un malheureux plaifir de femer des diffentions 
parmi les Peuples , ou d'entretenir la difcorde ; & les dog- 
mes impies de ceux-ci , en fe répandant par tout comme une 
Cangréne , armoient fouvent les citoyens contre leurs freres 

_ &leurs amis. La généreufe liberté d’Aldobrandin à reprendre 
publiquement les uns & les autres , ofenfa quelquefois ceux 

j auroient dû profiter de fes charitables correétions. On le 

de avertit de pourvoir à fa füreté par la retraite. Mais l'Hom- 
me apoftolique ne fe propofoit Pu gloire de Dieu , le fa- 
lut des ames, la converfion des hérétiques ou des pécheurs ; 
& il prit pour lui-même ce que le Seigneur avoit dit au Pro: 
phête Ifai:e “ Criez fans cefle ; faites retentir votre voix 
» comme une Trompette ; reprochez à mon Peuple les crimes 
» dont il s’eftfouillé , &c à la Maifon de Jacob les péchez qu’el- 

| » leacommis,. Clama, ne ceffes ,quafr tuba exalta vocem tua. 
V. Pendant que notre zélé Prédicateur les vit fe multiplier , 
me R Pere ces péchez & ces crimes , il ne fe laffa point d’anoncer fe chä- 
faint Miniftére.  timent qui n’étoit pas éloigné. Il n’y eut ni refpeét humain , 
ni menaces , nicrainte de la mort capable de lintimider , ou 

de le faire taire. On n'éprouva que trop tôt la vérité de tout 

ce qu'il avoit prédit. Dieu juftement irrité apéfantit fa main 

. fur ces hommes impénitens. C’étoit les outrager que de leur 

parler de paix ; &c ils furent livrés à toutes les horreurs d'une 


Jfat,zvin, 1. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 383 

Guerre fanglante & opiniâtre. Après que les Florentins, par Livre 
des animofitez particuliéres , eurent fait comme l'effai de leur IV. | 
aveugle fureur les uns contre les autres, ils ne parurent fe 'Asnosannin. 
réunir que pour tourner leurs armes contre la ville de Sienne, "2" 
& ces Een Peuples fervirent d'inftrument à la juftice Divi- 

ne, pour les punir tous de leurs crians excès. Selon l'ex- 

preffon d’un Pape , les deux plus puiflantes Villes , & au- 
trefois les plus foriflantes de toute la Tofcane , étoient alors 
uñe trifte image de la plus afreufe défolarion , & fembloient 
ne devoir être bien-tôt que le tombeau commun de tous leurs 

Citoiens (1). La Providence, ileft vrai , réfervoit à un autre 
de fes Miniftres , la gloire d'enchainer le démon de la dif- 
corde , & de ramener le calme au moment que l’on s’y aten- 
doit le moins. Mais ce que notre Bienheureux Jean de Vi- 
cence fit alors pour le falut ou pour la confervation des deux 
Villes , le zéle d'Aldobrandin & fes prédications continuel- 
les , fervirent à le perfedionner & à le rendre plus ferme, du 
moins pour quelque-tems. | | 

Ses vertus jétoient auf tous les jours un nouvel éclat ; & VL. 

dans toutes les Charges, qu'il fut obligé dans la fuite de rem Sage & vigilant 
plir, foit dans le Cloîitre ou dans l'Eglife, fes talens paru- ‘Pie 
rent toujours fupérieurs à fes Emplois. Placé d'abord, par 
les vœux &e les fufrages de tous les Réligieux , à latête de la 
Communauté de Sainte Marie-Nouvelle , il fe comporta de 
telle forte, qu’en faifant aimer fon gouvernement , il fit en 
même-tems fleurir la régularité, Il étoit le feptiéme Prieur 
qui avoit conduit cette Maifon, où l’efi rit du grand Domi- 
nique s’étoit toujours confervé. Formé lui-même par les foins 
des premiers Difciples du Saint, toute fon atention fut de 
marcher fidélement fur leurs traces, & de laifler après hui 
cette odeur de fainteté, qui continuoit à leur atirer tant de 
bénédiions du Ciel, & une fi grande foule d’excélens Su- 
jets. Le fage Supérieur en augmenta encore le nombre ; & 
ce fut ce qui lui donna la penfée de leur id un lieu plus 

fpacieux que le premier , & beaucoup plus commode pour le 
Service Divin. Les Florentins en cette ocafon, firent voir 
quelle étoit leur afe&ion & leur eftime pour le Serviteur de 
* (tr) Clamar fané Florentinorum , & Se- | nits fanguis effufus, &c abundantids, ff pax 
benfium innumerabilium captivorum mife- | non intervenerit , effundendus , &c. Gre- 
. sabilis gemicus , & inter vincule , & fqual- | ger. IX, 28 April. an. 1233 ,5% Bull. Oé, ° 

lores carceris, incer rormenta famis, & fi | T.I ,p. 48. 
tis pence deficientium ululatus ; clemat ple- | . 


€ 


LIVRE 
IV. 


«ALDOBRANDIN. 
De + 2 


| VIT. 

Après avoir gou- 
verné pendant plu- 
fieurs années une 
grande & fainte 
Communauté, il 
eft chargé du foin 
de toure une Pro- 
vince, 


384 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Dieu, par leur empreflement à favorifer fes pieux deffeins: 
L’Evêque lui donna une Eglife ; les Magiftrats lui cédérent 
une grande place qui étoit joignant ; & le Peuple fit comme 
à l'envi de magnifiques préfens , pour conftruire ou pour or- 
ner le nouvel Édifice. Mais, content d’en avoir fait tous les 
préparatifs, Aldobrandin voulut laiffer à un autre l'honneur 
de F éxécution. | | | 
Après avoir gouverné pendant cinq ans fa nombreufe Com- 
munauté , il fit de fi fortes inftances pour fe faire donner üri 
Succefleur , qu'on ne put le lui refufer. Ce tems de repos ne 
fut pour le Serviteur de Dieu , qu’une ocafion de reprendre , 
avec une nouvelle ferveur, l’éxercice de la Prédication , & 
de vaquer avec plus de tranquillité à celui de la priére. Il eut 
voulu pañler toute fa vie dans ces deux ocupations , également 
conformes à fon état, &.à fon inclination particulière. Mais 
pour multiplier fes Courones , Dieu permit que fes travaux 
furent auf multipliés. Malgré fes atentions à fuir les Char- 
ges , 1l fe vit fouvent oblige de renouveller le facrifice qu'il 
avoit fait de fa propre volonté. Le digne Religieux , qui lui 
avoit fuccédé dans la conduite de la Communauté A es 
Marie-Nouvelle , n'eut pas plutôt fini fon Gouvernement de 
trois ans, qu'Aldobrandin en fut chargé une feconde fois. Et 
après plufieurs années, on ne le retira de cet Emploi, que 
our fi en donner un autre, en lui confant le foin de toute 
JA Province Romaine. | | 
Si notre deflein étoit de donner quelque étenduë à cette 
Hiftoire , nous entrerions dans le détail édifiant de tout ce que 
le zéle de la Religion lui fit entreprendre , & heureufement 
éxécuter , pendant qu'il eut l'Adminiftration de cette Provin- 
ce, qui comprenoit alors toutes les Maïfons de fon Ordre ; 
fituées ou dans la Tofcane , ou dans le Royaume des deux 
Siciles , & dans une grande partie de l'Etat de l'Eglife. Nous 
parlerions de fa vigilance à conferver , ou à renouveller ol 
tout l'efprit de priére , l’aplication à l'étude des Saintes Let- 
tres , & le zéle du falut des ames. Nous ne pourrions oublier 
cette atention qu'il eut principalement à former de dignes Mi- 
niftres de la Parole”; dont les uns , fous fes ordres , fe répan- 
doient dans les Villes & les Campagnes d'Italie ; tandis que 
les autres, animés du même zéle , traverfoient les Mers , & 


alloient combatre le Schifme & l’Idolitrie dans les Provinces 


du Nord, La Providence bénifloit les travaux du zélé Supé- 
rieur , 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 386 


rieur, & ceux de fes Freres , qui fe faifoient un plaifir de lui LIVRE 
obéir , pour porter au loin la lumiére de la Foi, après avoir IV. 
apris de lui la maniére d’anoncer avec fuccès les véritez de Airosrannin. 
l'Evangile. —_—" 
_ Quelque grande que pût être fa confolation en voyant de 
fi beaux fruits de fon infa#gable travail , il atendoit avec une 
fainte impatience le moment, où, déchargé du foin de con- 
duire les autres , il pourroit rentrer dans l’état de fimple Reli- 
gi , tout ocupé déformais de Dieu, & de lui-même dans 
e repos de la retraite. Mais ce tems fi défiré n'étoit pas encore 

venu. La réputation d’Aldobrandin l’avoit fait connoître des. 
Cardinaux & des Souverains Pontifes. Innocent IV, & fes _ Vide Bullar, ord, 
Succeffeurs employerent fouvent fes talens pour l'utilité-pu- "7?" 
blique. Gregoire X. crut ne pouvoir faire un plus riche pré- VITE 
fent à l'Eglife d'Orviete, qui ne releve que du faint Siège, nt d'accepter 

>. 1. no _ vêché d'Orviere. 
qu'en lui donnant un Pañteur fi généralement eftimé : les 
qualitez de fonefprit , & beaucoup plus eftimable par la fain- 
teté de fa vie. L'humble Religieux refufa d’abord cet hon- 
neur , réfolu de demeurer ferme dans fon refus; mais il ne 
le porta pas jufqu’à l’opiniâtreté. Le faint Pére ajoûta à fon 
_ Commandement la menace des Cenfures , & le Serviteur de 
Dieu fe foumit. Le Clergé, & le Peuple d'Orviete , lereçu- 
rent avec des témoignages fincéres d’une jJoye extraordinaire. 

Ïl y avoit déja quatre ans que cette Eglife étoit fans Pafteur, 
lorfque le nouvel Evêque en prit Dofleffion l'an 1272; & on 
ne doit pas douter que dans un tems , où on voioit régner par- 
tout le libertinage , l'erreur, le déréglement des mœurs, & 
l'efprit de divifion , il n’ait trouvé bien des abus à corriger. IL . 
ne les diffimula point par lâcheté , ou par politique ; maisil 4,2 Le 
évita d'aigrir les efprits par un zéle boüillant & précipité. ordre & la paix 
Toujours femblable à lui-même , on ne le vit pas fortir de dans toutfou Dio- 
fon caraétére fage , & patient. Sa douceur & fa fermeté ré- Eee 
tablirent en peu de tems ce qui étoit hors de régle. Comme il 
n'avoit rien changé däns fa maniére de vivre , il prêchoit la 
pénitence , & la modeftie , encere plus par fes éxemples , que 

ar {es paroles. Ses aumônes étoient toujours abondantes ; les 
LL. , les Malades , les Prifonniers étoient nourris, vifi- 
tés  confolés ; les bons Ecléfiaftiques récompenfés , les En- 
nemis réconciliés ; tout le Peuple inftruit & édifié. Ceux qui 
auroiert pû troubler fon repos , fe trouvoient retenus ou par 
le refpeët , que tout le monde portoit à un fi faint Prélat , oy 
ome À, Ccc 








L 1 


Levre 
"IV. 


ALDOBRANDIN. 





X. 
Grégoire X allant 
a Lyon, le laiffe à 
Rome pour y tenir 

fa place. ” 


fa. Sacr. TT. I, Col. 
M CCCCLXXIS. 

Bullar. Ord. Fratr, 
Piæd. T.1,p. 537. 





386 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


+ les fages précautions qu’il avoit en pour rendre dura< 
le la paix , dont il faifoit jouir les Fidéles. 

On éprouva dans cette ocafion ce que peuvent pour l’ho. 
neur de la Religion , & la félicité des a es, les.foins d'un 
Pafteur felon le cœur de Dieu , formé fur les grands éxemples 
des premiers Evêques , & digne d’être lui-même propofé pour 
ar à tout le Troupeau confié à fa conduite. La piété du 
religieux Prélat trouva des imitateurs dans le Clergé ; la fer. 
veur du Peuple , & fa docilité parurent égaler celle des faints 
Miniftres ; tout fe renouvella , tout changea de face dans l'E. 
elfe d'Orviete. Il n’y avoit pas encore un an qu’elle profitoit 

es inftruétions de‘fon Evêque , & déja on avoit le plaifir de 
voir, qu’à une confufion générale avoient fuccédé l'union & 
la concorde , la pureté du culte , & la fainteté des mœurs. Ik 
ne faut point d'autre preuve de ce bel ordre ,. qu'il avoir éta- 
bli dans fon Diocèfe prefque dès fon arrivée , que le choix que 
fit de lui le Pape Gregoire X, pour lui confier le foin de l'E+ 
glife de Rome, & l’adminiftration de la Juftice dans une gran- - 
de partie de l'Italie (1). Voici le Bref que lui adreffa ce faint 
Pontife fur le point de pañler en France , pour préfider au fe- 





cond Concile général de Lyon. 
REGOIRE , Evèque , Servi- 
G teur des Serviteurs de Dieu , à 
notre Vénérable Frere, Aldobrandin, 
Evèque d'Orviete , SALUT ET BENE- 
DICTION APOSTOLIQUE. | 
Le terme marqué pour la tenuë du 
prochain Concile général de Lyon, ne 
nous permétant point de diférer da- 
vantage notre départ , nous fommes 
obligés de nous éloigner pour un tems 
de notre Eglife. Mais En que notre 
abfence ne foit préjudiciable à perfon- 


ne , nous avons cherche un homme qui 
puiffe nous repréfenter , & tenir notre 


REGORIUS Epiftopar, 
Servus Servorum Dei, Vene- 
rabili Fratri Aldabrandino , Epif- 
copo Urbeyetano , Salutem © A- 
poffolicam Benediilionem. 
Appropmquat terminus 4d cele- 
brandum indium generale Conci- 
lium Lugduni, € moras longiores 
non fufferens nes compellirut adtem- 
pus , fpirituali Ecclefig nofira di- 
milfa, verfus Tranfmentanas partes, 
prout Dominus concefferit , prope- 
remus. Ne igitur noffre prefentie 
abfentia ipfius terre incolas abfque 


‘ (r)*Frater Aldobrandinus , five Iide- 
brandinus, à Nobiliffima Cavalcantia Fa- 
milia Florentinus , Ordinis Prædicatorum , 
unus à primis Sanétæ Mariz Novellz alum- 
nis, tir fan@timoniä vitæ, doûtrinäque per- 
ceiebris , poft optimè adminiftratum Mo- 
nafterium , poftque alios fui Ordinis decur- 
fes honorcs, a Gregorio X, Sandiffimo 


LS 


Pontifice fubledtus eft Urbevetanus Epif- 
copus anno 1272. Româoue, ut ad Lug- 
dunenfe Concilium profcifceretur , djgref= 
fus , eundem Aldobrandinum fuæ poteltatis 
Romæ Vicarium declaravit. Quam Caval- 
cantis prudentiam , confiliymque magnifi- 
caret, fubjetto Brevi , atque Diplomate de- 


.Claravit. Iral, Sacr.T. I, Col. MccccLxX1R 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 387 


gelevationis remedio gravars contin- 
£&at, Perfonam idoneam , que in 
reddenda ipfs in bac parte juflitia 
noffre defeitum prefenthe fuppleat , 
providimus depatandam. Ad quod, 
Le, tanquam virum Magna ; O CX4- 
minate virtutis fiducialiter eligen- 


tes , volumus quod 4 Rectoribus ip- . 


fius Ecclefie , five in Campania , vel 
in Maritima , [eu Aconitana- Mar- 
chsa , vel Ducatu Spoletanenfi , «ut 
än Patrimonio Beati Petriin Tu/- 
Cia fuerint , ad te tanquam ad no- 
firum in boc vices gerentem liceat 
appellare : tibique prefentium aucto- 
ritate cominittimus , ut Perfonasde 
Terra preditta Ecclefiafficas & Se- 
culares , ab ipfis Reüoribus appel- 
dantes audias, C fuas appellatio- 
num Caufas fecundum Ordinem Jr 
ris difcutiens , debito fine decidas, 
faciens quod decreveris per Cenfu- 
ram Ecciefiafliæm firmiter obfer- 
pari. | | 

Datum apudj Sanitam Crucem 
x111 Cal. Septembris , Pontificatüs 
noftri anno fecundo. 


place , pendant le féjour que nous fe- 
rons au-delà des Monts. Connoiffant 
donc votre mérite , & ayant une pleine 
confiance en vos vertus, Nous vous 
avons choiïfi comme celui que nous 
croyons le plus propre à remplir nos 
deffeins. C’eft pourquoi Nous vous éta- 
bliffons notre Vicaire dans l’Eglife de 
Rome, pour y rendre la Juftice en no- 
tre nom ; & Nous vous donnons le 
même pouvoir dans l'étenduë de l’Erat 
Ecléfiaftique , dans la Marche - d’An- 
cone, dans le Duché de Spolete , & 
dans le Patrimoine de Saint Pierre en 
Tofcane. Nous voulons que toutes les 
perfonnes , foit Ecléfiaftiques , ou Sé- 
culiéres , qui croiront avoir reçu quel- 
ue tort de la part de leurs Supérieurs ; 
de diférens Païs, puiffent porter 
leur apel à votre Tribunal ; & par ces 
Préfentes Nous vous revèrons de toute 
l'autorité néceffaire paur recevoir leurs 
plaintes, en éxaminer la juftice , & dé- 
cider leurs afaires felon la forme du 
Droit. Vous employerez, s'il le faut, 
les Cenfures , ou les peines Canoni- 
ques, pour faire éxécuter vos Décrets. 
Fait à Sainte Croix , le treiziéme des 


Calendes de Septembre , la feconde année de notre Pontificat. C’eff-à- 
dire , le vingtieme jour d’ Août 1273. 


Dès le mois de May précédent , le Pape Gregoire X étoit à 
Orviete ; où 1l avoit de tems en tems des conférences fécrétes 
avec notre Prélat. Lorfque fur fon départ le Vicaire de JEsus- 
CHRIST lui EE de demander avec confiance tout ce qu'il 


2 fou 


aiter, ou pour lui-même, ou pour fon Eglife, 


l'Evêque d'Orviete , felon l’ancien Auteur que Léandre Al- 
bert a fuivi , lui parla à peu près en ces termes : “ Mon plus 


grand défir , très-faint Pere , eut été de farcher à votre fui- 


à 


te jufques à Florence. Arrivé dans mon infortunée Pa- « 


trie, je me ferois mis à vos piés, pour vous fuplier très- 


« 


humblement de vouloir bien employer & vos foins pa- “ 
ternels , & toute l'autorité que vous tenez de JESUS- 


CHRIST, pour faire cefler une bonne fois les troubles , & 
les cruelles diffenfions dont mes Concitoiens 


« 
# 


font perpé- 
Ccci à 


LIVRE 
IV. 


ALDOBRANDIN. 








” 

Lean. Afbert. Lib. 
III ,de Viris Illuftrib, 
fol. 119. 


XI. 
Humble priére 
du Serviteur de 
Dieu en faveur des 
Florentins. 


LIVRE 
IV. 


ÂALDOBRÂNDIN. 








Jo. Villani , Lib. 
VII, C. Lx, 
XII. 

Le Pape travaille 
aies réünir, 


388 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


» tuellement agités par ces opiniâtres faftions des Guelfes 8 
» des Gibelins. Si je ne puis avoir l'honneur d’acompagner 
» Votre Sainteté, Elle me permétra de lw faire dès à préfent 
» la même priére. Je ne puis demander d’autre grace , ni fai- 
» re d'autre vœu, parce que je ne défire rien avec tant d'ar- 
deur , que de voir la tranquillité enfin rétablie parmi un 
» se qui m'eft fi cher. Mais parce qu’il eft abfolument im- 
pofhble qu'il y ait jamais de folide paix, tant qu'on laiflera 
» régner un efprit de Parti, fource malheureufe de toutes for- 
» tes de divifions, je prie Votre Sainteté de profcrire par fa 
» fagefle , jufques au nom de ces deux Faétions , jufqu’ici irré- 
» conciliables ; afin que tous les Citoiens , réunis dans les mè- 
» mes intérêts communs, ne foient déformais qu’un même 
» Peuple, vivant fous les mêmes Loix , & dans la charité de 
» JESUS-CHRIST, qui nous a laiflé fa paix, comme la mar- 
14 + 0 
» que que nous fommes fes Enfans , & le gage de la félicité 
» que nous efpérons dans l’autre vie ,. 

e Pape également touché , & édifié des fentimens du pieux 
Evêque , lui promit qu'il n’oublieroit rien pour faire que fes 
vœux fuflent acomplis. L’Hiftoire nous aprendsen éfet, que 
a X , acompagné de Charles I Roi de Sicile , de 
Baudouin Empereur Titulaire de Conftantinople , & de plu- 
fieurs Cardinaux , étant arrivé à Florence le dix-huitiéme de 
Juin 1273 , il s’apliqua d’abord avec beaucoup de zéle à réu- 
nir tous les efprits , & à les faire convenir des conditions de 
Ta paix (1), qu’il vouloit établir parmi eux. Le Traité fut con- 
clu le fecond jour de Juillet ; & on crut pouvoir le rendre fta- 
ble , en condamnant ceux qui le violeroient à une amende de 
vingt mille marcs de fterlins, paiables moitié au Pape , 8x 
moitié au Roi de Sicile. Mais on ne fut pas long-tems à recon- 
noître qu’on avoit travaillé en vain. Les Gibelins, qui avoient 

s / . . JA . 
été chaflés de la Ville, aïant envoié à Florence leurs Syndics, 
(1) Quoique M. Sponde ne parle point Imperatore Conflantinopolitane extorre,Ca- 
de la priére que l'Evêque d'Orviere avoit rolo Rege Sicilie , ac procerum manu ..., 
faire à Sa Sainteté , il ne laifle pas del'in- Florentsam adiis x1v Calendas Julis : ibi- 
finuer , en liant les marques de confiance que fummä veneratione fafceptus , ac mir& 
que le Pape venoit de donner à ce Prélat , Üréis amanitate delectatus , aflatem in e& 
avec ce qu'il effaya de faire un mois après à ' traducere flatuit. Et quà& erat bonitate, 
Florence, pour y pacifier les troubles : Re- | pæcem inter faitiones Guelforum , qui ture 
cedens autem Urbeveteri (Gregorius Papa) : #b5 dominæbaninr , @ Gibellinorum extor- 
reiicto Aldobrandino Cavalcanie ejus Urbis | rium conciliandam fujcipiens . . .. gravir 
Epifcopo ex Ordine Pradicatorum integerri- | mam ad Magiftratus, Principefque Civi- 


mo ac prudentiffimo vire , [uo in Urbe Ro- | tatis orationem habnit , Grc. Spondan. ad 
m4 @ Lialia Vicaria, comitante Balduino | An 12:73, n. 2. 


Ÿ 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 3% 


pour figner les conditions du Traité , on leur fit malicieufe- 
ment entendre que leur vie n'étoit point en sûreté, parce que 
le Marêchal du Roi Charles , à la pourfuite des Guelfes , avoit 
réfolu leur perte. Cet avis, ou plutôt cette calomnie, les 
épouvanta tellement , qu'ils fe retirérent avec p#cipitation , 
& la paix fut rompuë. Le Pape extrémement irrité, Éphau 
quatre jours après de Florence , aïant interdit la Ville , & ex- 
communié {es Habitans. | 

On peut aifément juger quelle fut la douleur du faint Evé- 
” d'Orviete , lorfqu’au lieu de cette paix, qu’il ne cefloit 

e 


LIVRE 
IV. 


ALDOBRANDIN, 





XIII. 
Une peut réüffir. 


demander à Dieu par des priéres continuelles, & qu'ilavoit 


voulu procurer par la médiation du Vicaire même de JEsUs- 
CHRIST , il ne vit que de nouveaux troubles , fa Patrie plus 
cruellement déchirée ha pote ; tous fes compatriotes , 
{es parens ; fes amis , expofés aux horreurs d’une guerre civi- 
le, & juftement frapés des anathêmes de l'Eglife. Sa charité 
étoit trop grande, pour que fon cœur n'en füt point rempli 
d'amertume : mais le faint Homme n'en parut que plus atentif 
à éloigner , tant de la Ville de Rome , que des autres Peuples 
confiés à fes foins , ces funeftes femences-de divifion , qui pro- 
duifoient des fruits fi amers dans la plüpart des Villes de Tof. 
‘çane. L'Abbé Ughel fe contente de dire qu'il remplit avec 
beaucoup de gloire & de dignité l'Emploi dont Sa Sainteté 
l'avoit chargé (1). Et felon Fontana, Aldobrandin continua 
à gouverner , avec fa prudence ordinaire , l'Eglife de Rome, 
juiqu'au retour de Grégoire X dans cette Ville (2). + ui 
dant les anciens Auteurs ne nous aprennent sx que ce Pape 
foit jamais rentré dans Rome après le Concile de Lyon. Nous 
favons qu’en revenant de France, il paffa par Milan au mois 
de Novembre 1275. Il arriva à Florence le 18 de Décembre, 
& il ne vouloit point entrer dans la Ville , à caufe des Cenfu- 
res dont il l’avoit frapée deux ans auparavant : mais la Rivié- 
re d’Arne fe trouvant extrémement enflée par les pluies con- 
tinuelles , le Saint Pere , obligé de traverfer un _—. de la 
Ville , leva alors les Cenfures, & un moment après il Les re- 
nouvella', en prononçant ces paroles du Pfeaume : Reffèrrez 


(1) Quam quidem 2 Pontifice fibi de- | reftate conftitutus eft. Quo in fupremo re- 
Mmandatam Provinciam Aldobrandinus ma - | gimine, ufque ad cjufdem Pontificis maxi- 
ximà cum dignitate , ingentique laude fufti- | mi regreffum in Urbem, fumma cum laude 
nuit, &c. ltal. Sacr. ut fp. præfuit. Fontaræ in Thea. Domin. Part.I, 
(2) Vicarius Apoftolicus in Urbe, atque | Ti, DCXLVII , p. 326. 
tot Apoftolicä ditione cum ampliflima po- nn 
: Ceci 


Sollicitude du 
Vicaire Apoltoli- 
que , pour confer- 
ver La paix parmi 
les Peuples confiés 
à fes foins. 


PL XXXI, 53 


390 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE avec le mords 6 le frein la bouche de ceux qui ne veulent poire 
IV. s’aprocher de vous. De-là le Pontife vint à Arezzo , où il 
Auvosrannin. Paila les Fêtes de Noël ; & peu de jours après y étant t6m- 
fé malade , il mourut dans A même lieu le dixième jour de 
Janvier 1296. | | 
Ce qu'il y a de certain, c’eft 1275 , au mois de No- 
vembre, l'Evêque d'Orviete faifoit encore à Rome les fonc- 
tions de Vicaire Apoftolique. Nous avons un Aëte figné de 
fa main , par lequel en vertu de l'autorité que lui donnoit fa 
Charge , 1l ratifia la donation de l'Eglife de la Minerve, cé- 
dée aux Religieux de fon Ordre par l’Abefle & la Commu- 
Vide Fonamwrfp. nauté de Sainte Marie au Champ de Mars. Si ce Prélat, après 
Se le Concile de Lyon, reçut à Rome le Souverain Pontife , ce 
ne put être que le Pape Innocent V, qui étant monté fur la 
Chaire de faint Pierre onze jours après 
cefleur , paffa aufli-tôt d'Arezzo à cette Capitale, où il fut 
couronné le premier Dimanche de Carême, vingt-troifième 
de Février , comme nous l’avons remarqué dans l'Hiftoire de 
fa vie. | | 
Il ne faut point douter que la premiére demande , que fit au 
nouveau Pontife un Evèque aufhi pacifique , & qui aimoit fi 
tendrement fes Concitoiens , ne fût en leur faveur. Grégoire X 
les avoit traités avec une jufte févérité : fon Succefleur , pour 
les ramener , ufa AE à leur égard. Il y étoit déja 
ts par le caraétére de fon efprit , & il ne lui auroit pas été 
: facile de refufer les priéres d’un ancien ami, dont il connoif- 
Aldobrandin; à {Oit le mérite, & dont il révéroit la fainteté. Aïant obtenu 
Orviete. cette grace , Aldobrandin retourna inceffanment à fon Eglife, 
| pour continuer à l’édifier & à l’inftruire avec la vigilance d'un 
Pafteur » & la tendreffe d'un pere. Lorfque fon grand âge & 
fes infirmitez ne lui permirent plus de remplir par lui-même. 
les fonétions Epifcopales , il demanda au faint Siège la per- 
miffion d’abdiquer fa Dignité , & celle de fe retirer parmi fes 
Fréres à Florence , réfolu d’emploier les derniers jours de fa 
vie à réconcilier ce Peuple avec Dieu , par de dignes fruits 
de pénitence , comme il les avoit déja réconciliés à l’Eglife 
ar l'abfolution des Cenfures. Le Pape Nicolas III lui refufa 
JA remicre de ces demandes , & lui acorda la feconde. Sa 
Sainteté favorifa ainfi les défirs des Habitans d'Orviete , en 
leur confervant leur Evêque , & Elle ménagea les intérêts de 
ceux de Florence , en confentant qu'il fuivit en leur faveur la 
vivacité du zéle qui l'animoit. 


— 


a mort de fon Prédé- 


La 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 3or 


. Les Florentins eurent donc la confolation de revoir cet ami 
de Dieu, ce zélé proteêteur de fes Fréres , qui , abfent ou pré- 
fent , les avoit toûjours portés dans fon cœur ; qui dans les 
téms les plus fâcheux , avoit fà compatir véritablement à 
leurs maux , & qui ne s’étoit jamais laflé de parler , d'agir, 
ou de prier pour eux. Les Religieux de fainte Marie-Nouvelle 
recouvrérent en même tems , dans un refpeétable Prélat, ce 
cher Supérieur , qui les avoit conduits pendant plufieurs an- 
nées , & qui dans un âge décrépit , confervoit encore toute fa 
ferveur , & cette Molets fimplicité , dont il leur avoit don: 
né de fi beaux éxemples. Réfolu de mourir dans la même Mai- 
fon où il avoit pris l'habit de Religieux , il mit fagement à pro- 
ft tous les momens , pour fe préparer à paroître devant Dieu, 
dont il avoit toüjours foutenu les intérêts , & procuré la gloire 
autant par {es aétions , que par fes paroles. Les derniéres qu’il 
prononça furent une vive exhortation à fes Fréres , & aux 
principaux Citoiens de Florence , aflemblés autour de fon lit. 
” Îl recommanda à ceux-là ce qu’avoit recommandé S. Do- 
minique à fes premiers Enfans , au moment que la mort al- 
loit le féparer Ë 

& du falut des ames , l’aplication à la Priére , à l'Etude , à la 
Prédication , & la même fidélité à leurs Régles, qu'ils avoient 
fait paroître jufqu’alors. Il donna de fages confeils à ceux-ci, 


& s’éforça de leur infpirer des fentimens de modération , de :, 


juitice, d'équité, & de paix. Après leur avoir fait compren- 
dre , que leurs folides intérêts devoient toujours être liés avec 
eh. 4 la SP pe , il ajoûta que l’ordre de la Providence 
ne les avoit placés au-deflus du Peuple , qu’afin que par leur 
vigilance , leur zéle , & leurs atentions ils le fiffent joüir des 
douceurs d'un fage gouvernement ; & que tenant en quelque 
maniére la place : Dieu  1ls fe montraflent toujours les peres 
des pauvres , les protefteurs des veuves & des orphelins, les 
vengeurs du crime , & les défenfeurs de l'innocence. N'ou- 
bliez jamais , leur dit-il, ce moment décifif, où vous me 
voyez déja arrivé, & duquel peut-être vous n'êtes point vous- 
mêmes éloignés. Ce que vous voudriez avoir fait, lorfque le 
jufte Juge vous apellera à fon redoutable Tribunal, pour ren- 
dre à un chacun felon fes œuvres, faites-le tous les jours de 
votre vie. La Religion, la juftice , l'honneur, la freté de 
vos familles , la gloire , & le repos de la Patrie ; tout vous y 
engage. 


LIVRE 


e 


REED e 
ALDOBRANDIN, 


ONE” 
XVI. 
Puis à Florence. 


Lean. Albert, ut fp. 


fol. 319. 


XVII. 
Ses derniéres pa- 


’eux , l'amour de Dieu, le zéle de la Religion, roles à fes Freres. 


XVIII. 
Et à fes Conci- 
yens. 


LIVRE 
IV. : 


ALDOBRANDIN. 





.… XIX. 
= Mort précieufe 
du fainc Evêque. 


392 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Ayant ainf parlé , le pieux Prélat reçut les derniers Sacre- 
mens avec cette foi vive, & cette tendre dévotion , dont fon 
cœur étoit rempli. Il mourut de la mort des Juftes le tren- 
tiéme jour d'Août 1279 (1). Les Religieux, & fes illuftres 
parens ne furent pas les feuls , à qui la mort de ce grand Ser- 
viteur de Dieu fit répandre des larmes fincéres. Toute la Ville 
de Florence fentit vivement la perte qu’elle faifoit , & la pom- 


pe de fes funérailles, quoique magnifique , fit bien moins 


d'honeur à fa mémoire , que les gémiflemens d'un Peuple 
afligé, dont les voix confufes demandoient qui déformais fe- 
roit leur proteéteur , & leur pere ? 

Selon Léandre Albert, le corps de ce faint Evêque fut d’a- 
bord inhumé dans l’ancienne Eglife de fon Ordre à Florence ; 
& quelques années après on À transfera dans la nouvelle, 
dont il avoit fait jéter les fondemens ; & où on voit encore 


{on épitaphe, peu À or nm , dit l'Abbé Ughel, aux 


mérites d'un fi grand Perfonnage. 


(1) Reverfufque ad Ecclefiam fuam , | chro, procul à pavimento cum hac brevi ; 
haud fine fanctimoniæ laude illam rexic uf- | atque impari tanti viri meritis infcriptione : 
que ad annum 1279 : quo tempore Flo- | Sepulchrum venerabilis Fratris Iidebrandini 
rentiæz à vivis exemptus eft die xxx menfis | de Cavalcantibus , de Florentia , Epifcopi 
Augufti, in illo ip{o à fe tantoperè dile&to | Urbevetani , Ordinis Prædicatorum, qui 
Cœnobio , cujus ipfe manibus jecerat fun- | obiit anno 1279 , die xxx Augufti. R. L Pe 
damenta. Tumulatus jacet in Ecclefia San- | Ir4l. Sacr. nt fp, | 
6x Marig Novçllz in marmorço fcpul- 


ge 
1" 
y 


US 


: à 
+ 





MORANDI 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 303 





. LIVRE 
TL LL | 
. DE SIGNIA, . 
EVÊQUE DE CAGLI ET DE FANO: 
: ORANDI, ou Morandus , apellé quelquefois Floren- MorANDI 
tin , parce qu'il étoit né dans le Château de # et DE SIGNIA. 
près de Florence, fut l'illuftre Collégue du célébre Aldobran- Dern dé 


Fontana , in Theatr. 
Domin. p. 150. 
Ital. Sacr.T. 1, Col, 
pcLzxvi; & T.Il,Col. 
DCCCXVI. 


Echard, T.L, pe 35f# 


din , dans les éxercices du Cloître, dans le miniftére de la 
prédication , & dans l’Epifcopat. Le Couvent de fainte Marie- 
PT avoit été pour l’un & pour l’autre une Ecole de 
fience & de fainteté. Animés du même efprit, ils portérent 
avec une égale ferveur le joug du Seigneur, prefque dès leur 
enfance. Et les éxemples du Bienheureux Jean de Salerne, 
ui leur avoit donné l'Habit de Religieux, furent en particu- 
lier pour le jeune Morandi, un Suit aiguillon , qui le fit 
marcher avec tant de ferveur dans la carrière, où 1l étoit en- 
tré, qu'on crut retrouver dans le Difciple toutes les vertus du 
Maitre. Sa piété tendre & folide fe foutint toujours avec éclat; 
le zéle du falut des ames lui fit embraffer avec joye les plus 
ands travaux , & méprifer les périls. Le Seigneur fe fervit 
e fes talens pour opérer d'illuftres converfions. Et la fagefle 
de fon gouvernement , dans la conduite de fes Freres, sm à pira 
à plufieurs Peuples le défir de l'avoir pour leur Evêque. 
- Celui de Cagli, dans le Duché d'Urbin, venoit de laifler 
vacant un Siège , qu'il avoit rempli avec beaucoup d'honneur : 
pendant vingt-fix ans. Le Chapitre auffitôt aflemblé , nomma 
notre Morandi pour Succefleur de Gilles , illuftre Bénédic- 


tin (1) ; & le Pape Aléxandre IV ayant confirmé cette Elec- 


. {1) Frater Morandus Horentinus , ex Or- 
dine Prædicatorum, eruditione, doctrina- 
de præclarus, celebrifque Concionator, 

an@z Mariz Novellæ fui Ordinis Floren- 
tiz Monafterii inter primos alumnos , Iide- 
brandini Cavalcantis Urbevqtani Epifcopi 
ja converfione focius, Æsilio Monacho 


Tome LT. 


Religiofus fanti Domisici non minori bo- 
nitate fucceflit anno 1259. Vix Morandus 
fuam Ecclefiam adminiftrandam acceperat, 
cum maxima orta diflenfio, Gibelina fattio 
mirum in modum Callienfem Civitatem di. 
vexavit,&c. Isal, Sacr.T. II, Col. pcccxvi 


| Ddd 


LIVRE 
IV. 


© MoRANDI 
DE SIGNIA. 
Dr 








394 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


tion l’an 1259 , les grandes qualitez du nouveau Pafteur con- 
folérent les Fidéles de la perte qu'ils venoient de faire. Mais 
rien ne fut capable de le confoler lui-même, lorfqu’au lieu de 
cette rie à paix, qu'il avoit d'abord anoncée à fon Peu- 
ple , & dont il fe propofoit de le faire joitir par fes fages aten- 
tions, il vit renaître les plus cruelles divifions , qui armérent 
tous fes Diocéfains les uns contre les autres ; & cela pour des . 
iérêts, aufquels la prudence, ou la van auroit dû les 
empêcher de prendre part. Les Guelfes & les Gibelins, fans 
jamais fe lafler de prodiguer leur fang , & de répandre celui 
de leurs Freres, combatoient avec une égale fureur, ceux-là 
pour le Pape, & ceux-ci pour Mainfroi. Le pacifique Prélat 
si dr inutilement les exhortations & les prières , la dou- 
ceur & les menaces, pour les porter à pofer les armes, ou à 
ne les prendre que dans la néceffité pour la défenfe de la Pa 
trie; on ne put fe réfoudre à fuivre fes falutaires confeils 
parce _ chaque Parti croyoit trouver fon bonheur dans la 
ruine de l'autre. 

Pendant que les Guelfes , fupérieurs à leurs ennemis dans 
la Ville FA pes , les dépouilloient fans pitié de leurs 
Charges, de leurs biens, & de la liberté ; les Gibelins de 
Cagli traitoient avec la même rigueur, peut-être encore avec 

lus de dureté ; les Guelfes , leurs femmes, & leurs enfans. 
Mais leur triomphe imaginaire atira fur eux-mêmes la colére 


du Ciel, lindignation du Pape, & les foudres de l'Eglife. Ils 


 perdirent en même tems leur Pafteur , qui, en fecouant la 


poufhére de fes piés , felon l’avertiflement de JEsUs-CHRIST , 
s’'éloigna d’un Peuple indocile : & Aléxandre IV , peu con- 
tent d'avoir mis la Ville en interdit, »l la priva encore de Fhon- 
neur du Siége Epifcopal. Ces coups redoublés n’abatirent pas 
fitôt les F "ARE pendant plus d'une année ils perfiftérent 
opiniâtrément dans leur rébellion ; & le Pape Urbain IV ; 
Succeffeur d’Aléxandre, les frapa de nouveaux anathèmes , 
tandis que les Habitans de Gubio , leurs anciens ennemis, pro- 
fitoient de leurs divifions , & n’oublioient rien pour les dé- 
truire par toutes fortes de voyes. 

 Acablé par tant de maux, le Peuple de Cagli commença 
enfin à paroître plus docile aux avertiflemens Le fon charita- 
ble Paffeur , qui du fonds de fa retraite, ne cefloit de prier & 
d'agir en faveur d’un Troupeau, dont il ne pouvoit abandon- 
ner les intérêts. Pendant que d'une part il travailloit à adou+ 


= 4 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 39; 


cir l'efprit du Souverain Pontife , 1l prefcrivoit de l’autre aux 
«coupables tout ce qu'ils devoient faire pour mériter leur par- 
don. Le Seigneur écouta l’humble priére , & les gémiffemens 
d'un homme felon fon cœur. Revenus à de meilleurs fenti- 
mens,les Gibelins rougirent de leurs propresexcès : les familles 
qu'ils avoient forcées d'abandonner Ps maifons & leur Pa- 
trie, ils les rapellérent, avec promeffe de réparer tous les torts, 
qu'ils leuravoient faits. Non-feulement ils rendirent au Vicaire 
x JEsus-CHRIST la foumifhion & l’obéiffance qui lui étoit 
dû ; mais par une Délibération commune , ils renoncérent fo- 
Jemnellement au parti de Mainfroi , & s’engagerent à ne plus 
recevoir fes Envoyez , fes Lettres , ni fes préfens , tant qu'il 
demeureroit féparé de la Communion des Fidéles : c’eft-à- 
dire , jufqu’à ce qu’il fe füt réconcilié avec le Saint Siége , qui 
l'avoit foumis à l’anatheme. 

À ces conditions, le Pape Urbain IV acorda aux Habi- 
tans de Cagli toutes les graces qu'ils demandoient , ou qu’on 
follicitoit pour eux. Ceux .de Péroufe agifloient vivement 
en leur faveur. Mais la gloire de cette heureufe récon- 
ciliation fut principalement atribuée au zéle de l’'Evêque Mo- 
randi & à la fagefle de fes démarches. Il réuflit à porter les cou- 
pables à l'aveu de leur faute ; & il obtint pour eux tout ce 
qu'il leur avoit fait efpérer. Non-feulement on leva l’Interdit 
& les autres Cenfures écléfiaftiques ; mais le Siége Epifcopal 
fut rendu à la Ville, & le Pafteur à fon Troupeau (1). 

Ce fut au mois de Juin 1263 , que le retour de ce Prélat 
au milieu de fon Peuple fit efpérer des jours fereins & tran- 
us , après tant & de fi violentes agitations , qui avoient 
fait répandre beaucoup de larmes aux gens de bien , & fans 
doute bien du fang aux ennemis de la paix. Pour ne point 
laifler l'ouvrage imparfait , il falloit étoufer d'anciennes 
inimitiez , faire oublier ou pardonner les injures , remétre 

Chacun dans fa place , régler les mœurs du Clergé & du Peu- 
ple , & opofer la vigueur des Loix à une liberté éfrénée , de- 
puis long-tems acoutumée à les méprifer. Telle fut l'ocupa- 
tion du pieux Evêque de Cagjli : il s'y apliqua avec tout le 
zéle d’un Pafteur , qui connoït toute l'étendue de fes de 
(2) Unus omnino annus lapfus , ante- { à quo intercedentibus amicis Perufinis , be- 
quam Callienfes ad cor redirent ; tandem | nignè funr recepti ; ita ut etiam impetrare 
Morandi Epifcopi monitis flexi, Manfre- | potuerint , ut Civitati Epifcopalis dignitas, 
dum abjurarunt, Romanæ Ecclefiæ Impe- | & Sedi Epifcopali proprius reftirueretur Præ« 
tum , & Urbanum Pontificem adorarunt ; | ful. Lei. Sacr, ns Jp. dd i 
| ÿ 


LIVRE 
IV. 


MoRANDI 
DE SIGNIA. 
RENE 








LIVRE 
IV. 


MoRANDI 
DE SIGNIA. 
ES 











\ 


Ja. Sacr.T.l , Cole 
BCLIVL 


Tom 1, P- 355- 


396 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


voirs ; & il eut le bonheur d'y réüflir, autant par fa réputas 
tion de doétrine & de fainteté, que par le don de la Parole; 
qu'il poffédoit dans un dégré éminent. 

Toujours prêt, felon l’avertiflement de faint Paul, à inf- 
truire , avertir, corriger ceux qui erroient hors de la M du D: 
invitoit les uns à la pratique & à l’amour de la vertu ; il ren- 
doit fes correftions Hobtiles aux autres par les douceurs 
d'une charité qui s’étendoit à tous , & qui ne fe rebutoit de 
rien ; & à l'infrudtion il ajoutoit toujours l'éxemple , & la 
ferveur de fes priéres. Lorfque par la force de fes difcours 
il ne pouvoit retirer les M a des routes de l'iniquité 
1l ne fe lafloit pas de demander au Seigneur de parler lui-mè- 
me à leur cœur, & de l’'amollir par la vertu fécrete de fa Gra- 
ce ; de leur infpirer une crainte falutaire de fes jugemens , &c 
de changer ces vafes de colére & d’ignominie en des vafes 
d'honneur & de miféricorde. La converfion de plufieurs , 
dont la vie parut depuis auffi édifiante qu'elle avoit été juf- 
qu'alors fcandaleufe , étoit une preuve que Dieu avoit écouté 
la priére de fon Serviteur. La joye du faint Evêque, fut de 
laiffer fon Eglife dans une met AA paix, lorfque la Provs- 
dence l’apella à la conduite k une autre. 
Le Pape Clément IV l'ayant transféré en 126$. (1) au Siège 
de Fano, dans le même Duché d'Urbin , on le vit toujours 
apliqué à former un Peuple faint, à le nourrir du pain de la 
Parole , & à l’édifier par fes éxemples. Le Pere Echard , après 
Fontana , dit qu'il aflifta au fecond Concile général de Lyon. 


Er ce fut peut-être l’ocafon qui l’engagea à compofer un 


Ouvrage qu'on lui atribuë , contre les erreurs des Grecs. On 

4 . . ,* . ! ’ ? 
met fa mort en 1276, dix-fept ans depuis qu'il avoit été facré 
Evêque. 


(1) Eruditione, do&rin3, & pietate cla- | bat ; atque ad vera pietatis opera fuo exemts- 
rens, celeberrimus divini verbi præco plu- | plo inflammabar. Tandem fui regiminis 
rimos perditos homines ad meliorem fru- | anno fexto à Clemenre IV ad Fanenfem Se 
En reduxit ..., quotidianis exhortationi- : dem tranflatus eft anno Domini 126$ + 

us fubditos ut in ne devotione erga Ro- : quarto nonas Oétobris. Fontana , in Theairs 
manam Ecclefiam perfeyerarent , admone- | Domin. p. 150. 


Sy Su 
cé 
ë 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 307 
| LIVRE 


SASASY EME SV SEM ENST EVENE SAS MEN EEE | IV. 
ROBERT KILOUARBI, 


ARCHEVÉQUE DE CANTORBERY, 
__ PRIMAT D’ANGLETERRE, 


DEPUIS CARDINAL, EVÊQUE DE PORTO. 


Es Hiftoriens Anglois ne font pas les feuls qui nous  Roxrrr 
ayent fait connoître les vertus & les talens de ce grand KiLouarsr. 
Homme , né en Angleterre vers l’an 1204, de parens Chré- 
tiens & diflingués dans le Siécle. Les éxercices de piété 8 Math. paris. 
l'étude des Lettres , furent les premiéres ocupations de fa ren Ale de vir, 
jeunefle. Envoyé enfuite aux Ecoles de Paris, ily pétt les "71m 
Dégrez , & mérita d’enfeigner publiquement la Philofophie Lo. 
dans cette célébre Univerfité. Cuoes Ouvrages qu'il pu- ne É 
blia dès-lors , lui donnérent un rang parmi les Savans ; & vant & verucux 
Duboulai le comte parmi fes illuftres Académiciens. Ecléiafique , 
Robert Kilouarbi , ou Kilwarbi ( car chaque Auteur écrit 
ce nom à fa maniére) étoit déja dans l’état cléfiaftique, & 
honoré de la Prêtrife , lorfque pour aflurer davantage fon 
falut , par un parfait renoncement au monde & à lui-même : 
1l demanda l'Habit de faint Dominique. On ignore s’il le re- I. 
çut à Paris même, ou dans un Couvent d’An ES , comme . Embraffe l'Inf: 
le prétendent les Ecrivains de la Nation. Le Pere Echard , ‘" % $: Domi< 
ui a fuivi leur fentiment, met la retraite du Serviteur de” 
Dieu en l'année 1230. Quoiqu'il en foit, la maniére dont 
: Robert remplit toujours les devoirs de fon état, fit connoi- 
tre la droiture de fes intentions. Sous l'habit de Religieux 
21 n’enfouit point fes talens ; mais 1] n’en voulut faire mais ILenfone e 
| _ pour travailler plus éficacement au falut ou à l’inftru@ion l'Univeriié d'Ox. 
u prochain, foit dan$ le Miniftére de la Prédication, qu’il De 
éxerça avec fuccès ; foit dans les Ecoles , où il explique les 
Livres faints avec de nouveaux aplaudiflemens. Dès l'an Echad, T.r, m 
1248 il avoit fuccédé , dans l'Univerfité d'Oxfort , à deux "°%7+ 
célébres Doëteurs , les premiers de fon Ordre qui euffent 
zempliune Chaire de Théologie dans cette Faculté. Il n'éfa- 


d ii 


LIVRE 
IV. 


ROBERT 


KILOUARBI. 
Dis ne 7 d 


Hift. Éccl. Lir. 
LXXXVI, Me 19 


IV. 
Avantages qu'il 
procure à la Pro- 
ÿince d'Angleterre. 


359$ HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


ça point leur réputation ; il la foutint au contraire , par fa fi- 
_délité à imiter ce qu’on avoit le plus eftimé en eux. | 

Déja illuftre ,dit Nicolas Trivet, par l’éclät de fes vertus 

de fa doûtrine ; il avoit une égale atention à former à la 
piété & aux Siences , ceux qui fe métoient fous fa conduite. 
Aufli vit-on fortir de fon Ecole d'excélens Sujets , dont plu- 
fieurs honorerent les premiers Sièges dans l'Eglife d'Angle- 
terre. Sa principale ocupation étoit de méditer les divines 
Ecritures , & delire les ne des Peres dans les Originaux : 
c'eft-à-dire, ajoute M. Fleuri, qu'il ne fe contenta pas d’en 
avoir les Extraits dans le Maître des Sentences & dans Gra- 
tien. Îl paroît en éfet qu'il voulut aller à la fouree , puifqu'un 
Auteur contemporain remarque , le A là avec atention 
les Ecrits des faints Doëteurs , particuliérement de faint Au- 
guftin , il entreprit de les rédiger prefque tous en Chapitres , 
à la tête defquels il mit de petits Sommaires , pour la commo- 
dité des Leéteurs (1). 

Le Provincial d'Angleterre n'ayant pas aflez répondu aux 
intentions des Supérieurs , qui avoient érigé le Couvent 
d'Oxfort en Collége général, il fut abfouyde fon Ofice dans 
le Chapitre tenu à Barcelone l'an 1 261 ; & Robert Kilouarbi, 
beaucoup plus zélé pour les Etudes , ou plus atentif à remplir 
tous les devoirs de l’hofpitalité & de la charité , fut mis en 
fa place. Pendant onze ans qu'il gouverna cette Province , 
il y fit fleurir la piété & les Siences ; excita l'émulation des 
jeunes gens , dont il cultivoit avec foin les talens ; il augmen- 
ta nn en le nombre des Sujets , & celui des Mai- 
fons Religieufes, Sincérement aimé de fes Religieux , il ne le 


fut Les moins du “a. - & des Grands du fiecle, qui con- 


noifloient fes vertus, & rendoient juftice à fon mérite. Le 
tems qu'il donnoit à fes éxercices de Religion , ou à fes de- 
voirs po Supérieur, lui permétoit encore E faire paroître di- 
vers Ouvrages, qui le Dent connoître non-feulement dans 
tout le Royaume d'Angleterre, mais aufli dans les Pais étran- 
gers , & particuliérement à la Cour de Rome. 


(1) Qui non tantummodd Religiofz, rumque Doétorum plurium per parva Capi- 
vitæ fanétitate, fed fcientià atque doétrinà | tula diftinxit, Sententiam fingulorum fub 
ræclarus habebatur. Nempe ante Ordinis | brevibus verbis annotando, &c. Nic. Tri- 
ingreflum Parifiis rexerat in Artibus . .... vet. in Chronico Regum Anglie ex fiirpe 
poît ingreffum verd Ordinis ftudiofus in di- | Andegavenfÿ #d An. 1178. Idem Dubou- 
viais Scripturis , originalibufque fanétorum | Lay , Hiff. Univ. Parif. T. III, Gata}, 
Parrun, Libros Auguftini fere omnes , alio- | UHuftr. Academ. p. 709, 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 399 


: Boniface de Savoye , Archevêque de Cantorbery depuis 
près de vingt-neuf ans, étant mort le premier jour d'Août 
1270 , les Moines élurent d’abord pour Archevêque & Pri- 
_ mat leur Prieur , Guillaume Chillinden. Mais, pour des 
raifons que l’Hiftoire ne nous a point aprifes , le Pape Gré- 

oire X cafla l’Ele@tion, & donna ce grand Siège à Robert 
Kilouarbi , à qui Sa Sainteté laifla la liberté de fe faire fa- 
crer par tel Evêque qu'il voudroit. Il choifit Guillaume , 
Evêque de Bathe , qui vivoit dans une haute réputation de 
fainteté, & qui facra le nouveau Primat , en préfence de 
onze de fes Sufragans , dans l'Eglife même de Citer | 
le premier Dimanche de Carème , treizième de Mars 1272. 
Le même motif qui avoit fait fouhaiter à notre Archevêque 


LIVRE 





ROBERT 


KILOUARBT. 
De = 





Fleuri, ut {p. 


Y. 
Il eft fait Arches 
vêque de Cantor- 
bery, 


de recevoir la Confécration des mains de ce grand Serviteur 


de Dieu , porta un autre faint Perfonage à ne vouloir rece- 
voir que de lui-même le Bonet de Doéteur. C'étoit le Bien- 
heureux Thomas, depuis Evêque d'Herfort , Capitale de la 
Province de ce nom. la vénération que cet Homme :illuftre 
confervoit pour la vertu de Robert Kilouarbi , dont il avoit 


été le Difciple & le Pénitent , lui fit diférer fes Grades, juf- 
ce que l’Archevêque de Cantorbery pût fe rendre à Ox- 
or 


t pour préfider à fon Aëte. 


Cependant , le choix que venoit de faire Grégoire X pour 
remier Siège de l'Eglife Anglicane , étoit égale- . 


remplir le 
. ment a PA du Clerge & des Peuples. Il fut furtout agréa- 
ble au Roi & à fa Cour : & le Primat répondit aux efpéran- 
ces des uns , & à la jufte atente des autres. Mais le Roi d’An- 
gleterre Henri TT , finit bien-tôt après fon Régne & fa vie : 
car, revenant de Norvic, où il étoit allé pour apaifer une 
fédition ‘populaire , & châtier les Bourgeois me 9 d’avoir 
brûlé l'Eplife Cathédrale & pillé tout ce que le feu avoit épar- 
né, ce Prince tomba griévement malade dans l’Abaïie du 
o1 faint Edmond , & mourut le feiziéme de Novembre. 
1272. Le lendemain des funérailles , le Primat, à latête des 
Prélats & des autres Seigneurs du Royaume aflemblés dans 
le nouveau Temple de PT 0 , fit reconnoître Edouard I, 
Fils aîné du feu Roi, pour Succeffeur à la Couronne ; & de 
concert avec la Reine , il nomma des Hommes fages pour 


VI. 
I! préfide à l’Af. 


femblée des Etats 
du Royaume, 


veiller au bien Eee pendant l’abfence du Roi Edouard |, 


alors ocupé à la Guerre contre les Sarafins dans la Paleftine. 
: Pendant que ce Prince, bientôt informé de tout ce qui ve 


LIVRE 





ROBERT. 


KILOUARBI. 
D. À 


VII. 
Aplication du 
Primat à bien ré- 
ler fon Diocèfe , 
à faire obferver 
Les Loix, 





VIII. 
Y1 fe rend au fe- 
cond Concile de 
Lyon. 


Pag. 257. 


400 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


noit de fe paffer en Angleterre, préparoit toutes chofes pour 
fon retour dans fes Etats, notre Archevêque remplifloit dans 
fon Diocèfe tous les devoirs d’un vigilant & zélé Pafteur. Les 
abus, ou anciennement tolérés, ou nouvellement introduits 
pendant la vacance du Siège, n’étoient ni en petit nombre, 
ni faciles à corriger parmi un Peuple peu docile , & naturel- 
lement jaloux de fa liberté. Tout ce qui avoit été foufert par 
néceflité, ou diffimulé pour un tems, pañloit dans fon efprit 
pour licite , ou paroifloit à certains devoir être toujours per- 
mis. Les pauvres cependant fans fecours , plufieurs Eglifes 
fans Miniftres , & les Hôpitaux pour la plupart extrémement 
népligés, ou mal 2dminifrés. atendoient les charitables foins 
d'un pere , dont la religion animée par le zéle , & guidée par 
la prudence remit toutes chofes en régle. Ce fut vers cet ob- 
jet que le pieux Archevêque tourna fes premiéres atentions. 
Il les porta jufques dans ces lieux deftinés à punir le crime , & 
quelquefois la négligence, ou la mauvaife foi des débiteurs : 
mais où trop fouvent l’innocent confondu avec le coupable, 
eft chargé de la même peine. Le Primat voulut prendre con- 
noiffance de tout, & pourvoir aux befoins-de tous. Par fes 
aumônes , & fes charitables inftruétions , il confola les uns, : 
adoucit les foufrances des autres, ou leur aprit du moins com- 
ment ils devoient les fantifier ; &x il fit le. on la liberte à plu- 
fieurs. Nous avons une de fes Lettres du dix -huitiéme de 
May 1273, par laquelle il avertit quelques pe confti- 
tuées en dignité, de métre hors des Prifons plufeurs de fes Sy- 
jets, qu'on y retenoit injuftement : & il les menace des pei- 
nes Canoniques , fi elles ne fe rendent à fes avertiflemens. 
Mais des afaires non moins preflantes obligérent ce Prélat 
de remétre à un autre tems la vifite d'une partie de fon grand 
Diocèfe , & de pafler cependant en France, pour fe trouver 
au fecond Concile de Lyon, où le Pape _ X l'avoit 
nommément apellé. Robert Kilouarbi s'y rendit acompagné 
de plufieurs aptres Evêques de la même Nation. Dans un Ecrit 
qui a pour titre : Anciennes Conflirurions du Royaume d'An- 
gleterre touchant la Jurifdiition 6 la Puiffance E cléfiaftique , il 
eft parlé de quelques conférences partiçuliéres entre le Sou- 
verain Ponuife, & l’'Archevêque de Cantorbery , quiacorda 
généreufement tout ce que demandoit Sa Sainteté, pour le fe- 
cours de la Terre-Sainte : ce qu'il faut fans doute entendre de 
Ja dixième partie des revenus Écléfiaftiques , que le Pape ob- 
| | | | tnf 


--DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 40r 


tint pour fix ans. Le Primat mit auf, felon les défirs du même LIVRE 
Pontife , fon fceau à la Conititution , apellée du Conclave, __ÎV. 
faite pour empêcher les + longues vacances du Saint Siége,  Roserr 
toujours préjudiciables à l'Eghfe. | KILOUARBT. 

Quoique abfent de fon Troupeau , il continuoit à veillerà 
fes intérêts, & à fon repos. M. Baluze, dans fon Hiftoire de Tom, purs. 
la Maifon d'Auvergne, raporte l’acord qui fut pañfé entre no- 
tre Archevêque , & Robert Comte de Boulogne, à l'ocafion 
de quelques véxations , faites ou foufertes de part & d'autre 
par leurs Sujets. Ce Traité eft du mois de Juin 1274. Il fut 
donc conclu pendant la tenuë du Concile , dont la premiére 
Seflion étoit marquée au fepriéme de May. La fixiéme { & der- 
niére ) ayant été heureufement terminée le dix-fept de Juillet 
de la même année , le Primat ne diféra point de s’embarquer, 
pour fe rendre en diligence à Londres. Le Roi Edouard, qui | 
depuis fon retour d'Orient, & pendant que le Concile étoit ges fe pero" 
afemblé à Lyon, s'ocupoit à pacifier quelques troubles dans l'honneur de facrer 
la Guienne , pafla en même tems en Angleterre pour la céré- #4 couronner 
monie de fon Couronnement. Ce fut, dit Nicolas Trivet , d'Angleterre. | 
l'Archevêque de Cantorbery, comme Primat d'Angleterre, 

i eut l'honneur de facrer le Roi & de lui métrela Couronne 
a la tête, de même qu’à la Reine Eléonore fon Epoufe. 
Prefque tous les Prélats & les Grands du Royaume ; avec 
le Roi d'Ecofle & le Duc de Bretagne , s'étoient rendus à 
Weftminfter fur la Tamife , où fe fit cette augufte Cérémo- 
nie, le Dimanche dans l'Oftave de l'Aflomption de la Sainte: 
Vierge 1274 (1). | | Ru 

Dès que les afaires du Prince & de l'Etat purent le per- 
métre , l’Archevêque fe hâta de rentrer dans fon Eglife , non 

our s’y délaffer de fes fatigues , mais pour facrifier fon repos. 
Û celui des Fidéles & à leur inftruétion. Ayant aufli-tôt repris _. 
le cours de fes vifites, on le vit toujours ocupé (commele 1 continue à vif. 
doit être un Succefleur des Apôtres ) à ten aux néceffi- fer, fon Diocte, 
tez des pauvres , des veuves, des orphelins ; à fairerendre la aux pauvres Fa 
juftice aux Peuples ; à réprimer les entreprifes de ceux qui ‘milles, aux Savans, 
oprimoient les foibles ; à encourager ourécompenfer les bons Mailons Ke! 
Miniftres de l’Eglife, & à corriger ceux, dont les mœurs & ligicufes. | 
(1) À Clero & Populo cum gaudio re-} nora conforte fua , à Fratre Roberto Can- 

ceptus ( Rex Eduardus ) maximo & hono- | tuarienfi Archiepifcopo inungitur in Re-, 
re Dominica infra Affumptionem Virpinis | gem , & folemniter coronatur, &c. Nic, 


gloriofæ , decimo - quarto Calendas Scp- | Tréver. in Chron, #4 An. 1174. 
gembris |, Weftmonafterii, una cum Elco- 


Tome L, oo Eee. | 


_ 402 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE Ja conduite ne faifoient point honneur à leur Cara@tére, Ee 
IV. bon ordre qu'il avoit mis dans fa maifon, pouvait.fervir. de 
Roserr modéle à tous les Grands qui vouloient vivre felon les régles 
Kizouarsr. du Chriftianifme ; mais furtout aux perfonnes Ecléfiafhiques , 
mm” à qui il avoit droit de prefcrire des réglemens, tant dans fon 
Le : Diocèfe que dans toute la Province. Ce n'étoit. pot à fes 
grands revenus qu'il mefuroit fes dépenfes : fon train étoit 
aufli modefte que les bienféances pouvoient le fouftir , & 
fa table encore plus frugale. Fout cela le métoit en état de: 
fecourir bien des familles indigentes, & de fuivre dans lo- 
cafion fes fentimens de générofité ou de charité. Il nefe con- 
tenta pas de donner des preuves réelles de lune & de l’autre 
ätous ceux de fes Diocéfains , qui avoient befoin de fon fe- 
cours ; les Univerfitez de Cambridge & d'Oxfort , ainfi que 
… les Particuliers qui cultivoient avec fuccès les Siences: ou les 
…  Belles-Lettres ; reffentirent les éfets de fes libéralitez ; &. les 
… Religieux de fon Ordre ne furent point oubliés : felon Le té- 
” moignage des Hiftoriens Anglois , il leur fit bâtir ou réparer 
. plufieurs Maifons , & conftruire quelques Eglifes, qu'ils apel- 
Le magnifiques. On nomme en particulier celles de Lon- 
dres (1) & de Sarifbery. es LA 
_ . Fidéle à remplir tous les devoirs de fon Miniftére , l'illuftre 
Ilrâche d'imiter Primat s’étoit propofé pour fes modéles Îles grands Saints , 
ee os qui avoient gouverné avant lur PEglife de Cantorbery. IE 
a LE marcha toujours fur leurs traces , & imita toutes leurs ver- 
tus. Auf l'a-t-on mis au-nombre de ceux, dont les éxem- 
ples méritent d’être propofés à leurs Succefleurs. L’avertifle- 


L Tim. IV, 1, merit qué: donnoit faint Paul à fon Difciple Timothée : Pezl 


Lez fur vous-même & à l'inftrutlion des autres : demeurez ferme 
dans ces éxercices ; car agiffant de La forte , vous vous fauverez 
vous-même , & ceux qus vous écoutent : le Serviteur de Dieu le 

_ prit pour lui, & il en fit la règle de fa conduite. Sans jamais 
“ mégliger l'éxercice de la priére , ni la méditation des Livres 
faints ;'où 1} aprenoit à régler fon. intérieur & à croître tou- 
“jours en charité, il ne cefla d'édifier , d'inftruire , de corri- 
ger & de nourrir le Froupeau qui lui étoit confié , répandane 
toujours fes abondantes aumônes dans le fein des pauvres 


(x) Londini Coemtis aliquot. négleëtis | Templum clegamis operis, & Ædes me 
atcis fed' amplis, & ruinis Caftelli Baynar- ue pofuit , &c. Lelandus, #p. Echarde 
dini adjacentibus, ed fodales füos Prædi- | 1, I, p. 376. L 
catores, ex antiqua Sede traduxit ; ifque | 


+ 
() 


LL. 2 


7 DE L'ORDRE'DE'S. DOMINIQUE: 403 
confolant les afligés , recevant avec bonté les pécheurs qui 
revenoient enfin de leurs égäremens , & fe faifant tout à tous 
pour les gagner tous à JESUS-CHRIST. Son gouvernement 
fut tranquile & glorieux ; mais il ne fut pas long. Il n’y avoit 
ne encore fix ans acomplis que Robert Kilouarbi condui- 


LIVRE 
IV. 


ROBERT 


KILOUARBI. 
D se ee À 








oit fon Eglife, avec la folicitude & le zéle d'un véritable : . 


Pafteur , toujours honoré de la confiance de fon Prince, ref. 
peété des Grands, & infiniment cher à fon Troupeau , lorf- 
qu'il fut honoré de la Pourpre & apellé en Italie. nn. 
: Nous avons vü que le Pape Grégoire X , fur la feule répu- 
tation de {on mérite , l’avoit préféré à tous ceux qui poù- 
voient afpirer à la Primatie d'Angleterre, Le Cardinal Jean 
Gaëtan des;Urfins , avoit depuis connu plus particuliérement 
les vertus & la doûtrine de cet illuftre Del , foit dans les 
Affemblées publiques du fecond Concile de Lyon ; foit dans 
les entretiens particuliers qu'il avoit .eüs avec lui. Devenu 
Pape, fous le nom de Nicolas TIT , il ne diféra pas de lui don 
ner des preuves de fa parfaite eftime : dans la premiére Pro- 
motion que fit ce Pape le Samedi des Quatre-Tems de Ca- 
rême , douziéme de Mars 1278 , l’'Archevêque de Cantorbe- 
ry fut fait Cardinal , Evêque de Porto. L’intention du Sou- 
verain Pontife , en le revêtant de cette éminente Dignité , 
n'étoit pas feulement: d’honorer fon mérite ; il vouloit en- 
core faire ufige de fes talens , pour le bien de l'Eglife Uni- 
verfelle ; & c’eft dans cette vue qu'il l’invita à fe rendre in- 
ceffanment auprès du Sajnt Siége. Le nouveau Cardinal obéit 
auffi-tôt : Et M. Sponde , après Ciaconius , raporte que Ni- 
colas. I{T fe :fervit de fa favante plume pour la converfion des 
Tartares, comme 1l employoit pour celle des Juifs les Prédi- 
cations de plufieurs autres Religieux du même Ordre (1). 

Les honneurs & les nouvelles ocupations de notre Cardi- 
nal, ne lui firent point oublier ce qu'il avoit toujours confi- 
déré comme fa premiére ou fon unique afaire. Au milieu du 
tumulte de la Cour , ‘il fut conferver le recueillement de l'ef” 
prit & la pureté de fon ame. Les. mêmes vertus de modeftie ; 


LUE LEE 


(1) De eæterorum quoque Infidelium fa- 
lute follicitus ( Nicolaus IÎT; ) Conftitutio- 
nem edidit pro Judæorum converfione ; 
quibus Fidem diligenter annunciari per Fra- 
tres Prædicatores mandavit. Ufumque eun- 
dem Roberti Kilwarbii Angli cities Or- 


dinis Prædiçatorum , ex Archiepifcopo Can- 


tuarienfi creati à'fe Cardinalis Epifcopi Por, 
tuenfis , Theologicis, & Philofophicis ftu- 
diis ac Scripris fnfignis , induftrià ad Litie- 
ras fuo nomine pro converfione Tartaroruns 
{cribendas apud Ciaconium legimus. Spon- 
dan, 44 An. 1278, 1. 3. 


Eee 


. 
CR 


Nicolas IT l'ha- 
nore de la Pourpre 
Romaine, & l'a- 
pelle en Iralie. 


LIVRE 
IV. 


ROBERT 
KILOUARBI. 





Vide Echard,T.1, 
P. 376 


XII. 
Sa mort 


XIV. 
Ses Ouvrages. 


304 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


de douceur, d’humilité , dont il avoit donné de fi beaux 
éxemples dans les diférens états de fa vie , 1l les pratiqua avec 
la même conftance (peut-être avec plus de mérite } dans fa 
plus grande élévation. Son done furtout étoit fi 
Connu, que fon Succeffeur dans le Siége de Cantorbery , ne 
voulut s’adreffer qu’à lui-même, pour obtenir du Pape d’être 
difpenfé de payer une penfion , que Sa Sainteté & le Roi 


\ 


LE” avoient affignée à ce Cardinal fur les revenus de fon : 
life. | | 
Mais le Serviteur de Dieu étoit déja mûr pour le Ciel. 
Etant à Viterbe , où fe trouvoit la Cour de Rome , il fut ata- 
Em de la maladie, qui le fit pafler des travaux & des périls 
e cette vie au repos de l'Eternité. M. Fleurr, après FAbé 
Ughel (1), dit os mourut l’an 1280, non fans foupçon 
d'avoir été empoifonné. Quelques Ecrivains Anglois , par- 
mi les Modernes , ont afluré le même fait. Mais Nicolas us 
vet , Auteur contemporain , & fort éxa&, n’en a point parlé. 
Le corps de ce Cl fut enterré à Viterbe , | ve l'Eglife 
des Freres Prêcheurs, apellée l’'Eglife de Sainte Marie qux 
Dépgrez. | 
Les Ouvrages que nous avons de lui, prouvent aflez ce 
u'ont dit les Hiftoriens de fa vie , qu'il étoit un des favans 
ommes de fon tems, en tout genre d'Erudition & de Lité- 
rature. Il a écrit fur la Grammaire, fur la PhHlofophe & 1z 
Théologie , fur plufieurs Livres de l'Ecriture Sainte , fur ceux 
de faint Auguftin & de quelques autres Peres de l'Eglife ; & il 
nous a laiffé divers Traitez de piété. Selon l'expreflion d’un 
Critique moderne, quoique Robert Kilouarbi ait vêcu dans 
un fiécle , qu’il apelle le régne des Sophiftes grands Caufeurs , 
lufieurs de fes Ouvrages méritent encore l’eftime & l'apro- 
Lu du nôtre (2). | PE; 


* (1) Frater Robertus . ... Angli Ordinis | Vura monumenta reliquit ingenii, &cc. Is: 
fanéti Dominici, Cantuariz Archiepifco- | Sacr. T. I, Col. cxxxvuI. . 

pus, vir Dodiflimus , à Nicolao III fuble. | (1) Quamvis in Garrulorum Sophiftarumr 
étus elt Epifcopus Cardiaalis Portuenfis . .…. Finciderit fzculum , multa tamen feripfit , 
Viterbii vitam finivit anno 1280 , non fine | quæ ne noftro quidem tempore laude fu 
haufti veneni fufpicione , ut Pitfæus de | indigna funt. Lelandus in Scriptorib. An 
Scriptoribus Eccleñiæ Angliæ narrat. Sepul- | gls. C. CCLXXI _r 

aus eft in Templo Sanétæ Mariæ ad Gradus. ot : 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 405 — 
RER PANNE EE ENENNNNENSE IV. 
GUI DESULLY, 

ARCHEVÊQUE DE BOURGES, 


PATRIARCHE , PRIMAT D'ÂQUITAINE. 


ELON Pierre de Blois , cité par François Duchefne Gur ne Suizv: 
N dans fon Hiftoire des Cardinaux François * , la Maifon | 
e Sully 


tiroit fon origine de Princes très-illuftres , & s’étoit *r.1,1iv.1,p. 183, 
11. 


2 





quelquefois alliée avec les Rois de France. Dans le douzié- 
me & letreizième fiècle , elle donna plufieurs Pafteurs à l’'E- 
glife de Bourges , &‘’deux Cardinaux au facré Collége. 
Penr: de Sully, Archevêque de che , fut fait Cardinal 
Evêque d’Albane par le Pape Urbain IT , l'an 1186 ; & Si- 
mon de Sully ocupoit encore le Siége de Bourges , lorfque 
Grégoire IX lui donna la Pourpre Romaine , avec le titre de 
Cardinal Prêtre de fainte Cécile , l'an 1229. | 
= Celui dont nous parlons à tr » beaucoup plus recom- 
mandable par fa rare piété & le zéle de la Religion , que par 
tout l'éclat de fa naiffance , étoit Fils de Henri de Sully, Grand 
Echanfon de France. Une éducation chrétienne & fon ex- He me LL 
célent naturel , l'éloignerent de tout ce qui auroit pû cor- 1iv.ixum,n 6, 
rompre fes mœurs dans le Siécle ; & Dieu l’apella de bonne 
heure à fon fervice dans l'Ordre des Freres Précheurs, Ce 
fut dans le Couvent de faint Lx en 4 Paris, qu'il en reçut Gui de Sally Do- 
l'habit, & qu'il travailla à perfeétionner fes talens par l'apli- minicain. w 
cation à l'Etude. Il ne tarda pas à les faire valoir , foit dans 
les Ecoles , foit dans le Minifére de la Parole, felon l’efprit 
de fa vocation. La nature & la Grace lui avoient EE à ce 
qui fait le parfait Supérieur , la prudence , la fageffe , la cha- 
_rité, un caraétére de douceur , jointà un ue amour de la 
Difcipline réguliére , & à une fermeté inébranlable dans tout 
ce qui QE la gloire de Dieu , ou le falut des ames (r}. 

on Denis remarque , que tous les Auteurs qui ont par. Chi T-n, 


I. 
Maïfon de Sully. 


Col Laxsr, 


(x) Frater Guido de Soliaco, vir mitis , | & animi magnus, præfuit aliquando Cœno.. 
nis, præftans tam Nobilitate parentum, | bio Parifienf. Les. Albert. ss viris Hlufir, 
quâm morum honcftate, ad quæcumque | Lib, III, fol. 83 
agenda pro Chrifto intrepidus , conftans , | | | 


Eee iÿ 


LIVRE 
IV, 


DE ESS ES 
Gui DE SULLY. 
D | à 





Téid,C. 1xx , Lxxr. 


_ 


TITI. 
Fait Archevêque 
de Bourges. 





406 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


lé des Hommes illuftres, ou des faints Perfonages de l'Ordre 
des .Freres. Prêcheurs , ont toujours donné un rang diftin 
gué à Gui de Sully. Cependant la négligence ordinaire de 
nos anciens Ecrivains, nous a laiflé ignorer les autres cir- 
conftances de fa vie, & les Emplois qu'il avoit remplis dans 
fon Ordre avant l’année 1276, qu'il étoit Prigur du Cou- 
yent de faint Jâques , lorfque la Providence le fit monter fut 
le Siège de Bourges. 
Jean de Sully eu frere, Succeffeur immédiat du Bienheu- 
reux Philippe Berruyer , avoit conduit cette Eglife depuis 
l'an 1261 jufqu'en1271. L'Hiftoire nous aprend ce qu'il fit 
pour en foutenir les droits. Après fa mort , les Chanoines 
divifés entr'eux , ou troublés par les brigues des concurrens, 
ne purent faire d'Éleétion. Et pendant la longue vacance de 
ce Siége , il fe commit une infinité de fcandales & de défor- 
dres , tant dans le Clergé que parmi le Peuple. Enfin le Pape 
Innocent V , fenfiblement touché du trifte état où étoit alors 
une Eglife autrefois fi floriflante , & fantifiée par les éxem- 
ples d’un grand nombre de fes refpeétables Pafteurs , cher- 
cha un Sujet digne de leur fuccéder , propre à faire revivre 
leur efprit par limitation de leurs vertus , & capable de ren- 
dre à fon dépe fa premiére fplendeur. Le mérite de Gui de 
Sully ne pouvoit être inconnu au Souverain Pontife , puif- 
qu'ils avoient pañlé plufieurs années enfemble dans la même 
profeffion, dans la même Province , & peut-être dans le’ 
même Couvent. Cela paroît par les Lettres que Sa Sainteté 
adreffa au Roi de France Philippe IT , pour lui aprendre que 
de l'avis des Cardinaux , Gui de Sully Dominicain , Prieur 
du Couvent de faint Jâques , avoit été choifi pour Pafteur 
de l'Eglife de Bourges. Le Saint Pere prioit en même-tems 
Sa Majefté de vouloir honorer le nouveau Prélat de fa 
Royale proteétion , & lui remétre les droits de Régale. 
Nous l'atendons avec confiance , ajoutoit le Pape, & nous 
le fouhaitons d'autant plus , que les grands mérites de cet Ar- 
chevêque nous le pt ne particuliérement cher (1), Le Bref 
d’Innocent V eft daté du 27 Mai 1276, | 


(r) Sanè circa præfentem ftatum Bituri- y le&ti Filii Guidonis de Soliaco eleéti Bituri- 
cenfis Ecclefiz, cùm per plures annos jam | cenfis relevetur à noxis, & falubribus dan- 
permanfir deftitura Paftore : Et fic vacando | te Domino proficiat incrementis ; eundem 
Éahtee difpendia pertulit , paternà follicitu- | Guidonem xv Cal. Junii , tunc Priorem 

ine vigilantes & intendentes, quod Eccle- | Fratrum Prædicatorum Parifienfium de Fras 


fa ipla per circumfpeétionis induftriam di- | trum noftrorum çonfilio , iphEcclelix præs 


_avoit empêché l’Ele@tion d’un Evêque , ou avoit forcé les Elec. 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 4o7 | 
Si parmi les membres du Chapitre de sta ET ilyeneut, ÉIVRE. 
J {e plaignirent d’un choix , dont les gens de bien fe réjouif- __1V. 

oient ; fi quelques-uns même oferent s’y opofer , comme Gur pe Suzzv. 
Bernard Guidonis femble linfinuer , le nombre des mécon- 
tens fut fort petit , & leur opofition fans aucun éfet (1). Dès 
le mois de Janvier de l’année fuivante , notre Archevêque picoirie Palliums 
reçut le Pallium , que le Pape Jean XXI lui fit préfenter par 
Gui de la Tour du Pin, Evêque de Clermont. Après avoir 

rêté le ferment de fidélité entre les mains du Roi Phihippe 
b Hardi , it donna tous fes foins au rétabliflement du bien 
fpirituel & temporel de fon Eglife. Réfolu de ne rienoublier 
sé renouveller les anciennes pratiques de piété parmi le 

euple, & 7 les Ecléfiaftiques à la fainteté des Ca- 
nons & de la Difcipline , 1l ajouta à fes fages Ordonnances. 
la prédication , l'éxemple , les vifites , les aumônes. Mais 
de tous les moyens qu'il employa pour abolir les abus trop 
multipliés , Le plus éficace fut la fréquente célébration des 
Conciles Provinciaux. | | nu: 
. Pendant fon Epifcopat, qui ne fut que de cinqans, ilaf- 
fembla trois fois tous les Evêques de À er Cardinal . 
Simon de Brie, Légat Apoftolique en France, préfida au pre- ,, Premier Concile 
mier Concile, qui fut tenu fous notre Archevêque dans la Gui de Sully. 
Ville même de Bourges , au mois de Septembre r176. Gui de 
Sully apofa fon fceau aux Réglemens, qui avoient été faits ; 
& fe chargea de les faire obferver | pour maintenir primcipa- 
lement, ou pour rétablir, la liberté des Ele@ions, & Fim- 
munité Ecléhaflique, dans l'étenduë , dont le Clergé étoit, . ” 
alors en poffeffion., mais qu’on voyoit fouvent troublée par 
les entreprifes de quelques Particuliers , quelquefois par les 
J g- Laiques , ou par les Seigneurs Temporels. - 
 Enquelques lieux, la multitude excirée par des Méchans, rat, we. 
teurs de [a remétre à un autre tes. Les se 34 ms ces fortes Abus MT le 


de violences n’étoient ni rares , ni éloignés. Sans refpeét pour Fons _ UE 
: . ges entrepren 

les Eglifes ; & les autres lieux de Franchife , on ne craignoit Poe 

fecimus in Archiepifcopum, & Paftorem.... | Chrif. T. II, Col. xx1v , inter infirum. : & 

Serenitatem tuam rogamus & hortamur at-| (1) Exfufat contradictione frivolà quo- in 

tenté quatenus eidem clecto , quem fuis cla- | rumdam paucorum, extitit celeriter & feli- | 

tis exigentibus meritis benevolentià Fe citer brutes in Archiepifcopum , Pa- 

quimur fpeciali , pe & Apoltolicà : triarcham , Primatemque , &c. Gal. Chrif. Dee. 

reverentia, Regalia fine qualiber difficultate | T. 11, Col, Lxx11, ex Bern. Guidon, 

Soncedas, &c. Epiffola Innoc. V, in Gal, | in MMS.. | 


LS 


à 


408 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE point de maltraiter , de blefler, ou de mutiler , jufqu’aux piés 
V. des Autels , ceux qui s’y étoient di: a comme dans un afyle. 
Gui pe Suiv. Etonfe plaignoit avec raifon de plufeurs autres abus.Les Lai. 
ques, pour extorquer l’abfolution des Cenfures, employoient 
ouvent la violence, oules menaces, & troubloienten plufieurs 
Le  maniéres la jurifdi@ion des Evêques. Ceux - ci diminuoient 
auf quelquefois celle des Abez’, en écoutant trop facilement 
les plaintes de leurs inférieurs. Les Juges députés par le Légat, 
décernoient des citations générales contre tous ceux , que le 
porteur de leurs Lettres nommeroit, & éxigeotent des amen- 
des, pour abfoudre des Cenfures. Les Exemts , foit Régu- 
liers, ou Séculiers , admétoient quelquefois les Excommuniés 
aux Ofices Divins , à la participation des Sacremens, & à la 
Sépulture Ecléfiaftique. els étoient les défordres, aufquels 
le Concile de Bourges entreprit de remédier par la févérité des 
peines, qu'il décerna contre les coupables. 

VI. Mais les plus rigoureufes Cenfures, l'Excommunication de 
Zéle & vigilance plein droit, l’Interdit, la privation des Bénéfices, ou la perte 
de l'Archevèque. des Fiefs relevant de 0 : tout cela fervit peut-être moins 
au bien qu'on fe propofoit, Fr la vigilance , le zéle, la fer- 
meté de notre Archevêèque, & la fainteté de fa vie. Sa princi- 
ale atention fut toujours de rapeller au devoir , & les Eclé- 
Er oen par l’éxemple, & les Peuples par l'inftru&ion. Si 
par l'indocilité de quelque-uns ilfe vit quelquefois obligé d'em- 
ployer la rigueur des peines ; il ne les so ve jamais. L’E- 
life de Bourges , par fes foins oublia bien-tôt les maux qui 
Re Pit afligée pendant la vacance du Siège. Et pour procu- 
Condles Awillac, rer le même avantage à toute fa Province , deux ans après le 
Concile dont on vient de parler, le Primat en aflembla un fe- 
cond à Aurillac dans la À Auvergne , où fe trouvérent 
_ les Evêdües de Clermont , de Limoges, de Mande, de 
73% # Rodez, & d'Albi. L'objet de cette Aflemblée , qui dk la 
Lettre Synodale le 23 d'Août 1178, étoit de réprimer les ex- 
cès , où fe portoient quelques Miniftres de l'Eghfe , pour em- 
êcher la vifite de leurs Evêques, & éviter la A > OU 

fe châtiment, qu'ils avoient lieu d'apréhender. 
| TX. Le zéle de la Maifon du Seigneur porta Gui de Sully à tenir 
TroifiémeConci- un troifiéme Concile , qu'il aflembla dans fon Eglife A Bour- 
Rs * ges au mois d'Avril 1280. On auroit peine à croire que parmi 
OS es Miniftres de l’Autel , confacrés par état, à ce que la Reli- 
gion a de plus grand , & de plus augufte, on en vit ge me 





: DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 409 
dans le treiziéme fiécle, qui ne rougifloient point d’avir leur 
Cara@ére , & de fe dégrader eux-mêmes , tantôt en fe mon- 
trant en public avec des habits moins convenables à leur pro- 
feffion , qu’à celle des Comédiens ; 8 tantôt en éxerçant les 
métiers les plus bas , ou les plus méprifables ; Forgerons , Cor- 
doniers , Savetiers, Corroyeurs Hôteliers , Bouchers. C’eft 
ce que nous lifons dans un Statut du Concile de Bourges, 
porté contre ces abus, & confervé dans les Archives de l'Ar- 
chevêque d’Alby (1). Don Martene l'a publié dans le qua- 
triéme Tome de fes Anecdotes. * | 
L'indigence peut-être fembloit en quelque maniére autori- 
fer dans les uns, ce que l'oubli des Régles, ou la capidité inf- 
piroient aux autres. Aufli le pieux Palfeur ne fe contentoit-i] 
pas de leur rapeller ces Régles fi a rm méprifées , ou 
de publier fes Dan: pour les faire obferver : mais afin 
d'ôter tout prétexte de les violer à l'avenir , il étoit faintement 
prodigue de fes biens à l'égard de tous ceux , dont les nécefli- 
tez lui étoient connués. ë vie toujours pénitente , & la fru- 
Ee de fa table lui permétoient de fe montrer libéral envers 
es pauvres. Et il ne faut pas douter que fa charité ne com- 
mençât toujours par ceux du Clergé qui méritoient le plus 
d'en reffentir les éfets: Jr dignitate Præful humilis | benignus 
omnibus, largus muneribus , fibt parcus. C’eft le portrait, ou 
l'éloge qu'ont fait de notre Archevêque les Ecrivains, qui l’a- 
voient particuliérement connu. Le Seigneur l'apella à lu: dans 
le tems , que tout ocupé du foin de rétablir le culte divin, & 
de former un Peuple parfait, fon Miniftére paroifloit être le 
lus néceffaire à ion Eglife. Sa mort ariva À cinquiéme de 
Mars 1281. Il fut inhumé avec fes Freres dans l’Eglife des Do- 
minicains (2). | 


(1) Anno Domini 11280, menfe Aprilis or- 
dinatum fuit in Concilio Bituricenfi , qudd 
Clerici exercentes vilia Officia moneantur in 
cafñbus infra Scriptis. Imprimis Fabri Ferrarä 
.... Sutores fotularium, five Sabbaterii….. 
Coyraterii, five Balnearii Coriorum : Ta- 
bernarii Plebeii : Macellarii : Item veftes 
virgatas continué publicè portantes. Præ- 
dir legitimè monit , quandiu prædi&@ta 


officia exercuerint , non defendantur, &c. 


Ap. D. Mart.T. IV, Anecdotor. p. 191. 

(2) Ifte Guido fuit vir fantus, humilis 
corde, mitis , in rebus Dei conftans , & ma- 

animus. Obit Bituris anno Domini 
1280 (Scilicet flylo veteri , novo 1181 ) E- 
pifcopatüs anno quinto. Sepultus fuit in 
Conventu Fratrum. Bers. Guidonis 4«p, 
Echard.T. I, p.383. 


ge 


Tome I. 


Fff 


LIVRE 
" IV. 


Gui DE SULLY. 
Noos tee 2 








ZX. 
Charité du Prélae: 


Gal. Chrift. T. If 3 
Col. Lxxis, 


Sa mort, 


- 


| io HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE . 
IV. CTCSESENENT:E SUCRE CNRS 
GUILLAUME. 
| DE MORBECA. 
 CHAPELAIN ET PENITENCIER DU PAPE ; 


DEPUIS ARCHEVÉQUE DE CORINTHE. 
GUILLAUME. M ORBECA , aujourd'hui Ninove : tite Ville du Pays- 





>» 


DE MORBECA. À Bas, au Comté de Flandres, fur les Frontiéres du Bra- 

=" ant, a été la Patrie de l'illuftre Prélat, que quelques-uns 

cum. apelent Brabantin ; & que les autres métent parmi les Savans 

Fan. Lu Ou les Ecrivains de Flandres, connu plus communément fous 
Bonus 5% le nom de Guillaume de Morbeca. | | 

. Son génie & fon inclination le portérent dès fa jeunefle à 

l'étude … Lettres ; & 1l y réuffit. À yant enfuite embraflé l’Inf- 

titut des Freres Prêcheurs dans le Couvent de Louvain, il de- 

vint aufli habile Théologien, qu'il étoit déja diftingué par la 

connoiffance des Langues Orientales. Ce n’eft pas feulement 

par le 1. des Hiftoriens , mais aufli par les Traduc- 

tions qu'il a faites de plufeurs Ouvrages Grecs, & Arabes, 

qu'on peut connoître combien il s’étoit rendu familier l’ufage 

u ces deux Langues. Comme il n’avoit pas moins de zéle & 

de piété , que d'Erudition , il voulut métre à profit pour le fa- 

lut du prochain les talens qu’il avoit reçûs de Dieu. On croit 

u’il fut un des Miflionaires Apoftoliques , que nos Chapitres 

énéraux faHoient partir de toutes les Provinces , pour anon- 

cer l'Evangile aux Sarafins, & aux Schifmatiques d'Orient (1). 

Nous ignorons, il eft vrai, l’année de fon départ, & cellede 

fon retour: mäis nous favons que dans le mois de May 12168 

xl étoit déja à Viterbe auprès du Pape Clément IV, qui l'ho- 

nora de la Charge de fon Chapelain, & Pénitencier , dans le 


(1) Ut autem vir erat pictate, réligione | tum fere quotannis è fingulis Provinciis à 
doétrinaqueinfignis, fed & zelo animarum, | Capitulo generali mitterentur Sodales graves 
ac Domüs Dei æftuans , Linguas quæ ad id | & voluntarii, ex iis Guillelmumunum fuiffe, 
maximè conducunt impenfè coluit ; ac præ- | ea quam fibi comparavit Græce loquendi 

ter Latinam , Græcam & Arabicam familia- | facilitas perfuader. Echerd à T. I , p. 389. 
res fibi feçit. Cümque in Græciam plures 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. «11 
tems , qu’il métoit la derniére main à fa Fradud@ioni d’un Ou- 
vrage de Procle de Tyr, intirulé Les Elemens de Lx Théolo- 
gie (1). Sous les trois Papes fuivans , Grégoire X , Inno- 
cent V, Adrien V , Guillaume de Morbeca tut toujours ho- 
noré du titre de Pénitencier Apoftolique : & en rempliffant 
les fon&ions de cet Emploi, 1l continuoit à confacrer fes verl- 
les à traduire quelques Livres des Grecs. Recherché hitmèême; 
& confulté des Savans , il étoit regardé comme leurprotec- 
teur ; & quelques-uns, en lui dédant leurs Ouvrages, ont 
fait l'éloge de fa do@rine , & encore plus de fes vertus. L’efpé- 
_rance de réunir Les deux Eglifes fous un même Chef, étoit 
alors l’objet, qui ocupoit principalement la Cour de Rome , 
& qui obligeoit à écrire fouvent aux Empereurs d'Orient , ou 
aux Patriarches de Conftantinople. Guillaume de Morbeca fe 
trouvoit ordinairement chargé d'écrire les Lettres des Souve- 
rains Pontifes , & de traduire de Grec en Latin celles des 
Orientaux. + R | 

Dans le fecond Concile de Lyon , le miniftére de ce favant 
homme fut d’un grand fecours au Pape Grégoire X, & à tous 
les Evêques Latins , pour traiter avec ceux qui étoient venus 
d'Orient à la fuite du Patriarche Germain , & des Ambafa- 
deurs de l'Empereur Michel Paléologue. On fait que dass la 
Meffe folemnelle que le Pape célébra dans l'Eglfe de S. Jean 
de Lyon, le 29 de Juin 1274, en préfence de tous les Peres 
du Concile, on chanta l'Epitre, l'Évangile , & le Symbole, 
en Latin, & en Grec. Le Symbole , dit M. Fleuri . fut chanté 
fort folennement en Grec par le Patriarche Germain , avec 
tous les Archevêques Grecs de Calabre , & deux Pénitenciers 
du Pape, l'un Jacobin , l’autre Cordeler, qui favoient le 
Grec, & qui chantérent trois fois l’article célébre , difputé 

ar les Orientaux, touchant la Proceffion du Saint Efprit. 
M. Fleuri ne nomme point ces deux Religieux Pénitenciers 
du Pape ; mais les A&es du Concile nous aprennent que le 
premier étoit notre Guillaume de Morbeca. Le fecond s’a- 
pelloit Jean de Conftantinople , Frere Mineur (2). 


(1) Completa fuit tranflatio hujus operis { pifcopis de Calabria, & Frater Guillelmus de 
Vicerbii à Fratre Guillelmo de Morbeca Or- | Morbeca de Ordine Fratrum Prædicacorum, 
dinis Fratrum Prædicarorum xv Cal. Junii | & Krater Joannes de Conftantinopoli de 
anno Domini 1268. Cod. Sorhonic. ap, E- | Ordine Fratrum Minorum, Pœnitentiarii 
chard, nt fp.p. 390. Domini Papæ , qui Linguam Græcam no- 

( 2) Poft hoc vero immediatè prædictus | verant, cantaverunt folemniter & altà voce: 
Pariarcha , cum omnibus Græcis Archic- | preditum Symbolum. Et quando ventym 


fi 


ÊIVRE 
IV. 


GUILLAUME 


DE MORBECA. 
De = À 








Vide Echard. T. I ; 
p. 389. 


Hift. Eccl. Liv, 


LIVRE 
IV. 


GUILLAUME 


DE MORBECA. 
D 
à 


Echard,T. I, p. 389. 


412 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Celui-là , après le Concile , retourna en Italie à la fuite du 
Pape, qu'il aflifta à la mort , de même que fes deux Succef- 
feurs , Innocent , & Adrien. Dans le mois de Septembre 1 276, 

ean XXI étant monté fur la Chaire de Saint Pierre , voulut 
donner à FEglife de Corinthe un Pafteur, capable de l’édifier 
par {es éxemples , & de l'inftruire par fon Erudition , afin de 
rapeller ces anciens Chrétiens à l'unité de la Foi, & à la faine 
doétrine , que leurs Peres avoient reçûe de faint Paul, mais 
dont ils n'avoient pas eux-mêmes confervé le précieux dépôr. 
Dès le mois d'O&obre 1 277 , Guillaume de Mavtecs étoit dé- 
ja facré Archevêque de Corinthe : cela parojt par les derniéres 
lignes d’un de fes Ouvrages, dont-on conferve le Manufcrit 
dans la Bibliothèque Colbertine (1). 

Le nouvel Archevêque ne tarda point à fe rendre dans fon 
Eglife, pour y es à former un Peuple faint. Mais ce 
travail ne pouvoit être que bien pénible, bien Long bien dan- 
gereux , puifqu'avant que de pouvoir planter , &r'édifier : 1 

alloit aracher & détruire , combatre le vice , Ferreur , la cor- 
ruption des mœurs , le fchifme, l’héréfie , & une infinité de 
fuperftitions. T'elle fut l’ocupation du Serviteur de Dieu tout 
le tems qu'il gouverna les Corinthiens , auffi corrompus , & 
beaucoup plus indociles que leurs Peres , toujours divifés en 
plufieurs Seétes felon leurs préjugez, ou leur caprice. On peut 
croire que ce n'étoit qu'à fes momens de loifir , & comme par 
maniére de délafflement,que notre Prélat continuoit à traduire 

uelques Ouvrages Grecs, dont nous trouvons encore les 
Voies avec les dates. La Traduétion du Traité de Procle le 
Tyrien , touchant le Deftin & la Providence , ne fut achevé 
qu’à Corinthe dans le mois de Février 128r. Cette ocupation, 

ui ne détournoit pas fans doute ce vigilant Pafteur du for 
de fon Troupeau , eft une nouvelle preuve de fon amour pour 
l'Etude, & de fon aplication au travail. Nous voudrions qu'on 
nous eût apris les autres traits de fa vie, le fuccèe qu'il plut aw 
Seigneur de donner à fes travaux pour la réduétin des Schif- 
matiques., & l’année de fa mort. On ne doute poift qu'il nait 
fini fes jours dans la Ville même de Corinthe ; où il eut pour 


Succeffeur un autre Religieux de fon Ordre, apellé Mathieu 


eft ad articulum illum : qui ex Patre Filio- | alimentorum, tranflatus à Græco in Lati- 
que procedit , folemniter & devoté ter can- ! num à Domino Fratre Guillelmo de Mor- 
taverunt. Æ4. Concil. gen. T. XF, Col. ! beca Ordinis Prædicatorum Archiepifcopo 
DCCCCLVIII. | Corinthienfi, abfolutus Virerbii 1277; XL 


- KG} Explicit Liber: Galeni de virtutibus | Cal. Novembris. | 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 413 
de Offone. Si la Verfion des Ouvrages d’Ariftote eft de lui, 
comme on l’aflure , il l’avoit faite à la prière de faint Thomas 
d'Aquin , plufieurs années avant fon Epifcopat. 


SISSSS SSSTSSISSSSSSSSSSS 
_. ROGER CALCAGNI; 


EVÉQUE DE CASTRO EN ITALIE. 
OGcEr , Natif de Florence , & Profès du Couvent de 


fainte Marie-Nouvelle dans la même Ville, étoit diftin- 
gué, dit l’'Abé Ughel, parmi les célébres Prédicateurs d'Italie ; 
& il joignoitune éminente es à beaucoup d'Erudition. Ces 
belles qualitez , qui le faifoient aimer de fes Freres & efti- 
mer des Peuples , lui méritérent la confiance des Souverains 
Pontifes. 
Pour arêter les progrès des Hérétiques , & extirper l'héré- 
fie , dont le venin fe répandoit par tout , le ss Grégoire IX 


employa avec fuccès le miniftére & les talens de ce favant Re. 


ligieux. Il le nomma en même-tems Evêque de Caftro , Ville 
capitaledu Duché de ce nom, & premier Inquifiteur de la Foi 
dans toute la Toïcane. Le zéle de la Maifon du Seigneur le 
rendit vigilant pour en conferver l'honneur & la pureté. Mais 
les armes dont 1l fit ufage contre les corrupteurs de la Foi , fu- 
rent toujours l'inftruétio”, la priére , la vertu de la parole, 
la force & la fainteté des _— ; & 1l fe fervit de ces mêé- 
mes moyens pour ranimer le zéle de tous ceux qu'il avoit choi- 
fis , pour travailler avec lui à la confervation du facré dépôt. 
Ayant pris pofleflion de fon Eglife dans cet efprit de cha- 
rité & de paix es 1240, il donna d’abord fes atentions à éloi- 
oner de fon Diocèfe , non-feulement l'impiété & l'erreur , 
mais auffi tout ce qui pouvoit fcandalifer la piété des Fidéles, 
ou troubler le repos des Miniftres de l’Autel. Le Chapitre de 
fa Cathédrale, depuis long-tems foutenoit avec beaucoup 
d'éclat un procès contre l’Abaïe de faint Sauveur : le zélé 
Prélat , confidérant le tort que ces fàächeux démêlez faifoient 
à la réputation des uns & des autres, & le fcandale qu’en fou- 
froient les perfonnes foibles dans la Foi , entreprit de termi- 
ner ces longues conteftations ; & il Le fit à la fatisfaétion des 


Fff üj 


_ 


LIVRE 
IV. 





Roctr 
CALCAGN, 
Ital. Sacr, T. 1, Col, 
DLXXIX. 
Fontana, in Theat, 
Domin. p. 159. 
Echard,T.1, p.388, 





LIVRE 
IV. 


ROGER 


CALCAGNI. 
Mn TS. à 





Appar. Sacr, T. H, 
P- 350. 


Tom. 1, P- 387. 


414 HISTOIRE DES HÔMMES ILLUSTRES 


deux Parties. Il fe trouva au premier Concile général de 
Lyon fous le Pape Innocent IV, l'an 1245 3 & , felon Michel 
Poccianti dans tu Catalogue des illuftres Ecrivains de Flo- 
rence , il afhfta encore au fecond Concile affemblé dans la 
même Ville vingt-neuf ans après. Nous aurions dequoi rem- 
plir fon Hiftoire , fi on avoit recueilli avec is foin une 
a de ce qu'il fit, foit dans fon Diocèfe , pendant un long 
pifcopat ; foit dans les ocafions les plus propres à montrer 
tout ce que le Seigneur lui avoit donné de zéle , de lumiéres 
& d’'Erudition. Nous favons feulement qu'après avoir fain- 
tement gouverné fon Eglife pendant trente-quatre ans, il fe 
retira parmi fes Freres dans le Couvent d'Arezzo , pour ne 
s'ocuper déformais que de Dieu & de fon propre falut. 

Mais à l’éxercice de la priére , dont il fit toujours fa princi- 
pale ocupation , le faint Evêque ajouta un travail utile à l'é- 
dification du prochain. Plufeurs Auteurs lui atribuent un 
Livreintitulé : Des Vertus & des Vices. Poflevin prétend quil 
l'avoit compofé à la prière du Roi de France Philippe HT, 
qui l’engagea (dit-il) à ce travail pendant la tenug du fecond 
Concile de Lyon. L’Abé Ughel dit la même chofe (1),excepté 
.qu'il ne détermine point le tems. Il eft cependant certain , que 
ce Traité n’eft point de la compofition de l'Evêque de Caftro, 
ni d'atunautre Auteur Italien ; mais du Pere Laurent de l’Or- 
dre des Freres Prècheurs , François de Nation & Confeffeur 
de Philippe IIL. Le Pere Echard a prouvé ce fait, par les 
Manufcrits qui fe trouvent encore | les Bibliotéques de 
Paris. Cet Ouvrage écrit d'abord en Gaulois l’an 1279, ex- 
pliquoit les régles des mœurs , &c les principales Véritez de 
notre Religion avec tant de folidité, d'onétion & de méthode, 

1l fut extrêmément recherché. On le lifoit avec avidité à 
la Cour & dans les maifons des Particuliers. Bien-tôt après 
il s'en fit plufñeurs Verfions parmi les Nations étrangeres. 
L'ancien Évêque de Caftro entreprit de le traduire en Lan- 
gue Tofcane ; non( comme l'ont crû Fontana , Ughel & Pof- 


(1) Frater Rogerius Calcagnus, Floren- 
tinus , fanti Dominici alumnus , Doctor , 
ac fuis temporibus Concionator egregius. 
Hic renunciatus Caftri Epifcopus, primus in 
Etruria contra Hæreticam pravitatem Quæ- 
fior Fidei fuit. In gratiam Philippi Regis 
Francorum de Vitsis @ Virtutibus Etrufcà 
Linguà volumen compofuit ; interfuitque 


Lugdunenfi Concilio fub Innocentio IV ce- 
lebrato. Ejus memoria extat in Archivio 
Abbatiz Énéti Salvaroris de Monte Amia- 
to. Anno enim 1244 gravem , diuturnam- 
que litem inter prædiétam Abbatiam , fuam- 
Ecclefiam confulto compofuir, &c. Ir4l. 


acr, ht fp. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. re 
fevin) à la demande du Roi de France , mais par le feul défir LIVRE 


de contribuer à l'inftru@tion & à l'édification de ceux quin'en- IV. 
tendoient point le François. | res 


Ce qui a donné lieu à la méprife de ces Ecrivains , c’eft Carcacnr. 
que le Tradu&teur a porté fa fidélité , jufqu'à métre en fa Lan- mr 
gue la déclaration que fait l'Auteur François , d'avoir écrit 
cet Ouvrage par l'Ordre du Roi Philippe III. Au refte, en 
métant la mort de l'Evêque de Caftro ( ainfi qu'a fait l'Abé 
Ughel ) en 1274, on ne pourroit, le regarder ni comme Au- 
teur , ni comme Traduéteur de l'Ouvrage en queftion , puif- 
u'il ne parut qu’en 1279. C'eft une feconde méprife de cet 
illuftre Abé , qui eft contredit par Poflevin & Michel Poc- 
cianti , felon lefquels notre pieux Prélat finit fes jours dans 
fa retraite d'Arezzo , feize ans après avoir abdiqué fa Dignité, 


EXISTENT ONCE TTNOLNOINES 
JEAN 
DE DERLINGTON: 


CONF ESSEUR DU ROI D'ANGLETERRE HENRI I, 
AMBASSADEUR D'EDOUARD I, 


ET 


ARCHEVÊQUE DE DUBLIN. 
| C ET illuftre Anglois, que Lelandus apelle un Homme a 


d'une vie très-éxemplaire & d'une grande Erudition(1), psxrineron. 
avoit fait fes premiéres Etudes & pris l'habit de faint Domi- “mm 
nique en Angleterre , lorfqu'il fut envoyé par fon Provin- 
cial à Paris, où il étoit déja avant l’an 1250. La réputation 
de doëétrine qu’il s’aquit dans cette célébre Univerfité, & la 
pureté de fes mœurs le firent depuis connoître dans la Cour 
d'Angleterre. Dès l'an 1256 le Roi Henri II le choifit pour 


(1) Virum probatifimæ vitæ , ac maximæ ia Licteris diligentie. Labs. in Scrips, 
Argl, C. cexci. _ 5 | 


LIVRE 
IV. 


JEAN DE 


DERLINGTON. 
Ée —  st : 4 





Adan. 12:78,n, 82. 


«16 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


fon Confefleur & fon Homme de confiance ; parce , dit 
Mathieu Paris, qu'il n’ignoroit ni la profonde Erudition de 
cet excélent Religieux , n1 la fagefle de fes confeils fi né- 
ceffaires au Monarque, parmi les afliétions dont il fut éprou- 
vé pendant tout le tems L fon Régne (1). | 

n fait en éfet qu’il fut extrêmément traverfé. Plusd’une 
fois on vit les Grands du Royaume, les Prélats même, irri- 
tés de la conduite peu réguliére du Souverain , former tan- 
tôt des plaintes , tantôt des cabales & des revoltes contre 
fon Gouvernement. Les Hiftoriens parlent aflez au long de 
ces triftes événemens. Mais ce qui fait honneur à la droiture 
&c à la probité du fage Confeffeur , c’eft qu'on fut toujours 
perfuadé is n’avoit point de part à ce qui donnoit ocafion 
à tant de plaintes. Et nous voyons jee les Ecrivains qui ont 
le moins diflimulé les fautes de ce Prince , font néanmoins 
ceux qui font les plus grands éloges de la prudence & de la 
modération d'un Homme , qui, pendant quinze ou feize ans, 
fut fa principale confolation , mais dont les confeils n'étoient 
pas toujours fuivis. 

Le Roi Edouard I l’avoit eftimé du vivant de fon pere ; & 
depuis qu'il fut monté fur le Trône , il l’honora toujours de 
{a confiance. Réfolu de pañler une feconde fois avec une 
puiffante Armée dans la Paleftine , pour y rétablir les afaires 
des Chrétiens , 1l mit Jean de Dpus la tête de l’Am- 
baffade qu’il envoya au Pape Nicolas III. L'habile Miniftre 
expofa à Sa Sainteté les pieux deffeins du Roi fon Maître, 
les avantages qui pouvoient en revenir à la Chrétienté , & 
la néceffité de prendre fur le Clergé d'Angleterre une par- 
tie des fommes , dont on avoit befoin pour cette Expédition. 
Tout ce qui fut demandé , fut obtenu, aux conditions qu’on 
peut voir dans le Bref du premier d’Août 1278. Oderic Raij- 
nald l’a inféré dans fes Annales. | 

L’'Eglife de Dublin , Ville capitale du Royaume d'Irlande , 
étoit a fans Pafteur , quoique depuis la mort de fon der- 
nier Archevêque , le Chapitre eût fait fucceffivement deux 
Eleétions , dont aucune n'avoit été confirmée. Le Pape & 
le Roi voulant enfin pourvoir aux befoins de cette Eglife, 


) 


(1) Dominus Rex eifdem diebus voca- | excellenter & confilio. Necefle enim habuit 
vit Fratrem Joannem de Derlintona ad fa- | Rex fanum confilium & confolationem ha- 
miliare confilium fuum , qui de Ordine | bere fpiriualem , &c. Mashe, Paril, sÀ 
Prædicatorum çxiftens literaturà pollebat | An. 1256, p. 621, 


Jean 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. #17 : 
Jean de Derlington , dont les mérites étoient connus, &les LIVRE 
fervices également agréables à l'un & à l’autre Souverain , IV. 
fut nommé pour remplir ce Siège , & facré par l’Arche- J:ax pe 
vêque de Cantorbery , le Dimanche bios PP Jour DERLINGTON. 
d'Août 1279. Il pofféda pendant cinq ans cette Dignité. On 
croit cependant que le Roi Edouard l'obligea de s’arèter en- 
core quelque-tems à Londres , ou d'y revenir fouvent pour 
les afaires les plus importantes de l'Etat, dont cet Arche- 
vêque avoit une grande connoiffance. Le Saint Pere l’avoit 
auffi chargé de quelques commiffons dans le Royaume d’An- 

leterre, comme nous l’aprenons de Nicolas Trivet (1): 

out cela lui fit peut-être diférer le fecours fpirituel qu'il 
devoit à fon Eglife. Mais les Difcours que nous avons de 
lui, & qu’il avoit prononcés devant le Clergé & le Peuple, 
peuvent être une preuve qu'il n’avoit pas négligé cette par- P 
tie de fon Miniftére. | 
. Les Hiftoriens de la Nation qui ont omis le détail de fes 
aétions , fans ométre les éloges de fa vertu , difent tous qu'il 
mourut à Londres, & qu'il fut enterré dans l'Eglife des Do- 
minicains le 29 de Mars 1284. | 
|. Le mea Ouvrage qu’on cite fous fon nom, confifte 
dans les Aditions qu'il avoit faites aux Concordances de la 
Bible. Hugues de faint Cher ayant rangé tous les mots des 
faintes Ecritures par ordre alphabétique , afin de faciliter aux 
Ledteurs le moyen de trouver ce qu'ils cherchent dans les 
Livres faints ; Jean de Derlington crut perfeétionner cet Ou- . 
vrage , & abréger encore le travail de ceux Un voudroient vide Echard,T.1; 
s’en fervir , en métant le Texte en entier , où Hugues de faint °°. 
Cher n’avoit mis que le commencement. C'eft ce qu'on apel- 
la depuis les grandes Concordances , ou les Concordances 
Anglicanes : Cas fludio 6 induftri& editæ funt Concordantie. 
magneæ , quæ Anglicanæ vocantur. 

uelques Ecrivains , pour n'avoir pas fait aflez d’aten- 

tion à ces Pr de Nicolas Trivet, ont donné à l’Arche- 
vêque de Dublin tout l'honneur d’un Ouvrage , qui n’apar- 
tient en éfet qu’au favant Cardinal Hugues de faint Cher. 
L'invention eft de lui ; & dans l’état où 1l avoit mis les Con- 





. (1) Frater Joannes de Derlingtona, Con- | cimarum per fummum Pontificem fibi im- 
feflarius quondam Henrici Regis Angliæ , | pofñtà totaliter expeditus, per annos aliquot 
ex collatione Papali efficitur de belou in Anglia moras traxit.  Kicol, Trivet, in 
Dublinenfis ; qui nondum à Collections de- | Chron. #4 An. 1179. 


Tome L. G£eg 


LIVRE 
IV. 





JEAN 


DE VERCEIL. 
D 


Premiéres ocupa- 
tions de Jean de 
Voerceil, 

b 


IL. 
Ses Emplois. 


418 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


cordances de la Bible , rien ne pouvoit être plus aifé que ce 
que les Théologiens Anglois , fous la direétion de notre Pré. 
lat , jugérent à propos d'y ajouter , pour en rendre l'ufage un 
peu plus commode. 


JEAN DE VERCEIL, 


VI. GENÉRAL DE L'ORDRE DES FF. PRÉCHEURS, 
LEGAT APOSTOLIQUE. 


M ARMI les grands Perfonnages, que le Bienheureux Jour- 
P dain , Succeffleur de faint Dominique, avoit atirés à fon 
Ordre, il en eft peu qui fe foient rendus plus célébres que 
Jean de Verceil, inf apellé du lieu de fa naïffance. Nous 
ignorons aujourd'hui le nom , & la qualité de do qu : l'Hif- 
toire n’a pas même remarqué l’année , n1 le lieu de fa retraite. 
Et on a paflé fous filence bien des circonftances de fa vie , pour 
ne raporter que certains faits, où fes talens., & fes vertus ont 
paru avec plus d'éclat. | 
Confacré dès fa jeuneffe au fervice des Autels dans l'Etat 
Ecléfiaftique, il enfeignoit déja avec beaucoup de réputation 
le Droit Canon dans l'Univerfité de Paris (1), lorfque poux 
travailler plus éficacement à fon falut , loin du tumulte, & 
des bises du monde , ilembraffa l’Inftitut des Freres Prè- 
cheurs. Cet afyle ouvert à fon innocence , fut en même tems 
une Ecole , où il aprit à faire fervir fes talens à l'utilité de plu- 
fieurs. Après avoir donné diverfes preuves d’une pièté folide , 
&t d’un zéle éclairé dans lOfice Dodo, e Profeffeur 
en Théologie, & de Supérieur de diférentes Communautez, 
on lui donna la conduite de la vafte Province de Lombardie : 
a À qu'il remplit avec tant de prudence & de fagefle, 
qu'on l'eftima dès-lors à la Cour de Rome, où:1l étoit toujours 
reçü avec diftinétion, & écouté favorablement. Mais nous ne 


prudentiæ , & experientiæ, famä & opinio- 
ne præclarus , a ie in optimis notus Om-: 
nibus. Srephan. Salan. #p. Echard.T. 1, 
p.210. 6 


(x) Sextus Magifter Ordinis , Succeffor 
Fratris Humberti, Frater Joannes de Ver- 
cellis Provinciæ Lombardiæ, qui rexerat 
Parilius in Jure Canonico, vir fait magnæ 





-_ DELORDREDES.DOMINIQUE. «to 


dirons point avec Léandre Albert, qu'après la mort du Pape 
| Urbain V , arivée dans le mois d'O&tobre 1164, Jean de Ver- 

ceil partagea avec Gui Fulcodi , Evêque de Sabine, les fufra- 
ges des AE hr , dont une partie vouloit Félever fur la 
Chaire de faint Pierre (1). Nous ne connoiflons point d'Au- 
teur contemporain , qui ait parlé de ce fait : ce qu'il y a de 
certain , c'eft que dl mois de Juin de la même année, le 
Provincial de PARTS avoit été élu Supérieur Général de 
tout fon Ordre, dans le Chapitre affemblé à Paris pour don- 
ner un Succeffeur au Pere Humbert de Romans. 

Pendant près de vingt ans que Jean de Verceil ocupa cette 
place , il aflembla dix-neuf fois le Chapitre Général dans difé- 
rentes Provinces de l'Europe , en France, en Italie, en Alle- 
magne, en Angleterre, & en Hongrie. Il voulut tenir fa pre- 
miére Affemblée à Montpellier , où le Pape Clement [V , inf- 
truit depuis long-tems de fon mérite , l’honora d'un Bref Apof- 
tolique , dans lequel après avoir relevé par de juftes louanges 
le zéle de fes Re os , leurs travaux pour la Foi, ou pour 
le falut des ames, l'innocence de leur vie, & la pureté de leur 
doëftrine , le nouveau Pontife fe recommandoit avec beau- 
coup d'humilité aux se du pieux Général , & de fes Fre- 
res. Le Bref eft daté de Péroufe le 23 d'Avril 1265. 

Dans le cours des vifites que Jean de Verceil fit d’abord fe- 
Jon le premier ufage de l'Ordre , & la pratique de fes Prédé- 
ceffeurs , 1l ne négligea rien de tout ce qui pouvoit contri- 
buer à conferver , ou à porter plus loin l’efprit de ferveur , & 
de régularité dans les Maifons Religieufes. Ses éxemples , fes 
exhortations, fa vigilance, & fa fermeté éloignoient les abus, 

ui auroient pü fe gliffer , ou introduire quelque relâchement. 

t lorfqu'il le jugeoit néceflaire , il faifoit concourir l’autorité 
du Vicaire de JESUS-CHR1IST à l'éxécution de fes pieux 
deffeins. | | 

Non-obftant la Bulle d'InnocentIV , dont nous avons parlé 
ailleurs , 1l arivoit encore de tems en tems, que les Religieux 
élus, ou poftulés pour un Evêché, donnoient quelquefois 
leur confentement , & recevoient l'impofition des mains du 
Métropolitain , avant que les Supérieurs de l'Ordre euffent 


ee memes JT sos 


(1) Curixæ Romanx adco carus fuit | mente IV, poftmodum diéto , ferè pari 
{ forté tunc Præfcéturam Provinciz Lom- | lance certaverit, &c. Leæn. Alb. Lib.I, 
bardiæ agcbat , )ut vita funéto Urbano IV | de Fris Infrib. fol. 38. 
lonufice maximo , in fuffragiis cum Clc- 
Gggi 


Livre 
IV, 


JEAN 
DE VERCEIL, 
CRISSENSNESSET 
IT. 
I! fuccéde au cin- 


uiéme Général 
es FF. Prêcheurs. 








Vide {n Bullar, Ord, 
T1, p.450. 


IV. 

Ce qu'il fait pout 
prévenir, ou pour 
Corriger quelques 
abus, ne 


420 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Livre 
IV. 


JEAN 


DE VERCEIL. 
Sn re 4 








apris leur promotion. Cet inconvénient, déja fi capable de 
déranger tout le plan d'un Général, chargé de fournir des Suw- 
jets à plufieurs Emplois , & à un grand nombre de Mifions, 
étoit fuivi d'un autre , qu'il ne paroïloit pas moins important 
de réformer : fous diférens prétextes, & pour des motifs apa- 
renment louables , ces nouveaux Prélats vouloient avoir avec 
eux d’autres Religieux de confiance ; & ordinairement ils 
choififloient ceux qui leur étoient unis par les liens du fang,. 
ou de l'amitié, quoiqu'ils ne fuffent pas toujours les plus pro- 
pres pour les Ofices , dont l'Evêque les chargeox , ou qu'on 
püt efpérer un plus grand fruit de leurs talens , f en conti- 
nuant à fe pe 30: ie dans les pratiques du Cloître , 1ls 
avoient laiffé à la difpofñition. des Supérieurs de les employer 
felon leur capacité , & les befoins des Mifhons. 

Pour remédier à ce double inconvénient , Jean de Verceil 
fit renouveller la Bulle , que le Pere Humbert avoit déja ob- 
tenuë pour ke même fujet. Le de Clement IV défendit dans 
les termes les plus formels à tous les Freres Prêcheurs , de con- 
fentir déformais à leur Eleétion à l'Epifcopat, ou de-recevoir 
limpofition des mains foit du Métropolitain, foit du Légat 


même LM , qu'après avoir obtenu la permiflion ex- 


Bullar, T. 1 , Pr 471. 


refle du Pere Général, ou de leurs Provinciaux refpeëtifs. 
Nous déclarons nul , & de nul éfet, difoit le Saint Pere , tout 
ce qui pourroit être fait autrement ; fans préjudice néanmoins. 
de l'autorité du Saint Siège (1). 
Le même Pontife avoit déja marqué , dans un autre Bref, 
quelles devaient être les qualitez des Religieux , à qui on pour- 
roit permètre de demeurer dans les Päfais des Evêques , pour 


les aider dans leurs fon@ions. Et Sa Sainteté avoit laiflé aux 
Supérieurs Réguliers une pleine liberté , non-feulement de re- 


fufer cette permiffion , lorfqu'ils ne D siens pas à propas 
de l’acorder ; mais auffi de rapeller inceffanment dans le Cloi- 


(1) Cum autem prædrétum Ordinem, 
cum fitretæ vitæ fpeculum, & falutiferæ. 
converfationis exemplum , velimus femper 
de bono in mclius Deo propitio profpera- 
xi.... diftritius inhibemus , ut nulli præ- 
fati Ordinis Fratres, fi cos in Epifcopos eli- 


velipforum Priorum Provincialium qui pe 
tempore fuerint, licentià., & confenfu , 
aut Sedis ejufdem fpeciali mandato , ad 
Epifcopatus , vel alias dignitares extra di- 
étum Ordinem afflumere , vel ordinare præ- 
fumat. Nos enim decernimus-irritum & 


gi. aut pofhilari forté contigerit ,electioni, 
five poftulationi de {ec faGx audeant confen- 
tire, nec aliquis Archiepifcopus, feu qui- 
cumque alius Prælatus , vel etiam Legatus 
Scdis ipfius, diétos Fratres, nifi de tuâ, 


inane quidquid contra inhibitionem hujuf- 
modi à quibufcumque contigerit atrentart ,. 
auétorirate Sedis Apoftolicæ femper fa- 
va, &c. Vide in Bullar, Ord. T. 1, p. 493.. 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 4 


tre tous ceux , dont l'Evêque pouvoit fe pañler , ou en qui on 
ne reconnoîtroit point une vertu éprouvée, une maturité , 82 
une fagefle , qui les miflent en état de profirer aux autres, fans 
rs da eux-mêmes (1). Ce Bref, donné à Péroufe le 24 de 
Février 1 266 , fut adreffé aux Définiteurs du Chapitre Géné- 
ral, tenu la même année dans la Ville de Tréves. 

Suivant les intentions du Pape, exprimées dans ces Lettres 
Apofñtoliques , notre zélé Général donna une nouvelle vi- 
gueur à toutes les Ordonnances de fes Prédécefleurs; foit 

our recommander plus fortement l’étroite union , que les 
un devoient toujours conferver , & avec leurs Freres, 
& avec le Clergé Séculier ; foit re marquer le choix qu'il 
falloit faire de ceux, que l’on deftinoit ou à anoncer la parole 
de Dieu , ou à diriger les Etudes , fur-tout dans les Colléges, 

ue l'Ordre avoit à Paris, & à Bologne. Il défendit encore de 
a l’'Habit de Religieux à de jeunes gens, dont la capa- 
cité & les mœurs ne feroient point une preuve de leur voca-- 
tion. Les dt ds non néceflaires , 1l les interdit comme une 


fource de diffipation ; & il renouvella la défenfe , faite à tous. 


les particuliers , de paroître à la Cour de Rome, fans une per- 
miflion exprefle , qu'on ne pouvoit même demander que dans 
le cas d’une évidente néceffité. 

Tout cela étoit prefcrit dans le Bref Apoftolique , qui com- 
mence par ces mots: Circa curam Gregts Dominici. Le Sou- 
verain Pontife l’acompagna d'une autre Lettre datée du même 
jour , où, après avoir comparé l'Ordre de fait Dominique à 
une Ville-Forte, habitée par une Nation jufte , dépofitaire de 
la vérité, il donne les plus beaux éloges au zéle de cette mul- 
titude de fervens Religieux, qui, marchant avec fidélité fur les- 
traces de leur glorieux Patriarche , ne cefloient de combatre. 
le vice , ou l'erreur , & de.rendre des fervices importans aw 
S. Siége. Il employe les expreflions les plus tendres de là chari-- 
té paternelle,& pour leur marquer fon afeëtion, & pour les en- 
courager àperfévérertoujours dans leurs glorieuxtravaux(2). 


(x) Fratres ejufdem Ordinis , quos ne- 
ceffarid deputari contigerit ad morandum in 
domibus Prælatorum , feu quorumcumque 
Magnatum , fint maturitate præditi , difcre- 
one præclari, moribus & vit probati, 
quorum converfatio laudabilis xdificet per 
exempla virtutum ; & fi qui fint in hujufmo- 


di domibus pofiti, de quorum vita, feu 


@onverfatione merito dubuetur, vel in cis 


contrarium forfan appareat , revocentur ad° 
Clauftrum ; &.eorum loca magis idonei des 
putentur , &c. Vide in Bullar. Ord. T.I, 


p. 471. 


(2) Profeto quæ vobis fcribimus, ex 
intimi affcétüs caritate procedunt ; ut 
quantO laudabiliores, &c utiliores in Domo: 
Domini fruétus feccritis . . . . ranto mag. 


Matrem Ecclefiam, que multipliciter in va-- 


Gggi 


LIVRE 


IV. 


JEAN 


DE VERCEIL. 
No + 2 





V. 
Sages réglemens Ÿ 
vigilance à les fai- 
re obferver. 


423 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE * C'eft ainfi que le Chef de l'Eglife, & celui de l'Ordre de 


IV. faint Dominique oo faintement enfemble, pour aug- 

Jean  menter la gloire de l'un & de l’autre. Ce que l’un pouvoit 

pe Vercerr. faire par fes Décrets Sn Em dr , toujours remplis de force 

was & d'onction, le fecond le faifoit par une vigilance atentive à 

LL é 4 

VI. tout, & par la vertu de l'éxemple toujours plus éficace que 

* Beaux éxemples Jes paroles. Une ancienne Chronique nous aprend qu'à l'imi- 
de vertu. . . ‘id / { : d . . 

tation de fes faints Prédécefleurs , Jean de Verceil vifita tou- 


tes les Provinces de fon Ordre (1), fans fe difpenfer en rien 
des auftéritez de la Régle , fe contentant d'adoucir la rigueur 
de fes abftinences , & la fatigue de fes voyages par la ferveur 
de la priére. Pour avoir une plus éxaéte connoiffance de la 
maniére , dont on obfervoit la régularité dans chaque Mai- 
fon , il y arivoit ordinairement avec un feul Compagnon, & 
lorfqu'il y étoit le moins atendu. Quelquefois j pafloit les 
jours & les nuits à la fuite de la Communauté, fans fe faire 
connoître , qu'après avoir lui-même foigneufement obfervé 
tout ce qu'il lui importoit de favoir. Comme fa modeftie , fon 
recueillement , fa tendre pièté fervoient à ranimer celle des 
lus fervens , il punifloit aufh avec une fage févérité les plus 
a tranfpreffions. Toujours porté à louer la vertu, ai 
moit, & employoit par préférence ceux Le la pratiquoient 
dans toute la perfeétion de leur état, tandis qu'il corrigeoit 
fans ménagement les défauts , qu'il pouvoit remarquer dans 
des Sujets d’ailleurs célébres, & qu'il dépofoit les Supérieurs 
peu atentifs à s’aquiter des devoirs de l’hofpitalité , ou de la 
charité. 

C’eft dans cet efprit que le Serviteur de Dieu parcourut la 
Chapirre a 8 Lombardie, la Tofcane, l'une & l'autre Sicile, & prefque 
logne ; feconde tous les Etats d'Italie , depuis le Chapitre de Tréves, jufqu’à 
Tranflation des Celui qu'il célébra à Bologne, aux Fêtes de la Pentecôte 1 267. 

Reliques deS. Do- >; ; fe A ed , RS 
minique. L'Affemblée déja fort diftinguée par le nombre , & le mérite 
des Sujets qui la compofoient , le fut encore davantage par 
la folemnité d’une feconde Tranflation des Reliques de faint 
Dominique. L’Archevèque de Ravenne s’y étoit rendu avec 
fix Evèques fes Sufragans ; parmi lefquels il ÿ en avoit trois 


bis exulrat , devotio veftra lætificet, & | Martii, Pontificaris noftri anno fecundo. 
pleniis apud divinam clementiam veftris | Ibsd. 
meritis prxfentatis, quod promifflum eft| (1) Hic totum Ordinem vifiravit cum 
benedi@ionis Filiis , vobis ad perennem| baculo fuo pedefter femper incedendo. 
gloriam præparetur. Datum Perufii y1 Cal, | Chron. Magifiror. Ora, C. vit, 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 433 
qui ne faifoient or moins d'honneur à l'habit de faint Domi- 
nique, par l'éclat de leurs vertus _ par leur augufte carac- 
tére. Le concours de la Nobleffe & du Peuple répondit aux 
fentimens de piété , dont les Bolonois ont toujours fait pro- 
feffion envers leur faint Proteéteur. Et notre fage Général, 
toujours atentif à profiter de tout pour avancer l'œuvre de 
Dieu , fe fervit de l’ocafion , pour infpirer à fes Religieux 
un nouveau défir de confommer leur courfe dans les travaux 
de l’Apoftolat, à limitation du Bienheureux Patriarche. Tou- 
tes les heureufes difpofitions qu'il leur fouhaitoit , il eut le 

laifir de les trouver en eux ; & fans remétre à un autre tems 
Psécution de ce qu'il avoit projété pour la propagation de 
la Foi & le falut des ames, Î deftina un bon os 
vriers Evangéliques , qui partirent de Bologne pour aller 
anoncer JESUS-CHRIST aux Gentils & aux Barbares. 
On venoit de recevoir , & de lire dans la même Affemblée, 
. de nouvelles Lettres de Clément IV, qui joignoit fes exhor- 
tations à celles du Pere Général. “ Faifant atention , di- “ 
foit ce faint Pape, que parmi les autres Défenfeurs de la « 
Foi chrétienne, les rome de votre Ordre font fpécia- “ 
lement profeflion de fe dévouer au falut des ames, Nous « 
laiflons à votre prudence le choix des Miniftres pleins de « 
zéle & puifflans en œuvres & en paroles, que vous en- # 
verrez chez les Tartares , les A peut » les Indiens, « 
les Nubiens, les Sarafins , & dans les autres Contrées * 
de l'Orient & du Midi, pour y prêcher les véritez: de la # 
Religion , & porter la lumière de l'Evangile à tant de Peu- * 
ples encore enfévelis dans les ombres de la mort. Pendant “ 
que fortifiés de la Grace de JESUS-CHRIST , par “ 
ui le Monde a été vaincu , vos Religieux travailleront à # 
À re les œuvres de Satan , à extirper l'héréfie , l’impié- * 
té, l'idolâtrie, ou à confirmer ceux qui font foibles us « 
la Foi ; Nous voulons qu'il puiflent fe fervir de toute l’au- 
torité que nous avons déja donnée à ceux de vos Freres , # 
ui fe font rendus chez les Nations Barbares pourle même “ 
ne Et puifque notre cher Fils , le Pere oise de # 
votre Onde , à aquis une parfaite connoiffance des mœurs “ 
& du génie de a, , parmi lefquels il a déja glorieu- “ 
fement éxercé fon miniftére , Nous rs , fi vousle “ 
jugez à propos , qu'il fe joigne aux autres Miniftres de l'E- « 
vanpgile que vous deftinez pour ces Miflions ,. Ce fort les 


LIVRE 
IV. 


JEAN 


DE VERCEIL.. 
D à 








VHI. 
Prédicateurs err- 


voyés chez les In- 
fidéles. 


re d'Ou- 


Buïlar. Ord. T. », 
pe 452. 


LIVRE 
IV. 


JEAN 


DE VERCEIL. 
D || 


IX. 
* Nonces Apolto- 
liques. 


Ibid. p. 485. 


Ad an. 1267,9.79- 
83. 


Hift. Eccl. Liv. 
LXXXV, 1.55. 


424 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


termes du Bref, daté deViterbe le huitiéme de Février 1267 (1) 
*. Pendant que nos Prédicateurs, choifis pour ce faint & pé- 
nible Minifiére , fe difpofoient à prendre la route que l’o- 
béiflance avoit marquée à chacun en particulier | le Souve- 
rain Pontife écrivit de nouveau au même Général, pour 
l’avertir que fa volonté étant d'envoyer des Nonces Apofñto- 
liques à l'Empereur des Grecs & au Patriarche de Conftan- 
tinople , il le chargeoit de lui préfenter trois Sujets , qui . 
par leurs talens , leur doëtrine & leur prudence, puñfent hu- 
inilier l’orgueil des Orientaux , & sa por ménager leurs 
efprits ; afin de les faire entrer dans les vüës du Saint Sié- 
ge, & procurer la réunion des peus Jean de Verceil éxé- 
cuta fans délai les ordres de Sa Sainteté ; & les trois Théo-. 
logiens deftinés à remplir cette négociation fe rendirent à Vi- 
_ , pour recevoir les inftruétions & la bénédition du 

ape. | 

| Dés Raynald remarque , que dès le mois de Mars 1267 
le Vicaire de JESUS-CHRIST avoit fait favoir à l'Empereur. 
Paléologue , qu'il fe si de lui envoyer quelques Théo- 
logiens , pour achever de lever fes dificultez , & de répondre 
à celles de fon Clergé. Le Pape , dit M. Fleuri , prit entre Les 
Freres Précheurs les Nonces qu'il avoit promis pour certe Négo- 
cration ; comme on voit par la Lettre a (TE qe s Cinquième 
Général de l'Ordre , en date du neuvième de Juin. Le Pere 
Humbert , que M. Fleuri apelle ici Aubert, s'étoit démis de 
fa Charge . Général depuis l'an 1263. Ce n'eft donc pas à 
lui , mais à fon Succeffeur que font adreflées ces Lettres Apof- 
toliques ; nous les traduifons d'autant plus volontiers , qu’el- 
les peuvent également fervir à l'Hiftoire de l'Eglife , & à celle 
que nous écrivons. | | 


nunciaturos illis in virtute Dei Evangeli- 


. (1) Attendentes itaque quod inter alios 
cam veritatem.... cæterüm 


propugnatores Fidei Chriftianæ , Fratres tui 
Ordinis, juxta profeffæ Religionis Oficium, 
zelus comedit animarum.... difcretioni 
tuæ per Apoftolica Scripta mandamus , qua- 
tenus aliquos de ipfis Fratribus tibi com- 
miflis, quos potentes videris in opere, & 
fermone , nec non Fidei ampliandx zelo 
ferventes, ad terras Tartarorum , Æthio- 
pum , Indorum , Nubianorum, ac Sara- 
ccnorum de Orientalibus , ac Meridionali- 
libus partibus , ac quafcumque Nationes, 
feu Regiones Infidelium tranfmittas, an- 


uia diletus 
Filius , Frater Vafñimpace Dræ di Ordinis , 

ui pluries olim ad Nationes miflus eaf- 
FR y inter €as , quarum, ut accepimus , 
mores jam novit, laudabiliter extitit con- 
verfatus , ad illas redire defiderat pro Fide 
Catholicà ampliandä , eum inter hujufmo- 
di Fratres , dummodo tibi videatur utile, 
&c Fidei negotio expedire, tranfmitras. Da- 
tum Viterbii vi Idus Februarii Pontificatüs 
noftri anno fecundo. 


CLEMENS 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 425 


LEMENS Epiftopus , 
Servus Servorum Dei, dile- 
“do Filio Magiffro Ordinis Fra- 
trum Predicatorum , Salutem © 
Apoftolicam Bencedictionem. 
Quantüm , © quoties ; quot 
etiam minifierio [apientum Roma- 
na Ecclefia laboraverit ad Graco- 
rum indomita colla domanda , [ti[- 
femque ab eifdem Domini tunicam 
énconfutilem reparandam , nec te ip- 
Jum , nec Fratres tui Ordinis la- 
tuit , quorum aliqui non fine labo- 
ribus perfonalibus , non fine vire 
proprie difirimine , injunitam fibi 
per Sedem Apoftolicam in opere 
tam laudabili follicitudinem execu- 
28, licet propofitum juxta votum 4[- 
Secuti non fuerint, nibil tamen de 
contigentibus , prout creditur , 
omiferunt. Licet autem multo labo- 
re fudatum fuerit circa ipfos ; nec 
( quod dolentes referimus ) fit eo- 
rum rubigo confumpta , quia tamen 
ex quibufdam indiciis , que per lir- 
teras © Legatos infinuant , ad [alu- 
êrem videntur reditum anhelare , 
nos probare fiex Deo fint Spiritus , 
cupientes, [ue profefione Fidei quam 
.miferunt accepta, quam in multis 
erroneam , © in multis invenimus 
Minutam , nuper eis in [triptis min 
fimus que cum tota Latina Ecclefia 
frmiter credimus , & fimpliciter 
confitemur , promittentes eifdem , 
quod temporis opportunitate capta- 
14, Apocrifarios nofiros mirtemus 
esfiem , de ea que in nobis eff Fide 
 Spe , juxta verbum Apoftolorum 
Principis paratos reddere rationem. 
V'erum, cum fit cordi nobis , ad 
Doc mirrere bomines , qui Teflamen- 
ti fcientia polleant utriufque , © in- 
genso nsbilominus prediti natura- 
ds , nec fint in greffibus incompofiti , 
#66 5n refponfione pracipires , fed 
ome À, 


LEMENT, Evèque, Serviteur 
C des Serviteurs de Dieu , à notre 
cher Fils le Général de l'Ordre des Fre- 
res Prècheurs, SALUT ET BENEDICTION 
APOSTOLIQUE. 

Vous n'ignorez point combien de 
fois, & en combien dediférentes ma- 
niéres l'Eglife Romaine a effayé juf- 

u’aujourd’hui de vaincre l'obftination 
Fu Grecs, & de réparer , s’il éroit pof- 
fible , les pertes que leur fchifmatique 
opiniitreté a caufées à la Religion. On 
s'eft fervi pour cela du miniftére des 

erfonnes fs plus fages & les plus ha- 
Piles : vos Freres en font témoins, puif- 
que plufeurs d’entr'eux ont été char- 
gés par le Saint Siège, de travailler à 
une œuvre fi agréable au Seigneur. 
Nous favons avec quel zéle ils l’ont en- 
treprife , fans jamais fe rebuter , ni par 
le grand nombre des dificulrez qui fe 
préfentoient de raptes parts , ni par la 


vüé même des périls où leur vie a été 


quelquefois expolée. Si le fuccès n’a 
point répondu à leurs défirs, ce n’eft 
pas fans doute qu'ils ayent rien omis 
de tout ce que la prudence permétoit 
de tenter, Élon les circonftances des 
tems , & le caractére des malades qu'on 
vouloit guérir. Mais, quoique la dure- 
té des Schifmatiques ait rendu jufqu’à 
ES nos peines inutiles , & que 
eurs anciens préjugez ( ce que nous di- 
{ons à regret ) ne paroiffent pas encore 
bien difipés s cependant ; à la manicre 
dont ils s'expliquent, foit dans leurs 
Lettres, foit par leurs Ambaffadeurs , 
ils femblent faire luire quelque efpé. 
rance de retour. C’eft à nous à éprou- 
ver fi c’eft par l’Efprit du Seigneur , 
qu'ils parlent ainf. Dans la Profefion 
Sp Foi qu'ils nous ont envoyée, Nous 
avons remarqué bien des endroits où 
ils avancent des erreurs , & plufieurs 
autres où la vérité n’eft pas affez expli- 
quée.. Nous leur avons apris par nos 


LIVRE 
IV. 


JEAN 


DE VERCEIL. 
D ) 


X. 

Lettres du Pape 
Clément IV à Jean 
de Verceil. 

Vide in Bullar. Ord. 


T. 1, p. 485 ; & ap. 
Echard. T. 1, p. 211à 








LIVRE 
IV. 


JEAN 
DE VERCEIL. 


D 








416 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Lettres, ce que Nous & toute l’Eglife 
Latine faifons profeflion de croire fer- 
mement , & de confefler fans aucune 
Variation. Nous nous fommes en mèé- 
me-tems engagés à leur envoyer des 
Nonces Apoltoliques , pour leur ex- 
pliquer plus au long nos véritables fen- 
uimens, fachant bien que fuivant l’a- 
vertiflement du Prince des Apôrres , 
nous devons être toujours prêts à ren- 
dre raifon de notre Foi,& de l'efpe- 
trance qui eft en nous. | 
Notre deflein eft donc de dépurer 
pour cela des Hommes verfes dans les 
faintes Ecritures , & doüés de toutes 
les qualitez qui peuvent les rendre re- 
commandables , propres à édifier :par 
leur fagelfe , prudens pour ne rien avan- 
cer qu'à rems & à propos, & aflez mo- 
dérés pour fuporter .patienment ‘tou- 
te l’oftentation des Grecs, dont la va- 
nité eft aufli grande.que leur favoir eft 
eut. C'eft à votre prudence que nous 
Lions maintenant le choix de ceux 
qu'il convient d'envoyer. Par ces Let- 
tres Apoftoliques, Nous vous ordon- 
nons À jeter les yeux fur trois de vos 
Religieux , que vous jugerez les plus 
propres sde éxécuter la commif- 
fion,dont nous voulons les charger : Di- 
tes-leur de fe venir préfenter à Nous 
fans aucun retardement. Si le Seigneur 
daigne bénir nos bonnes intentions, il 


fe fervira de leur miniftére, pour reti-: 


rer enfin les Schifmariques des routes, 
où ils s'égarent depuis long-tems, & 
les ramener à la lumiére de la Vérité, 
à l’unité de la Foi, & à la foumiflion 
qu'ils doivent au Saint Siége. Que fi 
nous ne pouvons avoir cet avantage ; 
Nous aurons du moins celui de faire 


exaita potiàs gravitate laudandi 
féiant in tempore proferre fermo- 
nem , © coruim jailantiam , quoruns. ‘ 
fcientia multum eff tenais, equa-° 
nsmiter tollerare ; diftretioni tue 
per Apoflolica [ripta pracipienda 
mandamus , quatenus tres ex Fra- 
tribus tui Ordinis, quos ad boc 
magis idoneos , juxta diétas circum= 
fantias , ele noveris, ad nos mitrere 
Jine mera difpendio non amittas,qui- 
bus hujufinods profécutionem negoris 
committere valesmus. Ut fi Dea 
placuerit , per eorum induffriam 
Gract , duduix per invium aberran- 
tes ,viam todo veritatis agnoftant , 
G profitentes agnitam , ad Sedis 
Apoflolice redeant unitatem ; vel 
eorum dereitis fraudibus , &' men- 
daciis, manus noffras fervemus in- 
nox145 , ne a nobis nunc, vel in poffe- 
rum eorundem fanguis 4 Domino re- 
guiratur. Et demaum ne credas ex 
1ts que tili fcribimus , quandam ne- 
ceffitatem tibs indicé difcutiendi per 
totum Ordinem Fratrur merita , 
© ex univerfs tres eligerdi ad bu- 
Jufiemodi miniflerium poriores ; [cd 
fire te volumus nobis fufficere , fi de 
sllis quos tecum babes , vel entre 
fines Italie , ad hoc credis idoneos , 
tllos elegeris : non enim Graci ad 
difpatationem fe offerunt , [ed para- 
105 fe dicunt oflenfam fibi recipere 
veritatem ; funtque apud nos ratio- 
nes eorum , quibus fäum cerrorens 


fulciunt , baculis arundineis inni- 


rentes. 
Datum Viterbis v Idus Junii . 
Pontificatus noffri anne tertio. 


connoître les menfonges des Grecs, ou leur peu de fincérité ; & le Sei- 

nu ne nous reprochera pas un jour d’avoir négligé de travailler à leur 

alut. Au refte , Nous ne prérendons pas vous impofer la néceffité de cher- 

cher, dans route l’étendué de votre Ordre, les Sujets les ps habiles, ou les 
l 


plus capables ; il fufir que parmi ceux qui font aétue 


ement auprés de 


‘vous , où qui fe srouvent en Italie, vous nous en préfentiez quelques-uns 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 417 
. que vous jugiez ji Lo pour cetre afaire ; car les Grecs ne demandent 
_ pas aujourd’hui à difputer : il font difpofés, difent-ils , à recevoir routes 

Le Véritez qu’on leur fera connoître ; & nous avons vers Nous les pitoya- 
bles Argumens, plus foibles que des rofeaux , dontils apuyent leurs er- 
reurs. Fair à Vicerbe le cinquième des Ides de Juin , la troifiéme année de 
notre Ponuificar, C'’eff-4-dire le neuvième de Juin 1167. 


L'Hiftoire ne nous a point apris les noms , ni le fuccès des 
trois Nonces du Pape : mais nous favons que lorfqu'ils arivé- 
rent à Conftantinople, la confufion y étoit extrême. Les Schif- 
matiques divifés entr'eux fe déchiroient cruellement. Les uns, 
atachés au Patriarche Jofeph, que l'Empereur venoit de pla- 
cer fur le Trône Patriarcal, ne vouloient point communiquer 
avec ceux qui reconnoifloient toujours Germain pour . 
Patriarche. Ét ceux-ci difoient Anathème à Jofeph; ilsletrai- 
toient d’Intrus & d'Excommunié , l’acufant d’avoir fuplanté 
fon Prédécefleur, pour ocuper fa place, même dès fon vi- 
vant. On voyoit ainfi dans une même Maifon le Pere féparé 
du Fils, la Mere de fa Fille, & la Bru de fa Belle-mere. Tous 
cela ne prométoit rien de favorable. Comment rapeller à l’u- 
nité, des gens nés dans le fchifme , toujours prêts à fe divi- 
fer, & incapables de conferver ni paix, ni union avec leurs 
La sus Freres ? 

ependant les conquêtes que faifoit tous les jours le Sultan 
d'Egypte fur les Chrétiens de la Paleftine, avoient obligé le 
Pape : faire précher la Croifade en France, comme on la 
préchoit déja en Hongrie, contre les Tartares , qui mena- 
çoient ce Royaume d'une nouvelle invañon. Luis 
de faint Dominique , & ceux de faint François étoient fpécia- 
lement chargés de cette commifhon. Et tandis que notre Gé- 
néral, felon les vœux du Vicaire de JESUS-CHRIST , four- 
nifloit un fi grand nombre de Müiniftres de la Parole, tant 
dans les diférentes Provinces de l'Europe , que dans les Pays 
les plus reculés , il recevoit aufi de la part Fa Saint Siège des 
marques continuelles de la charité apoñftolique. Parmi les 
autres privilèges, qu'il obtint pour fon Ordre, je remarque 
“particulièrement celui de pouvoir continuerleService Divin , 
Ofrir les SS. Myftéres , & participer aux Sacremens , dans les 
heux mêmes foumis à l’Interdit. Cette grace ne devoit point pa- 
roitre indiférente, dans un fiécle furtout où l’indocilité 7 
ES & leurs fréquentes révoltes atiroient fouvent fur eux 


les Foudres de l'Eglife , & un Interdit général fur leurs Villes, 
| Hhhij 


LIVRE 
. IV. 


JEAN 
DE VERCEIL. 
Run ou. 4 








Fleuri, Hif. Ecct. 
Liv. LAXXY, 7%, 54° 


Bullar. @rd T1, 
P-450 


428 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE La lupart de celles d'Italie étoient alors fous l’anathême ; & 
___ IV. les Romains n'étoient pas ceux qui donnoient les moindres fu- 
JEAN jets de mécontentement au Saint Pere. C’eft ce qui lobligeoit 

DE VERCEIL. à réfider avec fa Cour tantôt à Péroufe , & tantôt à Viterbe ; 

=" où, conformément aux défirs de Sa Sainteté, Jean de Ver- 
XI. ceil aflembla fon Chapitre Général, au mois de May 1268. 
Ps Pape Clément IV, fix mois après,mourut dans la même Ville, ayant 
| ordonné qu'on enterrât fon Corps chez les Dominicains. Les 
Chanoines de la Cathédrale, Gus refpeter fes ordres , ne 
laiflérent pas de l’inhumer dans leur Eglife : & le fage Général 
ne penfa alors qu'à éviter le fcandale. Nous verrons bientôt 
ce qu'il fit fous le Pontificat de Grégoire X, pour faire éxécu- 

ro derniére volonté du Pape défunt. 

Pendant que les Cardinaux , arêtés toujours à Viterbe , 
fans être Re en Conclave, diféroient de mois en mois, 
ou plutôt d'année en année , 'Eleétion d'un nouveau Pon- 

* Depuis le 29 tife * , Jean de Verceil, dont le zéle ne fe repofoit jamais, 
ee à > aflembla trois fois le Chapitre Général de fon Ordre.-S’'étant 
jour de Septembre rendu à Paris au commencement de l’année 1 269 , ileut l’hon- 
be neur de préfenter fes refpeéts au Roi faint Louis , qui le reçut 

avec beaucoup de bonté ; lui demanda quelque KRelique de 
faint Dominique ; & lu: fit préfent d’une Epine de la Cou- 
ronne du Sauveur. Bientôt après, le faint Monarque , fuivi de 
lufieurs Princes de fa Mailon . & de l'élite de la Nobleffe 
rançoife , pafla une feconde fois les Mers, pour porter fes 
armes contre les Ennemis du nom Chrétien. On fait que 
Mort de S. Louis. le fuccès ne répondit point à la pureté de fes intentions , ni 
aux grands préparatifs de guerre qu’il avoit faits. Après quel- 
ues petits avantages remportés fur les Infidéles , le Héros 
hrétien finit fon éxil & fes travaux , devant Tunis lan 1270. 
La mort de deux Princes du Sang , & de deux jeunes Reines 
fuivit prefque coup fur coup à du faint Roi. Et ces triftes 
nouvelles Le: anoncées , ou confirmées , à notre Général 
ar une Lettre , dont le nouveau Roi, Philippe IE, voulut 
aa 1761 Le l’honorer. Edmond Martene l’a inférée dans le quatrième 
Tome de fes Anecdotes. Nous la traduirons ici pour édifier la 
piété du Leëteur, par les religieux fentimens d’un Prince afligé, 
foumis dans l’afliétion. | 





DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 429 


LETTRE DU ROI DE FRANCE PHILIPPE III, 
A JEAN DE VERCEIL GÉNÉRAL DES FF. PRÉCHEURS. 


Du Sixiéme de Mai 1271 %*#. 


HILIPPUS Dei Gratis 

Francorum Rex, charifimes ft- 
bi in Chriflo , Magiftro Ordinis 
Fratrum Predicatorum , & Defini- 
toribus Capituli generalis, ac uni- 
verfis Prioribus , @ Fratribus ejuf- 
dem Ordinis apud Montem-pefula- 
num Congregatis , SALUTEM © 
dileitionem finceram. 

O vos omnes , qui tranfiis per- 
viam ! vos inquam , Charifimi , qui 
per arilam femitam paupertatis in- 
ceditis, in bac valle miferia peregri- 
nantes , attendite, € videre , fi 
ef? dolor noffro dolori fimilis , aut 
aqualis , quia amaritudine valde 
nos replevit Omnipotens. Nos inip{o 
commiffi temporalis regiminis & co- 
rona primordio coronayit tribulatio- 
ne multiplici ; aded quod inter va- 
rias preffuras , © dffictiones ama- 
ras ,in arcto pofiti, © vebementer 
conflernati fingultuofos fletus © an- 
xios prodere cogimur ululatus © 
planitus. 

INuper enim , ficut (jam pluribus 
Collegiis veftris expreffius snfinualfe 
recolimus ) snclyte recordaticnis 
preclarifimus Dominus C genitor 
noffer Ludovicus Francorum Rex il- 
lufirifimus ; cujus viridioris vite 
claritas velut folis fplendor inter fi- 
dera prafulgebat fingulariter inter 
omnes , Cujus memorsa fuaviter re- 
dolet, cujus fama ubicumque diffufa 
per orbem audientes deleitat parirer 
 loquentes , poffquam vivifice Cru- 
cis fignaculo infignitus , fpiritus fer- 
Yore fe porenter accinxerat , © 4d 
partes accefferat Affricanas , ad er- 
rores Infidelium Barbarorum radi- 


P HILIPPE , par la Grace de Dieu 
Roi de France , aux Servitceurs de 
Jesus-CHRisT , le Général de l’Ordre 
des Freres Prècheurs, les Définiteurs, 
tous les Prieurs & les autres Religieux 
du même Ordre, afflemblés dans leur 
Chapitre de Montpellier , SALUT & 
fincére afection. | 

O vous tous qui paflez par le che- 
min ; vous, dis-je, mes Bien-aimés , 
qui dans cette Vallée de larmes, mar- 
chez par le fentier étroit de la pauvre- 
té ne , confidérez, & voyez s’il 


LIVRE 
IV. 


JEAN 
DE VERCEIL. 
D 





* Sur la mort de 
S. Louis, du Prince 
Jcan Triftan , de 
Thibaut Roi de 
Navarre , de la 
Reine de France, 
& de celle de Na- 
varre, 


eft de douleur comme la mienne , ou 


s’il peut y avoir une afliétion femblable 
à celle, dont le Tout-Puiffant vient de 
remplir mon cœur ! Les premiers jours 
de notre Régne , que font-ils ? qu’une 
trifte fuite d'épreuves, de calamitez & 
de tribulations ? Nous en avons épuifé 
toutes les horreurs ; & l’excès en eft fi 
rand, qu'il paroït également impoffi- 
Be , & de le dilfimuler par ke filence, 
& de le bien exprimer autrement que 
par les larmes, les foupirs ou les fan- 
glots. | | 
Le premier Los (ainfi que nous la- 
vons plus expreffément mandé à plu- 
fieurs de vos Maifons ), ce premier 
coup ; qui nous fait encore gémir , a 
porté fur la Perfonne facrée de notre 
Pere & Seigneur l'illuftre Roi de Fran- 
ce, Louis, de glorieufe mémoire. Ce 
rand Prince, qui, par l'innocence de 
A vie & l'éclat de fes vertus, étoir en- 
re les Souverains de la Terre, ce que 
le Solcil eft parmi les autres Aftres : ce 
Monarque, dont le fouvenir eft fi doux, 
& dont la réputation portée jufqu’aux 
ex:rémitez de la Terre, faifoit la con- 
folation de tous ceux qui parloient de 


hi 


LIVRE 
IV. 


JEAN 
‘DE VERCETE. 








s5o HISTOIRE DES HOMMÉS ILLUSTRES 


lui ,ou qui en entendoient parler, a 
été frapé tout à-coup d’une maladie 
mortelle , dans le rems que plein de 
ferveur 1l marchoit fous l'Etendart de 
la Croix contre les Barbares d’Afrique, 
pour combatre l'infidélité & l'erreur. 
La volonté du Seigneur étoit , qu'il 
terminât fa courfe dans l'exercice de fa 
généreufe piété :auffi l’a-t-on vü refpec- 
tueufcment foumis aux ordres du Très- 
Haut, demander les Sacremens de l’E- 
glife , & les recevoir avec une foi ani- 
mée par la charité, & foutenue de la 
dévotion la plustendre. Couche enfuite 
fur la cendre , pendant qu'une griéve 
maladie nous rerenoit Nous- mêmes 


dans le lie , il a rendu fon ame très-pure 


à fon Créateur , à la mème heure que le 
Fils de Dieu eft mort fur la Croix 
pour le falut du Monde. En vous ra- 


contant ceci , nous fentons , hélas ! 


combien ce trifte récit augmente enco- 
re toute l’amertume de notre afliétion. 

Mais ce n’eft pas feulement la perte 
du meilleur de tous les Peres qui nous 


aflige ;la mort nous a encore enlevé 


notre cher Frere Jean Triftan , Conte 


de Nevers, jeune Prince , qu’un excé- 


lent naturel & une fageffe bien au-deflus 
de fon âge , rendoient infiniment ai- 


‘mable. L'illuftre Roi de Navarre Thi- 


baud , notre Beau-frere & fincére Ami, 
a payé auffi le tribut à la nature, tan- 
dis que brülant de zéle pour la Foi, & 
foutenant par fon courage ceux qui 


combatoient pour elle , 1l facrifioit gé- 


néreufement fa jeunefle & {es forces , 
aux intérêts de la Religion. 

Après tant d'illuftres vitimes , a 
mort n’a point ceflé de faire fentir fes 
coups : notre très-chere Epoufe lfabelle 
d'Aragon, Reine de France , que tant 
de belles qualitez rendoient agréable à 
Dieu & refpeétable à tous nos Sujets, 
nous l'avons vü expirer le Mercredy 
avant la Fèce de la Purification de la 


Sainte Vierge. C’eft ainfi que nos dou: 


citus extirpandos, quadam corporis 
infirmitate gravatus , ficut Deo pla- 
cuit , qui labores ejus confummare 
feliciter in [uo difponebat obfequio, 
Nobis etsam agritudine laboranti- 
bus valde gravi, tandem chriftia- 
nifime fufteptisomnibus Ecclefrafti- 
cis Sacramentis in Fide fincera , in 
Dei dileitione & devorione ferven- 
tt, anno Domini 1170, Feria f[e- 
cunda in Fcflo Beati Bartholomai 
Apofloli , illa bora qua Dominus 
nofler Jefus Chriffus Dei Filius in 
Crace pro munds vita mors voluit, 
ad extremam boram veniens , © [u- 
per faccuim © cinerem accubans, 
felicem fpiritum reddidit alrifimo 
‘Creator: , quod tamen recitare non 
polumus abfque doloris anguffia ve- 
bemenri. 

Infuper Frater nofler Joannes 
Comes N'ovioduni , quem non [olum 
affeétio, © nature vinculum , [ed 
bone indolis primordia © in ærate 
tencra magna diftretionis indufiria, 
cum charitate fincera reddiderant 
nobis charum , obiit : pofimodum 
Princeps egregius chariffimus nofler 
Sororius @ amicus Theobaldus Rex 
Navarre illufiris, qui tam lauda- 
bilis , © tam potens , cum pro Fi- 
dei negotio militantes firenue ibs- 
dem , @ [ua juventuris florem gra- 
tifime Deo in ejus obfequium , &* 
facrificium offerentes .. abhac vira 
migravit , ficut Deo placuit , que 
prout vale ad fe vocat fubjeitas [ue 


_potentiæ Creaturas. 


Nondum tamen bis contenta ; 
mundane bujus plaga peflilentie nos 
relinquit. Nam chariffima uxor nof- 
tra Ifabella Regina Francie cujus 
Deo & mundo amabilis vita erat, 
in via predilla, gravi corporis in- 

firmitare detenta, poffquim omnia 
devoré fufteperat Ecclcfiaftica Sa- 
cramenta , demum die AMercarii 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 431 


aute Feflum Purificationss Beate 
Marie Virginis vitam prafentem 
fnivir. Unde noflris Prioribus do- 
doribus dolores adbuc snculcantur , 
. fufpiria geminantur [ufpiriis, & 
gemitus gemitibus cumulantur.Cum- 
que pradiclorum Domins genitorss, 
atque Fratris , uxoris quoque corpo- 
ya pretiofa factamus nobiftum , ut 
yolumus © tenemur , ad loca fepul- 
ture deferri , funt afidue in nofiris 
oculis quafi clavi , fitque in noftris 
vi/ceribus quotidie recens plaga. 

Ad boc fuper borum nofirorum 
dolorem vulnerum addidit Domi- 
nus , nec pepercit  concidit ensm nos 
vulnere fuper valnus , nam plagam 
capiti inflictam mobis ex Reverendif- 
fimi Patris morte , ' in atroque la- 
tere de abceffu Sororis atque Fra- 
sris, © in altera corporis noffri 
parte ex amiffione conjugss charifi- 
me, © quinta plaga cordis non de- 

fuit amanriffima ftilicet mors Soro- 
ris, Nam cüm faltem quaf raptam 
de boc incendio , € naufragio eru- 
tam fheraremus,nobis ad tante cala- 
smitatis aliquale folatium remanfif[e 
charifimam Sororem noftram 1/4- 
bellam Reginam Navarre , que 
.quafi flella morum univerfitate pra- 


cellens refplendebat in orbe , 1pfa ta-. 


men amiffo prius amantifimo Conju- 
Ge , multis pofimodum terre mari 
que concallata periculis & procellis 
affliita , tandem proprii corporis &- 
&gritudine pragravata, fufteptis in 
Fide fincera ; & devotione precipua 
omnibus Ecclefiaflicis Sacramentis, 
die Jovis ante Feflum Beati Mar- 
ci Evangelifle diem claufit extre- 
.mum , migrans ad illius Sponfi tha- 
lamum quem femper defideraverar 
Regina Nobilis, Regis Regum. 
O Rex glorie , Rex virtutum ter- 
-ribilis in confiliis fuper Filios bo- 
-Minum , ut quid me fic derelinquere 


leurs fe renouvellant fans interruption , 
& fe multipliant tous les jours avec nos 
pertes, ne nous laiflent de force que 
ur les fentir & en gémir. Certes il 
{eroit dificile de dire tout ce que nous 
fait continuellement foufrir la vüc des 
précieufes dépoiilles d’un Pere , d'un 
Frere & d’une Epaufe, que nous fai- 
fons tranfporter, comme il convient, 
au lieu deftiné à [eur fcpulture. De tels 
objets toujours fous nos yeux , font 
comme autant de flèches aiguës, qui 
nous déchirent fans cefle les entrailles. 
Ainfi humiliés fous la main de Dieu, 
& frapés dans tous les endroits les plus 
fenfibles , aurions-nous penfé qu'on pût 
ajouter .quelque furcroît d'aflition à 
tout ce qui nous afligeoit déja ? Il a plà 
cependant au Seigneur d’apéfantir en- 
core fon bras, & de so nos pre 


_micres playes beaucoup plus doulou- 


reufes par de nouvelles Au milieu 
de tant de maux , notre très-chere Sœur 
Ifabelle de France , Reine de Navarre, 
Pouvoit nous donner quelque efpéce 
de confolation ; & c’eft la mort de cette 
illuftre Princefle qui vient de métre le 
comble à notre jufte douleur. Après 
avoir perdu fon Epoux , & réfifté à tou- 
tes les farigues du voyage par terre & 
{ut mer, lorfque nous ofions nous féli- 
citer de la voir déja délivrée de tant de 
périls , & fauvée du naufrage commun, 
elle a enfin fucombé à la violence dela 
douleur ou de la maladie. Mais fa rare 
piété, & fa foumiflion aux ordres ri- 
goureux du Ciel ,ont paru furtount dans 
.ces derniers momens. Ayant reçu avec 
une dévotion édifiante tous les {ecours 
que l'Eglife peur acorder à fes Enfans, 


.cette vertueufe Reine s’eft repofte dans 


le Seigneur , le Jeudy avant la Fère de 
faint Marc, pour aller joüir de la pré- 
fence de lEpoux immortel , dont la 
poffeflion avoit roujours été le grand 
objet de fes défirs. 

O Roi de gloire , Roi des vertus, 


LIVRE 
IV. 


JEAN 


DE VERCEIL, 
D À 





LIVRE 
IV. 





JEAN É 


DE VERCEIL. 
| 





si HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


toujours jufte & toujours terrible dans 
vos jugemens ! hélas , pourquoi m'avez- 
vous bic {urvivre à un Pere fi cher , & 
à tant de perfonnes , dont le fecours &c 
la confolation me feroient fi nécefflai- 
res ? Pourquoi faites-vous paffer fur moi 
rous les fleaux de votre colére?Seigneur, 
Seigneur mon Dieu , après avoir apellé 
à vous ceux qui vous étoient agréables, 
voudriez-vous me reiérer de votre face, 
ou permétre que je fufle enféveli dans 
l'abime profond de cette mer orageu- 
fe ? Ou plütôt , n’eft-ce pas pour éxer- 
cer en ma faveur un Jugement de mife- 
ricorde , que vous daignez me puri- 
fier , m'inftruire , m'éprouver par le 
feu de tant de tribulations ; afin qu’ain- 
fi éprouvé , inftruit & purifié , 1l ne m'a- 
rive jamais d'oublier , que les douceurs 
ou les profpéritez de ce Monde ne font 
qu’aparentes ; que fes miféres & fes 
amertumes font toujours réelles, & 

u'il n’eft rien de plus fragile que la vie 

e l’homme. C'eft fans spa par ces 
falutaires leçons, que vous avez préten- 
du m'atirer à vous, & me faire foupirer 
après vous ; parce que vous êtes notre 
fouverain bien, Cu digne d'être tou- 
jours recherché & uniquement aimé. 
Que votre faint Nom foit donc à ja- 
mais loué ; qu’il foit béni par toutes les 
Créatures. 

Dans cette douce confiance, nous 
devons fuporter courageufement les 
plus des adverfitez , & nous fou- 
mécre humblement aux ordres du Sei- 
gneur ; il fera lui-même notre force & 
notre confolation. Nous éprouvons dé- 
ja combien ileft doux de penfer que 
cesperfonnes fi cheres,que nous croïons 


‘avoir perduës, mais qui en éfet n’ont 


fait que nous ne par une mort 
précieufe , jouiflent à préfent de la féli- 
cité promife à ceux dont la Foi eft fincé- 
fe, À Charité ardente & la vie toujours 

ure. Si la Religion nous aprend qu'il eft 
on & louable de prier pour les morts ; 


voluiffs tum dilectifimi Parris, € 
aliorum neceff[arioram meorum fub- 
fidio  folatio deflitutum , € quafi 
omnes fluttus tuos fuper me totaliter 
induxifli ? Numquid Domine , De- 
mince Deus , ut me penitus te indi- 
grum fufcepris aliis, à facie tua eji- 
ceres , € abfortum in fluctibus bujus 
maris , C amaris deliciis immerge- 
resin profundum ! aur potius mife- 
ricorditer tam ardenti tamque mal- 
tiplici tribularionis igne purgares, 
probares | € purgatum pariter & 
probatum [alubriter erudires ? quan- 
tis mundanæ profperitatis dulcedo 
mifera refper(a fit amaritudinibus, 
© obfefe miferiis | & quod onus 
poreflatis fit procul dubio brevis vi- 
ta j ac deinde fic inffruclum attra- 
bens , © attralum erigens ad te 
fummum € [olum bonum . .. mor- 
talium defiderandum fingulariter , 
pariter @ amandum. Sit nomen 
tuum in omnibus C füper omnia be- 
nedilum. 

S'ane quia in adverfis hujus mun- 
di decet ©. expedit fpiritum fortits- 
dinis nos babere , nofiramque volun. 
tatem divinis conformare beneplaci- 
tis , ac de ipforum amiflione, vel pre- 
miffione charorum , congruum in Do- 
mino remedium confolationss recipe- 
re , in confpeitu Domini pretiofa elfe 
ipfe fperatur , © creditur mors ipfo- 
rum , quiin cjus Fide & diledione 
devote  fideliter obfequendo, [uas 
eleitlas animas obrulerunt , & elfe 
fanilum , & falubre plurimum pro 
ipfis exorare defunttis, © nobis etiam 
valde neceffarium in tante calami- 


‘tatis articulo, © fufteptiregiminis 


onere implorare piafuffragia Electo- 
rum. Ad veftre charitatis sbundan-. 
tam de cujus pietate fiductam in 
Domino gerimus fpecialem,C quam 
experti fumus tam Patri felicis re- 
cordationis pradito Domino cha 
riffimo 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE #33 


rifimo @ Progenitori noffro , quam 
Cnobis & noffris , devotis ac fa- 
miliaribus obfequits jugiter adhe- 
SŸe » recurrimus C' affeitu cordis 
humiliter deprecantes & obfecrantes 
‘attente, quatenuseamdem gratiam, 
quam ad predictos» charos noffros 
dum viverent habuiflis, fervetis in 
poflerum , € defunitis ipforum ans- 
mas - vefiris devotarum Millarum 
orationibus C* fuffragiis divine mi- 
fericordie commendetis , & ipforum 
memorsam [triptam babentes in cor- 
dibus & in Libris memorialibus per 
totum Ordinem confervare perpetuo, 
ac fieri folemniter ordinare velitis. 
Ceterüm pro charifims Domina 
Matre noftra Margarita Regina 
Francis illuffri, pro Nobis © cha- 
riffimis noffris Fratribus , Sorori- 
bus C liberis , ac totius fatu prof- 
pero Regni noftri, ut 4d ipfum fide- 
diter gubernandum aûtus noffros Rex 
KRegum [alubriter dirigat & difpo- 
fat, ipfum attentis precibus Altiff- 
mu ffudeatis interpellare devote. 
Quid autem fuper bis ordinare 
duxeritis INobis per vefiras Litte- 
ras intimare curetis. Datum apud 
Clunsacum in Fefto Saniti Joannis 


ante Portam Latinam anno Domi- 


ns 1271. 


nos propres beloins nous avertiflent 
auffi , que nous devons demander pour 
nous-mêmes les priéres des Amis de 
Dieu , furtout dans les circonftances où 
Nous nous trouvons , afligés d’un côté , 
& obligés de l’autre de prendre les rè- 
nes du Commandement. 

C'eft avec une pleine confiance que 
Nous nous Hs à vous , dont la 
charité & la fincére afection nous font 
connuës. Vous nous en avez fouvent 
donné des preuves non équivoques, par 
les fidéles fervices que vous n’avez cef- 
{é de rendre à notre illuftre Pere , aufli- 
bien qu'à Nous & à toute la Famille 
Royale. Nous vous conjurons par l’a- 
feétion que nous vous portons , de con- 
ferver toajours pour nos chers Défunts 
les mêmes fentimens que vous avez eus 
pour eux pendant leur vie. Ofrez-les au 
Seigneur dans vos priéres & dans vos 
faints Sacrifices. Que leur fouvenir 
foit toujours gravé dans vos cœurs , 
&c leurs noms écrits avec la diftinétion 
qu’ils méritent, dans les Regiftres que 
vous confervez dans toutes les Mai- 
{ons de votre Ordre. Nous fouhaitons 
encore que vous fafliez des Priéres 
particulières pour notre bien- aimée 
Mere Marguerite, Reine de France ; 
pour Nous, pour nos Freres, pour nos 
Sœurs & pour nos Enfans , & enfin 

our la profpérité de notre Régne ; afin 


u'il plaife au Roi des Rois de ne lui-même nos pas, & de nous con- 
dite {elon fa fageffe éternelle. Tout ce que vous aurezordonné fur cela ; 
ayez foin de nous le faire favoir par vos Lettres. 

Donné à Clugny le jour de faint Jean devant la Porte Latine, l’an de 


Notre-Seigneur 1271. 


Jean de Verceil ayant fait la leéture de cette Lettre dans le 
Chapitre Général de Montpellier , il ordonna , felon les pieux 
défirs du Roi Très-Chrétien, des priéres publiques , & parti- 


culiéres , dans toutes les Maifons de fon 


rdre. Mais un mo- 


tif de reconnoiffance & de religion lui fit porter plus loin fon 


zèle pour la mémoire de faint Louis : le nom du 


Tome J. 


Confefleur 
Ji: 


IVRE 
IV. 


JEAN 
DE VERCEIL. 
Re ”" ") 








XTIT. 

Zéle du Pere Gé- 
néral & de fes Re- 
ligieux ») pour la 
mémoire de faint 
Louis, 


Livre 





JEAN 
DE VERCEIL. 
Ke "7 : 4 





XIV. 

Jean de Verceil 
tient fon Chapitre 
a Lyon, & aflite 
au Concile. 


XV. 

Le Corps du nt 
Clément IV e 
rendu aux Freres 
Précheurs de Vi- 


*  terbe, 


434 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
de Jesus - CHRIST fut mis dès- lors dans le Calendrier des 
Freres Prêcheurs, dont quelques -uns entreprirent de faire 
connoître à la Poftérité fes belles a&tions , & fes héroïques 
vertus ; pendant que les autres agifloient fortement auprès du 
Saint Siège, pour lui faire décerner les honneurs de la Canoni- 
fation. Notre zélé Général étoit d'autant plus en état de foli- 
citer cette grace avec quelque fuccès , que les Souverains Pon- 
tifes, Grégoire X, & cinq de fes Succefleurs l’honorérent 
toujours de la plus parfaite confiance. Celui-là l’apella au fe- 
cond Concile de Lyon ; & ceux-ci le firent leur Légat Apof- 
tolique auprès des Rois de France, & de Caftille. 
Comme le Concile devoit commencer dans le même tems , 
u'on avoit coutume de tenir les Chapitres Généraux de l'Or- 
dre y Jean de Verceil convoqua celui de 1274 dans la Ville 
même de Lyon, afin de préfider felon fon devoir à l'Affem- 
blée de fes es , & fe trouver cependant dans les Congre- 
ations , ou' les Seflions du Concile, fuivant la volonté du 
Pa e. Parmi ces diférentes ocupations, 1l n'oublioit point ce 
u'il avoit promis à fa Communauté de Viterbe , touchant la 
épulture du Pape Clément IV. Je trouve deux Brefs de Gré- 
goire X , adreflés au Cardinal Richard de Saint-Ange , Légat 
en Lombardie ; le premier eft du 31 de Fuillet 1274, & le fe- 
cond du premier d'Oftobre de la même année, tous deux 
datés de se , pour obliger les Chanoines de Viterbe 
de reftituer aux Freres Prêcheurs de la même Ville le Corps 
du Pape Clément IV. En vertu de ces ordres réitérés, les 
Cendres de ce faint Pontife , & fon magnifique Tombeau 
furent tranfportés dans le lieu, qu'il avoit lui-même choifi 
pour fa fépulture ; & où on les conferve encore aujourd’hut 
avec beaucoup de vénération. | | 
Après la mort de Grégoire X, Innocent V fon Succeffeur 
nomma notre Général , & celui des Freres Mineurs, fes Lé- 
gats en France, & à la Cour de Caftille, pour faire conclure 
un Traité de paix entre les deux Monarques, Philippe III, & 
Alfonfe X. Mais les négociations étoient à peine entamées, 
que la mort de ce Pape obligea les deux Légats de revenir in- 
ceffanment en Italie. Jean de Verceil fe trouva à Viterbe à la 
mort d’Adrien V , qui ayant fuccédé à Innocent, décéda le 
quarantiéme jour depuis fon Exaltation. Quoique les Cardi- 


paux affemblés dans le Palais de Viterbe , fuflent réfolus de 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 43: 


procéder le plus ms qu'il fe pourroit à l'Ele&tion d'un LIVRE 
nouveau Pape , les Citoyens excités par quelques Prélats , & IV. 
par les Oficiers de la Cour de Rome, voulurent les contrain- JEAN 
dre de s’enfermer en Conclave , fuivant la Conftitution de DE VERCEIL. 
Grégoire X. Il eft vrai que le Pape Adrien V venoit de fuf- a 
ss, 3 , ou de modifier cette Bulle; & tout le Sacré College 
ateftoit le fait. Mais les Prélats paroifloient perfuadés du con- 
traire , & ils avoient mis les Magiftrats de la Ville dans leur 
ae L'Archevêèque de Corinthe , & le Général des Freres 

rêcheurs ayant êté députés par les Cardinaux, pour publier 
la Bulle d’Adrien V , qu'on révoquoit en doute, ils furent 
fort mal reçûs ; & on infulta particulièrement l’Archevèque 
de Corinthe. Les Procureurs , & les Praticiens de la Cour de 
Rome fe jétérent fur luiavec tumulte, empêchérent la leéture 
des Lettres qu’il vouloit publier ; ils en arachérent les fceaux, 
Jui jétérent des bâtons ; k il y en eut qui le menacérent l'épée 
à la main. 

Il fallut céder à la violence : les Cardinaux plus étroitement 

reflerrés , procédérent à l’Eleétion ; & le 13 de Ée tembre 1276 
Pierre - Julien Portugais, Cardinal, Evêque . Tufculum , 
fut élu Pape fous le nom de Jean XXI. Son premier foin fut 
de réprimer les Séditieux , Auteurs du tumulte, dont on vient 
de parler. Après avoir donné une Bulle pour conftarer , & 
confirmer celle de fon Prédécefleur Adrien V , 1l en publia 
une feconde , pour enjoindre à tous ceux qui avoient eu quel- 

ue part à la fédition , de venir dans huit jours devant le Car- 
+ , Evêque de Sabine , demander humblement pardon de 
leur faute, & en faire une jufte réparation , tant au Sacré 
College , qu’à l'Archevêque de Corinthe , & au Général des 
Freres Prêcheurs. | | 

Peu de femaines après, les deux Légats, qu'Innocent V XVI. 
avoit chargés de procurer un acommodement à l'amiable en- 
tre le Roi T'rès-Chrétien , & le Roi de Caftille , reçurent or- vers les Rois de 
dre de reprendre leurs négociations. Jean de Verceil, & Jé- France & de Cat 
rôme d'Afcoli retournérent donc en France ; & le Pape écri- 
vit en même tems un Bref à Philippe III, pour lui marquer Ft tivevus 
le défir extrême qu'il avoit de prévenir , ou d’arêter une guer- 
re, qui ue être également fatale aux deux Royaumes, 
& aux afaires de la Religion. Mais, ajoutoit Sa Sainteté , afin 
d'obtenir plus facilement & plus promtement — de nos de- 
| ii 1j 





Fleuri, Hift. Eccl 
Liv, LXXXVIT) M, Le 


% 


436 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE mandes, nous envoyons vers vous deux Hommes , que leurs 
IV. vertus , leurs talens , & leur religion rendent fort recomman- 
JEAN dables , & qui nous font véritablement chers, aufli-bien qu’à 

DEVERcEIL. tOUs nos Freres les Cardinaux. Ils vous préfenteront nos Let- 
a tres, & nous conjurons Votre Majefté de fuivre leurs fages, 
& falutaires confeils (1). Le Bref eft daté de Viterbe du 
quinzième d'Oftobre 1276. 
Le Pape fouhaitoit avec beaucoup d’ardeur cette paix, par- 
ce qu'elle étoit néceflaire pour le fecours , qu’on fe propofoit 
de donner aux Chrétiens Ï . 
ion la faifoit auf defirer au Roi de France. Mais des raifons. 
. juftice & d'honneur l’engageoïient enmême tems à foutenir 
ar la voye des armes les droits de fes deux Neveux, les In- 
tps Don Alfonfe, & Don Ferdinand, qu’on avoit injufte- 
ment exclus du Trône de Caftille, où leur naiffance les apel- 
Joit. Le plus grand obftacle au fuccès des négociations étoit 
peut-être la confufion, où fe trouvoit alors f, Cour d'Efpa- 
ne, par les intrigues de l’Infant Don Sanchez, qui avoit 
ait révolter les deux tiers du Royaume contre Alfonfe X, fon 
Pere, & fon Souverain. Cependant les Légats firent tout ce 
e la fagefle & la prudence pouvoient Rois à des Minif- 
tres habiles , & zélés : & leurs pouvoirs étoient fort amples , 
puifque Sa Sainteté les avoit autorifés à caffer tous les Traitez, 
Confédérations , ou Engagemens contraires à la paix, & à 
difpenfer de tousles fermens, dont ils feroient apuyés. Avec. 
tout cela lorfque le Pape Jean XXI mourut le 16 de May 1277, 
les afaires n’étoient point avancées. 

AR AL Le Cardinal des Ürfins ayant été élu Pape fous le nom de 
uns G Nicolas II, il conti deux Légats tous les.Pouvoi 
ation par Ni INICOÏAS IT , 1l continua aux deux Lépats tous les Pouvoirs 

<clas IL . que leur avoient donné fes Prédéceffeurs. Et afin de prefler 
res l’acommodement, il fit prier l’un & l’autre Souve- 
rain de choifir la Ville de Touloufe, pour le lieu de la Confé- 
rence, où ils pourroient, foit par eux-mêmes , foit par leurs 
Ambafladeurs , conclure enfin une folide paix, fous la mé- 


(1) Utautem quod in hoc defideramus pbis ac Fratribus noftris acceptos , latores 
avidius, facilius & celeritis valcat proveni- | præfentium ad præfentiam Regiam deftina- 
re, dilectos Filios Fratres Joannem Magi- | mus ; quorum falutaribus monitis, & per- 
ftrum Prædicatorum , & Hyeronimum mi- | fuañonibus hacin parte magnitudinem Re 
piftrum Minorum Fratrum Ordinum, vi-|giam acquiefcere cupimus , & promptis 
ros Rcligione confpicuos , probitatis ex- | confenfibus adhærere,&c. Odoric. 44 An. 
pertæ , ac meritis & famä pollentes, & po- | 1276, ». 48.Bullar. Ord,T. I , p. 549. 


e la Paleftine. Et le zéle de la Reli- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 437 
diation des Légats Apoftoliques. Les propofitions de Sa Sain- 


teté furent acceptées par la Cour de France , & rejétées par 
celle de Caftille ; ce qui commença à es Ps beaucoup 
ce Pape contre Alfonfe X , à qui il fit de grands reproches , & 
de fon mépris pour le Saint Siège , & de fon ss 
pour la paix, qu'il auroit dû rechercher avec empreflement. 

Dans les Lettres de Nicolas IIT , Jean de Verceil eft apellé 
Patriarche de Jérufalem , parce qu'en éfet Sa Sainteté venoit 
de le nommer pour remplir ce Siège , ne doutant pas que par 
fes talens , & fa longue expérience dans les afaires , il ne con- 
tribuât au rétabliflement de celles de l’Eglife en Orient, où 
les Armées des Infidéles , & plus encore les crimes des Chré- 
tiens avoient mis toutes chofes dans une extrême confufon. 
Mais le fage Général bien éloigné de penfer auffi avantageu- 
fement de lui-même, 8e perfuadé d’ailleurs que dans le déplo- 
rable état où fe trouvoit la Paleftine , il n’y avoit point d’in- 
duftrie humaine qui pût la fauver de la ruine prochaine , dont 
elle étoit menacée ; fit tous fes éforts pour porter le Vicaire 
de JESUS-CHRIST à ne point métre fur fes épaules un fi pe- 
fant fardeau. Le Saint Pere , toujours ferme dans fa ser Vo 
tion , ne voulut écouter ni prières, ni excufes : & par un fe- 
cond Bref du premier jour d'Oftobre 1278 , après avoir re- 
proché au Patriarche élu un défaut de foumiffion , & de zéle 
pour la confervation de la Terre-Sainte, il lui ordonna de 
nouveau de fe tenir pour Patriarche de Jérufalem , de difpo- 
fer toutes chofes pour fe rendre le plutôt qu’il feroit poffible à 
fon Siège, & de donner même pendant fon abfence toutes fes 
atentions aux befoins d’une Eglife dépourvuë de tout fecours, 
tant fpirituel , que FE rs (1). is les afaires de ce Pays 
étoient tellement défefpérées, dit M. Fleury , que Jean de 
Verceil n’avoit que trop de raifon de demeurer ferme dans fon 
modefte refus. Le Pape le reconnut enfin ; & fe rendant à fes 
humbles inftances , il le sa de cette onéreufe dignité 
par une Lettre du quatrième de Février 1279. 


(7) Renuntiationem tuam prædictis cx- 
reffam litteris, de Fratrum noftrorum con- 
lio non duximus admittendam : {ed fcire 

te volumus quôd omnino de noftra procedit 
voluntate , ut , ficur alias tibi mandañle me- 
minimus impoftum tibi onus regiminis Ec- 
clefix fzpe fatæ devotè recipiens, & pro 


æ&le@o- Jerofolimitano te gercns, ipfum re- 


gimen & adminiftrationem ejufdem Eccle- 
fix profequaris diligentiüs , ad ipfius , & 


terræ prædiétæ utilitatem , etiam dum te 


ab illis abeffe contigerit , follicitas , quan- 
cum patietur abfentia,. operas impen{urus: 
Oâoric. ad An. 1178, n. 81. din Bullar. 
Ora.T. I. p. 561. ré 


iii 


Livre 
IV. 


JEAN 
DE VERCEIL. 
M ro 


XVIII. 
Et nommé au Pa. 
triarchat de Jérufz- 
lem. 








XIX, 
Il refufe cette Di- 
gnité, 


Hift. Ecl. Lim 


LIVRE 
IV. 


JEAN 


DE VERCEIL. 
ed 


| XX. , 

11 veut fe démé- 
tre de {a Charge 
de Général. 


XXI. 
Ce qu'il ne peut 
obtenir, 


XXII. 
Ylcontinueà gou- 
verner faintement 


fon Ordre. 


438 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Echapé à ce péril, le Serviteur de Dieu cherchoit à fe dé- 
barrafler d'un autre fardeau moins onéreux à la vérité, mais 


 quine lui paroifloit pas aflez compatible avec cet efprit de re- 


cucillement, de retraite, & de priére, dont il auroit voulu 
faire déformais fon unique ocupation. Après tant de fatigues , 
& de travaux, il crut pouvoir demander avec confiance la 
permiflion de fe démétre de fa Charge de Général. Ou plutôt 
il fe perfuada que Sa Sainteté avoit prévenu fa demande, & 
déja accepté fa démifhon, la Bulle même, qui le nom- 
moit expreflément Patriarche de Jérufalem , autrefois Général 
de F Ordre des Freres Précheurs. Mais le Vicaire de JESUSs- 
CHRIST lui répondit que ce n'étoit pas ainfi qu'il l'avoit en- 
tendu : & qu’en refufant la conduite d'une Eplife Patriarcale, 
il demeuroit toujours chargé de celle de fon Ordre. Après 
cette réponfe , parfaitement conforme aux vœux de tous fes 
Religieux , le pieux Général eut beau réitérer fes inftances , 
elles furent toujours inutiles. Obligé donc de faire céder à la 
volonté du Souverain Pontife , & aux befoins de fes Freres, 
le défir qu'il avoit de pañer les dernières années de fa vie dans 
le filence , & dans la méditation des Livres faints, il ocupa 
encore pendant près de cinq ans une place’, dont il Sn ça 
avec honneur tous les devoirs. 

L'Ordre de faint Dominique ne parut jamais plus floriffant, 
que fous la conduite de ce grand Homme. Il À vrai que par 
la mort de faint Thomas d'Aquin, de faint Raymond de Peg- 
nafort, du Bienheureux Albert, du célébre Humbert de Ro- 
mans , & d’un grand nombre d’autres Perfonages illuftres par 
leur doûtrine, &par leur fainteté, il avoit fait prefque coup fur 
coup des pertes irréparables. Mais la PET LE auffi 
enrichi par la vocation de plufieurs excélens Sujets , dont 
quelques-uns avoient refufé , ou abdiqué les premiéres digni- 
tez de l’Eglife, pour embraffer l’Inftitut des Freres Prècheurs. 
Cette même année 1279 , Jean de Lalleu, plus connu fous 
le nom de Jean d'Orleans, Chanoine , & Chancelier de l'E- 
glife de Paris , er été choifi par le Pape Nicolas IIT, pour 
remplir le Siége Epifcopal de cette Capitale du Royaume, fe 
retira fecrétement dans le Couvent de faint Jâques ; il y reçut 
l'Habit de Religieux ; & écrivit enfuite au Saint Pere, pour 
le fuplier de le décharger du fardeau qu'il lui avoit impofé, 
& lui permétre de finir fs jours dans le genre de vie, où la vo- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 439 


cation divine venoit de le faire entrer. Nous verrons ailleurs 
avec quelle fidélité ce grand Serviteur de Dieu fournit fa car- 
rière. | ° 
De telles aquifitions réjoüifloient autant notre faint Géné- 
ral, qu'il étoit mg des fréquentes Promotions de fes Reli- 
gieux aux Chaires Épifcopales. A al du faint Patriar- 
che, dont il tenoit la place, fa principale atention fut tou- 
jours de former , & de multiplier les Miniftres de la parole, 
our la propagation de la Foi, & l'inftruétion des Peuples. 
Nous fortirions fans doute de notre fujet, fi nous entrepre- 
nions de raporter ici, je ne dis pas les aétions , mais feulement 
les noms de ce nombre prefque infini d'Ouvriers Evangéli- 
ques, que Jean de Verceil envoyoit d'année en année dans 


les diférens Pays des Infidéles. On 2 voir le Bref du tren- 





LIvee 
IV. 


-JEAN 
DE VERCEIL. 
D 


XXIII. 

À former des 
Prédicareurs , & à 
faire anoncer la 
Foi aux Infdéles, 








tiéme d'Aoùût 1278, qui fe trouve dans la Colleétion des Bul- 


les par Roderic, avec ce Titre: “ Nicolas, Evêque.... à « 
nos chers Fils , les Freres Prêcheurs, qui partent pour les « 
Pays des Sarafins , des Payens, des Grecs, des Bulgares, « 
des Cumains, des Valaques , des Ethyoprens, des Syriens, « 
des Ibériens , des Alains, des Ruffens, des Jacobites , des # 
Nubiens, des Neftoriens, des Georgiens , des Arméniens, « 
des Indiens, des Tartares, & des autres Peuples d'Orient, “ 
féparés de la Communion de l'Eglife Romaine ,. 

C'eft à toutes ces Nations, & à ces diférentes Seêtes,que le di- 

ne Supérieur d’un Ordre de faifoit anoncer JEsUs- 

HRIST , & les véritez de fon Evangile. Les Aëtes des Cha- 
pitres Généraux , aufquels 1l avoit préfidé, & les Lettres Cir- 
culaires qu’il adrefloit à tous fes Religieux , font de nouvelles 
preuves de zéle ardent , qui le rendoit fi atentif à tout ce qui 
pouvoit avancer l'œuvre de Dieu , ou procurer le falut des 
ames , & la perfeétion de ceux , que leur état confacroit au 
faint miniftére. Il l’éxerçoit lui-même avec ferveur , & avec 
affiduité , autant que fes grandes ocupations pouvoient le 
permétre. Il nous a laïffé un Volume de Sermons, dont on 
trouve le Manufcrit à Rome dans la Bibliothéque du Cardi- 
nal Barberin. C’eft avec raifon qu’on comte Jean de Verceil 
parmi les premiers Défenfeurs de la Doûtrine de faint Tho- 
mas. Son refpett pour la mémoire du Doëteur Angélique, 
long-tems même avant fa Canonifation, & fon fidéle atache- 
ment à toutes les véritez qu'il nous a enfeignées , parurent 


Vide Marten.T.1y, 
Anrecdot. Col. 1297, 


&c. & Echard, T.I, 
p.215, 


440 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 

LIVRE  furtout dans les Chapitres de Milan,de Paris,& d'Oxford. Ce- 
IV. lui qu’il affembla pour la troifiéme fois à Montpellier aux Fé- 

7 Jean tes … la Pentecôte 1283, couronna fes longs & énibles tra- 
pe Verceiz. Vaux. Arêté dans le même Couvent par une mule qui l’a- 
——# vertit que fon dernier jour aprochoit , 1] mit à profit les cinq 
ou fix mois de foufrance , ou de langueur , qui éprouvérent. 

Rae fa patience, &c achevérent de le purifier. Il fe repofa dans le 
Verceil Seigneur le trentiéme de Novembre de la même année , fous 
: le Pontificat de Martin IV. té 


Fin du quatrième Livre. 


HISTOIRE 


| 441 
A 


PRES HET HLE 


ré ; C'ICFICDCS LDLC CCC: Cr 3 CCC 9: 
ne RS SU OL D M ETS 


HISTOIRE 
HOMMES ILLUSTRES 


DE LORDRE 
DE 


SAINT DOMINIQUE. 





LIVRE CINQUIÉÈME. 
S. AMBROISE DE SIENNE. 


a] AR MI les Vies des Saints, que M. Baillet 
il a données au Public , nous trouvons un 

etit abregé de celle de faint Ambroife de 
Senne, Cet abrepé hiftorique un peu trop 
concis à la vérité, eft d’ailleurs fort bien 
écrit, & très - propre à édifier la piété du 
Le&teur. Nous y ajouterons quelques éclair- 
ciflemens , foit pour corriger les légéres fautes de Chronolo- 
gie , qui s’y rencontrent ; foit pour donner une idée plus dif- 
tinéte des grandes vertus du Serviteur de Dieu , de fes princi- 
pales aétions , & des fervices importans qu’il a rendus à l’'E- 

life , à fa Patrie, & à diférens Peuples de l’Europe. Outre 
es Notes des Editeurs des Aûes des Saints , nous avons les 
Aftes même Originaux, qui , d’abord après la jet ‘ Bien- 








Tome L, 


S. AMBRo1sSE 
DE SIENNE. 
De = à 


Tom. 1,p. 1267 


LIVRE 


$. AMBROISE 
DE SIENNE. 





É. 
Naiïiffance du 
Saint ; piété de fes 
parcns. 


IT. 
Sujet de trifteffe. 


442 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


heureux Ambroife , furent recueillis par les foins de quatre 
Religieux de fon Ordre, & du même Couvent de Sienne, 
fpécialement chargés de cette commiflion par le Pape Hono- 
ré IV. Jules Sanfedoni , Evêque de Grofleto, de la Famille 
de notre Saint , a auf écrit fon Hiftoire en plufieurs Livres ; 
&c 11 s'eft principalement fervi de ces anciens Mémoires, que 
les Continuateurs de Bollandus reconnoiffent être éxa@s, & 
très-fidéles : anriqua & fideliffima Ada. | | 
Ambroife , iffu de l'illuftre Famille de Sanfedont , naquit à 

Sienne en Tofcane le feiziéme d'Avril 1220. La Diété Be le 
zéle pour la Foi étoient comme héréditaires dans: la Maifon 
de fon Pere, furnommé Bonatacha , & de fa Mere apellée 
Juftine. Les Ancêtres de l’un & de l’autre s’étoient fouvent 
diftingués dans la profefion des armes, particuliérement con- 
tre les Sarafins : & ils avotent paru avee honneur dans les Af- 
femblées , que les Souverains Pontifes , dans le douziéme &le 
treizième écles , Convoquoient quelquefois, pour délibérer 
fur les moïens d’arêter les progrès des Infidéles , ou de les chaf- 
{er des Lieux Saints, qu’ils ocupoient dans la Paleftine (1). 

_ La joye que les Parens de notre Saint reffentirent à fa naif- 
fance, fut Bientôt changée en triftefle, par le pitoyable état 
où il parut d’abord. Tous les Hiftoriens remarquent qu'il vint 
au monde fi contrefait , fi noir , fi monftrueux , qu’on ne pou- 
voit le regarder fans une efpéce d'horreur , ou fans compaf- 
fion. Selon M. Baillet, l'on atribua le rétablifflement inefpere de 
la conformation de [on corps , que la Nature lus donna en peu de 
jours , à la foi & aux prières de fa Mere Jufline. C’eft déja une 
preuve de l'opinion qu’avoit le Public de la vertu de cette 
pieufe Dame. Mais FS ne fai d'où M. Baillet a apris que ce 
changement extraordinaire, & _ apelle avec raifon inef- 
péré, s’étoit fait ez peu de jours. Les anctens Auteurs aflurent 
au contraire, que pour éloigner de fes yeux un objet fi capa- 
ble de M 504 ! tous les momens fa vive douleur, Juftine 
donna fon fils à nourrir à une femme de la Ville ; & que ce ne 
fut qu'au bout d’un an, que fa nourriffe Le tenant entre fes bras 
dans l'Eglife des Freres Prêcheurs, dédiée à fainte Madeleine , 


(1) Erant hæ duæ nobiles Familix in nu- fcriptis plenius confpeximus . . . . Fuit au- 
mero carum quæ fuam illuftrabant Urbem , | tem prædiétus Bonathaca haud parüm cupi- 
& præcipuë ob maximas quas contra Sara- | dus contra Infideles pugnare , propter quod 
cenos obtinuerunt viétorias, cum maximi | in Conciliis ob hanc caufam celebratis fæpe 
acquifitione thefauri, prout in Scripturis | numero intereffe ftuduit. Aë. Sent. T. LIL, 
publicis ad perpetuam rei memoriam con- À Marié, p. 182, n. 3, 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. #44 


vit, avec les fentimens de joye & d’admiration qu'on peut 
imaginer , l’heureux changement qui fe fit tout-à-coup fur le 
vifage, & dans tous les membres de cet Enfant, dont tout 
l'extérieur fut dès-lors auffi régulier , & aufli beau qu'il étoit 
auparavant diforme. L'événement bientôt pus parut fi mer- 
veilleux , que toute la Ville voulut y prendre part, & en con- 
ferver chérement la mémoire. Oderic Raynald raporte ainf 
le fait fur les anciens Manufcrits, ou les Annales de Sienne, 
qui lui avoient été communiquées , dit-il (1), par le Pape 
Aléxandre VII. 

Cette faveur du Ciel, que le jeune Ambroife n'étoit pas en- 
core en état de connoître , fut fuivie de plufieurs autres bien 
plus précieufes , & plus dignes de la bonté de Dieu , qui le 
prévenoit déja de fes bénédiétions de douceur , pour en faire 
un jour un des plus faints Miniftres de fa Parole. À mefure 
” croifloit , on voyoit fe déveloper les belles inclinations 


9 


e fon ame es la vertu. On aflure que dès l’âge de = ans, il 


commença à réciter tous les jours l’'Ofice de la Sainte Vierge, 
&c à intérompre pendant la nuit la douceur du fommeil , pour 
vaquer à fes petits éxercices de dévotion. Avançant en âge, il 
avançoit encore plus en fagefle ; & fa er vo Jeunefle , ainfi 
ue fon enfance, fe paflérent dans les Eglifes , dans la leture 
je Livres de piété, ou dans la converfation des gens de bien. 
Son unique Lifr étoit d'entendre parler de Dieu, des fou- 
frances , ou de la gloire des Martyrs : & il ne chargeoit pref- 
ue fa mémoire que de prières, ou de maximes de l'Ecriture, 
& d'Hiftoires faintes. 
La charité du Difciple de JESUS-CHRIST parut de bonne 
heure dans les aumônes, & les autres fecours , qu’il ne fe laf- 
{oit pas de procurer aux pauvres , aux malades, aux prifon- 


niers. Toutes les perfonnes afligées étoient l’objet de fa tendre 


compaflion : & cette vertu, qui fembloit être née avec lui, 
fut la pratique la plus ordinaire de toute fa vie. Ses Parens 
? D e 7 . $ 

étoient riches : & leur piété, ou la complaifance chrétienne 


(1) Eodem anno (1221 ) Ambrofius in- ! ter Jefu nomen acclamando, contigifer, 
#antulus Senenfis , cui poftea Ordinem Præ- { repentè magnà omnium admiratione venu- 
dicatorum ingreflo infignes virrutes , edita- { ftatem oris, & naturalem membrorum fy- 
ee miracula Beati nomen pepererunt ,cüm | métriam divinicis eft adeptus ; ut Manu- 
ab ortu , oris deformitate, membrorumque | fcripti Annales Senenfes, mihi ab Alexan- 
contractione ac diftorfione laboraret, in | dro VII communicati, pluribus referunt, 
Templo fanétz Magdalenæ , cum Taberna- | &c. Odoric. 4&d An, 1221 ,n. 53. 
culum in quo fanétz Reliquiz conditæ erant, KL ï: 

1 


LIVRE 
V. 


S. AMBROISE 
DE SIENNE. 
D 7 4 


III. 
Changé en con. 
folation, 





IV. 
Premiers éxerci- 
ces de Religion. 


V. 
AumOnes & au- 
tres pratiques de 
ité. 


LIVRE 
Vs 
S. AMBROISE 


DE SIENNE. 
D ne 





Vide A@. San, ut 
pr. 9,10. 


VIT. 
Æmour de la chaf- 
teté. 


444 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


. avoient pour lui , le mirent en état d’éxercer librement 
ès fes tendres années ce qui feroit honneur à la vertu des 
plus avancés. Bien loin de Cuir qu'on refufât jamais la cha- 
rité aux indigens , qui fe préfentoient à la porte , Ambroife 
les alloit chercher dans les chemins, dans les ruës, ou dans 
les Places publiques. Avec l'agrément de fa pieufe Mere , il 
avoit fait d'une partie de fa Maifon , une efpéce d'Hôpital, où 
tous ceux que le monde méprife étotent recueillis avec bonté. 
Le faint jeune hommefe failoit un plaïir de leur laver les piés, 
de les fervir lui-même à table, & de leur rendre toute forte de 
bons ofices , avec une éfufion de cœur d'autant plus grande, 

ue felon la parole de l'Evangile , il étoit 7 que c'étoit 

ESUS-CHRIST même qu’il avoit l'honneur de loger , de fer- 
vir, & de nourrir dans la perfonne des pauvres. Nous aflons 
ici fous filence les faveurs finguliéres , dont on prétend que la 
charité de notre Saint , comme celle du fidèle Abraham , fut 
récompenfée même dès cette vie. 

Rien ne pouvait être plus édifiant pour la Ville de Sienne, 
que de voir un jeune homme de qualité méprifer avec tant de 
conftance le fafte, & la moleffe je fiécle , pour pratiquer les 
faintes maximes de l'Evangile , & ne s'ocuper qu'à des œuvres 
de miféricorde. Ce qu'il n’avoit la liberté de faire chez fes pa- 
rens qu'à certains jours de la femame , 1l le faifoit avec moins 
de contrainte, tantôt dans les Hôpitaux, tantôt dans les Pri- 
fons , fouvent dans les Maifons des Particuliers , où il pous 
voit découvrir des malades, & des pauvres , qui Noise 
faire connoître leur mifére , ou leurs befoins. Ambroife leur 
fournifloit abondanment le néceflaire ; & 1l les confoloit tou- 
jours par des paroles pleines de douceur (r). Quelque aten- 
tion qu’il eut à cacher aux yeux des hommes une partie de ce 

ue l'efprit de Dieu lui faifoit pratiquer : fa vertu étoit trop 
éclatante , pour n'être point éprouvée. 

Dieu permit que la chaftete de fon Serviteur fut fouvent 
ataquée : &c la Crabe le fit autant de fois triompher de fon enr 


(rt) Ex ardentiffimo charitatis fervore 
maxime incarceratis compatiebatur. Prop 
in confuerudinem duxit omni Ferià fextà 
publicos vifitare carceres, & fi ques repe- 
riflet pauperes .... licentiàprius à parenti- 
bus habità . . . . cibaria eis occulrè inittebar 
cum aliqua pecunix quantitate. Omni quo- 
que Dominico die hofpitale fcalarum pran- 


di horà adire confueverat ; 8& cum aliis 


proviforibus , infirmis cibaria miniftrare’, 
cofque confolari fatagcbar. Vificabat quo 
ue egenorum domos.... Tanta in co 
uit diffufa gratia , ut quos vifitaffer, non 
folim verbo,verum etiam Beneñciis eo 
rum affliétiones relevabat, &c. A6. Sant. 


st fh.pe 184,7 112. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 445 


nemi. Il eft vrai que fe défiant fagement de lui-même Jilne 
s'expofa jamais au danger de perdre un tréfor, qui lui étoit 
plus cher que fa vie. Si les jeunes gens de fon âge, & de fon 
rang effayérent quelquefois de l'engager dans leurs parties de 
divertiffement , 1ls le trouvérent toujours également infenfi- 
ble à leurs folicitations , à leurs prières , & à leurs reproches. 
Sur cet article , il ne parut n1 plus complaifant , ni plus docile 
aux confeils de fes parens , & à leurs remontrances. Charmés 
de la vertu de leur Fils, ils auroient cependant défiré qu’elle 
eût été moins auftére, ou moins opofée à l'efprit du monde, 
& àfes maximes. Ils s'imaginoient, & ils s’éforçoient de le 
lui perfuader , que , fans cefler d’être à Dieu , on peut bien fe 
permétre des plaifirs innocens , entretenir un honnête com- 
merce avec des perfonnes qui ne font point vicieufes , & fe 

roduire à propos dans les compagnies , où l’on aprend à par- 
+ & à vivre. 

Les louanges , que les anciens Auteurs donnent à la piété 
des Parens de notre Saint, ne nous permétent point de douter 
que leurs intentions ne fuflent bonnes. S'ils voulotent faire 
connoître le monde à un jeune homme, dont toute la Ville 
de Sienne refpettoit déja le mérite, & admiroit les grandes 
qualitez, ce n'étoit fans doute que pour le métre en état de 
remplir toutes leurs efpérances , & de s'établir avec plus 
d'honneur. Mais Dieu avoit d’autres deffeins fur cet Elà : auff 
lui donnoit-il des penfées , & des fentimens plus propres à le 
conduire fûrement au folide bonheur , que le monde ne con- 
noît point, ou qu'il n’eftime pas aflez. Le défir d’être unique- 
ment à J. C. & de netravailler que pour fa ri ocupoit l’ef- 
. prit d'Ambroife : fon cœur , fenfible à ce feul objet , fe refu- 
foit à tous les autres. Ce qui ne conduit point à ce terme, lui 
étoit toujours infipide : & il avoit en horreur tou? ce qui au- 
roit pü l'en détourner. Ces précieux momens, que les mon- 
dains coulent avec tant de fatisfa@ion dans l’enyvrement de 
leurs pañlions , le Serviteur de Dieu aimoit à les pañler dans 
des éxercices de piété & de religion , ou dans une Etude uti- 
le ; & quelquefois dans une agréable folitude , loin du bruit, 
& des fcandales du fiécle. Maïs lorfque le Démon ne pouvoit 
le détourner de ces faintes pratiques , il lui livroit des combats, 
& lui tendoit de nouveaux pièges, jufques dans fa retraite. 
Nous pouvons enraporter ici deux éxemples,que les premiers 
Hiftoriens ont jugé dignes d'être tranfmis à la Poftérité. 

Kkk ii 


LIVRE 
V. 


S. AMBROISE 


DE SIENNE. 
a 





VIT. 
Sage retenue du 
jeune Ambroife. 


VIII. 
Ses parens veu- 
lent le produire 


dans le Monde. 


IX. 
Le Démon luÿ 
tend des piéges juf- 
ques dans La Soli- 


tude. 


LIVRE 
V: 


S. AMBROISE 


DE SIENNE. 
Ne nr 





X: 

Un hypocrite en- 
A de féduire 
le Serviteur de 
Dicu. 


446 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Proche la Ville de Sienne , où on voit aujourd’hui une 
Maifon des Peres Jefuites , 1l y avoit autrefois un célébre Mo- 
naftére de Citeaux, apellé l'Abaye de faint Michel, La con- 
verfation des pieux Cénobites, & le filence qui régnoit dans 
leur défert, y atiroit fouvent le Bienheureux Ambroife : à l’é- 
xemple de faint Bernard , il aprenoit parmi les hêtres , & les 
chènes de ces Forêts, ce que l’on n’aprend point ordinaire- 


ment dans la compagnie des hommes. Un jour que pour ne 
pas fe trouver aux Nôces d’un de fes Parens , il alloit pañer 
uelques heures dans ce lieu de priére & de filence, iltrouva 
Ur fes pas un inconnu, dont l'air & l'habit modeftes lui infpi- 
rérent d'abord du refpett. Ce prétendu Religieux lui ayant 
demandé la charité, qu'il reçut auffitôt, il le pria de l’écou- 
ter un moment ; & commença à lui parler a: : [l'y a long- 
tems , mon cher Enfant , que je cherche l’ocafion de vous en- 
tretenir en particulier , pour vous dire bien des chofes , qui 
contribueront à votre perfeétion , fi vous en voulez profiter. 
Comme vous n'avez point encore de régle fixe pour vous 
conduire , Je veux vous en donner une très-propre à vous éloi- 
gner de l'illufion, où ie laiffent PR qui ne craignent 
pas de fe conduire eux-mêmes. Les véritez que vous allez en- 
tendre vous furprendront peut-être ; elles ne doivent pas 
moins vous porter à fuivre mes confeils , & vousne douterez 
plus que ce ne foit Disu même qui m'envoye , & fon efprit 
qui me fait parler , lorfque vous verrez que je connois toutes 
vos penfées , & les plus fécretes difpofirions de votre cœur. 
Après ce prélude, que notre Saint avoit écouté dans un 
modefte filence , le féduéteur continua de la forte : Vous vous 
éloignez aujourd’hui de la Maifon de votre Pere , fous pré- 
texte de chercher dans la retraite un afÿle à votre innocence. 
Savez-vous que cette réfolution , infpirée par l'ennemi , dé- 
truit d’abord celle que vous avez prife de pratiquer haute- 
ment la piété? Non, la vertu ne peut être regardée comme 
folide , que lorfqu’elle eft éprouvée. Eh! pes ice 
vous triompher de la chair & du monde, fi vous fuyez com- 
me un lâche , quand il faudroit afronter le péril, & combatre ? 
Vous avez donc oublié ce qu'a dit l'Apôtre , qu'il n’eft point 
de viétoire fans combat, ni de couronne que pour ceux qui au- 
ront vaincu. Mais pour donner quelque chofe à votre crainte, 
je veux que ce foit prudence que de fuir locafion du péché. 
Cette ocañon fe trouve-t'elle dans la célébration des Nôces? 


DE L'ORDRÉ DE S. DOMINIQUE. 447 


Le Sauveur du Monde, en les honorant de fa préfence, doit LIVRE 
vous avoir détrompé de cette erreur. Après tout, la vertu eft- V. 
elle fi farouche , que pour la pratiquer , il faille rompre & avec S. Amsroiss 
les parens , & avec 2 amis ? Ou êtes-vous fi foible que vous De Srenwe. 
ne puifliez vous réjouir avec eux fans commétre de crime? “=== 
Craignez plutôt de fcandalifer les gens de bien par votre fin- 
 gularité : craignez que. vos projets de retraite ne foient peut- 
être l’éfet ou d'un fecret orgueil, ou d’un jugement bien té- 
méraire. En vous féparant ainfi des autres , vous faites con- 
noître que vous ne ja eftimez point aflez, ou que vous avez 
trop bonne opinion de vous-même. Vous avez déja fait un 
vœu de chafteté perpétuelle : je le fai ; & je ne puis que com- 
atir à votre D atio Vous ignorez donc quelle eft la 
foibleffe de la chair ; vous en ferez convaincu par votre ex- 
périence : & cet état, pour lequel vous témoignez aujour- 
d'hui une fi grande averfion , un jour vous le chercherez com- 
me un reméde néceflaire. | 
L'inconnu alloit continuer fon difcours ; mais Ambroife ne 
crut pas devoir l'écouter davantage. Il comprit bien que des 
maximes fi opofées à celles de l'Evangile ne pouvoient venir 
ue de l’efprit de menfonge. Il eut recours à la priére, & con- 
tinua fon chemin. Parmi les pieux Solitaires de l’Abaye de 
faint Michel il en trouva qui lui donnérent de plus fages con- 
feils ; & qui écrivirent les premiers tout ce que nous venons 
de raporter (1). Une nouvelle rencontre, où le Serviteur de 
Dieu fe trouva peu de tems après, pouvoit être pour lui une 
tentation plus | rie s'il eût été moins fecouru de la 
Grace. 
À une petite lieuë de Sienne on trouve un Monaftére , nom- XI. 
mé de faint Sauveur à l'extrémité d’une Forêt, qui conduifoit . Aure tentation, 
alors prefque des Portes de la Ville à celles du Couvent. C'é- de ds 
toit encore une des promenades ordinaires de notre Saint : fes 
priéres , ou fes le@ures de piété, il les faifoit avec plus de 
recueillement & de tranquilité dans ces allées fombres | & 
peu fréquentées. Comme il s’y promenoit un jour , ocupé à 
on ordinaire de l’afaire du falut , il entendit de loin la voix 
d'une perfonne , qui déploroit amérement fon malheureux 
fort, & demandoit du fecours. Le charitable jeune homme Zita 56 
jéte les yeux de tous côtez , & ne découvrant encore perfon- 


ñ (1) Hxc omuia per præfatos Monachos fcripto demandata vidimus , & legimus. Us 
M, 1$, | 








48 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE ne, ils’avance vers le lieu, d’où partoit cette voix ; il trouve 
V. enfin fous un habit d'homme une jeune fille , auffi capable de 
S. Amsrorss toucher par l’excès de fon afliétion , que par les atraits que la 
pe Sienne. Nature paroifloit lui avoir prodiguës. Ambroife craignit d’a- 
__ Lord quelque piège ; & fa premiére penfée fut de revenir 
promtement fur fes pas. Mais ia charité ne pouvant lui permé- 
tre de méprifer les gémiffemens de celle qui imploroit fon af- 
fiftance , 1l s’arêta pour favoir quel étoit le Get de fa dou- 
leur. Je fuis, répondit-elle , une Demoifelle de la premiére 
alité de Sienne. Mon Pere & ma Mere font morts ; & la 
cruelle avarice de mes Freres leur a fait prendre la réfolution 
de m'enfermer dans un Cloître , afin qu'eux feuls profitent de 
tous les biens, qu'ils devroient partager avec moi. La crainte 
de me voir engagée contre ma volonté , dans un état, où Dieu 
ne m'apelle point, m'a fait prendre le parti de me déguifer, 
comme vous voyez, & de m'enfuir , ayant bien plus à crain- 
dre de la part de mes barbares Freres, que de celle des bêtes 
mêmes, qui fe cachent dans les Forêts. La grace donc que j'a- 
tends de votre charité (& je fai que vous en avez beaucoup) 
_c’eft de ne point abandonner une orpheline perfécutée , que 
la Providence vous a fait trouver ici Lvrée au défefpoir , & à 
la mort. Conduifez-moi dans un lieu de füreté ; & ménagez 
enfuite mes intérêts auprès de mes Freres, que je vous ferai 
connoitre. 

Non, répondit le Serviteur de Dieu, je ne veux ni vous 
_ abandonner, ni vous refufer mes fervices. Mais il ne convient 
pas que je vous conduife moi - même , ni que je m'arête ici 
plus long-tems avec vous ; l’un & l’autre pourroit faire tort à 
votre réputation. Je vais de ce pas à Sienne; & je vous en- 
verrai inceflanment des perfonnes , qui fe chargeront volon- 
tiers de votre conduite ; efluyez cependant vos larmes ; & 
métez votre confiance en Dieu. Après ces paroles , Ambroife 
fe retiroit: mais l'orpheline dé ne fe jétant aufhitôt fur lui, 
voulut l’arêter, proteftant qu’elle ne vouloit d'autre conduc- 
teur, n1 d'autre ami, que un , & qu'elle ne foufriroit 
jamais qu'il fe retirât de la forte. Ces paroles, &z Se au- 
tres qu’elle ajouta , découvrirent fon véritable deflein. Mais 
celui du Difciple de JESUsS-CHRIST étoit de fe conferver tou- 
jours chafte. La grace vint à fon fecours , & le fit triompher 

de l’'Efprit impur , & de la tentation. 


8 slnd ur Nous ne dirons point avec les anciens Auteurs de la LE 
e 








oi = 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 449 


de notre Saint, que dans ces deux rencontres cefutle Démon ÉIVRE 
même, qui fous ces diférentes figures s’éforça, tantôt de le V. 
féduire par de pernicieux confeils, & tantôt de l'amolir en S. Amsroise 
alumant dans fon cœur des flâmes criminelles par les apas De SIENNE. 
de la volupté. On ne peut cependant douter que cet ancien = 
Serpent n’ait employé fes rufes ordinaires, pour faire fucom- 
ber un jeune homme, dont l'humilité confondoit déja fon or- 
gueil , & dont les rapides progrès dans la vertu lui faifoient 
craindre les fuites. 

Ambroife de Sienne finifloit alors fa dix-feptiéme année ; 
& il continuoit avec fuccès fes Etudes de Théologie : car : 

uelque apliqué qu'onle vit à la pratique de toutes les œuvres 

L charité , 1l ne l’étoit guëres moins à l'Etude des Siences , 
qui pouvoient perfeétionner fes talens , & cultiver les quali- 
tez £ fon efprit naturellement beau, folide , élevé. Ceux qui 
s’intérefloient à fa fortune , ou à fon avancement dans le 
monde , n'oubliérent rien pour le porter à quiter , & l'Etude 
de la Théologie, & fa maniére de vivre. Ils avoient d’autres 
deffeins ; & 1ls vouloient lui perfuader de prendre une autre 
route,pour parvenir aux premiéres Charges de la République. 
Leurs nouveaux éforts ne réüflirent pas mieux que les pre- 
miers. Âu contraire, cette efpèce de perfécution fut pour Lui x. 
un motif d'embraffer au plutôt un parti, où il püt avec une  Ambroife fait 
entiére liberté fe donner tout à Dieu , & ne plus rien ménager NT rate 
avec le monde. Sa réfolution prife , il la déclara à fes parens ; 
& il fit fi bien pour les engager à ne mêtre aucun obftacle à fa 
vocation , qu'ils lui permirent enfin de la fuivre. Ils firent 
plus , remplis de la crainte de Dieu , & toujours pleins de ten- 
dreffe pour un Fils fi digne de leur amour ; pour contenter fes 
pieux défirs , ils lui mirent entre les mains une grande fomme 
d'argent, dont il diftribua aufhitôt une partie aux pauvres ; & XIII. 
ie l’autre à l’Etabliflement de À Rene Filles orpheli- Rs de 
nes (1). Après cela, Ambroife , déja décidé fur fa vocation, Pauvres. 
£e retira dans le Couvent des Freres Prêcheurs de Sienne , où | 





(1) Cüm vis divin ameris , qui mentem f'ximà cum humilitate à Patre petiic, ut ex 
jus à cunabulis occupaverat, perfuafiones | iis quibus abundabartdivitiis, partem paupe- 
omnes fuperaret , quas rationibus & exem- | ribus erogare valeret. Conceflit libentiffen 
plis confurabat, animum fuum parentibus | pius Pater devoto Filio quod poftulavit ; 
patefecit , afferens fe omnino fpretis fæculi | qui plara nummorum aureorum centena 

ompis , Religionem ingredi velle, quo li- | erogare ftuduit, & maximè puellas nubiles 
Écrits Deo fervire poflet. Tantæ autem | & inopes decentibus locans maritis. Ibid, 
verba ejus fuerunt efñicacix , quod nullus | #. 18, 
voluntati ejus obfiftere valuit, Poft hæc ma- 


« Tome Z, | LI] 


450 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LrvRE *:ilprit l'Habit de Religieux dans le mois d'Avril 1237 , fous 
V. le Pontificat de Grégoire IX. 
S Amsrose M. Baillet dit que peu de jours après, il demanda à venir 
se Srewne. faire fes Etudes à Paris; où, relevé d'une grande maladie, il 
=” ft de grands progrès dans la Théologie. + Mais felon les an- 
XIV. eiens | genes , le faint Religieux pañfa encore plufieurs an- 
# Er prend l'habit nées en Italie , foit dans les pratiques du Noviciat , foit dans 
de S. Dominique. je érercices de l'Ecole ; & il ne vint à Paris que pour s’y per. 
* Nomb.20  fefhionner fous Albert le Grand. On fait que ce célébre Doc- 
| XV. teur n’ariva dans cette Capitale, avec fon Difciple , le jeune 
1! étudie quelque. Thomas d'Aquin ; que vers le mois d'Oë&tobre 1245.11 y avoit 
terhs cnlralie, & : , - . À 
Vent enfares Pa. huit ans révolus que le Bienheureux Ambroife de Sienne tra- 
. el a É vailloit à fa perfeélion fous l’'Habit de faint Dominique. Nous 
Mature sr. ne parlerons point ici des beaux éxemples de vertu, qu'il 
mas pour Condif. donna à fes Freres pendant fon année de Probation. Ce que 
ne nous avons raporté de fa conftance dans les éxercices de piété, 
au milieu de la ir Se du monde, & malgré la cenfure 
des mondains, fait aflez juger quelle dûüt être fa nouvelle fer- 
veur dans un état qui l’engageoit à travailler plus éficacement 
à fa perfetion, & qui lui en fournifloit les moyens. Com- 
me d'afpiroit à une fainteté digne de fa vocation , il joignit 
toujours à la pratique des vertus une Etude férieufe. Les La 
çons , & la réputation du Bienheureux Albert, fon Maitre , 
l'émulation qui étoit grande parmi fes Condifciples, & les 
difpofitions que la nature lui avoit données pour lesSiences ; 
tout cela auroit pû l’engager à s’y apliquer avec ardeur. Mais 
le noble défir de fe rendre utile à l'Eglife, & de procurer læ 
gloire de Dieu, en travaillant au falut des ames, étoit le 
premier motif, qui lui faifoit pafñler fur les Livres, ou dans 
de favantes converfations , tous les momens, qu’il ne don- 
noit pas à la priére publique , au chant des Pfeaumes , ou à fes 
autres éxercices de pénitence , & de dévotion. 
xv Ce futà Paris, qu'on vit le premier eflai de fes talens ; &c 
Paroles de M. qu'on admira encore plus fa rare modeftie. “ Ambroife de 
Bailler. » Sienne, dit M. Baillet, ayant été reçü Bachelier, il fut em- 
» ployé à la Prédication felon l’Inftitut de fon Ordre: mais il 
, S'en difpenfa peu de rems après, perfuadé que le miniftére de 
, la Parole demandoit bien plus de Po , & de fonds 
» qu'il n’en avait encore aquis. C'e pourquoi fes Supérieurs 
» le chargérent d’enfeigner la Théologie dans leur Ecole : & 
» il s'en aquita pendant trois ans avec beaucoup de fuccës, 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 451 


Ils l'envoyérent enfuite à Cologne, pour y faire la même “ 
fonétion de Leéteur , quelque éfort que lui fit faire fa mo- “ 
deftie , pour ne point fe charger d'un Emploi, dont il fe * 
croyoit incapable. Outre fes Leçons publiques , les Supé- “ 
rieurs lui firent encore reprendre la prédication : & le fruit 
en fut fi grand , qu’il vint à bout de réprimer les héréfies , 
de réconcilier beaucoup de Familles , & de pacifier même 
les troubles publics d'Allemagne , par l’acommodement 

il fit entre les Princes &c les Peuples, qui étoient en di- 
rend ie 

Il y a dans ce récit plufieurs véritez, qui méritent d’être 
plus expliquées , & quelques faits qui ne s’acordent point 
avec le témoignage des Auteurs contemporains. Il eft vrai que 
les preuves que le Bienheureux Ambroife avoit données de 
{on génie & de fa capacité pendant fes Etudes dans l’Univer- 
{ité de Paris, le firent juger digne des Dégrez de Bachelier, 
&t de Doëûteur. Mais il eft expreflément marqué qu'il refufa fi 
conftanment toutes ces marques d'honneur (trop fouvent re- 
cherchées par ceux qui méritent le moins d'en être décorés) 
qu’il fut impoffible de vaincre fa modeftie : & il n’en fit guéres 
moins paroître , lorfqu’on lui ordonna d’anoncer aux Édéles 
les véritez du falut. 1] céda cependant à l’obéiffance : & fes 
premiers Difcours , toujours foutenus d’une piété éxemplai- 
re , lui aquirent d’abord une fi haute réputation , qu’on le vit 
également fuivi des Peuples , & aplaudi des Savans (1). Ces 
aplaudiffemens alarmérent l'humilité du faint Miniftre : & ce 

ui a coutume de foutenir dans les autres, ce qu'on apelle 

émulation , fit apréhender à cet homme modefte, que l'enne- 
mi ne lui tendit de nouveaux pièges , pour le précipiter dans 
l'orgueil. Pénétré de cette crainte religieufe , il demanda la 
permiflion de fe renfermer encore quelque tems dans le fécret 
de fa Cellule, pour y travailler à fe perfe&tionner lui-même 
par la priére & la méd 
montrer aux autres le chemin, qui conduit à la perfeétion. 


$ $ 3 3 


(1) Tam magna fuit beati hujus Viri | igirur tam juvenili ætate aim prædicare cæ- 


itation des Livres faints, avant que de 


do&rina cum facundia Sermonis , ur etiam 
proveétos Philofophos & Theologos in ad- 
mirationem duceret. Baccalaureatüs gradum 
accipere juffus maxima cum humilitate il- 
lum accipere recufavit. Poftquam per bien- 
nium in Theologiz ftudio fupra multos cox- 
tancos fuos Parifius orofeciflez , Prædicatio- 


ais officium re compul{us 


ft In hac | 


piller Populo, propter magnam fapientis 
ac ingenii mirabilis famam . ....tantus 
erat ad ipfum Doétorum concurfus, ut 
coaétus fit, à Patribus deponendi oneris li- 
centiam petere, quam maxima cum difh- 
cultate obtinere poruit , &c. In Actis Sant, 
#1 JPe M 24-25: 


LI ij 


LIVRE 
V. 


S. AMBROISE 


DE SIENNE. 
D sr 








XVII. 
Ilrefufe de pren- 
dre les Dégrez dans 
l'Univerfité de Pa- 
ris. 


XVIII. 
Ses premiéres 
Prédications. 


452 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE  Desfentimens fi dignes d’un Difciple de JESUS-CHRIST, ne 
V. pouvoient que faire efpérer de nouveaux fruits dans l’éxercice 
S. Amsroiss d'un miniftére, qui ne demande pas moins d'humilité , que de 
pe Sienne. charité, de zéle, & de doëtrine. Cependant les fages Supé- 
=" meurs ne voulurent ni contrifter un Sujet de ce caraëtére , par 
_— un entier refus , ni laiffer auf fes talens inutiles. On lui per- 
11 explique les Mit d'interrompre pour un tems le cours de fes Prédications ; 
faintes Ecritures. mais On le chargea d'expliquer les Saintes Ecritures aux jeu- 
nes Religieux. Ft la manière dont il remplit cet Emploi, fit 
connoître de plus en plus , quel étoit le tréfor de fience & de 
fainteté , qu'il s'éforçoit de cacher. Ce même efprit d’humi- 
lité Le porta à fuprimer quelques petits sp en » Qui étolent 
déja fortis de fa Plume : parce qu'il étoit perfuadé que ce fe- 
roit en luiune grande préfomtion , s’il ofoit publier Es Ecrits, 
tandis que l'illuftre Thomas d'Aquin en donnoit tous les jours 
de fi excélens. Ces deux grands Serviteurs de Dieu avoient 
étudié en même tems à Paris : & bientôt après envoyés l’un 
XX. & lautre à Cologne, ils y firent admirer la fupériorité de 
Pr au à à leurs talens, tant dans les Chaires , que dans les Bodies L’AI- 
lemagne devint le plus beau théâtre du zéle d'Ambroife dans 
un tems , où toutes les Provinces de l'Empire fe trouvoient 
dans la confufion, foit par l'ambition , ou les diférens inté- 
rêts des Princes, & l’indocilité des Peuples , foit par les cri- 
minelles pratiques des Hérétiques , qui répandoient par-tout 

leurs maximes féditieufes , ny at erreurs les plus abfurdes. 
XXI. _ Après la dépofition de l'Empereur Frédéric, dans le pre- 
Etat deTAlEma- mier Concile de Eyon, & particuliérement depuis la mort 

gne , depuis la dé- | ‘ À np 

poñition & la more de ce Prince , jufqu'à ce que Rodolfe d'Afpurg monta fur le 
de Frédéric II. Trône l’an 1273 , toute l'Allemagne fut agitée de mille trou- 
bles, de divifions , ou de révoltes ; & les difcordes me 
augmentoient encore celles des Familles particuliéres. Le 
vice n'étant plus retenu , ni réprimé par la juftice des Loix, 
u’on pouvoit méprifer impunément ; tous les Ordres, tous 
les Etats fembloient participer à la contagion: & par-tout on 
ne voyoit qu'une licence éfrenée , qui ne connoifloit point 
de bornes. Le Clergé ne donnôit pas de bons éxemples ; & il 
fe laifloit aveuglément entraîner aux mauvais. Les fcandales 
& les féditions fe multiplioient toujours parmi les Peuples, 
pendant que le Trône de l'Empire n’étoit ni vacant, nirem- 
pli, par le défaut d'unanimité dans les fufrages des Eleéteurs , 
dont les uns opofoient une Eleltion irréguliére à celle qui 


À 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 453 


avoit été faite peut-être aufli irréguliéremerit par les autres. 
De-là l'irréligion , limpiété , le libertinage , le mépris des cho- 
fes faintes, : profanations, & les facrilèges. Toute la vigi- 
lance des Pafteurs , leur zèle , & leur autorité étoient des foi- 
bles barriéres- pour en arêter le cours, ou pour rémédier à 
un mal qui paroifloit déformais fans reméde, 

À la vérité on n’épargnoit ni les menaces, ni les cenfures , 
pour infpirer de la terreur, & contenir les plus coupables : 
mais Ceux-ci moins intimidés qu'irrités par les menaces, por- 


térent toujours plus loin la liberté de tout dire, & de tout. 


faire. Et le mépris des Cenfures Ecléfiaftiques fut pouffé juf- 

ues à l'héréfie déclarée. Dès l’an 1248 on avoit commencé 

e prêcher hautement dans la Ville de Hall en Souabe , que le 
Pape étoit Hérérique , les Evêques Simoniaques , tous ls Eclé. 
ha , les Moines , ou les Religieux des féduéteurs, & 
les Prêtres privés par leurs Jess de toute autorité de lier, 
ou de déhlier. Ceux qui parloient ainfi, fe difoient les feuls 
amis de la vérité, les feuls en qui on trouvoit une foi pure ; 

& ils s’atribuoient le pouvoir d'abfoudre des péchez , & d’a- 
_corder de véritables indulgences. Albert, ancien Abé de: 
Stade en Saxe , fait une trifte peinture de ces maux > Qui afli- 
geoient alors l'Eglife & l'Empire : & il en parle comme té- 
moin oculaire. 

Par tout ce que nous venons de dire, on peut comprendre 
quels devoient être le courage , le zéle, l'intrépidité des Mi- 
niftres de JESUS-CHRIST , qui entreprenoient de combatre 
le vice & l'erreur dans des tems fi critiques , & parmi des Peu- 

les aufh éloignés de la vérité, que de la pureté de l'Evangile. 
n Bienheureux Ambroife de Sienne fut un de ces Hommes 
Apofñtoliques, qui mépriférent leur vie , pour s'opofer com- 
me un mur d'airain, & une colonne de fer , au torrent de l'i- 
niquité. Malgré les fâcheux préjugez, que les Catholiques. 


LIVRE. 
V. 


CR pee 
S. AMBROISE 
DE SIENNE. 





= 


. XXII. 
Nouvelle héréfie 
en Soüabe. | 


Fleuri , Hift. Ecl, 
Liv. LXXXI , 1. 3. 


_ XXNI. 
Fruits des Prédi- 


mêmes fembloient avoir empruntés de l’héréfie , la fainteté du Fo du B. Am- 


Serviteur de Dieu frapa les efprits : l'éclat de fes vertus , {& 


oife dans les 
Provinces. d’Alle- 


doftrine , fa prudence, & le don de fagefle , dont il étoit magnc. 


rempli, le firent écouter. Bientôt on le fuivit avec une efpéce 

d'empreflement : & fon nom devenu célébre dans tout le 

Pays , les. Grands ainfi que les Peuples eommencerent à le 

confidérer comme un Ange de paix, onu comme un homme 

extraordinaire , & un Ami de Dieu , que le Ciel leur envoyoit 

pour les apeller à la péaitence, Peu contens de L DEN aten- 
ii 





LIVRE 
V. 


S. AMBROISE 
DE SIENNE. 
à 

XXIV. 
Il eft çonfulté par 
les Princes , & pris 
ur Arbitre de 


curs diférends. 


XXV. 

11 combat l’héré- 
fie, & entre en dif- 
pure avec les Chefs 
des Hérétiques. 


XXVI. 
. Succès de çes 
Difputes. 


La 


#54 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


_tifs aux faintes véritez qu'il anonçoit dans les Chaires , les Prin- 


ces venojent quelquefois le chercher dans fa Cellule, tantôt 
pour le confulter fur les moyens de parvenir à une folide 
paix, & tantôt pour le charger de porter à leurs ennemis des 

aroles de réconciliation. Î en devint fouvent l'arbitre ; & 
ileut la confolation de la rétablir , cette défirable paix , dans 

lufieurs Familles depuis long-tems divifées. Il parcourut en- 
he les Villes & les Provinces d'Allemagne , prêchant par 
tout avec ce zéle apoftolique qui l’animoit ; & le Seigneur 
commença à honorer fon Miniftére par des miracles , qui 
{ervirent à réunir les Efprits, à faire refpeéter la Religion, 
& à arêter enfin ce déluge de maux, an lefquels on gé- 
mifloit depuis un fi grand nombre d’années (1). 

Mais le faint Miniftre trouva de bien plus grandes difi- 
cultez ; & il fe vit fouvent expofé à de plus grands périls de 
la part des hérétiques, dont il combatoit fortement les er- 
reurs , excité à cela moins par les priéres des Princes & les 
ordres du Souverain SE 34 ue par l'Efprit de Dieu qui 
le remplifloit en même-tems de zèle & de confiance. Les Chefs 
de la Seéte voulurent quelquefois entrer avec lui en difpute ; 
&c le Difciple de JESUS-CHRIST , animé d’une véritable cha- 
rité, ne refufa jamais de conférer avec eux dans un efprit 
de douceur , d'écouter avec patience tout ce qu'ils vouloient, 


ou ape pouvoient dire pour la défenfe de leurs dogmes, 
êc 


e répondre à toutes leurs dificultez. C'eft dans ces fa- 
vantes difputes , où le menfonge ne trouva jamais fon comte, 
qu'on eut fujet d'admirer en même-tems l'efprit, l'érudition , 
l'ardente charité d’un Saint, qui, tout ocupé à faire triom- 


| as la vérité , ne cherchoit pas à confondre ceux qui avoient 


e malheur de la combatre , mais à les convaincre , afin de 
les convertir. Quelques-uns fe rendirent de bonne foi à la 
lumiére de la Vérité qui s’ofroit à eux ; & par leur converfion 
ils édifiérent les Fidéles, que leur apoñftafie avoit fcandali- 
fés. On en vit aufñ , qui, plus obftinés dans le parti du 


(1) Obedientià majorum adftrius ad | à pluribus dam prædicaret vifus eft. Fre- 


eas acceflit Germaniæ partes, quas homines 
afperi , rudes , & indomiti inhabitabant : 
nunc in una , nuncinalia po Civi- 
tate , & præcipué ubi eranc bellicofiores ho. 
mines , & ad odia magis inflammati. For- 
mabat autem Sermones fecundum occurren- 
tem materiam , cooperante Spiritüs Sancti 
graiià , quiad aures cjusin Columbæ fpecie 


quentabant lrædicationes ejus Principes , 
qui eum Spiritu Sanéto replerum noverant. 
Compunéti autem, & ad pacem inclinati, 
ad cellam ipfius accedentes rogabant , ur ad 


componendam inter ipfos pacem mediator 


effet. Sicque brevi temporis fpario pax inter 
Germanos Principes & Populos formata 


cit , &cc, In.Ar, Sand. p, 187 , n. 17. 


» 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 34rç 


Schifme & de l'erreur, après avoir été humiliés dans la dif- 
pute , cherchoient à fe dédommager en + forte de leur 
| propre défaite , en continuant à dogmatifer dans leurs Con- 
venticules. Ils firent plus ; ils oférent paroître encore en 
Chaire, & déclamer indécenment & contre le faint Prédi- 
cateur , & contre les anciennes Véritez qu'il établifloit avec 
tant d'avantage. | : L 
Le petit Peuple, dans plus d’un endroit, parut quelque- 
tems entre le Prophète du Seigneur , & les Prophêtes 
de Baal. Tantôt il aplaudifloit à la faine doftrine que l'Horm- 
me de Dieu prêchoit dans toute fa pureté ; & tantôt 1l s’a- 
tachoit aux rs , qui, de leur côté , ajoutoient fou- 
vent les menaces aux injures , pour obliger notre Saint, 
ou à demeurer dans le filence , ou à fortir du Pays, & à leur 
céder le terrain. Ambroife ne fit ni l'un, ni l’autre. Malheur à 
moi, difoit-ilavec le grand Apütre, fije ne prêche l'Evangile, 
ou fi la crainte de la mort me fait lâchement abandonner la 
vérité. Comme il ne cherchoit que la gloire de Dieu ; & 
toute fa confiance étoit dans le fecours divin , il ne parut 
jamais ni ébloui par les louanges & les aplaudifflemens des 
uns , ni intimidé par les menaces des autres, ni éfrayé de tous 
leurs complots. Il continua avec la même intrépidité à com- 
batre les dogmes impies, à inftruire , & prémunir les Fidéles 
contre le poifon de F erreur, à reprendre, & à corriger ; & fa 
perfévérance fut abondanment récompenfée. Celui qui avoit 
mis fa divine parole dans la bouche de ce fidéle Miniftre , ré- 
_pandit tant de graces fur fes Difcours ; il donna à fes Inftruc- 
tions tant de force, & d'énergie, que l'erreur fut enfin con- 
nue, le menfonge dévoilé, & la vérité embraffée. Le Peuple 
heureufement réuni dans une même Profeflion de Foi, & ré- 
concilié à l'Eglife, fe foumit à la À ee pps , & chaffa les fé- 
duéteurs (1) , qui lui avoient infpiré , avec le venin de l’hé- 
réfie , la révolte contre l'autorité légitime de fes Princes , & 
de fes Pafteurs. C’eft avec juftice que l’on atribua aux travaux 


(1) Obtulit fe quotidie difputaturum cum | ejus opinio in Populis magis crefcebar & de- 
errorum Principibus etiam vulgari Sermo- | vorcio ; Fidemque dictis adhibere cœperuns 
ne ,ut omnes intelligerent . ...Quo au-|. ... de crratis fuis pœnitentiam agences , 
dito Populum ad tumultum concitarunt , ita | ad Catholicam Fidem, expulfis de Regio- 
quôd pars una mortem ei inferreconati funt, | nibus fuis Hærefiarchis illis, perfetè fune 
altera ad fui defenfionem infurgens ; quafi | converfi, &c. 1n Affis Sanéior, p. 187, 
miraculosè mortem evafit. Nec propter hoc | #. 19. | 


à Prædicatione ceffabat moi paratus .... 


LIVRE 
 V. 


$. AMBROISE 


DE SIENNE. 
 , 








XXVII. 
Hérériques chaf= 
fés de quelques Vile 
les d'Allemagne. 


456 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE du Bienheureux Ambroife de Sienne, à fes prédications, à 

Y. fes priéres , & à fes miracles, l'extirpation d’une nouvelle hé- 

S. Amsnorse féfie, qui dès fa naïflance avoit allarmé la Religion de quel- 

pe SIENNE. ques Souverains du Nord ; & dont les progrès donnoient déja 
= de mortelles inquiétudes aux Evêques d'Allemagne *. 

* vide A@&. sana.p. La Providence voulut encore fe fervir du miniftére de cet 

du homme apoftolique, pour procurer à toute la Chrétienté, & 

au Royaume de Hongrie en particulier , un autre avantage 

non moins confidérable , que celui qu'il venoit de rendre aux 

Provinces d'Allemagne. * avons fouvent parlé des rava- 

ges, des irruptions , & de la cruauté des T'artares , dont les 

cxvm Armées défoloient toutes les Contrées du Septentrion. Le Roi 

Les Tartares me. Béla IV , quelquefois vainqueur , & plus fouvent vaincu par 

nacent de nouveau Ces Barbares, avoit vû tout fon Royaume ébranlé, & à deux 

RAORBUE doits de fa ruine. En 1260 il étoit encore menacé d’une nou- 

velle invafion. Les Souverains Pontifes, Aléxandre IV , & 

Urbain IV , fon Succefleur , éfrayés des progrès continuels 

des Infidéles , ne fe contentérent point d'ordonner des jeûnes , 

des priéres publiques , & des proceflions , afin d’atirer le fe- 

cours du Ciel fur l'Eglife ; ils écrivirent à tous les Princes 

Chrétiens , aux Evêques, aux autres Prélats, & aux Com- 

munautez des Villes , de penfer férieufement aux moyens de 

réfifter aux formidables Armées des Tartares, dont les vaftes 

rojets , & les rapides conquêtes fembloient menacer tout le 

VAS Chrétien. Tandis que felon les défirs du Pape, les Ar- 

chevêques afflembloient leurs Conciles Provinciaux , pour 

— prendre les délibérations convenables dans des circonftances 

Le Saine proeure {1 facheufes , le Bierheureux Ambroife , à la rête de plufieurs 

de puiffans fecours autres Miniftres de la Parole, remplis comme lui de zéle pour 

an Roi de Elon- [a Religion, continuoit avec ferveur fes Prédications, exci- 

‘Armée des Tar_ toit les Peuples à la pénitence , réconcilioit les ennemis, & 

fares, leur faifoit prendre la Croix, pour marcher ayec confiance 

au fecours de leurs Freres les plus expofés à la fureur des Gen- 

tils. Sa Miffion n'étoit point reflerrée dans les bornes d’un 

Diocèfe : mais allant de Protiacé en Province , & faifant par 

tout refpeéter le divin miniftére par la fainteté de fa vie, il füt 

fi bien animer la piété des Fidéles, & exciter la valeur ou la 

énérofité des Prinçes Chrétiens, qu'il procura de puiflans 

nu au Roi de Hongrie (1). Les Tartares déja répandus 


Aono 1260. (1) Difpofuit infuper omnes , utex toto | fent , qui contra Infideles rerras Fidelium 
gorde unanimes Hungarix Repi auxilio ef- | accupantes expcditionem facere difponcebar. 


çomme 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 457 


comme un torrent dans ce Royaume , y furent batus, & re- 
pouflés avec perte. Selon jt Auteurs du treizième fié- 
cle, cinquante-deux mille de ces Infidéles furent pañlés au 
fil de l'épée (1). | 

La réputation du Bienheureux Ambroife , & le bruit de fes 
heureux fuccès , dans tout ce qu'il entreprenoit pour la gloire 
de Dieu, portérent fes Concitoyens à implorer Ê médiation, 
pour être délivrés des fleaux, fous lefquels ils gémifloient de- 
puis bien des années. Le feu de la divifion avoit allumé parmi 
eux une cruelle guerre : obligés de combatre au-dedans ke au- 
dehors, ils s’étoient encore expofés à toute l’indignation du 
Saint Siége, par leur opiniâtre atachement au parti des En- 
fans de Frédéric IL. Innocent IV , après d’inutiles avertifle- 
mens, les avoit frapés d’'Excommunication , & mis leur Ville 
en Interdit. Les Succeffeurs de ce Pape, difpofés à ufer de mi- 
féricorde envers les coupables en faveur à ceux qui ne l’é- 
toient pas, ou qui pouvoient l'être moins , avoient bien voulu 
écouter avec bonté leurs humbles fuplications, & recevoir 
leurs affurances de repentir. Mais les dhbarches imprudentes 
de quelques-uns venoient d’atirer fur tous de nouveaux ana- 
thèmes. Clément IV , en renouvellant les Cenfures Ecléfiaf- 
tiques contre les Habitans de Sienne , augmenta la défolation 
de la Ville, & jéta la derniére confternation parmi un grand 
Peuple , qui foufroit impatienment de fe voir toujours privé 
de l’ufage des Sacremens , & de tout éxercice public de Re- 
ligion. 

Cette privation n'étoit pas à la vérité un fujet de peine pour 
ceux qui l’avoient atirée ; c’eft-à-dire, pour les Politiques , les 
libertins , ou les plus féditieux : & par malheur , les gens de 
cette efpéce n’étoient pas en petit nombre dans la Ville de 
Sienne. Mais les BEN LP Fidéles, confondus avec les cou- 
pables dans la même peine , gémifloient amérement. À de fer- 
ventes priéres ils ajoutoient de rudes pénitences , ils faifoient 
rm sn aumÔnes ; enfin ils redoublérent leurs preffantes 
folicitations , & employérent celles de plufeurs Princes d'Ita- 
le , poureflayer de fléchir en leur faveur le Vicaire de JEsUSs- 
CHRIST. Mais voyant que tous leurs éforts étoient inutiles , 


(1) Anno fequenti irrumpentes in Hun- 
gariam Tartari, magna ftrage fufi, & ad 
dentes , ad veram reduxit pacem , & con- | quihquaginta duo millia cæfi func. Ibid. 
cordiam. In Adis p. 187, n.17, 2188, nos b, 


Zome L, | Mmm 


Quäm plures etiam particulares Perfonas , 
ac Familias in eifdem partibus inter fe difli- 





LIVRE 
V. 


S. AMBROISE 


DE SIENNE. 
dE À 


XXX. 
Les Habitans de 
Sienne divilés, &c 
frapés de Cenfures. 








Anno 1261: 


LiVReEe 





S. AMBROISE 


DE SIENNE. 
rs sn À 


XXXI. 
S'adreflent enfin 
au B. Ambroife , 
pour obtenir du S. 
Siége leur récon- 
ciliation. 


Nomb. 30. 
XXXII. 


Arivée du Saint à 
Sienne, 


458 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


ils penférent , quoiqu'un peu tard, qu'Ambroife de Sienne, 
dont le nom éroit déja fort célébre dans toute l'Eglife, ne re- 
fuferoit point de faire pour fa propre Patrie, ce qu'il faifoit 
avec un zéle fi perfévérant pour des Peuples étrangers. Ils 
avoient bien connu le cœur a Serviteur de Dieu. Ils député- 
rent donc vers lui deux Religieux du même Ordre , chargés 
de lui expofer leur trifte état, & de foliciter fa charité. Les 
Supérieurs voulurent bien ajouter le commandement à leurs 
rs priéres ; & l'obéiffant Religieux quita auffitôt l’Alle- 
Me » pour fe rendre-en Italie. | 
on arivée à Sienne raflura d’abord les Fidéles bien inten- 
tionnés , & leur fit efpérer des jours plus tranquiles , ou beau- 
coup moins orageux. Si la trifte peinture, qu’on s’emprefla de 
lui faire de tous les maux, dont fa Patrie étoit afligée depuis 
près de vingt ans, le toucha vivement, il parut encore bien 
plus fenfible à la perte fpirituelle de ceux , qui ne fentoient _ 
ce qu’ils devoient craindre de la juftice de Dieu, en méprifant 
ar une orgueilleufe opiniâtreté la voix de fes Miniftres, & 
paf de l'Eglife. Tous à la vérité le fuplioient d'aller in- 
ceffanment fe jéter aux piés du Pape , pour obtemr leur ré- 
conciliation & leur pardon : mais les vüës de tous n’étoient 
oint les mêmes. Ceux-là , fans chercher à excufer leurs 
us , demandoient avec humilité qu’on voulüt bien les 
oublier , & prométoient une foumiflion entiere aux ordres 
de Sa Sainteté. Ceux-ci au contraire, foutenoient mal le 
perfonage de Suplians ; ils vouloient, pour avoir la paix ,en 
prefcrire eux-mêmes les conditions, & emporter comme à 
titre de juftice ce qu'ils demandoient comme une grace. Le 
Difciple de JEsSUS-CHRIST , après avoir écouté les priéres 
des uns , & les plaintes ou les murmures des autres , il leur 
dit que malgré fon indignité , il ne refufoit point de fe pré- 
fenter devant le Saint Siège, pour faire l'ofice de médiateur 
entre des Enfans coupables & un Pere irrité. Mais , ajouta- 
til, en vain travaillerois-je à apaifer en votre faveur l’efprit 
du Souverain Pontife, fi vous n’apaifez vous-même le bi 
gneur , en vous remétant les injures mutuelles , & faifant cef- 
{er les haines , les querelles, Reout & vos eruelles di- 
vifons , fource funefte de tous les maux dont vous vous 


plaignez (1). 


. (1) Viftabatur jugiter à concivibus fuis ; 


mitatem exponunt, ipfum humiliter où 
de redicu fuo gratias referenres Urbis cala- Vis. 


cantes ut apud Pontificem pro Civibus 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 49 


Ceux qui étoient à la tête des afaires , donnérent l'éxem- 
ple. Les Magiftrats , les Sénateurs , les plus qualifiés, ou les 
plus riches entre les Citoyens , fous la médiation de l’'Hom- 
me de Dieu & en fa préfence, firent la paix qu'il défiroit. Ils 
le priérent enfuite d. aflembler lui-même le Peuple , & de le 
faire entrer dans les mêmes fentimens. Cela fut encore éxé- 
cuté : les Fidéles fe rendirent en foule à fes Difcours ; l’'E- 
glife ne fe trouvant pas affez vafte pour en contenir la multi- 
‘tude , il prêcha dans une Place 2 ; 8 cette nombreufé 
Aflemblée ne parut avoir qu'un cœur & qu’une ame, pour 
corriger ou nr solar , à la volonté du faint Prédicateur , tout 
ce qui pouvoit être un obftacle à la paix générale. Ayant fi 
heureufement difpofé les Efprits , 1l leur prefcrivit des priéres 
& de bonnes œuvres ; & dès-lors ne doutant plus du fuccès 
des l'entreprife , il alla fe préfenter avec confiance devant le 
Thrône du Souverain Pontife. L'Efprit de Dieu , qui le fai- 
{oit agir, changea tout-à-coup les coins où on avoit 
vû ae a le . Clément IV : Sa Sainteté prévint pref- 
que les demandes d'Ambroife ; tout ce qu'il vouloit obtenir 
en faveur de fes Concitoyens lui fut acordé , l'oubli ou le 

ardon de leurs fautes pañlées , l’abfolution des Cenfures , 
a levée de l’Interdit, & l’entier rétabliflement de tous les 
privilèges , que leur révolte contre le Saint Siège leur avoit 
fait perdre. 

Ce que notre Saint venoit de faire pour l'honneur & le re- 
pos de fa Patrie , il le fit encore pour plufeurs autres Villes 
d'Italie , qui fe trouvoient dans un cas aflez femblable. Nous 
avons les Lettres Apoñftoliques de Clément IV, qui le char- 
geoit de recevoir au nom de l’Eglife les foumiffions & les en- 
gagemens des Peuples qui rentroient dans le devoir. Sa Sain- 
teté lui donnoit en même-tems les pouvoirs néceffaires pour 
les abfoudre des Cenfures dont ils pouvoient être liés. 

Peu de tems après, le jeune Conrad , Petit-Fils de l’'Empe- 
reur Frédéric Il, étant entré avec une puiflante Armée en 


Italie, y fit d'abord de grands progrès , & foumit tout à fes 


interceflor effe dignaretur . .... humiliter | tificehoc impetrabo, aim tot Principes hoc 
aurem refpondens vir Sanétus, maximo di- | obtinere nequiverint ? Hoc non dico ut Ma- 
xit fe dolore affñici pro Civitatis fuæ calami- | jorum meorumobedientiam fubrerfugiam.… 
tate, & maxime ob Pontificis indignatio- | Sed unum vos monco, quod nifiodia, dif- 
nem ; propter quam interdiétum incurre- | fenfiones, & inimicitias , quæ inter vos 
Tant cum maximo animarum periculo. Et | vigent , depofueritis , quod optatis obtincre 


quomodo ego (inquit) Fraterculus à Pon. | nequaquam porericis , &c. Ibid. n. 31. 
Mmm ji 


LIVRE 
V. 


S. AMBROISE 


DE SIENNE. 
Ve re 04 








XXXIII. 
Il pacifie à Patrie: 


id. 0. 51, 


XXXIV. 
Et la réconcilie 
avec le S. Siège. 


XXXV. 
Il procure la mê. 
me grace à d'autres 
Peuples. 


Videin Bullar. Ord. 
T. 1, p. 481, &c. 


460 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE armes dans la Lombardie, dans la Tofcane & dans une partie 
V. de l'Etat Ecléfaftique. Rome même ouvrit fes portes à l’En- 
S. Amsroise Nemi,& le reçut avec de grandes démonftrations de joye,pen- 
DE SIENNE. dant que le Pape, retiré avec les Cardinaux à Viterbe, 
mm” oit contre ce jeune Prince les plus terribles Cenfures , où 
renouvelloit celles que fes Prédéceffeurs avoient tant de fois 
publiées contre PA et de la Maïfon de Souabe. Conra- 
din, à l'éxemple de fes Ancêtres, les méprifa ces Cenfures, 
trop flaté par la rapidité de fes fuccès ; mais bien-tôt après dans 
l'humiliation , il aprit à les craindre. Il vit toute fon armée tail- 
lée en piéces par CharlesI , Roi de Sicile. Pris lui-même & 
conduit à Naples, il fut jugé comme un Particulier coupable 
de léze-majefté , & condamné à perdre la tête fur un écha- 
faut. Tandis qu'on inftruifoit fon procès , le pauvre Prince 
XXXVE Mieux confeillé , penfa férieufement à fléchæ la colére de 
Heftenvoyévers Dieu : ileut recours aux priéres du Bienheureux Ambroife 
po Eu de Sienne , & voulut fe fervir de lui , pour obtenir du Vicaire 
de JEsus-CHRISF l’abfolution des Cenfures & fa réconcilia- 
tion à PEglife. Notre Saint fe chargea volontiers de la com- 
miffion ; FA il parla fi à propos en pe de cet illuftre Péni- 
tent , que le Pape touché lui répondit d'abord : 
“ Je ne veux point le facrifice , mais la miféricorde : ce n’eft 
» pas vous , Ambroife , qui avez dit tout ce que nous venon$ 
» d'entendre ; le Saint-Éf rit s’eft expliqué par vous ; il a par- 

» lé lui-même par votre rs (aŸ »e 
Le jeune Conrad n'eût pas été à plaindre , s’il avoit pü 
trouver les mêmes fentimens dans l’ame de fon Vainqueur, 
… dont la politique & la févérité en cette rencontre furent ex- 
HE, trêémement blämées du public & condamnées par le Pape, qui 
| ne put s'empêcher d’en témoigner fa furprife & fon: indigna- 
tion. Sa Sainteté marqua bien plus fortement l’une & l’autre 
M à la Ville de Sienne , dont les Habitans par de nouvelles en- 
re mie de nou. t'eprifes venoient de violer toutes.leurs promefles , &étoient 
veueninterdi.  retombés dans la difgrace du Saint Siège. Clément [V les fra- 





(r) Sanéti igitur viri Ambrofii ufus me- y autem dixit fe vertens : non ipfe locutus eft, 
dio ( Conradinus } pro abfolutione fua ad | fed Spiritus Patris Omnipotentis. Remanfir 
Pontificem Legatum mifit..... Pontifex | autem Pontifex , & qui cum eo erant , {ta- 
ex ardenti fervore , quem Deus in cor ejus | pens, ac fufpenfus ex dulcedine , quam: 
miferat ob Beati viri Bond compunctus | Deus in corde eorum , ex Ambrotii dulcedi- 
abfque alia cemporis interpoftione refpon- | ne infuderat. Sicque Conradinus ab omni 
dit: Ambrofi , tibi dico, quod mifericor- ; Cenfura, & Pontificis indignatione abfo- 
diam volo, & non facrificium. Adaftantes | lucus fuic, &cc. 17 Ackss Sandi. p.190 ,n.39 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 461 


a de nouveau de plus griéves Cenfures ; & Grégoire X fon 
rat ao , en confirmant cette foudroyante Sentence , dé- 
clara les Siennois relaps, & indignes de pardon. Cependant 
les longues calamitez , que ce Peuple remuant avoit déja 
éprouvées fous le premier Interdit , lui firent envifager avec 
frayeur les fyites encore plus funeftes du fecond. Il tenta 
toutes les voyes , & il n’omit rien pour en être relevé. Prié- 
res , larmes , promefles, vives folicitations de la part des Re- 


LIVRE 
V. 


S. AMBROISE 


DE SIENNE. 
RSR 





publiques , & des Villes qui s’intérefloient en faveur de celle : 


de Sienne ; tout fut employé , & tout fut inutile ; rien ne 
réüflit. La fermeté de REA X parut telle , qu’on défef- 
éra de pouvoir jamais l’ébranler. Les Siennois fentirent bien 
a néceflité de s'adreffer une feconde fois à celui, qu'ils re- 
gardoient avec raïfon comme leur Ange tutelaire. Mais, 
outre que le Bierheureux Ambroife fe trouvoit alors éloigné 
de fa Patrie , ils avoient à fe reprocher d’avoir manqué à 
tout ce qu'ils lui avoient promis ; c'eft-à dire, à tout ce qu'ils 
s’étoient engagés de faire, foit pour fe ménager les faveurs 
du Saint Siège, foit pour conferver entr'eux l'union & la paix, 
& prévenir ainfi les malheurs où leur feule préfomption les 
avoit précipités. Îls ne craignoient guéres moins la jufte in- 


XXXVIIL. 
On folicite inutie 
lement en fa fa- 
veur. 


dignation du Serviteur de Dieu , que celle du Pontife même : 


on fe réfolut cependant à faire vers lui une feconde députa- 
tion : elle réufht. 

Le faint Homme, dont la charité imitoit en quelque ma- 
niére celle de Dieu , qui ne fe lafle point de faire du biens 
aux Juftes & aux pécheurs , fe contenta de reprocher à fes 
compatriotes leur récidive , & le peu de fermeté qu'ils fai- 
foient paroître dans leurs bonnes réfolutions. Ayant pris en- 
fuite les nouvelles mefures , qu'il jugea néceflaires pour s’af- 
furer de leur repentir , 1l fe rendit à Viterbe , où étoit alors 
la Cour de Rome. Conduit auff-tôt à l'audience du Pape, il 
éxagéra d’abord le crime de fes Concitoyens ; mais par une 
charité pleine d’humilité & d’adreffle , en fe confondant avec 
les coupables , il toucha éficacement le cœur du Pontife ; 
tout ce qu'il pouvoit défirer & ce qu'il n’ofoit même deman- 
der , il 1 
Cardinaux & le Pape même. La grace , que Sa Sainteré ve- 
noit d’acorder à la be confidération de cet Ami de Dieu, 
fut bien-tôt après confirmée par un Bref , daté de Florence le 
treiziéme de j uillet 1273. 

Mm m iij 


obtint avec une facilité qui furprit également les: 


Fleuri, Liv. EXXxY& 
ñ, 14, 


XXXIX. 

Le B. Ambroife 
parle pour fes Con- 
citoyens,& obtient 
tout. 


LIVRE 
V. 


S. AMBROISE 
DE SIENNE. 
Re sr ne 
XL. 

*# La Ville de Sicn- 


nc en fait une Fête 
annuclle. 


462 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


* Les Habitans de Sienne , fenfibles à cette faveur , ne fe 
contentérent pas d'en rendre à Dieu de folemnelles a@tions 
de graces ; ils voulurent que le jour auquel notre Saint éroit 
rentré dans la Ville avec les Lettres FE pat réconciliation , 
fut à jamais confacré à la priére , aux œuvres de miféricor- 
de , & à des réjouiffances publiques. Du vivant d'Ambroife , 
& après fa mort, ilsen renouvelérent tous les ans la mémoi- 
re par une Proceflion générale & un Service folemnel. Cette 
Fête fe célébre encore de nos jours , peut-être avec plus d’é- 
dification , quoiqu'avec moins de pompe & de dépenfe qu’on 
ne le fit d'abord, les Evêques de a en ayant fagement 
retranché diférentes Repréfentations , qui pouvoient paroi- 
tre plus propres à décorer un triomphe profane (1) , qu’à 
relever la PE M d'une fête de Religion. 

Sienne déformais tranquille , après les plus violentes agita- 
tions , goutoit toutes les douceurs de la paix : & celui qui la 
lui avoit procurée foupiroit inutilement après le repos de la 


(r) A Julio in hunc modum defcribitur : 
Erigcbatur in foro theatrum ingens oper- 
tum defuper , ac veluti cameratum fupra 
columnas plures, co artificio & ornatu, qui 
aptus effet Pontifcii Conclavis repræfentare 
Maijeftacem. Perfonatus ifthinc Pontifex re- 
fidebat in Throno , ftipatus Cardinalibus , 
& magna multitudine Prælatorum ; ac puc- 
rulis variis Angelico fchematc ornatis. Ex- 
tra Conclave cernebantur Regum ac Prin- 
cipum oratores cum Satellitii Pontificii Co- 
horte, & gratà varietate, atque fplendore 
veftium Erant etiam in medio foro 
Cavernæ obfcuræ in formam fpeluncarum 
ex faxis, truncifque informibus adumbra- 
tarum , in quibus Draconum atque Serpen- 
tium formas induti latitabant Dæmones 
theatrales , donec ex eminentiori aliquo lo- 
co per radium ferreum defcenderet Columba 
ne ore portans , eumque affigeret flori- 

o globo . ... qui continuo conceptis flam- 
mis, magno cum boatu fpargebat fulmi- 
na ; ad quz , adaperta fubito fcena cunétum 
exhibebat apparatum , in eoque Angelum 
cleganti carmine defcribentem totius re- 
præfentationis argumentum, quod aliud 
non erat quam defignare Ambrofium cum 
Legationis collegà ad fuæ Sandtitatis pedes 
advolutum, pacemque Patriæ orantem, & 
exorantem , €à sn ee efficacià & ve- 
nuftate , quam Poëticæ inventionis licentia 
Maximam poreft cogitare. 

Eë re fic pera@ä , ab Angelis laudes Dci- 


paræ Virginis cancbantur , quas excipiebant 
mufica Inftrumenta, aliique Angeli Popu- 
lum invitantes ad reddendas fuæ Patronx 
gratias ; fuadebantque ut beneficii memo- 
res , Deo & Ecclefix deinceps viverent obe- 
dientes. Primis dcinde fuccedebant alii, ip- 
fius etiam Ambrofii laudes concinnè modu. 
lantes. Poft quæ Angelici chori defcenden- 
tes à Theatro, currum fcandebant trium- 

halem ; qui dum re Vi per ipfum 
Fr , fubito dimiffus ab alto per fparteum 
funem Angelus adftare videbatur pernici vo- 
latu fupra Cavernam Dæmonum; & illa ad 
ejus in pugnam provocantis VOcem , magno 
cum fremitu atque boatu difilicbat in par- 
tes , ardens , fumanfque, prorumpentibus 
in apertum aërem , qux latebant, Mon- 
ftris. Tunc autem ore ac. naribus flammas 
vomentibus perreptebant aream , feque ipfa 
extimulabant contra profilientes in fe ad- 
verfarios ; qui albis impofiti equis, armif- 
que inftruétiflimi, gladiis, lanceifque fter- 
nebant, fugzbantque deformia illa Speétra. 
Itaque repræfentabant Civium animas, Di- 
vino auxilio erutas à Poreftate tenebrarum, 
fub qua tanto gemucrant tempore. Ac de- 
mum gratulabundus Anpelus concludebat : 
drama, jucundum oculis , auribufque , & 
ingeniofum Poëma recitando : cui cum {uc- 
cincre cœpiflent mufñca Inftrumenta , toto 
mox foro circumitrepentia, videri poterant 
illud in Paradilum commutare, ho Actis 
Sant. p. 147,7. 41-42, 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 463 


folitude. Grégoire X, déja inftruit par lui-même de tout ce 

ue la voix publique avoit pû lui aprendre de la fainteté du 
be de Dieu, de fa fagefle , & de la fupériorité de fes 
talens , voulut les mètre à profit pour le bien de l'Eglife. Di- 
férens Peuples le demandoient en même tems pour Pafteur ; 
& le Pape ne voulait lui laiffer d'autre liberté que celle du 
choix entre plufieurs dignitez , qui lui étoient ofertes. Mais 
Ambroife, qui avoit toujours fui les fupérioritez dans le Cloi- 
tre, refufa avec la même fermeté les Evêchez ; & celui de 
Sienne , où 1] venoit d'être élu canoniquement , ne le tenta 
pas davantage. Il ne put cependant fe refufer à l'emploi oné- 
reux de plufeurs négociations, dont le Saint Siége jugea à 
propos de le charger, foit pour pacifier les troubles d'Italie, 
& réunir les Villes aufli divifées que jamais depuis les dernié- 
res guerres , foit pour exciter les Rois, & les autres Princes 
de l'Europe , à joindre leurs forces, pour s’opofer enfemble 
aux armes des Infidéles (1). Il ne s’agifloit pas feulement du 
repos, de la fortune , ou de la liberté des Peuples Chrétiens : 
il s’agifloit encore plus de leur Religion, de l'honneur de l’E- 
glife , & de la gloire de Dieu. De fi grands objets étoient di- 

nes du zéle du Difciple de JEsUS-CHRIST : il en fuivit toute 
É vivacité. Et quoique obligé de paroître fouvent dans les 
Cours, & de converfer prefque continuellement avec les 

ens du fiécle , on ne le vit jamais ni moins recueilli , ni moins 
Fdéle obfervateur de toutes les pratiques réguliéres, que s’il 
ne fe füt ocupé que de cet unique objet dans le repos de la fo- 
litude. Toujours égal, toujours femblable à lui-même , route 


LIVRE 
V. 


S. AMBROISE 


DE SIENNE. 
D 


XLI. 

Le Saint refufe 
plufieurs Evêchez , 
en particulier celui 
de Sicane. 





Fleuri, ut fp. 


XLIL, 
Il eft chargé de 
diferentes Léga- 
tions. 


XLIII. 
Avec quelle fain- 


fa conduite étoit fi édifiante , qu'on fe trouvoit fouvent difpofé rer & quel fuccès 
à acorder aux mérites d’un fi faint Miniftre, ce qu’on auroit illesremplir. 


d’ailleurs refufé à l'autorité du caraétére , dont fes Maîtres 
l’avoient revêtu. 

Il fembloit (continue M. Baillet , dont nous venons de ra- 
porter les paroles ) il fembloit que fes Légations ne fuffent que 
des Miffions Evangéliques ; & qu'il füt bien plutôt envoyé 


(19 Hisitaque peraétis fummus Pontifex } pro Chriftiana Religione opus quodcum- 
fanétum virum Ambrofium ad fe vocatum, | que fuftinere. Rogavit itaque Pontifex Bea- 
ad Europæ partes Legatum mittere ftatuir. | tum Ambrofium , ut ad Europæ partes, ad 
Hunc primum ad Epifcopalem dignitatem | fufcitandos contra Infideles, Chriftianos 
promovere difpofuit , ad majora poftmo- | Principes, fe confcrret : quam quidem obe- 
dum promorurus. Quæ omnia vir Dei ma-! dientiam hilari vultu fufcepit, &cc. In Aéis 
gna cum humilitate recufavit. Obtulit ta- | Sand. p. 189, n. 34. 
men fe pro Ecclcfiæ fanttæ beneñcio, & 


464 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE deJEsus-CaRisT | se anoncer fa parole, que délégué des 
V. Papes pour traiter des afaires extérieures de l'Eglife. Ce n'é- 
$. Amsroise tOit point en éfet par les reflorts cachés de la politique, ou de 


DE SiENNE. la prudence humaine , mais par la force d’une éloquence toute 


=" divine, que le Bienheureux Ambroife , Légat & Miflionaire 
en même tems , perfuadoit les efprits , gagnoit les cœurs, & 
les faifoit entrer dans tous les fentimens £ juftice , ou de paix, 
u'il vouloit leur infpirer. Tels furent les moyens, dont il fe 
nu avec fuccès, pour rétablir la concorde & l'union entre 
les Peuples les plus animés à la vengeance, ou les plus afer- 
mis dans la révolte. C’eft dans cet efprit qu'il prêcha la Croi- 
fade en France, fous le Régne de Philippe I. Les miracles 
donnoient un nouveau poids à fes paroles : & les fréquentes 
converfions , fruit ordinaire de fes travaux apoñtoliques , ré- 
andant toujours plus loin fa réputation , 1 métoit tout à pro- 
t, pour rendre fon miniftére utile aux domeftiques de la Foi. 
Les Auteurs contemporains aflurent que les Hidéles ) à qui 
notre faint Prédicateur fit prendre la Croix, & les armes, 
wo marcher au fecours des Chrétiens oprimés dans la Pa- 
eftine , fe trouvérent en plus grand nombre, que ceux qui 
avoient voulu autrefois Ba. l'Empereur Frédéric , dans 
une femblable Expédition. | | 
XLIV. De retour à Rome, Ambroife de Sienne fit fuccéder à tou- 
Uréablità Rome tes les ocupations’, dont nous venons de parler, un autre tra- 
l'Etude de TRS ui] auquel il fut engagé par l’ordre exprès du Souverain 
logie par ordre du vas L ngage p ri P : | 
Pape, Pontife. Le malheur des derniéres guerres , & l’abfence des 
Papes avoient été l’ocafion de la décadence des Etudes, dans 
la Le du Monde Chrétien. Depuis quelque tems les Sien- 
ces n'y étoient pas feulement négligées ; elles étoient comme 
méprifées , ou entiérement abandonnées ; tandis que l'intri- 
gue , la cupidité, la politique, un efprit de chicane ou de 
arti , fembloient uniquement ocuper ceux qui auroient dû 
cultiver , ou en infpirer l'amour par des récompenfes 


Zbid, n. 37. 


propres äexciter l’'émulation. Nous avons Fr ailleurs 


ue le célébre Humbert de Romans avoit mis ce défaut, ou 
plutot ce défordre , au nombre de ceux qu'il croyoit méri- 
ter l'atention partieuliére de Sa Sainteté, & celle du Con- 
cile Général, pour lequel il écrivoit. Grégoire X ne négligea 
oint cet avertiflement ; & notre Saint fut chargé de rétablir à 
ome l'Etude de laThéologie. Il le fit avec l'aplication , &tout 
le fuccès qu'on devoit fe prométre de fa doétrine , & du zele 


qui 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 46; 
qui l’animoit pour tout ce qui avoit trait à la Religion (1). 

L'ancien Htécdée a raporté cette époque au Pontificat 
d’Innocent IV ; mais il ne paroîït pas qu'Ambroife de Sienne 
ait pù profefler à Rome, que fous un des Succeffeurs de ce 
Pape. Ét la fuite de l'Hiftoire nous oblige, ou nous e 
du moins, d’en parler ici. Avant le départ d'Innocent IV pour 
la France , notre Saint étoit encore au rang des Difciples , d’a- 
bord en Italie , enfuite à Paris. Et lorfqu'après la mort de Fré- 
déric IT, le Saint Pere revint à paie De 1251, le Serviteur 
de Dieu enfeignoit à Cologne , où il rempliffoit les Fonétions 
apoñtoliques les Provinces d'Allemagne. 

Pendant les trois années qu'il fit des Leçons publiques de 
Théologie à Rome , 1l ne fépara point le miniftére de la Parole 
de fes autres ocupations. Le tems furtout des vacances defti- 
né à donner quelque honnête délaffement à l'efprit , il le con- 
facroit à ce faint exercice. Les Cardinaux, & les autres Pré- 
lats fe trouvoient toujours en grand nombre à fes Difcours ; 

uoique , felon la remarque des Auteurs , 1l déclamât avec 
orce, & avec une liberté évangélique , contre la conduite 
peu régulière de ceux,qui, pour des intérêts particuliers, laif- 
{oient long-tems vaquer le Saint Siège , fans craindre l’ofenfe 
de Dieu , le fcandale des Fidéles, & les grands dommages, 
qui en reviennent toujours à la République Chrétienne (2). 

Cette circonftance nous autorife encore à métre ceci fous 
le Pontificat de Grégoire X , & à croire que le zéle du Prédi- 
cateur étoit particuliérement excité par celui de ce Pape; foit 
à caufe des longues divifions , qu’on avoit yü régner dans le 
dermer Conclave ; foit en vüë des contradiétions , qu’on ne 
cefloit de faire à la Bulle, que Sa Sainteté venoit de publier 
afin de corriger cet abus. Il parut que le Ciel avoit béni les 
droites intentions du Vicaire de JESUS-CHRIST , & de fon 
fidèle Miniftre : l’Eleétion de Grégoire X avoit été diférée de 
plus de trente-trois mois; & celle de fon Succeffeur fe fit le 


LIVRE 
V. 


S. AMBROISE 


DE SIENNE. 
Roms es, 





XLV. 

Il prêche en mé- 
me-tems : Sujct 
particulier de fes 
Prédications. 


(1) Quia jam Theologorum Scholz in 
Italia, & præcipuë in Urbe Roma, ob pro- 
ximas belli perturbationes defeciflent , cu- 
piens diêtus Pontifex Theologiz ftudium 
in melius reformare , juffir Beatum virum in 
Urbe commorari , ur Theologiam legeret , 
&c. P. 189, n. 38. 

(2) Per triennium itaque Thcologiam 
Romæ legit; & vacationum tempore, Po- 
pulo cum magno Prælatorum & Cardina- 


Tome JT, 


lium concutfu gratios prædicavit. Repre- 
hendebat maximè Prælatorum, & Princi- 
pum Chriftianorum difcordias ; & præcipuè 
in fummorum Pontificum creatione , prop- 
ter quas Apoftolicam Sedem haud parvo 
tempore vacare contingebat , cum maximä 
Dei offensä, & gravi detrimento Ecclefæ 
fanétæ Dei, & cotius Reipublicæ Chriftiae 
næ, &c. In Adis nt fp, 


Nnn 


466 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE même jour que les Cardinaux ouvrirent le Scrutin ; c'eft-à- 
V. dire, le onziéme jour après la mort du Saint Pontife. 

S. Amsroiss Après tant de pénibles ocupations , de voyages, & de tra- 

ne Sienne. Vaux apoñftoliques, Ambroife de Sienne , pour ne plus pen- 

ae fer qu'à l'afaire de fon falut, demanda à fes Supérieurs la per- 

XLVI. miflion de vivre déformais dans lefilence , & la retraite. et 
Reuaite du Saint. grace lui ayant été acordée, on vit cet homme depuis long- 

tems célébre par fes talens , & fes belles a@ions , tout ocupé 
aux plus bas ofices du Cloitre, plus modefte, plus humble, 
plus foumis que le dernier Religieux de la Maifon ; fe faifant 
un devoir de les prévenir tous , & prenant pour fon partage 
ce qu'il y avoit dans leur Emploi de dificile, ou d’humiliant. 
Jamais Novice ne fit paroître ni plus de candeur & de fimpli- 
cité dans fa converfation , ni une plus grande promtitude à 
éxécuter toutes les volontez d’un Supérieur. Les douceurs de 
la contemplation ne détournoient jarnais du travail cet Ami de 
Dieu, dès qu'il pouvoit être de quelque utilité à fes Freres : & 
les ocupations extérieures ne diminuoient rien de fon profond 
recueillement. C’étoit furtout durant le filence de la nuit qu'il 
portoit plus loin la ferveur de fes oraifons. La méditation des 
véritez éternelles lui fervoit de préparation à la pfalmodie : & 
il continuoit feul la priére après l'Ofice qu’il venoit de chanter 
avec la Communauté. Dans ces faintes pratiques, le Bien- 
heureux Ambroife trouvoit l’acroiflement de la charité, la 
paix de fon ame, & ces confolations intérieures, qu'on ne 
comprend jamais bien, fi l'expérience ne les fait fentir. Il fe 
propofoit, ou du moins il déroit avec ardeur , de pañler de 
même le refte de fes jours , uniquement apliqué à méditer læ 
Loi du Seigneur , à pleurer les péchez des Peuples, & à ex- 
pier, re une pénitence aufli longue que fa vie, les fautes 
dont il fe croyoit coupable. 

XLVII. Mais la Providence vouloit fe fervir encore de fon minif- 
Vi meent tére, pour le falut , & la confolation de plufieurs. Les befoins 
Soliude, & le fai de l'Eglife obligèrent le Pape Innocent V à le faire {ortir de fa 
fon Légar en Tof- retraite, pour travailler à la paix entre les Républiques de Ve- 

| nife & de Genes , & à la réconciliation des Florentins avec les 

Pifans. Ambroife ne fe refufa point à ce nouveau travail (x). 





(1) Tempore Innocentii V....vir Dei | eft, uteos cum Pifanis pacificaret » & poft 
Ambrofius , cum apud Pontificem in magno | Pifas fe conferret. A Florentinis magno: 
cflet pretio ob vitæ fanctitatem , & clarita- | cum honore fufceptus eft & devotione , eo 
tem doëtrinæ, Legatusad Florentinos miflus | maximé quia interdiéti relaxationem , à 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 467 


La charité lui donna des forces , & le zéle le fit voler dans 
tous les lieux , où le feu de la guerre étoit le plus allumé. Déja 
le Roi de Sicile avoit envoyé pour le même fujet fes Ambaffa- 
deurs à Florence ; & notre Saint fut reçû dans cette grande 
Ville, parmi les aclamations du Peuple , & les bénédiétions 
que lui donnoient les Fidéles ; dans lefpérance où ils étoient, 

ue par fon crédit , il leur obtiendroit du nouveau Pape, l’ab- 
XP 5 des Cenfures, dont fon Prédéceffeur avoit juftement 

uni leurs cruelles divifions. Le Légat répondit à l'atente des 
F lorentins , & à l'empreffement de leurs défirs. D'abord , pour 
ménager les efprits, & les faire entrer plus facilement dans 
les vüés pacifiques du Vicaire de JEsus-CHRIsST, il leva l'In- 
terdit général, jété depuis long-tems fur la Ville de Florence. 
Et les Prédications, qui fuivirent cette premiére démarche 
vers la paix , en procurérent heureufement la conclufion. Au 
{ortir de Florence, Ambroife fe rendit à Pife: &fanégociation 
fut encore fi heureufe , qu’il fit entiérement ceffer cette guerre 
fanglante , que les deux Peuples fe faifoient avec une égale 
M Len À Traité de paix fut figné: & on mit en liberté 
tous les Prifonniers de part & d'autre, qui gémifloient dans 
les fers. : 

Ce n'eft pas que le pieux Légat ne trouvât quelquefois de 
puiffans obftacles à fes defleins , & de Sr dificultez à 
vaincre. ÀÂu moment que tout paroifloit difpofé à la conclu- 
fion d’une folide paix , également avantageufe aux uns & aux 
autres , & néceflaire à tous ; le démon de la difcorde fufcitoit 
ma uefois des hommes féditieux, qui, _ de faux bruits 
ju pe répandus parmi le Peuple , s’'éforçoient de le pré- 
cipiter dans de nouveaux troubles , en lui rendant fufpeétes 
les intentions du Souverain Pontife , & celles du Miniftre 
de JEsus-CHRIST. La fagefle du Bienheureux Ambroife , fon 
zêle , & fa fermeté difipérent toujours les noirs complots de 


ces ennemis de la paix. Îl avoit déja pacifié toute la Tofcane: 


& on ne doutoit pas qu'il ne vint bientôt à bout de réconcilier 
de même les Génois avec les Véniriens , lorfque par la mort 
trop précipitée du Pape Innocent V , ilfe trouva hors d'état 


Gregorio X in eadem Civitate pofiti , fuis | fuafñioneque & exhortatione fuä quorquotex 
precibus obrinere fperabatur. Et ut dictos | utraque parte detenti erant , liberi dimiffi 
Populos ad Pontificis voluntatem facilius | funt; ficque brevi cemporis fpatio pax inter 
inclinare poflet , interdiéti præfati relaxa- | utrumque Populum ipfo mediante eft firma- 
tionem à præfato Pontifice obtinuit. Quo |ta, &c. Ibid, p. 190, n. 40. 

fa@o , prædicare in diéta Civitate cœpit ; _ 
Nnni 


LIVRE 
V. 


S. AMBROISE 


DE SIENNE. 
Mn or A 








XLVIIT. 

Il léve l'Interdit 
jété depuis trois 
ans fur A Ville de 
Florence , & fait 
cefler une gucrre 
opiniâtre. 


XLIX. 
Obflacies qu'à 
furmonte. 


Ibid. n 40e. 


LIVRE 
V. 


S. AMBROISE 
DE SIENNE. 








L,. 
Infulté par un 
Scélérar, 


LI. 
Il le confond , & 
Île convertit par fa 
douceur. 


P10Y. 2V; Je 


468 HISTOIRE DES HOMMES IELLUSTRES 


de mener ce grand ms à à fa perfeétion. Cependant , er 
travaillant fans aucun relâche pour procurer aux autres le re- 
pos & la tranquilité , le Serviteur de Dieu fe vit fouvent ex- 
pofé lui-même à bien des épreuves, qui furent pour lui autant 
d'ocafions de faire paroître tout ce que la Grace avoit mis 
dans fon cœur , de courage & d’humilité. 

Un de ces hommes, que l'Écriture apelle des Enfans de 
Belial, nés pour le malheur de la fociéte , toujours amis de 
la divifion , & du trouble , & auffi incapables de fe contenir 
dans les bornes de la modération , que à laiffer vivre les au- 
tres dans quelque repos : un homme de ce caraftére entreprit 
un jour de décharger toute fa bile fur le Difciple de JEsus- 
CHRIST. Il eut l'audace de l’apeller un efclave de l’orgueil, 
un ambitieux, & un féduéteur du Peuple crédule. Il pouffa 
plus loin fon emportement ; & à des paroles déja fi ofençantes 
il ne craignit point d'ajouter les menaces. Vos crimes n’ont 
déja que trop mérité une mort honteufe , (lui dit ce féditieux 
dans l'excès de fa colére) , & moi-même je vous enfonceraile 
poignard dans le fein , fi vous n’abandonnez inceffanment 
tous ces vains projets de réconciliation (1) ; puifque ce n’eft 
que les armes la main que les Villes libres peuvent foutenir 
leurs intérêts , & leur gloire. Celui qui hazardoit ainfi des pa- 
roles fi peu mefurées,ne fe poffédoit guéres ; mais le Serviteur 
de Dieu ne perdit rien de fa tranquilité ; il n’opofa que la e 
tience aux injures, & une fermeté héroique à la terreur des 
menaces. Notre Dieu, répondit modeftement Ambroife , eft 
un Dieu de paix; & il a envoyé fon Fils fur la Terre pour 
nous en faire joüir. Il n’eft donc point de Fidéle, 1l n'eft point 
de Difciple de JESUS-CHRIST , qui ne doive la défirer, cette 
paix ; ni qui puifle jamais fe la procurer, qu’en pardonnant 
a {on frere les injures qu'il en a reçüës. C'eft uniquement ce 
que je prêche ; & je voudrois le perfuader à tous les hom- 
mes. Si j'ai péché en cela, je ne refufe point de recevoir de 
votre main la peine que j'ai méritée. C’eft de tout mon cœur 
que je vous pardonne tout ce que vous venez de me dire : je 
vous pardonnerois de même ma mort, & je prie le Seigneur 
de ne point vous juger dans fa colére. | 

Selon l’oracle du Saint-Efprit , une réponfe douce, pai- 


tor Populi Chriftianies, omni ambitione , | ab inçeptis defiftas,&c. In Actisp.191,n. 43. 


(1) Tu falfus homo , feduétor', & decep- | gnus es, quod ego tibi daturus fum , nift 
& inaniglorià plenus ; tu omni fupplicio di- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 469 


fible & fage , arête les emportemens de la plus brutale paf- 
fion. Le Bienheureux Ambroife de Sienne , en avoit fait plus 
d’une fois l'heureufe expérience ; & il en eut une nouvelle 
preuve dans le changement qui fe fit tout-à-coup dans l'ef- 
rit & dans le cœur d’un homme , qu’on venoit de voir fi 
irrité & fi menaçant. Après avoir vomi contre le Saint tout 
ce que la fureur eft capable a ri , une parole de dou- 
ceur & d'humilité le confond : la Grace dans ce moment com- 
mence fa converfion & avance fon ouvrage. Humblement 
profterné aux piés du Miniftre de JEsUS-CHRIST , il le con- 
ure avec larmes d'oublier , ou de pardonner au moins fa fo- 
ie , & de vouloir bien être lui-même fon intercefleur , pour 
le réconcilier avec Dieu & avec fes ennemis. Sort repentir 
étoit fincére ; & fa vie déformais fut édifiante. Autant qu'il 
s'étoit plù autrefois à femer ou à entretenir la difcorde , & à 
faire échouer tous les projets de réconciliation , autant il 
montra toujours depuis d'amour pour la paix & de zéle à la 
procurer (1). | | | 
On raporte plufieurs éxemples de femblables converfions , 
que Dieu par fa miféricorde acorda aux ferventes priéres , ou 
aux touchantes exhortations du Bienheureux Ambroife. La 
ville de Sienne, où on peut dire qu'il ne ceffa de travailler au 
falut des Fidéles & à leur confolation , qu’en ceflant de vi- 
vre , admira fouvent ces heureux changemens , que fes 
difcours & l’éxemple de fes vertus opéroient dans les ames. 
Quelque févére que fût fa pénitence , dont il ne voulut ja- 
mais modérer la rigueur , ni fous le poids des années , ni dans 
un état d'infirmité , il n’avoit pour le prochain que des fen- 
timens de tendrefle , de douceur ou de charité : & cette ten- 
dre compafñon le rendoit fi maître des cœurs, que les plus 
endurcis aimoient à lui obéir dans tout ce qu’il leur prefcri- 
voit. On ne pouvoit, ce femble , fe défendre de quiter le 
vice , d'aimer & de pratiquer la vertu , dès qu'on avoit le 
bonheur de jouir de la converfation d’Ambroife. 
Cette haute réputation de fainteté, qui répandoit par tout 


(1) Vir autemille, qui naturà crudelis | Ignofce mihi, Serve Dei, & ora pro me, 
erat, & ferox , nullum penitus in fe Dei ti-| ut veram mihi pacem concedat : Égo quo- 
morem habens , fed ira plenus , & vindicta , de tecum ad pacern promptus ero .... fa- 
nec pacis cupidus , fed difcordiarum ama- | étus eft poftmodum vir timens Deum , vità 
tor, quamvis contra Servum Dei fic inflam- | oprimus , & devotus Chriftianus , &c. In 
matus effet , nihilominus ut verba viri Dei | Aifis Sand, n. 44. 
audivit., ftacun in cerra proftratus, dixit : 


Nan it 


LIVRE 
V. 


S. AMBROISE 


DE SIENNE. 
D 





LIT. 

Grace particuliés 
re atachée aux en- 
tretiens de l'Hom- 
me de Dieu, pour 
la converfon des 


pécheurs. 


470 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE la bonne odeur de JESUS - CHRIST , lui avoit aquis une telle 
V. autorité dans plufieurs Provinces d'Italie, & un fi grand em- 

S. Amsrorse Pire fur les efprits, qu'il pouvoit en quelque maniére s’aflu- 
De SiENNE. rer du fuccès dans tout ce que la lumiére de Dieu lui faifoit 
=” entreprendre pour fa gloire. De-là, ce renouvellement pref- 





que général de piété & de Religion , qu’on eut le plaifir de. 


voir fuccéder à de longues diflenfions & à de plus grands 

LIT. fcandales. De-là ce nombre de Monaftéres d 
Pieux Etabliffe- : > qui régardent 
à le B. Ambroife comme leur illuftre Fondateur. De-là en- 
vide A@. sna, COre ces diférentes Congrégations de perfonnes de l’un & 
pars: &r. de l'autre fexe , deftinées ou à chanter à certaines heures les 
louanges du Seigneur , ou à procurer toutes fortes de foula- 
gemens à ceux qui font dans le befoin. Pendant que les uns, 
ar de louables pratiques de pénitence, tâchent d’apaifer la 
colére de Dieu & d'expier leurs propres péchez ; les autres, 
portant plus loin leur charité , s'employent avec un zéle 
édifiant à réconcilier les ennemis , à terminer les procès, les 
diférends, les querelles , & à rétablir la paix dans les familles 
divifées. Céux-ci ne paroiffent dans les Prifons ou dans les 
Hôpitaux , que pour y fervir, confoler , foulager les ma- 
lades & les afligés ; & ceux-là veillent avec la même aten- 

tion à-la défenfe des pauvres , des veuves & des orphelins. 
Ambroife de Sienne ne fit d’abord la plüpart de ces Eta- 
bliflemens que dans fa Patrie. Mais les grands avantages 
. retiroit le public , portérent dans la fuite les Evêques 


droits. La ferveur de tant de Fidéles , qui, faintement ‘unis 
par les feuls liens de la charité , fe portoient comme à l'en- 
vi à toutes les œuvres de miféricorde , ne pouvoit être pour. 
notre Saint qu’un grand fujet de confolation. Mais 1l fe 
trouvoit encore , même parmi fes Compatriotes , bien des 
défordres , des fcandales ou des injuftices à corriger. Le zéle 
dont il brüloit , ne put lui permétre de les difimuler ; & en 
les combatant , il devint enfin la viétime de fa charité. 
nv. On remarque que fes difcours , ordinairement familiers &c 
ee patétiques , étoient extrêmement animés , tout pleins de feu 
l'injuftice des Ufa. & d'énergie , lorfqu'il combatoit ou l’avarice infatiable des 
riers. ufuriers , ou l'opiniâtre orgueil des vindicatifs , & la méchan- 
ceté de ceux, dont les Éneftes talens étoient de tout défu- 
nir en femant la difcorde parmi les Peuples. Au commence- 


ment du Carême de 1286 , prêchant à Sienne contre la du-. 


a ae les Magiftrats , à les multiplier en diférens en- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 41 


reté des riches, qui, bien loin de racheter leurs péchez par 
les aumônes , aimoient à profiter des calamitez publiques , 
pour fucer impitoyablement le fang des pauvres , & acu- 
muler leurs tréfors des dépouilles des familles qu'ils ruinoient , 
le faint Prédicateur s’abandonna tellement à la ferveur de fon 
zéle , qu’une de fes veines fe rompit dans la poitrine. Il 
jéta d'abord une grande quantité de fang ; & cela ne l’em- 
pêcha point de paroïtre le lendemain en chaire, pour conti- 
nuer fon Sermon. Mais la plaïe , que le court repos d’une 
nuit n’avoit pü bien fermer, fe rouvrit ; & le fang recom- 
mençant à couler avec encore plus d'abondance que la veil- 
le, on ne douta point que fa derniére heure ne fût arivée : 
afligeante nouvelle pour tout un Peuple , acoutumé depuis 
un demi fiécle à le révérer comme ‘un Ami de Dieu , ou à l’é- 
couter comme fon oracle. La confternation fut générale dans 
la ville de Sienne ; lui feul, content & tranquile , il invita 


LIVRE 
V. 


S. AMBROISE 
DE SIENNE. 
M cn 
LV. 

Vidtime de la 





fes Freres à fe réjouir avec lui, de ce que le Seigneurle reti- 


roit enfin des miféres de cette vie, pour le faire entrer dans le 
repos de l'éternité. Il s’y prépara _ la réception des derniers 
Sacremens , & par les plus vifs fentimens de pénitence , d’a- 
mour , d’humilité ; furtout par une orge confiance en la 
bonté de Dieu, qui, après l'avoir féparé du fiécle corrom- 
u, dès fes tendres années , l’avoit fait marcher dans la voye 
Es divins Commandemens , avec autant de conftance que de 
ferveur. | 
Comme nous avons omis dans ce récit les preuves multi- 
pliées du don de Prophétie & de celui des Miracles , dont le 
Saint fut honoré ; nous paflerons auf fous filence les di- 
férens prodiges qui acompagnérent , ou qui fuivirent fon 
heureux décès. Î eft aflez loüé par fes belles adtions. Les 
héroïques vertus qu'on lui avoit vü pratiquer dans tous les 
âges de fa vie ; fes travaux immenfes, entrepris pour l’hon- 
neur de la Religion , ou le bonheur des Peuples ; les grands 
fecours que fa charité ne s’étoit jamais laffée de procurer à 
toutes fortes de perfonnes , particuliérement aux jeunes Vier- 
ges , dont la chafteté auroit pù être expofée ; enfin cette ten- 
repiété, qui ne fe démentit jamais , & dont la bonne odeur 
répandue de toutes parts , ranimoit la ferveur des Juftes & 
touchoit quelquefois les pécheurs : tout cela publioit aflez 
hautement la nteté du Lo de Dieu. Le concours de 
Fidéles fut extraordinaire à Sienne , dès qu’on eut apris dans 


LVT. 
Mort du B. An 
broife. E 


472 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE les autres Villes de Tofcane la mort d'Ambroife, arivée le 
V. vingtiéme jour de Mars 1286 (1). 
S. Amsroise Le Sénat, la Nobleffe , toutes les Compagnies de la Ville, 
DE SIENNE. fuivies d'un monde infini , honorérent avec le Clergé Sécu- 
va lier & Régulier , fes funérailles , qu'on auroit moins regardé 
LVL : Comme un Convoi, que comme un Triomphe. Le Corps faint 
Honneurs rendus d’abord dépofé dans k Sacriftie des Freres Prêcheurs, fut en- 
à fa mémoire. (i: / à cher les excès d' dé ion P lai 

uite muré pour empêcher les excès d’une dévotion Populaire. 
Baillet, p.168. Les Chaires retentirent long-tems de fes éloges: & tout, juf- 
qu'aux enfans , dans les Villes & dans les Campagnes , pré- 
choit la fainteté du Bienheureux Ambroife , pendant que le 
Ciel publioit fa gloire par des miracles. On peut voir le Ca- 
talogue , qu'on en dreWa refque en même tems, & que les 
Editeurs des Aes des Saints.nous ont donné dans leur troi- 

fième Tome de Mars , depuis la page 194 jufqu'à la page 240. 
LV, Le Pape Honoré IV, abord après la mort de notre Saint , 
care ordonna à quatre Religieux de mérite, d'écrire éxa@tement fon 
bord après famont. Hiftoire ; & on commença dès-lors les informations néceffai- 
res pour procéder à fa Canonifation. Ceux qui en furent 
chargés, avoient déja une éxaéte connoiffance des aétions, 
des vertus , & des miracles du faint Confefleur ; & ils rempli- 
rent leur commiflion avec autant de fidélité que de diligence. 
Mais la mort du Souverain Pontife , les diférentes afaires de 
la Cour de Rome, & plufieurs révolutions qui troublérent 
depuis l'Italie, interrompirent plus d'une fois le Procès de 

_ çetre Canonifation. 

LIX. Cependant, par la dévotion du Peuple, & le confente- 
Solemnité de fa 7 À 
Fère dans le Dio- Ment tacite du Siège Apoftolique, la Fête de faint Ambroife 
gèfe de Sienne. de Sienne devint annuelle dès le jour de fon Anniverfaire. 
On l'a toujours célébrée depuis dans la même Ville, non le 
vingtiéme de Mars ; mais à la manière des Fêtes Mobiles, le 
Vendredi qui précéde le Dimanche de la Paffion ; à caufe que 
c'étoit le jour auquel on avoit fait fes obféques , qui pañloient 
pour la premiére célébration de fa Fête. Les mêmes honneurs, 
que les Bolonoiïs ont coutume de rendre à faint Dominique, 
les Siennois les rendent auffi au Bienheureux Ambroife, qu'ils 


(1) M. Sponde, dans fes Annales Eclé-| Alberto Magno Doctore , fanéto. Thomä 
fiaftiques fur l'annéc 1286, parle ainfi : De-| Aquinate Commilitone , Parifiis Theolo- 
cimo-pertio Calendas Aprilss obiit fenis in | ginm profeffus , e& vite fenifimonié pre. 
Tufcia Beatus Ambrofius Sanfedonius, Or-| fulgens , st in ejus aurem Spiritus Sanitus 
dinis Predicatorsm , doitriné , fanititate , | Columba fpecie loqui confpiceretur. Spon- 
prédicatione , @ miraculis clarus, Oliml dan. ad An. 1286, n. 11. 

| ont 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. #47: 

Ont fait métre au rang des principaux Patrons , & Proteéteurs 
de leur Ville. 

Le Pape Eugene IV étant venu avec fes Cardinaux à Sienne 

l'an 1442 , le Clergé & le Peuple le folicitérent fortement de 


canonifer leur faint Patron felon les formalitez ordinaires. 


Mais des afaires beaucoup plus preffantes ne lui permétant 
pas alors de vaquer à celle-ci, ce Pape fe contenta à autorifer 
par un Bref le culte du Bienheureux, & de permétre qu’on 
en célébrât publiquement la Fête comme d'un Saint canonife, 
avec un Ofce Propre , ou pris du Commun des Confefleurs 
non Pontifes. Clément VIII & Grégoire XV ont depuis éten- 
du la même Fête , qu’on célébre dans tout l'Ordre . Freres 
Prêcheurs le se. pire de Mars. Enfin la Congrégation des 
Rüits l’an 1597 voulut que le nom, & l'éloge du Saint fuffent 
mis dans le Martirolo e Romain, en ces termes : Sens pa à 
cia Beati Ambrofii Senenfis , Ordinis Praedicatorum, fanäi- 
tate , prædicatione , 6 miraculis clart. 

M. Baillet remarque que la Ville de Sienne depuis très- 
long-tems chôme le Re avant le Dimanche de la Paf- 


fion , en l'honneur de faint Ambroife. Et fon Ofice , ajoute-t'il, 


eft fi célébre chez les Dominiçains , que le Cärême n’a pü les 
empêcher d'y joindre une O&ave. Je ne fai fi cet Ecrivain a 
prétendu parler de tout l'Ordre de faint Dominique, en ce 


LIVRE: 
V. 


S. AMBROISE 
DE SIENNE. 





Se” 


LX. 
Et dans tout l'Or: 
dre des FF. Prè- 
cheurs. 


Cas il n’étoit pas bien inftruit; & s'il ne l’a entendu que du 


Couvent, qui pofléde les Reliques du Saint, il devoit ajouter 
que la même Solemnité eft commune à cette Maifon, & à 
toute l'Eglife de Sienne. 





Tome I. Ooo 


LIVRE 





y74 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


V. ER EEE Eee EE Des 2e 


Gui DE LA 


Tour ou PIN. 
De ‘4 


Lean. Albert. de Vir. 


Illuftr. Lib. II, fol. 


116. 

ÆEchard ,T.1, p. 403. 
Gal. Chrift. T.Il, 

Col. ceLzxxvix 


Il entre fort jeune 
dans l'Ordre de S. 
Dominique, 


Il. 


Agé feulement de 
dix-huit ans, il eft 


fair Evêque de 
Clermont. 


GUI 
DE LA TOUR DU PIN: 


EVÉQUE DE CLERMONT. 


| | pois Prélat, dont nous allons raporter en abrégé 


les principales aétions , étoit Fils d'Albert I, Seigneur 
de la Tour du Pin, & de Beatrix de la Maifon du Dauphin de 
Vienne. Il étoit né l'an 1232; & il n’avoit pas encore fini fa 
quinziéme année , lorfqu'il embraffa l’Inftitut des Freres Pré- 
cheurs dans le Couvent de Clermont en Auvergne. La fer- 
veur que Gui de la Tour fit paroître dès fon entrée en Reli- 
ion,la docilité de fon … ,& fon aplication à tousles éxer- 
cices de piété, & à l'étude des Siences , répondirent au géné- 
reux mépris qu'il avoit fait de tous les avantages, que lui pro- 
métoit fa haute naïffance. Sur de f1 beaux commencemens on 
fe flatoit déja qu'il feroit un jour un excélent Théologien , un 
digne Miniftre de la Parole, & un parfait Religieux , d'autant 
lus propre à infpirer aux autres le défir de la perfeétion, & 
Liu de leur état, qu'il auroit lui-même porté le joug du 
Seigneur dès fon enfance. Mais on ne s’atendoit point fans 
doute à le voir placé parmi les Princes de l'Eglife dans un 
tems, où il auroit dû fréquenter encore les Ecoles , & pren- 
dre des Leçons. C’eft ce que fes Freres virent avec étonne- 
ment, & fes Supérieurs avec une +. d'inquiétude. 
Hugues de la Tour, fon Oncle, Evêque de Clermont de- 
puis l'an 1227, étant mort en Orient à la fuite de faint Louis, 
dans le mois de Décembre 1249 , les Chanoines de la Cathé- 
drale , pour fe dédommager en quelque forte , ou pour fe 
confoler de la perte d’un Pafteur , qui leur étoit cher, tourné- 
rent d’abord leurs vüës vers le Neveu, à qui rien ne fembloit 
manquer que la maturité de l’âge : 1l n'étoit que dans fa dix- 
huitième année ; & cette confidération ne put ni arêter le 
Chapitre, ni partager les Sufrages. Le jeune Religieux fut 
élu unanimement Evêque de Clermont l'an 1250. Une Elec- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. #47; 

tion fi peu conforme aux Saints Canons, à la Difcipline & à LIVRE 

la pratique de l’'Eglife , furprit , & afligea également le Pere VV 
Humbert de Romans , Général de fon Ordre. On aflure ce- Gur pe LA 

pendant qu’elle fut agréable à la Reine Blanche, qui la favo- Tour pu Pix. 
rifa ; & que le Roi faint Louis alors dans la Paleftine en aprit 
la nouvelle avec plaifir. Ce qu'il y a de certain, c’eft que le 
célébre Philippe * Pr , Archevêque de Bourges , ayant 
confirmé l'Ele&ion, en qualité de Métropolitain , le nouvel 
Evêque fut facré folemnellement par Pierre de Colmieu, au- 
trefois Archevêque de Rouen, alors Cardinal Evêque d’Al- 
bane , & Légat Apoñtolique en France. Tout cela pourroit 
faire penfer qu’on avoit déja une haute idée des vertus , & des 
pond À talens du Sujet, plus recommandable encore par fes 
qualitez qe , que par la nobleffe de fon … 

Auff fa conduite fut-elle toujours irréprochable. Prenant 

d'abord pour lui-même l’avertiflement que faint Paul avoit lEpifcopat. _ 
donné à fon Difciple Timothée , afin que perfonne ne mépri- 
ft fa jeunefle, Gui de la Tour fupléoit à ce qui manquoit à 
fon âge par la régularité de fa vie, k la gravité de fes mœurs. 
Sa douceur, fa modeftie , une inclination bienfaifante le firent 
aimer des Peuples. Et la prudence quiacompagnoit toutes fes 
aétions , lui aquit bientot la confiance des Grands. Pafteur 
vigilant, charitable, 0 apliqué à s'inftruire de fes de- 
voirs , & à les remplir, il fut pourvoir aux befoins des Pau- 
vres, &c à ceux des 1. Non-feulement il maintint tou- 
jours la | ae dans fon Diocèfe , & lunion parmi les Miniftfes, 
avec lefquels il partageoit le foin du Troupeau ; mais il fut 
fouvent l’Arbitre des diférends qui fe levoient entre quelques 
Prélats & leurs Chapitres. 

Il eut l'honneur de recevoir dans fon Eglife , & de loger IV. 
dans fon Palais le Roi de France , Louis IX , à fon retour de . la vifice de 
la Terre-Sainte l'an 1254. Le mérite, le zéle , la piété, que 
le faint Monarque remarqua en lui, le confirmérent dans l'idée 
avantageufe , qu'il pouvoit en avoir déja conçüëé. Il le prit 
dès-lors en afe&ion; & il lui donna des marques réelles de 
fon eftime, dans toutes les ocafions, où les intérêts de l’Eglife 
obligérent le pieux Prélat de recourir à la proteétion du Prin- 
ce, ou à fa juftice. Plufeurs autres Evêques cinq ans après fe 
joignirent à Gui de la Tour, pour obtenir de la bonté du Roi 
la reftitution des Biens, ou des Droits, dont on les avoit in- 
juftement dépouillés. Mais il n'eut befoin _— autorité y 

00 1] 





LIVRE 
V. 


GUI DE LA 


Tour pu PIN. 
D. A 
| 


V. 

11 fait cefler les 
fujets de plainte de 
l'Archevéque de 
Bourges. 


VI. 

Une partie du 
Chapitre de Lyon 
le ue pour 
Archevêque. 


VIT. 
Le Pape difpofe 
autrement de ce 
Siépe, 


476 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


ue de celle que lui donnoit fa vertu, pour porter le Comte 
dhuvee à réparer tous les dommages, qu'il avoit caufés à 
plufeurs de fes Vaflaux. Rôbert Premier, Comte de Cler- 
mont, ne témoigna pe moins fa confiance en la fagefle de 
Gui de la Tour, lorfque dans fon teftament fait l'an 1262, il 
le nomma premier Exécuteur de fes derniéres volontez. Il y 
avoit trois ans que le Chapitre de Creft avoit été fondé par 
les foins , & 1e élites de notre Prélat (1). 

L’Archevèque de Bourges, Jean de Sully , Succeffeur de 
Philippe Berruyer, fe plaignoit que les Evêques de Clermont 
entreprenoient quelquefois fur la Jurifdiétion du Métropoli- 
tain. Et SROET 9T 2 de femblables plaintes contre le Pri- 
mat. Gui de la Tour, pour ôter tout fujet de conteftation ou 
de fcandale, s’acorda à l'amiable avec cet Archevêque. Ils fe 
remirent mutuellement tous les fujets de plainte qu'ils pou- 
voient avoir eu l’un contre l’autre pour le pañlé ; &c ils es 
de fages Réglemens pour en prévenir de nouveaux. 

Cet efprit de modération & d'équité donnoit un nouvel 
éclat aux autres grandes qualitez , qu'on admiroit dans notre 
Evêque , & qui le faifoient juger es des plus grands Sié- 

es. Philippe’ de Savoye, à qui le Pape Innocent IV avoit 
: Pere l’Archevèché de Lyon, ayant enfin quité tous fes Bé- 
néfices , pour fuccéder aux Etats de fon Frere , le Chapitre de 
cette Métropole s’aflembla pour élire un Archevèque, & les 
fufrages furent partagés. Duels Chanoines élurent leur 
Doyen Milon de Vaux ; & les autres poftulérent Gui de la 
Tour pour fuccéder à Philipe de Savoye : mais le Pape Clé- 
ment ÎV , pour des raifons de prudence , & peut-être pour 
réunir plütôt tous les membres du Chapitre, ne voulut nicon- 
firmer l'Elcaion , nirecevoir la Poftulation. Il donna ce grand 
Siége à l'Evêque d'Auxerre, & en même tems il écrivit des 
Lettres pleines d'amitié à celui de Clermont , pour l’'aflurer 
que par cette conduite , bien loin d’avoir voulu lui marquer 
quelque efpéce de mépris ou de mécontentement , il avoit 
prétendu au contraire lui donner des preuves de fon afec- 
tion paternelle | & ménager fon repos aufli-bien que fa ré- 
putation (2). On peut aifément comprendre le motif du 


(r) Eo fcdente ac promovente fundatur (2) Tene igitur in omni patientia locum 
Capitulum de Creft anno 1259, in Fefto | ruum ; nec à nobis reputes te defpetum , 
Converfonis fanéti Pauli. Gal. Chriff. T. II, | quem ex toto corde diligimus ; & hoc ijfum 
Cal, xc inter Infirumenta. ad amoris fpecialis judiçium in thefaura 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 477 


Saint Pere & le fens de fes paroles , fi on fait atention, non- 
feulement à la divifion qui régnoit déja parmi les Chanoines, 
mais aufñ à la fédition populaire que les Lionois avoient ex- 
citée contre cet augufte Chapitre. Et ce fut aparenment 
pour les mêmes ar que l'Evêque d'Auxerre , quoique 
nommé par Sa Sainteté à l’Archevèché de Lyon , ne prit 
point offeffon de cette Eglife. do 

Celle de Clermont continua donc à joüir paifiblement de 
tous les avantages , que lui procuroient la préfence & le zéle 
toujours agiflant de fon _ Pafteur. Plus tranquile lui- 
même , & beaucoup plus heureux au milieu d'un Troupeau 
qui lui étoit cher , & dont il étoit fincérement aimé ; 1l préfé- 
roit fans peine aux poftes les | éminens, celui où la Pro- 
vidence l'avoit placé. Cependant faint Louis fe préparoit à 
unefeconde 7. contre les ennemis du nom Chré- 


tien ; & avant fon départ , il voulut donner à notre Evêque 


une nouvelle preuve de fon eftime ee le don qu'il lui fit 
de plufieurs précieufes Reliques. Sa Majefté acompagna fon 
préfent d’une Lettre , qui doit trouver ici fa place. 

#“ LOUIS, par la grace de Dieu , Roï de France , à « 
fon cher & fidéle Gui, Évêque de Clermont : falut. Vou- « 
lant vous témoigner notre afeétion par des préfens dignes « 
de vous & dé votre Eglife ; Nous vous envoyons dans « 
une Croix d’or ces précieufes & faintes Reliques ; fa- « 
voir , une portion de la Croix de Notre- Seigneur ; une 
Epine de fa Couronne ; un morceau du faint Suaire ; un 
autre du Manteau de Pourpre ; quelques petites piéces du 
Linge , dont il fut enmailloté dans fon enfance , & de ce- 
lui Le il étoit ceint le jour de la Cêne. A tout cela Nous 
avons encore ajouté des Reliques de fainte Marie-Made- 
leine. Et Nous vous envoyons ces préfentes Lettres pour 
fervir de témoignage ; vous recommandant furtout de faire 
rendre aux faintes Reliques le culte qui leur eft dû , & de 
prier pour Nous le Très-Haut ; afin que le mérite de vos 

riéres , & de celles que vous aurez foin de nous procurer 
fes les lieux de dévotion, atire les bénédiétions du Ciel 
fur notre Perfonne. Fait à Paris le Lundi après la Nativité « 
de Notre-Seigneur1269 (1) ». 


ARS SS ES 


$ à 


cordis tui confignes , quôd tam falubriter | &c. Gal. Chrifi. T. II, Col. ccLxxx. 
famz tu providimus, & juftitiæ non de- | (1) Ludovicus Dei gratià Francorum 
traximus , & noftæ fatisfecimus honcftati, | Rex , dileéto & fideli fuo Guidoni Epifco- 


O 00 ii 


LIVRE 
V. 


GuUI DE LA 


Tour pu Pix. 
SRE 


VIIT. 

Le Roi S. Louis 
envoye pluficeurs 
Reliques à l'Evé- 
que de Clermont. 


IX. 
Lettre de S. Louis. 


478 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE  L'Evêque de Clermont fit préfent de ce précieux tréfor à 
V. fon Eglife Cathédrale , dont il avoit déja renouvellé prefque 
Guinea tout le bâtiment ( ditun Ecrivain, Chanoine de la même 
Tour ou Pix. Eglife). Son éxatitude à vifiter toutes les Paroifles de fon 
=” Diocèfe, y faifoit fleurir la piété & la Difcipline, & y con- 
X. fervoit le bon ordre. Il prêchoit fouvent les véritez du falut 
rep à fon a , comme il pre par fes Sermons, dont on con- 
dupieux Prélæ,  ferve le Manufcrit dans la Bibliothèque des Freres Prècheurs 
de Clermont. Et il a laiflé à fes Succefleurs un monument 
de fa folicitude Paftorale , dans le Recueil des Statuts Syno- 
daux qu'il avoit compofés , afin de faire obferver par tout fon 
Clergé les Réglemens , que lui ou fes Prédéceffeurs avoient 

publiés dans leurs diférens Synodes. 

La réputation d’un Pafteur , qui ne trouvoit de plaifir que 
dans l’éxercice des fon@idns Epifcopales , & dont la pru- 
dence n'étoit pas moins connuë ce a pièté , fit que les bou 
verains Pontifes le chargérent de quelques Commiflons , 

XI. u’il remplit toujours avec honneur. Grégoire X le nomma 
Rd sel” Juge du Procès qui étoit entre Guigues Archevêque de Vien- 
tre l'Archevêque ne , & le Chapitre de Romans : leurs diférends n'étoient point 
ee : faciles à terminer ; & les Habitans de Romans, intéreflés à 
man, ©  foutenir les droits du Chapitre, ou leurs prétentions parti- 

_ culiéres, oublioient fouvent ce qu’ils devoient à leur Arche- 
vêque. L’habileté & la fagefle de Gui de la Tour , lui four- 
nirent un moyen de conciliation ; 1l finit heureufement cette 
afaire par fa Sentence du mois de Juillet 1274. Le Saint Pere 
confirma avec plaifir le Jugement de ce Prélat , après le fe- 
cond Concile général de Lyon , auquel il ne faut point dou- 
ter que l’'Evêque de Clermont ne fefoittrouvé , comme l’affure 
Fontana. 
XII. Gui de Sully , Religieux Dominicain, ayant été fait Ar- 
Ipréfentele Pal. Chevêque de Bourges , le Pape Jean XXT voulut l'honorer du 
ne À Pallium ; & ce fut l’'Evêque de Clermont qui l'en revêrit de. 
8% Ja part de Sa Sainteté. Dans le mois d'Août de la même an- 





po Claromontenfi , falurem & dilcétionem. 
Præclaris exeniis vos, & Ecclefiam veftram 
decorare volentes , in Cruce aurea ornata 
lapidibus has pretiofas reliquias, videlicet 
de Cruce Domini portionem unam , de 
Corona Domini Spinam unam , de Suda- 
rio , de Vefte purpurca , de Pannis infantix 
Domini Salvatoris, de Linteo quo præcin- 


Étus fuir in cœna ; & cum iftis de Oflibus 


Beatæ Mariæ Magdalenæ vobis tranfmitti- 
mus, cum præfentium teftimonio Litrera- 
rum ; VOS rogantes attenti ut cas reverenter 
& honorifice confervare curetis , & pro no- 
bis Alrifimum exorare, & orationes , & fuf- 
fragia in piis locis procurare devota. Adtum 
Parifius die Lunx poft Nativitatem Domini 
anno cjufdem 1269. Gal. Chrifi. ut fp. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 479 
née 1277, * il fut choifi 4 Henri Comte de Rodez , & Ray- 


mond Prieur du Monaftére de Mont-Salvi, pour éxaminer 
& finir leurs démêlez. Le zélé Prélat fe prêta avec fa charité 
ordinaire à leurs défirs ; il répondit à leur atente : les Parties 
intéreflées , également fes de l'acord qu'il propofa , 
foufcrivirent à fa Sentence arbitrale. Gui de la Tour n'eut 
pas moins de part à tout ce qui fut réglé pour le rétabliffe- 
ment de la Difcipline Ecléfiaftique , + dans le Concile Pro- 
vincial d’Aurillac où il fe ous To 1278. Quelques années 
après , les Chanoines d'AÏby demandérent l'honneur de fa 
proteétion ; & il écrivit en leur faveur au Pape Martin IV. 

Parmi ces diférentes ocupations , celle que le Serviteur de 
Dieu métoit toujours la premiére , étoit la vigilance fur lui- 
même & fur fon Troupeau. Atentif à régler de telle forte 
toute fa conduite , qu'ell 
partageoient avec lui le faint Miniftére , 1l leur aprenoit par 
fon éxemple à refpeéter eux-mêmes les Loix de l'Eglife , qu'ils 
devoient faire os aux autres , & à ne fe refufer jamais 
aux befoins des Fidéles. Les grands revenus, dont il pou- 
voit difpofer , il les employa toujours à des ufages que la 
charité & la Religion iuloient méritoires. Aufli voyons- 
nous que toutes les années de fon Epifcopat furent marquées 

ar quelque libéralité particuliere , fagement apliquée aux 
Élifes , aux Monaftéres , aux Hôpitaux , aux pauvres de fon 
Diocèfe , dont, à l’'éxemple des plus faints Evêques , il s’é- 
toit déclaré le proteéteur & le pere. Hugues de la Tour du 
Pin , fon Oncle & fon Prédécefleur, avoit établi les Enfans 
de faint Dominique dans la Ville de Clermont : Gui reçut 
ceux de faint François dans la Ville de Riom ; & il combla les 
uns & les autres de fes bienfaits. Sa charité s'étendant tou- 
jours plus loin , afin qu'ils en reffentiflent les éfets même après 
fa mort & dans la fuite des fiécles , 1l leur laiffa une grande 
quantité de grains , à prendre tous les ans fur les revenus de 
l'Evêque. Mais fes Succefleurs ( chargés d’aquiter cette obli- 

ation ) furent amplement dédommagés par les Terres & les 

hâteaux , dont il enrichit en même-tems l'Eglife de Cler- 
mont. | 

Il l'avoit gouvernée pendant trente-fix ans ; & il n’en avoit 
que cinquante-quatre lorfqu'il fe repofa dans le Seigneur l'an 
1286. Îl fut enterré dans … Eglife Cathédrale ; & les pau- 
vres héritérent de la meilleure partie de fes biens. Il avoit 


e pût fervir de modéle à ceux qui 


LIVRE 
V. 


GUI DE LA 


Tour pu PIN. 
Re se  : d 


XIII. 
*Le Comte de Ro: 


dez le prend pour 
Arbitre, ; 








XIV. 
Il afifte au Con. 
cile d'Aurillac. 


XV. 
Ufage qu'il faic 
de fes revenus en 
faveur des Pauvres 


& des Eglifes. 


Sa mort, 


480 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE Er fa Bibliothèque entre le Chapitre de la nouvelle 
V. glife de faint Flour , & la Communauté des FF, Prêcheurs. 
Gui pe 14 Les Livres qu'il avoit mis dans fon Château de Beauregard, 
Tour ou Pix. furent le de du Chapitre ; & ceux qui fe trouvérent dans 
=” {on Palais Epifcopal , il lès donna au Couvent de Clermont ; 
| où on voitencore le Tableau, ou le Portrait de cet illuftre 

Prélat, avec l'Infcription fuivante (1) : | 


CHÉFEREEFESERTÉERESSÉEÉÉÉÉ) 
PIERRE,ET FRANCOIS 


DE CENDRA: 
PAUL CHRISTIANI, 


ET 
RAYMOND-MARTIN-. 


Ous croyons devoir À amiens , fous le même titre , de ces 
quatre illuftres Perfonages, parce qu’ils fleurifloient 
en même tems dans le Couvent de Barcelone, & qu'’animés 
d'un même efprit de zéle pour la propagation de la Foi , ils fe 
font rendus également recommandables par l'éclat de leurs ver- 
tus , & par les avantages, qu'ils ont procurés à la Religion. 
__ Les deux premiers étoient Freres Aou la chair : mais beau- 
coup plus unis par les liens de la charité, que par ceux de la 
nature, & du fang, ils marchérent d'un pas égal dans les fen- 
‘tiers de la juftice ; ils nous ont laïffé l’un & l’autre de grands 








Ilumbert, 


Bern. Gui éXemples à imiter. Les Auteurs ie he , qui ont parlé 
alu. de leur fainteté , & des merveilles que Dieu opéroit par leur 
ren, miniftére, pour la confolation des Fidéles , la converfion des 


(1) Frater Guido de Turre Epifcopus Al- | Epifcopatum Alverniz. In Epifcopatu fuo, 
verniæ decimum quintum agens annum, ad honorem Dei, & Matris fuæ , nec non 
puer Nobilis genere, ut pote Delphinorum | ad Ecclefiz Claromontenfis exalrationem, 
Viennenfium , qui contempto Mundi faftu , | Librum de Statutis Synodalibus Ecclefiæ 
Ordinem Prædicatorum eft ingreflus ; anno | Claromontenfis cdidit. Obiit anno Domi- 

* verd decimo oétavo ætatis fuæ , fub Ludo- | ni 1286. Gal. Chrifi. T. IT, Col. ccLxxix, 
vico pio Rege Francorum provéhitur ad 


pécheurs 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 481 


Pécheurs,ou la confufion des Ennesnis de l'Eglife , n’ont rien 
dit de leur naiïffance ; & ils ont omis le détail de leurs aétions. 
Nous nous contenterons de raporter le peu qu'ils nous apren- 
nent , fans y rien ajouter. 


PIERRE DE CENDRA , qui joignoit à de grands talens une 
humilité profonde, & un zéle très-vif pour le falut des ames, 
étoit déja l’Apôtre de la Catalogne, & l’un des plus parfaits 
Imitateurs de $. Dominique, lorfque le célébre Raymond de 
Pegnafort embrafla le même Inftitut. La bonne odeur de 
Jesus-CHRisr , qu'il répandoit par-tout , & la ferveur de fes 
Prédications lui avoient aquis une fihaute réputation, que les 
Peuples de plufeurs Provinces éloignées venoient en foule 
dans les lieux , où il portoit la parole de Dieu , pour avoir le 
bonheur de l'entendre. Les Eplifes fe trouvant ordinairement 
trop petites pour la multitude de fes Auditeurs , 1l fe voyoit 
fouvent obligé de prêcher en pleine campagne. Les malheu- 
reux efchves de leurs pañlions , les pécheurs les plus endurcis 
ne tenoient pas long-tems contre les fortes & patétiques ex- 
hortations de cet homme apoftolique ; & plus d'une fois, par 
un changement auff fincére que peu atendu , ils ont éprouvé 
combien il eft dificile de réfifter à l’Efprit de Dieu, quand il 
parle par la bouche de fes fidéles Miniftres , & que par des pro- 
diges frapans il rend témoignage à la vérité de leurs difcours, 
aufh bien qu’à la fainteté de leur vie. En métant fes mains fur 
les malades , dit un Auteur du treiziéme fiécle , ou en invo- 
quant le nom adorable de JESUS-CHRIST , Pierre de Cendra 
rendoit la fanté aux uns , & la vüe , l’ouie, ou l'ufage de la 
parole aux autres. La vérité de plufeurs de ces guérifons mi- 
raculeufes fut juridiquement conftatée fur les lieux, & dans 
les tems qu’elles avoient été opérées. Mais tous ces Nr ex- 
térieurs qui paroifloient fur les corps, n’étoient que les fym- 
boles de ce que la Grace de JEsSus-CHRIST opéroit dans les 
ames , par la vertu des prières , encore plus que par la force 
des difcours de fon fidéle Miniftre. 

Ce faint homme étoit Prieur du Couvent de Barcelone 


Livre 





Prerre 
BE CENDR A. 
à À 





I. 
Sainteté & tra- 
vaux apoltoliques 
de Pierre de Cen- 
dra. 


Ia Vitis Fratruns ; 
Part, IV, C.xxvu 


IT. 
Il eft confulré 


l'an 1232, lorfque le Roi d'Aragon, Jâques 1, voulant lépi- je Roi d'ars 
timer l’Infant Don Alfonfe , fon F ils naturel, pour le rendre si … 
capable de lui fuccéder un jour dans fes Etats, Sa Majefté fit on un prov. 
inviter Pierre de Cendra à lAffemblée générale , où les Sei- Argo. 


gneurs du Royaume , les Prélats , & les autres Perfonnes il- 
Tome A Ppp 


482 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE luftres devoient autorifer par leur préfence, la publication 

V. folemnelle de cet aûte. 
PirRRE L'année fuivante le Serviteur de Dieu fut apellé en Italie 
pr CenworA. pour aflifter au Chapitre Général de fon Ordre, & à la pre- 
_—.".— mire Tranflation du Corps de faint Dominique, fous le Bien- 
114 heureux Jourdain de Saxe. Ce fut pour lui non-feulement un 
Il répand labon- voyage de piété, mais une longue mifhon, & l'éxercice de 
le & mn fon zéle par une prédication prefque continuelle. Dans tous 
France, les lieux où il pañloit , 1l anonçÇoit la Parole de Dieu ; & il re- 
cueilloit toujours quelque fruit de fes travaux. Guillaume de 
Puilaurent, dans fa Chronique publiée par Catel à la fuite de 
l'Hiftoire des Comtes de Touloufe, en rend un témoignage 
d'autant plus recevable, qu'il parle comme témoin oculaire : 
# En 1233, ditcet Hiftorien, Frere Pierre Prieur des Domi- 
» nicains de Barcelone, revenant du Chapitre Général de 
» Bologne, paffa par la Ville & le Diocèfe de Touloufe, 
» Comme un homme puiflant en œuvres & en paroles, par 
» lequel Dieu faifoit des chofes admirables en faveur des ma- 

PA a » (1). 

Thomas de Catimpré, dans fon fecond Livre des Abeilles , 
fait l'éloge d’un faint Religieux , qu'il apelle Frere Pierré , cé- 
lébre Prédicateur dans les Royaumes d'Efpagne ; & aux prié- 
res duquel il atribue la AT on ous d’un mort. Mais nous n'ofe- 
rions aflurer , avec quelques Modernes, que l'Auteur ait vou- 
Ju indiquer en cet endroit le Serviteur de Dieu, dont nous 
parlons. Cela fans doute peut le regarder ; & cela peut aufh 
avoir été dit d’un autre : nous en trouvons plufieurs du même 
nom , dont la fainteté, les prédications , & les miracles édi- 
fioient en même tems les Peuples d’Efpagne , & donnoiïentun 

rand luftre à leur Ordre. Tels étoient en particuker Pierre 
e Madrid , l’un des premiers Difciples de Mie Dominique , 
&t Pierre Gonçales, connu depuis fous le nom deS. Telme. 
Hi Arago. Liv. I, Ce qui n’eft point douteux, c’eft que la vie apoñftolique de 
Pierre de Cds fut encore plus illuftrée par fes grandes ver- 
tus, que par fes miracles. Ses rudes pénitences, jointes à des 
IV. travaux continuels , en abrégeant fes jours, avancérent fon 
Sa mor préciuf. Lonheur. Il mourut dans une haute opinion de fainteté à Bar- 


(1) Anno 1233 Frater Petrus Prior Fra- | nam, ficut vir potens opere & fermone ; & 
trum Prædicatorum Barcinonæ, veniens de | mira fuper his qui infirmabantur, per eum 
Capitulo generali Bononiæ celebrato , tran- | Dominus facicbat. Gail. de Podio-Las. ie 
fivit per Civicatem, & Diæcefñm Tolofa- | Chron. #4 An. 1233. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 483 
celone l’an 1244. L'Epitaphe qu'on voit gravée fur fon Tom- 
beau , contient fon éloge, & le récit de plufeurs miracles. 
Sa mémoire a toujours été en grande bénédidtion dans tout le 
Pays; & les Princes, aufli-bien que les Peuples , ont fouvent 
rendu à fes cendres, des témoignages publics de leur vénéra- 
tion. Le Roi Catholique , Philippe IIT, la Reine Marguerite 
d'Autriche fon Epoufe , l’Infante Ifabelle-Claire Eugénie , & 
l'Archiduc Albert d'Autriche , fe trouvant à Barcelone en 
1599, trois cens cinquante-cinq ans après la mort du faint 
Religieux , donnérent des marques de leur piété auprès de fes 
Reliques , qu'on conferve avec diftinétion dans la Sacriftie. 


FRANÇOIS DE CENDRA, beaucoup plus jeune Le fon 
illuftre Frere , travailla encore long -tems après lui dans la 
Vigne du Seigneur ; & porta plus loin la prédication de l'E- 
vangile. Il l'avoit anoncé avec fruit aux Fidéles , & aux Infi- 
déles , aux Chrétiens, aux Juifs, aux Sarafins , dans difé- 
rentes Provinces d'Efpagne ; & il s'étoit dignement aquité de 
plufieurs Emplois. dans fon Ordre, lorfque le zèle he falut 
des ames le fit pañfer , avec le célébre Raymond Martin, dans 
le Royaume de Tunis, pour continuer tes Miffions parmi les 
Barbares d'Afrique. A Fisimnie de plufieurs de fes Freres, 
François de Cendra avoit apris les Langues Orientales , dont 
la connoiffance fervit beaucoup au progrès de l'Evangile. Et 
la Fondation , qu'on avoit faite depuis peu d'un Couvent de 
{on Ordre dans la Ville de Tunis, favorifa encore fes def- 
feins. Ayant confacré à la gloire de Dieu la vie, & les talens, 
qu'il en avoit reçüs , 1l eut la confolation d’apeller plufieurs 
Maures à la lumiére de la Foi, de faire entrer un grand nom- 
bre de pécheurs dans les voyes de la pénitence, LA confoler 
& de foutenir les Chrétiens Efclaves parmi ces Infidèles. 

À fon retour d'Afrique , le Serviteur de Dieu pafñfa par la 
France; il eut l'honneur de faluer faint Louis, & de lui ren- 
dre comte de l'état, où fe trouvoit alors la Religion Chré- 
tienne dans toutes ces Contrées, qu'il venoit de parcourir. 
Le faint Roi connut bientôt tout le mérite de ce Miniftre de 
l'Evangile ; & 1l donna une preuve de l’eftime qu'il en fai- 
foit , en lui confiant le précieux tréfor, dont Sa M 
réfolu d'enrichir notre Eglife de Barcelone. L'Hiftorien de la 
. Province d'Aragon a pubiié la Lettre de ce Prince , que nos 


Anciens avoient religieufement confervée. Elle eft conçue en 
ces termes : Ppp 1) 


LIVRE 
V. 


PIERRE. 
DE CENDRA. 
nt 








FRANÇOIS 


DE CENDRA. 
À er 4 


Ses Mifions 
dans les Royau- 
mes d'Efpagne & 
dans celui de Tunis, 


é 
S. Louis lui don- 
ne une marque 
particuliére de fa 


confiance. 


ajefté avoit Diagus ut fp. e xxwImt, 


LIVRE 
V. 


FR ANçoIS 


DE CENDRA: 
D nr 7 4 


JIL, 
Lettre deS. Louis 
aux FF. lPrêcheurs 
de Barcelone. 








E 


484 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Ou1s, par la Grace de Dieu, Roi de France, à Nos 
bien-aimés en JEsUs-CHRIST , le Prieur, & la Com- 
munauté des Freres Prêcheurs de Barcelone , Salut. 

C’eft par un fentiment de charité, ou de notre fincére afec- 
tion pour vous, & pour votre Ordre, Es Nous avons réfolu 
de décorer votre Eglife de Barcelone , d’une Relique fort pré- 
cieufe. Le cher Frere François de Cendra , que Nous avons 
chargé de notre Lettre , vous remêétra en même tems de notre 
part, une Epine de la Sainte Couronne du Sauveur. Nous 
vous conjurons de la conferver avec tout le refpe& , & 
toute la révérence convenable, & de vous fouvenir tou- 
jours de Nous dans vos priéres. Fait à Paris l'an de Notre- 


. Seigneur 1262 (1). 


Tom. I, p. 397: 


IV. 
Mort de Fran- 
çois de Cendra. 


__ Pau 
CHRISTIANI. 
Ra 





François de Cendra ne partit point de France , fans avoir 
fait avertir fes Supérieurs du gage fi précieux, qu’on lui 
avoit confié. Lorfqu'il aprochoit de Barcelone, l'Evêque, & 
le Clergé vinrent au-devant de lui, pour recevoir la fainte 
Relique , qui fut portée avec folemnité dans l’Eglife des Fre- 
res Prêcheurs ; où, felon les défirs du faint Roi, les Fidéles 
continuent encore à l'honorer avec beaucoup de religion. 

Nous ignorons les autres aétions de François de Cendra. 
Le Pere Echard, qui ne met fa mort qu’en 1281, croit que ce 
fut en 1269 qu'il ariva avec Raimond Martin au Port d’Ai- 

ues-mortes , à leur retour d'Afrique. Suivant cette date il 
Dre dire , ou que François de Conde feptansauparavant 
étoit venu à Paris pour quelque autre raïfon, ou qu'il y a er- 
reur dans la copie, qu’on nous a confervée de la Lettre de 
faint Louis. | 


Le Pere PAUL CHRISTIANI , Catalan de nation, n’eft 
tu moins connu par fes difputes avec les plus célébres Ra- 
ins de fon tems, que par les Lettres, écrites à cette ocafion 


par le Pape Clément IV, & par le Roi d'Aragon Jâques E. 


(1) Ludovicus Dei gratia Francorum { noftrum Fratrem Francifcum de Cineris de 


Rex, dileétis fuis in Chrifto, Priori, & 
Conventui Fratrum Prædicacorum Barcino- 
næ, Salurem & dileétionem. 

Ex fincero charitatis affeêtu, quem ad vos, 
& ad Ordinem veftrum gerionus , domum & 
Ecclefiam veftram Barcinonæ pretiofo vo- 
Jentes exenio decorare , vobisunam de Spinis 


facofan@z Cosonx Domini, per dileétum 


Ordine veftro , latorem præfentium , duxi- 
mus tran{mittendam , cum præfentium te- 
ftimonio Litterarum ; charitatem veftram 
rogantes in Domino, ut candem ob ipfius 
Salvatoris reverentiam , debito ftudearis 
confervare honore ; & in veftris orationi- 
bus affiduam noftrimemoriam habeatis. Ac- 
sum Parifius anno Domini 1262. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 48 


L'étude particuliére que ce favant Religieux avoit faite de la LIvRE 
Langue Hébrai ue, & des Livres Saints, le mit en état de V. 
travailler avec fruit à la converfion des Juifs, & de faire PAUL 
triompher la Religion Chrétienne de toute l'opiniätreté Ju- Curisrranr. 
daïque. Il y avoit plufeurs années qu'il s’apliquoit à cette œu- 
vre de charité avec un zéle que rien ne pouvoit rebuter ; & Lo 
il s’étoit rendu auff che dns les Eglifes d'Efpa ne, que l'Apèue ee 
redoutable à toutes les Synagogues, lorfque leRoi “et dans toutes les 
our être lui-même témoin de ce qui faifoit encore plus d'hon- Provinces d'Epa- 
neur à la Religion , qu’à un de fes Sujets, ordonna une Dif- è hi 
pute publique pour le vingtième jour de Juillet 1263. Ce Mo- «. 7 oo 
- . . rchivo Regio 
narque avoit fait venir à Barcelone tous les Rabins de fes Barchinonenfi. 
Etats , qui avoient quelque réputation de favoir : & il voulut , MéeEchar, T.5s 
être préfent à la Conférence, avec tous les Princes, & les 
Seigneurs de fa Cour. Plufieurs Prélats , un grand nombre de 
Théologiens, & les autres Savans du Pays y furent auf in- 
vités. | 

Le Rabin Moyfe de Girone, choifi par les Juifs comme |," : 
le plus capable de foutenir leur Caufe, eut la liberté entiére Luce. où Rae 
d'avancer , ou de faire valoir tout ce qui pourroit fervir à la bin Moyfe de Gi 
défenfe de fa Religion. Et le Pere Paul Chrifliani de l'Ordre rous ef vaincu. 
des Freres Prêcheurs, parla feul de la part des Fidéles. Toute À 
l'Affemblée dans un modefte filence , : deux Doëteurs con- 
vinrent de réduire la Difpute à ces quatre points, qui en de- 
voient être l'unique objet: 1°. La Venuë du Meffie: 2°. La 
Divinité de JEsus-CHrisT, Meflie promis dans la Loi, & 
anoncé par les Prophétes : 3°. Les Soufrances 814 Mort du 
Meffie pour le falut des Hommes : 4°. enfin, la Ceffation des 
Cérémonies légales par le Sacrifice de la nouvelle Loi, que 
l'Homme-Dieu a ofert fur l’Autel de fa Croix. 

Le Pere Paul établit folidement toutes ces véritez par Îles 
textes mêmes de la Bible Hébraïque. Le Rabin Moyfe entre- 
prit au contraire de les combatre toutes ; & on l’écouta avec 
secs à mais 1] ne réufht pas , parce qu'il avoit contre lur 

a vérité , & un adverfaire qui l’avoit long-tems étudiée, cette 
vérité, dans les fources mêmes ; je veux dire, dans les Livres 
Canoniques , reconnus pour tels dans les Synagogues , écrits 
en leur Langue, & expliqués par leurs anciens Dofteurs, 
dans un tems où rien ne les empêchoit de faire hommage à la 
vérité connu. L’obftination Judaïque ne pût donc tenir con- 


tre l'évidence des Oracles , que le Doéteur Chrétien fût métre 
| Pppiÿ 





nc. 


486 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


L . RE dans tout leur jour. Mo 


PAUL 


fe de Girone ne profita pas long- 
tems de la liberté qu'on lui donnoit de parler : réduit bientôt 
au filence, il fortit couvert de confufion de la Difpute , & de 


Carisrranr. l’Affemblée. Mais pour avoir été vaincu , de l’aveu même de 





ceux de fon Parti, il n'en fut ni plus humble , ni moins entêté 


de fes anciennes erreurs. Nous verrons bientôt ce qu'un faux 
zéle , ou une fote vanité lui firent entreprendre , pour cou- 
vrir, s'ilavoit pü , la honte de fa défaite. 


II. 
Aveu & conver- 
fion des Juifs. 


Cependant plufieurs d’entre les Juifs, qui s'étoient trouvés 
ps à la Conférence, montrérent plus de bonne foi ; ceux- 
à en confeffant au moins qu'on n’avoit point répondu aux ar- 


eq du Pere Paul (ce qu'ils atribuoient à De de 


eur Rabin ) & ceux-ci, en embraffant dès-lors la 


eligion 


Chrétienne , pour laquelle ils avoient toujours marqué le 
plus grand éloignement. Ce n'étoit point le premier avantage 
e notre Doëteur eût remporté fur la Synagogue ; mais c'en 

ut un des plus confidérables ; foit qu'on veuille faire aten- 
tion à fes fuites, ou au mérite de l’augufte & très-nombreufe 
Affemblée , qui aplaudit au triomphe : la Foi. Le Roi d’Ara- 


on, pour contribuer, autant 


il étoit en lui, à la conver- 


ion d'un plus grand nombre de Juifs, voulut que le Pere 
Paul fit dans toutes les Provinces de fon Royaume, ce qu'il 
venoit de faire à Barcelone. Voici les Lettres qu'il adreffa à 


tous fes Sujets. 


IV. 
Lettres du Roi 


Roi d'Aragon, de Majorque , & de 
d'Aragon Jiques I. 


lence , Comte de Barcelone & d’Ur- 
gel , Seigneur de Montpellier, à tous 
nos fidéles Sujets, & à tous les Juifs, 
répandus dans les Terres de notre do- 

mination : SALUT, & grace. 

Ex Regeftro Reg. Nous ordonnons, & vous comman- 

nr 1 d Te lorfque notre 
Hift. Aragon. Liv. I. AONS expreliement ,; Que 10rIqu 

cher Frere, Paul Chrifliani , de l'Ordre 
des Freres Prècheurs , que nous en- 
voyons vers vous, pour vous MONntTEr 
la voye du falut , arrivera dans vos 
quartiers , vous le receviez avec hon- 
neur , foit dans vos Synagogues , foit 
dans vos maifons , ou dans tout autre 
lieu qu’il lui plaira de choifir , pour 
anoncer {a divine parole ; ou pour con- 


J ACQUES, par la grace de Dieu, 
a 


€. x. 
Medranus Hift. Prov. 
Hifpa. T. 11, Part. I, 
Lib. VI, c. xvuss. 
Bzovi. ad An. 1263. 
5. 16. 
Bullar. Ord,. T. 1 , 


P:e 479° 


ACOBUS, Dei gratis Rex 

Aragonum , Majoricarum , © 
V’alentie, Comes Barchinone, € 
Urgelli, ac Dominus Montifpeflu- 
lani, Fidelibus fuis univerfis , 6? 
fingulis Judeis in toto diffriu nofire 
ubique moranribus , ad quos prefen- 
tes pervencrint, SALUTEM € 
GCrattam. 

Mandamus 6 difiritè precipi- 
mus vobis, quatenus cüm dileitus 
nofter Frater Paulus Chrifliani de 
Ordine Fratrum Pradicatorum , 
quem ad vos pro via falutis oflen- 
denda mittimus , venerit ad vos , 4d 
Synagoyas , vel Domos vefiras , vel 
catera loca , causa predicandi Ver- 
bum Dei, vel difputands, vel con- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 487 


ferendi vobifium de Scripturis fan- 
dis , in pablico, vel in privato, 
vel familiari collocurione , fimul , 
vel feparatim , ad eum teneamins 
venire, © manfuete, ac favorabi- 
diter aufcultare , futfque interroga- 
tionibus de Fide, C> Scriptaris [a- 
cris , fecundum quod ftiveritis, bu- 
militer & reverenter , & ab[que ca- 
.Jumnia , G* fubterfugio refpondere. 
Et Libros vefiros , quibus ipfe 
andiguerit ad veritatem vobis offen- 
dendam ; eidem exhibere , € expen- 
Sas» quibus indiguerit ditlus Frater, 
circa Libros [uos afportandos de lo- 
co ad locum , quos propter verita- 
‘tem offendendam vobis, deferri fe- 
«cerit , © Fratres fui Ordinis ex 
conflitutione [ua babent , quod ex- 
penfas non deferant , vos eafdlem ex- 
penfas folvere teneamint , nobis illas 
amputantes detributo quod nobis fa- 
Cere tenemini, deducentes. 
Mandamus infuper , & diffricte 
Pracipemus omnibus Bajulis , Vica- 
ris , © aliis Officialibus nofiris 
sniverfis , ut prediitos Judeos , fi 
prediita gratis facere noluerint, 
auttoritate noftra compellant , fi de 
noffra gratia confidunt , vel amore. 
Datum Barchinone quarto Ca- 
lendas Septembris anno Domini 
1263. | 


férer familiérement avec vous en par- 
ticulier , ou en public, felon que Le: 
lui femblera. Nous voulons que vous 
vous rendiez dans un efprit de paix à 
fes Prédications , Conférences , ou Dif- 
pures ; que vous l’écoutiez avecrefpet ; 
& que vous répondiez comme vous fau- 
rez, mais toujours avec modeftie, & 
fans déguifement , aux demandes qu'il 
vous fera touchant la foi, & le fens des 
faintes Ecritures. 

Notre volonté eft aufli que vous lui 
préfentiez tous les Livres qu’il vous de- 
mandera , & qu'il croira néceflaires 

our vous faire connoître les véritez de 
A fainte Religion. Ceux dont il voudra 
fe fervir , vous les ferez porter felon fa 
volonté , d’un lieu à un autre : & routes 
les dépenfes que vous aurez faites pour 
ce fujet, nous les paflerons en comte, 
fur le Tribut que vous êtes obligés de 


nous payer. 


Nous ordonnons de même aux Ma- 
giftrats , aux Juges des Hieux , & à tous 
nos Officiers, de tenir la main à l’éxé- 
cution de notre préfente Ordonnance, 
& de contraindre par notre autorité, 
ceux des Juifs qui ne fe porteroienc 

oint de bonne grace à obéir. C’eft par 
f, que ceux qui éxercent la Juftice en 
notre nom , mériteront nos faveurs & 
notre affection. 

Donnéà Barcelone le 19 d’Août, l'an 
de Notre Seigneur 1263. 


Ces Lettres, ainfi que les A@es de la Conférence du ving- 
tiéme de Juillet, fe confervent dans les Archives Royales de 
Barcelone. Les Hiftoriens Efpagnols les ont prifes de-là : & 
Bzovius les a copiées fur l’Hiftoire d'Efpagne, pour les infé- 
rer dans fes Annales Ecléfiaftiques. 

La vivacité du zéle du P. Paul répondit parfaitement à celui 
du Roi, & des Evêques, qui avoient fans doute folicité les 
Lettres, qu'on vient de raporter. Il avoit une vañte carrière à gne, dans les 
fournir dans toute la Principauté de Catalogne, ainfi que 


dans les Royaumes d'Aragon, de Valence, & de Majorque: 


LIVRE 
V. 


PAUL 
_ CHRISTIAN. 
RER 








V. 

Paul Chriftiani 
prêche J. C. dans 
toutes les Synago- 

ues , en Catalo- 


Royaumes d’Ar2- 


gon , de Valence , 


& de Majorque, 


488 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE dans tous ces diférens Pays on l’entendit prêcher avec ferveur 
V. l'Evangile, prouver la Mifion & la Divinité de JESUSs- 
Da CHRIST , par les Oracles de Moyfe, ou des Prophètes ; & 
Carisrianr. jufques dans les Synagogues confondre le Judaïfme par les 
=" Ecritures des Juifs, & par les Commentaires de leurs Doc- 
teurs les plus eftimés. Tel fut le travail continuel, & l’ocupa- 

tion ordinaire du Serviteur de Dieu tout le refte de fes jours. 

Ceux qui le fuivirent dans fes Courfes Evangéliques , auroient 

pû parler favanment des fruits qu'il en recueillir, des viétoires 

qu'il remporta fur l'erreur , des E , des fatigues , & des 

périls où il fut expofé. Malgré la proteëtion du Prince, on 

tendit bien des pièges au Miniftre de l'Evangile ; mais le Sei- 
gneur veilloit à fa confervation : & fon miniftére devint utile 

plufieurs. | 

Moyfe de Girone ne fut point de ce nombre : fon efprit 

toujours aveuglé , & fon cœur encore plus endurci , ne cher- 

choient point à percer le voile, qui fermoient l'un & l'autre à 

la lumière de la vérité. Pour diminuer en quelque forte la 
Obftinarion & honte dont il s’'étoit couvert , & empêcher les autres Juifs de 
LP Monte de GÈ. venir aux Prédications du Pere Paul, ou de fe rendre à la 
ronc. force de fes raifons, cet opiniâtre Rabin entreprit d'écrire en 
fa maniére ce qui s’étoit paflé dans la célébre Conférence de 
Barcelone. Toujours obftiné dans fes erreurs, il tâchoit de 
les défendre par de nouvelles fubtilitez ; & à une coupable 
témérité 1l ajoutoit encore l’impofture. T'antôt il difimuloit , 
ou nioit même hardiment des faits publics, qui s’étoient paf- 
{és fous les yeux du Prince, de fa Cour, & des plus favans 
hommes du pol Tantôt, à la faveur de quelque mifé- 
rable équivoque inventée après coup , il raportoit une partie 
des faits à fon avantage, pour Robe he l'honneur de la vic- 
toire. Avec le fecours de quelques-uns de fes Difciples , 1l 
multiplia extrémement les copies de fon Libelle , qu'il fit ré- 
pandre dans toutes les Xfns 1e) Enfin, pour en impofer 
plus furement à çeux de fa Nation, & être moins expofé à 
une réfutarion , le Rabin avoit écrit dans une Langue auffi fa- 
miliére aux Juifs , que peu connuë aux autres Peuples. Mais 
cette précaution ne pouvoit guéres fervir aux deffeins de l'Au- 
teur, depuis que les Religieux de S. Dominique s’apliquoient 
avec fuccès à l'Etude de la Langue Hébraïque : ils eurent con- 
noiffance de cet Ouvrage de ténébres ; & leRabin Moyfe fut 
bientôt convaincu d’impofture , comme il l’avoit déja été d'i- 

gnorance , & d'erreur. 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 489 


Le Pape Clément IV ayant apris les artifices grofhers, &c 
les fécretes pratiques de ce Juif, ne voulut point laiffer fa té- 


mérité impunie. Nous avons un de fes Brefs de l'an 1266 , par 


lequel , après avoir félicité le Roi d'Aragon de fes grandes ac- 
tions , de fes viétoires , & du zéle conftant qu'il faifoit paroi- 
tre pour les intérêts de la Foi; Sa Sainteté le prefle par les 


plus puiffans motifs de Religion , & de er ve , de purger 


enfin fes Etats, de ce mélange odieux de Juifs, & de Sarafins, 
toujours préjudiciable au repos des Peuples , ou à l'innocence 
& au falut des Fidéles. Le Saint Pere prie enfuite ce Prince de 
févir felon fa fagefle contre le Rabin audacieux ; qui , après 
avoir été confondu en fa préfence par le Pere Paul, conti- 
nuoit encore à répandre des Ecrits remplis de blafphêmes & 
de menfonges , pour infulter tout à la fois à la Religion Chré- 
tienne , & à la Maicfté Royale (1). 

Le zéle du Roi d'Aragon ne fe borna point à réprimer l'in- 
folence d’un Particulier, qu'il avoit déja puni par l’éxil ; les 
avertiflemens du Vicaire de JESUS-CHRIST , fes exhortations, 
fes remontrances lui firent reprendre les armes contre les En- 
nemis du nom Chrétien. Il ataqua les Maures auffi mauvais 
voifins , que mauvais Sujets. Il les défit, & envoya leur prin- 
cipal Etendart à Rome , pour être fufpendu devant le Tom. 
beau de faint Pierre. Les viétoires que le Pere Paul continuoit 
à remporter dans les Synagogues , en combatant l’incrédulité 
des Juifs , & leurs vieilles erreurs, avoient fans doute moins 
d'éclat, & peut-être plus de mérite. Le Vainqueur des Mau- 
res, à la tête d'une puiflante Armée , gagnoit des batailles, 
foudroyoit les Places fortes, & fe rendoit maître des Villes ; 
tandis que le Doëteur Chrétien , par la feule force de la vé- 
rité , faifoit triompher la Religion de JEsus-CHRIST , & obli- 
geoit quelquefois fes anciens ennemis, à faire honneur à fes 
triomphes par leur converfion. Les premiers Hiftoriens ne 


LIvRrEr 





PAUL 
CHRISTIANT. 
D = | 
VIL. 

Le Pape avertit 
le Roi d'Aragon 
de punir ce Juif. 


VIIL. 
Victoires de ce 
Prince fur les 


Maures, 


nous aprennent point toute la fuite de fes travaux, & ils ont 


négligé de marquer l’année de fa mort. 


RarMOND-MARTIN , Natif d'un Bourg de Catalogne 
nommé Subrrats , & l’un des Compagnons du … Paul , tient 


(1) Nec prætereas illorum blafphemias in-| multis confiétis , adjeétifque mendaciis 
correctas ; {ed illius præcipuè clbiges auda- | Librum compofuiffe ue ») quem ad fui 
ciam, qui de difputatione, quam in tua præ- | delationem erroris, in varia exempla mul- 
fentia cum dileéto Filio Religiofo viro Fratre | tiplicans , per Regiones varias deftinavit, 
Paulo de Ordine Prædicatorum habuerat , | &c, Vide in Bullar, Ord.T. I, p. 479. 


Tome JL. | qq 


N 





RAyMonp- 
MARTIN. 





* 


LIVRE 
"VV. 


RAYMOND- 


MARTIN. 
RER 


I. 
* Raymond-Mar- 
tin fert utilement 
l'Eclife par fes 
Prédications & par 
fes Ecrits. 





Hift. Prov. Arago. 
Lib. I & II. 
Potfevin, Appar. 
Sacr.T.Il, p.31. 
Nat. Alex. Hit, Ecl. 
T. VII, p. 342. 
dchard,T.l,p. 396. 


| | Ftudes des Lan- 
gues Orientales. 


490 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


un rang difungué parmi les Doéteurs Catholiques, * qui,après 
avoir long-tems combatu pour la Foi, nous ont laiflé des ar- 
mes pour la défendre contre tous les éforts de ceux qui ofent 
l'ataquer. 

I avoit embraffé l’Inftitut des FF. Prêcheurs, pendant que 
faint Raymond de Pegnafort édifioit Le: par fes grandes 


vertus , & l’éclairoit par fes Ecrits. Plufieurs excélens Sujets 


venoient de précéder Raymond-Martin dans la même Pro- 
feffion ; & il fut fuivi de quelques autres, qui eurent part dans 
la fuite à fes travaux apoftoliques, après avoir été e Com- 
pagnons de fes Etudes, dans le Couvent de Barcelone, &dans 
celui de Tolede. Toujours fidéle à fa vocation , & réfolu de 
confacrer fa vie au faint miniftére de la Parole, il s’apliqua 
avec la même ardeur à la lefture des bons Livres, aux éxer- 
cices de l'Ecole, & à toutes les pratiques de piété, qui font 
en ufage dans les Maifons Réouliéres. La folidité , & la péné- 
tration de fon efprit, on peut dire même la beauté de fon gé- 
nie, ne parurent pas moins que fon éloquence, & la vivacité 
de fon zéle , dès qu’on l'eut chargé d’anoncer aux Peuples les 
véritez du falut. Il s’aquitoit déja avec fruit de ce glorieux mi- 
niftére , lorfque l’obeiffance l’obligea de l'interrompre, pour 
le reprendre un jour avec de nouveaux avantages , en travail- 
lant à la converfion non-feulement des pécheurs ; mais auff 
des Infidéles, qu'il falloit atirer à la Foi. 

Le Roi de Caftille, & celui d'Aragon , à la priére de faint 
Raymond de Pegnafort, venoient de fonder , dans diférentes 
Maifons de l'Ordre de faint Dominique , des Collèges uni- 
quement deftinés à l'Etude des Langues Orientales. Ces Prin- 
ces étoient bien perfuadés { & l'événement fit voir qu'ils ne fe 
trompoient pas) qu'avec un tel fecours nos Prédicateurs tra- 
vailleroient toujours À we heureufement à la propagation de la 


Foi, par la converfion des Juifs, & des Sarafins : les pre- 


miers {comme nous l'avons fouvent remarqué ) étoient alors 
fort répandus dans tous les Royaumes d'Efpagne : & les der- 
niers, malgré leurs pertes, & leurs fréquentes déroutes, do- 
minoient encore dans plufieurs Provinces. L'Eglife & l'Etat 
avolent le même intérèr à les foumétre les uns & les autres,au 
joug de JEsus-CHRIST. Il falloit donc leur montrer claire- 
ment la faufleté de leur Religion ; & les perfuader enfuite , 
ou les convaincre de la vérité de l'Evangile. La connoifflance 
des Langues étoit néceflaire pour cela. 


= = 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 401 


Raymond-Martin fut un des huit premiers Religieux , que 
le Chapitre Provincial de fon Ordre , affemblé à T'oléde l'an 
1250, deftina à cette Etude, & celui peut-être qui en retira 
de plus grands fruits. Comme il joignoit à fa vivacité naturelle 
une excélente mémoire , & une très-grande aplication , fou- 
tenuë par le défir de faire triompher les véritez de la Foi, de 
tous les blafphêmes des Rabins, ou des Doéteurs Mufulmans, 
1l réuffit fi bien dans l'Etude des Langues , qu'il ne ec pas 
avec moins de facilité l’Arabe, & l’'Hébreu , que le Latin (1). 
C'ef le témoignage que lui rendent les Auteurs de la Nation, 

ui ont écrit l’Hiftoire de la Province d'Aragon, ou celle du 


LIVRE 
V. 


RAYMOND- 
MARTIN. 








oi Jâques le Conquérant. Ils nous aprennent en même tems : 


l'ufage,que fit ce favant homme, de toutes ces connoiffances, 
pour l'honneur de l'Eglife , & la converfion de ceux, qui 
étoient {ortis de fon fein par l’apoftafie , ou qui en comba- 
toient les dogmes par les préjugez de l'éducation. 

I! pañloit une grande partie . jour & de la nuit à éxaminer 
avec foin le Talmud, res , les autres Livres eftimés par 
les Maures , ou par les Doéteurs des Juifs: & il employoit fa 
Plume , fes Conférences , & fes Prédications à combatre les 
impiétez , & les dogmes infenfés, dont ces Livres font rem- 
L'autorité du Roi d'Aragon vint encore à fon fecours. 

ous ignorons fi Raymond-Martin s’étoit trouvé à la Difpute 
du vingtième de Juillet 1263 : mais nous favons qu’il eut beau- 
coup de part à ce qui fe pafla l’année fuivante fur le même fu- 
jet. Voici quelle en fut l’ocafñon. On a déja dit que le Pere 
Paul Chrifliant , envoyé par le Roi dans toute l’étenduë de 
fes Etats, pour inftruire # Juifs , & conférer avec les Ra- 
bins , étoit autorife à fe faire repréfenter leurs Livres les plus 
fécrets. Ce zélé Miniftre de JESUS-CHRIST ne manquoit ja- 
mais de lire ces fortes d'Ouvrages ; & il les éxaminoit avec 
d'autant plus d’atention , que les Juifs avoient eu jufqu’alors 

lus de foin à les tenir cachés. Bientôt il reconnut que les ca- 
omnies , les blafphêmes , les termes les plus injurieux à JEsUs- 
CHRIST , & à nes de fa Sainte Mere, fe trouvoient 
prefque à toutes les pages de quelques-uns de ces Livres. Il 


entreprit de les corriger, ou il fomma les Juifs d’éfacer eux- 


mêmes tout ce qu'il leur montreroit être contraire à la vérité, 


JII. 
Aplication du P. 
Raymond à lire ce 
Fo les Docteurs 
cs Juifs & des 
Maures ont écris 
{ur la Religion. 


(1) Multüm fufficiens in Latino fuit, | im doétus. Petr. Marfilius in Vit. Ja- _ 


Philofophus in Arabico , magnus Rabinus | cob. I, Reg. 
in Hcbrzo , & in Lingua Chaldaïca mul- 


Qqq 1 


LIVRE 





RAYMonN»- 


MARTIN. 
re Ses" -,.S 


IV. 
Examen du Tal- 
mud. 





Diagus , Liv. II, 
©. XVI, 


Y. 
Raymond-Mar- 
tin entreprend de 
prouver les Véri- 
tez de l'Evangile, 
& de combatre les 
erreurs des Juifs, 
par Îles Ouvrages 
mêmes de leurs 
Docteurs. 


492 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


&t au Texte de la Sainte Bible. Il y en eut qui obéïrent ; mais 
le plus grand nombre refufant avec opiniâtreté de prendre ce 
parti, le Roi donna un Edit pour les y obliger. pe Rabins 
ne fe rendirént pas encore ; ils fe plaignirent de la févériré de 
l'Ordonnance ; & ils portérent leurs plaintes au pié du Trône. 
Le Prince y eut ra ; & par un fecond Edit du vingt-feptié- 
me de Mars 1264, il fufpendit le premier, à condition que, 
dans l’efpace d’un mois , les Juifs porteroient tous leurs Livres 
pour être revüs & éxaminés. L’Évêque de Barcelone & qua- 
tre Théologiens de l'Ordre de faint Dominique ; favoir , faint 
Raymond de She ve , Raymond-Martin, Arnaud de Se- 
garra , & Pierre de Genes , furent choifis par Sa Majefté pour 
cet éxamen. On le fit avec une grande éxaétitude, en pré- 
fence même des Rabins ; on leur montra au doigt les blaf- 
phêmes , & toutes les impiétez , que le Pere Paul leur repro- 
choit ; on les corrigea fous leurs yeux ; & on ne leur rendit 
les moins mauvais de ces Livres , qu'à condition qu'ils ne 
pourroient, ni remêtre dans leurs Exemplaires ce qu'on y 
avoit éfacé, nt rien écrire déformais qui fût injurieux à la 
Religion Chrétienne. 
Les Juifs promirent tout ; mais cela n’auroit pas fufi pour 
les détromper , & les difpofer à une fincére converfion. Ce 
ui les humilioit , les-irritoit en même-tems : & ceux que les 
ares reconnoifloient pour leurs Conduéteurs ou leurs 
Maîtres , ne paroifloient , ni moins décidés à foutenir tou- 
jours leurs premiers préjugez , ni moins déterminés à rejéter 
toutes les Véh enfeignées dans l’Eglife. Pour les leur per- 
fuader éficacement, ces Véritez , il faloit en chercher la preu- 
ve dans les Livres, dont la Synagogue refpelte davantage 
l'autorité ; c’eft-à-dire , dans les ous des anciens 
Rabins , ou dans les Commentaires que leurs plus habiles 
Doë&teurs avoient publiés fur la Loi de Moyfe, ou fur les 
Livres des Prophêtes. C'eft à cette fin que nos Théologiens, 
favans dans les Langues , faifoient fervir toute leur érudi- 
tion Rabinique ; & le Pere Paul avoit À on dans les mêmes 
fources , ces témoignages décififs en faveur de notre Relr- 
gion , aufquels Moyfe de Girone n’avoit rien trouvé à ré- 
Eee Il s’agifloit de faire de toutes ces preuves un corps 
de Doëtrine , qui pût être tranfmis à la poftérité, & fervir 
dans tous les tems , aufhi-bien que dans tous les lieux , à la 


défenfe de la Foi , & au triomphe de l'Eglife. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 493 
_ Raymond-Martin bre ce pénible travail ; & le zéle 
de la Religion lui en fit dévorer toutes les dificultez. Auff 
exécuta-t-il fon grand deflein , avec tout le fuccès qu'on avoit 
dû fe prométre , & de fon habileté, foit dans la Théologie , 
foit dans les Langues ; & de la pureré des motifs qui lui 
avoient mis la plume à la main. Ses deux principaux ou. 
ges , dont le premier eft intitulé , Pupzo Fidei ; & l’autre, Ca- 
piftrum Judæorum , méritérent l’aprobation , ou l'admiration 
même des plus habiles Rabins convertis à la Foi de JEsus- 
CuHrisr. Nicolas de Lyra, & le célébre Paul de Burgos , 
tous deux élevés dans le j udaifme, &très-verfés dans ce que 
l'Erudition Rabinique fe vante d'avoir de plus profond ou de 
plus caché, ont fouvent parlé avec éloge des Ecrits de no- 
tre Auteur. C'eft auf du premier de ces Ouvrages , que les 
Doëteurs Catholiques , dans les fiécles fuivans , ont pris les 
lus fortes preuves, qu'ils ayent employées contre les Ra- 
He : > ps combatre par leurs propres armes. 
Le Pre de Dieu ne borna point fon zéle à la conver- 
fion ou à l'inftruétion des Juifs ; 1l travailla avec la même ar- 
deur à celle des Sarafins ; & 1l le fit autant par fes Prédica- 
tions, que par les Ecrits qu'il publia, en refuter les abfur- 
ditez de l’Alcoran , ou de la Loi de Mahomet. Après qu'il eut 
long-tems combatu les impiétez de cette Seéte 0 les Pro- 
vinces d'Efpagne, il alla les ataquer, pour ainfi dire dans leur 
Fort , au milieu de la ville de Tunis. On ne dit pas en quelle 
année notre zélé Prédicateur commença cette Miffion : nous 


favons feulement qu'il la fitavec le Pere François de Cendra , 


& qu'il mit àprofit, autant pour la confolation des Efclaves 
Chrétiens,que pour l'inftruëtion des Infidéles, la liberté qu’on 
lui avoit acordée d’anoncer la parole de Dieu aux uns & aux 
autres. M.Fleuri , dans fon Hioire Ecléfiaftique , remarque 
u'en 1270, lorfque l'Armée Chrétienne fe préfenta devant 
unis , 1l y avoit dans cette Ville un Couvent des Freres 
Précheurs , & des Eglifes, où les Fidéles s’afflembloient tous 
les jours. Après que les Croifez eurent levé le fiége , nos Re- 
ligieux continuérent à prêcher publiquement l'Evangile dans 
le même Royaume ; & le Prince Maure laifloit à tous fes Su- 
jets la liberté d'embraffer le Chriftianifme & de recevoir le 
Batème. 
Mais le Pere Raymond - Martin étoit déja de retour en 
Catalogne , où il pafla le refte de fa vie toujours ocupé fe- 


Qqqi 


LIVRE 





RAYMOND- 
MARTIN. 





VI. 
Il refute les abfur- 


ditez de l’Alcoran. 


VII. 
Il prêche dans [a 
Ville de Tunis. 


Liv. LEUXYI » , 10) 


LIVRE 





RAYMONnD- 
MARTIN. 





VIII. 
* Ses faintes ocupa- 
tions dans la Re- 
sraire. 


494 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


lon fon Etat * : tantôt dans les fonétions apofñtoliques , il con- 
tinuoit à travailler au falut du prochäin ; & tantôt dans le re- 
pos de la folitude , il imitoit l'Homme fage , qui fe demande 
comte à lui-même , & de fes aétions & de fes intentions, ou 
pour corriger ce qui ne viendroit pas du bon efprit , ou pour 
Kg toujours ce qui eft déja bon. Parmi ces loua- 

les ocupations , le faint Religieux fe ménageoit quelques 
momens pour mètre la dernière main à fes Ouvrages. Ceux 
qu'il avoit compofés pour refuter l’Alcoran , n’ont point été 
imprimés ; non-plus que fon Abrégé contre les erreurs des 
Juifs : on n’en trouve pas même aujourd’hui les Manuf- 
crits ; peut-être parce que les premiers étant compofés en 
Arabe , & le dernier en Hébreu, les Théologiens Catholi- 
ques , communément peu verfés dans ces 5 ra , les ont 
trop négligés. Celui qui a pour titre Pupio Fidei, a eu pref- 
que le même fort pendant quelques fiécles. Quelque pré- 
cieux que püt être cet Ouvrage à l'Eglife ; quelque rempli 
d'Erudition qu'il parût aux véritables Savans, & quelque fatal 

u’il fût à l'erreur , 1l ne laiffa pas de tomber dans l'oubli , & 
de demeurer long-tems caché Le la pouffére des Bibliothé- 
ques. Nous ferons bien-tôt connoître le mérite , & le fort de 
cet Ouvrage. Il fufñit de dire ici, que l’Auteur l'a divifé en 
trois Parties. La premiére n’eft écrite qu'en Latin ; les deux 
derniéres font à deux colomnes ; on trouve le Latin d’un cô- 
té, & l’Hébreu del’autre. Par ce qui eft dit dans le dixième 
Chapitre de la feconde Partie , nous aprenons que Raymond- 
Martin y travailloit encore plufieurs années après fon retour 
d'Afrique : 1[ eff bon de remarquer , ( ce fontfes termes) qu'en 
cette année , ou nous comions 1278: de l'Ere Chrétienne , ou de 
la naiffance du Fils de Dieu, les Juifs comtent 5038 ans de la 
création du Monde. | 
. Malgré fes voyages, fes auftéritez & fon travail continuel ; 
le Serviteur de Dies parvint à une heureufe vieillefle , puif- 
qu'on voit fa foufcription dans un Aëte, pañlé à Barcelone le 
premier de Décembre 1286. Nous ne favons pas s'il vêcut 


. encore quelque-tems ; mais il paroît que fon âge, & fes au- 


tres ocupations ne purent l'empêcher de cultiver toujours, 
& d’aprendre aux autres les Langues Orientales , qui lui 
avoient été d’unfigrand fecours pour perfuader,ou défendre la 
Religion , & fermer la bouche à fes ennemis. Par fes foins, 1l 
forma parmi fes Freres,& parmi les Séculiers, plufeurs favans 


» 


Es 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 409$ 


Difciples , qui fe font glorifiés depuis d'avoir été les Elèves 
de ce grand Homme , & lui ont fait honneur de tout ce qu'ils 
pouvoient favoir d'Hébreu *. Un Anonyme , Auteur de plu- 
fieurs Ouvrages de piété & d'érudition , en préfentant à un 
Supérieur des Freres Prêcheurs, fon Traité fur la fignification 
du mot Zetragrammaton , s'explique ainfi : “ J'ai toujours dé- 
firé, mon bienheureux Pere, que la connoiffance de la « 
Langue Hébraïque , dont je fuis redevable aux leçons & « 
aux charitables foins du Pere Raymond-Martin, fût com- « 
me une précieufe femence jétée dans mon cœur , & pro- “ 
pre à fruétifier , non-feulement pour mon falut , mais auffi “ 
pour celui de plufieurs Fidéles , (1). 

. Le même Auteur, en divers autres endroits, continue à 
marquer ces fentimens d'une jufte reconnoiflance envers fon 
Maître ; & en louant fa rare Erudition , ilreléve avec com- 
plaifance toutes fes vertus , fa modeftie , fa charité, fon ef- 
prit de mortification & d'obéiffance , furtout ce zéle ardent 
de la Religion , qui lui avoit fait fuporter tant de fatigues & 
embrafler tant de travaux, foit pour faire connoître les Véri- 
tez faintes de l'Evangile aux Juifs & aux Gentils , foit pour 
élever de dignes Difciples , qui fuffent après lui de nouveaux 
Défenfeurs de la Foi. 

Nous voudrions pouvoir atribuer le même efprit de re- 
connoiflance & d'équité , à Pierre Galatin Religieux de faint 
François : Si les loix de l'Hiftoire nous le permétoient , nous 
nous difpenferions du moins de raporter ici les juftes repro- 
ches que lui ont faits les Savans, de ce qu'ayant tranfcrit dans 
un de fes Ouvrages, une bonne partie de celui de Raymond- 
Martin , il n’a pas cité une feule fois l’Auteur , qu’il pilloit 
fans aucun ménagement , ni autre précaution , que celle de 
taire fon nom. Voici ce ie dit M. Dupin, en parlant des 


. Auteurs du treizjéme fiécle. 


# Raymond-des Martins , Catalan , de l'Ordre des Fre- # 
res Prècheurs, profefla dans le Monaftére de Barcelone, « 
& fe rendit recommandable par l'Etude des Langues Orien- « 


‘tales, dont la connoiffance étoit fort rare en ce tems-là. « 


Il l'entreprit par le confeil de faint Raymond de Pegnafort, « 
afin de pouvoir refuter les Juifs & les Sarafins par leurs # 


(1) Sæpius defideravi , beatiffime Pater , | Martini diligens difciplina, non mihi fo. 
ut femen illud Hebraicz Linguæ, quod in | lim, fed & aliis Fidelibus ad æternam pro- 
hortulo cordis mei fevit Fratris Raymundi- | deffet falutem. Ap. Echard. T. F, p. 398. 


LIVRE 
V. 


RAYMOND- 
MARTIN. 
Den run et > À 


* VideEchard. T. La 
p. 398. : 


TX. 
Pierre Galatin, 
plagiaire. 


Aut, da XIH] fiécle ; 
p. 288, 


LIVRE 
V. 


RAYMonw»- 
MARTIN. 





Voyez le Livreinti- 
tulé Pxcio Fidei, im- 
primé à Paris l'an 
tés ie, 


496 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


» Ouvrages mêmes. Ce fut dans cetre vûüëe qu’il compofa fon 
» Livre intitulé Ze se qi de la For , dans lequel il combat 


»# les Juifs & les Sarafins par leurs propres armes. Porchet 


» Chartreux s’en eft fervi, & en a tiré prefque tout ce qu'il a 
écrit dans fon Livre intitulé , la Widoire contre les Juifs ; 
» Mais il reconnoît celui à quiil en eft redevable. Au lieu que 
» Pierre Galatin de l'Ordre des Freres Mineurs , a copié har- 
» diment Porchet & Raymond, dans fon Livre des Sécrets 
» de la Verire pt , fans nommer ni l’un ni l’autre , 
» 
» 


» 


quoique tout ce qu’il a raporté d’érudition Rabinique foit 

tiré de leurs Ouvrages ». 

M. Dupin n'’eft pas le premier qui ait donné cet avertifle- 
ment au Public. Le célébre M. Bofquet Evêque de Lodeve , 
dans le dernier fiécle ; Philippe -Jâques de Mauflac , Pre- 
mier Préfident à la Cour des Comtes de Montpélier , & le 
favant Jofeph de Voifin , illuftre Membre du Parlement de 
Bordeaux , avoient déja publié leurs Réflexions fur le même 
fujet , & reclamé en faveur de notre Auteur contre le Pla- 
glaire. Le premier lefit, re avoir comparé avec beau- 
coup de foin l'Ouvrage de Galatin (qui écrivoit dans le fei- 
ziéme fiécle) avec celui de Raymond- Martin. Le fecond 
porta encore plus loin fes recherches ou fes atentions ; car 
P Ass recouvré un ancien Manufcrit de dde a apellé Ze 

oignard de la Fos , il fit tirer une Copie éxaéte de ce même 
Livre , fur l'Exemplaire qui fe confervoit dans le Collège de 
Foix à Touloufe ; & par le moyen du Pere Thomas Turcus 
Général des Freres Prêcheurs , ce Magiftrat fe procura trois 
autres Manufcrits du même Ouvrage, qu'on trouvoit dans 
les Bibliothèques des Dominicains , Fun à Barcelone, l’autre 
à Majorque , & le troifiéme à Touloufe dans le Couvent de 
faint Thomas. Ce fut fur tous ces diférens Manufcrits, que 
le Préfident de Mauffac prit la peine de vérifier le fien , & 
de les comparer avec le Livre de Pierre Galatin. Il livra 
enfuite fon Manufcrit & fes Obfervations (1) à Jofeph de 


hujus operis quafi adjutorem : Raymundurmæ 
autem Martini verum Auétorem. Eumque 
Juris facere ; fed & Prolegomena ad ejus | primum Judzos propriis armis confodiife, 
illuftrationem præmittere nobis mens eft ; | Galatinum vero , quæ habet bona & utilia in 
in quibus primo monemus , Sanétum Ray- | Arcanis Catholicæ veritatis, deinde ab ipfo 
mundum à Pennaforti clariffimi illius Or- | fuifie fuffuratum. Tum demum Porchetura 
dinis Magiftrum Generalem , viam manfue- | eodem fere tempore ex eodem fonte bibiffe; 
tudinis fecutum cefle ad convertendos Ju- | fed non pari AA pere & inverecundiä. Phil, 
dzos , aliofque Infiacles. Illum porro fuifle | Jacobi Manffaci Proleg, in Pngion. Fidei. 
Voifin, 


(1) Pugionem Fidei Raymundi-Martini 
Ordinis Prædicacorum non modo publici 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 407 


Voifin, qui les fit imprimer à Paris l'an 1651, y ayant ajouté 
de nouvelles Notes de fa façon, pour faire remarquer au 
Ledeur tout ce qu'il y a d'Erudition Rabinique dans cet ex- 
célent Ouvrage ; tout ce | dan y trouve de beau, d'utile , 
de plus recherché , ou de plus propre à faire triompher la Vé- 
rité de l'erreur , & la Religion Chrétienne du Judaïfme, par 
les Livres mêmes & les Traditions des Juifs. 

L’habile Editeur, qui en reftituant le Poignard de la Foi à 
fon véritable Auteur, le donnoit une feconde fois au Public, 
en reçut les aplaudiffemens qu’il méritoit. On peut voir à la 
tête du Volume, qui fut dédié au Prince de Condé , les ma- 

nifiques éloges, que les plus favans hommes du Royaume 
He , comme à l’envi, du zéle, & de la rare Erudition de 
Jofeph de Voifin. De refpeétables Magiftrats joignirent leurs 
fufrages à ceux des Doëéteurs de Paris , & de quatre ou cinq 
Evêques de France, pour marquer en même tems le cas qu'ils 


faifoient , non-feulement du 
encore de celui, 
de venger l’un, 


faire préfent à l'Eglife (1). 


{1) Hoc primum Raymundo tuo, vir 
clariflime , Beneficium acceptum ferre de- 
bemus ; quod ipfo duce Cbriftiani nominis 
publicos hoftes ipforummet gladiis confo- 
dere didicimus : quodque ipfe primus fcrip- 
tis fuis telorum hoftilium aciem obtudit : 
Et fi qu vis illis fuperfuit, in eorum qui 
projecerant capita re Primus , quod 
fciam, Raymundus felici manu hæc arma 
traétavit ; cæteri aut alià arte, aut leviori 
telo congrefli dubio marte pugnarunt ; hic 
unus deviétis hoftibus epit triamphos. In- 
de Porcheti de Jadæis viétoria : inde Gala- 
tini arcana revelata prodiere. Domini Fran- 
cil. Bofquet Epifc. Lodov. #4 vir. clarif. 
Jofephum de Voilin , Epiftols exponens Ar- 
gumentum operss. 

Debebat utique divini numinis Providen- 
tia , iildem fermè fub temporibus , ex uno, 
eodemque Dominicanorum Religiofo cætu, 
duplici ht fummä Chrifti Ecclefiam 
non minus fulcire ad robur , quam ornare 
ad decus. Alteram procuravi per genium 
revera Angelicum D. Thomæ ab Aquino ; 
alteram per Fratris Raymundi Martini non 
vulgarem , eoque ævo tantüm non mira- 
culofam eruditionem. Illa gentes inftruit ; 
bæc recutitos pervincit : illa Chriftianicatis 

Tome L, 


ivre & de fon Auteur, mais 


eu ar un zéle fi digne de louange , venoit 
e retirer l’autre des ténébres, pour en 


clypeus , hæc Pugio, &cc. Pertrus Epifc. 
An ifrodorenfs. Pr " 
Quis fatis æquus rerum arbiter qui non 
hunc Pugionem Fidei, tanquam debellatæ 
Syuagogztrophæum , Chriltiaoz Religio- 
nis vexillum , Crucis Chrifti triumphum, 
Ecclefiz viétoriarum peplum ad aras puriffi. 
mæ Virginis geftiat appendere ? Liceat ita.. 
que tibi, Raymunde , gratulari, teque fuf- 
pese Ut inclytæ Dominicanorum Familiæ 
umen, ac columen. Tibi etiam , Jofeph 
Voifin , liceat applaudere, qui verè Filius 
ac crefcens Jofeph, ad perennem hujus præ- 
ftantiflimi operis celebritatem, novis ac 
præclaris eruditionis tuæ fingularis orna- 
mentis & incrementis non mediocrirer con- 
tulifti, &c. Henricus de Maupas du Tour , 
Epifc. Anicienfss. [ 
Prodit tandem aufpicatiffimèé in apertum 
folem , operà , ac induftrià clariffimi viri 
Donmini Jofephi Voifin, plurimüm Ecclefiæ 
trophzis additurus Pugio Fidei, quem ex 
tota Hæbræoraum fupelle@ili Frater Ray- 
mundus Martini Ordinis Prædicatorum , ut 
ilo ftrenuus ipfe bellator Judæxos confode- 
ret, confodiendofque doceret alios, acu- 
tiffimum conflavit. Porro dubium efle po. 


teit, uui plus laudis debeatur, vel Ray 
Rrr 


LIVRE 
V. 


RAYMOND- 


MARTIN. 
Re 








LIvVRr'E 
V. 


RAYMOND- 


MARTIN. 
À 





La Religion Chré- 
tienne prouvée par les 
Faits : Nouvelle Edi- 
tion. 


Pag. 164. 
X. 


Injufte critique 
de M. Houtteville. 


498 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Nous ne raporterons ici tout ce que les Evèques 
d'Auxerre, du Puy , de Rodez, de Bayeux ( Aprobateurs 
de cet Ouvrage ) & en particulier Monfieur Bofquet Evêque 
de Lodéve, écrivirent vers le milieu du dernier fiécle, ok 
ur célébrer les viétoires , que Raimond-Martin avoit autre- 
Dis remportées dans fes Difputes ; foit pour inviter les Théo- 
logiens à profiter de fon travail afin de procurer de femblables 
avantages à l'Eglife. Mais nous ne pouvons diffimuler que 
nous n'ayons êté d’abord furpris du jugement peu avanta- 
geux, qu'a porté de cet Auteur, & de fon Ouvrage, un Sa- 
vant de nos jours dans fon Difcours Hiflorique & Critique 
fur la Méthode des principaux Auteurs , qui ont écrit pour & 
contre le Chriffianifme. Voici comment s'explique cet illuftre 
Académicien : “ Raymond - Marun , Religieux Domini- 
cain, fit un Livreintitulé , e Poignard de la Foi ; & peu 
après Wiéor Porchet de Salvaricis , Moine Chartreux , en- 
treprit de défendre le Chriftianifme par un autre Ouvrage. 
Ce dernier n’étoit guéres que le Copifte de l’autre ; & pour 
dire la vérité, tous les deux firent voir plus de zéle que de 
force ; tous deux fervirent moins leur caufe , qu’elle ne les 
fervit elle-même. Comme Ariftore étoit toujours mêlé dans 
les objeétions , c’étoit aufh fous l'autorité d’Ariftote qu'on 
fe métoit à couvert; Arbitre plus propre à perpétuer , qu’à 
finir les difputes, & fi peu convenable à la nature de nos 
» diférends , que je ferai toujours furpris qu'on n’eût pas le 
» courage de le récufer. Je trouve beaucoup plus fupartable 
» ce que fit contre les Juifs Jerôme de Sainte-Foi , lui-même 
» Juif Efpagnol, converti....... On fentit à la fin, mais 
» plus de cent ans après, que pour travailler avec fruit, il 
» Étoit néceflaire de reprendre la trace des Peres, d'étudier 
» 
> 


Ÿ LES YSSYSS>Y 


l'Ecriture avec l’Hiftoire, & pour ariver à ces connoiffan- 
ces , de pañler par celle des Langues. La France eut le pre- 
» mier honneur de cette entreprife. Un de nos Rois { François 


mundo Martini viro Hebraicè, Arabicè, 
& Latiné bené fcienti, quod iftius operis 
fæculo decimo tertio, dum Judæorum Infi- 
dclitas Hifpaniam inficeret , Auétor exti- 
terit : vel clariflimo Domino Voïin , viro 
liberali quavis difciplinà politifimo , qudd 
illud per quatuor pené {æcula obfcurum ac 
latens, non folum cduxerit à cenebris , ve- 
rum ctiam commentariis , obfervationi- 
bufque fuis auxcrit ac illutrarit, &c. Har- 


duinus Epifc. Rathenenfis. 

Non folum in refutandis , fed etiam in 
frangendis Judæorum erroribus , necnon im 
afferenda Chrifti divinitate Raymundus 
Des-Maitins , Ordinis Fratrum Prædicato- 
rum {uà ætate excelluit : adeo ut fatis mira- 
ri non poflim , qui tantuschefaurus in come 
mune Religionis bonum ceflurus, tot fæ- 
culis veluri defotfus latuerit . &c. Evardus 
Molé Epifc. Baiocenfis. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 499 


Premier) ocupé de l’acroiflement des Lettres , & juftement “ 
nommé leur Pere , les fit revivre dans fes Etats ,. 

Qui ne croiroit que ce favant homme s’étoit donné la peine 
d'éxaminer avec quelque atention l'Ouvrage , qu'il ne trou- 
voit pas même /“portable ? Mais qui ne feroit furpris de l'en- 
tendre ainfi parler , lui, qui nous avertit fouvent qu'il vou- 
droit pouvoir louer toujours , & que ce n'eff qu'avec trifleffe & 
violence qu’il cède à la néceffité de blämer ceux même qui nous 
haïffent, ne pouvant nous nuire. Ïl n’a donc rien trouvé qu'il 
püût louer, É' ae un Livre, que plufieurs de nos Évêques , & 

uelques Doéteurs de Sorbonne ontapellé un grand ee our 
l'Eglife , l’étendart de la Religion, & le triomphe de la Croix 
de JEsUsS-CHRIST. Quelques-uns n'ont point fait dificulté de 
le métre en parallele avec la Somme de faint Thomas contre 
les Gentils. Au jugement de ces Evêques , aucun Doëteur Ca- 
tholique n’avoit encore plus fortement ataqué les erreurs des 
Juifs ; aucun n’avoit plus heureufement combatu les Rabins 
par leurs propres armes, que l’a fait Raimond-Martin , qu'on 
apelle avec raifon un Homme d’une profonde Erudition , & 
une grande Lumiére : Solem fane magnum. M. Houtteville ne 
parle Ep de même : felon lui, Raymond-Martin a fair voir 
plus de zèle que de force ; & il a moins fervi [a caufe , qu'elle ne 
la cc elle-même. | 
où peut venir cette diférence (ou plutôt cette opofition) 
de fentimens touchant le mérite du même Auteur, & du mê- 
me Ouvrage ? Le voici : les cingilluftres Prélats, & les au- 
tres Doëéteurs de Paris , qui parloiïent comme eux l'an 1651, 
avoient lü le Livre dontil s'agit : 1ls n’avoientloué, & aprouvé 
que ce qu'ils avoient bien éxaminé. Le Critique moderne a 
népligé cette précaution: nous ne craignons pas de le dire, 
il n'a connu ni l’Auteur, ni l'Ouvrage, dont 1l a voulu par- 
ler. Nous pouvons en donner plus d’une preuve. 1°. M. Hout- 
teville a mis Raymond-Martin au nombre des Auteurs, qui 
ont écrit depuis le quinzième fiècle de l'Eolife jufqu'à nous. On 
fait cependant que notre Auteur , contemporain de faint Ray- 
mond de Pegnafort , & du Roi d'Aragon Don Jâques I, étoit 
mort avant la fin du treiziéme fiécle. L'Hiftorien de la Pro- 
vince d'Aragon, cité par le Préfident de Mauffac , ajoute qu'il 
avoit été-honoré de l'amitié du Roi de France faint Louis, 
mort en 1270. 2°. M. Houtteville paroït avoir cru, du 
moins il le faitentendre , que je dubtsn an — ignoroit les 
rrij 


LIVRE 
V. 


RAYMOND- 


MARTIN. 
us 








Pag. 152, &c 


Vide Cenfuras Do- 
&or. Parif. & Epifco- 
por. 


Reflexions fur le 
jugement de cet 
Auteur. 


Difc. Critiq. p.16 
es, q-P-162- 


Franç.Diago, Liv. 
IT, Vide Profeyomen, 
1n Pugionem Fidei, 





500 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE Langues Orientales ; qu'il avoit négligé l'Etude de l’Ecriture ; 





V. & de l'Hiftoire ; & que ce n’étoit que par l'autorité d’Ariftote , 
Ravmonr- qu'il avoit entrepris de combatre fes adverfaires , ou les en- 
Marin. nemis de la Religion. Mais un homme qui auroit feulement 
= jété les yeux fur 4 Poignard de la Foi , n’auroit eu garde de 
penfer , ou de parler ainfi. Les deux dernières Parties de cet 

Ouvrage font écrites en Hébreu : l’Auteur n’ignoroit donc 

Ze ibid, pas cette Langue. Il favoit encore le Caldéen, & l’Arabe : & 


1] n'étoit pas le feul de fes Freres, - fe fut apliqué avec fuc- 
cès à cette Etude, pour travailler plus heureufement à la con- 
verfion des Juifs & des Sarafins (1). 
= Nous ne comprenons pas ce qu'a voulu dire M. Houtte- 
ville , quand il a avancé que la France , dans le feiziéme fié- 
cle , eut le premier honneur de cette Entreprife. UnSavant, com- 
me lui, verfé dans l'Hiftoire de l'Eglife , pouvoit-il donc igno- 
rer, que dès le treizième fiécle, nos Religieux, fur-tout en 
Efpagne , animés par le zéle de la Foi, & excités par l'éxem- 
le de faint Raymond de Pegnafort, aufi-bien que par les li- 
Péralitez des Rois, cultivoient avec un foin infini l’Étude des 
Langues ; & qu'ils faifoient un grand ufage de cette connoif- 
fance pour établir les véritez faintes de la Religion ? De-là 
leurs frequentes difputes avec les Rabins : De-là ces conver- 
fions , dont parlent les Auteurs : de-là ces Ouvrages, qu'ils 
nous ont laiffés , pour nous aprendre le véritable moyen de 
combatre la Synagogue par fes propres Dofteurs. Si le Con- 
cile Général de Vienne, vers le commencement du quator: 
ziéme fiécle , fit un Décret pour ordonner, que dans le Col: 
lége Romain , ainfi que dans les Univerfitez de Paris, de Bo- 
logne , d'Oxford, & de Salamanque, on enfeignât déformais 
aa l'Hébreu , le Caldéen, & l'Arabe , ce fur à l'i- 
mitation de ce qui fe pratiquoit déja dans les Ecoles des Do- 
minicains en Efpagne , que le Pape Clément V voulut qu'on 
établit la même Etude, en Italie, en France, & en Angle- 
terre. Le célébre François Penna, Auditeur de Rote Ds 
Clément VIIT , avoit fait cette remarque , dans fes Notes fur 


(1) Sit igitur Raymundus-Martinus ve- 
us & genuinus hujufce Pugionis Auétor , 
unus procul dubio ex primis illis ftudiofis, 
& Religiofis hominibus , qui poft Pena- 
Fortii confilium Linguæ Hebraicx, & Ara- 
bice, una ftrenuam, & fedulam operam 
navarunt Publicis & Reyiis ftipendiis ...., 
£uafor verd & adjucor ardentilumus barum 


difputationum magnus ille & verè cœleftis 
Pœnnafortius fuit, & ftudii Linguarum He- 
braicæ , & Arabicæ reftaurator , ut veterem 
Santtæ Ecclefiæ Patrum morem , & zelum. 
Judæos ad Chrifti Fidem, pietate exempli , 
& doctrinà reducendi renovaret. Ibid. in 


À Prolegomen. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. soi 


la Vie de faint Raymond de Pegnafort. Et je trouve encore 
la même réfléxion , dans ce que M. Bofquet , Evêque de Lo- 
déve , & M. le Préfident de Mauffac ont écrit fur le Porgnard 
de la Foi (1). 
Au refte, fi pour détruire les faux préjugez des Incrédules, 
& montrer qu'il n’eft rien de plus foible , rien de moins con- 
féquent , que ce qu'ils opofent à plufieurs véritez de notre 
Foi, Raymond-Martin a fait valoir les raifonnemens d’Arif- 
tote ; s’il a quelquefois employé fes principes, & fon auto- 
rité , 1] l’a fait np en difputant contre des Infidéles, 
i ne reconnoifloient point l'autorité des Divines Ecritures, 
& ui abufoient de celle de ce Philofophe. Il les a mis, pour 
ainé dire, aux mains avec eux-mêmes, en tournant leurs 
rincipes contre leurs as Les anciens Apologiftes de 
L Religion Chrétienne, les faints Doéteurs en ont fouvent 
ufé de même. Et en cela je ne vois rien, qui doive beaucou 
exciter notre admiration, ni qui puifle nous furprendre. On 
m'acordera fans doute que , dans nos diférends avec les Incré- 
dules de nos jours , Spinofa n'eft pas moins récufable qu’Arif- 
.tote , ce n’eft point un Arbitre plus propre à finir nos difputes. 
Cependant , M. Houtteville fe OC un fcrupule de com- 
batre les Spinofiftes par Spinofa , ou Spinofa par lui-même ? 
Et s'il l’a fait quelquefois , trouvera-til qu'on ait raïfon de le 
lui reprocher ? A-r'on jamais fait un crime a celui Es “ ute 
d'employer cette efpéce de raifonnement , que l'Ecole ape À ad 
Hominem ? | 
Mais comme notre Auteur, pour confondre la faufle fa- 
gefle des Gentils, & repoufer js traits qu'ils lançoient con: 
tre le Chriftianifme, n'a eu bien fouvent qu’à leur opofer la 
Philofophie d'un Gentil, qu'ils révéroient comme leur.mai- 
tre , & leur Oracle : il faut auffi reconnoiître , que dans fes 
difputes contre les Rabins , non moins ni , & plus 
blafphémateurs que les Payens mêmes , il a habilement em- 
ployé les moyens les plus propres à les rendre ou fidéles, ou 
muets. C'eft par leurs propres Ecritures, qu'il a mis dans un 
(1) Ita probatum eft Raymundi confi- ! rm etiam à Clemente V demum fit ordi- 
hum ab ipfamet Ecclefa .... ut non tan- : natum, ut in Academiis Romanæ Curiz , 
tm exortum ft ejus confilio , & peculiari | Parifienfi , Oxonienfi, Bononienfi, & Sal- 
prudentiä, eximium hoc opus Raymundi- | mantina , Linguæ Hebræa , Chaldaïca, & 


Martini, quod nunc typis mandatur, & | Arabica publicè edocerentur , &c. Ibid. is 


> er deinde contra Judæzos fcripta | Prolegomenis Domini Mauffaci ad Pugio- 
nt five à Galatino , five à Porcheto , alif- | #em Fides. | 


que cjufdem generis hominibus . ....ve- | 
| Rrru; 


LIVRE 
V. 


RAYMoND- 


MARTIN. 





Voyez la Lettre de 
M. l'Abé Hourteyille » 
Pe 50. 


LIVRE 





RAYMOND- 


MARTIN. 
D 0 


- 





Difcours Critique , 
p.148. 


Ratio operis in ProϾ- 
mio ad Pugionem 
Fidei. 


so2 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


beau jour , & les véritez de l'Evangile, & tous les égaremens 
de la Synagogue. Par ces Ecritures , dont les Juifs refpeétent 
uniquement l'autorité, il faut entendre , non-feulement la 
Sainte Bible, mais auffñ les anciennes Traditions, que la Na- 
tion incrédule fe perfuade avoir reçüës de fon premier Légif- 
lateur , ve es n’ayent été écrites, qu'après une longue 
fuite de fiécles , par les Auteurs du Talmud. 

On fait que le Talmud , Ouvrage fi juftement décrié , n’eft 

‘un recueil d'opinions infenfées , fans fuite, fans liaifon, 
ns fondement ; un amas confus de contes puériles, de fon- 
ges , d'illufions, de chiméres , & d’impiétez. Mais parmi ces 
impiétez , ou ces chiméres , on découvre quelquefois de pré- 
cieufes véritez, des traits lumineux, qu'un habile Théolo- 
gien, verfé dans l'Écriture, ou dans les Langues , n’a garde 
» de négliger. “ En général, dit M. Houtteville, en parlant 
» du Talmud, ce grand Ouvrage contient quelques reftes pré- 
» Cieux des anciennes Traditions Judaïques, on je recon- 
» _nois qu'on peut s’aider pour l'intelligence de l'Ecriture. . 
» Je conviens encore que dans cet amas de Traitez, & de 
» Sentences, qui le compofent , il y a, pour qui fait y faire 
» un choix, de quoi former d’invincibles preuves en faveur 
» de l'Eglife dans nos difputes avec les Juifs. Mais cela même 
» eftune décifion contre le Talmud. C’eft parce qu'il eft rem- 
» pli de contradiétions éfrayantes, qu’il nous fournit contre 
» la Synagogue tant d'argumens direéts, dont elle ne peut 
» ni éluder l'ateinte , ni rompre la force ,. 

Voilà précifément ce qu’avoit déja remarqué il y a près de 
cinq cens ans, l’Auteur du Poignard de la For. Difons plus ; 
non-feulement il avoit fait toutes les réfléxionsque font les Sa- 
vans d'aujourd'hui ; mais cegranddeffein , dont ds fecontentent 
de propofer l’idée, Raymond-Martin a eu le courage de l'en- 
treprendre , & le bonheur de l’éxécuter. (1). Dans le Préam- 


(1) Eam in rem Raymundus Martini j toribus exhibuit vir Hebraicè doétiffimus 


totam illorum fupellcétilem Librariam ex- 
cuflit, feu quà Cabala tradit , quà Talmud 
docet, quà Mifna præcipir, quà Rabbini 
commentantur. Ex iis Pugione Fidei con- 
flato ....breviori hac ficcà delirantium 
Sabbatariorum quañ æmulorum Holofernis 
caput præfccuit. Chapelas Doctor Theologus 
Jacra Faculsatis Parifienfis in Approbatione 
Puagionis Fides, 

Venit in manus noftras îlle Fidei Pu- 
gio, quem veris Chriftianæ Religionis cul- 


Raymundus Martini Prædicator adverfus 
J se & Mahumetanos veritatis , & Chri- 
ftiani nominis hoîftes previcaciflimos. IIlud 
equidem opus eximium & pese totum 
quantum eft, perluftrare fuit ; quod etiam 
Auétore fuo Litterarum Hebraicarum peri- 
tifimo, & Sereniflimis Regibus, Princi 
pibufque chariffimo dignum judicavimus , 
&c. Bonneret Theologus à Faæmilie Sorbo- 
nica Doëtor Parifienfis , de Regius Lingus 
Jane Interpres, | | 


ns. de - 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 503 


bule de fon Livre, il s'explique ainfi: # Tout cet Ouvrage “ 
eft apuyé fur deux fondemens ; le premier & le principal, “ 
eft l'autorité divine de la Loi, & des Prophétes, ce qui “ 
renferme tous les Livres de l'Ancien Teftament. Le fecond “ 
fondement des véritez faintes, que je dois établir , je le 
trouve dans les Traditions mêmes des anciens Juifs, dans “ 
leurs Glofes , ou Commentaires de l’Ecriture, dont les Tal- “ 
mudiftes ont rempli tant de Volumes (1). Ils apellent ces “ 
Traditions la Loi Orale ; la Loi que Dieu enfeignoit, difent- “ 
ils,à Moyfe fur la Monagne de Sinai;que Moyie a expliquée “ 
à Jofué Le Difciple ; que Jofué à laiflée à fes Succefleurs ; “ 
& qui de main en main eft parvenuë jufqu’aux Rabins, qui “ 
les premiers l'ont recueillie dans le Talmud. Cependant, “ 
ajoute notre Auteur, parmi ces Traditions Judaïques , il “ 


faut diftinguer & favoir choifir. Ce feroit le comble de la 


folie, que d'ofer atribuer à Moife , ou à Dieu même , tout “ 
ce qu’on lit d'abfurde, d’extravagant ou d’impie dans le “ 
Talmud. Et on tomberoit dans une autre extrêmité , fi, “ 


. faute d’éxamen & de choix , on rejétoit fans diftinétion ce “ 


qu'on peut découvrir dans ce recueil , de vrai & de lumi- “ 
neux , également propre à expliquer les fens les plus pro- “ 
fonds de l’Ecriture , à refuter les erreurs des Juifs, k à “ 
prouver d'une maniére invincible les principaux Myfté- « 
res de notre Foi; comme on peut s'en convaincre par la 
leéture de notre Ouvrage. De telles Traditions , continue « 
toujours Raymond-Martin , font dans le Talmud , comme # 
des piérres précieufes dans un fumier. Je me fuis apliqué “ 
avec d'autant plus de foin & de plaifir à les retirer bu mi- “ 
lieu de la bouë , que je fuis perfuadé qu'il n’y a que des « 
hommes infpirés de Dieu , qui ayent pü être les Auteurs “ 
de ces pm Véritez, où on ne trouve que la Doëftrine « 
des Prophèêtes , & qui caraë@térifent fi bien le Mefñe , qu'el- « 
les fufifent pleinement pour détruire fans reflource tout ce * 
que les Juifs modernes ont malicieufement inventé contre « 
la Divinité de JESUS-CHR1IST & la fainteté de fa Religion ,. 

Il ne fera pas inutile de remarquer , que pour ôter aux 
Juifs toute ocafion ou prétexte de fe RE , qu'on leur cite 

(1) Materia hujus Pugionis, quantum ad | Talmud , & Midrafchim, id eft Gloffis, & 
Judæos maxime , duplex erit ; prima & | Traditionibus antiquorum Judxorum rcpe> 
principalis , auétoritas Legis & Propheta- | ri, & tanquam Margaritas quali de quodam 


rum , totiufque veteris Teftamenti ; fecun-} maximo fimario fuftuli non modice Iæta- 
e A . . . . 
daria vero , quædam Traditiones, quas in | bundus , &c. Ir Proæmio operis , n. 5. 





LIVRE 
V. 


RAYMOND- 
MARTIN. 
VÉSCENENSSEN 








LIVRE 





RAYMono- 
MARTIN, 
RER 





s04 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


des Ecritures diférentes de leur Texte, ou qu'on fait dire à 
teurs Doéteurs ce qu'ils n'ont point dit, Raymond-Martin 
dans tout fon Ouvrage , a eu foin de citer les Livres faints 
dans la propre Langue , dans laquelle ils avoient été écrits. IL 
ne s’eft ataché, n1 à la Verfion Grèque des Septante, ni à 
l'Edition Latine de faint Jérôme (1) , (quoiqu'il eût bien 
ù employer l’un & l’autre , fans donner aux Rabins un 
jufte fujet de fe plaindre ) ; mais en fuivant l’'Hébreu, il a 
eu le double avantage , & de fe rendre moins fufpeët à fes 
adverfaires , & de les combatre avec plus de force. Il l’a lui- 
même obfervé ; la | des oracles des Prophètes , quire- 
gardent le og u Meffie , fa Doëtrine , fes Myftéres , les 
circonftances de fa Vie & de fa Mort, font bien plus exprès 
dans le Texte Hébreu, & plus clairement cbsis aux pré- 
jugez des Juifs modernes , qu'ils ne paroiffent l’être dans les 
Verfions de l’Ecriture , que nous avons en Grec ou en La- 
tin (2). On peut voir les éxemples que notre Auteur raporte 
en preuve de cette vérité. | 
ous n’ajouterons rien. C’eft maintenant au Lelteur à juger, 
fi l’idée qu’a voulu nous donner M. l’Abé Houtteville , de 
la capacité du Pere Raymond-Martin, & du mérite de fon 
Ouvrage, eft aflez conforme à la vérité : ou fi nous avons 
été fondés à croire , qu'il n’avoit eu aucune connoiffance dif- 
tinéte de l’un & de l’autre. Ce que nous difons néanmoins, 
fans prétendre rien diminuer 1e juftes louanges qu'on ne 
fauroit refufer à cefavant Académicien, qui a fi bien mérité 
de la Religion, & dont nous nous ferons toujours un devoir 
de reconnoitre les lumiéres , & de refpeéter la piété. 


(x) Cæterüum inducendo auétoritatem | tiofa fubrerfugiendi præcludetur via : & mi- 


Textüs ubicumque ab Hebraico fuerit de- 
famptum, non Septuaginta fequar , nec 
interpretem alium ; & quod majoris præ- 
fumptionis videbitur , non ipfum etiam in 
hoc reverebor Hieronimum ; nec rolerabi- 
Jem Linguæ Latinæ vitabo improprietatem , 
ut corum quæ apud Hebræos funt, ex ver- 
bo in verbum , quotiefcumque fervari hoc 
poterit , transferam veritatem. Per hoc 


enim Judzis falfioquis lata , valdeque fpa- 


nimè poterunt dicere non fic haberi apud 
cos , ut à noftris contra iplos , me interpre- 
te, veritas inducetur. In Proæmio , ». 10. 

(2) Rurfus vero noverint qui ejufmodi 
funt , in plurimis valdè facræ Scripturx lo- 
cis, veritatem multo plenius atque perfec- 
tius haberi pro Fide Chriftiana in Littera 
Hebraica, quèm in tranflatione noftra , &c, 
Ibid, n. 14. 


ED 
LS 


ARNAUD 


œ—— 


DE L'ORDRE DE S$. DOMINIQUE: $o; 


ER E 2 FRERE ER de ET EE 


ARNAUD 
DESEGARRA, 


TCONFESSEUR DU ROI D'ARAGON ; 
Don JAQUESs I. 


E noble Catalan, natif de Barcelone , entra dans l'Or- 

dre de faint Dominique vers l'an 1230. Les atentions des 
Supérieurs à cultiver fes talens furent proportionnées aux 
grandes efpérances, qu'il fit concevoir prefque dès fon en- 
trée dans le Cloitre. Belon quelques Auteurs , Arnaud Sé- 
garra, d'abord après fa Profeflion, fut envoyé à Cologne en 
Allemagne ; où, confié aux foins du Bienheureux Albert le 
Grand, il puifa dans les Ecrits & les Leçons de fon Maitre, ce 
tréfor de en le diftingua depuis parmi les célébresT héo- 
logiens de fon fiécle. Mais plus recommandable encore par 
fes vertus que par fa doétrine , il anonça avec fruit la Parole 
de Dieu aux Fidéles , & fit fleurir la régularité dans plufieurs 
Maifons de fon Ordre. Elu Provincial d'Efpagne après le Cha- 
itre Général de Tréves en 1249 , pendant douzé années con- 
Dies , qu'il eut la conduite de cette vañfte Province, il l’é- 
difia toujours par la fainteté de fes éxemples , & l’enrichit par 
le grand nombre des bons Sujets, qu'il reçut, ou qu'il forma à 
l'Apoftolat. Parmi les Maifons Religieufes , qui fe regardent 
comme leur Fondateur , il faut diftinguer celle de Girone, 
qui a donné plufieurs grands Hommes à l'Ordre de faint Do- 
minique , & de dignes Miniftres à l'Eglife. Cette Fondation 

eft de l'an 1253. | 
Trois ans auparavant, Arnaud Ségarra avoit rendu un autre 
fervice bien plus important à fa Patrie & à la Religion : preflé 
autant par le zéle de la Maïfon du Seigneur , que par les ns 
folicitations de faint Raymond de Pegnafort, & de Jean le 
Teutonique:, alors Général de fon Ordre, il éxécuta enfin 
ce que l'on projétoit depuis long-tems pour l'Etude des Lan 
Tome I. _  Sff 


LIVRE 
V. 





ARNAUD 
BE SEGARRAc. 
Re re 


Petr. Marfilli. 

Diagus. Bzovius 

Nat. Alex. 

Echard , Tom, Le 
Pe 2474 


EfVRE 


d 


| — hot 


ARNAUD 


DE SEGARRA. 
À 





. 
_ 


_ 


66 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


gues Orientales. Les Rois d'Efpagne fournirent aux dépenfes, 
& le zelé Provincial nomma les ie, François Diego , dans 
fon Hiftoire de la Province d'Aragon ; nous a confervé le 
Décret, qui avoit été fait pour cela dans le Chapitre Provin- 
cial, tenu à Tolede lan 1250 (1). 

Après la mort du Pere Michel de Fabra ( & peut-être pen- 
dant l’abfence , ou lamaladie de faint Raymond de Pegnafort} 
le Raï d'Aragon avoit pris pour fon Confefleur Arnaud Sé- 
garra , qui remplit ce Le , &t pénible Emploi , fans aban- 
dommrer fe premier: Il continuoit à gouverner fa Province; & 

es ocupations multipliées ne l'empêchoient point de s’apli- 
_ en même tems à la leéture ve qui intérefloient la 

eligion. Nous avons déja vû qu'il fut un des Théologiens , 

choifis par le Roi, Don Jâques Premier, pour travailler avec 


 F'Evêque de Barcelone ; à l'éxamen , & à la correétion du Tal- 


mud. Si nous en croyons Bzovius , les remontrances de Sé- 
garra n’avoient pas moins contribué que celles de faint Ray- 
mond , à faire publier le fameux Edit de 1264, pour ordon- 
ner la révifion des Ecrits, qui fe lifoient dans les Synagogues 
d'Efpagne. Il eft vrai que le Prince, toujours zélé pour les 
intérêts de la Foi , écoutoit volontiers les avis de fon Confef- 
feur , dans tout ce qui ne gënoit point fes paffions : & il n’eft 
as moins'certain que le Miniftre de JESUSs-CHRIST , à qui 
Ê faveurs du Souverain ne firent jamais oublier ni la modef- 
tie de fon état, ni les devoirs de fon miniftére , parut lui-mè- 
me toujours plus zélé pour le falut de ce Prince, qu'atentif à 
rhénager fon amitié en flatant fes imclinations. L'Hiitoire nous 
en fournit un éxemple , qui fait connoître quelle étoit la reli- 
$ion du Serviteur de Dieu , & fa fermeté. 
‘ : L'atachement de Don Jâques Premier pour Berengere étoit 
trop public , & en même tems trop fcandaleux , pour pouvoir 
être diffimulé. Arnaud Ségarra eut le en de repréfenter à 
fon Pénitent ce que la Loi de Dieu , fa confience , & fa répu- 
tation éxigeoient de lui. Mais en condamnant fa propre 3e 


trem Raymundum-Martin, Fratrem Petrum 


(1) Cupientes fatisfacere mandaro Ma- 
1 Ariam,Fratrem Petrum de Puteo, Fratrem Pe- 


iftri, & attendentes utilitatem negotii præ- 
E ncis y præcipuè verd futuri ; in nomine 
‘Patris & Filii & Spiritüs Sandi , afliynamus 
ad ftudium Arabicum ( hoc injungentes in 
‘remiffionem peccatorum , auétoritate Ma- 
;giftri & noftra, idque præcipientes in vir- 
tute Obcdientix ) Fratrem Arnaldum de 
Guardia , Fratrem Petrum de Cadireta, Fra- 


« < 


um de fanto Felice , Fratrem Dominicura: 
de Stevan, & Fratrem l’etrum de Canoles... 
numerum duodecim complebimus cum pri- 
müm faculrarem nobis Deus concefferit. 
Fran. Diego , Lib. I & Il, Hifi. Prou, 
Aragon, ap. Echard. T, I, pr.326. 


f 


: DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE, 307 
blefle, Don Jâques prométoit toûjours ce qu'il n’éxécütoit.ja- 
mais, & ce qu'il ne croyoit peut-être pas en fon pouvoir d'é- 
xécuter. On fait quel eft le langage ordinaire , ou l'erreur d'un 
homme dominé par une forte pañlion: efclave volontaire, s’il 


fent la pefanteur de fes chaines , 1l ne laiffe pas de. les amer; 


& il lui paroït impoñlible de les rompre, parce qu'il ne veut 
pas en être déchargé. Tel étoit le Héros tant de fors vainqueur 
-des Maures, & toujours vaincu parles yeux d’une femmes 
Pour lui ménager un retour à la pénitence , Dieu permit, que 
dans fes plus grands égaremens .:1l:ne donna jamais fa con: 
_fance qu'à des Confefleurs incapables de le tromper. Arnaud 
Ségarra étoit de ce caraétére ; fage , prudent , défintérellé , il 
ne diffimula jamais une vérité utile , par la crainte de déplaire. 
Mais après avoir averti, preflé , exhorté avectoutela liberté, 
que l’efprit de Dieu infpire à fes Miniftres, fans avoir rien 
avance ; il crut que l'unique parti qu'il devoit prendre, étoit 
de fe retirer de la Cour , de gémir en fecret , de léver fes 
mains au Ciel , & de redoubler la ferveur de fes priéres , avec 
la rigueur de fes pénitences..  . ne 7. 

Ce fut aufh fon partage jufqu’à ce:qu'il fe préfentät une 
ocafion de faire sa sn chofe : olus. L an 126$ le Roi d'A- 
ragon s'étant mis à la rête de fon Armée, pour aller ataquer 
les Sarafins , & former le Siège de Murcie, le Confeffeur fut 
mandé , & prié de le fuivre Li cette Expédition :'1l obéit: 
Au moment que le Prince alloit:expofer fa Perfonne aux dan- 
gers d'un combat , il demanda le Sacrement de réconcilia- 
tion. Et le fidèle Miniftre de JEsUus-CHRIST , toujoufs fem 
blable à lui-même , ne craïgnit point de lui dire , qu'avant 
toutes chofes, il falloit éloigner Berengere de fa préfence , 
s’il vouloit avoir le Ciel favorable, & atirer les bénédiétions 
de Dieu fur fes armes... : .. 

On doit préfumér que Don Fâques Premier renouvella fes 
promefles. Et nous favons‘qu'il ne les acomplit pas. Ou s’il 
donna alors quelques marques de converfion :; par l'éloigne- 
ment d'une perfonne , dont la conduite étoit depuis long-tems 
un grand fujet de fcandale pour tout le Peuple , 1] ne tarda 
guéres à la rapeller; & à vivre avec elle comme il avoit fait 
. auparavant. Nous. en avons une ‘preuve dans le Bref, que le 

Pape Clément IV écrivit de Viterbe le feiziéme jour de Jan- 
vier 1267 ; Sa Sainteté difoit à cé Monarque : Nous avons 
apris par vos Lettres que vous vous propolez de pañler bien- 


[{ 1j 


LIVRE 
ARNAUD 

DE SEGARRAs 

À À 





L 


08 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE tôt les Mers avec une puiflante Armée, pour donner du fe- 
V.___ cours aux Chrétiens de la Paleftine, & venger l'honneur des 
Arnaup Lieux faints indignement profanés par les Infidéles. Ces nou- 
De SEcarrA. Velles ne pouvoient que nous faire plaifir ; mais nous ne de. 
———— vons point vous difimuler,que votre entreprife ne feroit point 
heureufe, fi elle n’étoit le fruit, ou la fuite d’une fincere con- 
verfon. Non, celui qui a voulu être ataché à une croix pour 
éfacer les péchez du Monde, ne fauroit agréer le fervice , 
que .prétendroit lui rendre un Prince, qui, en fouillant fon 
propre corps par un commerce mceftueux , crucifie derechef 
PT qu dans fon cœur. C’eft pourquoi à nos premiers 
avertiflemens , & à toutes les priéres que nous vous avons dé- 
ja faites , nous ajoutons ces inftances réitérées ; nous vous 
exhortons , & vous conjurons de nouveau, de vouloir enfin 
chaffer pour toujours de.votre Cour,Berengere, cette femme, 
dont la réputation trop équivoque. ne fait point honneur à 
{on illuftre naiflance , & expoñe vifiblement votre faluüt. Que 
fi vous refufez encore d'écouter la voix d’un pere, qui vous 
avertit avec charité, ne vous flatez pas au moins de pouvoir 
plaire au Crucifié , au de le venger des infultes de fes enne- 
mis, pendantqué vous ne voulez point ceffer vous-même 
de l’outrager. Au refte , nous fommes bien-aife de vous aver- 
tir, qu'après avoir tant de fois éprouvé l'inutilité de nos 
exhortatrons , nous fommes réfolus de nous fervir enfin du 
dernier reméde paur ôter le fcandale (1). | 
Tandis que le Souverain Pontife ajoutoit ainfi à des repro- 
ches pleins de charné, la menace des Cenfures Ecléfaftiques, 
pour faire rentrer dans le devoir un Prince, fi grand d’ail- 
eurs par une infinité de belles qualitez , le Pere Arnaud Sé- 
arra , éloigné de la Cour , ne penfoit qu’à aflurer fon propre 
Alut dans le repos de la retraite , & les travaux de la péni- 
_ tence, oùil finit famtementfesjours. L'Hiftorien d'Aragon, 
= qui lui donne de grandes louanges , & quia omis la fuite 
de fes travaux & de fes aétions, ne marque point l’année de 
a mort, 


Pt 


(1). Idcoque Serenitatem tuam , ficnt p mififli, à te prorfus abjicias. . . . infupes 
alias , fic &. nunc iterato familiariter roga- | autem fcire te volumus, nifi noftris moni- 
mus , monemus , & hortamur attentè, qua- | ris acquieveris, nos te ad dimitrendam ean- 
tenus Nobilem mulierem Berengariam: , | dem, per Cenfuram Ecciefafticam compul+ 
quam in carnale commercium, non abfque | furos. A4p. Oderic. #4 An. 1167, n. 33. 
aotà inceftus , &c fakutis cuæ difcrimine ad- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 509 
srsvsrsrsesvsrsrsrsr SESYS SES Sr Sr srsr 


JEAN COLONNE. 


ARCHEVÈQUE DE MESSINE, 


LEGAT DU PAPE: 
E T 


JEAN DE POLE; 
ARCHEVÊQUE DE PISE , ENSUITE DE NICOSIE. 


UELQUESs Hiftoriens, felon la remarque du Pere 
Echard , femblent avoir confondu ces deux illuftres 
Perionages , qui vivoient en éfet dans la même profeflion , 
& à peu près dans le même tems ; mais dont les wo & les 
Ecrits ne fervent pas moins que leurs Familles , à diftinguer 
l'un d'avec l’autre. | 
Le premier , que le Ciel deftinoit à être un jour un des 
lus beaux ornemens de l'Ordre de faint Dominique , étoit 
flu de l’ancienne Maïfon des Colonnes , connuë dans tout 


IVRE 
V. 





Tom. F, p. 49e 


JeAN 
CoLonwe. 


| 


le Monde Chrétien, par le grand nombre de Prélats & de . 


Cardinaux qui fe font fuccédés dans le facré Collége , ou 
dans les premiers Sièges de l'Eglife , & dont plufieurs ont 
ocupé la Chaire de faint Pierre. Jean Colonne nous aprend 
lui-même , que dans fon enfance il avoit connu faint Do- 
minique , pendant qu'il expliquoit les faintes Ecritures dans 
. le Sacré b. 

cet 1lluftre Romain vers le commencement du treiziéme fié- 


De Viris ilyärité 
in MMS, LS 


alais. Nous pouvons donc mêétre la naiffance de 


cle , dans le tems que le Bienheureux Patriarche, ocupé à 


ka converfion des Albigeois , formoit déja fes premiers Dif- 
ciples dans le Languedoc , fous le Pontificat d’Innocent III. 

Les qualitez de corps & d’efprit , dont la nature avoit fa- 
-vorifé ce jeune Seigneur , le rendirent fort cher au célébre 
Jean Colonne fon Oncle paternel. , apellé le Cardinal de 
fainte Praxede , depuis Légat des Souverains Pontifes Hono- 
ré UN & Grégoire fx. Ce fut aufi par le ee ou la vo- 

‘1, 





Livre 
V. 


JEAN 


COLONNE. 
RARE MG 


sr 


sto HISTOIRE DES ROMMES ILLUSTRES 


lonté de ce Cardinal, que le jeune Colonne fut envoyé ; 
avec un Gouverneur , dans les Ecoles de Paris , pour y 
aprendre les Belles-Lettres, & tout ce qui pouvoit le métre 
en état de foutenir avec honneur les efpérances qu'on avoit 
conçüëés de lui. On peut dire cependant , qu’il ne répondit 

u’en partie aux intentions de fes illuftres parens , & à leurs 
défirs. Son aplication à l'Etude , fes progrès dans les Sien- 
ces , fes vertus , fa modeftie, fa prudence, fa retenuë : c’eft 


_ce qu'ils voyaient, ou ce qu'ils aprenoient avec complai- 


fance : ils n'étoient point fâchés qu'il fût pieux. Mais il leur 
arut qu'il portoit trop loin , & fa ferveur , & le mépris qu’il 
Eoit déja des grandeurs ,- ou des vanitez du fiécle. Leur 
furprife fut gran e ; & cependant elle n'épala pas leur aflic- 
tion , quand ils furent , qu'atiré par les prédications du Bien- 
heureux Jourdain de Saxe , Jean Colonne s’étoit retiré chez 
les Freres Prêcheurs , pour s’y confacrer au fervice de Dieu, 
dans un état de pénitence. a 
Si cette démarche déplut beaucoup à la Famille, elle fut 
furtout fort défagréable au Cardinal de fainte Praxede , qui 
réfolut dès-lors de mètre tout en ufage pour la traverfer. Il 
avoit aflez de crédit , pour ne point manquer de fidéles amis, 
empreflés à le fervir. NT mu Ecléfiaftiques de Paris fu- 
rent de cenombre. Et le Gouverneur , qui avost fuivi Jean 
Colonne en France , eut ordre de renouveller fes plus vives 
inftances , & de faire tous fes éforts , pour lui perfuader 


* de quiter l'habit de Religieux , pendant que le Cardinal fo- 


licitoit un Bref de Sa Sainteté, pour lui en faire un comman- 
dement exprès. Les nouvelles pourfuites du Gouverneur , 
& les is ss {olicitations de tous ceux qui s’étoient joints 
à lui, furent également inutiles : ils avoient bien obtenu des 
Supérieurs la permiflion de parler au jeune Novice, & de 
l'inftruire de tout ce qu'ils avoient ordre de lui fignifier de 
la part de fes parens ; mais de quelque adrefle qu'ils puffent 
fe Érvir pour tenter fa conftance , ils le trouvérent toujours 
inébranlable dans fes réfolutions : il les confondit par la fa- 
gefle de fes réponfes ; & fa fermeté les déconcerta. Fe 

Cependant le Pape Grégoire IX , voulant éxaminer lur- 
même la vocation du nouveau Religieux , lui écrivit de fe 
rendre en Italie ; & fur cet ordre, Jean Colonne partit aufli- 
tôt de France. Mais toujours réfolu de demeurer ferme dans 
fa vocation , il pria le Pere Jourdain de Saxe de condure 


“DE LORDREDES. DOMINIQUE. s1r 
cette afaire ; & il en atendit le fuccès de la bonté de Dieu, 
qui, après l'avoir apellé à fon fervice, lui donnoit encore 
le défir d'y perfévérer jufqu'a la fin. L'ancien Auteur du Li- 
yre intitulé , les Wies des Freres, aflure que le généreux Sol- 
dat de JESUS-CHRIST eut de rudes affauts à foutenir , & de 
fortes épreuves à efluyer ; mais que fa fidélité à la Grace , & 
la fermeté de fon ame furent encore plus grandes que tou- 
tes ces épreuves (1). Cette conftance , à laquelle on auroit 
bien dû s'atendre , kffa celle des parens , & la fit changer en 
admiration. Le Cardinal de fainte Praxede, lui-même, re- 
connoiffant enfin la conduite de Dieu dans celle du jeune Re- 
ligieux, ne voulut plus s’opofer à une vocation fi marquée. 
I! aprouva , il loua: même ce qui l’avoit d’abord irrité dans 
les démarches de ce.cher Neveu (2) ; &1ll’exhorta à mon- 
trer dans toutes les ocafions la même fidélité à fuivre la voix 
du Seigneur , & à acomplir fa fainte volonté. 

Tranquile déformais dans fa retraite,en la compagnie de tant 
de fervens Religieux, qui travailloient tous comme à l’envi, à 
mourir tous les jours au Monde & à fon efprit , Jean Colonne 
fût profiter de leur éxemple, & imiter leur ferveur, pour 
aquérir lui-mèrne la perfettion de fon état. Sa piété étoit 
tendre & folide ; & le grand défir qu'il avoit d’aprendre, 
en fe rempliffant toujours de nouvelles lumiéres, n'étoit pas 
moins louable. Il ne vouloit devenir favant , que pour être 
un Homme apoñtolique ; perfuadé que pour fe rendre utile 
au prochain, dans le genre de vie qu’il avoit embraffé , il 
devoit fantifier l'étude par la priére , & perfeétionner la pié- 
té par la fience. L'une & l’autre parurent en lui avec tant d’é- 
clat , qu’on ne fit point dificulté , dès qu'il fut Prêtre, de lui 
confier le miniftére dé la Parole. Ilenfeigna aufñi avec fuccès 
la Théologie dans plufieurs Villes d'Italie. Et dès-lors, il 
commença à compoier quelques Ouvrages , que nous avons 


de lui. 


(1) Hicautem tantæ conftantiæ fuit , & 
fervoris in fuo Novitiatu, quod cum data 
fuiflet audientia Magiftro fuo , ut ci loque- 
retur coram Fratribus multis , adeo confu- 


tur . ... Quantos autem Hbores, quot pau- 
PE fuftinuerit fic ufque ad tempus Pro- 
fefionis fuæ , quis poflet ennarare ? Vir. 
Fratr. Part. I ,» C. X , 6. 3° | 


dit eum in fuis refponfis , licèt multumn effet 
juvenis , quôd ille ftupefaétus cum fuis ab- 
“ceffit. Milk autem Papa Gregorius, ad in- 
ftantiam Avunculi fui Litteras præecepto- 
‘rlas , ut veniret ad eum, & præceptum fu- 
per hoc ad Prælatos ubicumque invenire- 


Ge + 


(2) At demum irà patrui defervefcente , 
imO propofitum Adolefcentis , eo probante 
& laudante, mirüm pietare, Religione, ac 
do&rinä crevit, ut inter illuftriores Ordinis 
Columnas emicuerit , &c. Echerd, TL 
?: 41 8. ° | x 


LIVRE 
V. 


JEAN 
CoLonNe. 
D à 








- 


LIVRE 





JEAN 
CoLonNe. 
D | 


Vide Echard. w @. Il ne feroit pas facile de dire 


._ augmenta 


Aut, du XIII fécle, 
£.270. 


vincia , Salutem , & Apoltolicam Benedi- 


«12 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Ce travail fut fans doute fouvent interrompu par les difé: 
rens Emplois, qu'il remplit dans fon Ordre. Dès l'an 1240; 
Jean Colonne eut le Pere Humbert de Romans pour fon Suc- 
ceffeur,dans la Charge de Provincial de la Province de Rome + 
& l’obéiffance l’obligea de de p le même Emploien 1 247. 

a quantité de Sujets, qu'il reçut , 
ni de marquer le nombre de nouveaux Monaftéres, dont il 
Es Province. Il la gouvernoit encore avec autant de 
zéle , que de fageffe , lorfque le Pape Innocent IV lui adrefla 
fes Lettres Apoñtoliques du deuxième jour d'Avril 1253 , pour 
l'exhorter à continuer fes Prédications , & à employer tous 
fes talens, & le miniftére de fes Freres, à l'extirpation de l’hé- 
réfie , qui faifoit de funeftes progrès dans une grande partie 
de la Tofcane , & dans le Patrimoine même de $. Pierre (1). 
Sa Sainteté lui donna en même tems tous les Pouvoirs, dont 
il avoit befoin pour cette fin ; & lui acorda divers Privilèges, 
qu'il fit fervir au bien de la Religion. | 
Après la mort de ce Pape , Aléxandre IV fon Succeffeur ; 
bien inftruit des mérites de Jean Colonne, le fit Archevêque 
de Meffine , Ville Capitale de la Province de Démona, dans 
le Royaume de Sicile. Et afin que revêtu d’une plus grande 
autorité, il eût auf plus d’afcendant fur l'efprit des Peuples, 
pour les retenir dans l'obéiffance du Saint Siège , ou pour les y 
rapeller , le Vicaire de JEsUs-CHRIST le nomma fon Légat 
Apofñtolique dans le Pays. M. Dupin ajoute qu'il fut fait en 
même tems Gouverneur de Zauromine. Mais les anciens Au- 
teurs ne parlent point de ce Gouvernement. Fazzellus, dans 
fon Hiftoire de Sicile , fur l’année 124$, dit que les Habitans 
de Mefline ayant enfin abandonné le Pari de Mainfroy, pour 
fe foumétre au Pape Aléxandre IV , Sa Sainteté leur donna 
Jean Colonne pour Archevêque , & Légat; & que Jâques 
Dupont fut envoyé avec lui en Sicile, en qualité de Gouver- 
neur de la Province (2). | 


(1) Innocentius. ... dileéto Filio Fra- | diftritè præcipiendo mandamus , in re- 
tri Joanni de Columna Priori Provinciali | miflionem tibi peccaminum injungentes, 
Ordinis Prædicatorum, in Romana Pro-| quatenus per te, ac Priores , feu Fratres 

Ordinis Prædicatorum , tux curæ commif- 


étionem. fos, quosad hoc videris opportunos , con- 


Tunc potifimé conditori omnium ac- 
ceptabile obfequium exhiberur , cum pro 
Catbolicæ confervatione Fidei | cujus eft 
ipic perpetuum, ac ftabile fundamentum , 
purà intentione fervitur ..... hinc cit, 
nuod devotionituæ per Apoftolica Scripta 


tra Hzæreticos in patrimonio Beati Petri ,10 
Tufcia conftitutos , ficuc diligentius, 8&c 
efficaciüs' poteris , prædices Verbum Cru- 
cis, &c. In Bullar. Ord.T. I , p.130. 
(2) Il Potefice fece Legato di Meffina 
Gioanni Colonna Arcivefcovo di effa citta; 


Les 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 513 


Les afaires étoient toujours fort brouillées dans toutes les 
rties de cette Ifle : Après les longs démêlez des Papes avec 
‘Empereur Frédéric IL, &'avec fes Defcendans , on étoit en- 
‘core en éloigné de voir renaître cette heureufe tranquilité, 
i étoit l’objet des vœux des Fidéles, mais au bilan 

e laquelle les plus intéreflés ne s’emprefloient point de tra- 
vailler. Les Peuples , les Grands du Royaume, le Clergé 
même, tout étoit divifé. Ceux-ci reconnoifloient un Maître ; 
& ceux-là paroifloient n’atendre qu’un nouveau fignal de ré- 
volte, pour fe déclarer en faveur d’un autre. Les * Apr de 
Mefine, après bien des variations, dociles enfin aux fages 
avis, aux exhortations patétiques , & aux remontrances de 
leur Archevêque , réfiftérent quelque tems aux folicitations 
des Partifans de Mainfroi, mépriférent leurs menaces , & pa- 
rurent réfolus à demeurer déformais fidéles au Vicaire de 
JEsUus-CHRIST. L’'habile Légat, & ee Pafteur ne man- 
qua pas de profiter de ces heureufes difpoñtions, pour tra- 
vailler utilement à la réconciliation, & au falut de fon Peu- 
ple , foit parfes inftruétions , fes vifites , fes confeils , fes éxem- 
ples ; foit par tous les autres moyens , que le zéle pouvoit lui 
infpirer , pour régler fon Clergé, pourvoir aux befoins des 
pauvres, réunir les Familles divifées, & corriger une infinité 
d'abus, que la coutume, ou l’efpérance de l'impunité fem- 
bloient autorifer. Les malheurs des guerres n'avoient.que trop 
afoibli, dans les cœurs des Fidéles, les fentimens E pièté 
chrétienne : & notre charitable Prélat, qui en avoit des preu- 
ves fenfibles fous les yeux, travailloit avec d'autant plus d’ar- 
deur , à fermer ces ei hrs faires à la Religion , qu'il compre- 
noit bien que la paix , dont on commençoit à gouter les pre- 


Livre. 
V. 


JEAN 
CoLonNNeE. 








miéres douçeurs, étoit trop peu afermie , pour être de longue 


durée. | 
__ Ce que le Serviteur de Dieu avoit prévû ariva. Mainfroi, 
après avoir quelque tems sé d'amufer la Cour de Rome, 
tantôt par des promeffes peu fincéres , & tantôt par des pro- 
jets d’'acommodement , qu'il ne vouloit point éxécuter, recom- 
mença avec plus de vigueur . jamais la guerre, qu'il avoit 
entreprife pour s’aflurer un Trône, où il n’étoit monté que 
par un crime, & en méprifant les droits du Saint Siége. Ses 
armes furent d'abord heureufes : Maître de prefque toute la 


& Jacopo di Ponte fece Governatore , &c. Fazxel. de rebus ficulis, Lib. VIII, C. 1114 


Tome I, Ttt 


Livre 
V. 


JEAN 


_CoLonns. 
SRE 








s14 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Pouille , il pouffa fes conquêtes dans le Royaume de Sicile. 
Quelques Villes lui ouvrirent les Portes ; & il en emporta 

lufieurs de force. Meffine fuivit le torrent ; & foumife au 
Prince vidorieux , elle. ceffa de l’être au Souverain Pontife.. 
Notre Archevêque ne fe retira auprès de Sa Sainteté,qu’après 
avoir inutilement employé tout ce que le zéle, la prudence, 
& la charité d’un bon Pafteur peuvent métre en œuvre, pour 
ramener les efprits, & faire re le calme aux plus vio- 
lentes agitations. 

Nous ne faurions marquer précifément le moïs, ni l’année, 
que la Ville de Mefline eut le malheur de perdre un Prélat, 
qu’elle ne méritoit point de pofféder. Ambroife T'aëge, qui l’a- 
pelle un homme digne de toute louange, véritablement grand 
par fa religion , fa piété , fa doftrine, & fa haute réputation, 
avoue qu'on ignore le tems de fa retraite (1). Il eft certain 

u’en fortant du Royaume de Sicile , Jean Colonne revint à 
Cyr ; où il pañfa plufieurs années ocupé de la priére , & de fes 
Livres , édifiant fes Freres par l’'éxemple defes grandes vertus , 
& profitant du repos de la folitude pour metre la derniére 
main à fes premiers Ouvrages, ou pour en écrire de nou- 
veaux. Le Saint Siége continuoit cependant à l’honorer tou- 
jours de fa confiance ; les Papes fe déchargeoient fur lui d’une 
partie. de la folicitude Paftorale ; & le Succeffeur d'Aléxan- 
dre IV , l’établit fon Vicaire à Rome: cette __ n'étoit 
pas encore afeétée , comme elle l’a été depuis, aux feuls Car- 
dinaux. Une ancienne Infcription , qu’on voit dans notre 
Eglife de fainte Sabine , porte qu’en 1263 Jean Colonne , Ar- 
chevêque de Meffine , & alors Vicaire du Pape UrbainIV (2), 
confacra dans la même Eglife un Autel en l'honneur de faint 
Pierre Martyr , & acorda diverfes Indulgences au Peuple. IF 
étoit donc déja à Rome en 1 263 , huit ans après avoir été facré 
Archevèque de Meffine : & quoiqu’abfent de fon Eglife ; 1E 
n'avoit pas encore abdiqué cette Dignité. | 

(1) Frater Joannes ex Nobili Columnen- !  (r) Anno Domini 1263, Pontificaus 


fum Familia Romanorum ortus, Archic- l'Urbani IV anno fecundo , iftud altare fuie: 
pifcopus Meffanus in Sicilia, per Domi- | confecratum ad honorem Beati Petri Mar- 
aum Alexandrum IV affumptus ex Provin- | tiris, Ordinis Fratrum Prxdicatorum, quan- 
cialatu Romanx Provincix anno Domini | do eft ftatio-apud Sanétam Prifcam in tertiæ 
325$, vir fuic omni laude dignus, Reli- | Feria Hebdomadæ fanétæ , per vencrabilcn 
gione confpicuus , dotrinà clarus, vità | Patrem Fratrem Joannem de Columna Ar- 
fncerus , & famä celeberrimus. Quo autem | chiepifcopum Meflanenfem, Vicarium tune 
temporc receflit, mihireftatignotum. 4p. |temporis Domini Papæ Urbani IV. 

Ebard. T, I , ?- 41h 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. sts 


On fait que trois ans après cette date Charles d'Anjou ; Livre 
Frere de faint Louis, apellé en Italie par le Pape Clément IV, __ V. 
& couronné Roi des a Siciles , défit Mainfroi , & réta- JEAN 
- blit la tranquilité dans le Pais. Mais nous n’avons point de  Cozonwe. 
reuve que l’Archevêque de Meffine ait repris la conduite de === 
on Eglife , foit à caufe de la légereté naturelle ( pour ne: 
point dire de la perfidie ) d'un Peuple, juftement acufé d’a- 
voir toujours aimé fes T'yrans , & de ne s’être jamais montré 
conftanment fidéle à fes légitimes Maïtres (l'Hiftoire nous 
fournit bien des éxemples de l’un & de l’autre), foit que l’a- 
mour de l'étude & de la vie intérieure lui ait fait ie la 
tranquilité du Cloître au tumulte & à l'embarras des afaires. 

Celle du falut lui parut toujours la feule néceffaire ; & il en 
fit fon unique ocupation le refte de fes jours. Tous les Hifto- 
riens aflurent , qu'il mourut dans une heureufe vieilleffe ; 
& aucun ne marque l’année de fa mort. Nous ne pou- 
vons la placer qu'après l'an 1280 ; puifque par fes pro- 
is Ecrits, il paroit qu'il a furvêcu au Bienheureux Al- 

ert le Grand, décédé : quinzième jour de Novembre de 
cette année. | | 

Parmi les Ouvrages de Jean Colonne , on remarque fon 
Traité de la Gloire du Paradis , & un autre intitulé , du Mal- 
heur des Gens de Cour. Mais les principaux , ou les plus éten- 
dus, regardent l’Hiftoire. Celui qu'il a fait des Fe ile 
luftres , foi Gentils , ou Chrétiens , n’a pas été imprimé , 
ss le trouve quelquefois cité par les Auteurs. Les 

ominicains de Vol en confervent un Manufcrit dans 
leur Couvent apellé des faints Jean & Paul. Le Pere de Mont- 
faucon, qui l’avoit lù dans fon voyage d'Italie, en parleavec P#% alé, 
eftime ; & le Pere Echard en a pris une de fes preuves con- 
tre M. de Launoy , pour affurer au Doéteur Angélique fa 
Somme de Théologie, par le témoignage de Jean Coins ; 

Auteur non-feulement contemporain de faint Thomas, mais 
{on ami particulier ; il l’avoit vû entrer dans l'Ordre ; & il 
a vêcu encore plufieurs années après lui. 

Il ne faut pas confondre l’Hiftoire des Hommes illuftres, 
avec le Recueil hiftorique divifé en dix Livres , que notre 
Auteur a apellé /2 Mer x Hifloires. C’eft une Chronique , 
où font raportés les principaux évenemens de pr fiécle , 
depuis la création du Monde , jufqu’au Régne de faint Louis 
Roi de France. L’Abé Tritheme , M. Dupin, plufieurs au- 

tt 1} 


LIVRE 


JEAN 
CoLonne. 
D “hp =, 





In Theatr. Dom. p. 
85 & 93. 


JEAN DE Poe. 
D "7" 


Pag. 91. 
Hift. Ecl. Liv. 
*"LXXXIX ,7,6$. 
Odoric.ad An. 1299, 
a 29, 


316 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


tres Ecrivains en font mention ; & faint Antonin même sem. 
eft fervi. On en trouve divers Exemplaires manufcrits dans 
la Bibliothèque du Roi , avec ce titre : Mare Hifloriarum 
compofitum à Fratre Joanne de Columna Romano , Ordinis 
Fratrum Praedicatorum. 

Dans le fepriéme Livre de cet Ouvrage , l’Auteur nous 
aprend qu'il avoit été envoyé Légat en Orient , avant fa pro- 
motion à l’Archevêché de Melle (1). Mais parmi tant k au- 
tres faits, dont nous ne fommes point inftruits, par la né- 
ghigence des Hiftoriens , nous ignorons l’année & le fujet de 
cette Légation. Cette négligence néanmoins eft encore plus 

ardonnable que la méprife, ou l'anachronifme groffier de 
ms ; felon lequel , Jean Colonne fait Archevèque de 
Meffine par Aléxandre IV en 124$, fut transféré à l'Eglife 
de Nicohe , Capitale de l'ffle de Chypre , fous le Pontificat 
du Pape Innocent VI, l'an 1360 ; c'eft-à-dire , cent cmq ans 
depuis fa confecration , & plus de foixante-dix après fa mort. 

Le même Auteur s'eft aufli trompé , en parlant d'un autre 
illuftre Perfonage , dont nous allons raporter ce que nous 
avons pü recueillir de quelques Bulles des Papes, & des An- 
nales one, n | - 


JEAN DE Poze , Noble Pifan, de l'Ordre des Fre- 
res Prêcheurs , n’étoit point Archevêque de Genes , ainft 
que l’a crû Fontana ; mais comme le remarque M. Fleur: 
après Oderic Rainald , 1l fuccéda vers la fin du treiziéme fié- 
x 7 au Cardinal Thieri Rainier, dans l'Archevêché de Pife. 
Boniface VIII, qui l’avoit élevé à cette Dignité, le fit facrer 
par le Cardinal Mathieu d’Aqua-Sparta Évêque de Porto, 
& lut fit donner le Pallium par le Con Diacre Mathieu 
Rofli des Urfins. Le même Pape, l'an 1299, adreffa une 
Bulle à cet Archevêque , pour permétre au Clergé de la Ville 
& du Diocèfe de Pife , de donner une fubvention charitable 
à la République , dans fes preflans befoins. Tout cecr fe 
pañla pluñeurs années après la mort de Jean Colonne , que 
quelques Modernes n’ont fans doute confondu avec Jean de 


* (r) Fuir Frater Joannes de Columna Ne- | Cardinal Colonne, ou à fon Neveu, qu'on 
pos Domini Joannis Cardinalis , Legatns in| doit l'atribuer. Mais dans les paroles que. 
Gracia , qui poflnodum Archiepi-copus Mef- | nous venons de raporter , conformément à 
Jancnfis. Lib. VII, Cap. 161. De la ma- | un autre Manufcrit, il ne peut y avoir d'és 
nierc qu'il eft parlé de certe Légation dans | quivoque, 

un Exemplaire , on peut doutes fi c'eft au 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. Si | 
Pole, ue parce Es l'un & l'autre {ant quelquefois apellés LIVRE 
par les Anciens , Jean Romain ; Je ler > parce quilétoit … V. 
natif de Rome ; & le fecond ; à caufe qu'il apartenoit à la Pro- Jean De Pour... 
vince Romame. "2"... V4. 

. Ce Prélat, non moins recommandable par fes talens & 
fes vertus , que par fa naïflance , ne fut transféré du Siège de 
Pife à celui de Nicofe , que par le Pape ClémentV, l’an:1 312. 
H porta: fort loin: fa’ folicitude paftorale pour fa nouvelle 
Eplife , & fes atentions pour régler’ le Clergé, & les fimples. 
Fidéles. Cette vigilance devoit paroïître Ë autant plus né- 
ceflaire , que depuis long-tems , l'oubli, ou le mépris des 
chofes faintes , & le déréglement des mœurs étoient extrêmes 
parmi les Cypriots. Les Grecs fchifmatiqués , alors fort ré. 
andus dans cettefle ; n'y" étoient point d’un:bon éxemple.. 
Mais Jes Latins qui s'y étoient réfugiés ,: après que les Sara-, 
fins les eurent chaflés de toutes les Places qu'ils ocupoient 
en Syrie, avoient porté la corruption & l'irréligion aux der- 
niers excès. Ce fut pour chercher les moyens de détruire l’une 
& l’autre , quenowe Archevêque aflembla quatre fois le Con- 
cile de fa Province... Nous avons des monumens de fon zéle , … Vide Echard, T. 1; 
aufli-bien que de fa fagefle , dans les Ordonnances quil fit * ** 
ublier dans ces diférens Synodes ; & dont les Manufriite {e 
font long-tems confervés parmi les autres Conftiturions de 
l'Eglife de Nicofie. On les a fait imprimer dans l'onziéme 
Tome des Conciles généraux. Un 
_ On ne nous a point apris dans un plus grand détait ce ” 
qu'il avoit fait pour la gloire & l’utilité de l'Eglife de Pie, . : 
endant les treize années qu'il en avoit eu la conduite. L'Abé Pr 
Ü hel, dans fon troifiéme Tome de l'Italie facrée, ne parle 
que de la fermeté de ce Prélat, ou de fa vigilance à confer- 
ver en leur entier les draits, dont les Arc evêques de Pife 
étoient alors en pofleffion dans toute la Sardaigne foumife. 
à leur Jurifdi@ion fpirituelle. ne 
_ Le même Ecrivain fait mention tout de fuite de deux au- id. col. ccccxen 
tres grands Perfonages ; Odon de Sala , & Simon Saltérelli sr 
l'un LA l'autre de l'Ordre de faint Dominique » qui fe fuccé- 
dérent dans le même Siège : nous raporterons ailleurs leurs: 
belles aétions. Mais, pour n'être point obligés de revenir à 
Jean de Pole , nous croyons achever fon éloge , & faire fufi- 
fanment connoïtre fes qualitez , en traduifant ici quelques 
lignes du Bref, que lui avoit adreffé Boniface VIIT , en l’éle- 
 Tttiÿ | 


518 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE. yant furle Trône Archiépifcopal de fa Patrie : | 

; “ Egalement atentifs, difoit ce Pape , à remplir-fans'au- 

JEAN De Pore. » Cun délai le Siége de Pife , & à ne conférer cette Dignité. - 
———— » qu'à un Sujet d'une vertu éprouvée, digne par fa rendre 

» Charité , de toute la confiance des Fidéles qui feront com- 

» mis à fes foins, & capable de leur procurer par fa pru- 

» dence une tranquilité parfaite ; Nous avons d’abord porté 

» nos regards fur vous, dont la nobleffe ;: l'érudition , la pu- 

» reté de vie , le zéle de la Religion , l’honëèteré des mœurs , 

» 8 les autres vertus nous font pleinement connuës. C’eft 

ÿ ourquoi » de l'avis de nos Freresles Cardinaux , & par. 

» la plénitude de notre puiffance Apoftolique , Nous vous 

; établiffons Archevêque & Pafteur de l'Eglife de Pife , &. 

» vous commétons l’adminiftration de tout ce qui la regarde , 

» tant pour le temporel , que pour le fpirituel, &c (1). 


Ph ét 
::,,.  PAPERONI:; 


EVÊQUE DE FOLIGNI ET DE SPOLETE. 








PAPERONT. À Maïfon de Paperoni a été long-tems floriffante à Ra- 
dm sf me. Elle l'étoit particuliérement dans le treizième fiécle , 
Bern. Guid, lorfqu'elle donna à l'Ordre de faint Dominique un Sujet, qui 


ia, TI pur. lui a fait honneur, & qui a rendu des fervices importans à plu- 
*_ fieurs Villes d'Italie. 

Ce fut dans le Couvent de fainte Sabine , que ce jeune Ro- 

main, déja plus diftingué par fes qualitez d'efprit & de cœur, 

que par la nobleffe de fon Sang , fe confacra au fervice du 

Sels , fous le Pontificat d’Innocent IV. Fidéle à fa voca- 

| tion , il profita fi bien des inftruétions de fes Maîtres , & des 

Fe . éxemples de vertu qu’il avoit fous les yeux , que peu d'années 


(x) Ad perfonam tuam generis nobilitate | Ecclefiæ Pifanæ præfecimus in Archiepifco- 
confpicuam , Litterarum fcientià, mundi-| pum, & Paftorem ;ipfus curam & admi- 
tià vitæ, religionis obfervantià, ac hone- | niftrationem plenariam tibi fpiritualiter , 8@ 
ftare morum, & aliis virtutibus decoratam , | temporaliter committendo., &c. Datum 
direximus aciem mentis noftræ : teque , | Larcrani 1v Idus Februarii anno quinto, 4p. 
Ordinis Fratrum Prædicatorum Profile: Odoric. ad An. 1299., n. 29 ; @ in Bullar. 
tem, de Fratrum noltrorum confilio, & | Ord, T\II, p. 56. 

Apoftolicæ plenitudipe poteftatis , eidemi - , 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. «19 
après fa Profeffion, les Supérieurs trouvérent en lui un Reli- 

eux capable de tous les Emplois , les Peuples un zélé Pré- 
els , les Savans un Doéteur ee habile dans la 
fience des Canons, & dans la Théo 
Pontifes un Sujet en état de conduire faintement les Eglifes , 
dont ils lui confiérent le gouvernement. | 

Paperoni, dont l’Abë Üghel fait fouvent l'éloge, avoit dé- 

ja anoncé avec fruit la Parole de Dieu, & rempli diverfes 
Charges dans fon Ordre , quand il en fut fait Procureur Gé- 
néral en Cour de Rome. Les afaires que cet Emploi l’obligea 
de traiter avec les Oficiers du Saint Siége , firent connoître fa 
capacité, & fa religion; & le Pape Clément IV fit ufage de 
fes talens pour rétablir la paix , le bon ordre , & le Service 
divin dans l’Eglife de Foligni. Cette Ville, quoique dans l’'E- 
tat Ecléfiaftique , avoit fuivi le mauvais éxemple de plufieurs 
autres, pour fe fouftraire à l’'obéiffance du Pape, & s’atacher 
au Parti de l'Empereur Frédéric. Innocent IV , l'an 1243 
‘ l'ayant privée de la dignité du Siége Epifcopal , elle étoit de- 

uis deeurée fans Evêque , & fous l’Interdit, livrée à l’am- 
bio , & à la cruauté de plufieurs petits Tyrañs, qui, pen- 
dant plus de vingt-deux ans, ne parurent ocupés qu’à piller les 
biens , & à répandre le fang du Peuple. Après une longue 
fuite de calamitez, qui fe renouvelloient tous les jours, les 
-Habitans de Foligni, laffés de foufrir , ou de ne travailler qu’à 
la ruine de leur Patrie , rentrérentenfin dans le devoir, &'im- 
plorérent la miféricorde du Saint Siège. Le Pape Clément IV 
écouta favorablement leurs prières , leva auffitôt l'Interdit, 
& les autres Cenfures : & en leur acordant le pardon de leur 
révolte , il leur donna Paperoni pour Evêque. Par cette der- 
niére faveur , Sa Sainteté aflura le repos , & remplit le défir 
des Suplians. ” | nn: 
_ Le nouvel Evêque fut facré à Rome ; & il fe rendit incef- 
fanment dans fon Éclife , dont il prit poflefhon le vingt-fixié- 
me jour de Juin 126$. Se donnant dès-lors tout entier aux be- 
foins d’ün Troupeau LA ra long-tems abandonné, il n’omit 
rien, pour lui faire oublier toutes les pertes qu'il avoit fou- 
fertes, par la ceffation des éxercices de Religion,pendant le feu 
des guerres, & des diffenfions publiques , ou particuliéres. 
Tout le crédit que fa vertu lui donnoit auprès du Saint Pere, 
il l'employa pour rétablir fon Eglife dans fes anciens droits. 


Mais ce qui l’ocupa davantage fut l'inftruétion des Fidéles, Les 


vs les Souverains “= 


Livre 





PAPERONI. 





_ LIVRE 
V. 


PAPERONL. 
DA 








les du Peuple ( 


10 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


mœurs du Clergé n’étoient guéres moins corrompuës que cel- 
Fe routefois on pouvoit apeller un Clergé quel- 

ues triftes reftes , qui en confervoient à peine une ombre, 
& qui n’ofoient en prendre le nom.) Ce fut le premier objet 
du zéle, & de la vigilance de l'Evêque de Foligni. Pour fe 
procurer d’abord des coadjuteurs fidéles dans l'œuvre du Sei- 
gneur , il établit dans fa Ville Epifcopale plufieurs Commu- 
nautez Religieufes , des Servites, des Hermites de faint Au- 
guftin, & des Freres Prêcheurs. Sage Œconome de fes reve- 
nus , il pourvut abondanment aux néceflitez des pauvres Fa- 
milles, & fit conftruire un Hôpital , auquel!il affigna les fonds 
néceffaires , pour le meubler, & l’entretenir. Chaque année 
il donnoit quelque nouvelle preuve de fa charité, ou de fa li- 
bérahté envers rout un Peuple , Qui le regardoit avec raifon, 
non-feulement comme fon Pafteur, & fon Pere fpirituel , 
mais auf comme le reftaurateur de fa liberté, delaReligion, 


& de la Patrie. C’eft lui, dit l’'Abé Ughel, qui fit bâtir l'Églife 


de faint Félicien, Martir, & qui fonda une Maïfon pour lo- 


er les Ecléfiaftiques , qui devoient y célébrer l'Ofice divin. 
Los Maïfon & cette Eglife ont été données dans la fuite 
aux Prêtres de l'Oratoire (1). 

Les Prédications d'un Evêque , qui donnoit de fi beaux 
éxemples, ne pouvoient que produire des fruits de vie dans 
tout fon Diocèfe. A fon imitation, les Fideles fe portérent 
avec ferveur à toutes les œuvres de charité , ou de juftice. Et 
comme dans la confufon de la guerre, les plus forts, ou les 
plus hardis , s’étoient emparés de l'héritage de ceux qui n’é- 
toient point en état de leur réfifter ; on commença pendant la 
paix à reçonnoitre le droit d'un chaçun, & à reftituer ce qui 


Denique anno 128$ fuos Prædicatores extra 
muros Fulginii canquam cius Civiratis ex- 
cubias diligentiffimè aéturos, collocavit ; 
ubi poftea nobile fanéti Dominici Tem- 
plum , ac Monafterium magnis fumptibus 


(1) Frater Paperonus ex Paparona gen- 
te, ex Ordine Prædicatorum nobilis Roma- 
nus ; hanc Ecclefiain ( Fulginarenfem ) fuf- 
ecpit regcndam 126$, vocante Clemen- 
te IV....hic eodem anno Eremitanos 


fan@ti Auguftini Fulginium advocavit, ma- 


‘ Snum pictatis incrementum futuros. Erexit 


anno 1270 Xenodochium, ac Confraterni- 
tatem Prefbiterorum difciplinæ fanéti Feli- 


€iani, cum Templo eidem Martiri confe-| g 


crato, quod hoc tempore intra Oratorii 
Boni Jefus tranfifle per{picitur. Anno præ- 
terea 1273 in Diœcefim Fulginatem Fratres 
Ordinis Servorum adfcivit , cætum homi- 
sum gd omnem pictatem unicé factum. 


conftruétum fpeétatur : cujus quidem fun- 
dationis in Epifcopum Paparonum tota laus 
videtur refundi. Hic igitur dum Fulginii 
facros Religioforum Ordines dilatat, adaue 
et.... Honorio IV mandante ad Spole- 
tinorum Epifcopatum tranflatus eft 128$, 
ut qui in omnium Ordinum hemines adco: 
munificus fuerat, etiam aliorfum tanta li. 
beraliras extenderetur, Ita. Sacr. I. I, 
Col, pcXxc1x, 


avoOlé 


-DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. gçu 


avoit été mal aquis. Le pieux Prélat eut le plaifir de voir ce 
qu'une louable émulation, & le zéle du bien public firent en- 
treprendre à quelques-uns de fes Diocéfains, qui confacré- 
rent généreufement une partie de leurs richefles , ou à la ré- 
paration des Murs de la Ville, ou à quelque autre Monu- 
ment, pour l'utilité, ou la fureté des Citoyens. 

Cependant les Peuples voifins enviérent le bonheur de 
ceux de Foligni. Et le dépe de Spolete étant vacanten 1285, 
ce Peuple fe joignit au Clergé, pour faire de vives inftances 
auprès du Vicaire de JEsus-CHRIsT , afin d’avoir l'Evêque 
de Foligni pour leur Pafteur. Honoré IV leur acorda cette 

race. La Bulle fut expédiée ; & le faint Prélat, non moins 

ocile aux ordres du Souverain Pontife, que zélé pour le fa- 
lut de fes Freres , ne refufa pas ce nouveau travail. Mais ce ne 
fut pas fans regret qu'il fe vit féparé d’une Epoufe, - Jui 
étoit chere , & dont il étoit d'autant plus aimé, que depuis 
vingt ans qu'il la gouvernoit , il n’avoit jamais ceflé de lui 
EU toutes fortes de fecours fpirituels & temporels. Auff 

a laiffa-t’il dans un état non moins floriffant , que celui où il 
l'avoit trouvée, étoit trifte à tous égards. 


L'Eglife de Spolete pendant cinq ans profita des éxemples 


de fon charitable Pafteur, & de fes pe” libéralitez. Jene | 


? 


fai fi ce fut en faveur de celle-ci qu'il compofa fon Traité de 
Morale, 2 l'inftruétion des Pénitens, & de leurs Guides. 
La mort de çe faint Homme ariva vers l’an 1290. 





Tome I. _ Vuu 


LIVRE 





PAPERONI. 





522 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE 


V.  SCOCTMNene STD ROIS 


] E A N I Ï o 
ARCHEVÉQUE D’UPSAL. 


UELQUES Hiftoriens comtent cet illuftre Suédois par- 


Jean mi les premiers Difciples de faint Hyacinthe, qui ont 
prêché l'Evangile, &c fait fleurir l'Ordre de faint Dominique 
Bern. Guid. dans les Royaumes du Nord. On croit qu'il étoit natif de Sig- 


Meffenius in Epif. tun , Ville de Suëde autrefois confidérable , & la demeure 
em vra. ordinaire des Rois, avant qu'elle eût été prife , &r facagée par 
Pois les Payens l'an 1187. 

Parmi les jeunes gens , à quiS. Hyacinthe pendant fes Mif- 
fions avoit infpiré le méprisdu monde, & le défis de la perfec- 
tion, Er © diftingua d’abord parfa docilité , & fa ferveur. 

- Dans l'Ecole d’un Apôtre, il parut bien-tôt formé aux Fonc- 
tions Apoftoliques ; il les remplit long-tems avec beaucoup 
de fuccès. S'il n’eft pas le Fondateur du Couvent, que l'Or- 
dre des Freres Prêcheurs a poflédé pendant près de trois fié- 
cles à Sigtun, il eft du moins certain qu'ilen a été un des pre-' 
miers Supérieurs ; & que ; plus que tout autre, il a sp 
à y établir , conferver, ou perfeétionner l'amour de la priére, 
& de l'Etude, & cet efprit de zéle, qui‘avoit fait de cette 
Maifon , un Séminaire d'Ouvriers Evangéliques , toujours 

rêts à rompre le pain de la Parole, pour atirer les Pécheurs à 
a Pénitence , & Îles Infidéles à la Foi. 

Les foins de ce fage Supérieur ne fe bornoiïent pas à garder 
éxaétement les Eee réguliéres dans le repos du Cloi- 
tre, ni à former précifément des Miniftres de la Parole, qu'il 
diftribuoit enfuite felon les befoins des Pays , & des Peuples. 
Mais , à l'éxemple du grand Hyacinthe, qu'il avoit pris pour 
modéle , il fe métoit ordinairement à la têre de ceux qui al- 
loient prècher l'Evangile aux Gentils. Et en fuportant le pre- 
mier, avec une admirable patience , le froid, la faim , la bit ; 
la grofhéreté, ou l'ingratitude des Barbares , & toutes les ri- 
gueurs atachées au faint miniftére , il aprenoit à fes Freres la 
pratique de ces maximes de perfeëtion , dont il leur avoit 
donné des leçons dans la retraite, 


Le 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 513 
Ses travaux toujours utiles à l'Eglife , & la réputation de fa 
fainteté portérent le Pape Clément IV l'an 1268 à le faire fa- 
crer Evêque d’Abo , Ville de Suéde , Capitale de Finlande. Il 


ne confidéra pas cette ja comme une récompenfe düë à fes 
| | 


travaux: aufh ne fut-elle pas pour lui un prétexte de fe dif- 
enfer du miniftére de la Parole, ou des fatigues de l’Apofto- 
at. Pérfuadé au contraire que la qualité de Succeffeur des 
Apôtres l’engageoit à nville avec une nouvelle ferveur à 
la propagation de la Foi, & au falut de ceux, que JEsuSs- 


CHRIST a rachetés de fon Sang , notre zélé Prélat continua 


fes Miffions dans toutes les parties de fon vafte Diocèfe, & 


hors de fon Diocèfe. Pendant fon long x rue il ne ceffa 


de catéchifer , & d’inftruire ; de combatre le déréglement des 
mauvais Chrétiens, ou l’aveuglement des Incrédules ; & d’a- 
Jouter à fes Prédications , prefque continuelles , de ferventes 
priéres , & de rigoureufes mortifications. Le Seigneur bénif- 
fant le zéle de fon Miniftre , & fa perfévérance, après avoir 
converti un grand nombre de Payens , détruit leurs Idoles 
& anéanti le culte fuperftitieux , il mit enfin en honneur les 
faintes pratiques de la Religion Chrétienne dans des Pays, 
où elles n’avoient pas encore été connuës. | 

Si nous fommes aujourd’hui privés d’un plus ample détail, 


so pourroit nous inftruire , en nous édifant , il faut fans 


oute l’atribuer à la malice des Difciples de Luther ; qui, en 
renverfant les Eglifes , & les Autels, que le pieux Evêque, 
& fes Succeffleurs avoient confacrés au vrai Dieu, fur les 
ruines du Paganifme, ont en même tems afeëté de brûler les 
Papiers , & de détruire tous les autres Monumens, qui au- 
roient pü nous aprendre l’établiflement de la Religion Chré- 
tienne dans ces Provinces du Nord, & les belles ations de 
ceux, dont la Providence avoit voulu fe fervir pour ce grand 
Ouvrage. 

Nous n’ignorons pas cependant que le Siége d’'Upfal ayant 
Le près de quatorze ans, après la mort de l'Archevêque 
Fulconis, dont les Hiftoriens te le zéle & les vertus, 
notre Evêque d'Abo fut transféré par le Pape Nicolas IV , à 
cette Eglife Métropolitaine, dont il étoit déa Sufragant. Il 
en connoifloit tous les befoins ; & 1] n'eut garde de les négli- 
ger. Mais peu content de pourvoir d'abord, foit par fes inf- 
truttions familiéres , foit par le miniftére de fes ” 2 .àce 
qui prefloit davantage, | porta fes vüés "+ loin. Inftruit 

| | 4 V'uu 1} 


Livre 


JEAN II. 





Bullar, Ord. Le Te 


p. fous 


Echard,T.1,p. 419 


Bullar, T: 11 , P-. 36e 


324 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE par une longue expérience que le libertinage , la corruption 
V. des mœurs , & les ar trop répanduës parmi les Peu- 
JEAN IL Ples, étoient une fuite prefque néceflaire de l'ignorance des 
=” Miniftres chargés de leur inftrution , le charitable Archevé- 
| que forma le projet d’un Etabliflement , qui pût fervir dans la 
ite des tems à fournir de bons Sujets, non-feulement à fon 

Epglife , mais à toutes celles de la Nation. | 
Le Doyen du Chapitre d'Upfal, homme riche & capable 
de faire un faint ufage de fes richefles, entra avec joye dans 
le deffein du Prélat ; & ayant acheté une Maifon avec quel- 
_ Jardins dans la rue Serpente à Paris, on les deftina à l’u- 
age d'un Collège en faveur des Etudians Suédois , qui vien- 
droient aprendre la Religion, & les Siences , dans cette Capi- 
tale de notre France. Le Doyen fit une partie des dépenfes né- 
ceffaires pour cette Fondation. Et l'Archevêque , avec le con- 
fentement du Chapitre , afligna une portion des revenus de 
Vide Echard, ut fp, fon Archevêché, pour l'entretien des jeunes Etudians. Ildreffa 
lui-même les Statuts, qui devoient être toujours obfervés dans 
ce Collége. Cet A&e, raporté en entier par Scheffer, fut 
figné à Upfal dans le mois d'Avril, pendant l'O@ave de Pi- 


ques 1291. 


? 


La même année notre Prélat , devant fe rendre à Rome, 
foit pour y recevoir le Pallium , felon Fufage du tems, foit 
pour quelques afaires de fon Eglife, prit fa route par la Fran- 
ce , dans le deffein de venir à Paris, pour métre la derniére 
main à fon ouvrage. Mais à peine arivé à Provins dansla Brie, 
1l fut ataqué de la maladie, dont il mourut le huitième de Sep- 
tembre 1291. On enterra fon corps dans l'Eglife des Domini- 
cains à Provins , où on voit encore fon tombeau, c’eft-à-di- 
re, le lieu de fa fépulture ; car 1l eft certain que huit ans après 
fa mort fes cendres furent tranfportées par ceux de fa Nation, 
à Upfal, & de-là à Sigtun ; où l’on prétend que Dieu a fait 
éclater la fainteté de fon Serviteur par des miracles (+). 

hid. Cette mort n’empêcha pas l’entiére éxécution du projet 

our l’Etablifiement des Etudians Suédois : & felon le Pere 
Échard , le Collége fondé à Paris en leur faveur a fubfifté juf- 
’au commencement du feiziéme fiécle. Il ne fut abandonné, 
& enfuite détruit, que lorfque les Suédois s'étant malheureu- 


(1) Sui tamen CAPE ejus ibi non reli- | clefia noftra Sigtonienfi condiderunt, quem 
querunt ; {ed ex ejus ultimä voluntate , an- | & ferunt Miraculis claruifle, Echard. ns fp. 
no 1299 in Sueciam tranftulerunt ; & in Ec- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. .s26 


fement féparés de la Communion de l'Eglife Romaine, pour 
embrafler la prétendué Réforme de Luther , ils n’envoyérent 
plus leur Jeuneffe dans les Ecoles Catholiques. 


SISSSSYISSSSSSISISSSSSS 
BARTHELEMI VARELLI 


DE LEONTINO : 


EVÈQUE DE LIPARI: 
ET 


SIMON DE LEONTINO, 
EVÊQUE DE SIRACUSE, 


AMBASSADEUR DU ROI DE SICILE 
A LA COUR D ARAGON. 


A Ville de Léontino , dans le Royaume de Sicile, don- 

na dès le treizième fiécle plufeurs grands Perfonages à 
l'Eglife , & à l'Ordre de faint Dominique. Les deux Prélats, 
dont nous allons raporter quelques traits, avoient honoré en 
même tems l'Etat Tr par la régularité de leur vie; & 
depuis plufieurs années ils conduifoient fagement leurs Egli- 
fes , lorfqu'ils virent éclater la confpiration prefque générale 
des Siciliens contre leur Souverain. La prudence des deux 
Evêques dans ces circonftances critiques parut également, 
quoique d'une maniére diférente. Le premier avoit prévû la 
prochaine révolution, & il s’étoit mis en devoir de la détour- 
ner. Le fecond ne travailla pas avec moins de zéle à en arêter 
le progrès. | 


BARTHELEMI VARELLI, f{elon l'Abé Ughel, étoit 
Evèque de Lipari depuis l’an 1252, lorfque le Pape Inno- 
cent Î[V deux ans après, le chargea encore de l'Éplife de 
Patti , uniffant en fa faveur ces deux Evêchez , tous deux Su- 

| Vuu 1 


LIVRE 


BARTMELEMI 
VARELLI: 





Ital. Sacr. T.], Cols 
DCCLXXYLH 


Livre 
V. 


| 
_ BARTHELEMEI 


VARELLI. 


lbid 


526 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


fragans de l’Archevêque de Mefline. La réputation de do&ri- 
ne, & de fagefle de ce Prélat avoit perfuadé au Vicaire de 
JEsus-CHRIST, & au Sacré Collége, que l’une & l'autre Eglife 
fous fa conduite ne pouvoit que profiter beaucoup , tant dans 
le fpirituel , que dans le temporel. Varelli répondit en éfet à 
toutes les efpérances qu'on avoit conçüës de lui: pendant 

rès de trente années, qu’il gouverna le Troupeau confié à fa 
Élicitude Paftorale , il ne parut ocupé que du foin de le con- 
duire dans la juftice, & dans la paix. Philippe , fon Prédécef- 
feur dans l’'Evêché de Lipari, s'étoit comporté , moins en 
Pafteur qu’en Mercénaire , puifque felon l’expreffion de Pyr- 
rus cité par l’Abé Ughel, il avoit diffipé le bien de fon LT ; 
en négligeant le falut des ames. La diligence de notre Prélat 
répara l'une & l’autre perte. Atentif à l'inftru@ion des Fi- 
dèles , il fit rendre en même tems à fon Eglife tousJes biens, 
dont on l’avoit injuftement dépouillée ; & pour prévenir une 


femblable diffipation , ou aliénation , il obtint du Roi de Si- 


cile Charles Premier, la confirmation de tous fes Droits, & 
Privilèges. 

En 1281 il fe rendit à la Cour du Pape Martin IV, pour 
inftruire Sa Sainteté des plaintes, que Cat les Siciliens 
contre le gouvernement, ou les excès de quelques Oficiers 
du Roi. C'étoit précifément dans le tems que le perfide Jean 
de Procida , pour enlever la Sicile à ce Prince, pr avoir 


. femé des difcours capables de corrompre la fidélité des Sujets , 


travailloit à lui fufciter de puiffans Ennemis dans la Cour de 
Conftantinople , & dans celle d'Aragon. Les defleins de cet 
homme mr n'étoient encore bien connus que de fes 
Complices ; mais certains bruits confus , qui commençoient à 
{e répandre fourdement, le murmure A , le mécon- 
tentement des Grands ; tout cela devoit fans doute réveiller 
l’atention des perfonnes fages. Notre Prélat y fut atentif ; & 
le danger lui parut affez prochain , pour qu’il allât lui-même 
chercher le reméde, où il croyoit pouvoir le trouver. Mar- 
tin IV étoit dans les intérêts du Roi de Sicile , & en état d'agir : 
éficacement , foit envers les Siciliens Vaflaux de l'Eglife Ro- 


maine, foit auprés de Charles Premier , pour le porter à mé- 


nager des Efprits naturellement remuans, & à faire obferver 
une plus éxaéte difcipline à fes Troupes. Ce fut donc à ce 
Pape que s’adreffa l'Evêque de Lipari ; mais s'il fit connoître le 
péril, dont on étoit inenacé de près ; il paroît qu’on le méprifa 


\ 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. s27 


trop, ou qu'on ne fit pas aflez de diligence pour le détourner. 
Dès le mois de Mars de l’année fuivante , les Conjurés levé- 
rent le mafque , & firent périr prefque dans le même jour tous 
les François répandus dans le Roues de Sicile. Hommes , 
femmes , vieillards , enfans , tout fut inhumainement mafla- 
cré. La brutale fureur des Révoltés n’épargna pas même le 
fruit , qui étoit encore dans le fein de fa mere. 

Cet horrible carnage , qu'on a apellé depuis les Vépres Si- 
ciliennes , ariva le Lundi de Pâques, trentième de Mars 1282. 
Il commença à Palerme ; & il fut imité dans toutes les Parties 
de l'ffle , que le Roi Charles Premier perdit pour toujours. 
Mais l'Île de Lipari, quoique dépendante de la Sicile, de- 


LIVRE 
V. 


BARTHELEMI 
VARELLI. 
D er à 








meura fidéle à fon Prince, ce qu'on peut atribuer en partie à 


la vigilance du fage Pafteur , qui mourut bientôt après, plein 
de jours & de mérites. 


_ SIMON DE LÉONTINO , Fils d'Alaymi, Grand-Jufticier 
du Roi de Sicile, ayant pris l’'Habit des F reres Prêcheurs dans 
le Couvent de Catane, fe rendit fort célébre par fes talens, 
fes vertus , & fon érudition. Apliqué d’abord à toutes les fonc- 
tions de fon Ordre , il avoit déja travaillé avec fuccès dans le 
miniftére de la Prédication , & dans les éxercices de l'Ecole, 
lorfque la Providence le retira du Couvent de Mefline , où 
il étoit aétuellement Supérieur, pour le placer parmi les 
Princes de l'Eglife. Le Chapitre de Siracufe l’élut pour fon 
Evèêque l'an 1268 ; & le Pape Clément IV, à quiles mérites 
du Sujet n’étoient pas inconnus , confirma l'Eleétion. 

Nous voudrions qu’on nous eut confervé les Aëtes de{on 
Epifcopat , qui fut long &:glorieux ; puifque pendant près 
de vingt-cinq ans (1) on le vit toujours apliqué à inftruire ou 
corriger fon Peuple, à régler les mœurs du Clergé , à faire 
obferver la Loi de Dieu , à éxercer enfin la charité envers 
les pauvres , & la juftice à l'égard de tous. Telle fut l’ocu- 
pation du Fm Prélat pendant la paix ; mais il redoubla fes 
atentions fu 


un tems de guerre , de trouble & de confufion. 


(t) Simon , aliis Simeon de Leonti- | Siracufanx eleétus eft anno 11:68, & À 
no .... nobili loco natus, Alaymi magni | ClementeIV confirmatus : quam Sedem vi 


SIMON 


DE L£ONTINO. 
D 


Pyrrus , Sicil. facr, 
Lib. IIL, 

Bullar. Ord. T, 1, 
P. $e2. 


r lui-même , & à la garde de fon Troupeau dans 


Juftitiarii , ut aiunt, Reyni Siciliæ Filius , | ginti quinque circiter annis fan@iffimè re- 


Cataniæ ad Ordinem alleétus, eximius fuit | xit, & anno 1292, vel fequenti vocatus 
fua ætate Theologus ; & dum Meffanx Prio- | à Deo abiit ad fuperos. Échard, T. I, 


rem ageret, Epifcopus à Capitulo Ecclefiæ } p. 431, ex Pyrre. 


LIVRE 
V. 


SIMON 


DE LEONTINO. 
Ru: +... à 





528 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Il y avoit déja quatorze ans que le Peuple de Siracufe , fous 
la fage conduite de fon Pafteur , vivoit dans une douce tran- 
quilité , lorfque la féduétion, ou la malice de l’homme enne- 
mi, l’entraîna dans la malheureufe confpiration, dont on vient 
de parler. Il feroit dificile de penfer quelles furent la furprife 
& la douleur d’un Evêque , qui, toujours fidéle à Dieu , & 
fincérement ataché à fon Prince, n’avoit que des entrailles 
de charité pour tous les Fidéles de fon Eglife , quand , dans 
une fubite révolution , il vit ces Fidéles A aux piés tou- 
tes les Loix divines & humaines , égorger impitoyablement 
leurs Freres, & fe couvrir eux - mêmes d'oprobre par une 
cruauté , dont la plus longue fuite de fiécles ne pourra ja- 
mais éfacer le fouvenir , n1 diminuer l'horreur. 

La férocité de ces hommes de fang, n’empêcha pas l'intré- 
pide Evêque de leur repréfenter , avec beaucoup de force , 
toute la noirceur de leur crime, & de leur fermer les portes 
de l'Eglife , en les foumétant à la jufte févérité des peines 
canoniques. Îlne fiten cela que prévenir le Souverain Pon- 
tife ; & 1ilofrit fes fervices ph ps ofenfé. Ce ne fut pas, 
il eft vrai, pour être contre fes propres Diocéfains l’inftru- 
ment de fes vengeances ; mais plütôt pour faire les fonétions 
d'un Miniftre de réconciliation, & Fan Ange de paix. Le 
Roi Charles I le confidéra auf comme tel ; & la confiance 
qu'il avoit en la fagefle de fes confeils , en fon éloquence na- 
turelle , & fon habileté dans les plus grandes afaires , le 
porta à le charger d’une négociation , encore plus dificile 
qu’honorable. | 

Les Siciliens , après leur révolte , avoient apellé à leur fe- 
cours le Roï, d'Aragon Pierre Il; ils s’'étoient donnés à lui, 
& lui avoient ofert la Couronne. CharlesI choifit notre Evé- 
0 pour fon Ambafladeur auprès de ce Prince , afin de le 

étourner du deffein d’envahir un Royaume , qui ne lui apar- 
tenoit point (1). Mais la Cour d'Aragon avoit pris fon parti ; 
&c depuis le mariage de la Princeffe Conftance , Fille de Main- 
froi, avec Pierre d'Aragon , celui-ci avoit fes prétentions 
fur le Royaume de Sicile. L’ocafon de les faire valoir & 
d'agrandir ainfi fes Etats , étoit trop belle, pour ne pas flater 


(1) Poft luétuofam fflam Francorum in | ab eo ad Aragonum Legatus miflus eft , qui 
Sicilia ftragem . . . . Simon nofter Repi fuo | eum à tam iniquo aile averteret ; & ad 
Carolo primo fidiffimus , vir dote Siciliæ refticutionem fpontaneam inclina- 
poritus & folers, orator præterea facyndus, | rer, &c. Echard. ut Jp. ex Pyrro. 


l'ambition 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 529 


l'ambition du Fils de Don Jâques le Conquérant. Il ne faut 
donc pas être furpris fi l'Ambafladeur du Roi de Naples, 
malgré fon habileté & toute fon éloquence, ne pût rien ob- 
tenir. Les Nonces Apoñtoliques du Pape Martin IV, ne 
réuflirent pas mieux : 1 M s'empara fans beaucoup de 
peine de toute la Sicile. Mais le mérite fupérieur de l'Évé- 

ue de Siracufe , lui concilia l’eftime du nouveau Souverain , 
£ lui affura pour toujours la confiance de fon Peuple , qu'il 
ne voulut À as abandonner. Quoique toujours ataché à la 
Perfonne & aux intérêts du Roi de Naples , le Prélat conti- 
nua à gouverner fon Eglife , & àremplir , fans fe lafler , tous 
les devoirs d'un vigilant Pafteur. Sa mort n’ariva qu'en 1292, 
dix ans après h célébre cataftrophe , qui avoit fait répandre 
tant de fang & de larmes. 


ERENE EEE EN EN M ENENEN EEE EEETENUENE 
NICOLAS DEHANAPS, 


PATRIARCHE DE JERUSALEM, 


ET 
LEGAT DU PAPE EN ORIENT. 


Ou s finirons ce Livre, par l’'Hiftoire édifiante du der- 

nier Patriarche de J ae À , Qui ait née en Orient ; 
& qui, à l'éxemple du bon Pafteur, a donné fa vie pour fes 
Brébis. 

Nicolas de Hanaps , ou de Hanapes , ainfi nommé d’un 
Village du Diocèfe . Reims , où il etoit né, entra dans l’Or- 
dre des Freres Prêcheurs vers l'an 1240. Ayant ue l'habit 
de Religieux dans le Couvent de Reims , 1] fit fes Etudes dans 
celui de Paris, & fut Condifciple de Latin Malabranche des 
Urfns, depuis Cardinal. On peut connoître quels furent fes 

rogrès dans la | ses & dans les Siences, par les éloges qu'ont 

Éit de lui les Auteurs contemporains , & par la confiance 

dont plufieurs Papes l’honorérent. Il avoit déja donné quel- 

ques Ouvrages au Public, lorfqu'il fut apellé à Rome, foit 

par le Cardinal des Urfins Evèque d'Oftie , foit peut-être par 
Tome I. | Xxx 


LIVRE 





SIMON 
DE LEONTINO, 
Re 4 


Nicoras 
DE HANAp»S. 


Bern. Guid. 
Nic. Trivet, 
Guil. Nangi, 
L 
Commencemens 
de Nicolas de Ha 
naps. 


LIVRE 


NicoLaAs 


DE HANAPs. 
SRE 


IL. 
Pénitencier du 
Pape. 





TITI. 
Nommé Patriar- 
che de Jérufalem, 
par Nicolas II, 
{clon M. Sponde. 


Oa par Nicolas 
IV, {clon Guido- 
ais, 


530 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 

le Pape Innocent V, qui, ayant éré fon Supérieur pendant 
qu'il gouvernoit la Province de France , avoit particuliére- 
ment connu fon mérite &c fes talens. 

Quoiqu'il en foit , Nicolas de Hanaps étoit Pénitencier du 
Pape, & il remplifloit cet Emploi avec réputation, dans le 
tems que le Patriarche de Jérufalem , Thomas Agni de Léon- 
tino , Religieux du même Ordre, mourut, fous le Pontifi- 
cat de Nicolas IT. Ce Pape nomma d’abord Jean de Verceil, 
attuellement Général des Freres Prêcheurs , pour ocuper le 
Siége Patriarchal, & prendre foin des Chrétiens de la T'erre- 
Sainte. Mais n'ayant pü obtenir fon confentement , ni par 
{es inftances réitérées , ni par tous fes reproches ; il ordonna 
aux Cardinaux de jéter les yeux furtrois Sujets , capables de 
remplir faintement ce dificile Emploi , & de les lui nommer 
le lendemain. Quoique les Cardinaux ne fe fuflent point 
communiqué leur penfée , ils nommérent tous ( non fans un 
deffein particulier de la Providence } le Pere Nicolas Ha- 
naps , Comme très-propre à remplir toutes Les fonétions d’un 
zélé & vigilant Pau , dans un tems infiniment orageux. 
Sa Sainteté agréa le Sujet ; l'exhorta à facrifier généreufement 
fon repos , & fa vie même , s’il étoitnéceffaire, pour la con- 
fervation , ou la confolation d'une portion du Fou eau de 
JEsus-CHRiIsT. Le Serviteur de Dieu courba humblement 
les épaules fous le péfant fardeau. Et le Pape l'ayant lui-même 
facré Patriarche de Jérufalem & Evèêque de Ptolémaide , il le 
fit inceflanment partir pour la Terre-Sainte (1). 

 C’eft ainfi que M. Sponde raconte le fait; & il le place en 
l’année 1278. Le P. Echard ne le met qu’en 1288, qui étoit 
la premiere année du Pontificat de Nicolas IV. Tous deux 
baie apuyer leur fentiment fur le témoignage de Ber- 
nard Guidonis. Suivant M. Sponde , il faudroit dire que Ni- 
colas de Hanaps a été pendant treize ans Patriarche nl. 


(r) Czæterüum Joannes ( Verçellenfis ) 
dignitatis pondus horrens fupplicibus ac in- 
ftantibus precibus excufationem apuwd Pon- 
tificem quæfivit , ut uni foli curæ fui Ordi- 
ais vacaret : & acceptis licèt acribus ac ob- 
jurgatoriis à Pontifice Litreris de ejus inobe- 
dientià, in Sententia perftans , miflionem 
tandem obtinuit. Cui putainus datum effe 
Succeflorem Nicolaum de Anapiis, cjufdem 
Ordinis Prædicatorum , cujus meminit fan- 
us Antoninus . ... denique reperimus jn 


Traétatu Bernardi Guidonis de Prælatis Ec- 
clefiarum ex Ordine Prædicatorum, hunc 
Nicolaum de Anapiis , Diæcefis Remenfis , 
ex Pœnitentiario in Curia Romana, virum 
do&rinà & moribus confpicuum , cum à 
Nicolao Papa tertio fingulis Cardinalibus- 
impofitum fuiffet , ut nominarent fibi tres 
viros idoneos ad Pattiarchatum , non fine 
nutu divino, fuiffe à fingulis nominatum , 
& à Pontifice promotum , &c. Sposdan. 
ad An, 1178,7. 17. | 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. s31 
lem. Au lieu Et , felon l’opinion du Pere Echard, & de M. 


Fleuri , il ne fuccéda qu’à un certain Elie, fucceffeur lui-mèê- 
me de Thomas Agni, & ne prit pofleffion de fon Eglife que 
trois ans feulement avant le fameux Siége de S. Jean d'Acre, 
dont nous parlerons bien-tôt. Ce dernier fentiment , beau- 
coup plus fuivi , & parfaitement conforme au texte de Gui- 


Lrvee 


NicoLaAs 
DE HANAPS. 





Hift. Ecl. Liv 


donis (1), que M. Sponde n'avoit peut-être pas fous les ##%#%## 


eux , Le be le citoit, fe trouve encore autorifé par deux 
ulles du Pape Nicolas IV , raportées par Oderic Raynald 
dans fes Anales Ecléfiaftiques. 


Ce qu'il y a de certain, c’eft que le Patriarche élu, jufte- 


ment perfuadé qu'il avoit à travailler dans une Vigneingrates 4 


Adan.1288,n,.41s 
& 1289, n, 69. 


V. 
‘Ardente charité 
Serviteur de 


toujours environnée de Peuples Infidéles, qui avoient juré fa Dieu. 


perte, &c toute remplie de mauvais Chrétiens , qui la désho- 
noroient , ne confulta que l’ardeur de fa charité. Et felon les 


défirs du Vicaire de JESUS-CHRIST , il fit à Dieu le facrifice 


de fa vie , aimant mieux l'expofer , que de laifler fans aucune 
confolation fpirituelle , ceux à qui tous les fecours temporels 
étoient refufés. Dans la Bulle du trentiéme d'Avril 1288 , le 
Pape Nicolas IV parle ainfi au nouveau Patriarche : Nous 
avons une ferme ns érance que par votre vertu, & votre mi- 
niftére , l'Eglife de Vérufaiens , rétablie enfin dans fon premier 
éclat, fe rendra digne des miféricordes du Seigneur. Souve- 
nez-vous que pleins de confiance en votre fa elfe » NOUS vous 
avons facré de nos mains, & vous avons Li le Pallium 
ar celles de deux Cardinaux Diacres. Nous vous commétons 
auffi le foin, & l’adminiftration de l'Eglife d'Acre , afin que 
vous la gouverniez avec celle de Jérufalem , jufqu'à ce que 
celle-ci ait recouvre fes biens , dont les Infidéles fe font em- 
arés. 
L’arivée de notre Patriarche dans la Paleftine fut un grand 
fujet de joye pour les Fidéles : mais il n’eut pas lieu d’être lui- 
même fatisfait de l’état, où il les trouva: &ilne vérifia que 
trop tôt la réalité de tout ce que la voix publique avoit de 
pû lui aprendre. La vie tout-à-fait déréglée, de la plupart des 
Chrétiens, dont les crimes fembloient être montés à leur com. 
ble , étoit bien plus capable de faire apréhender leur prochaine 
(1) Hic cüm effet Pœnitentiarius in Cu- | minaret fibi tres viros idoneos, non fine 
* #ia Romana, vir probatus Deo & homini- | nutu divino , Frater Nicolaus fuit Patriar- 


bus, vità & moribus acceptus, Domino | cha à fingulis nominatus , &c. Bern. Guide 
Nicolao Papä quarto fingulis Cardinalibus | #p. Echard, T, I, p. 412. 


&mponente , quod quilibet in craftino no- 
Xxx ij 


+ 


bid 


VI. 
En quel état il 


trouva les afaires 
des Chrétiens dans 
la Paleftine. 


Livre 
V. 


Nicocas 


_ DE HANAP?»S. 
SRE 


Ibid, 


532 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


ruine , que toutes les forces des Sarafins , quelque réfolus qu'ils 
fuffent de les exterminer fans er Sn 6 uis peu on avoit 
vû tomber fous la puiffance de ces Infidéles, Antioche, Tyr, 
& les autres Places fortes , que les Latins poffédoient en Syrie. 
L'ancienne Ville de Tripoli, que Saladin même n’avoit ofé 


ataquer , venoit d'être prife d'affaut, En A , & brûlée par 


Elalf , Sultan d'Égypte. Une multitude de Fidéles avoit mal- 


heureufement péri dans ces diférentes Expéditions : & ceux 


| qui avoient échapé au glaive du Vainqueur, s’étoient tous ré- 
u 


VIT. 
Crimes multipliés 
parmi les Croifez. 


Borchardus in Def- 
eription. Terræ San- 
&z ? Lib, 11 LE] Ce II, 


iés à faint Jean d'Acre , la feule Place qui reftoit alors aux 
Chrétiens. Elle étoit extrémement forte, & opulente , parce 
que depuis long-tems elle étoit devenuë comme le centre de 
tout le Commerce du Levant & du Ponant. 

Mais en y aportant leurs marchandifes , & leurs richefles., 
ces diférens Peuples y aportoient auffi leurs vices. Et les plus 
grofliers, ou les plus capables d’atirer le feu du Ciel , étoient 
ceux des mauvais Chrétiens , qui s'étant croifés , moins par un 
zéle de Religion,que par des vüës de cupidité, ou de libertina- 


ge, fe livroient fans pudeur aux excès les plus monftrueux. On 


Dec de le dire, majs les loix de l’Hiftoire ne permétent point 


de le taire. Les vols, les de om, les brigandages., les trahi- 
éges , les adultéres , les inceftes ; 
enfin les plus grandes impuretez , dont les Payens même au- 


fons, les meurtres, les facri 


roient horreur, parce qu’elles déshonorent la Nature ; toutes 
ces infamies étoient devenuës comme les amufemens ordinai- 
res de ces prétendus Chrétiens. Depuis le commencement des 
Croifades, plufieurs n’avoient paflé les Mers , que pour pou. 
voir impunément lâcher la bride à leurs brutales pafhons , 


ou pour éviter le châtiment, qu'ils n’avoient déja que trop 


mérité par d’autres crimes. Et ces Scélérats , établis dans la 
e AY e La e La e Là 4 

Paleftine , où ils avoient fini leurs jours, y avoient laïflé des 

Enfans encore _ méchans, au plus corrompus. que leurs 


Peres (1). Ainfñ parle M. Sponde après le Pere Borchard, 


(1) Cuüm & alioquin obfervet Borchar- 


dus in Defcriptione Terræ Sanétæ , quam 


his ferè temporibus circuibat, omnium Po- 
pulorum, qui Palxftinam frequentabant , 
corruptifhmos fuifle Latinorum mores : hoc 
inde procedente, quod cüm in Occidentis 
Provinciis homines nefarii & perditi , aur 
in pœnam , aut alias pro peccatorum re- 
miflione Terram Sanétam pcterent,. homi- 


cidæ, fures , latrones , adulreri, inceftuof , 


roditores , & alii id genus nequam , Cœ+ 
non animum mutantes , otiis , ludis , 

& gulæ vacare confueviffent , confumptif- 
que pecuniis si detulerant , cùm crimina: 
eorum regreflum non ferrent in Patriam , 
ad rapinas revertentes pejora conrmitterent 
prioribus , dolis & fraudibus pios circum= 
venientes, qui vificandi ergo fanétiflima 
loca illuc transfretarent ; malediétos iftos 8 
profanos generarc illic flios paternoruns 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 533 


Miffionaire Dominicain, qui, dans fa TR gg de la Terre- 
Sainte, n’a raporté qu’une partie des défordres, dontilavoit 
été témoins, & qu’il avoit long-tems combatus. 

Tels étoient les Habitans de Ptolémaide, ou de faint Jean 
d’Acre : c'étoit à un tel Peuple , que notre pieux Patriarche 
devoit anoncer les véritez faintes Fa la Religion, & la nécef- 
fité de la pénitence. Il le fit avec un zéle perfévérant , ne fe 
laffant jamais d'inftruire , d’avertir, d'exhorter , de menacer ; 
foutenant toujours la force de fes difcours par la vertu de l’é- 
xemple ; & ajoutant aux inftruétions, qu'il donnoit de vive 
voix , & par écrit, les priéres les plus ferventes , les gémifle- 
mens continuels , &c tout ce qu'une ardente charité peut inf- 
pirer à un homme apoftolique. Ce … faifoit par lui-même 
dans un Quartier de cette grande Ville , il avoit foin que les 
Religieux de fon Ordre, qui s’étoient joints à lui à fon départ 
d'italie , Ou qu'il avoit trouvés dans le Couvent de faint Jean 
d’Acre , le fiflent de même dans tous les autres Quartiers. Il 


en envoyoit {ur-tout dans les endroits, où il favoit que les 


Latins, mêlés avec les Juifs, les Grecs Schifmatiques , les 
Mahométans, & les Gentils, vivoient comme ces Infidéles , 
ou ne fe diftinguoient peut-être d'eux , que par une plus grande 
corruption des mœurs. Le nombre de ceux qui apoñtafioient 
n'étoit point petit; & l'héréfie, ou l'infidélité fai oit tous les 
jours des progrès , parmi des hommes qui ofoient fe glorifier 
d’avoir pris les armes , pour combatre les Ennemis du nom 
Chrétien : autre fujet de folicitude & d’aflition pour le Ser- 
viteur de Dieu ! 

Pendant qu'il s'expofoit le jour & la nuit à toutes fortes de 
fatigues , ou de périls , pour arêter la contagion , & confer- 
ver une Ville, qui touchoit de fi près au moment de fa ruine, 
il fit avertir le Saint Siège , que fans des fecours extraordinai- 
res, ou un miracle particulier de la Providence , on ne pou- 
voit plus efpérer , n1 de ramener au devoir des Chrétiens éga- 


LIVRE 
_V. 


Nicozas 


DE HANAP»S. 
Dr — à 








VIII. 

Zéle du Patriar: 
che, pour la con- 
verfion des Habi. 
tans de Prolémai- 
de. | 


IX, 

If inftruit de tout 
le Pape, qui le fait 
fon Légat, & luÿ 
promet de nou- 
veaux {ecours. 


lement corrompus dans la Foi, & dans les mœurs ; ni de les 


fouftraire aux derniers malheurs, dont ils étoient menacés. 
Le Pape Nicolas IV , pour foutenir , ou autorifer davantage 
le zéle du faint Prélat, le fit fon Légat Apoñtolique dans toute 
criminum fectatores , atque etiam pejores ; | ritatis ardore recenfet , referre , quàm ex 
&t ex iis nepotes peflimos generari.... Quæ | als fufpeétioris Fidei , &animi. Spondan. 
cum fint multérum quoque aliorum Auéto- | #4 An. 1191, #.6, ex Borchar, Lib. IL, 


rum frequentes quxrimoniæ , maluimus ta- | C. II, $. 2. 
cn ex pio AuGore, qui hæc maximo cha- 


Xxx üÿ 


534 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE laSyrie, dans le Royaume de Cypre, & dans l'Arménie. Et 
V. il lui fit efpérer le fecours de vingt Galéres bien armées, pour 
Nicozas la défenfe de la Terre-Sainte. La Bulle eft du treiziéme Sep- 
pe Hawars. tembre 1289. Sa Sainteté exhortoit en même tems le Lépat, à 
—” continuer toujours l’œuvre de Dieu , avec le même zéle, le 
Lg? Oécrie ad An. même courage , &c la même intrépidité , fans fe laiffer jamais 
| abatre par la vûé des dangers fi multipliés , ni décourager par 
l'endurciflement de ceux , qui ne profitoient point de fes falu- 
taires correétions. 

x. Ces fentimens , que la Grace avoit mis dans le cœur du 
Vigilance, Prié- Difciple de JESUS-CHRIST , il les faifoit paroître dans toutes. 
re, & Prédication. [es ocañons ; & il pouvoit dire avec un Prophéte , qu'il ne 
permétoit point à fes yeux de fe fermer , ni à fa langue de fe 
taire. Mais le mal étoit venu à un point, qu'il fembloit s’'irri- 
ter par le reméde même. On vit “ae un éxemple terrible de 
En, 14 Ce qu'a dit le Sage, qu'il n’eft point au pouvoir de l'homme 
de corriger celui que le Seigneur a rejété. Le vigilant & zélé 
Pafteur ordonnoit des jeünes , & des priéres publiques : lui- 
même 1l jeünoit avec plus de rigueur , & prioit avec plus 
d'inftance, & d'humilité , que n'auroient pà faire ceux, à 
ui la pénitence étoit le plus néceffaire. Après avoir épuifé 
es forces durant le jour, ocupé fans relâche ou à prêcher, 
ou à donner fes PRE AT , & fes ordres, afin d’arêter L moins 
les vices fcandaleux , fon repos pendant la nuit étoit devant 
le Saint Sacrement ; où on le voyoit, ainfi que Moyfe devant 
l'Arche , répandre fes larmes , & fon cœur en la préfence de 
Dieu, & s’ofrir comme une Viétime volontaire pour le falut 

du Peuple. | 
XL. Mais ce Peuple infenfé , fans crainte, & prefque fans Re- 
* Peuple enduri, ligion, infenfible aux plus terribles menaces, & fourd à la 
La ns vis foudre , qui grondoit de toutes parts , Es à tomber fur des 
les Trairæ fars têtes criminelles , ne revenoit point de fes voyes corrompuës. 
avecles Infidéles. À tous ces anciens crimes il ne cefloit d'en ere gi de nou- 
veaux: & après avoir provoqué la colére du Ciel _ la mul- 
titude de fes iniquitez, il eut la folle préfomption d'irriter en- 
core les {nfidéles, en violant le premier les Traitez , à la fa- 
veur defquels il auroit pû refpirer, ou fe foutenir au moins 
pendant quelque tems. [left vrai que le trop grand nombre 
de ceux qui vouloient commander, faifoit que les Séditieux 
n'obéifloient à perfonne ; & la divifion étoit afreufe. Les Rois 


de Jérufalem & de Cypre, les Comtes de Tyr, & de Tripoli, 


DE L'ORDRE DES.DOMINIQUE. #35 


les Templiers , les Chevaliers de l'Hôpital , les Chefs des 
Croifés entretenus par le Pape , ou par les Rôis de France, & 
d'Angleterre ; tous faifoient alors leur réfidence à Prolémaïde : 
& dans une même Ville on voyoit en même tems dix-fept 
Tribunaux Souverains, qui condamnoient à mort. Pour fur- 
croît de malheur , depuis la Tréve faite ds le Roi de Cypre 
avec le Sultan d'Egypte, il étoit arivé à faint Jean d’Acre fei- 
ze cens hommes, qui fe difoient envoyés de la part du Pape : 
& fous ce prétexte, ils prétendirent n'être point obligés à 
garder le Traité de Tréve conclu fans leur participation. Con- 
noiffant trop peu les forces des Ennemis, & leur propre foi- 
bleffe , ils £ mirent à piller, &c à tuer tous les Min ; 
qui, fous la foi du Traité, continuoient à sl des vivres, 
ou d’autres marchandifes à Ptolémaide. Ils firent plus : les Ha- 
bitans d’Acre, ne pouvant, ou n'ofant s’opofer à leurs vio- 
lences, ils fortirent de la Ville, Enfeignès déployées , fe ré- 
pandirent comme des furieux dans teutes les none " 
portérent Le fer & le feu dans plufieurs Villages ; & maflacré- 
rent fans diftinétion tous ceux, qui eurent le malheur de rom- 
ber entre leurs mains. Il y eut bien des Chrétiens, confondus 
avec les Infidéles , qui périrent par le glaive des Chrétiens ; 
age que la Juftice de Du voulut commencer à punir par 
es mains des impies , des hommes qui portoient leur impiété 
peut-être encore plus loin. | 
Cependant le Sultan ASE , bien-tôt informé de cette in- 
fra&ion du Traité, & en état d’en tirer une vengeance éclatan- 
te, fe contenta d’abord d'envoyer fes Ambafadeurs à Ceux qui 
commandoient dans la Ville. Outre la réparation de po Le 
dommages caufés à fes Sujets , il éxigeoit qu’on lui remiît quel- 
ques-uns de ces mutins, dont il vouloit faire un éxemple. La 
raifon , & la bonne politique demandoïent qu’on n’oubliât 
rien , pour apaifer un formidable Ennemi, trop fier pour dif- 
fimuler un ou , &c aflez puiffant pour renverfer de fond en 
comble la Ville de Prolémaïde. La charité du Patriarche , il 
eft vrai, fit qu'il s’opofa toujours avec fermeté au fentiment 
de ceux qui vouloient tout acorder ; parce qu'il ne pouvoit fe 
réfoudre à livrer des Chrétiens, quoique coupables, à l'indi- 
gnation d'un Prince Infidéle. Mais enfin on auroit pà tenter 
quelque autre voye d’acommodement ; & on avoit un intérêt 
Capital de n’en Mo aucun , qui püût être honnête. Les Chré- 


Livre 
V. 


Nicozas 
DE HANAPS. 


D "+" À 
XII. 
Témérité & crus 
té de quelques 

Croifez. 


XTIT. 
Demandes du 
Sultan d'Egypte 3 


XIV. 
Imprudenment 


tiens prirent un autre parti : & 1l femble que Dieu permit leur réécs- 


536 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE aveuglement, pour fraper le dernier coup, & éxercer fes Ju- 
| gemens les plus redoutables fur un Peuple, tout fouillé de 
NicozaAs Crimes. L 
pe Hawars. Dès le mois d'O&tobre 1290, Kelaoun Elalf, Sultan d'E- 
mm” bvypte, fe mit à la tête d'une puiffante Armée, dans le def- 
Fleuri, Hit. Ed, {ein d’exterminer tout ce qui reftoit de Chrétiens dans la Pa 
Ur.sxur,r 16 [eftine. Ce Prince cependant ne devoit pas être l’inftrument 
| des vengeances du Seigneur : 11 mourut en chemin ; & on 
crut qu'il avoit été empoifonné par le Général de fon Armée. 
Son Fils , & fon Succefleur , nommé Melecferaf, pourfuivit 
le même deffein avec encore plus de vigueur , réfolu de ne 
XV. faire aucun quartier à fes Ennemis. Le cinquiéme jour d’A- 
eee Vi 291 , le nouveau Sultan parut devant faint Jean d'Acre 
par une Armée de avec plus de deux cens mille hommes à pié , ou à cheval. On 
plus “ css Afure que ce jeune Souverain, avide de gloire, & animé à la 
pile SAS Lengeance, avoit juré de ne point donner de fépulture au 
corps de fon pere, queaprès avoir entiérement ruiné la Ville 
ennemie , & fait pafler tous les Habitans au fil de l'épée. Le 
Siége auffi-tôt formé , & les Machines dreflées, les Infidéles 
commencérent l’ataque avec aflez d'ordre, & une extréme 
valeur. 
VI. Quoique la Ville, bien fortifiée & très-peuplée, eut tou- 
Le Patriarche re- : sr / ! 
iéve le courage des JOUTS la er libre , elle ne À ao guéres fe promètre des fe- 
Afiégés, cours étrangers ; & la confternation y fut d'abord univerfelle. 
On s'y prépara cependant à une vigoureufe défenfe, par le con- 
feil fur-tout , & par les vives exhortations du Patriarche (1), 
qui dans cette ocafion remplit tous les devoirs d’un Pafteur 
zélé, vigilant, infatigable. Lorfque le danger avoit paru moins 
prochain , le fage Prélat n’avoit ni flaté la téméraire préfom- 
tion des Habitans de Ptolémaïde , ni difimulé leurs crimes : 
&c quand le péril fut comme inévitable , il n’abatit point leur 
courage : il ne penfa au contraire qu’à le foutenir , & à le re- 
lever. Mais tout le fecours , qu’il vouloit leur faire efpérer 
d’en-haut , dépendoit de la converfion du cœur, & d’un fin- 
cére retour à Dieu par la pénitence. Heureux les Fidéles , qui 
furent métre à profit, du moins pour leur falut, de fi fages 
avis , &.le peu de tems qui leur reftoit à vivre. 


XVIL. Le quatrième de May , Henri II Roi de Cypre vint avec 
Et le Roi de Chy- | 
pre vienc à lçurfe- - (1) Sed Patriarcha mitiffimus dignitatis! cives jugiter exercebat. Ex MS, Vidforine , 
souré. : fux Officio fedulum divinæ prædicationis #p, Echard, | 

pflcium ad excitationçem afectuum inter | 


deux 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 537 


deux cens Chevaliers, & cinq cens hommes de pié, au fe- 
cours de la Place ; où , malgré les pertes qu'on avoit faites, 
&c qu'on faifoit tous les jours depuis un mois ; on comtoit en- 
core plus de douze mille hommes bien armés , & un grand 
nombre de braves Oficiers , qui firent des prodiges de valeur. 
Mais l’Arrêt étoit prononcé dans le Ciel contre cette nouvelle 
Ninive, beaucoup plus criminelle , & moins docile à la voix 
de Dieu, ou de fes Miniftres , que Ninive idolâtre. Tandis que 
les Sarafins faifoient les plus grands éforts , pour emporter la 
Place d’affaut, notre MER 2 , atentif à tout, perfuada aux 
Princes, qui commandoient , de métre fur des Vaifleaux, & 
de faire tranfporter dans l'Ifle de Cypre, les Vafes facrés des 
Eplifes , les faintes Reliques , & tout ce qu'il y avoit dans la 
Ville de plus capable d'irriter la cupidité des Barbares. On 
embarqua donc des richeffes immenfes , qu’on mit en lieu de 
fureté , avec les malades, les vieillards , les femmes, les en- 
fans de l’un & de l’autre féxe , & généralement toutes les per- 


Livre 


V. 





Nircozas 
DE HANAP»Ss. 





fonnes , qui , ne pouvant fervir de rien pour ladéfenfe de la : 


Ville , auroient été les premiéres viétimes de la brutalité du 
Soldat vitorieux , ou de fa cruauté. 

Par cette fage précaution, on fauva la vie à plufieurs , & 
l'honneur à une multitude de Vierges Chrétiennes. Cepen- 


dant les Infidéles avançoient toujours leurs Travaux, & re- 


doubloient leurs ataques, tandis que de moment en moment 
- on voyoit augmenter la divifion parmi les Afliégés. Les uns 
vouloient fe rendre à difcrétion, quoiqu'ils ne “rss efpérer 


ni grace, ni quärtier de la part des Barbares. Les autres ai- 


moient mieux mourir les armes à la main, en défendant juf- 


: ons dernier foupir., l'unique afyle des Chrétiens dans la 


Divifions | 


erre-Sainte. Toute l’ocupation du Patriarche étoit de réunir . 


les efprits , fur-tout parmi les Chefs , parce que, dit un an- 
cien Auteur , de cette union dépendoit le falut de la Ville (1). 
I! louoit le zéle des uns ; il relevoit le courage abatu des au- 
tres ; & il s'éforçoit de perfuader à tous de faire généreufe- 
ment le facrifice de leur vie , pour obtenir le pardon de leurs 

échez. Le Vendredi, dix-huitiéme de May , ayant célébré 
pour la derniére fois, les faints Myftéres, il y fit participer 


les Afiégés. 


XIX 


Le pieux Parriar- 


che célébre 
derniére 


ur la 
ois les 


ceux des Fidèles , qui s’étoient difpofés à recevoir cette Grace. faints Myftéres. 


_ (r) Hi fant oo viri, quorum pruden- 
“à, & confilio , ac folerti vigilantià Civi- 
tas Aconis tunc regebatur , qui fi conçordes 


Yyy 


fubffteret , &ç. Ibid. 





fuiffent , adhuc Deo tefte Civitas Aconis | 


LIVRE 


Nicozas 


Ds HANAPS. 
Dis rt re —. à 


XX. 
Prife de Ptolé- 


maide. 


Guil. Nangis ad Ân. 
2290. 

Fleuri, Hift. Ecl, 
Liv. LXXXIX, 5, 16, 


XXL 
Le faint Patriar- 


538 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Tous fe donnérent le baifer de paix dans la charité de JEsus- 
CHRIST (1). Et après avoir verfé bien des larmes, ils repri- 
rent chacun leurs poftes , réfolus de combatre en braves. Ce- 
pendant la réfiftance ne fut pas longue : car le même jour les 
Affiégeans donnérent un fi terrible affaut , qu’ils entrérent 
dans la Ville, & s’en rendirent Maîtres. | 
Parmi ceux qui la défendoient on n’en vit que trop, qui 
ans le découragement , ou le défefpoir, jétérent les armes 
aux piés des vainqueurs, & reçurent en lâches le coup de la 
mort ; pendant que les autres faifoient encore ferme , & ven- 
doient chérement leur vie. Un Chevalier, nommé Frere Ma. 
thieu de Clermont , Maréchal de l'Hôpital , rendit fon nom 
célébre par des aétions d’un Héros. Le Maître du Temple, 
fuivi de plufieurs braves , s’avança auffi pour repoufler les 
Ennemis ; & 1l fut tué en combatant vaillanment. La plupart 
de Chrétiens fe retirérent vers la Mer. Quelques-uns A réfu- 
giérent dans le Temple ; & ils ne furvécurent que de peu de 
momens à ceux de leurs Freres, que les Barbares pafloient au 
fil de l'épée dans prefque tous les Quartiers de fa Ville. Le 
Roi de Cu lui-même profira des ténébres de la nuit, pour 
aigu Là avec ceux qu'il avoit amenés, & trois mille au- 
tres quilefuivirent (2). Mais le charitable Patriarche n’imita 
point fon éxemple. Comme il n’avoit ceflé d’exhorter les Affié- 
gs à la défenfe de la Ville , tant qu'il y avoit eu quelque fujet 
‘efpérer ; il voulut, lorfque la Place fut prife , expofer fæ 
Perfonne, afin de faciliter la fuite à une partie du Peuple, & 
donner aux mourans tout le fecours:, ou la confolation, qui 
pouvoient dépendre de lui. Il fallut, difent les Hiftoriens, le 
ürer comme par force, & l'emmener malgré lui à une Cha- 
loupe , pour gagner enfuiteune Galére, qui étoit proche (3). 
ais en évitant un péril, le ps. mn Dieu tomba bien- 
tôt dans un autre, où il perdit la vie; & ce fut encore un ex- 


(2) Expletis breviter Miffarum fotem- 
niis , plures eorum quibus placuit in fe in- 
vicem , & non omnes, pacis ofcula tum 
fufpiriorum pià intermixtione fingultuofo- 
rum ,; in amoris amplexibus , in vinculo 
charitatis , fcientes fe morti exponere pro 
Dominoilla die, cum omni devorione Cor- 


pe Chrifti Domini participaverunt, &c. 


x MS. Vitlorino , ap. Echard. ut f}. 
(2) Rex Cypri cautè non folüm cum 


fuis, fed cum tribus ferè millibus aliorum... 


per mare turpiter difceffit. Ibid. 

(3) Minifter Hofpitalis pluribus in focis 
lechaliter vulneratus, equo quem infede- 
rat , interfeéto , à fuis vi fubtraétus ufque 
ad mare portantibus recipitur in dromo- 
nem. Patriarcha fimiliter fe invito fuorum 
conatibus ufque ad portum vitrahitur , vo- 
ce reclamitans querulosäà : En vobis delirus 
cgo fum , qui me mvium trahitis, & gro 
gem mihi commiflum in tali dimittam pe- 
riculo perimendum ? Ibid. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 539 


cès de compafñon pour fon Peuple , qui l'expofa à ce der- LIVRE 
nier danger : cette tendre charité , dont fon cœur étoit rem- Y. 

li, ne pouvant lui permétre d'abandonner des Fidéles défo-  Nicozas 
fes , qui couroient après lui, & dont plufeurs fe précipitoient De Hawars. 
FR Mer, pour eflayer de joindre à la nâge fon petit Vaif- 2 

feau : il leur tendit les mains , & reçut avec bonté tous ceux che meurt dans 

qui fe miens : le nombre en étoit trop grand ; la Cha- lérercice dela char 
loupe bien-tôt remplie, & furchargée, coula à fond. Le Pré- 

tre, qui portoit la Croix devant le Légat, fut le feul qui put 

fe fauver ; & le faint Prélat, comme un bon Pañfteur, donna 

fa vie pour fes Brebis, & avec fes Brebis (1). 

Ain mourut dans l’éxercice de la charité le dernier Pa- 

triarche Latin de Jérufalem , qui ait réfidé dans le Pais : car 

ceux à qui les Papes ont ee donné ce Siége, n’en ont eu 

que le titre. Ainfi périt la Ville d’Acre , ou de Ptolémaide, 

une des plus riches, & des plus célébres de tout l'Orient. Sa 

chute fut moins atribuée aux forces , quoique redoutables , 

de fes Ennemis , qu'aux malheureufes ons de ceux qui 

devoient la défendre, & à l’impénitence de fes Habitans. Nous 

n’ajouterons rien à ce que nous avons déja remarqué : nous 

en avons fans doute aflez dit, pour juftifier la penfée d'unan- 

cien Auteur , qui a bien ofé avancer , que fi PArmée des In- ouatorap.Spondam 

fidéles avoit encore diféré de marcher contre cet afyle de l’ini- | 

quité , & de l’impureté la plus monftrueufe , il ne faut pas dou- 

_ ter que le Ciel n’eût fait tomber fes feux & fes foudres fur cette 

infame Sodome , ou que la Terre n'eüt ouvert fon fein pour 

_J'engloutir (2). | 

| Ce endant malgré les défordres afreux , que le pieux Pa-  xxIr. 

PE 1 avoit vû régner parmi un Peuple, à qui il ne cefloit  Plañeurs fines 
de faire des reproches pleins de charité; & au milieu d’une A 
_ corruption prefque générale , il avoit trouvé quelque fujet de cent leur miniftére 

confolation dans un petit nombre de Fidéles , qui s’étoient fa rs morts & 

confervés purs & innocens ; ou qui, profitant pour leur falut | 

de fes exhortations, & de fes éxemples , avoient eu le bon- 





(1) Poftremus Patriarcha , idemque Se- | evadente qui Crucem ci præferebat, &c. d 
dis Apoftolicæ Legarus, Nicolaus fcilicet  Spondan. ad An. 1191, n. 9. 
de Anapis, Ordinis Prædicatorum, cum (2) Ut dubium non effet ( inquit hæc 
ad manum eflet triremis , quæ illum exci- | deplorans Belli facri Continuator ) quin 
pret, cunctos fugientes in fcapham fuam | Deus, fi Saraceni contra fceleratam Civi- 
admittere cupiens, nimio pondere fubmer- | tatem venire tardaflent, awt fulminibus , 
fus, animam ur bonus Paltor pro Ovibus | aut cerræ hiatu eam perditurus foret. Spowe 


(uis , fimulque cum Ovibus dedic, folo | den. ss jp, n. 6. : 
| Yyy1 


LIVRE 








NicoLas 


DE HANAPS. 
D nn 7. À 





XXII. 
Réfolution ex- 
traordinairc de 
ie g Relisieu- 
es. 


S Antonin, ‘Wa- 
disg. Fleuri 


ç40 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


heur de retourner à Dieu par la pénitence. Plufieurs Religieux 
de fon Ordre , & de celui de faint François, après avoir été 
les fidéles coopérateurs du zéle du faint Prélat , furent immo- 
lés à fes côtez par les mains des Barbares, pendant qu’ils con- 
tinuoient les nos de leur miniftére entre les morts & les 
mourans. Nous pouvons finir cette rélation par le récit d'un 
événement fort fingulier, mais qui eft raporté par les Ecri- 
vains Ecléfiaftiques après faint Antonin. 

Lorfque la Ville de Ptolémaide fut prife, il y avoit un cé- 
lébre Monaftére de Religieufes de fainte Claire : nous igno- 
rons les raifons , qui avoient empêché le Patriarche de join- 
dre ces Epoufes de JEsus-CHRIST aux autres perfonnes du 
Séxe , qu'il eut foin de faire conduire dans l'Ile de Cypre dès 
le commencement du Siége. Mais on raporte que la Supérieure 
aprenant que les Sarafins étoient déja a la Phce , eraignit 
moins pour fa vie, que pour fa chafteré, & pour celle de fes 
Sœurs. Les ayant auffi-tôt affemblées en Chapitre, elle leur 
» parla ainfi: “ Nous voici, mes Filles, au moment où nous 
» allons nous préfenter à notre Epoux. Le facrifice que nous 


_# lui ferons de notre vie, lui fera agréable, fi nous mourons 


XXIV. 
Ouvrages de Ni- 
colas de Hanaps. 


» pures de corps & de cœur : faites donc ce ms vous me ver- 
» rez faire ». Après ce peu de paroles , elle fe coupa le nés ; 
& fon vifage fut couvert de fang : toutes les autres fuivirent 
fon éxemple, & fe découpérent le vifage en diverfes manié- 


res, Les Sarafins étant entrés dans le Monaftére, l'épée à la 


main , furent d’abord faifis d'étonnement à ce fpe&tacle : puis 
leur horreur fe tournant en furie , ils les maffacrérent toutes. 
C’eft ainfi que ces fages Vierges, par une a@ion , que de célé- 
Pres Auteurs apellentilluftre , parce qu’ils fupofent l'infpira- 
tion particuliére du S. Efprit, en perdant la vie, confervérent 
la chafteté (1). 
Dans l'Hiftoire de Nicolas de Hanaps , nous n’avons point 
arlé de fes diférens Ecrits , dont on peut voir le cata- 
ogue, & le deffein dans le Pere Echard. Il les avoit fans 


(1) Monüalium Clariffarum Abbatiffa 
virilis peétoris fœmina, cüm Urbem cap- 
tam audivit, potenti fermone Sorores ad 
nobile facinus fu? imitatione hortata, ut 
unà cum Fidei puritate integram Virginita- 
tem fervarent, in ipfo impuriffimorum ho- 
ftium ad Monafterium ingreflu, novaculà 


bi nafum abfcidit , reliquis intrepidè id 


ipfum facientibus , alifque vulneribus fa- 


cies deformantibus , fpeciali (ut creditur . 
ficut atiàs fæpe fimilibus cafibus , inftintu 
Spiritûs Sanéti.) Nec vano confilio , quip- 
pe ingreffi Monafterium Saraceni tam hor- 
rendo fpeétaculo à libidine reprefli, omnes. 
ad unam crudelirer occiderunt, ac per Mar- 
tirium in Cœlos amandarunt. Sponden, #é 
AN, 1291, 9: 


-— 


!îñh 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. «ur 


doute compofés , ou dans le tems qu’il enfeignoit dans quel- LIVRE 
ues Villes de France , ou pendant qu'il éxerçoit à Rome les 
Énétions de Pénitencier du Pape: car les afaires d'Orient,  Nicoras 
depuis qu'il y fut arivé, ne lui permirent plus de vaquer À pr Hanars. 
de femblables ocupations. L'Ouvrage le plus confidérable = 
qu'il nous ait laiïffé , eft un Recueil Hiftorique , divifé en cent 
trente-quatre Chapitres , & contenant un ie nombre d’é- 
xemples tirés de l'Écriture Sainte, pour infpirer l'amour de la 
vertu , & l'horreur du vice. Ce Traité de Morale eft commur- | 
nément apellé la Bible des Pauvres. Quelques -uns , dit p.280. #16; 
M. Dupin, l'ont fauffement atribué à faint Bonaventure; & 
on l’a publié parmi fes Opufcules. Mais les anciens Manufcrits 
font foi qu'il eft de notre Patriarche ; & il a été fouvent im- 
rimé fous fon nom, à T'uringe, à Venife, à Bâle, à Lyon, 
& à Paris. Dans les Bibliothéques de cette Capitale, fur-tout 
dans celles du Roi, de l'Abbaye de faint Viftor, & du Col- 
lége de Sorbonne, on voit encore plufieurs Manufcrits du 
même Ouvrage, avec le nom de Nicolas de Hanaps, de l'Or- 
dre des Freres Prêcheurs , depuis Patriarche de Jérufalem. 


à 


Fin du cinquième Livre. 


Yyyi 


542 | 
SARNIA NN ENDNI NEA EE La 
BRRRES EEE ES BERG 


RSA RRR RAR SRE 


HISTOIRE 
DES 
HOMMES ILLUSTRES 
DE L'ORDRE 
D E 


SAINT DOMINIQUE. 


LIVRE SIXIEME. 





LATIN MALABRANCHE ; 


CARDINAL,EVÈÉQUE D'OSTIE, 
ET LEGAT DU PAPE. 


LATIN ATIN MALABRANCHE , Neveu du Pape 
MaLABRANCHE, | AB Nicolas II, étoit iflu de l’ancienne Maïfon 
us see 





7448 des Frangipanis du côté de fon pere , & de 
NL & œ ÎE 4 à a El celle à rc par fa mere. Maus fes gran- 
dinal. +) des vertus , & fes belles aétions , relevérent 

| encore beaucoup l'éclat de fon illuftre naif- 
fance. 





Quelques Auteurs ont crû que dès fes jeunes années, La- 
tin avoit été envoyé par fes parens dans les Ecoles de Paris ; 
où , ayant étudié avec fuccès en l’un & l’autre Droit, 1l fut 


DE L'ORDRE DE S$. DOMINIQUE. 54 


honoré du Bonnet de Doëteur (r). Si cela eft, il faut dire 
qu'il eft venu deux fois dans cette Gapitäle : car il eft certain 
qu'après avoir embraflé l’Inftitut des Freres Prêcheurs dans 
le Couvent de fainte Sabine , fous le Pontificat du Pape Alé- 
xandre IV, il fe trouva du nombre des Religieux , que fa Pro- 
vince de Rome envoyoit au Collège de faint Jäques. Le Pere 
Echard remarque qu’en 1263 , Latin Malabranche étoit déja 
_en grande réputation dans l’'Univerfité, & qu'il tenoit un 
rang diftingué parmi les célébres Prédicateurs de Paris. Ses 
talens ne brillérent pas moins en Italie , où l’obéiffance l’en- 
gagea tantôt à anoncer la parole de Dieu aux Fidéles , tantôt 
à faire des Leçons de Théologie, ou à expliquer les faintes 
Ecritures ; & fouvent à éxercer la Charge de Supérieur dans 
diférentes Maifons de fon Ordre. 

Il gouvernoit celle de fainte Sabine à Rome, où , tout 
ocupé du foin de fa propre perfeétion , & de celle de fes Fre- 
res , il ne penfoit point à rechercher les honneurs, qu'il avoit 
eu le courage de méprifer , lorfque le Pape Nicolas IIT, dans 
la promotion du douzième de Mars 1278, le fit Cardinal & 
Doyen du Sacré Collège , lui donnant en même-tems la Pour- 
pre & l'Evèché d'Oftie. Pendant près de dix-fept ans, qu'il 
vêcut dans cette éminente Dignité, il ne l'honora pas moins 

ar l’innocènce & la pureté de fes mœurs , que par tout ce 
ue le zéle de la Religion lui fit entreprendre , foit pour con- 
rvet , ourétablir la paix & le bon ordre parmi les Peuples ; 
foit pour défendre les intérêts de l'Eglife , & lui procurer de 
bons Miniftres. Les grandes qualitez e tout le monde lui 


Livré 
VI. 


LATIN 
MALABRANCHE:» 





Tom.1,p.436. 


IT. 

Ses talens , & fes 
premiers Emplois 
dans l'Ordre des 
FE, Précheurs. 


NicolasIfl fe rmæ 
à la tête du Sacré 
Collége, 


connoifloit-, & dont il donnoit tous les jours de nouvelles 


preuves, firent que le Pape ne mit point de borhes à la con- 
fiance, donrilavoit commencé de l’honorer. Dans les afaï- 
res les plus épineufes, Sa Sainteté s’en raportoit volontiers à 
la fagefle , & aux lumières du Cardinal ; & lui communi- 
re tr is ce qu'il y avoit de plus important à traiter , ou 
écider. | ; 


« 


(s) Selon l'Abé Ughel, Latin ne prit le | st Parifiss , emnibus acrlamuntibus Doëte. 
dégré de Docteur qu'après fon entrée dans | rær#slauream tulerit. Priorque [anëte Sa- 
l'Ordre de faint Dominique : Frarer Lati- | bine Roma eletus, adeo probitate morum 
mus Malabrancha, Urfinus , Romanus , | 58 eo munere fulfit , ut à Parruo Nicolso 
Nicolas III fnmmi Pontificis ex Sorore ne- | fumme Pontifice Oflienfis Cardinalis, nc 


IY. 
Et lui confie les 
afaires les plus ins 
portantes. 


pos , chm Ordinis Fratrum Pradicatoram  Velitrenfis Epifcopus tandem fit declaratus 


snfiitutum femel Profeffus fuiffles , adeo [a- | anno 1178, gddito titulo Fidei generalis 
sis» prophanifque Difciplinis imbutus eff A Inquifitoris , rc. Lral. Sacr. T. I ,Colixx 


# 


44 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE  Lorfque des raifons de fanté, & peut-être aufli des mo= 
VI. tifs de politique, obligérent le Saint Pere à fe retirer à Vi- 
Lan  terbe, où il étoit déja dans le mois de Juin 1278, il laiffa à 

Marasrancus. Rome le Cardinal Latin , qui devoit en quelque maniére te- 
nir fa place , & expédier en fon nom les afaires qui fe préfen- 
teroient. L’Abé Ughel ajoute , que Sa Sainteté l’avoit déja 
revêtu de la Charge d’Inquifiteur général de la Foi. Cepen- 
dent des afaires d'une autre nature l’ocupérent bien - tôt 

| ailleurs. | 

| Qorie, ad An Quoique l'Empereur Rodolfe, à la demande de Nicolas IT, 

4e rs Cût depuis peu confirmé toutes les donations faites par fes 
CETTE ” Prédécefleurs en faveur de l’Eglife, fuivant la négociation 
déja commencée fous Grégoire X , au tems du fecond Con- 

cile de Lyon, fon Chancelier , envoyé enItalie pour y faire 

reconnoitre les droits de l'Empire , avoit éxigé le ferment de 

lufieurs Villes de l'Etat Echéfadt: ue. Bologne, Imola, 

Ésience . Forli, Cefene, Ravenne, Rimini ; Uibin , & quel- 

ques autres furent de ce nombre. Le Pape s'en plaignit ; il 

-  menaça : & Rodolfe, pour l’apaifer , prit le parti de défa- 

vouer fon Chancelier. Il envoya aufli-tôt à Viterbe Gode- 

froi fon Pronotaire, qui, ion au nom de l'Empereur 

fon Maïtre, déclara nuls tous les fermens faits par ces Villes 

ou Communautés , & reconnut qu'elles apartenorent de droit 

Y. à l'Eglife Romaine. L’Aëte eft du trentième de Juin 1278. En 

PS rt Car- con équence de cette déclaration, le Pape nomma le Cardi- 
nal Latin {on Légat 4 larere, pour aller prendre poffeflion de 
ces mêmes Villes , & de toute la Romagne. Oderic Raynald 

arle d'un fecond Légat , employé en même-tems , & pour 
fe mêmes afaires : mais il reconnoit, que celui-ci avoit ordre 
de fe conformer en tout aux avis, ou à la volonté du pre- 
mier , & de ne rien entreprendre fans fa participation ; les 
intentions de Sa Sainteté étant , que le Cardinal Latin püôt 
annuller tout ce qu'il n’auroit point aprouvé {1). 
Le même Légat Apoftolique fut encore chargé de plufieurs 
inftruétions fécretes , foit pour traiter avec le Roi de Sicile, 
ou pour faire cefler les haines , les difcordes , les diffenfions 


(x) Alrerumque ex Fratre nepotem Ber- | poffenc. ..,quæ monita, cüm à Bertol. 
toldum mifit :ac ne difcordia aliqua inter | do... fervata non effent, univerfa Æmi- 
ipfos fereretur , Bertoldum Latino fubeffe | lia in graviffimos tumultus conjeéta cit 
juffit ; adeo ut nihil contra ejus imperia au- | Ogeric, 44 An. 1278 ,n. 55. 
gerer ; & quæ malè gefla refcindi ab illo | 

publiques ; 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 545 


1bliques , qui étoient fort allumées dans tout le Pais. Selon LIVRE 

. Sponde , les deux Légats s’aquitérent dignement de leur VI. 
commifhon : guos egregie Officio fuo funälos effe ... conflat. *  Larin 
Mais il faut expliquer ceci par Oderic Raynald, qui éclaircir MALASRANGNE 
davantage le fait. Il eft certain que, malgré toutes les pré- 
cautions du Pape, le fecond Légat , nommé Bertold , ata- 
ché à l’un des deux Partis , dont il falloit apaifer les querelles 
& étoufer les animofitez , les irrita de plus en plus par une 
partialité trop marquée. Selon l'Abé Ughel , la fagefle de 
notre Cardinal arêta heureufement ces nouveaux troubles ; 
1l rendit la paix à toute une Province, & il füt la contenir 
dans le devoir (1). 

La gloire que Malabranche s’étoit aquife dans ces dificiles 
négociations , lui procura plus de louanges Le de repos. 
À peine de retour d’une Légation , 1l fe vit ç age de plu- 
fieurs autres , qui n'étoient point de moindre conféquence ; 
& dont le fuccès pouvoit paroïître plus douteux. Charles Ï odoric. ad 49. 1:78, 
Roi de Naples, ayant été ge de renoncer au Vicariat * S® 
de l’Empire dans la Tofcane, le Pape voulut que le Cardinal 
Latin. s'aflurât de toutes les Places fortes, qui avoient été 
ocupées ro troupes de çe Prince : ce qu'il fit avec beau- 
coup de diligence , à la fatisfaétion du Pontife & de l'Empe- 
reur. Un autre objet de cette Légation , étoit la guerre ci. 
vile & opiniâtre des Florentins , qu'il falloit terminer , moins 
par l'autorité que par l'adrefle. Le Légat Apofñtolique eut 
encore le bonheur d'y réüflr. : | 

Nous avons eu bien fouvent ocafon de parler des cruelles VI. 
divifions , caufées ou fomentées dans toutes les parties de Troubles, & di 
l'Italie , par les faétions des Guelfes & des Gibelins. Ces is des Florcn- 
hommes , nés pour les troubles , toujours prêts à facrifier, 
non feulement leurs biens, mais la vie, la Patrie , & la Reli- 
gion ; à la fureur qui les animoit tes uns contre les autres, 
avoient enfin réduit la ville de Florence en un état, qui au- 
roit pü toucher de compafñlon les Peuples les plus barbares, 
Les Guelfes ,.enrichis des dépouilles de leurs ennemis , s’é- 
toient divifés entr'eux ; & chacun prétendoit fe faire juftice 
à foi-mêème les armes à la main. Les Gibelins, quoique prof. 
crits , & chaflés avec leurs Familles fans efpérance de retour, 
avoient trouvé le fécret d'entretenir toujours la divifion, ou 





* Adan. 1278, d: 


_@) Bononienfibus deinde Legatus ( Car- | miliam Provinciam frænavit. Iral, Sacr, 
dinalis Letinus) Ponficis leges dixic ; Æ- | # Jp. 
ome J, | Lzz 


LIVRE. 
VI. 
LATIN 
MALABRANCHE. 


VII. 
Succès du Légat 


daus la Tofcane. 


VIII. 
Ce qu'il fait à 
Horence, 


546 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


de l’augmenter , afin de métre tout en combuftion dans une 
Ville, qu'ils tenoient dans de continuelles allarmes. Au mi- 
lieu de ces-calamitez , les Peuples, laflés enfin de voir ré- 
pandre tant de fang , & d'êtreeux-mêmes les vitimes de l’ava- 
rice ou de l'ambition des Grands, avoient demandé au Vi- 
caire de JEsus-CHR1ST un Lépat, qui, par fa fagefle , fes 
talens, ou fon crédit, püt leur procurer la paix , & aporter 
quelque reméde à des maux , qui fe renouvelloient tous les 
jours. 

Latin Malabranche fut cet Homme puiffant en œuvres & : 
en paroles, ou ce Miniftre des miféricordes du Seigneur , que 
le Ein Siége jugea capable d’une fi haute entreprife. Les 
Florentins É reçurent avec de très-grands honneurs ; & ils 
fe montrérent dociles à fes avis. S’étant d’abord ataché le 
Peuple par les charmes de fon éloquence , le fage Légat mé- 
nagea avec tant d'habileté l’efprit des Grands , qu'il parvint 
à les faire entrer dans des vüëés de réconciliation & de paix. 
Les Guelfes une fois réunis par fa médiation , il leur propofa 
de rapeller & de rétablir dans tous leurs biens les Gibelins, 
leurs freres & leurs concitoyens. C'étoit le point délicat : une 
femblable propofition , plus d’une fois avoit fait échouer les 
deffeins des Papes , & toutes les négociations de leurs Minif- 
tres. Il n’en fut pas de même en cette ocafion ; notre Cardi- 
nal , haranguant le Peuple & tous les Etats de la Républi- 
que, dans la Place de Sainte Marie-Nouvelle , montra avec 
tant de force & de folidité , que la paix {1 ardenment défirée , 
ne pouvoit être durable , fielle n'éroit générale , qu'on con- 
fentit au rapel des Exilez, & à leur rétabliflement. Ce qui 
venoit d'être réfolu , fut éxécuté fans délai (x). | 

Le Légat ne ge je fit plus ; & pour ne point laifler fon 
ouvrage imparfait , 1] s’'apliqua à prévenir tout ce qui auroit 

à faire renaître les animofitez , ou donner lieu à de nou- 
velles querelles. Les acufations , les procédures , les Senten- 
ces de profcription portées contre les Gibelins , il les fit éfa- 
cer des Rasiiies ublics , & procura diverfes alliances en- 
tr'eux & les Cul Mais ce qui montre davantage , & l’af- 
cendant que le mérite de ce grand Homme lui avoit aquis fur 


(2) Eademque Legatione infignitus in | Guclforumque exulceratos animos , in pla- 

Etruriam profc@tus eft ; ac Florentiæ præci- | tea Santæ Mariz Novellæ à fuperiori loco 

uë illà fuà admirabili eloquentià ita egit, ut | pacem inculcans , reconciliarit , &c. 48 
jmolim ex ftudio partium Gibellinorum , | Sacr. st fp. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 547 


l'efprit des Peuples, & la confiance fans bornes que les Flo- 
rentins avoient.en fes lumiéres ; c'eft le pouvoir qu’ils lui don- 
nérent de changer la forme de leur Gouvernement, & de le 
régler felon fa prudence. Il le régla en éfet de telle forte , que 
les plus fages , chargés déformais de l’adminiftration des afai- 
res , pouvoient avec moins d'embarras diffiper les cabales, 
& ue la tranquilité publique (1/. Outre ces utiles régle- 
mens , & ces réconcilations générales , le Cardinal Eatin 
pacifia par fes foins les troubles particuliers de plufieurs Fa- 
milles : ce qui le fit apeller Ze Prence de la paix ; titre glorieux, 
qu'il mérita par la continuation de fes travaux , par la pro- 
teétion qu'il ne refufa jamais aux foibles , & par le repos qu’il 
procura à divers Peuples. Le 


LIVRE 
VI. 


LATIN 
MALABRANCHE. 








= Ce qu'il venoit de faire, contre l'atente des. Politiques , : 


dans la ville de Florence , il le fit enfuite avec le même fuccès 


dans les autres parties de la Tofcane , ou par lui-même, ou 
par fes Envoyez. C’eft, dit M. Sponde , ce que nous Lifons 
dans tous les anciens Auteurs ,: qui ont parlé , ou des diflen- 
fions & des guerres d'Italie, ou des belles aétions de Latin 
Malabranche , qui travailla fi glorieufement à les éteindre (2), 
Sa fermeté égaloit fa douceur : il étoit intrépide , quand il fa- 
loit ufer d'autorité ou de quelque rigueur , pour réprimer les 
efprits inquiéts & les broiullons. Quelques Habitans de Par- 
me ayant excité une fédition contre les Oficiers du Pape , le 
Légat châtia les coupables, remit les féditieux dans le de- 
voir , & rétablit les Miniftres de l'Eglife dans le paifible éxer- 
cice de leurs Charges. __. | 

De retour à Rome, le Cardinal Evêque d'Oftie continua 
à prendre foin du Gouvernement de cette Capitale du Mon- 
de. Les Princes d'Italie & les Députez des Villes » qui , après 
avoir fuivi le parti de Conradin, venoient renouveller Le 
foumiflion au Éépe Apoftoliqué , s'adrefloient tous au Doyen 
du Sacré Collège : il les réconcihioit à l'Eglife (3) , tandis que 


(1) Larinus Romanus fic dicendo ee per alios Internuncios, per omnes Civitates 


ætate valuit , ut Florentiæ feditiofam dif- 
cordiam oratione fedarit ; plebifque intèr- 
ceflione fublarà , quatuordecim viratum di- 
cendo ftatuerit , cui effet à tota Civirare 
parendura,&c. Paslus Corteins ap. Echard, 
T.1,p. 437 RS 

(2) Ipfumque etiam Latinum pacem in- 
ter Guclfos & -Gibelinos. Florentiz conci- 
liafle , alijaque præclara tam per fe, quam 


peregiffe , conftat ex Auétoribus Italis, qui 
res ilarum defcrip{erunt, &c. Spondan. 44 
A%.1178, n. 4. 

. (3). Redeuntibus tum ad Romanz Eccle. 
fix obfequium non nullis Principibus ac Po 


IX. 
A Parme , 


A Rome. 


pulis, quos ob fecutas Conradini partes - 


Cenfuris toties à Pontificibus exagitatos vi- 

dimus , Nicolaus Latino Oftienf Epifcopo 

Apoñtolisx Sedis Legaro , ut Guidonem à 
Zz2 1j 


LIVRE 
VI. 


LATIN 
MALABRANCHE. 
RTS 





XI. 
* Mort du Pape Ni- 
colas LI. 


XII. 
Modeftic & dé- 
fintereflement du 


Cadinal Latin, 


t48 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


le Saint Pere faifoit fon féjour ordinaire au Château de Su- 
rien près de Viterbe , où il mourut le vingt- deuxiéme jour 


d'Aoëût 1280 *. Les vertus & les grandes qualitez de ce Pape 


font fort louées par les Hiftoriens : quelques-uns cependant 
l’acufent d'avoir trop aimé fes parens. On difoit , qu'ayant 
mené une vie fortéxemplaire dans fa jeuneffe ; & s'étant mon- 
tré toujours irréprochable dans fes mœurs , fage , pieux , pru- 
dent, magnanime , ami des Lettres & des Savans ; il s’étoit 
néanmoins engagé à de grandes entreprifes, pour agrandir 
ceux de faF ie ; enforte que dans moins F An ans de 
Pontificat, il les avoit rendu les plus riches de tous les Ro- 
mains, en Terres, en Châteaux , en argent comtant (1). 
Mais la conduite du Cardinal Larin n’avoit certainement 
Dee expofé fon Oncle à un tel réproche : & 1l eût été à fou- 
aiter que tous les parens de ce grand Pape euflent imité le 
parfait défintéreffement d'un Prélat, qu'on te bien apeller 
un homme felon le cœur de Dieu , dont la folide piété ne fe 
démentit jamais. Dans un âge , où les paffions ont coutume 
d’éxercer leur empire fur le cœur, & d’ofufquer toutes les 
lumiéres de la raifon , Latin avoit {ù fe défier de lui-même, 
& craindre l’apas trompeur des plaifirs ; Féclat des richeffes, 


_ & le fafte des grandeurs. Confacré enfuite à JESUS-CHRIST 


par la profeflion volontaire d'une rigoureufe pauvreté , il ne 
penfa qu’à fe rendre conforme au divin modéle, qu'il fe pro- 

ofoit d’imiter. Et lorfque , pour le bien général de l'Eglife, la 
Providence l'eut placé dans un pofte éminent ;, fon élévation 
ne lui fit oublier nrfon état, ni ue engagemens ; on le vit ocu- 

é du foin de foutenir dans toutes les ocañons la gloire de la 
Religion , & de procurer le bien public ; fans qu’on ait ja- 
mais pü lui reprocher de chercher fes propres intérêts, dans 
les fervices qu'il rendoit aux Peuples, ou au Saint Siège. Tel 
eft le vrai portrait du Cardmal Latin Malabranche. C'eft auffi 
l'idée que nous donne de lui faint Antonin après les.anciens 
Auteurs qui l’avoient particuhiérement connu. 


Monteferretro , & alios, SR Sri ab } animi, prudentià , pietate, religione , ca- 


Ecclefia defeionis pœniteret , facris refti- 
tucret, munus demandavit, &c. Odoric. 
ad An. 1178,n.77. 

(1) Certé qui de hoc Pontifice ( Nico- 
lao II ) egerunt , una plerique auétores 
confpiratione affcruerunt, cum multis licèt 
Situtibus cgregiè ornatum , magnitudine 


ftimonià , Scientiarum cultu, adeo tamerz 
fuorum amantem extitifle , ut etiam eos 
quocumque modo: honoribus, ram Sxcu- 
laribus quam Ecclefiafticis, poffeffionibus , 
& pecuniis augere fupra omnes deccflores. 
(tuduerit » &c. Spondas. 44 An. 1178, 7. 8. 


ame DS . 


” 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 49 
Il ne faur donc pas être furpris, fi en perdant un Pape, 
dont il étoit tendrement aimé , 1l ne perdit rien de fon crédle | 
qui fut toujours le même auprès des Souverains Pontifes , Suc- 
ceffeurs de Nicolas III. Il fe trouva à l'Eletion de trois Papes, 
u'il eut l'honneur de couronner, en qualité de Doyen des 
sr rl Et c’eft à lui en particulier qu’on doit la nomina- 
tion d'un quatrième, dont l'Eglife révère la fainteté. Nous 
expliquerons ceci dans la fuite ; &" nous pouvons dire d'a- 
vance que Martin IV, Honoré IV , Nicolas IV , ne détermi- 
nérent aucune afaire un peu importante , fans avoir aupara- 
vant confulté ce Cardinal, également intégre & éclairé. 
Si les Cardinaux euflent toujours marqué la même déféren- 
ce aux avis de leur ri ga ou s'ils fe Étant tous conduits 


ei les mêmes motifs de zéle, & de paix, ils auroient fait. 


ien plus de diligence, qu'ils ne firent » pour donnerun Paf- 
teur à l'Eglife; & on eut évité les fuites fâcheufes , qui arivé- 
rent quelquefois. Après la mort de Nicolas IT, la divifion fut 

rande dans le Conclave ; elle fe foutenoit depuis fix mois, 
ts vit éclater avec fcandale la révolte des Habitans de 
Viterbe. Le Cardinal Richard Annibald de faint Ange avoit 
Ôté le Gouvernement de cette Ville à Urfo des Urfins, Neveu 
du dernier Pape. Et deux Cardinaux de la même Famille, 
Mathieu Roffi , & Jourdain empêchoient l’Eleétion d’un Sou- 
verain Pontife , jufques à ce qu'Urfo fut rétabli. Durant ces 
conteftations , le Cardinal de faint Ange, foutenu par le Roi 
de Naples, qui s'étoit rendu à Viterbe , fit foulever le Peu- 

le : on prit les armes ; & la Populace courut au Palais 
Épifcopal , Où les Cardinaux étoient aflemblés. Parmi le tu- 
multe , les menaces , & les cris des faétieux , les mutins fe Jé- 
térent fur les deux Cardinaux , Mathieu du titre de fainte Ma- 
rie au Portique, & Jourdain du titre de faint Euftache : ils 
les tirérent avec violence du milieu de l'Affemblée, les mal- 
traitérent ; & les ayant renfermés dans une chambre du même 
Palais , ils en bouchérent les portes & les fenêtres. Tours les 
Cardinaux, qui oférent s’opofer à ces violences, furent rude- 
ment repouflés. On ne relächa enfuite le Cardinal Jourdain, 
que fous certaines conditions ; mais Mathieu Roffi demeura 


Livre 
VI. 


LATIN 
MALABRANOHE. . 
DT "tt à 





XIII. 
Son crédir eft le 
même fous Îles Suc- 
cefleurs de Nico- 


XIV. 
Révolte des Ha- 
bitans de Vitcrbe. 


Fleuri, Liv.Lxxxvre 
nn, 0. 


encore enfermé ; & pu plufieurs jours on ne lui donna 


pour nourriture que du pain, & de l’eau. 
Saint Antonin ajoute que ces mutins ne refpe@térent, ni le 
rang, ni la vertu du Doyen du Sacré Collége : le Cardinal 
Lzziÿ 


Ap. Odoric. ad Az. 
1285 ,n. 12. 


s50o HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE Latin eut donc fa part à la perfécution , quoique depuis la 


VI. mort du Pape il n'eut rien négligé pour réunir les efprits | & 
LIEN remplir au-plutôt Le Saint Siège. Mais 1l étoit un des Neveux 


MatasrancHt. de Nicolas III, qui avoit paru peu favorable au Roi de Na- 

=" ples: & la Fadion qui étoit dans les intérêts de ce Prince, 

craignoit la puiffance des Urfins. Il fe trouva cependant , auf 

y. bien que Jourdain de faint Euftache , à l'Ele&tion du Cardinal 

Eledtion du Pape de fainte Cecile , François de Nation , autrefois Chanoine, 

Soon à & Tréforier de l'Eglife de faint Martin à Tours. Ce Pape, élu 
le vingt-deux Février 1281, sh le nom de Martin IV. 

Pour venger l'honneur du Sacré Collège, le nouveau Pon- 
tife frapa d’'excommunication les Habitans de Viterbe, & mit 
la Ville en Interdit (1). Toutes les foumiflions des coupables 
ne purent le fléchir ; & pendant fon Pontificat ils demeurérent 
toujours fous l’anathême. Le Succeffeur de Martin IV , ne leva 
depuis les Cenfures , qu'à des conditions bien dures, & bien 
capables d'humilier ceux L Cu s'étoient atirés ce châtiment. Le 
Pape fortit cependant de Viterbe ; & tandis qu’il fe retiroit à 

Orviette , il envoya à Rome, en qualité de fes Légats, Latin 
Gore B8t; Malabranche, & le Cardinal Godefroi du titre de S. George 
au Voile d'or. L'objet de cette Légation étoit de pacifier quel- 
ques troubles , & de rétablir la concorde parmi les Romains, 
afin que la folemnité du Sacre , & du Couronnement du nou- 
veau Pape, püt fe faire felon la coutume , dans cette Capitale. 
xyr C'eft ce que nous aprenons d'une Lettre de Martin IV au Roi 
Couronné par le de Sicile. Les foins des Légats rétablirent en éfet la tranquilité 
Cardinal Laun, dans la Ville de Rome, comme il paroît par un A&e public du 
dixiéme de Mars 1281; & néanmoins le ba e {e fit couronner à 
Orviette le 23 du même mois., quatrième Due de Carè- 
me. Notre Cardinal pouvoit être de retour aupres de Sa Sain- 

teté, pour faire ce serbes 
so Il paroït que fous ce Pontificat , & le. fuivant , le pieux 

: ; 7 

Ocupations de e Doyen un peu moins chargé de Légarions , fut aufhi plus en 
Cardinal. liberté de vaquer , felon fes défirs, à fes éxercices de dévo- 
tion, & à fes autres devoirs particuliers , tantôt dans le repos 
de la retraite en la compagnie de fes Freres, & tantôt dans 


(1) Ex hacigitur violentia omnes au-| Romæ nudis pedibus, & cum corrigia ad 
étores Sententiam excommunicationis in-| collum ufque ad Domum Domini Mathæi , 
currunt, & Civitas fuppofita interdiéto ; | humiliter veniam petens , & idem Cardina- 
& ex tunc Curia ibidem refidentiam facere | lis ejus abfolutionem impetraviL Ogeric. 
noluit. Prædius autem Richardus cum | #d An. 1181, #. 1. 
multa humilitate venis de Domo propria 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. ss: 


fon Eglife d'Oftie, ocupé à nourrir fon Ce rs delaPa- LIVRE 
tole de Dieu , ou à faire obferver les loix de la Difcipline Eclé- ___ VI. 
fiaftique à toutfon Clergé. Il fe rendoit auflifouvent auprès du Lars 
Vicaire de JEsus-CHRIST. Et nous trouvons fon nom avec Mme, 
ceux de plufieurs autres Cardinaux , dans les A de —— 
elques Bulles de Martin IV, & d'Honoré IV. Les Doéteurs 
de Paris, députés par quelques Evêques de France, Darri de- 
mander à ce dernier Pape des éclairciffemens fur. la Bulle de 
fon Prédécefleur, qui commence par ces mots: 49 fruilus 
uberes , nous aprennent quel étoit-le crédit du Doyen des Car- 
dinaux. Non, difoient ces Théologiens, écrivant aux Pré- XVII. 
lats qui les avoient envoyés, il ne faut pas efpérer de pouvoir ne us 
rien obtenir contre les Réguliers dans cette Co , où le Car- 
dinal Latin eft tout puiffant. Un d'eux raporte, qu'ayant vou- 
lu expofer en préfence de Sa Sainteté , les raifons des Reli- 
gieux , pour les combatre enfuite , le Doyen on a 
ces paroles : Ce n'eft point à vous à nous aprendre les raifons 
qu'ont les a ; propofez feulement les vôtres ; ils fau- 
ront bien dire les leurs. Il ajoute cependant que cette Eminen- 
ce lui permit enfuite de dire librement tout ce qu’il voudroit. 
En éfet, le zéle de ce grand Cardinal, & l'amour qu'il con- 
ferva toujours pour l’état, qu'il avoit embraflé dès fa jeunefle, 
ne le portérent jamais à favorifer ce qui auroit été contraire 
aux loix, ou à l’ordre de la juftice. Et ce qui lui avoit parti- 
culiérement concilié la Rp PS fi conftante des Souverains 
Pontifes , étoit cette droiture , & cette intégrité , dont il fai- 
foit profeflion. Mais pour les mêmes raifons , on peut dire que 
tout l'Ordre de faint Dominique ne vit qu'avec une peine in- 
finie le Cardinal Malabranche obligé d'agir contre un Supé- 
rieur , dont le mérite connu étoit rs, me refpeété. D 
toutes les commifhons , dont il eut été encore chargé, la plus 
délicate fut peut-être celle , que lui donna le Pape NicolasIV , 
pour faire procéder à la dépofition de l’illuftre Munio de Za- 
mora , feptième Général des Freres Prêcheurs. Comme on à 
toujours ignoré les véritables motifs, qui avoient porté le 
Vicaire de JESUS-CHRIST à donner des ordres fi rigoureux , 
on ignore aufh ceux qui déterminérent notre Cardinal à en 
refler l'éxécution. Il eft vrai qu'après avoir fait favois aux 
Définiteurs du Chapitre Cine les intentions de Sa Sainteté , 
& les avoir exhortés à s'y conformer avec refpe& , il ne fe 
mêla plus de cette odieufe afaire , qui ne fut terminée qu’un an 








Codex MS, Colbert, 
3266, 


LIVRE 
VI. 


LATIN 
MALABRANCHF. 


XIX. 
Il éxamine les 
plaintes du Clergé 
de Portugal contre 
les Miniltres de la 
Cour. | 
Fleuri, Liv. LXXxvI, 


n. 55. 
Liv. LxxxIx, 8, 5, 


pour Je Clergé du 


«52 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


après par un Bref Apoftolique : nous en parlerons ailleurs. 
Dès la premiére année du Ponuificat de Nicolas IV , Latin 
Malabranche avoit êté nommé par ce Pape , pour éxaminer 
avec deux autres Cardinaux la juftice des plaintes, que le 
Clergé de Portugal avoit formées depuis long-tems contre les 
Miniftres d’Alfonfe IT, & qu'il continuoit à faire contre la 
conduite de Don Denis, Fils, & Succeffleur de ce Prince. 
L'Archevêque de Brague , & avec lui ap tous les Evè- 
ues du Royaume, s'étoient fouvent plaints aux Souverains 
Pontites , de l’opreflion où fe trouvoient les Eglifes, & les 
Perfonnes Ecléfiaftiques, dans le Portugal. On acufoit les 
Oficiers de la Cour, les Magiftrats , les Gouverneurs , de 
violer ; dans toutes les ocafions, l’immunité, la liberté , les 
droits, & tous les privilèges des Eglifes ; de les dépouiller 
avec violence de leurs biens , & de leurs pofleffñons ; d’éxer- 
cer contre les Clercs toutes fortes Mr ape d'employer 
quelquefois les Infidéles mêmes, les Fuifs, ou les Sarafins, 
our véxer, maltraiter, tourmenter en plus d'une façon les 
Perfonnes confacrées à Dieu, ou par leur Caraftére , ou par 
la Profeffion Religieufe. On prétendoit que le Prince , au lieu 
de punir les coupables , & de réprimer ra excès, ou leurs 
facriléges , les autorifoit au contraire, & fembloit vouloir 
leur affürer l'impunité par des loix, qui déshonoroient la Re- 
ligion ; ce qui avoit atiré les Cenfures de l'Eglife fur fa Per- 
fonne, & l’Interdit fur tout le Royaume. Cette grande afaire 
étoit depuis long-tems vivement agitée : dès l’an 1284, les 
Prélats avoient préfenté au Roi les articles de leurs Griefs ; & 
dans une Cour générale, ou Affemblée d'Etats ,-on avoit 
traité d'acommodement ; mais quatre ans après , les diférends 
n'étoient pas encore terminés , & 1l étoit dificile qu'ils le fuf- 

{ent jamais fur les lieux, 

= EnfinleRoi Denis ayant envoyé à Rome des Députez char- 
gés de fa Procuration, pour confommer le Traité par la mé- 
diation, ou l'autorité du Saint Siège, Je Pape choifit pour 
cet éfet trois çélébres Cardinaux, Latin Evêque d'Oftie , 
Doyen du Sacré Collége, Pierre Cardinal Prêtre du titre de 
faint Marc , & Benoît Caïetan du titre de faint Nicolas. Les 
Paryes comparurent devant eux ; favoir , l’Archevêque de 
Brague, & les trois Evêques de Coimbre, de Silva, & de 
Lamégo , autorifés par le Pape à cet éfet , tant pour eux que 
patte à d'une part; & de l’autre, les 
| deux 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 553 


deux Envoyez du Roi, Martin Perés, & Jean Martinés , le 
remier , Chantre d'Evora, & lefecond , Chanoine de Coim- 
es Tous les fujets de plainte pfopofés par les Evêques Por- 
tugais , dans plus de trente articles , ayant été foigneufement 
difcutés , notre Cardinal les fit préfenter aux Députez de Don 
Denis, qui fe récriérent fur la plupartde ces acufations , fou- 
tenant que le Roi leur Maître n’avoit jamais fait, ni autorifé 
ce dontonfe plaignoit, &aflurant que jamais il ne le feroit, 
ni le foufriroit. Sur les autres articles , ils promirent que l'in- 
tention de Sa Majefté étoit de fe conformer déformais au droit 
commun, & de donner fatisfaétion à l’Eglife. Les Cardinaux 
en conféquence firent drefler un A@e, A du douzième de 
Février 1289 , pour rétablir la liberté, & l’immunité de l'E- 
glife dans le Portugal , faire réparertous les dommages qu'elle 
avoit fouferts , & abroger les loix dorit on avoit eu un jufte 
fujet de fe plaindre (1). | 
_ Tout ce qui avoit été réglé par les trois Cardinaux , Sa Sain- 
teté l’aprouva ; & en même tems elle donna commiffion au 
Prieur des Dominicains de Lifbonne , & au Gardien des Fre- 
res Mineurs, de recevoir , tant de la part de Don Denis, que 


de tous les autres qui fe trouveroient dans le cas , la promefle 


qu'ils devoient faire avec ferment , d’éxécuter fidélement tout 
ce qui avoit été ordonné. Après quoi ces deux Commiffaires 
Apoftoliques étoient munis de tous les Pouvoirs néceflaires, 
foit pour abfoudre des Cenfures, ceux qui en avoient été fra- 

és, & lever l'Interdit , fous lequel tout le Royaume gémif- 
foit dépuis plufeurs années ; foit pour veiller au rétabliffe- 
ment de la Difcipline , à & l’obfervation des Loix de l'Eglife, 
trop long-tems négligées, ou méprifées (2). M. Sponde re- 
marque que les Ecrivains Portugais ont gardé un profond fi- 
lence fur tout ce que l'on vient de raporter. Il eft vrai que 


(1) Præfectis huie negotio à Nicolao 
Papa , Latino Cardinali Oftienfi cum aliis 
duobus , ita coram illis inter Cleri Regifque 
Legatos ad id miflos conventum tt , ut 
LEE impiæ antiquarentur , libertas Eccle- 
faitica reftitueretur, damna illata refarci- 
rentur ; pœnis ftatutis gravifflumis in ne 
aliofque qui quovis modo contra Jura, 
Privilegia, & Immunitates Ecclefiafticas im- 
pofterum delinquerent : confeétis hac de re 
A&is publicis Romæ apud Sanétam Mariam 
Majorem anno præfenti 11289, die duode- 
gimà Februarii , &e, Spondanus ad An, 


Tome L. 


1289, 9.1. 

(2) Eadem.... auétoritate Apoftolicä 
confirmavit, Nicolaus ; Priorique Ordinis 
Prædicarcorum , & Guardiano Minorum Ci- 
vitatjs Ulyfliponenfis commifit , ut ex mo- 
re à Rege Dionyfo , & reliquis qui in præ. 
diétis dcliquerant, juramentum de parendo 
mandatis Écclefiæ , & obfervandis pactis 
conditionibus, reciperent ; omnes anathe- 
mate exolverent , Regno facra à multo tem 
pore interdiéta reftituerent ; idemque mul. 
tis rebus deformatum ad normam Ecclefias 
fticam conformarent, &c: Ibid. 


ÀAaga 


LIVRE 
VI. 


LATIN 
MALABRANCHE. 
ARR 








I] termine cette 
grande afaire. 


Vide Odoric.ad An, 
1289,n. 17, &cc, 


554 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE tous ces faits ne font point une preuve des grandes vertus, 
VI. qu'ils atribuent communément au Roi Don Denis. | 
LATIN Celles de faint Louis, décédé depuis dix-neuf ans, répan- 
MrABRANCHE. doient une meilleure odeur dans l'Eglife. La Cour de Rome 
en étoit toute ocupée ; & notre Cool fe trouvoit à la tête 
des Commiflaires, nommés par Sa Sainteté, pour éxaminer 
Fleuri, Liv, mx, es Miracles , & travailler au Procès de la Canonifation du 
ne Confeffeur de Jesus-CHrisT. S'il n'eut pas le plaifir de voir 
la confommation d’une afaire , qui lui tenoit particuliérement 
au cœur , il l’avança beaucoup ; & la mit en état d’être heu- 
reufement terminée par l’un des Cardinaux , qui y avoient 
travaillé avec lui. Mais parmi ces diférentes ocupations, le 
eux Doyen donnoit toujours fes premiers foins à celle qui 
le touchoit de plus près , je veux dire, à fa propre perfe&tion , 
& à fon falut. La fuite , & tout l'embarras des afaires ne l’em- 
pêchoient point de vaquer, à certaines heures, au faint éxer- 
xholom. - Lncn, ICE de l’Oraifon. Il aimoit à converfer avec les perfonnes 
Hit. El, Liv. xuv, d’une éminente vertu ; & la fainteté de Pierre de Mouron l’a- 
3, 30. Ra à : : 
tiroit quelquefois dans fon eg 3 ; Où, loin dufafte, & 
du bruit de la Cour, 1l goûtoit le plaifir de s’entretenir fami- 
haïrement de Dieu , avec un Réclus, dont le cœur & les pen- 
fées étoient toujours au Ciel. Nous ne parlerons point ici des 
randes aumônes, que fa charité lui faifoit cacher dans le 
Cu des Pauvres, ni des riches préfens qu'il faoit aux Egli- 
fes , & aux Monaftéres, en Vafes facrés , en Ornemens, er 
Livres , & en tout ce qui peut être néceflaire pour le Service 
divin. Bzovius dit qu'il avoit fait bâtir une Eglife , apellée de 
Adan.13%43 % 57. fins Sauveur. | 
Mais ce qui donna le plus de luftre à la fageffe , & à toutes 
les vertus de ce Cardinal . fut la manière dont il fe conduifit 
pendant la longue vacance du Saint Siège , après la mort de 
Nicolas IV ; le zéle qu'il fit toujours paroître pour l'Eleétion 
d'un Saint Pape ; & la confiance que lui marquérent enfin 
tous les autres Cardinaux, en lui remétant le choix d'un Pon- 
tife felon le cœur de Dieu. Voici comment les Auteurs con- 
temporains ont raporté la fuite de ces faits. 7 
_. XXI. Après la mort du Pape, décédé à Rome le Vendredi Saint , 
ee uatriéme jour d'Avril 1292, les Cardinaux, au nombre de 
mort de Nicolas douze , s’enfermérent enfemble ; & Latin des Urfins, leur 
LORS Doyen, leur fit un Difcours fort beau, & très-patétique, 
pour leur perfuader d'élire promtement un digne Sujet felon. 








DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. ss 


latente des Peuples , & les défirs de tous les gens de bien (1). 
Mais les Cardinaux alors n’étoient point réfolus de faire tant 
de diligence ; & quelques-uns parurent affez peu touchés des 
paroles d’un homme, dont la vertu (dit un Ancien ) devoit 
donner un nouveau poids à toutes les raifons qu'il aportoit. 
Après avoir été dix jours renfermés dans le Palais, En Ni- 
colas IV avoit fait bâtir à fainte Marie-Majeure , ils pañlérent à 
celui d'Honoré IV , près fainte Sabine , au Mont-Aventin ; & 
de-là ils allérent à la Minerve. Mais à la fin du mois de Juin, 
furvinrent des maladies ; qui enlevérent beaucoup de monde 


dans Rome , & qui pénétrérent dans le Conclave: le Cardi- 


nal Jean Cholet en mourut le fecond jour d’Aoùt. Le Doyen 
croyoit que c'étoit une raifon de preffer l’Eleëtion ; & les au- 
tres au contraire en priregt ocafion de fe féparer , fans avoir 
encore rien fait. Quatre Cardinaux fe retirérent à Rieti, & y 
paflérent l'Eté dans un air plus fain. Benoît Caïétan alla à 
Anagni fa Patrie; & Latin PT A re a , avec les cinq autres 
Cardinaux , demeura à Rome ; où il facra l’Archevêque de 
Gênes , Jäques de Voragine , Religieux de faint Dominique. 
Les chaleurs & les maladies ayant ceflé en même tems, les 
Cardinaux abfens retournérent à Rome , & s’aflemblérent de 
nouveau à la Minerve ; mais ils ne purent s'acorder. Le prin- 
cipal fujet de leur divifion étoit que les uns, dont le Cardinal 
athieu Roffi des Urfins paroifloit le plus zélé, vouloient un 
Pape agréable au Roi de Naples. Et les autres, ayant Jâques 
Colonne à leur tête, s'opiniätroient dans un Parti opofe (2). 
C'eft ainfñ , felon la réfléxion de faint Antonin, que les 
uns & les autres , cherchant leurs propres intérêts , & non pas 
ceux de JESUS-CHRIST, oublioient ce qu'ils devoient à En 
Eglife ; & fans le vouloir , donnoient ocafion à des brigan- 
dages , à des féditions , à des meurtres, qui fouillérent la 
Ville de Rome ; & dont la contagion fe répandit infenfible- 


(1) Ut porro Latinus Oftienfis Epifco- 
pus clegantem ad ipfos orationem habue- 
rit , ut omnium animos in concordiam ad 
præficiendum Ecclefiæ Paftorem adduceret , 
profequitur non invenufto carmine Jacobus 
Cardinalis fanêti Georgii ad Velum au- 
TEUM..... facras indixit libare preces, 
quas ipfe Latinus Ordine Pontificum pri- 
mus virtute corrufcans, & yeneris tirulis 
radiatus fudiit ad aramVirgineam, pfallente 
choro. Mox omnibus una feclufis, patri- 
bus fuccenfo pectore fatur, &c. Oxorsc. ad 


AH. 1291, 9. 18. 

(2) Difcordiæ præcipuam caufam affert 
Joannes Villanus , cum alii, quorum Prin: 
ceps erat Mathæus Rubeus Urfinus, ftudio- 
fum Caroli Regis Siciliæ Pontificem creare 
vellent ; altera vero fa@tio , cujus antefigna- 
aus crat Jacobus Columna, contrarium af- 
feétarer. Quibus addit fanétus Antoninus : 
& propter hoc, quærentibus illis quæ fua 
funt, & non quæ Jefu Chrifti, tantüm di. 
lata cft eleétio, Odoric. us fp. 


Aaaa 1] 


LIVRE 
VI. 


LATIN 
MALABRANCHE. 
SERRE 


a à 





III. Part. Tit. XX, 
C. vus. 


XXII. 
Suites de cette di- 
viñon. 


LIVRE 
VI. 


ÉATIN 
MALABRANCHE. 





QE ee 





556 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


ment dans toutes les parties de l'Italie. Le Cardinal Jâques du 
titre de faint George au Vojle d'or, nous a laiflé une vive 
peinture de tous ces maux : mais en même tems 1l a donné au 
Cardinal Latin les juftes louanges , qu'on ne fauroit refufer à 
la droiture de fes intentions , & à la pureté de fon zéle. Ce 
Doyen en éfet, fans fe livrer à aucun des deux Partis, conti- 
nuoit à faire tous fes éforts, pour les réunir dans des fenti- 
mens plus dignes des premiers Princes de l'Eglife. Les fincéres 
RP du Serviteur de Dieu , fes pénitences, fes fer- 
ventes priéres, & celles qu'il ordonhoit , eurent leur éfet au 
moment que la Providence avoit PS » pour jéter un re- 
gard de miféricorde fur fon Eglife. Mais ce moment n’étoit 
pas encore venu. Les troubles qui agitoient toujours la Ville 
de Rome, obligérent les Cardinaux de fe féparer une feconde 
fois. Ce ne fut que dans le dix-neuviéme mois de la vacance 
du Saint Siége, qu'ils fe raffemblérent à Péroufe , le dix-hui- 
tiéme d'O&tobre 1293 ; & l'Hiver fe pafla encore avant qu'ils 
fiflent d'Ele&ion. 

Charles IT, Roi de Sicile , revenant de France , ariva en ce 
tems-là à Péroufe , où il rencontra fon Fils aîné Charles-Mar- 
tel, Roi de Hongrie , qui venoit à fa rencontre. Les Cardi- 
naux envoyérent auffi au-devant de Eui Napoleon des Urfins, 
& Pierre sci , qui le reçurent avec un nombreux Clergé 
à quelque diftance de la Ville. Tout le Sacré Collége le reçut 
de même à l'entrée de l'Eglife, & le falua par le Does. Ce 
Prince, aflis enfuite aumulieu des Cardinaux, les exhorta à 
ne point diférer davantage à remplir le Saint Siége. Le Car- 
dinal Latin, au nom de tout le Sacré Collége , répondit aw 
Roi avec beaucoup d’éloquence, & de fagefle (2). Mais, 
ajoutent les Hiftoriens , la réponfe du Cardinal Benoît Caié- 
tan parut moins mefurée ; & Charles IT en témoigna fon mé- 
contentement par quelques paroles un peu dures (2). 

Cependant toute l'Eglife en priéres , atendoit depuis vingt- 
fept mois un premier Pafteur ; & l’on étoit au commencement 
de Juillet 1294 , lorfque les Cardinaux, dans l’une de leurs 
Aflemblées , vinrent à parler de la mort , à l’ocafion de Na- 
poleon des Urfins , qui avoit été obligé de s’abfenter, parce 

(1) Refponfa Duci digefta Latinus atru- | gendum Pontificem Cardinales precibus in 
li, & placido diffudit verba lepore. Jac. | ducir : dura quoque verba cum Domino Be- 
Cardi. ap. Odoric. #d An. 1193, n.1. nediéto Caïctani habuit ; nihil tamen pro 


(2) Tunc ctiam Rex Carolus de Provin- | fecir. Jord. MS. Var.#>. Odoric. Ad An: 
ga veniens, per Perufium tranfit ; ad cli- | 1293, #. 2 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. sy 


que fon Frere venoit d’être tué d'une chute de cheval. Cet 
accident ayant fait faire aux Cardinaux de plus férieufes ré- 
fléxions , je , Evêque de Tufculum, dit : Pourquoi donc 
diférons - nous fi long -tems de donner un Chef à l'Eglife ? 
Pourquoi cette divifion entre nous ? Notre Cardinal, profi- 
tant habilement de ces premières difpofitions , ajouta : Il a été 
révélé à un famt Homme , que fi nous ne nous preflons d’élire 
un Pape, la colère de Dieu va éclater fur nous. Benoît Caïé- 
tan ( depuis Boniface VIIT ) reprit, en fouriant: N’eft-ce point 


Frere Pierre de Mouron, à qui cette révélation a été faite ? . 


Oui, répondit le Cardinal Latin , c’eft lui-même qui me l’a 
écrit, x ru que, tandis qu'il faifoit fa priére de nuit de- 
vant l’Autel, il avoit reçù ordre de Dieu de nous en avertir. 
Alors les Cardinaux commencérent à s’entretenir du mérite, 
.& de la fainteté de ce grand Serviteur de Dieu : l’un relevoit 
l'auftérité , & l'innocence de fa vie ; l’autre parloit de fes ver- 
tus , ou de fes miracles. Mais aucun n’en pouvoit parler plus 
favanment que le Cardinal Latin, qui lui étant uni depuis 
long-tems par une fainte amitié , lui rendoit de fréquentes 
vifites, pour recommander à {es priéres les befoins de l'Egli- 
fe, & faifoit de grandes aumônes à fes Difciples , qu'il avoit 
ris fous fa proteétion , (1), comme l’affure Tholomée de 
Fes : | | | 
Dès que ce Cardinal vit les efprits fi bien difpofés, il don- 
na le premier fa voix , pour élever le faint Hermite fur la 
Chaire Apoftolique : puis il demanda les fufrages | & fix au- 
tres Do le fuivirent. Jäques & Pierre Colonne difé- 
rérent de fe déclarer jufqu’à ce qu’ils euffent apris l'intention 
du Cardinal de faint Marc, que la maladie retenoit dans fon 
Logis. On envoya vers Napoléon , qui vint auffi-tôr, & 
aprouva l'avis des autres. Enfin les onze Cardinaux fe fenti- 
rent comme infpirés d'élire Pierre de Mouron pour Pape ; & 
tous parurent y concourir avec la même ardeur. Mais afin de 
procéder plus réguliérement , ils donnérent pouvoir au Doyen 
du Sacré Collége délire, ou de proclamer le nouveau Pape, 
au nom de tous ; il le fit, & les autres ratifiérent l'Eledion. 


C'eft ce que porte l'Aëte public , qui en fut dreffé à Péroufe, 


G) Latinus vir fuit magnæ Religionis | titiæ fpecialem eleymofinam tranfmittebar ; 
& fanétitatis ; & ex devorione fpecialiter | fuofque Confratres qui commorabantur Ro 
conjunétus fuerat Fratri Petro de Murone ; | mæ....fuftentabat, &c. Tholom. Lucen. 
cidemque fingulis annis à tempore fux no- | Hif. Eccl. Lib, XXIV, C. xxx. 


Aaaa 11} 


LIVRE 
VI. 


| LATIN 
MALABRANCHE. 
D <a. À 


een ae ntencrrnss as 





XXIII. 

Le Cardinal Las 
tin travaille à éle. 
ver Pierre de Mou- 
ron fur le S. Sitge. 


Vide Odoric. ad AK 
1294,n. S. 

Et Spondar, 11944 
fe Jo. 


LIVRE 
VI. 


LATIN 
MALABRANCHE. 
D on. 4 





Fleuti, Liv. LXxXx1X, 
n. 19. 


XXIV. 

Mort du pieux 
Cardinal , après 
avoir donné un 
faint Pape a l'E- 
glile. 


XXV. 
Son Eloge, 


558 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


le Lundi, cinquième de Juillet 1294. Tous les Analiftes par- 
lent de même; & c’eft avec raifon qu'on a toujours fait hon- 
ueur à notre Cardinal, d’une Éleëtion, qui mit fin à de lon- 
gues divifions, édifa les Fidéles , & confola toute l'Eglife. 

C'étoit au même Cardinal à facrer le Souverain Pontife ; 
mais il mourut à Péroufe, trente-cinq jours après avoir donné 
un Chef à la Chrétienté. Hugues de Billon, autre célébre 
Dominicain , Cardinal Prêtre, du titre de fainte Sabine , fut 
honoré de la dignité de Doyen; & ayant été lui-même facré 
par l’Archevêque de Bénévent, 1l fit la Confécration , & le 
Couronnement du Pape , qui prit le nom de Céleftin V. Ainf 

arle M. Fleuri après l'Abé Ughel, felon lequel Latin Mala- 
br mourut dans le mois d'Août, en odeur de fainteté (1). 
Il femble qu'il devoit couronner fa belle vie par une a@ion 
aufh glorieufe , que celle d'avoir placé fur le Trône de faint 
Pierre , un Pontife, qui par fes éminentes vertus, imitoit de 
fi près celles du Prince des Apôtres. Le Serviteur de Dieu 
avoit déja acompli les deffeins du Seigneur ; & le Ciel fe hâta 
de le retirer de ce monde, fans doute pour lui épargner la 
douleur de voir bientôt après toute l'Eglife, & la Cour de 
Rome en particulier, plongée dans de nouveaux troubles, 
par la malice de l'Homme ennemi. 

Nous ne pourrions pas aflurer qu'il ne les eût vû déja com- 
mencer , ces troubles , fi, comme Bernard Guidonis , nous 
ne métions fa mort que dans le mois de Novembre. Léandre 
Albert, Bzovius, M. Sponde ont fuivi ce fentiment. Et ce- 
lui-ci ajoute que ce fut principalement par les fages confeils, 
& l'habileté Ls pieux Éardinal , que Célefin V fe conduifit 
au commencement de fon Pontificat : mais qu'après la mort 
de ce grand Homme, le faint ak acablé fous le poids de fa 
Charge, dont il comparoit la pefanteur avec fon peu d’expé- 
rience dans le maniement des afaires, penfa dès-lors à fe s 
métre , comme il le fit cinq mois & quelques jours depuis fon 
Eleëtion, trois mois & demi après fon Couronnement (2). 

En quelque tems que foit arivée cette mort , il eft certain 


CE 


(:) Celeftino V ad arbitrium Cardinalis| rendis parum exercitatus , poft obitum La- - 
Latini Pontificatüs onus delatum cft ; quo | tini Cardinalis , viri præftantiffimi Ordinis 
fedente Latinus non fine fanéitatis odore | Prædicatorum , cujus confilio & dexteritate 
deccflit Perulixæ anno 1194 quarto Idus Au-| Pontificatus potiflunum regebatur, qui con- 
gui, &c. Iral. Sacr.T. I, Col.1xx. tigit menfe Novembri, Ecclefiæ univerfalt 

(2) Cüm autem camdem fervaret ( Ge- | rewcndæ minus idoneus exiftimaretur , &c. 
leflinus) vitx normam .... rebufque gc-1 Spozdan. ad An, 1194, n. 4 


SF 


—— — 
. + 


DE L'ORDRE DES.DOMINIQUE. 559 


que les perfonnes fages la confidérérent comme une véritable 
perte pour toute l’Eglife, mais an particuliérement pour le 
nouveau Pontife. Les grands fervices, que notre Cardinal 
avoit rendus à l’un & à l’autre , ne permétoient point de pen- 
{er autrement. Bien-loin que nous les ayons éxagérés, ces fer- 
vices, dans le récit trop nie à que nous en avons fait, nous 
ne pouvons pas même nous flater d’avoir touché tout ce qui 
mériteroit d'être remarqué. Pour cela, 1l auroit fallu faire 


LIVRE 
VI 


LATIN 
MALABRANCHE:. 








l'Hiftoire de quatre ou cinq Papes, ou décrire tout ce + on | 
dd 


ocupa le Saint Siége, pendant les dix-fept ans que Latin 
labranche en fut comme l’ornement & l'Oracle. Mais ce que 
nous paflons fous filence , on peut le lire dans les Auteurs 
Ecléfiaftiques : il n’en eft aucun, qui ne fe foit fait un devoir 
de juftice de louer le Serviteur de Dieu , fes vertus, fa doc- 
trine , & l’ufage qu'il avoit fü faire de fes talens pour l'utilité, 
ou le repos de l'Eglife. Nous avons vù que Tholomée de Lu- 
ques ne un Homme d'une ne fainteté. Saint Anto- 
nin en plus d’un endroit parle de {a tendre piété, de fa modef- 
tie , de l’éfufion de fa charité envers les pauvres ; & il lui atri- 
bue quelques Miracles. Selon Oderic Raynald , l’éloquence 
de ce Cal étoit admirable, fa vie très-pure, & fes mœurs 
excélentes. Plufieurs Ecrivains lui ont donné le titre de Bien- 
heureux. Et on le comte parmi les plus faints Perfonages , 
uiayent illuftré la Maïifon des Urfins (1). Son corps, trans- 
dre de Péroufe à Rome, a été mis dans la fuite des tems avec 


celui d’un autre illuftre Cardinal de la même Maïfon , & du 


même Ordre , dans un Tombeau de marbre , qu’on voit en- 
core aujourd’hui dans l'Eglife de la Minerve. | 

On croit que la Profe, Dies ire , Dies illa , & quelques 
autres qu’on Chantoit autrefois en l'honneur de la fainte Vier- 
ge , font de Latin Malabranche. Nous n'avons ni fes Sermons, 
ni les autres Difcours, qu'il avoit prononcés, foit dans le 
Conclave, foit dans les Affemblées des Peuples, dont il pa- 
cifia fouvent les troubles, & apaifa les divifions , autant par 
la force de fon éloquence, que par la réputation de’fa vertu. 


leberrimus . ... unus eft ex Beatis, quibus 
Urfina gens illuftratur. Le Bwllar. Ord.T.I , 
+ 572. ” 


2e 


(1) Beatus Latinus , fummi Pontificis 
Nicolai TT ex Sorore nepos, doétrinæ præ- 
flantiä , fanctitatis famä , & miraculis ce- 





Echard, 'F.1,p.45% 


560 HISTOIRE DES HOMMES ILEUSTRES 
LIVRE 


VI: SPSVSV SMS S VEN SNENSN MSN SUSPENSE Se 
RAYMOND 


DE MEVILLION. 


ARCHEVÊQUE D’EMBRUN. 
Rao DE Li Maifon des Seigneurs de Mévillion a été pendant plu- 


MEvILLION. fieurs fiécles fort 1lluftre , tant dans le Dauphiné, que 
_# dans la Provence. Et la fuite de l'Hiftoire nous fait compren- 
L. dre que le nom de Raymond étoit comme héréditaire dans 
Parens de Ray- Cette Famille. Le faint Perfonage , dont nous allons écrire 
ra de Movik fuccintement la vie, nâquit vers l'an 1235.Son Pere, Baron 
| de Mévillion , & fa Mere apellée Sibille , l’un & l’autre auffi 
diftingués par leur piété , que À oi la nobleffe du Sang, prirent 
un foin particulier de fon éducation ; & le Ciel bénit leurs 
atentions. | 
. Dès que le jeune Raymond fut en état de connoître fa vo- 
cation , il renonça à toutes les efpérances du fiécle , à fes 
ue biens, & à fa propre liberté, pour ne s'ocuper que du 
oin de fon falut , & travailler à celui du prochain, dans lOr- 
I. dre de faint Dominique. Le Couvent de Éferon , en Proven- 
Tlentre dans l'Or- | à e 
dre de S. Domini. Ce » fut le lieu de fa retraite, & de celle de plufeurs de fes 
que. Parens, qui le fuivirent dans la même Profeffion. Pendant 
que le nouveau Religieux , toujours fidéle à la Grace , ne 
penfoit qu'a 6 1 le tréfor des vertus, 1l plut à Dieu de l’é- 
prouver, & de le confoler en même-tems. Sa pieufe mere, 
plus chargée de mérites , que de jours, fe repofa dans le Sei- 
Son pere le fu Bneur ; & fon pere , pour aflurer lui-même fon falut par la 
dans la même Pro- pénitence , embraffa aufh-tôt l’Inftitut des Freres Prêcheurs ; 
FOR où il vécut encore plufieurs années dans un efprit de retraite, 
& raourut fort faintement fur la fin de 1273 (1). 


(1) Raymundus ,.,.. @mro Medullio- | tuâ, Ordinem Prædicatorum amplexus eft 
num fanguine ortus ( quz Domus in Pro- | Pater , in quo fantè obiit fub finem anni 
vincia & Delphinatu floruit ) Patrem habuit | 1273. Gal. Chrifi.T, III, Col. MLxxx1, 
Raymundum cognominem MedullionisTo- | #ov. editie. 
parcham, mauem vero Sybillam , quà mor- | 


I 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 6: 


Il eft bon de remarquer cette date pour éviter la méprife, 
où font tombés les Meffieurs de Sainte Marthe , & quelques 
Auteurs Dominicains ; qui, en confondant Raymond , Sel- 
gneur de Mévilhon, avec fon Fils, ont cru que le premier , 
après avoir porté quelque tems l’Habit de faint Dominique, 
avoit été fait Evêque de Gap, & enfuite Archevêque d'Em- 
brun. Mais , par la fuite des Evêques de l’une & l’autre Eglr- 
fe , il eft certain que ces deux Sièges n’ont.été fucceflivement 
ocupés par Raymond de Mévillion, que depuis l'an 1287, 
jufqu'en 1294 ; par conféquent après la mort de Raymond de 
_ Mévillion le Pere. pi Guidonis l’apelle quelquefois Ray- 
mond le Vieux , pour le diftinguer de fon Fils. 

Celui-ci s’étoit déja aquis beaucoup de réputation par fa 
piété, & par fes talens : on loue particuliérement fa rare mo- 
deftie , qui donnoit un nouveau relief à fes autres vertus, & à 
toutes fes a&tions. Dans le Chapitre de fa Province, tenu à 
Avignon l'an 1264, on le nomma Prédicateur Général ; ce 
_ fupofe qu'il avoit éxercé quelque tems cet Emploi avec 

uccès. Ses aétes fcholaftiques , & la fagefle de fon gouver- 
nement dans la conduite de quelques Maifons Religieufes, 
ne firent pas moins connoître fon érudition , fa prudence, fa 
régularité (1). Nous trouvons fon nom dans les Aûes de 
cinq Chapitres Généraux, dont deux avoient été célébrés à 
Bologne en Lombardie , deux à Milan, & un à Paris. Dans 
les trois derniers, Raymond de Mévillion avoit paru en qua- 
Jité de Définiteur de la Province de Provence ; & la Commif- 
fion , dont il fut chargé , ne nous permet pas de douter qu'on 
n'eût une grande idée de fa capacité , & de fa fermeté. 

Jean Peckam, Francifcain Anglois, ayant fuccédé à notre 
Robert Kilouarbi dans le Siège de Cantorberi , entreprit un 
peu trop précipitanment de cenfurer quelques propofitions 
purement Philofophiques , aflez communément enfeignées 
-dans les Ecoles Catholiques, & qui fe trouvoient dans les 
Ecrits de faint Thomas. Il fit d’abord beaucoup de bruit dans 
le Diocèfe , & même dans toute fa Dove Riu, 
contre les Difciples du Doéteur Angélique , à qui l'Eglife n’a- 
voit pas encore décerné l'honneur de [a Canonifation. Il eft 


(1) Filius vero ejus eidem Ordini aomen { folertià clariffimus ; ut ad graviora meritè 
dedit medio circiter {æculo decimo-tertio , | fui Ordinis pertraétanda negotia, primaf- 


Bal, Satr, T, LI, Col. nixxxi. 


Bbbb 


diu rexit, pietate , regularis Difciplinæ ftu- 
dio , facundià , in 7 prudentià, ac 
Tome I, 


virque evafit eruditione in Scholis , quas de Ecclefiæ Dipnitates fuftinendas admotus. 


LIVRE 
VI. 


RAYMOND De 
MEvVILLION. 





Ap. Echard, of, 
p.436. 
IV. 
Vertus, talens , 
8& Emplois de Ray- 
mond de Mevil. 
lion. 


Il eft envoyé ca 
Angleterre : fujec 


de ce voyage. 


LIVRE 
VI. 


RE 
RAYMOND DE 
MEVILLION. 
De 1 


Vide Marten. Tom. 
IV, Anecdot, Col 
MDEGCXGUI. 


id, Mnecrcvil. 


M. Simon, Bibliot. . 


Crit T. II, p. 371. 


562 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


vrai que ce Prélat trouva beaucoup de fermeté dans plufieurs ; 


mais 1l en intimida quelques autres ; qui, ayant pris le parti 


de s’acommoder au tems , ajoutoient une feconde faute à la 
nc , en déclamant d'une manière peu décente contre 
es fentimens., qu’ils avoient eu la lâcheté d'abandonner. Les 
Dominicains d'Angleterre en firent des plaintes dans le Cha- 
be L / DA . ° . 
pitre Général , aflemblé à Milan au mois de Juin 1278. Et 
telle fut l’ocafion qui obligea les Supérieurs d’ordonner à Ray-. 
mond de Mévillion, & à un autre Doëteur, habile & zélé 


comme lui, de fe rendre fans 


délai dans le Royaume d’An- 


ER , pour éxaminer la vérité du fait, & faire cefler le 
candale , en puniffant févérement les Religieux , qui feroient 


convaincus de s'être écartés de 


la Doûrine de faint Thomas, . 


& de leur Ordre, ou d’avoir eu la témérité de la combatre 


en quelques points (1). 


Les coupables ,. en fort petitnombre , furent bientôt rrame- 


nés , par la fageffe des deux Dé 


putez , à la doétrine commune 


de leur Ecole; &ilne fut pas néceflaire de févir à ce fujet 


contre aucun Particulier. Dan 


s le Chapitre fuivant, tenu à 


Paris au mois de nr 1279, Raymond de Mévillion rende 
10 


comte de fa Commi 


n d'Angleterre: & ce fut plutôt pour 


prévenir fagement ce ‘+ pourroit ariver à l'avenir, que pour 


terminer aucune divi 


Ÿ 


» à notre Ordre par la fainteté 


lon préfente , _ porta un Décret 

» conçü.en ces termes: “ Le Vénéra 

_quin , d'heureufe mémoire PE fait beaucoup d'honneur 
e 


le Frere Thomas d’A- 


fa vie , & par fes admirables . 


* Ecrits, nous ne devons pas abfolument foufrir qu'aucun de : 
» nos Religieux parte jamais de lui, de fa Doëétrine, ou de 
» fes Ouvrages, d'une manière ii refpetueufe. C’eft pour-- 


» quoi nous enjoignons à tOUS 


es Supérieurs des Maifons, 


» ou des Provinces , & aux Vifiteurs, s'ils trouvent quelqu'un 


Y Ÿ 


(1) JInjungimus diftriétè Fratri Raymun- 
do de Medulione , & Fratri Joanni Vigo- 
rofi, quod cum feftinationc vadant in An- 
gliam , inquifituri diligenter fuper fato 
Fratrum , qui in fcandalum Ordinis, de 
Scriptis venerabilis Fratris Thomæ de Aqui- 
no detraxile dicuntur. Quibus ex nunc ple- 


qui fe foit oublié en cela, de ne pas manquer de le corriger , 
& de le punir comme il le mérite ,. 

Un Écrivain du dernier fiécle ,. qui avoit Iù, peut-être fans 
atention ces deux Ordonnances, L 


aites quatre Ou cinq ans 


nam damus autoritatem , in capite & im 
membris, puniendi, extra Provinciam emit- 
tendi, & offcio privandi quos culpabiles 
invenerint in prædictis, &c. Aë. Cap.ger 
Mediol. ap. Edm. Martene , T. IV, Anecaot. 
Col. Mpccxcuil. 


DE L'ORDRE DE $. DOMINIQUE. 56 


après la mort de faint Thomas , concluoit de-là que fa Doc- 
trine n'avoit pas été d’abord reçûë fans contradittion dans 
l'Ordre de faint Dominique. Mais un peu plus de réfléxion lui 
auroit fait admirer au contraire l’unanimité de fentimens , & 
le même zéle dans tous les Supérieurs. Il auroit remarqué que 
le fcandale, dont fe plaignoient les Religieux Anglois dans le 
Chapitre de Milan, ne venoit point de É art du grand nom- 
bre , qui demeuroit toujours ferme malgré la perfécution fuf- 


citée du dehors, mais du côté de D , qui, moins 


fidèles à leur devoir, avoient facrifié à l'amour du repos, la 
défenfe de quelques opinions, quin’apartenoient , ni au dépôt 
de la Foi, ni au fyftème Théologique. Nous avons prouvé 
ailleurs que du vivant même de faint Thomas, les plus diftin- 
gués & les plus habiles de fes Freres fe faifoient un mérite de 
penfer , & de parler comme lui; & c’eft avec juftice que 
parmi les zélés Défenfeurs de fa Doûtrine nous métons Ray- 
mond de Mévillion , illuftre lui-même, & par la fupériorité 
de fes lumiéres , & par l'éclat de fes vertus. 

IT étoit tems que cette lumiére fût placée fur le Chandelier 
de l’Eglife. Après la mort d'Othon Evêque de Gap, les Cha- 
noines s'étant aflemblés , pour choifir un Sujet capable de le 
remplacer, tous leurs fufrages fe réünirent en faveur de Ray- 
mond de Mévillion. Le Pape Martin IV confirma l'Ele&tion 
l'an 1281 ; & le nouvel Evêque donna dès-lors toutes fes aten- 
tions à l'inftru@tion, & aux autres befoins d’un Peuple , qu’il 
“peer pendant huit ans avec la charité d'un Pere, & la fo- 

icitude d’un Pafteur , qui fait oublier fes intérêts particuliers, 


LIVRE 
VI. 


RAYMOND DE 
MEVILLION. 





Vis de S$. Thomas, 
Liv. V, C.xtre 


VI. 
Raymond de 
Mevillion élû Evé. 
que de Gap. 


Gal. Chrift. T, I s 
col ccccLxy, | 


td ne s’ocuper que de ceux de fon Troupeau. Il a laiffé de : 


eaux monumens de fon zéle dans les fages Statuts, _ pro- 
pofa d’abord à fon Clergé. Et dans les Anales Ecléfiaftiques 
nous trouvons des preuves de la confiance , dont les Souve- 
rains Pontifes , & le Roi de Naples honorérent plus d’une fois 
fon mérite. | 
Louis de Savoye ayant fait arêter Guillaume de Valence, 
Archevêque de Vienne , avoit extorqué de lui plufieurs pro- 
mefles fort préjudiciables à ce Prélat; & nelui avoit nn la 
liberté , fous la médiation de l'Evêque de Grenoble, qu’aprés 
lavoir obligé de ratifier par des fermens ce qu’une crainte in- 
pufte lui avoit fait oué, Le Pape Honoré IV , informé de 
toutes ces violences , donna commiffion à l'Archevêque de 
Lyon, à l'Evêque d’Autun , & à Raymond de “pen Evè- 
| Je 


Odoric. ad An. 1286, 
Ps 29e 


LIVRE 


VI 
RAYMOND DE 


MEVILLION. 
À 





Bullar. Otd.'T. Il, 
Pe 14. 
VIT. 
Il va à Rome. 


Oloric. ad An, 3287. 
æ. «. 


VAT. 
Et de là en Cata- 


logne. 


Gal Chrift, ut fe. 


IX. 
Sa charité envers 
Jes pauvres. 


564 HISTOFRE DES HOMMES ILLUSTRES 
e de Gap, de déclarer l’Archevêque de Vienne quitte de 
es fermens., & de fes promefles ; de réprimer fes ennemis:par 
la terreur des Cenfures ; & de citer nu l'Evêque de Greno- 
ble , Guillaume de Saffenage , à venir en perfonne fe juflifier 
devant le Saint Siège, parce qu'il étoit acuféd’avoir confeillé à 
l’'Archevêque de Vienne de confirmer par la religion du fer- 
ment , des promefles illicites , aufquelles il auroit dù s’opofer 
lui-même avec toute la vigueur, & la fermeté Epifcopale. 
Le Bref Apoftolique eft du treiziéme de Juillet r286. 
L'année fuivante le Prince de Salerne, apellé depuis Char- 
les IT, Roi de Naples , & Comte de Provence, envoya à Ro- 
me l'Evêque de Gap, pour préfenter au Pape le projet du 
Traité , fait entre lui & la Cour d'Aragon, par la médiation 
d'Edouard , Roi d'Angleterre ; & demander à Sa Sainteté qu'il 
Jui fût permis durant fa prifon à Barcelone, de faire célébrer la 
Mefle , & l'Ofice Divin, pour lui & pour fes gens , non-obf- 
tant l’Interdit de la Catalogne. Cette grace lui fut acordée : 


mais le Pape , de l'avis des Cardinaux , rejéta le projet d'aco- 


modement, parce qu’il parut trop défavantageux au Roi Char- 
les , & trop injurieux à l’'Eglife pen | 
Il eft à préfumer qu’au fortir de Rome , notre Prélat fe ren- 
dit à Barcelone, foit pour donner quelque confolation à lil- 
luftre Prifonnier , fon Souverain ; foit pour lui rendre comte 
de fa commiffion , & des difpofitions du Pape à fon égard. 
Mais les befoins du Troupeau qui lui étoit confié , le rapel- 
lérent bien-tôt dans fon Eglife. Il continua encore pendant 
deux ans à l’édifier, & à l'inftruire , faifant toujours ferwir 
fes revenus, ou au foulagement des pauvres, ou à la déco- 
ration des lieux confacrés à la Prière & au Service de Dieu : 
Mira ejus in Pauperes generatim , & in loca facra liberalitas 
commendatur. Sa tendrefle & fa compaflion envers les Mem- 
bres afligés de JEsUs-CaRIST, le rendoit extrêèmément aten- 
tif à tous leurs befoins , qu'il confidéroit comme les fiens 
pa On peut dire qu'il vivoit lui-même en pauvre, par 
e retranchement de tout ce qui flate la fenfualrté , ou la vani- 
té. Si fa vie frugale , & toujours pénitente , lui fournifloit 
de nouveaux moyens de nourrir les pauvres, ou d'en foula- 
ger un plus grand nombre ; fon éxemple en même-tems étoit 
une inftruétion , qui leur aprenoit à aimer leur état, à en fu- 
porter du moins patienment les incommoditez , & à fe fanti- 
fier par la foumiflion aux ordres de la Providence, 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 5s6s 

” Parmi les coopérateurs de fon zéle , il préféroit ordinaire- 
ment ceux , qui, par une vocation marquée au coin de la 
charité , aimoient à anoncer le Royaume de Dieu aux Pau- 
vres , & aux fimples ; & dont les attions rendoient témoi- 
nage aux Véritez qu'ils prêéchoient. Le pieux Prélat avoit 
A confolation de voir plufieurs de fes Neveux , ou autres 


parens , qui , fous l’'habit de S. Dominique , fe diftinguoient 


dans cet éxercice de charité ; 1l partageoit volontiers avec 
eux letravail, afin que les fruits en fuffent plus abondans ; 
mais il ne penfa jamais à les retirer de leur état, pour les 
faire monter plus haut ; & il ne fe difpenfoit pas lui-même 
du faint miniftére dela Prédication , qu’il regardoit comme 
la principale fonétion d’un Succefleur des Apôtres. Pendant 
que dans la vifite de fon: Diocèfe ,. il s’acupoit à nourrir fon 
Peuple du pain de la Parole , & à fe nourrir lui-même de la 
Priére , ou de la méditation des faintes Ecritures , l'Eglife 
d'Embrun perdit fon Archevèque l'an. 1289. Nous ignorons 
file Pape Nicolas IV, en transférant l'Evêque de Gap au Sié- 
ge de cette Métropole , prévint la demande des Chanoines ; 
mais il ne put prévenir leurs vœux , ni les. défirs des Fidéles. 
Auffi reçurent-ils les uns & les autres leur nouveau Pafteur 
avec des ns publics d’une joye d’autant plus fin- 
cére, qu'ils connoifloient depuis long-tems fes vertus Epif- 
copales ; mais furtout la vivacité de fon zéle pour le falut 
des ames. 

Dès l'an 1290, Raymond de Mévillion affembla le Con- 
cile de fa Province , dans res il fit renouveller tous les 


Statuts de fes Prédeceffeurs ; & en propofa de nouveaux, qui 


parurent néceflaires , ou qui furent du moins d'une grande 
utilité à fon Eglife (1). Dans le troifiéme Décret de ce Con- 


cile , il eft parlé d'une prochaine tribulation , ou perfécu- 
tion , dont on fe croyoit menacé ; & mg a la vi- 
gilance de l'Archevêque eut foin de prémunir les Fidéles , 
en: les invitant à recourir par le jeùne & la prière au Trône 
de la Divine miféricorde (2). 

Dans un Afte de la même année , nous trouvons la per- 


(x) Sollicitudinis paftoralis ftudiofiffi- ; Col. MLxxxr. 
mus Concilium Provinciale coegit Sabbato | (1) Ordinamus ut pro præfenti tribula- 
ante Affumptionem B. Virginis Mariæ , in | tione, & perfecutione quæ imminet, fpe- 
quo cum fuæ Provinciæ Épifcopis Statuta | ciales orationes, & preces diebus fingulis..… 


Livre 





RAYMOND DE 
MEVILLION. 





Après avoir fair- 
tement conduit 
l'Eglife de Gap , ik 
eft transféré au 


Siége d'Ermbrun. 


XI. 
Il affemble fe 


. Concile de fa Pro- 


vinçe, 


Anteceflorum renovavit raie condidit | ad Dominum effundantur. Ap. Martene , . 


Ecclefz fux utilifuna. Gal, Chrifi, T, III , | T, IV, Anecdot. Col. ccx. 


bbb ii 


LIVRE 
. VI. 


RAYMOND DE 
MEVILLION. 
D | 
a 


Gal. Chrifi. T, III, 
. Col. MEXXxI. 


IN. 


566 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


miflion qu'il avoit acordée à a ner perfonnes, de fouir 
dans une partie du territoire de fon .. ,» Où lon prétendoit 
avoir découvert une Mine d'argent. Il leur pes de jouir 
pendant dix ans de ce privilège. Au mois de Juillet 1292, 
notre Archevêque mit fon fceau à la donation qu'Humbert 
Dauphin de Vienne , & la Princefle Anne fon Epoufe firent 
du Dauphiné , & de la Baronie de la Tour, au Prince Jean 
leur Fils aîné. | 

Le Roi Charles IT écrivit peu de tems après au même Pré. 
lat, qu'il apelloit fon cher Coufin , pour le prier de mar- 
quer lui-même la jufte valeur des Châteaux & des Terres, que 
ce Prince , en qualité de Comte de Provence , vouloit aqué- 
rir, & dont il paroît qu'il étoit déja en traité avec l’Eglife 
d'Embrun. Nous ométons plufieurs autres faits, que l'Hif- 
toire a remarqués ; mais qui pourroient paroître ‘peu intéref- 


fans, quaiqu’'en éfet:il n’y en ait point qui ne foit une nou- 


_velle preuve, ou de l'eftime finguliére ie faifoient les Sou- 


XII. 
Pa fainte mort, 


verains , de la vertu du faint Prélat, ou de fon atention à pro- 
curer dans toutes les ocafions les avantages du Troupeau, 
dont la Porvidence l'avoit chargé, & qu'il conduifit en paix 
pendant cinq ans. 

La tendre afeétion qu’il conferva toujours pour fon Ordre 
Jui fit fouhaiter de voir le Chapitre général affemblé à Mont- 
pellier aux Fêtes de la Pentecôte 1294. Il y retrouva fes an- 
Ciens amis , qui l'édifiérent par la régularité de leur vie, & 

u'il n'édifia pas moins par fa modeftie. En revenant dans fon 
Diocèfe , ilvoulut vifiter.en paflant la nouvelle Communau- 
té des Freres Prêcheurs , que pots” de Mévillion , un de 
fes Neveux, venoit de fonder dans la petite ville de Buis en 
Dauphiné. Mais à peine arivé dans ce Monaftére , le Servi- 
teur de Dieu fe fentit ataqué de la maladie , qui le fit entrer 
dans le repos de l’Eternité. Chargé de bonnes œuvres, & 
plein de confiance aux mérites de JESUS-CHRIST , il mourut 
très-faintement entre les bras de fes Freres le vingt-huitiéme 
de Juin 1294 (1). Son corps, ainfi qu'il l'avoit ordonné , fut 

orté à Sifteron , & enterré.chez les Dominicains, dans la 
Chapelle de fainte Madeleine. | 


Fratrum fanétiflimè obut 28 Junu, &c: 
Gal, Chrifi. nt Jp. 


(x) Atinde cüm rediret, Buxi Delphina- 
fûs oppidulo , morbo correptus inter manus 





æ 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 67 


AR D 
BONIFACE 
DE FIESQU I: 


ARCHEVÉQUE DE RAVENNE, 


. LEGAT APOSTOLIQUE EN ITALIE, 
| ET EN FRANCE. 


ONIFACE DE FIESQUI, Génois, iffu de la Mai- 
D fon des Comtes de Lavagne , avoit l'avantage de comter 
armi fes Ancètres , des Héros., & des modéles en tout genre. 
Les uns s’étoient fouvent diftingués par leur valeur., & leurs 
exploits militaires. Ées autres ne s'étoient pas rendus moins 
célébres par leurs vertus.& leur fainteté. Parmiles grands 
Hommes, que cette illuftre Famille avoit donnés à l'Éplife é 
quelques-uns honoroient alors la Pourpre Romaine ; & il 
n’y avoit que peu d'années , que le jeune Boniface avoit vü 
le Cardinal Sinibale. , fon Oncle paternel , monter fur la 
Chaire de faint Pierre , lorfque docile à la voix de la Grace, . 
il prit lui-même JESUS-CHRIST pour fon partage, en em- 
braffant l'Inftitut de faint Dominique dans le Couvent dé 
Genes.. | 
On aflure que le Pape Innocent IV , foit peut-être pour 
éprouver la vocation de fon Neveu, foit pour d’autres mo- 
tifs que nous ignorons , s'opofa d’abord à fa pieufe réfolution. 
Mais cette opofition ne fut pas longue ; le Vicaire de JEsus- 
CHRIST lui Lila là liberté de fuivre fa ferveur, après avoir 
remarqué en lui une conftance , ou une fermeté d'ame , qui 
fembloit déja répondre de ce qu'il feroit dans la fuite , pour là 


‘gloire de la Religion & les intérêts de l’Eglife (1), On netarda 


Col. zxx1 ) Innocentii IV Fratris Filium 
fuiffe afferit, Ordinem Genux in fanéti Do- 


‘ {r) Frater Bonifacius é Lavania feu de 
Fiefchi Comitibus, illuftri in Liguria gen- 
te, ortus , quem pius ( Pat, Il, Liv. I, 

. \ 





Livre 
VI. 





BontrAcer 


pe Fresqur. 
re. À 


Boniface de l'il-: 
luftre Maifon des : 
Comtes: de La-- 
vagne. 


IN 
Reçoit l'habit de 
Relisieux à Gences. 
UT. 
Confiance , & f 


délité à fa voca-- 
tion. 


minici cœnobio amplexus cit, & deterrente - 


68 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE pasäavoir denouvelles preuves, que cette vertu naiffanteétoit 
VI. En folide. À l’abri des fcandales du fiécle, & des troubles 
Nues ut agitoient cruellement l'Eglife , le fervent Sr mit 
De Fiesqur. fagement à profit les avantages de fa retraite, les inftruétions 
a de fes Maîtres , & les éxemples de fes Freres , afin de deve- 
nir ce qu'ils étoient déja ; je veux dire, le Difciple & l’imita- 
teur fidéle de ceux , qui font apellés dans l'Evangile le Sel de 
la Terre , & la Lumiére du Monde. 
Les premiéres années de fa profeflion, il les employa uti- 
lement à fe connoître , & à aprendre à fe méprifer re ; 
à mortifier les fens & les pa 1ons , Ou à faire tous Îles jours de 
nouveaux progrès dans la pratique des vertus chrétiennes, 
&c dans l'étude des Siences. Préparé ainfi au famt Miniftére , 
il commença à en remplw les fonétions ; & il les éxerça long- 
tems , avec autant de zéle que de fuccès. Il ne faut point dou- 
ter que les qualitez sc er connoifloit, pour la conduite 
des ames , & pour celle des afaires , ne l’ayent fait pañler par 
les diférens Emplois de fon Ordre , quoique les Hiftoriens ne 
nous aprennent rien fur cet article. | 
Nous favons que les vertus & les talens de Boniface de 
Fe Fiefqui , le rendirent cher au Pape Grégoire X, qui , dès le 
_ commencement de fon Pontificat le mit au nombre de ceux, 
fur la fageffe defquels il crut pouvoir fe décharger d'une par- 
tie de la folicitude Paftorale. Sa Sainteté l’envoya d'abord en 
ualité de Nonce extraordinaire vers le Roi de France Phi- 
lippe IT , dans le deffein fans doute d'exciter le zéle de ce 
Ménar ue pour le recouvrement des Lieux faints, ou le fe- 
cours Fo hrétiens de la Paleftine. De retour à Rome, le 
Nonce fut nommé à l’Archevêché de Ravenne l'an 1274, 
après Ja mort de Philippe Fontana , qui avoit gouverné fort 
or T: Pl faintement cette Eglife pendant dix-neuf ans. Lenouvel Arche- 
x marcha toujours fur les glorieufes traces de fon Prédé- 
Archevêque de Cefleur. Mais les atentions qu'il auroit voulu donner uni- 
Ravenne, & Lézat quement au foin de fon T'roupeau , il fut fouvent obligé de 
Apollolique.  Jes porter ailleurs , ayant été fait prefqu’en même tems é at 
du Vue , dans une grande partie de l'Italie. Selon lPAbé 
Ughel, ce Prélat aflifta au fecond Concile de Lyon, non- 
feulement comme Archevêque de Ravenne, mais aufh en 





Nonce ‘du Pa 
en France. 


| Licèr eodem Pontifice, fortiter & animosè | darum peritus & folers, &c. Echard ,T. I, 

profeflus , virqueevafit non folum pietate , | p. 437. | 
& doétrinà confpicuus , fed & rerum agen- . 
qualité 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. :69 
qualité de Légat Apoftolique dans l’'Emilie. Il eut le rang , & 
al fit les fonétions de Légat dans le Concile même (1). | 

Il continua à les remplir pendant le refte du Pontificat de 
Grégoire X, & fous Innocent V ; après la mort de ce der- 
nier Pape , le pieux Légat eut le plaifir de voir le Cardinal 
Othon de Fiefqui , un de fes proches parens , élevé fur le pre- 
mier Thrône . l'Eglife, fous le nom d’Adrien V. Ileft vrai 
que le Seigneur ne fit que montrer ce de , dont la mort 
prévint même le couronnement. Aufh , lor que notre Arche- 
De ue , avec quelques autres perfonnes de fa Maifon , vinrent 

e 


éliciter fur fon Exaltation, Adrien leur répondit : J’ac- : 


merois mieux que vous fuffiez venu voir un Cardinal en fanté , 
qu'un Pape moribond. | | 

Ses trois Succefleurs , Jean XXI, Nicolas III, & Mar- 
tin IV, multipliérent moins les ocupations de l’Archevêque 
de Ravenne ; & il profita de ce loifir pour l'avantage de be 
Peuple. Atentif à l'inftruire de tous fes devoirs , à le fortifier 
dans la Foi, & à le faire jouir de la paix, il prévenoit avec 
foin, ou il écartoit fagement , tout ce qui auroit pü féduire 
les Fidéles, ou troubler leur repos. Il faifoit réguliérement 
{es vifites dans le Diocèfe , & quelquefois dans toute fa Pro- 
vince Ecléfiaftique. Mais à proportion qu’il redoubloit fes 
atentions & fa vigilance pañtorale , il reconnut qu'il n’avoit 
pas encore réüfli à former un Peuple parfait. Quoiqu'il eût 
fuccédé à un faint Perfonage, & me à ne donnât lui-même 


LIVRE 
VI. 


BOoNIFACE 
DE FrEsquI. 
De a es = + à 





Ÿ1. 
Solicicude Paftes 


rale. 


pi des éxemples de fainteté , de zéle , de défintéreflement , 


il vit avec douleur que la cupidité, l'ignorance , ou le mé- 
pris des Canons , avoient Fe rc introduit bien des 
abus , & de fort mauvaifes coutumes, également contraires 
à la difcipline de l'Eplife , & à la pureté de notre Religion. 
Ce fut pour ue ces abus , & faire éxécuter ce qui 
avoit été ordonné dans Je dernier Concile de Lyon, que 
l’'Archevêque de Ravenne , l'an 1286, la douziéme année de 
fon Epifcopat , aflembla dans la ville de Forli un Concile 
Provincial , où affiftérent fept Eyêques fes Sufragans ; favoir 
Sifrid d'Imola, Ugolin de Faience , Rainald de Forli , Tha- 
dée de Forlimpopoli, Aimeri de Céfene , Henri de Saflina , 


(1) Frater Bonifacius Flifcus è Lavagniz 
£Lomitibus ( Januenfis } Ordinis fan@i Do- | 1274 In Concilio Lugdunenfi munere Le- 
minici , Gregorii X Apoftolicus Nuncius | gati Apoftolici in Ærmilia fun@tus eft , &e, 
ad ni. Regem Francorum , ab ip{o Lai. Sacr, TITI, Gol. ccctxxxi. 


ome L. | Cccc 





VT1. 
Concile de Ra 


vennc. 


Ravennas Archicpifcopus dius eft anao . 


LIVRE 
VI. 


BoN1FACE 
DE FIEsSQUI. 
À 


Fleuri , Hift. Ecl. 
Liv. LAXXYIII , a 33. 


VIII. 
Abus à coriger. 


IX. 


s7o HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


& Boniface d’Adria , avec les Députez de Bologne, Cervia , 
Modene , & Parme. Notre Archevêque y publia une Conf- 
titution , divifée en neuf articles , contre autant d'abus, 
dont quelques-uns avoient été introduits par la cupidité des 
Laïques , ou la molle complaifance des Clercs ; & les autres 
ne pouvoient être reprochés qu'au feul Clergé. Les Fidéles 
refufoient fouvent de payer aux Miniftres de l’Autel , ce qui 
leur étoit légitimement dû ; les Magiftrats les inquiétoient , 
par de fréquens atentats fur la jurifdiétion , ou la liberté de 
l'Eglife. Et on pouvoit juftement reprocher aux Ecléfiafti- 
ques , l'ufage tout profane qu'ils faifoient de leurs revenus , 
leur dureté envers les pauvres , & leur trop grande négligence 
à célébrer le Service Die , d'une manière qui püût glorifier 
le Seigneur , & édifier les Peuples. 

 C'étoit un ufage anciennement établi dans la Province de 
Ravenne , que Îles Bénéficiers , qui faifoient une réfidence 
continuelle mé le lieu de leur Bénéfice , retiroient un reve- 
nu particulier de leurs Prébendes , outre ce que recevoient 
les non réfidens. Mais l'indévotion & la cupidité , avoient 
trouvé lemoyen de profiter de ce fage réglement , en fruf- 
trant l'intention de ceux qui l’avoient fait : Quelques-uns fe 
contentoient de réfider dans leur chambre, & d'aller à l'Ofice 
une fois le mois. Le Concile déclara par la bouche du Mé- 


Décres du Con- tropolitain, qu'on ne tiendroit déformais pour réfidens , que 


cile Provincial de 
Ravenne. 


« 


du Seigneur donnent l'éxemple aux 7. 


ceux qui aflifteroient réguliérement à l'Ofice ; & qu'ils ne 
pourroient mn aux diftributions quotidiennes , qu’à 
proportion des heures aufquelles ils auroient afffté. | 
| On ordonna en même-rems, que les Ecléfiaftiques pour- 
vûs de quelque Cure, fe feroient ordonner Prêtres dans le 
tems marqué par le fecond Concile de Lyon ; & on condamna 
le mauvais artifice de ceux, qui, pour éluder ce Décret , fe 
faifoient élire de nouveau à la fin de l'année , dans laquelle , 
felon l’efprit des Canons , 1ls auroient dû recevoir la Prêtrife. 
+ Le Concile exhorte fortement les Evêques, & les autres 
Ecléfiaftiques , à faire l’aumône à proportion de leurs reve- 
nus & des befoins des pauvres , étant jufte que les Miniftres 
Fidéles . dans la 
pratique d’une œuvre de charité, qui dans certains cas de- 
vient un devoir de juftice. : | 
Enfin , après avoir réitéré les Cenfures , fouvent portées 
contre les Magiftrats y Ou les Communautez de Ville, qui 


e 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. +7r 


font des Statuts contraires à l'immunité , ou à la liberté Eclé- 
fiaftique ; on y ajoute la privation des Fiefs, & des autres 
biens qu'ils tiennent de l’Eglife ; n'étant ni jufte ni raifonna- 
ble, Fe les Peres de ce Concile ; que ceux qui ne craignent 


point d’avilir, & de dèshonorer leur mere, s'enrichiffent de 


fes libéralitez. | 

… L’Archevêque de Ravenne avoit à peine terminé fon Con- 
cile , qu'il fut chargé d’une nouvelle oe Edoüard Rai 
d'Angleterre, qui négocioit une Tréve entre le Roi de France 
Philippe le Bel , & Alfonfe d'Aragon , pour procurer la liber- 
té de Charles IT Roi de Sicile, fit prier A 

luienvoyer en Gafcogne,des Hommes habiles & vertueux,qui 
puffent travailler avec lui à cette paix, qui intérefloit la plüpart 
des Princes. Chrétiens , & dont la conclufion rencontroit de 
très-grandes dificultez. Boniface de Fiefqui , déja connu à la 


Cour de France , & fort eftimé à celle de Rome, fut choifi wi | 


Sa Sainteté pour cette Lépation (r) ; & on lui joignit l’Arche- 
vêque de Montréal. Ce ne fut pas fans quelque inquiétude, 
que notre Prélat fe vit dans la néceflité de s'éloigner de nou- 
veau de fon Diocèfe , dans un tems furtout, où il fentoit bien 

ue fa préfence ne pouvoit être indiférente , pour l'obferva- 
tion des Réglemens qu'il venoit de publier. Mais, obligé de 


Pape Honoré IV de 


LIVRE 
VI. 


BONIFACE 
DE FrESQUI. 








X. 
Autre Légation 
de l'Archevèque de 
Ravenne, 


Ughel , & Fleu, 
ut fp. 


. Céder à des ordres fupérieurs, il fe confola en quelque manié- 


re, par la double efpérance, & de À ne un plus grand 


bien, & de pouvoir bien-tôt rentrer dans fon Eglife. 
Cependant, quelque grandes que fuflent l'habileté & la ré- 
putation des deux Archevêques , la négociation fut très-lon- 
gue , parce | la Cour d'Aragon , fiére de fes avantages , ne 
vouloit fe relâcher fur aucun. Le Roi de Sicile , depuis plu- 
fieurs années, avoit perdu une grande partie de fes États ; & 
il étoit lui-même au pouvoir de fon ne , qui méprifoit 
toutes les menaces du Saint Siège , & ne paroifloit point 
craindre les Cenfures de l'Eglife. On convint néanmoins de 
certaines conditions , dures à la vérité, & fort défavanta- 
geufes au Prince captif, mais les plus fuportables qu'on pût 
obtenir dans la fituation préfente des afaires. Nous avons re- 
marqué ailleurs , que le Pape Honoré IV les rejéta d'abord ces 
sg (x ; & Nicolas [V fon Succefleur , refufa de même 


claruit ; ubi cüm diu moratus fuiffet apud 

Burdigalam, fuum condidit teftamentum an. 

n0 1288 Idibus Marti, &c, I:al. Sacr. us fps 
Ccccuy 


(1) Sub Honorio IV fimul cum Archie- 
pifcopo Montis-Repalis apud ie Gal- 
Sorum codem munere ( Legasi Apofolici ) 





Odoric. An, 1:88 ' 
8, 17e 


«72 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE deles confirmer. Mais le Prince de Salerne n’atendit pas le 
VI. confentement du Souverain Pontife, pour donner le fien , & 
Bonirace fe procurer la liberté , en laïffant à fon Ennemi la paifible pof- 
ns Fisqui. fefion d’un Royaume , dont une lâche trahifon lui avoit four- 
——— hi le moyen de fe rendre maître. Ce ne fut que dans le mois 
de Novembre 1288 , que ce Prince, après avoir figné fors 
Traité de paix avee le Roi d'Aragon (x), fortitenfinde fa 
prifon de Éueélone , & rentra dans une partie de fes Etats. 
Cette année l’Archevêque de Ravenne fe trouvoit encore 
à Bordeaux , où il avoit été joindre le Roi d'Angleterre , & 
où il fut ataqué d’une-maladie, qui l’avertit de fe difpofer à 
la mort. Il fit le facrifice de fa vie , comme il avoit fait celui 
de fa liberté. Mais , contre l’efpérance des Médecins, le pieux 
Légat recouvra la fanté & fes forces ; & il continua encore 
X1. endant fix ans à les faire fervir à l’inftru@tion , ou à la con- 
Sa mort, dans x {olation des Fidéles. Il eut celle de finir fes jours au milieu de 
“ingr-uniéme an- | | : 1 4 
née de fon Epifco. {On troupeau , le Map Le tan de Décembre 1294, dans 
pa. fa vingt-uniéme année d'Epifcopat. On lui atribue un Volu- 
me de Sermons ; mais nous n'avons point les Ates de fes di- 
férentes Légations , qui nous auroient fans doute fourni de- 
quoi remplir & embélir cette Hiftoire. 





de Salerne dès l'an r179 (cinq ans avane 
le commencement de fa captivité, & neuf” 
avant fa délivrance) avoit fait chercher le 
ue à de la fæinte Pénitente ; & l'ayant beu- 
reufement trouvé , il avoit affemblé les Ar- 
chevêques de Narbonne , d'Arles , & d'Aix 
avec quelques autres Evêques, & un grand 
nombre d'Abez , & de Religieux , qui firent 
une folemmelle Tranflation des faintes Re 
fiques le-cinquiéme de Mai 1:80. 

Ec favant Analifte, ayant fortbien prou- 
vé ce fair hiftorique , a raifon de dire, que 
là Tradition aire touchant la délivran- 
ee edleute Prince de Salerne , n'efb 

u'un pieux Songe de quelque bon homme : 
nod quidem magis pium fomnium boni 
-alicujns viri, quaäm rem gefiam effe, qua 
polea-fecuia [unt demonfirant: cum Cr ele- 
vationemn corporis. Beata Magdalens jam: 
antequam Carolls caperetur , 4b eodens 
ipfo failam fuife fuperiks narraverimns.. 
Spondan. ad An. 1288 , n. 3. 


. (1) M. Sponde remarque ici à propos, 

Pres _ -#Ane que ce fait Len par A grand nie 
Ecrivains François , Italiens, Efpagnols, 

Anglois, Allemans, & conforme à ce que 

nous lifons dans les. Lettres ee 

de Nicolas IV, démontre pleinement la fauf- 

feré d'un prétendu Miracle , auquel quelques 

Provençaux , fans doute des derniers fié- 

cles, ont trop légerement atribué la déli- 

vrance du Roi Charles II, dit le Boiteux. 

Ils fe font imaginés que fainte Madeleine 

s'étant plus d'une fois aparue à ce Prince 

ps fa captivité, l’avoit enfin miracu- 

eufement retiré de fa prifor ; & que l'ayant 

conduit de nuit près de Narbonne , elle lui 

avoit révélé le lieu, où fes Reliques , dit- 

. on, demeuroient cachées depuis plufieurs 
‘ Vide iteram Spon- fécles. Autre circonftance fabuleufe, & 
an. ad A0. 1279. 7, 3° lémentie les À Se. 
de par les Aureurs contemporains :. 
| car , felon le témoignage de Richard de 
Clugni, & de deux célébres Hiftoriens de 
Ordre de faint Dominique, Tholomée de 
Lucques , & Bernard Guidonis, le Prince 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 573  _ 
EEE EE EEE | VL" 
HUGUES AYCELIN 


DE BILLON 


CARDINAL, EVÊQUE D'OSTIE ET DE VELETRY, 
DOYEN DU SACRE' COLLEGE. 
E Ranwçois Duchefne, dans fon Hiftoire des Cardi- Hocurs Avcr- 


naux François, a remarqué que de tous les Hiftoriens, cin 26 Bizion. 
qui avoient écrx avant lui là vie du Cardinal Hugues de Bil. 
lon , on n’en connoifloit aucun qui eût fü le véritable nom de nt 
fa famille. Ils l'apelloient prefquetous, Hugues Séguin , & le p.306. 
faifoient fortir de pauvres parens de la ville de Billon en Au- "7"? #° 
vergne M. Fleur: , dans di Hiftoire Ecléfiaftique , lenom- veste pamille 
me Su gues Séguin ; & c'eftte nom que lui ont donné aflez de ce Cardinal. 
communément les Ecrivains de l'Ordre de faint Dominique , 1iv. 1eme, ». 29 
avant le Pere Echard, qui a profité des découvertes de M. Du- 
chefne, pour prouver par les plus anciens monumens , que 
ce Cardmal , d'ailleurs illuftre par fes a@ions, & par fes ver- 
tus , trroit fon origine de la x Famille des Aycelins, Sei- 
gneurs de Billon & de Montaigu. 

Il eft le premier des trois Cardinaux , qui, dans Le treizié- 
me & quatorziéme fiécle, donnérent un nouveau luftre 
cette grande Manon. Le fecond , apellé Giles Aycelin de ,, te, T-T& 
Montaigu , après avorr été fucceflivement Evêque de La- 
vaur, du Puy , d'Avignon, & Chancelier de France, fur 
fait Cardinal du titre de faint Martin des Monts. Le Roi Jean, 
qui l'avoit employé pour traiter avec les Rois d'Angleterre , 

de Navarre, lw fit donner le Chapeau par le Pape Inno- 
cent VI, l'an 1361. Le troifréme, ss san à Pierre Aycelin, mia. p.45 
d'abord Religkeux Bénédidin , Prieur de faint Martin des | 
Champs , depuis Provifeur de Sorbonne, Evêque de Laon , 
fut honoré de la confiance des. Rois de France Charles V, & 
Charles VT. Dans quelques Titres , il eft apellé principal Con- 
fsiller de ces deux Monte ; c'eft-à-dire, leur premier Mi 

Ceccig 





574 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE niftre. Dès l'an 1382, il étoit Cardinal dutitre de faint Marc. 
VI. François Duchefne , qui prouve éxaétement tous ces faits, 
Hucues Avce- ajoute que ces trois Cardinaux , ainfi que les autres Seigneurs 
Lis pe Biron. de Montaigu , portoient pour armes , de fable , a trois têtes 
= dlyon, x 758 d'or, deux en chef, 6 une en pointe. 
IL Hour Aycelin , né vers l'an 1230 dans la Ville même de 
Premiére éduca- Billon , fut nourri & élevé dans l'Eglife Collégiale de S. Sire- 
a d'Hugues Ay- ne comme l’avoient été depuis de deux cens ans tous ceux 
de la même Famille , qui fe deftinoient à l’état Ecléfiaftique. 
Dès les commencemens de fon jeune âge , 1l n'eut que la ver- 
tu pour objet , & l'étude des Lettres pour ocupation. Réfolw 
de fe confacrer au fervice des Autels , quoique fon mérite & 
fa naifflance puffent le faire afpirer aux premiéres Dignitez de 
| III. l'Eglife, il crutfuivre fa vocation , en prenant l’habit de faint 
Son entréc dans Dominique. dans le Couvent de Clermont , pendant que le 
l'Ordre de $. Do- 114 é : d P: Relivi d A Ord 
minique. célébre Gui de la Tour du Pin , Religieux du même Ordre , 
& Profés de la même Maïfon, remphfloit le Siége épifcopal 
de cette Egiife. 
Dans u: état de pénitence & d'humilité , bien loin d’en- 
fouir , ou de négliger les talens qu'il avoit reçus de la nature, 
& que l'éducation avoit perfeétionnés , Hugues ne penfa qu'à 
les fantifier par la pratique de toutes les vertus , & par l'étu- 
de de la Religion. Ses rapides progrès dans les Siences lui 
Doûteur de Pa. Méritérent le dégré de Doëteur , qu'il prit dans l’Univerfité 
I Ce de Paris, & le briller dans plufieurs Villes du Royau- 
honneur en Dr. Me Où il fut chargé d’anoncer la parole de Dieu , & de pro- 
ce,& en lai,  fefler la Théologie ; il s'aquita avcc aplaudiffement de l’un & 
de l’autre Emploi à Paris , à Orléans , à Angers, à Rouen, 
à Auxerre ; & depuis à Rome, à Viterbe, & dans quelques | 
autres Maifons de fon Ordre, qu'il n’oublia point dans la dif- 
tribution de fes bienfairs. Nous trouvonsfon nom parmi ceux 
de plufieurs'autres Doéteurs de Sorbonne , dans la réponfe à 
une queftion , qui leur fut propoñée l'an 1282. 
La réputation de fagefle , & de probité, ms de 
Billon s'étoit aquife , porta deux ans après Guillaume, Evé- 
que de Laon , à le nommer fon Exécuteur Teftamentaire, 
avec Mathieu, Abé de faint Denis , & Pierre de Mornai, Ar. 
chiacre d'Orleans. En cette qualité , & pour aquiter les legs, 
ou les detes du Prélat, il vendit au Seigneur de Jaligny , & à 
Madame Îfabelle, fa Femme, Niéce E l'Evêque de unt, la 
Terre, & Seigneurie de Chafelles, avec la V 





ille de Dam- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 57: 


pierre, & toutes leurs né era a ,Juftice, DroitsdeFiefs, LTVRE 
Cens , & Rentes , que l'Evêque de Laon avoit poflédées en VI. 
ropre. Hucues Ayce- 
FE 128$ Hugues fut apellé à Rome, foit par le Général defon z1x De Brirow. 
Ordre , ou par le Pape Honoré IV. Le Pere Echard a cruque == 
les difputes élevées en France, fur le fens de la Bulle de Mar 
tin IV, Ad fruëus uberes , avoient été l’ocafion de ce voiage. 
Le Clergé Séculier ayant député plufieurs Théologiens, pour 
demander des éclairciflemens au Saint Siège, on crut peut- 
être qu’il convenoit d'entendre aufh quelques Doëteurs Fo 
liers de la même Nation. Quoiqu'il en foit de ce fentiment, 
qui n'eft qu'une conjeéture, Hugues Aycelin ne fe fit pas 
moins eftimer en Italie , qu'il l'étoit déja en France. Bien-tôt . 
fes Leçons de Théologie , fes Prédications, fes Ecrits , fes Il eft fait Maître 
vertus , lui atirérent l'admiration des Romains, & la con- “Sacré Palais, & 
? : : ; 9 bien-tôt après Car- 
fiance des Souverains Pontifes. Honoré IV , le préférant à plu- dinal. 
fieurs favans Italiens , lui donna la Charge de Maitre du Sacré 
Palais. Et Nicolas IV , fon Succefleur, : la Promotion du 
quinziéme de May 1288 , le revêtit de la Pourpre Romaine, 
le faifant Cardinal Prêtre du titre de Sainte Sabine. Cette pre- 
miére faveur fut fuivie de plufieurs autres. M. Duchefne met 
de ce nombre la Collation de l’Abaye de Notre-Dame de Cler- 
mont , que ce Pape conféra à Jean Aycelin Frere de notre 
Cardinal , & la facilité du même Pontife à difpenfer les Do- 
meftiques du Cardinal , de la réfidence dans les lieux de leurs 
| Bénéfices , de quelque qualité qu'ils fuffent , même ayant char- 
e d’ames ; fupofant fans doute que les fervices qu'ils ren- 
ent à leur Maître , étoient plus importans , que ceux qu'ils 
auroient dù rendre aux Epliles , dont ils retiroient les re- 
venus. L | | 
L'Abé Ughel , & plufeurs autres Ecrivains, fur-tout par- 1ul, sr. T.1,c0k 
mi les modernes , prétendent que le Cardinal de fainte Sabine 
fut pourvû de l'Archevêché de Lyon, bientôt après avoir été 
honoré de la Pourpre. Il faudra éxaminer ce En à la fin de 
cette Hiftoire. Nous nous contentons de remarquer ici que le : 
Cardinal Hugues ne s'écarta point de la Cour de Rome pen- 
dant le Pontificat de Nicolas iv , Qui aimoit à l'avoir toujours 
auprès de fa Perfonne, & à le confulter dans toutes les afai- : 
res. Et ce fut peut-être le principal, ou l'unique motif, qui 
empêcha Sa Sainteté de le charger de diférentes Légations, 
que fes talens auroient pü lui procurer. Nous ne voyons 


C4 


l 


576 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE point , dit François Duchefne , que le Cardinal de Billon ait 
. eu beaucoup d'emplois pendant fa vie, parce qu’il ne voulut 
Hucuss Aycs- jamais quiter la Cour de Rome. | | 
LiNDe Biron. Après la mort de Nicolas IV , & la longue vacance du 
mr Saint Siége, Sn fut un de ceux qui fuivirent les premiers 
VL l'éxemple ; que le Cardinal Latin des Urfins donna à tous les 
Rae V le fit autres pour l'Eleîtion de Céleftin V. Et lorfque le Sacré Col- 

oyen du Sacré ,, | 

lége eut perdu cet illuftre Doyen, le nouveau Pape montra 








Colléye. 
ei Liv. xx, Quelle étoit fon eftime , ou fon afeétion particuliére , pour le 
0e Cardinal Hugues A ycelin, qu'ilnomma k abord/Evêque d'Of- 
tie, ou Doyen des Cardinaux , afin d’être facré, & couronné 
de fa main. | 


On fait que ce bon Pape n'avoit ocupé que peu de mois le 

Trône Apoftolique , lorfque, par un fentiment d’humilité, 

dont on n’avoit pas eu encore d'éxemple , & qui n’a jamais 

été imité, il penfa férieufement à rentrer dans fon premier 

état, pour goûter comme auparavant les douceurs de la con- 

templation dans la retraite. Ayant ie fon deffein aux 

Cardinaux, il leur dit que fon âge, fes maniéres, la grofhé- 

reté de fon Langage, & furtout un défaut d'expérience & de 

capacité , lui faifoient juftement apréhender le péril, où il fe 

voyoit expofé fur le Saint Siége. C'eft pourquoi , ajouta-t'il, 

je En votre confeil , & je vous prie inftanment de me 

répondre felon votre penfée. Puis-je céder en fureté ? n'eft-il 

es plus utile à l’Eglife que je renonce à un métier , que je ne 

ai pas ? Les Cardinaux ne durent, n1 être furpris de la pro- 

pofition , ni fe défier des intentions fecrétes d’un Pontife, dont 

ils connoifloienttous la candeur, & la fainte fimplicité. Ils ne 

répondirent pas néanmoinsfur le champ : mais après y avoir 

bien penfé, Hugues Aycelin leur Doyen portant la parole, 

ils priérent le Saint Peré de vouloir bien s'e ayer encore quel- 

que tems , évitant furtont les mauvais confeils , qui nuifoient 

encore plus aux afaires, qu’à fa réputation : & ils lui promi- 

rent un heureux fuccès, s’il vouloit déformais prendre leurs 

avis. Cependant ils lui confeillérent d'ordonner des priéres 

ubliques , pour demander à Dieu qu'il fit connoître ce qui 

PRE plus avantageux à fon Eglife. On fit donc des Priéres, 

Ve une Proceflion folemnelle, T'holomée de Lucques, qui s'y 
| étoit trouvé, en a décrit les particularitez, | | 

VII. Mais ce que Céleftin V avoit déja réfolu , 1l l'éxécuta peu 

ie FE de jours après : 8x dès Je treiziéme de Décembre 1294, dans 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 577 


un Confiftoire tenu à Naples, où étoit alors la Cour de Ro- 
me , 1] renonça expreflément & volontairement à la nr ; 
Jaiffant dès-lors au Sacré Collège la pleine & libre faculté 
d'élire canoniquement un Pafteur à l'Eglife Univerfelle. Cette 
aétion , difent les Hiftoriens , toucha extrémement les Cardi- 
naux, qui ne purent étoufer leurs foupirs, ni retenir leurs 
larmes. Le pieux Doyen y fut fans doute plus fenfible qu'un 
autre, étant fincérement ataché à la Perfonne du Pape, qui 
l’aimoit tendrement. Aufli ne fut-ce pas lui, mais Mathieu 
Roffi, le plus ancien des Cardinaux Diacres, qui parla ainfi à 
cet humble Pontife : “ Saint Pere , s’il n’eft point pofñfible 
de vous faire changer de réfolution, faites donc une Confti- “ 
tution , pour déclarer que tout Pape peut renoncer à fa Di- « 

nité , _ le Sacré Collége des Hp eft en droit « 

accepter {a Réfignation ,. Céleftinayantagréé la demande, 
le même Cardinaf diéta la conftitution , qu'on a depuis inférée 
dans le Sexte des Décrétales. 

Dix jours après cette ceflion , notre Doyen affembla tous 
les Cardinaux , qui fe renfermérent dans le Palais du Roi de 
Naples. Le Conclave ne fut pas long , puifque le vingt-qua- 
trième jour de Décembre,Benoît Caïétan, alors Cardinal Prè- 
tre du Titre de faint Silveftre , & de faint Martin, fut élu à la 
Sr des voix , & prit le nom de Boniface VI{I. Quelques 

olitiques oférent dès-lors foupçonner cet habile Cardinal 
d'avoir tout difpofé pour cela ; & on l'en acufa publiquement 
dans la fuite. Il faut cependant convenir que les grandes qua- 
litez , dont la nature & l'étude l’avoient enrichi, auroient pù 
le faire juger digne du premier Trône de l'Eglife, s'il-avoit eu 
moins d'envie d'y monter. Les paroles très-dures que ce Pape, 
d'abord après ras Eleétion , dit au Cardinal d'Oflie » à qui 
1lôta même le Pallium, felon Nicolas Trivet , pourroient être 
une preuve que notre Doyen n'avoit point favorifé cette Elec- 
tion (ce qu'on ne devreit pas lui imputer à crime. } Il eut ce- 

endant l'honneur de facrer , & de couronner le nouveau 
Pa e (1) peu de jours après fon arivée à Rome, dans le mois 
de Janvier 1295, | | 

Boniface VIII rendit bientôt & l’ufage du Pallium, & fon 

(1) In Vigilia Nadvieatis Domini apud | per quibufdam in præfentia Cardinalium ar- 
Neapolim in Papam eligitur Benedictus Ca- | guens , duriffimè Palii ufu privavit ; & ni- 
jetanus natione Campanus de Anania Civita- | hilominus ab eodem ante reftitutionem Pa. 
te. Hic Bonifacius VIII vocatus, ftatim poft | li coronatur. Nic. Triv. in Chron, 44 An, 


[uam Creationem 7 7 Oftien{sm (u- |.1294, p. 667. 
Tome Î, D ddd 


Livre 
VI, 


Hucues Ayce- 
LIN DE BiLLON. 
Dee +. 4 








Fleuri , Liv. LExxrE, 
LÀ 34. 


VIII. 
Ele@ion de Bons 
face VLIL 


Courenné pæ 
notre Cardinal. | 


LIVRE 
VI. 


HucGuEss Ayce- 


LIN DE BILLON. 
SR 


Tédament de ce 
Cardinal, 


578 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
amitié au Doyen du Sacré Collège , avec lequel il avoit juf- 
qu'alors vécu dans une grandé union ; & qui ne ceffa pas de 
lui donner des preuves d'un fincére atachement , comme il 
arut , furtout dans le tems que les deux Cardinaux de la Mai- 
on de Colonne s’élevérent contre ce Pape. Pendant le feu de . 
ces démêlez , notre Cardinal mourut à Rome le vingt-neu- 
viéme de Décembre 1297, après avoir donné fon fufrage 
pour la Canonifation du Roi faint Louis. Il y avoit travaillé 
avec beaucoup de zéle, comme François, & Religieux de 
faint Dominique. Et la part qu'il prit à la joye commune , fut 
d'autant plus grande, qu'il avoit plus particulièrement connu 
les héroïques vertus du faint Monarque, & qu'il étoit alors 
honoré de l’amitié du Roi de France Philippe le Bel, qui 
avoit fouhaité avec ardeur la conclufion de cette afaire. 
… Quatre mois avant fa mort , le Cardinal Hugues avoit fait 
un T'eftament ; dans lequel nous trouvons untrès-grand nom- 
bre de legs pour diférentes Eglifes, Chapelles , Mobatiéres ; 
& Hôpitaux , tant en France, qu’en Italie. Il ordonna que fes 
Exécuteurs Feftamentaires, avec le Provincial des is 
Prêcheurs de la Province de Rome , afligneroient la fomme 
de trois cens florins d’or au Monaftére des Religieufes. de 
faint Sixte. Il laiffa une femblable fomme au Couvent de 
fainte Sabine : il en donna cent à l’Eglife de la Minerve, & 


autant à chaque Hôpital de Rome. Mais il diftingua celui du 


_ ou Maifon de ur 2 2 , qu'il avoit près de cette 


Saint Efprit. Sa Bibliothéque , fon Argenterie, & fes Orne- 
mens devoient être diftribués aux Maifons de fon Ordre, de 
Paris, d'Orléans , d'Angers, de Rouen, de Nevers, & d'Au- 
xerre. [llaiffa au Couvent de Viterbe fa magnifique Vigne, 
Ville. Mais 
le mieux partagé de tous fut le Couvent de Clermont en Au- 
vergne, où il avoit pris l'Habit de Religieux dans fa jeuneffe. 
Ce Cardinal n'oublia point l'Hôpital de la Ville de Billon fa 
Patrie, ni la Chapelle du Château de Montaigu , qu'il enri- 
chit de quelque Argenterie , & de plufieurs Reliques , parmi 
lefquelles étoit un morceau précieux de la Vraie Croix. Les 
Chanoines de l’'Eglife de faint Pierre à Rome reçurent deux 
cens ik ra florins d’or, pour faire tous les ans des prié- 
res à e à de fon ame. M 
ous fes Domeftiques furent largement récompenfés , à 
Er de leurs fervices , & il donna à plufieurs de fes 1l- 
uftres Parens des marques de fon fouvenir. Gilles Aycelin, 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. ;79 
{on Frere , alors Archevêque de Narbonne , eut la Chäppe, 
qui avoit été envoyée à notre Cardinal par le Roi d'Angle- 
terre, & fur laquelle on voyoit repréfentée en fgures l'ori- 
gine de la Famille de Jeflé. Nous ne parlerons point de fes 
autres dons , & aumônes faites à des Particuliers , ou à des 
Communautez Religieufes : le détail en feroit ennuyeux : on 
peut le voir dans fon Teftament, raporté en latin, & en fran- 


LIVRE 
VI. 


need 
Hugues AYCE- 


LIN DE RILLON. 
A ni à 


RARE ASSET EEE EP 


is | fe. Cardin. 
çois par M. Duchefne. Mais il ne faut point oublier les Fon- Herr, nv it 


anç. T.1, Liv. Il, 


dations qu'il fit pour l'entretien des Miniftres de l’Autel, tant r-:°5:#c 


dans fon Eglife d'Oftie, que dans celle de Veletry. 
_ Cet illuftre Cardinal avoit ordonné qu'en quelque lieu qu'il 
vint à finir fes jours, fon corps fût porté en France , & in- 
humé dans l'Eglife des Freres Prêcheurs de Clermont ; vou- 
lant néanmoins que, s'1 y avoit une Maiïfon de l'Ordre de 
faint Dominique dans le lieu de fon décès, on y enterrât fes 
entrailles , & qu'on donnût foixante florins d’or à la Commu- 
nauté. Ses Exécuteurs Teftamentaires furent deux Cardinaux, 
Mathieu Evêque de Porto, & Nicolas du Titre de faint Lau- 
rent, avec le Pere Hugues de Lauzanne, Dominicain, Pé- 
nitencier du Pape. Le T'eftateur avoit donné fa Chappe d'or, 
fa Mitre la plus précieufe , & Le plus beau de fes anneaux à 
Boniface VIII : & il déclara qu'il auroit fait volontiers ce 
Pape Exécuteur de fon Teftament , ainfi qu'il l'avoit déja 
choifi avant fon Exaltation , parce qu’il connoifloit fa dili- 
gence,pour le fecours des ames de ceux qui lui laifloient l'éxé- 
cution de leurs dernières volontez. Mais les importantes ocu- 
pations de Sa Sainteté ne Le lui permétre d'entrer dans 
un fi grand détail, le Cardinal la fuplioit par l’afe&tion , dont 
elle l’avoit honoré pendant fa vie, de vouloir bien fupléer au 
défaut de ceux qui feroient chargés d’acomplir fes volontez, 
afin que toutes les chofes contenuës dans fon Teftament , euf- 
{ent l'éfet qu'il s'étoit propofé. | 

M. Duchefne dit que le Cardinal Hugues de Billon ayant 
confirmé ce sm Cr tab ar un fecond , fit encoreun 
Codicile à celui-ci, étant dans le Couvent de fainte Sabine à 
Rome, le Dimanche vingt-huitiéme jour de Décembre 1 298. 
Mais prefque tous les Auteurs s’acordent à mêtre fa mort en 
1297. L ro , qu'on lit fur fon Tombeau chez les Do- 
minicains de Clermont , porte la même date (1). Je ne fai 


(1) Hicjacet venerabilis Pater Dominus | copus Cardinalis, qui obiit die 29 menfs 
Hugo Aycelini, Ordinis Fratrum Prædica- | Decembris , anno Domini 1297. 


torum ; Oftienfium , & Veletrenfium Epif- à 
| | Dddd y 





P- 231 > Ke 


Tom. 1, Liv. IT, 
P: 3120 


LIVRE 
VI. 


Hucuers Avce- 


LIN DE BILLON. 
D 


580 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
pourquoi Frizon, dans fon Gallia purpurata , page 149, a 
mis la mort de notre Cardinal en l'année 1328. Si ce n’eft pas 
une faute d’impreflon , l’anachronifme fl groflier. 

La Communauté de fainte Sabine prétend avoir les dé- 
pouilles du même Cardinal : on voit en éfet proche du grand 
Autel une Fable de cuivre , fur laquelle on a repréfenté ce 


Prélat; & on y lit fix mauvais Vers latins, qui expriment fes 


Pag. 314 


Pag. 338, 


Ses Ouvrages. 


titres, &fes qualitez. Mais, de tout ce que nous venons de 
raporter , on peut fans doute conclure, r fi fes entrailles, 
( peut-être aufh fon cœur ) font dans l'Eglife de fainte Sabine, 
fon corps repofe dans celle de Clermont. Selon l'expreffion 
de M. Duchefne, le Tombeau qu'on lui a dreffé dans le chœur 
de cette Eglife , eft un des plus fuperbes qui foient en France. 
Cet Ecrivain en fait une belle , & #ort curieufe defcription ; 
& il ajoute ces paroles : 

# Je ne n'arèterai pas dorénavant fi long-temsà la defcrip- 
» tion des Tombeaux des Princes de l’'Eglife, quelque ma- 
» nifiques qu’ils D être, parce que ce feroit une chofe 
» hors de mon fujet ; maïs je n’ai pû m'empêcher de donner 
» au Public, quoiqu'aflez fuccintement , un échantillon de 
» la beauté de celui du Cardinal de Billon , afin que la pofté- 
» rité fache, qu’on ne fauroit trop révérer les cendres des 
» Hommes , qui furpañfent les autres en naïffance , & en ver- 
» tu ; & qui Cut revêtus des premiéres, & plus éclatantes 
» Dignitez de l'Eglife : Entre lefquels ce Prélat a toujours 
F paie , comme une des rentidres Laridres de fontems, par 
» les progrès , la conduite, & la fin de fa vie ; & que pour 
» les enfermer dignement , il n’y a rien dans la Nature d'affez 
» relevé ,. 

Mais fi on a fait de fi grandes dépenfes pour ornerfon Fom- 
beau , on a été extrêmément olives: à écrire la fuite de fes 
ations: & on n’a point montré plus de zéle à publier fes Ou- 
vrages , où nous trouverions fans doute une preuve de cette 
élévation de génie, & de la fupériorité de lumiéres, dont on 
Jui fait honneur. Les Auteurs Ecléfaftiques lui atribuent un 
Traité de la Vifion Béatifique, un autre Apologétique contre 
les corrupteurs de la Doëétrine de faint Thomas ; des Explica- 
tions fur le Livre du Prophéte Jérémie, un Volume de Ser- 
mons, & quelques autres Ecrits Fhéologiques , o n'ont 
pointété imprimés. Ce favant Cardinal,dit l'AbéUghel,nous 
a laiffé plufieurs monumens de fon efprit: Wir fane doûus, & 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 581 


ui multa ingenii monumenta reliquit. Selon Léandre Albert , 
à fience , & la pureté de fes mœurs le rendirent également 
illuftre : Wir litreris 6 moribus clarus. Et Pierre Frifon le comte 

armi les grands hommes , qui fe font le plus diftingués dans 
FOrdre de faint Dominique , par l’'éminence de leur doétrine, 
de leurs vertus , & de leurs emplois (1). 

Nous ne devons rien ajouter à ces éloges ; & nous ne pré- 
tendons point en retrancher. Il nous refte feulement à éxa- 
miner un fait, que ces mêmes Auteurs ont avancé avec beau- 
coup d’aflurance. Le Cardinal Aycelin, felon eux , avant que 
d’être nommé à l’'Evêché d'Oftie, avoit été fait Archevêque 
de Lyon. Plufeurs autres Ecrivains parmi ceux des derniers 
fiécles ont embraflé la même opinion. Et peut-être que les 
uns & les autres ne fe font fondés que fur une Infcription 

u'on lit au bas d’un ancien tableau, dans l’Eglife des jo 
ne à Clermont. Elle eft conçuë en ces termes : 

“ Frere Hugues Aycelin, nobleFrançois , apellé de Bil-"« 
lon en Auvergne, homme très-célébre par fa piété , & par « 
fon érudition , Doéteur de Paris , & cher au Roi de France, « 
étant allé à Rome, fut Maître du Sacré Palais , enfuite Car- « 
dinal de la fainte Eglife Romaine , bzen-r6t _ ÆArcheyé- « 
que de Lyon , & enfin Evêque d'Oftie & de Vé étry. IImou- « 
rut le troifiéme des Calendes de Janvier 1297, ayant laiffé « 
d’illuftres monumens de fon efprit, & de fa pieufe prodi- “ 
galité (2) » | _ | 

On convient que cette Infcription eft fort ancienne : dans 
tout le refte elle fe trouve éxaftement conforme à l’Hiftoire : 
& le fait que nous éxaminons, y eft fi expreflément marqué, 

uon ne pourroit ne pas le recevoir, fi on n’avoit d’ailleurs 
de fortes raifons de le tenir au moins pour fort douteux. Voici 
ces raifons : 1°. L'Epitaphe gravée fur le Tombeau même du 
Cardinal, plus ancienne encore que l'Infcription , ne lui 
donne point la qualité d’Archevêque de Lyon. 2°. Niçolas 
Trivet, Bernard Guidonis, & les autres Auteurs dutreiziéme 


(1) In admirando fanéti Dominici Or- 
dine numerancur innumeri Fratres, tum in 
do&trinà , cumin virtute exercitatiflimi , & 
dignitatibus Ecclefafticis eminentiflimi , de 
quorum numero extitit Hugo Seguin patrià 
Arvernus. Gal. Purpur. p. 248. 

(2) Frarer Hugo Aycelini nobilis Gal- 
lus, Arvenus , de Billomo diétus, vir pie- 


tate , & doétrina celeberrimus ; qui Doctor 


Parifinus Romam miffus, facri Palatii Ma. 
gifter elc@us, Repi Galliz charus, S. R. E. 
Cardinalis creatus, Lugdunenfis mox Ar- 
chicpifcopus, Oftienfis, & Veleternus Pa- 
ftor factus , pofteritati reliétis ingenñi fur, 
ê&c LE prodigalitatis moaumentis, obiit 151 
Cal. Janu. an. 1197. Habesur in Tom. IV, 
Gal, Chrifi. Col, cLviz. 


Dddd ii 


Livre 
VI. 


Huaues Avce- 
LIN DE BILLON. 
D à à 








Vide Bullar. Ord, 
T. Il, p. 35. 


XII. 

Selon plufieurs E< 
crivains , le Cardi- 
nal Hugues avoit 
cté Archcvèque de 
Lyon. 


XIII. 
Mais on a de fori 
tes preuves contre 
cette opinion, 


LIVRE 
VI. 


Hiucues Ayce- 
. LIN DE BiLzLoN. 





\ 


N 


«82 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


fiécle gardent tous là-deffus un profond filence , quoiqu'ils par- 
lent quelquefois de notre Cardinal , & de fes titres. 3°. Hu- 
gues de Billon lui-même n'a jamais fait mention de cette Di- 
gnité parmi celles, dont il a été revêtu. 4°. On fait que ce 
magnifique Prélat a diftribué de grands biens , & fait divers 
sr nn , à toutes les Eglifes , avec ne. il avoit eu quel- 
ue relation particulière : cependant il n’a rien donné à celle 
de Lyon. Son T'eftament eft la rats de l’un & de l’autre. 
s°. Nous n'ignorons point quels étoient les Archevêques qui 
ocupoient ce en Siège dans le tems , auquel notre Cardi- 
nal auroit dû le remplir , felon le fentiment de ceux qui veu- 


lent s’en tenir à l'Infcription. Après la mort de Rodulfe, qua- 


tre-vingt-fixiéme Archevêque de Lyon, décédé dans le mois 
d'Avril 1287, Pierre d'Aouft , Archidiacre de la même Eglife, 
fut élu pour lui fuccéder. Mais étant mort peu de tems après, 
avant que d’avoir reçü les Provifions de 1 pis , le Chapitre 
rocéda à une nouvelle Eleétion ; & ne put s’acorder. De-là 
L Pape Honoré IV prit ocafion de nommer dès l’an 1288, Bé- 
raud de Gouth, qui eft comté pour le quatre-vingt-feptiéme 
Archevêque de Lyon. Celui-ci gouverna fon 5 life , juf- 
u’en 1294, qu'il fut fait Cardinal, Evêque d’Albane par 
Ééleftin V. Henri de Villars fuccéda immédiatement à Bé- 
raud de Gouth, & remplit le Siège Primatial jufques à fa. 
mort, arivée le 17 de Juillet 1301. | 
Tout cela eft prouvé par les anciens monumens confervés 
dans les Archives de cette Eglife. Etil ia qu'il n’en fau- 
droit pas davantage pour rejéter abfolument l'opinion des 
Modernes : car pour avancer avec pr , que le Car- 
dinal Hugues À ycelin avoit été Archevèque de Lyon pendant 
les derniers mois de l'an 1288 , & les premiers de 1289 , ou- 
tre que c’eft donner des bornes bien étroites à fon Epifcopat , 
il faudroit avoir des preuves du fait ; & on n’en fauroit don- 
ner aucune de poftive. D'ailleurs nous venons de voir que 
ce fut l’an 1288 que le Pape Honoré IV donna ce Siège à Be 
raud de Gouth , Hugues n'étoit pas encore Cardinal, puif- 
qu'il eft de la Création de Nicolas IV , Succeffeur d’Honoré : 
& cependant les Auteurs que nous réfutons , prétendent qu'il 
étoit déja revêtu de la Pourpre, quand il fut fait Archevêque 
de Lyon. Ils doivent donc reconnoitre qu'il ne l’étoit point 
avant la Promotion de Béraud , &' qu'il n’a pü l'être au com- 
mencement de 1289 , puifque Béraud de Gouth , comme il a 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 58; 

été dit, a poffédé depuis l'an 1288 jufqu'en 1294. LIVRE 
Enfin nous avons remarqué ailleurs avec OdericRaynald, _._VI: 
& M. l’Abé Fleuri, qu’en 1294, lorfque le Cardinal Hugues Hucurs Avce- 
de Billon fut nommé par le Saint Pape Céleftin , Evêque zix De BizLon. 
d'Oftie , il fe fit facrer par l’Archevèque de Bénévent. Il ne 222 
lavoit donc pas été jufqu'alors. 

Voilà les principales raifons , fur lefquelles nous nous fon- 
dons pour croire que notre Cardinal n'a jamais été Arche- 
vêque de Lyon. Il feroit inutile de multiplier davantage les 
preuves ; on fent bien que celles que nous venons de déduire 
avec aflez de netteté, ne font point à méprifer ; & que nous 
n'avons d'autre intérêt que celui de la vérité hiftorique , pour 
les opofer.au témoignage d’un fort grand nombre d’Auteurs 
récens , & à l'autorité même d’une Infcriprion qui a de grands 
cara@téres d’antiquité, comme l’a cru un favant Bénin . 
qui lavoit foigneufement éxaminée (1). 


RARE PER ERPE PER PEEEREERREEEE 
JAQUES 
DE VORAGINE, 


ARCHEVÉQUE DE GENES. 


EN UR la Côte de Gênes, à fix milles de Savonne vers l'O-  Jaques 

rient , on trouve un petit Bourg, que les Italiens apellent ne Voracrne. 
indiférenment, tantôt Wiccus Virpinis, tantôt Varagium, où === 
Voragium ; & quelquefois Farago , ou Vorapo. Le favant 
Prélat, dont nous allons raporter les principales a@ions , 
étoit natif de ce Bourg. On ignore aujourd’hui lenom, & la 
qualité de fes parens ; mais on ne peut guéres douter que ce 
ne foit du lieu de fa naïffance qu'il eft apellé de Voragine. 
Quelques Auteurs ont cru, il eft vrai, qu'il avoit été ainf 
nommé ou à caufe de fa grande aplication à l'Etude, qui fem- 





IX. 
Patrie de Jäques 
de Voragine. | 


(rx) Nota unus à noftris fodalibus, | fe , paucis folüm menfibus Hugonem Ec- 
qui locum infpexit , Tabellam eodem tem- | clefiam Lugdunenfem rexiffe poit Beraldum 
pore fatam quo tumulys conditus eft. Un- | de Gout. G#2. Chriff. us f?. 

de fubdubitabundus ait 1d unam inferri pof- : nt 


LIVRE 
VI. 


JAQUES 
DE VORAGINE. 
ae À 








Vies des Saints » 
T.l,col. xxx111,n, 32. 


In Chron. Civir. 
Jaau, 


IL. 
Ses premiers éxer- 
cices dans l'Ordre 
de S. Dominique. 


584 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


bloit lui faire dévorer les Livres , ou parce que dans fes Dif- 
cours, & dans fes Ouvrages il citoit fréquenment les Textes 
des Saintes Ecritures (1 ). Mais cette conjeture , quoique 
adoptée par M. Sponde , paroît fort arbitraire. Et M. Baillet 
n’a pas eu plus de raifon de dire-que les admirateurs de Jâques 
de Voragine lui avoient donné ce nom par honneur, fes enne- 
mis par malice, les indiférens par ignorance. Tout cela eft 
gratuitement imaginé , & avancé fans preuve. | 
” Ce qu'il y a de certain, c’eft que le Serviteur de Dieu, apli- 
ué dès fon enfance à tous les éxercices de la piété chrétienne, 
& à l'étude de la Religion, méprifa le monde dès qu'il fut 
en état de le connoître. Nous aprennons de lui-même qu'il 
prit l’Habit des Freres Prêcheurs dans le Couvent de faint Do- 
minique à Gênes , la même année que le Pape Innocent IV 
ariva en cette Ville, c’eft-à-dire, l'an 1244. Et fur ce qu'il re- 
marque , dans un autre endroit de fes Ouvrages (2), nous 
fommes fondés à croire qu'il n’étoit âgé que de quatorze, ou 
de quinze ans, lorfqu'il fe confacra au Seigneur par le facti- 
fice de fa liberté. Dans un âge fi tendre, fe fervent Novice 
foutint avec courage toutes-les rigueurs d'un Ordre auftére , 
ui confervoit encore la premiére vigueur de fa Difcipline. 
La retraite, la priére , la mortification des fens , une férieufe 
aplication à l'Etude ; il fe fervit de tous ces moyens , & pour 
conferver toujours fon innocence, & pour fe métre en état de 
travailler un jour avec fuccès à la converfion des pécheurs. 
On recueillit bien-tôt les fruits qu’on s’étoit promis de fes 
Etudes , & de fes pratiques de dévotion. Habile Théologien, 
& Prédicateur zélé, éloquent , patétique , 1l parut avec hon- 
neur dans les Ecoles, où il expliqua les Liens faints , & 
dans les Chaires au milieu des plus nombreux Auditoires, 
qu'il édifioit par la bonne odeur de fes vertus , & qu'il 
atachoit par les charmes de fon éloquence (3), On aflure 
qu’il parloit fa Langue Italienne avec tant de délicatefle , & 


(1) Qui vulgo de Voragine ob crebras 
Scriptura nllegationes appellatus ef. Spon- 
dan. An. 1292, n. 8. 

(2) Jâques de Voragine, parlant d'une 
Eclipfe de Soleil arivée en 1139, dit qu'il 
étoit alors dans fon enfance : Nos et1#m 
dicèt tnnc annos pueriles ageremus, ip{as 
sanen fiellas in Cœlo radiantes confpexi- 
mus. In Chronic. de Civit. Januz. 

(3) Frater Jacobus de Voragine ligur , 


lc à Joco natali nuncupatus . .. , adolef- 


cens Janux fan&ti Dominici Ordinem anno 
1244 amplexatus, vir evafit pietate , difci- 
linà regulari, doétrinà, falutis animarum 
dio, prudentià, rerumque agendarum 
peritià clariflimus. Sacras apud fuos Litteras 
yaris in locis, & Scholis interpretatus eft ; 
um qua valebat dicendi gratiä, Linguæque 
maternæ puritate , & clegantià ; celebriora 
Italiæ pulpita obtinuit..... ubique cum 
plaufu , & fruétu auditus , &c. Echard, 

T1, p. 454, 
de 


DE L'ORDRE.DES. DOMINIQUE. 58; 
de pureté, qu'on l’écoutoit toujours avec plaifir, & qu’on 
ne Ë lafloit jamais de l'entendre. Pour métre ce talent à profit 
en faveur de ceux mêmes qui ne pouvoient fe trouver à {es 
Prédications , Jâques de Voragine fit une Verfion de la Bible 
en Langue vulgaire : & felon plufieurs Hiftoriens, il eit le 
Eee qui ait traduit en Italien toute l'Ecriture Sainte , tant 
ancien que le Nouveau Teftament. Sixte de Sienne , & Mon- 
fieur Sponde louent beaucoup le zéle , ou la diligence de l’Au- 
teur, & l’éxa@titude de fa Traduétion. Il avoit puifé princi- 
nc dans les Ecrits de faint Auguftin les principes de fa 

oétrine ; & la leëture des Ouvrages de ce grand Doëteur lui 
étoit devenuë fi familiére , qu’on n’a point fait dificulté de 
dire qu'il les avoit prefque tous apris par cœur (1). 

Ces utiles ocupations , furent fouvent interrompues , mais 
il ne les abandonna jamais , ni dans les Emplois, qu’il rem- 
plit dans fon Ordre , ni parmi les foins de la folicitude Pafto- 
rale , lorfqu'il fut élevé es le Siège de l'Eglife de Gênes. Elu 
Provincial de la Province de Lombardie en 1 267, il affembla 
l’année fuivante fon Chapitre à Viterbe ; & il fe trouvoit au- 
près du Pape Clément IV , lorfque ce Souverain Pontife, 
préchant dans l’Eglife des F reres Précheurs aux Fêtes de la 
Pentecôte , dans le tems que le jeune Conrad entroitavec fon 
Armée en Italie, exhorta les Fidéles à ne point craindre les 
forces des Allemans, ni leur colére: car, ajouta Sa Sainteté, 
nous favons que Conradin s’avance vers le terme fatal, com- 
me une viétime conduite à la mort par les confeils des mé- 
chans. La fin tragique de ce Prince, qui , après la déroute de 
fon Armée, périt lui-même par la main d'un Bourreau, ne 
vérifia que trop tôt, & trop éxattement cette prédiétion du 
Pape. Ceft dans fa Chronique de la Ville de Gênes que notre 
Auteur l'a raportée. | | 

Nous n’entrerons point dans le détail de tout ce que le zéle 
de la Religion , ou l'amour de la régularité firent entrepren- 
dre au pieux Provincial , pendant près de vingt années qu'il 
fut à la tête d’une grande Province. Ce long gouvernement 
eft déja une preuve de fon mérite, ou de leftime particuliére 
que faifoient les Religieux , de la fagefle de fa conduite, & 

(x) Jacabus de Voragine .... Ordinis 4 vertit. DE Do&rinæ fanéti Auguftini 
Prædicatorum, doëtrinà, vitæ integritate , | ftudiofus fui 
&.pauperum curà valde infignis , univerfam | volumina memoriä tenuerit, &c. Spondaz. 


facram Scripturam primus omnium in Ita- | #d An. 1292,n. 8, ex Six. Semen. Lib, IV, 
Bcam Linguam fummà fide ac diligentià & p. 274, Biblior, Sante. 


ome Z, Eeee 


LIVRE 
VI. 


Jaques 
DE VORAGINE. 
D + 








III. 
Il ef le premier, 
qui ait traduit la 


Bible en lralien, 


IV. 
Provincial de 
Lombardie. 


e fertur, ut omnia pené ejus 


586 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE dela fupériorité de fes talens. * M. Dupin s’eft trompé quand 
VE il a dit que Jâques de Voragine , après avoir été Provincial de 
Jaques Lombardie, fut fait Général de fon Ordre. Nous favons qu'il 
DE VorAGINs. N'a jamais ocupé ce Poîte : &iln'étoit que Définiteur defa Pro- 
VE vince en 1288, lorfque le Pape Honoré IV , fléchi enfin par 
* Aut.duxlilféle, les prières , le repentir, & les promeffes réitérées des Génois, 
NE lui donna commiflion de les abfoudre des Cenfures, & lever 
Ex député parle l'Interdit général , que le Saint Siége avoit jété fur leur Ville, 
Pape , pour lever pOur punir leur révolte, ou leur défobéiffance à l'Eglife, & 
interdit de Genes. |3 confpiration , où ils étoient entrés contre le Roi Charles I, 
en faveur des Faëtieux Siciliens (1). On peut bien préfumer 
ue Jâques de Voragine, fort connu depuis long-tems à la 
Cour de Rome, avoit été un de ceux qui s’étoient employés 
avec Zéle pour obtenir la réconciliation des Gênois. Et il eft 
encore plus certain que, fi la Commiflion, dont Sa Sainteté 
jugea à propos de le charger, lui fut glorieufe, elle ne fut 
as moins agréable au Clergé , & à tout le Peuple de Gênes. 
al. Sacr. T. IV, or de és , leur Archevêque , Étoit mort depuis peu 
æoL pcecLzxa Yu, : ‘ : 

de mois ; & les Chanoines affemblés pour lui donner un Suc- 
ceffeur , élurent quatre Sujets ; Nicolini de Camillo, Cha- 
elain du Pape , oct de Voragine de l'Ordre des Freres 
Par po ,Thierri de Flifco , & Othobon Spinola. Les deux 
remiers refuférent toujours de confentir à une telle Ele£tion; 
ph deux derniers renoncérent aufli dans la fuite à tout le droit 
u’elle pouvoit leur donner. Et le Pape donna l’adminiftra- 
tion de l'Eglife de Gênes à Obizzon M Fiefqu , Patriarche 

d'Antioche , chaffé alors de fon Siège par les Sarafins. 

Ce Prélat-mourut au commencement de l’année 1292; & 
le Chapitre, plus réuni qu'il ne l’avoit été quatre ans aupara- 
vant, élût tout d’une voix Jâques de Voragine pour fon Ar- 
chevêque. Le Sénat aplaudit à cette Eleétion ; & le Pape Ni- 
colas IV fit écrire auf -tôt au Prélat élû de venir à Rome re- 
cevoir de fes mains la Confécration, & le Pallium. Mais peu 
de femaines après , la mort de ce Pape donna ocafion au Sa- 


(tr) Refert Bzovius eo ipfo anno 1188 , | tentia cœpiflet Ecclefiæ conciliari, & facris 

o Obizzo ad Januenfem Ecclefiam eve- | communicare poftulaffe ; fupplice{que fa- 
due fuerat , Genuenfium plurimos , Duce | étos obtinuifle , ut à Fratre ob de Vo- 
Rogerio Auria , hactenus contra Carolum | ragine, Ordinis Prædicatorum viro infgni , 
Siciliæ Regem , & Ecclefiam fub fignis me- | qui Obizzoni deinde fucceflit , à vincula 
rentes , Siculifque anathematis damnatis | excommunicationis ablolverentur. Ughel. 
plurimam opem tulifle , iifdem diris fe im- | Ital. Sacr. T. IV , C. nccczxxxvit, #bs 
plicuifle , demum reverfos cm eos pœni-| de Obixzone. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 587 


cré Collége de marquer fon afeétion à notre Archevêque. Les 
Cardinaux firent promtement expédier ce qui reftoir à faire 
De le métre en place. Et Latin Malabranche leur Doyen 
ut prié de le facrer : ce qu'il fit pendant la vacance du Saint 
Siège *. | 

La réception que lui firent les Génois fut magnifique ; & les 
grands avantages que leur procura le zélé Pafteur , répon- 
direntä tout ce quils s’étoient promis de la fagefle de fon 
—— Depuis plus de cinquante ans les Guelfes & 
es Gibelins, par leurs cruelles diviflons ,caufoient des maux 
infinis à leur ne , & en faifoient de plus grands encore à 
la Religion : Ils tenoient toute la Ville dans de continuelles 
allarmes ; & ne renouvelloient que trop fouvent parmi les 
Peuples , tout ce qu’une Guerre civile & opiniatre peut 
avoir de plus tragique , ou de plus afreux. Le nouvel Ar- 
chevêque , preffé encore plus par l’ardeur de fa charité , que 
par les vives folicitations des Cardinaux , tourna d’abord 
toutes fes atentions vers cet objet. Il fentoit égalemen: la 
néceflité, & la dificulté de réünir tous les efprits , par une 
fincére réconciliation. Il n’ignoroit point que quatre ou cinq 
de fes illuftres Prédéceffeurs y avoient travaillé inutilement ; 
nn plufeurs Légats Apoñtoliques n’avoient pas mieux réuff ; 


LIVRE 
VI. 


JAQUES 
DE VORAGINE. 
Re de 


VI. 
Sacré Archcvé- 
que de Genes. 


VII. 

Il travaille à réi- 
nir leselprits, & à 
terminer des divi- 
fions , qui duroicnt 
depuis cinquante 
ans. 


que le Pape Innocent IV, quoiqu'il eût honoré de fa pré- 


fence la ville de Genes, dès les commencemens de ces fu- 
neftes divifions , n’avoit pü ni les étoufer , ni en prévenir les 
fuites. Les obftacles fans nombre , qui s’opofoient à la con- 
clufion de la paix , fembloient devenir tous les jours plus in- 
vincibles. Cependant toutes ces dificultez ne découragérent 
point le Serviteur de Dieu : Il entreprit de les furmonter , 
ou par la patience , ou par l’adrefle. Ses fréquentes exhor- 
tations , {es difcours vifs & patétiques , de bons fervices ren- 
dus à propos , & l’afe@ion égale qu’il montroit aux deux Par- 
tis opofés , lui conciliérent la confiance de tous ; & il réuffi 
enfin à les acorder (1). | 


Mais ce ne fut d’abord qu’une efpéce detréve, ou fufpen- 


(1) Frater Jacobus de Voragine, Or- cz Sedis Legato anno 1292, Apoltolicä Se- 
dinis fan&i Dominici, infgnis facræ Theo- | de vacante : juffu Sacri Collegii diffidentes 
logiæ Doctor, & jtd verbi Dei concio- | inter fe Guelfos, Gibelinofque Januenfes 
nator , cum fui Ordinis Provincialis effet | fa@iones compofuit ; & Civitarem per quin- 
in In(ubria , unanimiter à facro Januenfi Se- | quaginta omnino annos laceflitam ad tran- 
natu Archiepifcopus eleétus , inauguratuf- | quillum pacis portum fua dexteritate per- 
que cit à Latino Cardinali Urfino Apoftoli- | duxic. Ls4/, Sasr. T.1V, C.cccixxx vu, 


Ecee 1j 





LIVRE 


JAQUES 
DE VORAGINE. 
D“ 


VIII. 

Ses atentions , 
pour régler les 
mœurs du Clergé, 
& du Peuple. 


IX. 
Concile de Genes. 


7%. 
Tranflation des 


Reliques de S. Syr. 


538 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


fion d'armes ; & pendant plufieurs années , l'Homme de Dieu 
eut encore beaucoup à travailler & à foufrir. Il lui en coûta 
bien des gémiffemens , bien des larmes , des foins , & des prié- 
res , pour ménagèr des efprits depuis filong-tems divifés , & 
les amener à ce qu'on apella depuis une paix générale. Notre 
Prélat n'eut pas moins d’atention , & il ne montra pas moins 
de zéle à renouveller parmi les Fidéles ,. & dans fon Clergé , 
l'efprit de Religion , l'ufage des Sacremens , & toutes les pra- 
tiques de piété , que les malheurs des tems avoient fait pref- 
qu'entiérement oublier. La plüpart de ceux qui auroient dû 
en inftruire les autres , & leur donner des éxemples qu'ils 
puflent imiter , ne répandoient qu’une odeur de mort, par le 
déréglement de leur vie. Le fage Pafteur fe perfuada , que 

our faire rentrer les fimples Fidéles dans les voyes de la juf- 
tice , il falloit d’abord commencer par inftruire , & régler les 
conduéteurs du Peuple. Et c’eft ce qu'il effaya de faire, fort 
par les nouveaux Ecrits qu'il mit au jour, foit par les vifites 
qu'il fit dans tout fon Diocèfe, pour connoître par lui-même 
les befoins des Paroifles , la doétrine & les mœurs de ceux 
qui en avoient la conduite ; foit enfin parle Concile Provin- 
cial qu’il affembla dans l’'Eglife de faint ons à Genes , l’an 
1293 , la feconde année defon Epifcopat. Outre les Evêques. 
fes Sufragans , il avoit apellé à ce Concile plufieurs Abez , 
Doyens, Archiprêtres, & autres Ecléfiaftiques d'un mérite 
difingué. On y fit les Réglemens qui parurent néceffaires , 
& praticables , felon le tems ; & la grande atention de l'Ar- 
chevêque , fut depuis de les faire obferver. Lorfque quel- 

ues années après il écrivoit fa Chronique de la ville de 
dt , U fe glorifioit dans le Seigneur , de ce que ces Statuts 
fervoient de régle à tout fon Clergé (1). 

Pour donner au Peuple un fpeétacle édifiant de Religion , 
& lever en mêème-tems le doute de plufieurs, notre Prélat, 
avant que de congédier les Peres du Concile, voulut faire la 
vérification, & une Tranflation folemnelle des Reliques de 
faint Syr. Depuis plufieurs fiécles | on voyoit fur l’Autel de 
faint Laurent une ÜUrne de marbre, où , felon une ancienne 
Tradition, les Reliques de faint Syr étoient renfermées. Mais 
bien des gens doutoient de la vérité de ce fait ; & le Peuple 
avoit fouvent marqué un grand défir d’en avoir de plus gran- 


(1) Inipfo autem Concilio multa sal editæ , quæ ufque hodie obfervantur. Î 
fucrunt Statuta, & multæ Conftiutiones.| Chron, de Civ. Jens, #d An, 3293. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 589 


des aflurances. Pour répondre à ces pieux empreflemens des 
Fidéles , l’Archevêque fit ouvrir l’'Urne, qui contenoit le fa- 
cré dépôt ; & on eut le plaïfir d'y trouver, non-feulement les 
faintes Reliques ; mais encore une ancienne Infcription , qui 
‘fervit à ET er toutes les dificultez qu’on pouvoit s'être fai- 
tes. L'Affemblée des Prélats célébra avec beaucoup de pompe 
la Tranflation qu’on fit dès-lors de ces Reliques ; & notre À. 
chevêque PE a des fommes confidérables pour enrichir 
. la magnifique Chäffe , où1l eut foin de les renfermer. 

Mais la joye du charitable Pafteur ne pouvoit être parfaite, 
tandis qu'il voyoit une partie du Troupeau toujours prête à fe 
divifer de l’autre. Malgré les avances sr avoit faites vers 

la paix, le feu des diffenfions encore mal éteint, jétoit detems 
en tems de nouvelles flâmes : & quelque triftes qu’en fuflent 
ordinairement les fuites, on en pouvoit juftement craindre 
de bien plus funeftes. Ce ne fut qu’au commencement de l’an- 
née 1295 , que cette paix, fi long-tems, & fi ardenment dé- 
firée, fut enfin conclue dans une Aflemblée Générale. Tous 
les Citoyens parurent y entrer fincérement ; & nul ne fe dif- 
penfa d'ajouter le ferment à la promefle folemnelle de ne plus 
exciter de trouble, ou de ne jamais favorifer ceux qui en 
cauferoient. La joye dès ce moment fut univerfelle dans la 
“Ville (1). Le Cie , le Sénat, tout le Peuple en rendirent à 
Dieu de publiques aétions de grace. Et le bon Pafteur , au 
milieu de fon Troupeau, qui ne paroifloit avoir qu'un cœur 
& qu’une ame , acompagné de | se Evèêques fes La mb ; 
après un Difcours St Late fur les avantages, ou le bonheur 
de la paix, chanta le Cantique de louange, pour remercier 
1e Seigneur d’un événement f1 peu atendu. 

Pendant onze mois entiers on jouit tranquilement à Gênes 
d’une efpéce de félicité , que les jeunes gens n’avoient pas en- 
core eu : bonheur de connoiître par leur expérience ; & dont 
les plus anciens fe fouvenoient à peine d’avoir vû une image 
dans leurs premiéres années. Mais l'ennemi de la paix ne Laiffa 


(1) Anno Domini 119$ menft Januarïi | Nos quoque in publico Parlamento , in quo 
faéta eft pax generalis in Civitate Januæ..…. pax fie jurata , Pontificalibus induti pro- 
faciente gratià Salvatoris omnes ad pacem | pofuimus Verbum Dei ; & ibidem cum Cle: 
& concordiam funt reduéti, ita quod facta | ro noftro Te Dewm landamus cantavimus , 
eft inter eos una focietas , una fraternitas , | habentes nobifcumr quatuor Mitratos inter 
unum corpus. De quo tanta lætitia eft fe- | Epifcopos & Abbates. 15 Chron. de Civir. 
euta , ut tota Civitas fuerir plena jubilo, | Jens. #4 An. 1295. 

plena cripudio , plena gaudio immenfo. 





Eeee ii; 


Livre 
VI. 


TAQUES 
DE VORAGINE. 
Re co à 
Le "À 





: XI. 

es Genois 

Jes foins re 
Archevêque , fi- 


gnent unc paix gé- 
nérale. 


LIVRE 
VI. 


JAQUES 
DE VORAGINE. 
SO 


XII. 
La Guerre fe ra- 
lume avec fureur. 





so HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


pas long-tems fubfifter celle, dont les Gênois commençoient 
à goûter les douceurs. A vant la fin de Décembre de la même 
année , le feu de la difcorde fe ralluma avec tant de fureur, 
les efprits, comme pouflés par un mauvais démon , parurent 
tout à coup fi échaufés , & les cœurs fLirrités , que dans tou- 
tes les ruës , dans les places publiques , jufques dans les Epli- 
fes on ne voyoit que des Citoyens mr uns contre les 
autres. Ce n'étoit par tout que des combats, des meurtres, 
des vols, des rapines , des incendies, des facrilèges. L’afreufe 
image de la mort fe préfentoit dans tous les quartiers de la 
Ville de Gênes , comme dans une Place prife d'affaur. L'im- 
piété fe joignit à la haine; car on n'écoute guéres les fenti- 
mens que doit infpirer la ar , quand on fe fait honneur 


d'avoir étoufé ceux de la raifon , & les droits de la nature. 


Quelques fcélérats , pour fe rendre maîtres de la Tour , ou du 
Clocher de faint Laurent, mirent le feu à l'Eglife dédiée fous 
linvocation du faint Martir ; & en réduifirent le toit même 
en cendres. Cette fédition, qu’on peut apeller un acharne- 
ment fans éxemple , dura avec la même violence depuis le 
trentiéme de Decembre 129$ jufqu’au feptiéème jour de Fé- 
vrier de l’année fuivante (1). 

Nous n’ajoutons rien à la defcription qu’en a fait l’Arche- 
vêque même de Gênes, témoin & fpeétateur de tous ces défor- 
dres. Pendant lesquarante jours qu'ils durérent, le pieux Prélat 
ne ‘pût que répandre fon cœur & fes larmes devant Dieu, 
parce qu'il ne lui étoit À co poflible de faire entendre fa voix, 
ni de donner fes inftruétions à des hommes furieux , qui, fans 


pen ri ni fupérieur , ni parent, ni voifin, ni ami, ne 


cherchoient tous si fraper , ou à tuer : ils ne craignoient 
point la mort, qui les acabloit quelquefois au moment qu'ils 
penfoient la donner à un autre. 

Dieu écouta enfin les gémiflemens de fon Serviteur , & de 


(1) Sed quoniam in præfenti vita nulla 
bona funt pura , ideo proh dolor ! cithara 
noftra cico ver{a eft in luétum : eodem fi- 

uidem anno, menfe Decembris, quinta 
Éilices die poft Natale Domini, civibus no- 
ftris fupradià pace gaudentibus , pacis æ- 
mulus humani gencris inimicus in tantam 
difcordiam & turbationem cives noftros 
commovit, ut per vicos & platcas manu ar- 
matà configerent, & diebus multis ad in- 
vicem dimicarent : ex quo fecutæ funt neces 
hominum , vulncrationcs multorum , do- 


morum incendia, rerum expoliatio , & ra- 
pina. Et quoniam furor hoftilis frænum non 
recipit rationis , in tantum proceflit vefana 
turbatio , quod quidam ut turrem fan@i 
Laurentii habere poflent , aufi funt in Eccle. 
fa ipfus fan@ti Laurentii ignem apponere , 
& ejus rectum totaliter concremare. Dura- 
vit autem tam periculofa feditio à quinta 
die poft Natale Domini ufque ad diem fepti- 
mum Februarii, &c. In Chron. de Civ, 
Janu. an. 1195. 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. sor 


uelques autres juftes , qui prioïent avec la même ferveur, & 
E me es mêmes fentimens d'humilité , & de confiance. Il leur 
infpira ce qu’ils devoient faire , & le confeil qu’il falloit don- 
ner à ceux qui étoient encore Capables d'en recevoir. Sans 
une plus grande éfufion de fang , on exclut du gouvernement 
quelques efprits brouillons, peu intéreflés à la tranquilité de 
la République , & acoutumés à profiter de fes divifions. Cet 
arangement fut le retour de la paix , dont les Gênois jouirent 
déformais tout le tems qu'ils eurent le bonheur de pofléder 
leur charitable Pafteur. Celui-ci fût bien métre à profit ces 


précieux momens, pour éfacer les traces fanglantes d’une fi 


cruelle tragédie, & rétablir toutes chofes dans leur premier 
état. Les Lieux Saints, les Eglifes, les Monaftéres, : HG- 
pitaux , rien n’avoit été épargné : plufeurs honnêtes Familles 
fe trouvoient ruinées , leurs maifons ayant été pillées , ou brû- 
lées : un grand nombre d'orphelins , ou de veuves fans biens, 
& fans fecours ; & bien des gens , auparavant en état de fou- 
lager les miférables , réduits eux-mêmes à la derniére mifére, 
éprouvoient toutes les horreurs d'une afreufe pauvreté , ceux- 
là mutilés, ou dangereufement malades , & ceux-ci obligés 
de fe cacher, pour couvrir les marques encore plus honteufes 
de la part qu’ils avoient euë à ces criminelles querelles. 


LIVRE 
VI. 


JAQUES 
DE VORAGINE. 
D TS : 








XIII. 
Paix folide & du- 
table, 


XIV. 
Libéralitez da 
charitable Prélat. 


Tels furent les objets qui émeurent les entrailles de l’Ar- 
chevêque de Gênes. Comme un pere commun, il ouvrit à 


tous fon cœur , & fes mains. Ses riches revenus, fes meubles, 
la bourfe de fes amis , tout fut deftiné , & auffi-tôt employé à 
nourrir les pauvres, à couvrir la nudité des uns, à loger les 


autres, à les confoler , & à les affifter tous. Il n’avoit point 


atendu , il eft vrai ,-une auff ere cp | ere don- 
ner des preuves de cette charité fans bornes , qui faifoit fon 


caraétére , & que les Hiftoriens * relevent au-deflus de toutes 


{es autres vertus. Dès le commencement de fon Epifcopat, 
un fi grand nombre de pauvres Familles , & de perfonnes ma- 
. lades étoient venu chercher du fecours dans la Ville de Gè- 
nes ; que , felon la remarque & l'expreffion de Bzovius cité 
par l’Abé Ughel, les chtis même d'un Souverain auroïient à 


* Annal. Genu, 
Bzovius. Ughel, 
Spondan, Dupin, 
Fleuri, Echard. 


| ro fuñ , pour fournir à tous la nourriture , les vêtemens , &. 


es remédes néceflaires (1). Notre Archevèque fe dépouilla 


(1) Ferunt eo tempore, quo is ad Ge- 
nuenfem Ecclefiam adminiftrandam acceffe. 


tim in Xenodochiis decumbentium , & va- 
rat, reditus Epifcopii locupletiffimos fuifle, 





Cæterüm egenorum & pauperum , præfer- 


ris ægricudinibus confeétorum tantam mul- 


\ 


592 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE en leur faveur * ; il fit généreufement diftribuer fes revenus ; 
VI. ui étoient grands, & il continua jufqu’à la fin une pratique 
JaQuES i digne d’un Succeffeur des Apôtres. Maïs après les nouvelles 
De Voracine. Calamitez dont on vient de parler, il fit fervir fon éxemple, 
mm” (© tendres exhortations, & toutes les adreffes de fa charité, 
XV. pour porter les riches à retrancher au moins une partie de leur 
#11 fe dépoiille en fuperflu , afin qu'aucun Citoyen ne manquât du néceflaire. 
Pr ee Aimé , & eftimé de tous, & doué du talent de la parole pour 
ches à racheæer perfuader , il eut la confolation de voir une efpéce d’empref- 
leurs péchez Pa fement à féconder fes pieufes intentions. Après avoir fait cef- 
leurs aumones. é : ., | ; 
| {er la guerre, il mit encore fin à la mifére , fuite trop ordi- 
naire Là ce redoutable fleau. Il n’y eut ni Hôpital, ni Maifon 
Religieufe , ni Eglife particuliére , qui n'éprouvât en plufeurs 
manières l’éfufion de fa charité. Mais il fut fur-tout magnifi- 
| ue envers les Religieux de fon Ordre ; il les enrichit de plu- 
io ere précieufes Reliques , que les Latins au commencement 
ques. du treiziéme fiécle avoient aportées d'Orient. 

On fait que lorfque la Ville de Conftantinople fut prife par 
l'Armée des Croifez l'an 1203, le butin que ceux-ci fe cru- 
rent le plus permis, fut ce tréfor de Reliques ,: dont il y avoit 
dans la Ville Impériale une quantité prodigieufe. Les Empe- 
reurs Chrétiens depuis le Grand Conftantin les avoient ra- 
maflées avec foin , de prefque toutes les Parties du Monde, 

qui leur obéifloient. Et c’eft de la Capitale de l’Empire d'O- 
rient qu'on les répandit enfuite dans nos Eglifes d'Occident. 
Les Vénitiens fur-tout, fous la conduite du Duc Henri Dan- 
dole, qui étoit à leur tête dans la prife de Conftantinople, en 
firent une grande provifion : mais les vaiffeaux qui en furent 
chargés en divers tems, n’arivérent pas tous à Venife. Jäques 
de Pneus ,; dans fa Chronique de Gênes, nous aprend que 
la guerre étant alors fort allumée entre les deux Républiques ,. 

le vaiffeau , fur lequel les Vénitiens avoient mis une partie 
na ne de la Vraie Croix, avec plufieurs autres Sent rs Reliques, 
fut pris par deux Galéres de Gênes fous la conduite d’un cer- 
tain Dundecleubos. Cet Oficier fit préfent à la Ville, ou à 
l'Eglife de Gênes d’une partie de fon butin; & il retint l’au- 
tre, réfolu de s'en défaire dans l’ocafon , en faveur de quel- 
titudinem Civitati Genuenfi fe infudifle , j pilcopium omnibus poñleflionibus , paucis 
uteis alendis, veftiendis , curandis, Re- | exceptis, exuifle ; lue in ufus Hofpita- 
giis opibus & facultatibus opus foret. Eo- | lium pià prodivalitate contulifle. Ughel. 


tnm itaque tum neceflitatibus , tum infir- | I#4/. Sacr, T, IV, Col. DcccLXXXVIIL , ex 
mitatibus miferantem Jacobum fefe, & E- | Bzovso, 


XVII. 
Portées d'Orient. 


que 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 593 


que Prince Chrétien, de qui il pouvoit efpérer une grande. 


récompenfe. Mais, ajoute notre Archevèque, la Providence 

n'ayant point permis que cette Ville fût privée de cetréfor, 

toutes ces Reliques * long-tems après ont été acordées , par 
: | aps 

notre médiation, aux Freres Prêcheurs, dans ne defquels 

on les conferve avec beaucoup de refpeët, fous deux Tables, 

que nous avons fait couvrir de lames d'argent (1). 


Il j avoit déja fept ans commencés que Jäques de Voragine 4 


conduifoit avec beaucoup de fagefle, & de gloire l'Eglife de 
Gênes, toujours apliqué aux œuvres de piété, au travail, à 
la priére , édifiant les É idéles par l'éclat de fes vertus, & ne les 
nfruifant pas moins par fes Érédications , que par fes Ecrits, 
lorfqu’il plut au Seigneur de l’apeller au repos de l'éternité. 
Comme il avoit toujours vécu fort faintement , il mourut de 
même , dit l’'Abé Ughel (2), qui met fa mort au mois de 
Juin 1298, c’eft-à-dire , dans la Sen MERS PR ou foixan- 
te-neuviéme année de fon âge. Son corps fut inhumé dans 
l'Eglife de faint Dominique. | 
M. Baillet dit que cet Archevêque mourut âgé de quatre- 
vingt-feize ans. Je ne fai ce qui a fait tomber cet Auteur dans 
une erreur fi vifible. Jâques de Voragine dans fa Chronique 
témoigne qu’il étoit encore dans fa premiére enfance en 1239; 
on ne peut donc pas dire qu'il fut agé de quatre-vingt-feize 
ans quand il mourut en 1298. Mais ce n'eft pas la feule preuve 
que nous donne M. Baillet , qu'jl connoiffoit peu l'illuftre Pré- 
lat, contre lequel il paroît trop prévenu. os avec 
douleur que les Gênois ont donné à leur Archevêque le titre 
de Bienheureux : & il ajoute que les Dominicains prétendent 
u'il a été béatifié. Nous ignorons fi le Peuple, ou l'Eglife de 
Éênes a jamais donné ce glorieux titre à fon Pafteur : mais 
nous favons bien que M. Baillet atribue aux Dominicains des 
prétentions , qu'ils n'ont jamais euês. Il y a long-tems, il eft 
vrai, qu’on a fau des démarches pour obtenir la Béatifica- 


(1) Sed quia Deus noluit quod de tanto 
thefauro Januenfis Civitas fpoliaretur , ideo 
poft multum temporis ad Fratres Prædica- 
tores prædiétæ Reliquiæ nobis procuranti- 
bus devenerunt : quæ in Ecclefña ipforum 
Fratrum cum multa reverentia refervantur. 
Quas etiam nos fecimus in duabus tabulis 
cum laminis argenteis venerabiliter collo- 
cari. In Chron. Civ. Janu. ad An. 1103. 

(2) Vir fuit Jacobus & fanétimonià vi- 


ome L, 


tæ , & doëtrinä clarus, ediditque plures fer. 
mones, vitafque Januenfium Præfulum , 
fuorum Anteceflorum ; aliaque ingenii fui 
monumenta pofteris reliquit, ut notat Tri- 
themius ..... feptem omnino annos Ja- 
nuenfem perbellé rexit Ecclefiam , & ut vi- 
xerat, fan@tè obiit anno 12198 , menfe Junii, 
fepultus in Ecclefia fancti Dominici , cujus 
alumanus fuerat, &c. Ital. Sacr. Tom. 1F, 


Col. DCCCLXX XVII. 
Ffff 


IVRE 
VI. 


Jaques 
DE VORAGINE. 
À. à 


XVIIL. 
*Données 2 l'Egli- 
fe des Freres Prè- 
eurs. 


XIX. 
Mort du pieux 
Archevêque de 
Genes. 


XX. 
Méprifes de M. 
Baillet. 


Ton I, col xxxrrs. 


Col, xxxvs, Note 54 


LIVRE 
VI. 


JAQUES 
DE VORAGINE. 
Le -- ..... 
LS En 





. XXI. 
Ecrits de Jäques 
de Voragine. 


XXII. 
Légende de J3- 


‘ques de Voragine, {quoique fans doute le moins eftimable ) eft fon 


‘94 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


tion du Serviteur de Dieu : le Saint Siège s'expliquera quand 
il le jugera à propos. Nous ne prévenons point fon jugemens : 
nous l'atendons. 

Il eft tems que nous difions quelque chofe des Ecrits de ce fa- 
vant Prélat, dont l’ Abe Tritheme, Poffevin, & le Pere Echard 
nous ont donné le Catalogue. Outre la Verfion de toute 
la Bible, Ouvrage qui doit lui faire d'autant plus d'honneur, 
qu’il eft le premier Italien qui ait entrepris de traduire les Li- 
vres Saints en fa Langue , on lui atribue , 1°. plufieurs Volu- 
mes de Sermons fur prefque toutes fortes de fujets : 2°.’une 
Table de toutes les Hiftoires contenuës dans les Saintes Ecri- 
tures ; cette Table eft divifée en trois cens neuf petits Chapi- 
tres: 3°. un Livre fur les Ouvrages de faint Aupuftin, où 
l'Auteur fait également paroître, & fon fidéle atachement à la 
Doë&trine du grand Doëteur de la Grace, & la grande con- 
noiflance qu'il avoit de tout ce qui fe trouve de beau dans fes 
Ecrits : 4°. un Abregé de la Somme des vertus & des vices, 
compofée (comme nous avons dit ailleurs ) par Guillaume 
Perault Dominicain , célébre Doéteur de Paris : $°. un Traité 
des louanges de la Léa » Contenant par ordre alphabétique 
un grand nombre de Düifcours à l'honneur de la Mere de 
Dieu : 6°. un Traité de Morale, ou la Décifion des Cas de 
Confience , pour l’ufage, & la commodité des Ecléfiaftiques 
de fon Diocèfe : 7°. une Chronique de la Ville de Gênes, 
continuée jufqu’en l’année 1295 : 8°. l’'Hiftoire des Archevè- 
ques de Gênes , fes Prédécefleurs. Le Pere Echard ne parle 
point de ce dernier Ecrit, que l’Abé Ughel n’a pas cepen- 
dant oublié : 9°. Les Aëtes du Synode , ou Concile Provin- 
cial , affemblé à Gênesilan 1293. 

Mais de tous les Ouvrages de notre Auteur, le plus connu 
Race des 
Vies des Saints, qu'il 2 une Lépende : & auquel le Pu- 


blic, ou Le les Écrivains du treiziéme , ou du quator- 


ziéme fiécle donnérent le nom peu mérité de Lévende d'or (1). 
Ce n'eft qu'un grand amas d’une multitude d’Aétes des Saints., 
aftes compofés par divers Ecrivains Frog anciens que Jäâques 
de Voragine , qui n’a fait que recueillir, ou ranger'dans un 
nouvel ordre, & dans un même volume ce qui fe trouvoit 


(1) Nam quod notandum eft, hoc epi- 
thetum Libro fuo non indiderat Autor, 
acque etiam habent Codices manufcripti , 


aut primæ Editiones , fed fruétus maximus 
inde reportatus tribucrat. Echaerd. T. 1, 
pe 456. 





DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 59; 


répandu dans plufieurs. Auf doit-il être moins confidéré com- 
me l’Auteur,que comme le Compilateur de cette Colleétion *; 
dans laquelle on trouve bien du merveilleux , fort peu de 
choix, aucune critique, mais un mélange perpétuel … vral 
&c du faux (ce qu'il faut entendre des faits. ) Si un tel Ouvrage 
a pü être là avec édificarion dans les fiécles , où la vérité hif- 
torique étdit encore comme couverte des ténébres , d’où nos 
habiles Cririques l’ont enfin retirée, il ne fauroit plaire, n1 
beaucoup édiker,à préfent qu'un gout plus épuré n'eflime beau 
& bon que ce qui eft vrai. | 

En parlant de la forte nous faifons aflez entendre combien 
nous fommes éloignés de vouloir faire l'éloge , ou l'apologie 
de tout ce qu'on lit dans la Légende dorée. Nous eftimons fans- 
doute l'Auteur, que tant de grandes qualitez d'efprit & de 
cœur ont rendu eftimable. Mais la vérité nous eft encore 
plus chere. Et pour porter en deux mots un jugement équi- 
table de l'Ouvrage dont il s’agit, nous croyons pouvoir di- 
__ re, que pendant près de trois fiécles , 1la été trop eftimé ; & 
que st les deux derniers , on l’a peut-être trop méprifé. Le 
Loéteur judicieux , qui fe donnera À peine de le lire, pourra 
fe convaincre par lui-même , qu'il y aeu bien de l'excès dans 
les éloges qu'ont faitles Anciens de ce Recueil , & qu'ilyena 
auffi , dans le mépris afefté qu’en font quelques Modernes, 

Baillet , après Bollandus , remarque , que dès que cette Lé- 
_gende parut , elle fut reçûëé avec me mien , &lüëeavec 
une avidté extraordinaire , tant à caufe que les Vies étoient 
écrites fuccintement, que parce que l’Auteur avoit bien pris 
le goût de fon fiécle , & qu'il s’étoit particuliérement ataché 
aux Saints les plus connus dans l'Eglife Romaine. Il n’y eut 
point de Livre après l'Écriture-Sainte , & ceux des ufages 
ordinaires , dontilfe fit plus de Copies , ou plus de Verfions. 
Divers Auteurs François, Allemans , Efpagnols, Anglois 
le traduifirent en Leurs Langues. L’Anonyme , Auteur d’une 
Verfion Françoife, qui fe trouve dans la Bibliothéque du 
Roi à Paris, dit, qu'il avoit entrepris cette Tradu@ion de 
la Légende en faveur du Roi de France Charles VIII. A Ve- 
nife, & ailleurs , on en fit des Abrégés , pour l’ufage & la 
commodité des Fidéles. D’autres au contraire voulurent éten- 
dre cet Ecrit ; ils y ajoutérent des Suplemens, qui fe trou- 
vérent bien-tôt incorporés à Ouvrage, & atribués au même 
Auteur. Enfin, dèsla naiffance de su Lu - ? Sr le quin- 

| ij 


Livre 
___VI. 


EEE 
JAQUES 
DE VORAGINE. 


XXII. 
* Fort défectueule. 


XXIV. 
Trop eftimée pen. 
crois fiécles z 





s96 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
Livre zième fiécle, la Légende. ocupa fouvent les Imprimeurs , erx 

VL Italie , en France, dans le Pays - Bas, en Allemagne, & 
T7 FE ‘og dans tous les LR st Chrétiens, où cet Art s'étoit 
pe Vonaeins. établi. En forte, ditle Pere Echard , que toutes les Nations. 
= de l'Europe voulurent lire les Aétes des Saints, comme ils fe 
trouvoient dans la Légende dorée. | 

Par-là nous connoiflons , & l’eftime qu’on faifoit alors de 
cet Ouvrage, & le goût de ces fiécles, où on lifoit avec la 
même M: les Hiftoires édifiantes, & les pieufes Fables. 
qu'on y avoit mêlées , fans guëres diftinguer le vil d'avec le 
précieux. Ce n’eft pas qu'il n'y eût dès-lors des perfonnes d’ef- 
prit , qui auroient fouhaité que, par un fage difcernement, on 
eût feparé l’un de l’autre. L'illuftre Bérenger de Landore , Gé- 
néral de l'Ordre des Freres Prêcheurs vers le commencement 
du quatorziéme fiécle , & depuis Archevèque de Compoftel- 
le ns cette commiffion à Bernard Guidonis , que M. Bail- 
let apelle ur Homme ne pour l'avancement de l'Hifloire de l'E- 
glfe. Guidonis travailla fur des Mémoires " fidèles , ou 
plus autentiques ; il éxamina tout avee plus de foin , & choi- 
fit avec difcernement. Cependant, ce fecond Recueil ne fit 
point tomber le premier : on continua encore long-tems à le 
rechercher, & à le lire avec complaifance. 

XXv. Parmi les Ecrivains qui entreprirent de le combatre expref- 
Re ds fément, un des premiers , & peut-être le plus emporté de 
née par quelques. LOUS ; fut un Chanoine Régulier , natif d'Oudenarde dans le 
uns. Pays-Bas. Cet Auteur, devenu 7. l'an 1566 , écrivit 

avec beaucoup d’aigreur contre la Légende dorée ; & tomba 
lui-même dans une autre extrêmité. Jâques de Voragine avoit 
été trop facile à recevoir bien des Aëtes fabuleux , qu'il avoit 
mêlés avec les véritables ; & le nouveau Proteftant , en rejé- 
tant les Fables , rejéta auf plufeurs Véritez , qui font partie 
de l’'Hiftoire Ecléfiaftique. Il reconnut dans la fuite qu'il avoit 
excède ; & revenu dans le fein de l’Eglife Catholique , par 
une converfion , qui lui mérita la Couronne du martire, le 
neuviéme de Juillet 1572, en montant fur l’échafaut, il jéta 
lui-même fon Livre dansle feu (1). 


(1) Jacobus Rte Aldenardæ natus, t verfus, Fidei Catholicæ pugil fortifimus 
Canonicus Præmonitratenfis , cum anno | faétus, nona Julii 1572, cum aliis Marti- 
1566 à Carholicis ad Proteftantres defeciffet, | ribus Gorcomenfibus diétis gloriofam mor- 
adverlus Legendam auream um fic vulgo | tem paflus eft ; ipfeque ee Cruciap- 
diétam .... Libellum procaci ftylo fcripht | penderetur , impinm fuum Libellum in: 
hoc titulo Déflorationes Legende auree : |ignem conjecit. Echerd.T. 1, p. 456, 
ipfe tamen mifcrefcente Deo ad frugem re- | 


Gol. xxxvup, n. 55e 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. so7 


* M. de Launoy raporte , que Claude Defpence du Diocèfe 
de Chälons - fur - Marne , célébre Doûteur de Paris dans le 
Collége de Navarre , prêchant dans l'Eglife de faint Médéric 
oufaint Merry l'an 1 143 , déclama très-fortement contre la 
Légende dorée , qu'il apelloit une Légende ferrée de men- 
fonges. Mais peu de femaines après ; par un ordre exprès de 
la Faculté de Théologie de Paris , il fe rétraéta publiquement, 
ou il adoucit beaucoup fes expreflions. Cependant fa doci- 


Livre 
VI. 


JaqQuEs 
DE VORAGINE. 
D" ©" 





#WHift. Gymna. Na- 
var. T.l, p.197, &ce 


lité, qui édifia | être le Peuple , .ne püt entiérement éfacer 


je ne fai quels foupçons, e a déclamation trop libre avoit 
fait naître dans l’efprit des Supérieurs ; & felon M. de Thou, 
le zéle du Doëteur de Navarre lui fit perdre le Chapeau de 
Cardinal , qui lui étoit deftiné. Cela prouve , qu’encore vers 
le milieu du feiziéme fiécle la Légende avoit de grands défen- 
feurs , même parmi les Savans. . a 
_ Elle avoit auf fes cenfeurs : On croit que Melchior Cano , 
favant‘Dominicain , depuis Evêque de Canaries, mort.en 
1560 , peut être regardé comme celui de tous les Critiques ; 
ui ait porté le plus rude coup à la réputation de cet Ouvrage. 
Ï eft vrai qu'il ne l'a | expreflément nommé ; mais il n’a 
pas laiflé FM le décréditer beaucoup , lorfqu'avec cetre élo- 
quence vive , qui lui étoit naturelle , il s’eft juftement élevé 
contre les Légendaires , trop peu atentifs à diftinguer le vrai 
d'avec le faux , & le réel d'avec le fabuleux, dans les Vies des. 
Saints. | | 
Les Hiftoriens profanes , difoit cet habile & judicieux Au- 


teur, ne peuvent être des modéles de la piété folide, & dela 


vraie vertu , qui ne fe trouve que dans la véritable Religion; 
( & dont les Payens n’avoient pas même des idées aflez éxac- 
tes) mais on peut confidérer en eux la fincérité , la bonne 
foi , & la obité qui vient de la nature. Il en eft parmi eux ; 
qui , par le feul amour de la vertu, ou par les fentimens d’u- 
ne honnête pudeur , ont fait paroître tant d’averfion pour le 
—. , qu'il eft honteux pour nous de voir , que ces Hif- 
toriens du Paganifme fe trouvent quelquefois plus éxaëts , ou 

lus fincéres que plufieurs de nos Ecrivains. Un Diogéne 
Laërce eft plus circonfpeët & plus rigide , dans les Vies qu'il 
a écrites des Philofophes, que la plüpart des Hiftoriens dans. 
celles des Saints. Un Suétone fe montre plus fincére, plus 
libre, plus défintéreffé dans les Vies des Céfars , que nos Au- 
teurs ne le paroiflent, en écrivant l'Hiftoire des Martirs 


f ii} 


Liv, XVI & L. 


De Locis Theol. Libs 


3 C. 6. 


XXVI. 
Sage critique de 
Cano , contre les 
Légendaires peu: 
éxaéts , ou pouf»: 
céress 


LIVRE 
VI. 


JAQUES 
DE VORAGINE: 
RSR RENNES 








_ peuvent qu'incommoder | 


Î 


598 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


des Vierges , des Confefleurs , & des autres Difciples de Ia 
Vérité. 
Ces Payens (continue Melchior Cano) ne diflimulent point 
les vices de ceux, dont ils louent en même tems les bonnes 
ualitez ; & ils ne fupriment pas les aparences de vertu, qui 
ê. rencontrent dans les méchans. Mais quelques-uns de nos Au. 
teurs donnent prefque tout à l'inclination , ou au préjugé ; & 
portent fi loin la liberté de feindre , que l’on en a se à plus 
de dégout que de honte. Je parle de ceux , dont les Ecrits ne 
Églife , fans [ui procurer aucun 
avantage. On ne peut pas dire que ceux, qui, dans leurs Li- 
vres, impofent volontairement à leurs Leéteurs, ou qui dégui- 
fent la vérité, foient gens de bien. Rien n’eft plus jufte que la 
lainte que fait Vivès de toutes les Hiftoires fabuleufes , que 
Fon a of | publier parmi les Fidéles : & c’eft avec grande rai- 
fon qu'il condamne ceux qui ont cru honorer la Religion , ou 
la fervir par de pieux menfonges. Car au lieu de travailler à 
la gloire Le Dieu, & de fes Saints, comme ils en avoient fans 


doute intention , ils ont perdu créance dans l'efprit des per- 


fonnes fenfées ; & ils fe font rendu coupables de l’injuftice que 
{oufrent ceux qui nous ont donné des Aétes plus fincéres : le 
Lefteur une fois perfuadé qu'il a été trompé par pe er : 
tient pour fufpeét ou pour incertain tout ce que lui préfentent 
les autres. 
Hérodote & Xenophon ont eu recours à la fi&ion dans 
leurs Hifioires , pour ariver diférenment au but qu'ils s’étoient 
propofé : celui-là,fous le nom des Mufes, vouloit plaire com- 
me les Poëtes ; celui-ci, fous le titre d'Education de Cyrus, 
en{oit à inftruire les Princes en Philofophe. Mais ni l'un ni 
F autre n’a eu intention de tromper, ou de donner pour réel 
£e qui n’étoit qu'allégorique. Il n’en eft pas de même de l'Hif- 
toire des Chrétiens (1), où tout fe doit régler par les loix les 


| plus févéres de la vérité, qui en eft l'unique objet. Jamais les 


aints, les Amis de Dieu n’eurent befoin des artifices de l’ima- 
gination humaine, pour aquérir une jufte réputation, & s'y 
maintenir. Leurs aûtions , dans toute leur fimplicité , font fi 
grandes , que toute éxaggération leur eft inutile : elles font fi 
(1) Arin Hiftoria Chriftiana, quætota, | ..... Heroum porrd hoftrorum res verè 
non voluptate, fed veritate perpenditur , | geftæ , ficuti ego exiftimo , non folum am- 


quorfum attinet Hiftoriæ nomen Commen- | plæ , magnificæque fuerunt, verum multà 
is , Fabulifque prætendere ? Quafi vero | etiam majores quam famà feruntur , &c. 


fandi Dei homines mendacis noftris egeant } Melch, Can. #5 Jp. p. 441. 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 399 


belles que toutes les couleurs faufles , ou étrangéres ne peu- 
vent que les défigurer : elles font au-deflus de la Renommée. 
Je parle principalement de celles que la Grace de JESUSs- 
CHRIST porte au-delà des forces ordinaires de la nature. 
Ce feroit donc en vain qu'on prétendroit les embellir par des 
menfonges. Tout ce que l'on peut penfer , fe trouve tiyese 
au-deffous de ce qu'ont fait les Martirs, ou les äutres Héros 
de la Religion ; & ce que l'on en peut dire, eft encore au- 
deflous de ce qu’on en penfe. Il ne faut donc ni éfort d’efprit, 
ni ornement  s difcours , mais beaucoup-d'éxaétitude, & de 
fincérité, quand il ne s’agit que de les montrer tels qu'ils ont 
été, & tels qu'ils doivent paroître à nos yeux. 
Ces fages réfléxions de Cano ont extrêmément plu à nos 
Critiques : &c Lg a n'ont point manqué d'en faire l’a- 
lication ( ou de fupofer même que l'Auteur l’avoit faite ) à 
a Légende dorée. Voici ; dit M. Dupin, Le jugement qu'en 
porte Melchior Cano : Cette Légende , dit-l, « été écrite par 
un homme , qui avoit la bouche : er , & le cœur de plomb ; 6 


dont l'efprit n'étoit ni jufle , nt prudent. On y lit plisôt des monf- 


tres de miracles , que de vrais miracles. . ..... Si cet Archevéque 
(c'eft M. Dupin qui parle) nef Pl eflimable par fes Ecrits, 
on ne peut nier toutefois qu'il ne l'ait été par fa vie, & par fa 
Lété. Ê étoit fort devot, 6 charitable envers les pauvres , auf- 
quels il fasfoit diffribuer kg tous les revenus de [on Archevé- 
ché. Il avoir beaucoup étudie les Œuvres de faint Auguftin, & 
en avoit Fer un Abregé, Il fit auffi une Verfion de la Bible en 
Langue lialienne. 
. Dans les premiéres À que de M. Dupin, il me paroïit 
qu'on peut reprendre deux chofes ; 1°. que cet Ecrivain ait 
atribué à Melchior Cano des expreffions très-dures , qui ne 
font pas de lui, mais de Vivès, Auteur Efpagnol habitué en 
F es Bien loin que Cano ait dit de la Légende, & de 
fon Auteur, ce que M. Dupin lui fait dire auffi expreflément, 
ue s’il raportoit fes propres termes , il n’a nommé ni l’un ni 
l'autre, dans l’irruption qu'il a faite avec tant de vivacité con- 
tre les faufles Vies des Saints. Où eft donc cette fincérité, & 
cette éxaétitude , dont nos Critiques aiment tant à fe faire 
honneur ? N’eft-ce pas tomber imprudenment dans le défaut 
u’on condamne , dans le tems même qu'on fe fait un mérite 
sx le condamner ? 


2°, Je blâme encore le peu d’atentionde M. Dupin à diftin- 


LIVRE 
VI. 


JaAQUuES 
DE VORAGINE. 
D =: à 





Pag. 153, 


XXVII. 
Réflexions fur les 


pus de M. 
upin. 


LIVRE 
VI. 


JAQUESs 
DE VORAGINE. 
SSSR 


XX VII. 
Critique outrée 
de Baillet, 


Bailiet , Vies des 
Saints, Tom. 1, col. 
xExV, 7. 3d 


XXIX. 

On prouve que 
M. Baillet n'avoit 
pas lü l'Ouvrage 
qu'il cenfuroit, 


600 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


uer les diférens Ouvrages de Jâques de Foragine , ou fa faci- 
Pré à les confondre tous dans la même cenfure. Il auroit bien 
dû faire quelque exception ; puifqu'il n'ignoroit pas que fa 
Verfion de la Bible avoit mérité l'aprobation des Savans, mê- 
me des derniers fiécles. Nous avons vû ce qu’en penfoit Mon- 
fieur Sponde. Et Sixte de Sienne en avoit déja porté le même 
Jugement. | 

M. Baillet s’eft montré encore moins équitable, ou moins 
{fcrupuleux que M. Dupin. Si celui-ci a fait peu de cas des Ou- 
vrages de l’Archevêque de Gênes , il n’a pas laiffé de recon- 
noître que l’Auteur étoit très-eftimable par la ris de fa vie, 
par fa piété, fur-tout par fa grande charité. Celui-là au con- 
traire ne reconnoît ni vertu, ni probité, ni rien enfin de loua- 
ble, dans un Prélat qui a mérité tant de louanges , & par fes 
belles a@ions , & par les fervices importans , qu'il rendit à un 
grand Peuple, dans les tems les plus orageux & les plus difi- 
ciles. M. Baillet fe met de mauvaife humeur contre Bollan- 
dus , qui avoit tâché d’adoucir , ou d'expliquer la cenfure trop 
forte de Vivès. Bollandus ne s’étoit point avifé de juftifier , ou 
de défendre ce que les gens d’efprit trouvent de véritablement 
repréhenfible dans la Légende ; en Critique fage & modéré, 
il rejétoit ce qu'il falloit rejéter ; & il aprouvoit ce qui lui pa- 
roifloit digne d'aprobation. Sur-tout il ne pouvoit foufrir les 
Traits fatiriques contre la perfonne d’ün Prélat , dont il ad- 
miroit la fagefle , & les vertus (1). Mas , dit M. Baillet, 
c'eft vouloir nous faire juger de l'excelence du Livre par la fain- 
teté de l’Auteur ; au lieu qu'il auroit peut-être mieux fait de ju- 
ger-de cette prétenduë faznteré par L rs qui régne dans fon Li- 
vre, G@ quil fera toujours dificile de prendre pour l'efprit de 
vérité. 

Il eft d’abord permis de douter que M. Baillet ait jamais vü 
le Livre, contre lequel il prend tant de plaifir à déclamer. 
Nous avons déja remarqué qu'il ne connoifloit guéres l’Au- 
teur: & il y a bien de l’aparence qu'il n'étoit pas mieux inf- 
truit de fes Ecrits. Ce qu’il y a de plus fâcheux pour lui, felon 
la réfléxion du Pere Echard, c’eft qu'après avoir tout blâmé, 


(1) Ludovicum Vivem femper maximi | compto ,ut illa arant tempora ; at erat non 
feci. ... fed quod Legendz illius Auétori | modo doëtus & pius , fed prudentia, judi- 
ita maledicit, ut virum fanétum & fapien- | cioque fingulari , ut quàm probabilia effene 
tem plumbei cordis , oris ferrei appeller, id | quæ fcriberer , Vive , Erafmoque meliüs 
fanè miror, in homine præfertim gravi & À potucrit judicare. Bollandus , Ait. Sanit. 
moderato . ., . fuerit Jacobus ftylo minus | I, I, p. xx. 

tout 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 6or 


tout condamné fans exception dans la Légende , M. Baillet à. 


tout loué , & tout admiré dans les Ecrits d'une Dame favante, 
dont l'Ouvrage cependant renferme cette Légende prefque en 
entier (1). Tant il eft vrai qu'avec beaucoup d’érudition , de 
draiture , & d’amour\de la vérité, on eft encore capable de 
bien des méprifes. Il eft rare qu’un Ecrivain fe tienrie toujours 
dans un jufte milieu, pour diftribuer le bläme & la louange 


avec une équité égale à fa liberté. Ou il loue avec complai-. 


fance, ou il condamne par humeur, tantôt adulateur, tantôt 
critique outré, fouvent par prévention, prefque toujours avec 
excès. Nous ne voudrions pas faire ici l’aplication de cette vé- 
rité à M. Baillet. Obligés de faire remarquer er 


de fes diftra@ions , nous ne fommes pas moins difpofés à ren- 


dre juftice à fon mérite, à fes lumiéres , à fa piété. Mais nous 
fouhaiterions qu’il eût bien voulu garder les mêmes régles de 
l'équité naturelle à l'égard d’un homme illuftre, fans entre- 
prendre de juger de fon cœur par le peu d'éxaétitude de quel- 
u'un de fes Écrits. Un défaut de Critique, fur-tout dans un 
Poe du treizième fiécle, n'eft point un vice contre les 
mœurs. | | 
Nous foufcrivons volontiers aux réfléxions de Melchior 
Cano: & avec lui nous dirons qu’on ne doit point métre par- 
mi les gens de bien , ceux qui impofent volontairement dans 
leurs Ecrits, ou qui déguifent la vérité connue. Mais lorfque 
M. Baillet ajoute : Sur ce principe on ne devroit een er 4 
canonifer Jäques de Voragine, ni Méraphrafie , dont les Grecs 
font tous les ans la Fête au mois de Novembre. Nous répondons 
fans héfiter que ce Critique fe trompe , ou qu'il prétend nous 
tromper. Non, les perfonnes fages ne reconnoîtront jamais 
dans le portrait d’un impoñfteur celui du célébre Archevêque 
de Gênes. pv l'acufe d’avoir été trop crédule fur un grand 
nombre de faits biftoriques , ou fabuleux , majs qu’on croyoit 
communément de fon tems; qu'on dife que, he des 
lumiéres de la critique , il a fouvent ramañlé bien de la paille 
avec le bon grain, pour n'avoir pas foigneufement diftingué 
dans les A@es des Saints, ce qui s’y trouvoit de vrai, & de 
réel, d'avec ce que la fable y avoit ajouté. On ne dira rien 


ir aliàs clariffimus, cüm tanto æftu in Ja- | totum Jacob; opus in fuum convafavit, &c. 

cobum de Voragine ftomachum ceffundit , | Echard. T, I, p: 456. DE 

À aliunde fanétimonialem Joannam Bap- | 
Tome I, | _ Gegg 


V 


{x) Mirus femper mihi vifus eft Baïlletus | tiftam Boette ad aftra extoilit, quæ tamen 


LIVRE 
VI. 


JAQUES 
DE VORAGINE. 
à 








Col xxxvIs , m. 3fe 


LIVRE 
VI. 


JAQUES 


DE VORAGINE. 
Ris ss trs se 








éoi HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


de trop ; & nous l’avons.déja dit. Mais, vouloir lui faire un 


crime de fes méprifes, ce feroit établir une régle , fur laquellé 
M. Bailletne voudroit point être jugé(r). Il roi à Gulaies 
que cet Auteur eût fait quelque atention à ces paroles de Ca- 
no, qu'il avoit fous les yeux: Vominibus parco , quoniam ku- 


Liv. 11, c.vr, pe 441. Jus loci judicium morum etiam eff, 6 non erudirionis tantüm , 


fleuri, Liv. LXXXIX 
#7. 12, 


in qua Res ee € effe cenfura. Nam quæ morum eft, hec de- 
€, 


bet Fe ue e in Vivos Cautior , & in mortuos reverentior. 


iniflons cette digreffion par les paroles d'un Hiftorien , juf- 


tement.eftimé du Public , & des Savans. Voici de quelle ma- 
niére M. Fleuri, dans le quatre-vingt-neuviéme Livre de fon 
Hiftoire Ecléfiaftique , a parlé de la Légende, & de fon Au- 
“ teur. Jâques de Vora ne , de l'Ordre des Freres Prêcheurs, 
» ainfi nommé du lieu de fa naiffance , nâquit vers l'an 1230. 
» Il fe diftingua par fa doftrine , & fa piété , & devint Doc- 
» teur en Théologie , & Prédicateur fameux. En 1267, il 
» fut fait Provincial de fon Ordre en Lombardie , & éxerça 
» cette Charge pendant près de vingt ans. Le Cardinal Latin 
» des Urfins, qui avoit été du même Ordre, le facra Arche- 
vêque de Gênes à Rome, le Dimanche de Qua/imodo trei- 
zièéme d'Avril 1292 ; & le Collége des Cardinaux le chargea 
de réunir à Gênes les Guelfes & les Gibelins , de quoril s’a- 
quita fi bien, qu'il pacifia la Ville divifée depuis cinquante 
ans. Îl n’étoit pas moins recommandable par fa vertu que 
par fa doëtrine ; fur-tout il fut très-charitable envers les 
pauvres. Il parloit fort bien fa Langue, & fut le premier 
qui traduifit en Italien l'Ecriture Sainte , tant l'Ancien que 
le Nouveau Teftament. Après avoir gouverné l'Eglife de 
Gênes pendant fept ans avec édification , 1l mourut au mors 
de Juin 1298, & fut enterré dans l'Eglife de fon Ordre. 
# Il refte de lui plufeurs Ecrits, entre autres une Chro- 
nique de Gênes & de fes Evêques , jufques en l’année 129$, 
ui n’eft point encore imprimée. Mais fon Ouvrage le plus 
ee , eft le Recueil des Vies des Saints , nommé {4 Lé- 


Ÿ 


XL LYYS S Y * Ÿ 


ÿ Ÿ 


(2) Les Continuateurs de Bollandus , { nics Biographis fidem adhibet , us initio bu. 
dans leurs Aétes des Saints , acufent fouvent | jus Commentæris diximns., > interim im 
Baillet d'avoir lui-même adopté des Fables, | Gallica ejufdem Santti Vita , sumero 3 , 
& copié des Contes fabuleux. Voyez, par | bas recentiorum Fabnlas adoptat. Unde 
éxemple, le premier Tome d'Août , page | Echardus intempefiiuum illum hypercrits- 
390 , #.1725p.392, % 182; & p. 393, | cum , qui [ape de certis Sanctorum geflis ae 
n. 184: Non sam facilè ignofcimus Adriano | Miracnlis ob leves conjeituras dubitat . . .. 
Bailleto , ani vix Synchronis fantti Domi- \ fic jure merisa corrigit, dec. ut fp. n. 1726 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 603 


gende dorée ; nom , qui montre l'eftime qu'on er ft pendant “ Livre 
deux cens ans. Depuis , la critique s'étant réveillée , & l’a- “ VL 
mour de la vérité ayant prévalu , cette Légende eft tombée “  Jaques 
dans un grand mépris , à caufe des Fables dont elle eft rem- “ ps Voracine. 
plie, & des Etymologies abfurdes, par lefquelles com- « 2 
mencent la plüpart des Vies. Il en faut moins acufer l'Au- « 
teur , que le mauvais goût de fon fiécle, où l'on ne cher- 
choit que le merveilleux. Il n’a pas inventé ces Fables ; on 
les voit , & d'autres femblables , dans les Auteurs qui l'ont 
précédé (comme Vincent de Beauvais) , il y a tout au plus 
ajouté quelques ornemens , des circonftances , & des Dif- 
cours vraifemblables , qu'il a crû utiles à l'édification du 
Leéteur ; &r'il l’a faitavec efprit ». 








SAR À 


OO EEE EAN 
. GUILLAUME 
DE HOT U N;: 


ARCHEVÊQUE DE DUBLIN, 


MÉDIATEUR DE LA PAIX ENTRE LES ROIS _ 
DE FRANCE ET D'ANGLETERRE, de 


AMBASSADEUR A ROME. 


UILLAUME DE HOTUN, ou de Odone, que Ni- Guirraume 
” colas Trivet apelle un Homme d'un grand génie , & De Horux. 
Léandre Albert un excélent Interprète des faintes Ecritures , 
étoit Anglois de Nation. L'union qu'il fût faire de l'Etude Nic. Triv. a Au. 
avec une piété folide , le rendit célébre parmi les Savans ; &c “in. Albert. de vire 
fa rare prudence dans le maniment des afaires , ne le diftin- Her Hbe ll 
ua pas moins parmi les plus habiles Politiques du treiziéme 
Ééce. 
Nous ignorons dans quel Couvent d'Angleterre 1l avoit 
pris l’habit de faint Dominique : mais nous favons qu'il fit 
une partie de fes Etudes , dans le Collège de faint Jâques à 


 Gesgi. 





| 604 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 

LIVRE Paris ; qu'il yprittous les Dégrez , & y profefla avec aplau- 
VI. diflement. El enfuite Provincial d'Angleterre, dans le Cha- 
Guiczaume Pitre général de fon Ordre , tenu à Vienne en Autriche l’an 
De Horux. 1282 , il remplit cet Emploi avec autant de fuceès, que d’a- 
= tention & de zéle. Les Hiftoriens de la Nation relevent fur- 
Echard, T.1, p.45 tOUt fa douceur, ou fes maniéres nobles & infinuantes, qui 
le faifoient également aimer & 4 a sa Ïl avoit gouverné 

pendant cinq ans les Religieux de fa Province, lorfqu'il fut 

rapellé à Paris, pour y reprendre fes Leçons publiques de 
Théologie. Son mérite le fit connoître dès-lors à la Cour de 

France ; & on aflure qu'il étoit particuliérement eftimé du 

Roi Philippe le Bel. Mais les Rulisine Anglois , trop fatis- 

faits de fon gouvernement , pour le laifler long-tems dans un 

Royaume étranger , voulurent l'avoir une feconde fois pour 

Supérieur ; & pendant fept ans, qu'il eut ladminiftration de 

cetté vafte Province, il s'aquit une fi haute réputation de fa- 

oefle & d'habileté , que le Roi Edouard I l’honora de fon 

amitié , voulut l'avoir auprès de fa Perfonne, & ne cefla de- 

puis de lui donner des marques finguliéres de la plus parfaite 

confiance. Nous ne raporterons que deux ou trois faits , qui 

feront autant de preuves de l’afeétion de ce Prince pour Guil- 

laume de Hotun. 

Edouard avoit promis de feconder les pieux défirs du 

Pape , en faveur des Chrétiens de la Terre-Sainte. Mais pour 

fe métre en état de lever une puiffante Armée fans épuifer fes 

tréfors , & de s’abfenter de fon Royaume , fans l’expofer aux 

infultes des. Ennemis ; ce Prince propofoit bien des condi- 

tions au Saint Siége : Et ce fut par le miniftére de Guillaume 

de Hotun , qu'il voulut traiter de toute cette afaire avec le 

Vide Odoric. ad An, Souverain Pontife. Le Député du Roi , favorablement rec 
##%7%7%  Ala Cour dé Rome, en obtint prefque tout ce qu'il défitoit. 
Et Sa Sainteté voulut à fon tour fe fervir de lui, pour inftruire 

le Roi d'Angleterre des plaintes , que faifoit le Clergé contre 

les Oficiers de la Cour. C’eft ce que nous lifons dans un Bref 

de Nicolas IV, daté de Rome le dixiéme de Novembre 1 289 : 

*# Nous vous envoyons ( difoit ce Pape) nos Lettres Apof- 

» toliques, par notre cher Fils Guillaume de Hotun de l'Or- 

» dre des Freres Prêcheurs , votre Député. Mais Nous ne 

» pouvons vous laïffer ignorer, qu'il nous eft revenu de plu- 

» fieurs endroits qu’on abufe de votre autorité Royale , pour 

» commétre tous les jours de nouveaux atentats contre la li- 


DE LORDREDES.DOMINIQUE. 6os 


berté Ecléfiaftique , non fans une grande ofenfe de Dieu , “ 
&c un mépris trop marqué du Saint Siège. Nous en avons “ 
conféré familiérement avec le même Guillaume de Hotun « 
votre Envoyé, & Nous lui avons expliqué nos intentions, « 
& celles de nos Freres les Cardinaux , afin qu’il vous les 
fafle connoître , &c. », (1). 

L'Eglife de Dublin en Irlande étant fans Pafteur , par la 
mort de fon Archevêque Jean de Saunsford , le Chapitre avoit 
nommé pour la conduire le Doyen de faint Patrice Thomas 
de Chafvorts Mais, pour des raifons que l'Hiftoire ne nous 
a point aprifes , le Roi d'Angleterre s’opofa toujours à cette 
Ele&tion ; & après avoir laiflé og ce Siége Métropolitain 
pendant près de trois ans ( depuis le mois d'Oëtobre 1294 juf- 
qu'à celui de Juin 1297) ce Prince s'adrefla enfin au Pape Bo- 
niface VIIT, pour y faire nommer Guillaume de Hotun , com- 
me un Homme, dont la capacité & la fidélité lusétojent con- 
nues , & dont les fervices pouvoient être + utiles à 
l'Eglife 8 à l'Etat. Le Pape confentit aux défirs du Roi ; & Sa 
Sainteté adreflant fes Bulles ä notre Archevêque , lui permit 

.de choifir à fon gré les Prélats , qui devoient le facrer. Guil- 
laume de Hotun fe trouvoit alors à la fuite du Roi Edouard 
en Flandres ; & il reçut l’impofition des mains à Gand , Ville 
capitale de Flandre , aux Pays-Bas. Mais arêté auprès de Sa 
Majefté ma 4 , pour des afaires très-importantes , le 
Prélat n'eut pas la liberté de fe rendre à fon Eglife. 

Philippe le Bel , & Edouard I, fe faifoient depuis plufieurs 
années une cruelle guerre, dont le fujet avoit paru d’abord 
très - léger ; mais qui par fes fuites devint extrêmément fu- 
nefte , & coûta bien du fang à l’une & à l’autre Nation. Les 
Anglois ayant été deux fois batus par nos Troupes dans la 
Guyenne ; Edouard, pour réparer fes pertes , & avoir fa re- 
venche , fufcita contre la France une puiffante Ligue , où il fit 
entrer l'Empereur Adolphe, les Ducs d'Autriche , & de Bra- 


(1) Sanè per dileétum Fratrem Guillel- 
mum de Houdon Ordinis Prædicatorum 
Nuncium tuum ; ad præfentiam Regiam re- 
deuntem , Apoftolicas Litreras ..... tuæ 
Celfitudini deftinamus. Verum, Fili chariff- 
me, latere te nolumus , ad Audientiam 
noftram relatione multiplici pervenifle qudd 
nonnulla in partibus Anglicanis Regia au- 
étoritate committuntur, quæ cedunt aper- 


üus in fubverfionem Ecclefafticæ Liberta- 


tis, non abfque prælibatæ Sedis injuria, & 
Divin Majeftaris offensä. Super quo, per 
nos , & aliquos ex Fratribus noftris cum 
codem Fratre Guillelmo colloquium habe- 
re curavimus , noftram ci fuper hoc, & 
Fratrum noftrorum intentionem paternè & 

iliariter exponentes , tibi per ipfum {e- 
riofus explicandam , &c. 


LA 


Gpgeg ii 


Livre 
VI. 


GUILLAUME 
DE Horux. 
À + À 








LIVRE 
VI. 
GUILLAUME 
DE Hotun. 
nee 





606 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
bant , les Comtes de Bretagne , de Hollande , de Bar, de 
Juilliers, de Gueldre , de Flandres , & de Luxembourg. Mais 
endant que le Monarque Anglois préparoit une Flote , & 
Dont une Armée de Terre, pour venir joindre fes Alliez , le 
Roi de France trouva le moyen de difhiper cette formidable 
Ligue ; & s'étant en même-tems avancé en Perfonne dans la 
Flandres , il prit Lille, Douay, & Courtray. Une autre de 
fes Armées , commandée par le Comte d'Artois , défit les Fla- 
mans près de Furnes , & en tua plusde feize mille. Edouard I, 
à fon arivée , trouvant la Ligue diffipée , les Flamans décou- 
ragés, ou mal intentionnés , & les François viétorieux , fut 
d'autant plus embarraflé , qu'il n’avoit point amené avec lui 
d’aflez grandes forces , pour rétablir les afaires. Trop géné- 
reux ( dit un d&enos Hiforiens) pour fuir devant des enne- 
mis , qu'il étoit venu chercher ; & trop fage, pour hazarder 
une bataille avec des forces inégales , 1l fe retira d’abord dans 
la ville de Gand, pour penfer aux sg de terminer cette 
longue guerre , ou du moins, de la fufpendre par quelque 


négociation. 


Ce fut dans ces circonftances critiques, que le Roi Edouard 
eut de nouvelles preuves du zéle , & en même-tems de la pru- 
dence de l'Archevêque de Dublin. Selon quelques Auteurs, 
cet habile Prélat , déja connu du Roi de France , & chéri de 
celui d'Angleterre, eut l’honneur d’être choifi par les deux 
Monarques , Es) être le Médiateur de la paix. Les condi- 
tions qu'il perfuada à l’un de propofer , il les fit agréer à l’au- 
tre ; enforte que la Tréve entre les deux Nations, fut con- 
clue , & jurée pour deux ans (1). Nicolas Trivet dit ( ce qui 
fans doute eft plus vraifemblable ) que dans cette Négocia- 
on , le Duc de Bretagne agit au nom du Roi de France , & 


notre Archevêque au nom de celui d'Angleterre (2). 
(1) Tum autem inter Galliæ Regem , & | confecrari. Hic Frater Willelmus poftquam 
Regem Anglix diffidentes fequefter accep- | Ordinem ingreflus eft, cum effet vir acu- 


tus (nam & primo ex quo Parifiis ftudue- 
rat & rexerat, notuserat, & familiaris) ita 
dextericate fua egit ac prudentià, ultro ci- 
troque ad ambos pergens ac rediens , ut 
inducias inter utrumque ad biennium pepi- 
gerit ac firmarit. Ap. Echard.T.I, p. 459. 

(2) Eodem anno ( 1297 ) idem Papa 
Fratri Willelmo de Hotun, Priori Provin- 
ciali Fratrum Prædicatorum Angliæ Archie- 
pifcopatum contulit Dublinenfem , indul- 
gens eidem , ut à quocumque Epifcopo Ca- 


tholico & ubicumque decreverit , valeat 


tiffimi ingenii, Doctor in Theologia Pari- 
fius faus eft. ÆErat autem jucundus in ver- 
bis, in affatu placidus , Religionis hone- 
ftæ ; in omnium oculis gratiofus ; qui cum 
Rege in Flandriam profes { ibidem 52 
Domino Dunelmenfi munus confecrationis 
ro de y per cujus mediationem ex parte 
Anglorum , & Ducis Britannix ex parte Gal- 
lorum inter Reges acceptæ funt induciæ ; 
& ultra datos terminos fæpius prorogatæ. 
Nic. Triv. in Chron. ad An, 1197, T. III, 
Spicilegié , Col. coxx1. ". 


LE EE - LL 7 


‘DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 607 


- Comme Boniface VIIT ne cefloit d'envoyer fes Nonces en 
France, & en Angleterre pour travailler à la même réconci- 
lation ; les deux Souverains, foit pour aflurer davantage le 
Traité de Tréve qu'ils venoient de figner, foit pour parve- 
nir à une folide paix, ou peut-être par pure complafance 
pour ce Pape, voulurent bien accepter fa médiation ; mais à 
condition qu'il n’agiroit que comme Arbitre , & qu'il ne dé- 
cideroit point en Juge. Le Roi Edouard envoya pour cela 
une folemnelle Ambaflade à Rome, & il nomma notre Ar- 


chevêque pour être le premier de fes Ambaffadeurs. La Lettre 


de ce Prince commençoit par ces paroles : “ Au Souverain “ 
Pontife , Edouard, Roi lagiensee , &tc. Nedoutantpoint # 
ue Votre Sainteté , par fa fagefle , ne trouve le moyen de « 

nir heureufement les démélez , qui fe font levés depuis * 
long -tems entre le Roi de France & Nous, Nous avons # 
jugé à propos de vous envoyer pour cet éfet les vénérables « 
Peres en JESUS-CHRIST , Guillaume Archevêque de Du- 
blin , & Antoine Evêque de Durham, avec je Nobles * 
Seigneurs Amedée, Comte de Savoye notre Coufin, Ot- « 
ton , & Hugues de Véer Oficiers , tous gens bien inten- « 
tionnés pour la paix , inftruits de nos volontez, & chargés « 
de nos inftuétions , &c. Fait à Gand le dix-huitiéme de É é- # 
vrier 1298 ». 

. Le Souverain Pontife ayant reçû avec honneur les Ambaf- 
fadeurs Anglois , & prononcé fa Sentence Arbitrale dans le 
Confiftoire du vingtième de Juin 1298, notre Prélat partit 
aufli-tôt de Rome, pour fe rendre auprès du Roi, & de-là 
dans fon Eglife , afin d'y remplir en perfonne les devoirs d’un 
Pafteur. Mais étant arivé en Bourgogne au mois d’Aouft, il 
tomba malade à Dijon , & y mourut la veille de faint Au- 

uftin , auquel , dit un Auteur, il étoit finguliérement dévor. 
a mort de ce grand homme fut un fujet d'afliétion pour tous 
les gens de bien , qui connoifloient fes talens & fes belles qua- 
litez. Le Roi Edouard fur-tout y parut très-fenfible : Et com- 
me 1] l’avoit fincérèment aimé pendant fa vie, il voulut après 
fa mort donner encore une marque de fon afe&tion, en fai- 
fant tranfporter fon corps à Londres (1), où il fut inhumé 
dans l’Eglife des Freres Dréchoues 


(1) Hic Frater Guillelmus de Odone cum 
in Patriam rediret à Curia Legatus, Car- 


dinalis futurus , apud Divionem Galliæ , in 


vigilia fanéti de Dr 2 i, quem unicè co- 
luit, ex hac luce difceflit magna Ordinis ,ac 








Livre 
VI. 


GUILLAUME 
DE Horun. 








Vide Echard.T.!, 
P. 450. 


bonorum mulcorum moftitià : cujus offa ins 


LIVRE 


VI 


GUILLAUME 


D8 Horun. 
Sr 2 





608 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Quoique les afaires, dont Guillaume de Æotun fe trouva 
chargé, foit pendant les douze années qu'il gouverna fa Pro- 
vince d'Angleterre, foit depuis que le Roï eut commencé à fe 
fervir de fes confeils , & de fa médiation , paroiffent bien ca- 

ables d’ocuper tout un homme, cela néanmoins n’avoit pù 
fui faire abandonner fes Livres. Auffi nous a-t'il laiffé divers 
Ouvrages de Philofophie , de Théologie , & de Politique, 
eftimés par les Savans. Mais Poflevin s’eft trompé lorfqu’il a 
cru que Guillaume de Hotun n'étoit pas le même city que 
Guillaume de Ovone. Il eft certain, Élon le Pere Echard , que 
l’Archevêque de Dublin, dont nous venons de raporter fom- 
mairement les aétions , a été nommé par les Anciens, tantôt 
de Hotun , tantôt de Hozum , & fouvent de Odone , felon la 
diférente maniére , dont les Auteurs de diférens Pays ont 
voulu prononcer, ou écrire le même nom. 

On voit encore par ce qui a été dit, la méprife de ceux qui 
fe font imaginés , que ce fut pendant fon Ambaffade à Rome 

e cet illuftre Anglois avoit été nommé à l'Archevêché de 

ublin, & facré par le Pape Boniface VIII. Trivet dit ex- 

reflément qu'il avoit reçû la Confécration en Flandres par 
l'Evêque de Durham : & dans la Lettre du Roi d'Angleterre 
au Pape , il eft qualifié d’Archevêque de Dublin. D'ailleurs, 
le rang qu'il tenoit dans cette Ambaffade montre aflez qu'il 
n'étoit pas alors un fimple Religieux, Nous ignorons fur quel 
fondement un Auteur Efpagnol du feizième fiécle a écrit que 
çe Prélat devoit être revèru de la Pourpre Romaine. 


Pope » petente etiam Anglorum Rege, delata funt. Sebaffianus de Olmedo ap. Echard, 
» P. 460. , | 





 MUNIO 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 609 


SESÉSY ST SES ST STE SSII STE SEE 


MUNIO DE ZAMORA, 
VII. GÉNÉRAL DE L'ORDRE DESFF. PRESCHEURS, 
EVÈQUE DE PALENCE. 


ANS l’Hiftoire que nous entreprenons d'écrire on verra 

un illuftre Perfécuté , que la Sp femble avoir 

ris plaifir de conduire à la gloire par les plus grandes humi- 
on , & au folide repos par une longue fuite d’adverfitez ;: 


qui firent éclater davantage fes vertus, fon humilité , fa dou- 


ceur , fa charité, une conftance héroïque , enfin cette fer- 
meté d’ame , ou cette patience à toute épreuve, que faint 


= Thomas apelle la vertu des plus parfaits en cette vie. | 


” Aimé & refpeété dans fon Ordre , chéri des Princes & des 
Rois, toujours en vénération parmi les Peuples qui admiré- 
rent , & l'innocence de fes mœurs , & la fainteté de fa con- 
duite, Munio fe vit cependant en butte à la contradiétion des 


langues. Les ennemis de la pièté furent auf les fiens : 1ls ré- 


pandirent contre lui, je ne fai quels bruits fourds & calom- 
nieux. On furprit la religion de ceux qui auroient dû être fes 
Défenfeurs ; & on employa l'autorité la plus refpettable pour 
humilier un Supérieur, dont toutes les aétions ne méritoient 
que des louanges. On le traita comme criminel, fans lui avoir 
jamais fait connoître n1i fes acufateurs , ni de quoi il étoit acu- 
fé. Et tous ceux , qui, fincérement atachés à fa perfonne , ne 
pouvoient cefler de l'eftimer , & de l’aimer , reçurent ordre 
de croire humblement qu’il avoit mérité la confufon , dont 
on le couvroit. Mais l'Hiftoire ne refpelte que la vérité. Et 
c'eft cette vérité , ou le témoignage fecret de fa confience , qui 
aprit au Serviteur de Dieu à profiter de fes épreuves, & à pof- 
féder toujours fon ame dans la paix. Ayant été fincérement 
humble dans l'élévation , il parut encore plus grand dans les 
difgraces. Il füt, & fe foutenir fans orgueil , & fe foumétre 
fans foibleffe, adorant la juftice de Dieu dans l’injuftice même 
des hommes. | | 

Zamora, Ville d'Efpagne , dansle Royaume de Leon, fut 

Tome Ï, é Hhhh 


Muxro 
DE ZAMORAe 
ei à 


Bern. Guidon, 

$. Antonin. 

Lean. Abert. 

Fontana, 

Taëgius. 

Nicol.-Antoine. 
.Echard, T.I, p. 398% 


L. 
Naiffance de Mus 
nio. 


LIVRE 
VI. 


MUuN1O 


DE ZAMORA. 
D ere 


rl. 
Ses progrès, & {es 
Emplois dans l'Or- 
dre des FF. Prè- 
cheurs. 


610 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


la Patrie de Munio : & l'éducation qu’il reçut de fes parens, 
ne répondit pas moins à la noblefle de leur Sang , qu’à la piété 
dont ils faifoient profeffion. Agé de vingt ans, en 1257, ilfe 
confacra au fervice de Dieu dans l'Ordre de fat Dominique : 
où tout ocupé du défir d’aquérir la perfeétion de fon Etat, il 
ne perdit point de vüé la fin qu'il s'étoit propofée , en renon- 
çant aux vanitez du monde , & à fes faux plaifirs. Auff les 
progrès qu'il fit dans la pratique des vertus, & dans l'étude 
des fiences parurent également rapides. Habile Théologien , 
Prédicateur zélé , fage Supérieur , toujours éloigné de l'am- 
bition de commander, fans néanmoins re refufer aux befoins . 
ni aux défirs de fes Freres , il fe vit placé par leurs fufrages à 
la tête de fa Province d'Efpagne , après avoir pañlé par dite 
rens Emplois, qu'il avoit toujours peu 0 avec honneur (1). 

Dans un A , qui avoit été fucceflivement ocupé À des 
hommes éminens en fainteté , & en doétrine, Munio donna à 
fon tour de grandes preuves de fa capacité , & de la fapeffe de 
fon gouvernement. Éxa@ obfervateur de fes Régles, ke plein 
de Pefprit de JESUS-CHRIST , il gagnoit les uns par les char- 
mes de fa douceur , & il excitoit la ferveur des autres par 
Fonétion , ou la force de fes Difcours. Sa vigilance s’étendoit à 
tout; & la vertu de fes éxemples fervoit à entretenir, ou à 
augmenter, même parmi fes Freres, cet efprit de zéle, qui 
faifoit le caraétére du plus faints Religieux dans ces beaux 
commencemens de leur Ordre. Les éxercices de piété, l’étude 
des faintes Ecritures, & celle des Langues fleurifloient parti- 
culiérement dans la Province d'Efpagne , où on voyoit un 
grand nombre de fervens Prédicateurs de la Foi , & de fidéles 
imitateurs de faint Dominique. | 

Ceux qui fe faifoient un plaifir, aufli-bien qu'un devoir , 


 d'obéir au pieux Provincial , ne furent point les feuls qui ren- 


dirent juftice à fon mérite , & à la fupériorité de fes talens. On 
les avoit connus, ces talens, dans les Chapitres Généraux 
qu'on aflembloit réguliérement toutes les années, & parmi 
tant de grands Perfona es, qui s'y rendoient de tous les 
Royaumes Chrétiens, A fut jugé le plus capable de fuc- 


(x) Nobili loco natus, juvenis annorum : anno 1281 Patribus cejus Provinciæ, difci- 
circiter viginti Ordininomen dedit in Con- plinx & gloriæ Ordinis ftudiofiffimis Mu= 
ventu Zamorenfi anno 1257; ficque pieta- * nio dignus vilus eft, qui ad id munus affue 
te, fcientiä, Difciplinæ regularis ftudio, meretur, & decefloribus doctrina & fanéti- 
farmä intus & extra emicuit, ut ad resimen tate illuftribus pro metitis fuccederet, &c.. 
quam prunum potuit à fuis evectus fuefir.... | Echerd, T: I, p. 4984. | 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. érr 
céder au célébre Jean de Verceil, dans le gouvernement de 
tout l'Ordre. Déja dès l’année 1278 , pendant que celui-ci 
étoit ocupé aux afaires de fa Légation , dans les Cours de 
France, & de Caftille, Munio, alors Définiteur eg 
avoit tenu fa place, & préfidé au Chapitre de Milan. Mais 
ce ne fut que dans celui de Bologne l'an 128$ que tous les 
fufrages des Vocaux le firent reconnoître pour Supérieur Gé- 
néral, Chef, & Pafteur de tout fon Ordre. 

Nous avons dans les Aûes des me Généraux les Ré- 
glemens pleins de fagefle, qu'il propofa dans celui-ci, afin de 
conferver fans tache la pureté de fon Inftitut, en renouvel- 
lant dans le cœur de tous les Religieux ces fentimens de piété, 
d'amour de Dieu, & de zéle du falut des ames, qui pouvoient 
en faire autant d'hommes apoftoliques. Parmi Les vertus du 
faint Fondateur, que Munio propofoit à leur imitation , il 
_ leur fit faire une atention particulière à fa tendre dévotion en- 
vers la Sainte Vierge , dont il rendit le Culte plus folemnel 
dans tous les Couvens, afin d’exciter de plus en plus la recon- 
noiffance des Religieux envers leur glorieufe Prote&rice. 

Le nouveau Général ne refufa point fes atentions aux Fre- 
res & aux Sœurs du Tiers-Ordre, qui vivoient dans la mai- 
fon de leurs Parens avec beaucoup Ffontos , & de régu- 
larité , quoique les uns & les autres n’euffent encore d’au- 
tres Statuts, que ceux qu'ils avoient reçus par tradition. Ce 
que faint Dominique s’étoit contenté de leur prefcrire de vive 
voix, Munio le mit par écrit: & la Régle qu'il rédigea en 
divers Chapitres , fut depuis aprouvée par le LE Siège , & 
enrichie de plufeurs Priviléges. 

Après avoir vifité une grande partie de fes Couvens en Ita- 
lie , & laiffé par tout une haute eftime de fa piété, notre Gé- 
néral fe rendit à Paris l'an 1 286, pour y tenir fon fecond Cha- 
Hs Parmi les Ordonnances qui y furent faites ou renouvel- 

ées , nous nous contentons de remarquer ici celle qui regarde 
la Doëftrine de faint Thomas. Tous les Religieux de l'Ordre 
furent de nouveau avertis de.fuivre éxa@tement les Principes 
de ce grand Doëteur : & on menaça de la privation de leurs 
Emplois, tant les Profeffeurs, qui ace convaincus de s’en 
être écartés, que les Supérieurs négligens à veiller fur un 
point qu'on jugeoit dès-lors d’une extrême conféquence (1). 
__G) Difidiis injungimus & mandamus loss , efficacem dent operam ad doétri. 
ut Fratres omnes & fioguli pro ut fciunt & | nam venerabilis Meg Fratris Thomæ dé 


hhh y 


LIVRE: 
VI. 


Muxro 
DE ZAMORA. 
D . 114 
III. 
On le met à {z 


têre de tout {o# 
Ordre. 


IV, 
Il écric la Réole 
u Tiers-Ordre. 


Zéle pour la Doc. 
trinc de S. Tho- 
mas. 


LIVRE 
VI. 


Munio 





DE ZAMORA. 
Tim es - A 





612 HISTOIRE DES HOMMES ILEUSTRES 
D'un Chapitre à l’autre, Munio, à l'éxemple de fes Préde- 
ceffeurs, vifitoit les-Couvens de fon Ordre dans quelque Na- 
tion particulière. Suivant ce plan, en fortant de Paris, 1] par- 
courut les Provinces de France , travaillant à ranimer par-tout 
la ferveur de fes Religieux dans le fervice de Diu, l'amour 
de la prière , de la retraite, & de l'étude, pour former ainfr 
de faints Miniftres de la Parole , & les métre en état de l’anon- 


cer avec d'autant plus de fruit, que les difcours font toujours 


plus puiflans , lorfque foutenus par la force de “puiser , Ils 
ne laiflent aux plus lâches aucun prétexte, pour excufer leur 
négligence à remplir les devoirs de Chrétien. 

Ârivé à Bordeaux avant les Fêtes de la Pentecôte 1287 , fe 
Serviteur de Dieu reçut la députation de quelques Monafté- 
res d'Efpa ne , dont us Religieufes demandoient avec beau- 
coup d'inffarice , d'être mifes fous la conduite, & la jurifdic- 
tion de l'Ordre ; & cela leur fut acordé dans le Chapnre gé- 
néral qui fe tint dans la même Ville. Comme les Couvens 
étoient fort multipliés, & que les Provinces. fe trouvoient 
d'une trop grande étendue ; on jugea à Fe de les parta- 
gere pour la commodité des Supérieurs , & l'avantage des 

aifons. Déja , dès l'an 1266, Jean de Verceil avoit pro- 
pofé ce deflein dans le Chapitre de Treves ; & Munio , pour 
commencer à l'éxécuter dans celui de Bordeaux , fit un Dé- 
cret , felon lequel les Provinces d'Efpagne , de Provence, 
de Lombardie , & de Rome , feroient Éviées chacune en 
deux. Il laiffa à toutes les autres ( celles de Grece & de la 
Terre-Sainte feules exceptées } la liberté d’en faire de même ; 
à condition toutesfois que le projet de partage feroit préfen- 


té, & éxaminé dans le prochain PE général. En divi- 


fant ainfi les Provinces , & les multipliant par cette divifion , 
ont eut foin de marquer le rang que devoient tenir les nou- 
velles à la fuite des anciennes. On ordonna de plus, que les 
Chapitres généraux ne fe tiendroient à l'avenir que tous les 

eux ans: mais cette Ordonnance ne devoit avoir lieu , qu'a- 
près qu'elle auroit été aprouvée, & confirmée par deux au- 


Aquino recolendæ memoriæ promovendam, | nis, vel generale Capirulum fint reftituti. 
& , faltem ut eft opinio, dan Et | Et nihilominus per Prælatos fuos feu Vifira- 
fi qui contrarium facere attentaverint afler- | tores , juxta pr exigentiam , condi- 
tive , five fint Magiltri , five Bacchalaurei, gnam reportent pœnitentiam. A, Capir. 
Priores , & alii Fratres aliter fentientes ,ip{o | sen. Paærif. ap. Bern. Guid. @ Martene , 
fatto ab Officiis propriis & aliis in Ordine T. IV, Anecder. C. MDCCCXVII , 73. 19. 
fint fufpenfi, donec per Magiftrum Ordi- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 613 


tres Chapitres généraux. Îl faut dire la même chofe de la di- 
vifñion des Provinces. | | 

Le zéle de notre vigilant Supérieur s’étendoit à tout ; mais 
Hl fe montroit furtout atentif à la confervation du dépôt de la 
Doûtrine. Peu content de renouveller tout ce que fes Prédé- 
ceffeurs avoient fouvent ordonné pour faire fleurir les Etu- 
des, Munio voulut encore en déterminer l'objet : il défendit à 
tous fes Religieux fous de Lion peines , l’aplication à 
des Siences vaines , ou prophanes , & peu convenables à des 
Miniftres de l'Evangile. Par-là il prétendoit banir toutes cel- 
les, qui , uniquement propres à contenter la curiofité , ou la 
vanité, ocupent un tems qu'on employera toujours plus utile- 
ment à la méditation des [ris faints , à la leture des Peres, 
ou à l'étude de la Religion , & à celle des Langues. La fage 
févérité, dont le Serviteur de Dieu crut devoir ufer, pour 

révenir , ou corriger tous les abus , qui auroient pü empèé- 
cher l'éxaéte obfervation des régles , choqua quelques efprits 
inquiéts ; & dès-lors commencérent je ne fai quels méconten- 
temens, qui, toujours renfermés dans un très-petit nombre 
de Sujets , ne laïfférent pas d’avoir Les fuites les plus ficheufes. 
Si notre Général en eut d'abord quelque connoiffance, il n’en 
fit rien paroître. Sa vertu, il eft vrai, & fa conduite toujours 
irréprochable , fembloient le métre bien au-deflus de a ca- 
lomnie ; & la ferveur de fon zéle, acompagné de prudence 
& decharité , ne le rendoit pas moins cher que refpeëtable à 
tous ceux , qui, connoiflant la pureté de fes intentions , ne 
trouvoient rien que de fage , & de falutaire dans tout ce qu'il 
jugeoit à propos d'ordonner. 

On ne pouvoit que fe confirmer dans ces fentimens , en li- 
fant la Lettre , digne d'un Succefleur de faint Dominique , 
qu'iladreffa à tous les Religieux de fon Ordre : elle nous a été 
confervée par Bernard Guidonis ; & Don Martene l’a inférée 
dans le quatriéme Tome de fes Anecdotes. Après le Chapi- 
tre de Bordeaux, Munio retourna en Italie ; & dans tous les 
Couvens qu'il pût vifiter fur fa route, il donna d'illuftres éxem- 
e de fon amour pour la régularité , & de fa vigilance à la 


aire obferver Fe tout avec la même éxa@titude. Au mois de 


Mai 1288 il aflembla fon quatriéme Chapitre à Luques , où 

il reçut les Lettres Aoohs: du Pape Nicolas IV, nou- 

vellement élû , qui demandoit le fecours des priéres du Pere 

Général , & de tout fon Ordre, pour obtenir de Dieu la grace 
| Hbhh ii 


LIVRE 
VI. 


Muxto 


DE ZAMORA. 
D A 


VI. 
Réglemens pour 
es Etudes. 


CET 2 





VIT. 
Commencement 
de la Tempére ex- 
citée contre le 


pieux Général. 


VIIL. 
Le Pape Nicolas 
IV l’honore de fes 


Lettres Apoltoli 


ques. 





LIVRE 
VI. 


Munio 


DE ‘ZAMORA. 
Nr 4 








IX. 
Patience & huini- 
lité du Serviteur de 
Dieu. 


X. 
Sages avis qu'il 
donne à tous fes 
Religieux, 


SYY Y Y 


614 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


de gouverner faintement l’Eglife. Le zéle perfévérant de 
Munio pour l'avancement des Etudes , parut encore dars ce 
Chapitre. Tous les Provinciaux qui n’avoient point des Etu- 
des générales dans leurs Provinces , reçurent ordre de defti- 
ner au moins trois Couvens dans chacune , où on liroit ré- 
guliérement les Commentaires de faint Thomas fur les Li- 
vres des Sentences. On détermina aufli, que les Etudians 
jouiroient tranquilement de leurs privilèges ; & que ceux de 
Grece , ou de la Terre - Sainte , envoyés dans une Etude 
générale , ne pourroient être aflignés dans quelqu’autre Pro- 
vince , qu'après avoir enfeigné quelque -tems la Théolo- 

ie dans les mêmes Collèges , dans lefquels ils l’auroient 
étudiée. 

Les bruits fourds, qu’on avoit commencé à répandre con- 
tre la Perfonne , ou la conduite du faint Général, lui firent 
fentir plus que jamais la péfanteur du fardeau , dont il étoit 
chargé. Dans fa Lettre circulaire , adreflée à tous les Reli- 
gieux, il avoue avec une profonde humilité , que pour ne 

oint fucomber à la grandeur du travail, il a befoin de toute 
fa ferveur de leurs prières. Mais , dans les fages confeils qu'il 
leur donne en même-tems, on voit quelles maximes il fui- 
voit lui-même , pour vaincre le mal par le bien , & tirer avan- 
tage de tout. “ Aurefte, leur dit-1l, mon cœur eft rem- 
pli de la même folicitude pour votre avancement fpirituel , 
que celui de faint Paul l’étoit pour toutes les Eglifes. Com- 
batez généreufement vos ennemis invifibles , avec les ar- 
mes que les faintes Ecritures vous métent en main. Servez- 
vous du bouclier de la Foi , pour repoufler tous les traits de 
l'Efprit des ténébres : prenez le cafque du falut , & le glaive 
de la parole de Dieu. Avec ces armes de lumiére , vous dif- 
fiperez les erreurs, vous corrigerez les vices ; & ornés de 
toutes les vertus , vous poflederez la paix de Dieu, qui gar- 
dera vos cœurs & vos efprits en JESUS-CHRIST. Confer- 
vez toujours cherement cette paix avec vos Freres. Portez 
un profond refpeét à Noffeigneurs les Evêques , qui font les 
Oints du Seigneur , & les Princes de fon Eglife. Les graces, 
dont ils veulent bien vous honorer , recevez-les toujours 
avec reconnoiffance ; & foufrez fans vous plaindre , lere- 
fus de celles, qu'ils ne jugent point à propos de vous acor- 
» der. Mes très-chers & bien-aimés ES y Je vous exhorte 
# de tout mon pouvoir , à vous comporter en toutes chofes 


YYYSYYY + 


Ÿ YYY 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 6ïs 


de maniére , que les Fidéles édifiés de votre piété , de * 
votre modeftie, de votre défintérefflement , glorifient le 
Pere célefte ; & qu'à votre éxemple, ils fe portent tous au “ 
fervice & à l'amour de Dieu , à la fuite des plaifirs fenfuels , « 
au mépris des richeffes , & à la patience dans latribulation. 
Retranchez les converfations inutiles avec les perfonnes du « 
Siécle, & ne les entretenez jamais que de l'afaire du falut. « 
Aimez le filence & la retraite ; paflez une partie de la nuit “ 


LIVRE 
VIE. 
Munio 


DE ZAMORA 
=. +" "rs 








dans l'oraifon ; apliquez-vous férieufement à l'Etude ; & « 


prèchez avec ferveur la parole de Dieu “. 

Par la pratique éxaéte de ces confeils, que je vous donne # 
avec l’afeétion d’un Pere , vous ferez ( & vous l’êtes déja ) * 
ma joye & ma couronne. La grace que je vous prie de de- # 
mander particulièrement à Dieu, c’eft qu’il augmente tou- # 
jours en moi , le zéle qu'il m'a infpiré pour votre perfec- * 
tion ; à laquelle je fuis réfolu de donner tous mes foins, & “ 
toute l’aplication de mon efprit. Je prie Notre-Seigneur JE- “ 
sus-CHRIST , dans la charité duquel je vous aime tendre- * 
ment, de vous combler tous de fes bénédiétions, afin que , “ 
croiffant de plus en plus dans fon amour , vous ne ceffiez de * 
porter des fruits de juftice & d'honneur ,. 


U / 


Le prochain Chapitre général ayant été affigné à Freves , 
pour le mois de Mai 1289, Munio , à fon ordinaire , fit à 
pié le voyage d'Italie en Allemagne , marchant dans la plus 
grande fimplicité , & montrant à tous les Religieux dans fa 
conduite , la pratique des faintes maximes , qu’il leur re- 
commandoit par {es Lettres. Il ariva le vingt-huitiéme d'A- 
vril à Colmar , Ville alors Impériale, aujourd’hui Capitale 
de la Haute-Alface , fous la domination du Roi Très-Chré- 
tien. Le lendemain , Rodolphe Empereur des Romains , pour 
marquer l'eftime qu'il faifoit de la vertu , & du mérite de no- 
tre pieux Général , non-feulement l’honora de fa vifite , mais 
il alla manger au Réfeétoire avec fes Religieux, qu’iltraita 
avec une magnificence royale. Le Roi d'Angleterre en fit de 
même à Treves, où 1l fe trouva dans le tems du Chapitre. 
Cette bonté des Princes envers le Serviteur de Dieu , & les 
honneurs qu'il en recevoit , ne lu faifoient rien perdre , ni 
des bas fentimens qu'il avoit de lui-même , ni de fa modéra- 
tion ordinaire FE conduite defes Freres. Comme il n’ou- 
blioit rien pour les porter tous à la parfaite imitation des ver- 


XT. 
Chapitre de Tré. 


ves. 


XIT. 
L'Empereur Ro: 
dolphe , & le Roi 
d'Angleterre , vifi- 
tent le P. Général, 


tus de fait Dominique, il voulut qu’on écrivit avec toute 


616 HISTOIRE DES-HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE l'éxaétitude pofhble, & dans une plus ir étenduë qu'on 


VI. 


Muxio 


pu ZAMoraA. travail; 


n’avoit fait La rue , l'Hiftoire de fa Vie. Thierri d’Apol- 
de, 7. e la Province d’Allemagne , fut chargé & ce 
il s’en aquita avec fuccès. Le Pere Echard remar- 


=” que, qu'il y employa les veilles de fept ou huit années. 


Nous pañlons fous filence les divers Réglemens , que le zéle 
du Pere Munio fit autorifer par fon Chapitre de Treves. Et 
nous ne donnerons point 1c1 la Traduétion de fa Lettre circu- 
laire , dont les Définiteurs fe chargérent avec plaifir ; & que 
chaque Provincial devoit faire lire danstoutes les Maifons de 
fa Province, pour inviter de nouveau les Religieux à mar- 
cher conftanment fur les traces de leurs Peres , afin d'ariver 
à la perfeétion , à laquelle la fainteté de leur état , & la grace 
de la vocation les engageoient. En les exhortant à la prati- 
que de l’Oraifon , de Fo milité , de l’obéiffance, & à la mor- 
tification des paflions , le pieux Général leur recommandoit 
fur toutes chofes la charité , qui eft le lien de la perfettion. 
On peut dire que fa vie fiuniforme , étoit une Lettre vivante, 
d'autant plus propre à perfuader & à toucher , qu'on lui 
voyoit toujours pratiquer ce qu'il confeilloit aux autres , & 


beaucoup plus que ce qu'il leur prefcrivoit. C'eft le témoi- 


gnage que rendirent en fa faveur tous ceux qui le connoif- 
oient , & qui favoient eftimer le mérite , mais plus particu- 


liérement les Religieux de Paris, édifiés des grands éxem- : 


ples de vertus qu’il leur donna , pendant les deux mois & de- 
mi du s'arêta avec eux à fon retour d'Allemagne. 


ui ne fe feroit flaté qu’un Supérieur de ce carattére, chért 


de Dieu & des hommes , toujours prêt à faire du bien à tous , 
& incapable de vouloir du mal à ceux même , dont il n'avoit 
pas fujet d'être content , auroit fini des jours tranquiles dans 
une Place, qu'il n’avoit point défirée , mais qu'il étoit fi di- 


one d'ocuper , par la maniére dont il en remplifloit tous les: 


devoirs ? Certes, s’il fufifoit d’être fans reproche , pour vi- 
vre fans inquiétude, Munio de Zamora auroit dû fe prométre 
cette Sr à ve Mais le Seigneur avoit d’autres deffeins fur 
lui. Cet Homme jufte étoit agréable aux yeux de Dieu ; il 
devoit être éprouvé par la tentation. Il falloit que toutes fes 
vertus ; purifiées par le feu de la tribulation , reçuflent un 
nouveau dégré de mérite ,ou un nouvel éclat au milieu des 
lus grandes humiliations. 

Cefut dans le Chapitre général affemblé à Ferrare 2 
ardie 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 617 


bardie l'an 1290* , que lui fut préfenté ce calice d'autant plus 
amer, que la main qui le préfentoit étoit plus refpeétable. Le 
Pape Nicolas IV, prévenu par de faux raports contre la ver- 
tu, ou la capacité, de Munio , avoit réfolu la dépofition de 
ce Général ; & on n'avoit pas craint de charger de cette com- 
miflion , deux illuftres Cardinaux de l'Ordre même de faint 
Dominique. Ces deux Prélats écrivirent une Lettre com- 
mune au Serviteur de Dieu, à quiils vouloient perfuader de 
demander lui - même fa démifion ; & en même -tems ils en 
adrefférent une autre aux Provinciaux afflemblés à Ferrare, 
pour leur enjoindre d'accepter fans aucune dificulté la démif- 
fion de leur Supérieur, La premiére de ces deux Lettres n’eft 
point venue jufqu’à nous. Mais Bernard Guidonis , Auteur 
contemporain , & l’un des admirateurs de la haute piété du 
Général perfécuté , nous à confervé la feconde : elle eft con- 


çue en ces termes: 


E LIGIOSIS & Fene- 
#rabilibus viris Prioribus Pro- 
vincialibus Ordinis Predicarorum 
in generali Capitulo congregandis , 
permiflione divina, Frater Latinus 
Offienfis & Veltetrenfis Epiftopas , 
© Frater Hugotituli fantle Sabine 
Presbiter Cardinalis |, SALUTEM 
in Domino fempirernam. 

Propter multa que fentimus , 
quaque multorum relatione fideli ad 
noffram notitiam pervenerunt , ho- 
neflati, & utilirati veftri Ordinis 
omnino credimus expedire , ut Fra- 
ter Munio Magifier ejufdem Ordi- 
nis quiefcat deinceps ab Officio Ma- 
giffratäs ; in quo non parvo jam 
tempore nofcitur laboraffe, Cüms ivi- 
ter sd per Offcii veffri folertiam con- 
Vententer poffit executioni mandari , 
prudentiam veffram rogamus , C 
exhortamur in Domino , falubri 
confilio fuadentes, quatenus in ge- 


* L'Ordonnance faite dans le Chapitre 
de Bordeaux, pour ne tenir déformais ces 
Affemblées générales que tous les deux ans ; 
Devoir point été confirmée dans les Char 


Tome 1, 


U x Religieux & Vénérables Pe- 

res, les Provinciaux de l'Ordre 
des Freres Prècheurs , qui doivent s’af- 
fembler dans le prochain Chapitre gé- 
néral, Frere Latin , par La permiffion 
Divine, Cardinal, Evêque d'Oftic & 
de Veletry ; & Frere Hugues, Prêtre, 
Cardinal du Titre de faintce Sabine , 
SALUT en Notre-Seigneur. 

Les raports fidéles que plufieurs per- 
{onnes nous ont faits, & dont nous 
fentons l'importance » nous obligent 
de vous avertir , qu’il eft tout-à-fair ex- 
pédient, pour l'honneur & l'utilité de 
votre Ordre, que le Pere Général Mu- 
nio, qui le gouverne déja depuis plu- 
fieurs années , non fans beaucoup de 

ines & de fatigues, vous demande 

ui-même fa démiflion. Et comme vos 
Conftitutions vous donnent un plein 
pouvoir de lui acorder cette grace, nous 
vous prions , & vous exhortons d'agir 
felon votre prudence, afin que capitu- 


picres fuivans : c'eft pour cela que celui de 
Fertare , felon l'ufage qui n'avoit pas été 
encore intérompu, fut convoqué pour cetts 
annéc 1490 


iii 


LIVRE 
VI. 


Muxio 





DE ZAMORA 


A EE 


XIII. 
Nicolas IV, pré- 
venu contre le P. 
Général, veut lui 
perfuader de de- 
mander lui-même 


fa démifion. 


XIV. 
Lettre de deux 
Cardinaux. 


Ap. Martenc ,T. IV. 
Anecdot. col, 
MDCCCIELLL 


LIVRE 
VI. 


Muxio 


DE ZAMORA. 
A NET er Abe += 0/4 








Vide ap. Martcne , 
col. MDCCCXLI, 


XV. 
Le Chapitre gé- 
néral fe déclare en 
faveur de Munio. 


Jbid. Col. Mpeccxzv. 


618 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


lairement affemblés, vous lui perfua- 
diez éficacement de demander avec au- 
tant d’humilité que d’inftance fa dé- 
miflion. Sur {a deinande , vous l’abfou- 
drez aufli-rôt de fon Ofice. Que s’il re- 
fufoit ( ce qu’à Dieu ne plaife ) de pren- 
dre ce parti, ne laiflez point de le dé- 
pofer de la maniére la plu honète qu’il 
fe pourra. Suivez le falutaire confeil 

ue nous vous donnons, afin qu'il ne 
ir point néceffaire de procéder contre 
ce Général par d’autres voyes , qui » 
peut-être, feroient tort à fa réputation , 


ou qui pourroient paroître moins con- 
venables. Fait à Rome le fixiéme des. 


Calendes de Mai , la troifiéme année 


du Pontificat de Notre Saint Pere le: 


Pape Nicolas IV. C’eff-a-dire le vingt- 
fixième d'Avril 1190. 


nerali Capitulo proxime celebrando- 
euméem Magifirum cficaciter in 
ducatis , ut praditlo cedat Officio , 
fuamque abfolutionem petat bumi- 
liter, € inflanter ; vofque ipfam 
eidem sn spfo Capitulo impendaris. 
Si vero, quod abfit, ipfe ad cefio- 
nem , feu 4bfolutionis peririonem 
fe voluntarium non exbiberet , vos 
nibilominus boneflo verbo ;. quo me- 
biùs fieri poterit , ipfum ab eodem 
Officio abfolvatis | & removeatis 
emnino, ita. quod ftilicèt circa hoc 


non oporteat aliud fieri, quod forte: 


minus ipfius Magifiri congrueret 
boneflati.. 

Datum Rome 1V Calendas Mais, 
Pontificatus Domini Nicolai Pape: 
quartianno tertio. 


Le Provincial de la Province Romaine, & le Prieur de la 
Minerve, étoient chargés de préfenter cette Lettre au Cha- 
pitre. Et onleur avoit remis un autre Ecrit, qui marquoit 
plus expreflément la volonté du Pape, avec ordre de l'éxé- 
cuter , fous peine de défobéiflance & d’excommunication. 
Des ordres ft peu atendus , & en même-tems fi extraordinai- 
res, jéterent le trouble , & la confternation dans tous les ef 

rits. Plus on connoïfloit le mérite, l'innocence , & toutes: 
Les vertus d’un. Supérieur injuftement perfécuté, & tendre- 
ment chéri de fes is , plus on fentott toute l'injuftice de- 
la perfécution. Et le même coup qui frapoit le Chef, parut 
avec raïfon une injure faite à tout fon Ordre. Les fentimens 
ne furent point partagés. On réfolut unanimement d’apeller 
de cette commiffion au Pape même : Et en répondant avec. 
autant de refpeét que de fermeté à la Lettre des deux Cardi- 
naux , on ne put leur diffimuler ce qu'avoit produit parmi 


tous les Membres du Chapitre , l’ordre rigoureux qu'on ve-. 


noit de leur intimer. L’Aéte d’apel au Saint Siège étant dreflé 
& figné par tous les Provinciaux, on députa deux Religieux 
vers Sa Sainteté , pour lui repréfenter humblement , que cette 
maniére de dépofer un Supérieur général , fans produire con- 
tre lui aucun chef d’acufation ,-ni même de plainte , feroit 
également contraire à la raifon , à la juftice, & à toutes les 


le 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. é6t9 
Loix qu'on avoit jufqu’alors religieufement obfervées dans 
l'Ordre de faint Dominique. 

Le Chapitre ne ss point fe féparer , qu'après avoir 
adreflé à toutes les Provinces de l'Ordre une Lettre circulai- 
re, pour -leur aprendre ce qui venoit de fe pañler dans l’Aflem- 
blée de Ferrare , l’afront qu'on avoit voulu faire au Pere Gé- 
néral, &c la maniére dont tous les Capitulans , fans en excep- 
ter un feul , avoient crû devoir agir , pour le mètre à couvert 
d'un traitement fi peu mérité. Nous traduirons ici d'autant 
plus volontiers cette Lettre, qu'on y trouve une excélente 
apologie de la conduite toujours réguliére , toujours irrépro- 
Chable de Munio , & un glorieux témoignage de la fermeté, 
avec laquelle l'Ordre entier prit fa défenfe. On y verra en 


LIVRE 
VI. 


Muxro. 


DE ZAMORA, 
D 








XVI. 

Sage conduite des 
Provinciaux dans 
le Chapitre de Fer- 
Lare. 


même -tems la réponfe qui fut faite aux deux Cardinaux 


députés. 


F ds Chriflo fibi chariffimis , uni- 


verfis Fratribus Ordinis Pradi- 
Catorum , ad quos Littera ifle per- 
Venerint , Priores Provinciales duo- 
decim ejufdem Ordinis, [tilicer F. 
Æçgidius Provincialis Hifpanie , 
F. Geraldus Provincialis Provin- 
c'e , F. Thomas Provincialis Fran- 
ctæ, Bertoldus Provincialis Lom- 
dbardie , Hermanus Provincialis 
Teutonie , Salvus Provincialis Ro- 
mane Provincie , Salomon Pro- 
vincialis Hungarie, Ægidius Pro- 
vinctalis Polonie, Guillelmus Pro- 
vincralis Anglie, Salvus Provin- 
cialis Gracie, Olivarius Provin- 
ctalis Dacie , Radulfus Provincia- 
ds Terre Sanite, © rotum Capi- 
tulum generale apud Ferrariamcon- 
gregatum , SALUTEM , & Spiri- 
tus Sanili gratis in omnibus gu- 
bernari. 

Quia venerabiles Patres & Do- 
mins , félicet Dominus Larinus 


Offienfis » © Velletrenfis Epiftopus, 


* C'eft le Cardinal Hugues Aycelin de 
Billon , honoré de la Pourpre depuis deux 
ans feulement ; & non ( comme l'a crü par 


Tous nos chers Freres en Jesus 
Carisr, les Religieux de l'Or- 
dre des Freres Prècheurs, qui verront 
ces Lettres ; les douze Provinciaux du 


Ap. Bern. Guidon. 
MDCCCXLIIL, 


même Ordre, Gilles Provincial d’Ef- 


pagne, Gerard de Provence, Thomas 
de la Province de France , Bertold de 
Lombardie , Hermand d’Allemagne , 
Salve de la Province Romaine , Salo 
mon de celle de Hongrie, Gilles de Po- 
logne , Guillaume Provincial d’Angle- 
terre, Salvi Provincial de Gréce , Oli- 
vier de Danemarc, Rodolfe Provin- 
cial de la Terre-Sainte , & tous les au- 
tres Religieux du Chapitre affemblé à 
Ferrare, SALUT , & la grace du S. Ef- 
prit pour les conduire en toutes chofes. 

Les Cardinaux , Latin Evèque d'Of 
tie & de Veletry, & Hugues * du Ti- 
tre de Sainte Sabine , a prétexte 
de quelque commiffion , & de quelques 
faux raports, qui leur ont été faits con- 
tre notre vénérable Pere Général, ont 
voulu nous engager par leurs Lettres , 
à agir à fon égard d’une maniére, qui 
faint Cher, mort au mois de Mars 1263, 


fous le Pontificat d'Urbain IV, vingt-fept 
ans avant le Chapitre de Ferrarc. 


erreur un Ecrivain moderne ) Hugues de 


liii ij 


LIVRE 
VI. 


Munio 


DE ZAMORA. 
Éd 





XVII 


610 HISTOIRE DES HOMMES ILEUSTRES 


Jui auroit porté un grand préjudice , & 
qui n’auroit pas fans doute manqué de 
produire un plus grand fcandale. Mais, 
réfolus de maintenir , avec le fecours 
de Dieu, & felon notre devoir, la li- 
berté de l'Ordre , en défendant l’inno- 
cence injuftementataquée , nous avons 
fait à chacun d’eux en particulier la ré- 
ponfe qui fuir : 


G Dominus Hugo tituli fene 
Sabine Presbiter Cardinalis, ficur 
per corum Litreras nobis tranfmif[as 
patet ; fub pretextu cujufdam com- 
miffionis , quam fibi fatam affe- 
runt , C quarumdam falfitatum fibs 
fuggeflarum , quedam circa perfo- 
nam venerabilis Patris Magifiré 
Ordinis fiers mandabant , que in 
maximum prejudicinm cedebant € 


gravamen. Nos libertari Ordinis © veritati nolentes deele ullatenus , nec 
debentes , infra [tripta modo cuilibet Prediltorum Dominorum duximus ref- 


“pondendum : 


Au Vénérable Pere en J. C., &très- 


Réponfe à la. honoré Seigneur , Monfeigneur Latin 


Lettre des deux 
Cardinaux. 


Evèque d'Oftie & de Veletry; les Pro- 
vinchaux de l’Ordre des FF. Prècheurs. 
Nous avons reçù avec beaucoup de 
refpe les Lettres de Votre Eminence. 
Et comme nos Charges nous obligent à 
foutenir avec zéle la Difcipline régulié- 
se dans l'Ordre , & à corriger toures les 
fautes qui peuvent s’y commétre ; nous 
avons aporté toute la diligence, tout 
le foin, toutes les arentions pofibles , 
pour conferver , ou perfectionner ce 
qui eft bon , en réformant ce qui ne 
le feroit pas, fans avoir aucun égard à 
la qualité, ni au rang de qui que ce 
foit. Mais ce que vous nous recom- 
mandiez fi expreflément, nous ne fau- 
rions l’éxécuter fans caufer un grand 
trouble , & fcandalifer tous nos Fre- 
res, tant qu'il ne paroïtroit n1 fujet lé- 
gitime, n1prétexte même coloré, pour 
autorifer £n quelque façon une entre- 
prife, qui ferait fans éxemple. Voici 
donc ce qu'après un éxamen férieux 
nous avons crü devoir faire, pour ñe 
as nous expofer à violer les régles de 
F équité, en agiffant fans connoiffance 
de caufe. Nous avons d’abord exhorté 
tousles Religieux qui fe trouvoient dans 
ce Chapitre , & nous leur avons même, 
très-exprefflément ordonné , de nous 
déclares tous les défauts qu'ils peuvent 


VENERABILIinChrife 
Pari & Domino Latino Oflienf 
© Velletrenfi Epifcopo , Fratres 
Priores Provinciales, Cc. 

Reverende Paternitatis veftre 
Litreris cum reverentia multa [uf- 
ceptis, veftré Filii, zelatores Ox- 
dinis C* judices , licet indigni, ab 
Ordine confiituti , omnem diligen.- 
tiam , omne confilium  omnem [0- 
lertiam adhibere curavimas , accenfi 
zelo pro confervatione , & reforma- 
tione noffri Qrdinis , nulli deferen- 
tes flatui , vel perfone. Et quiatam 
grandis & fubita mutatio ; ficut ex- 
hortationis paterne Littere coutine- 
bant fiers nequaquam poffet fins 
admiratione , © [tandado plurimo- 
rum , nif realis vel [altem coloratus 
titulus appareret , maturiori uff 
confilio injunétione tam difirictiort , 
quam falubriors arttavimus in gene- 
rals Capitulo congregatos ,. ut omni 
timore pofipofita., € amore fepofito , 
ad correilionem , @ prefervationem 
Ordinis attentius inflemmati, fi 
qua [csrent correitione digna de Fra- 
tre, vel de Fratribus cujuftumque 

Jlatus , feu gradis exiflat , etiam 
de Magiffro , publica publice, & 
occulta privatim dicere tenerentur. 

Ipfe autem venerabilis Parer 
Magifier Ordinis tantum circa Qt 


DE L'ORDRE DE $. DOMINIQUE. 61 


dinem acceptans zelum , © appro- 
bans , prius in fe cui preeft Ordinis 
zelum excepit , C’ fponté © bumi- 
diter examinationi publica coram 
omnibus in Capitulo [e fubdendo : 
quod nequaquam fuffinuimus ; Con- 
ffitutione manifeflius & exprefius 
probibente ; [ed in Definitorio, f[e- 
cundèm Confiitutionum nofirarum 
tenorem , omnibus dantes audien- 
diam ipfius merita difcufimus inda- 
gine diligenti. Verum quia prefa- 
tum Patrem diftulfionis Lima clarso- 
rem oflendit , indigne non ferat ve- 
fire benignitatis dignatio , fi exhor- 
tationi , quin potiàs mandato veffro, 
non dubium fuggeffione falsa emiffo 
colla non fubdimus. Ipfum enim re- 
perimus virtutibus praditum , pre- 
clarum meritis , fama celebrem, 
aliorum exemplum , © fpeculum [ui 
Ordinis ram in vitiorum extirpatio- 
ne , quam in fanttarum fanctione 
virtutum promotorem fedulum , € 
pracipuum zelatorem. 

Nam ut veridica relatrone acce- 
pimus, abintroitu Ordinis , annis 
videlicet triginta tribus, carnibus 
non eff ufus : in Conventu Parifius , 
ubi feptuaginta tribus diebus fuit 
poff Capitulum Trevirenfe , Gin 
refeitorio , G’ in completorio fine 
éntermifliane [e jugiter prefentavit. 
In Conventibus , per quos tranfivit 
aliquando , gratum Deo & homini- 
dus acceptum odorem fanite conver- 
fationis effudit ; © nunquam in Ca- 
pitulis generalibus ( exceptis dum- 
taxat quibufdam levioribus culpis, 
fine quibus bec vita non ducitur ) 
quas confistutio inter leves culpas 
connumerat , culpabilis eff inventus, 
ficut plures ex sis qui Definirores 
fuerunt in diverfis Capitulis, nunc 
prafèntes proteffantur : ©’ omnes ft- 
gillis fuis , excepto Fratre Jacobo 
de Voragine , qui figillum [uum 


avoir remarqués dans quelqu'un, ou 

uelques-uns de leurs Freres ,. même 
Fe a Perfonne , ou dans la conduite 
du Pere Général. 

Nous les avons avertis d’agir en cela 
avec une entiére liberté , Êns aucun 
fentiment particulier d’afeétion , ou de 
crainte; mais par le zéle de la gloire de 
Dieu, & de l'honneur de l'Ordre. Et 
nous avons voulu que cette déclaration 
{e fit publiquement, fi les fautes étoient 
publiques ; ou en fecret , fi elles n'é- 
toient connues que de peu de per- 
fonnes. 

Le vénérable Pere Général a extré- 
mément aprouvé notre zéle, pour le 
bien de la Religion ; & par un éfer de 
fa profonde humilité , il voulu qu’on 
le déférat le premier , & qu’on l’acusät 


de fes défauts en plein Chapitre , en 


préfence de tous les Religieux. Nous 
ne l’avons point permis, ileft vrai, & 
nous ne pouvions le permétre, parce 
que nos Conftitutions le défendent ex- 
preflémentr. Mais , renfermés dans le 
Définitoire , nous avons entendu, & 
éxaminé avec beaucoup de foin les 
Religieux , fur tout ce qu'ils pour- 
voient avoir connu dans ce premier 


LIVRE 
VI. 


Muxio 


DE ZAMORA. 
RSNÉERERUEEr” 








XVIII. 
Humilite du P. 
Général. 


Supérieur, qui parût mériter quelque : 


correction. Nous le difons avec fincé- 
rité, avec confiance , & avec confola- 
tion , le plus Frs éxamen n'a {er- 
vi qu'à nous faire connoître plus par- 
faitement les mérites, & les vertus de 
notre Pere Général. Votre Eminence 
ne trouvera donc pas mauvais, qu’au 
lieu d’éxécurer fes ordres, qui ne font 
fondés que fur de faux raports , NOUS 
Jui déclarions au contraire , que par le 
témoignage de tous les Religieux , nous 
fommes pleinement convaincus que 
celui, dont on demande la dépofition , 
eft un Supérieur en tout irréprochar 
ble , Homme d’une vertu éprouvée , 
d’un rare mérite, d’une haute réputa- 
uon , l’éxemple des "bons. Religieux , 
| iii üj 


XIX. 
Sa juftificatios & 
fon éloge. 


LIVRE 
VI. 


Munio 
DE ZAMORA, 


D + 








622 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


& leur modéle ; dont la conduite eft 
la cenfure du vice , & fait l'apologie 
ou l'éloge de toutes les vertus. 

Nous parlons de ce que nous con- 
noiflons , de ce que nous voyons. Et 
fur des raports fidéles, nous pouvons 
ajouter , que depuis trente-trois ans 
que Munio de Zamora vit dans notre 
Ordre , on ne l’a jamais vü rompre 
l'abftinence. Comme il a beaucoup édi- 
fié le Collège de faint Jäques, pendant 


amifit , propter quod manu fu féripà 
fit , duxerunt reflimonium roboran. 
dum. Unde cum pace conftientie , 
© fine Dei & OMinis injuria 
vefiro non valuimus parere mandato. 
Credimus tamen C fide tenemus no:s 
dubia ; quia quod faGum eff jufia 
menti veflre contrarium nequaquam 
obfiffir. Parati fumus € prompt 
vefiris snfinuationibus obedire in 


quantum nofira conftientia patie- 


le féjour qu'il a faità Paris dfonretour tr, rc. 


du Chapitre de Treves, on peut de 
A 2 , 
même aflurer , que dans tous les Couvens , dans routes les Maifons de l'Or- 


dre, dont il a fait la vifite, il a toujours laiflé une odeur de fainteté, 
ou un fujet d'édification, qui l’ont fait généralement eftimer de tout le 
monde. Il a déja préfidé à cinq Chapitres généraux ; & les Définiteurs , qui 
auroient été en De de le de , fifa vie, ou fa conduite euflenc 


cté repréhenfbles, n’ont jamais remarqué en lui aucun défaut (fi on en 


excepte peut-être ces légéres imperfeétions, dont les plus faints ne font 
paséxemts fur lacerre, & qui les font gémir tous les jours devant Dieu. } 
C'eft ce qu’ateftent tous les Religieux préfens à ce Chapitre , & dont plu- 
fieurs étoient Définiteurs dans quelques-uns des précédens. Vous trou- 
verez au bas de cette Lettre leur témoignage & ue fceaux. Jäques de 
Voragine, qui a perdu le fien, a voulu cependant figner comme les au- 
tres. Il ne nous étoit donc pas poflible d'obéir aux ordres de votre Emi- 
nence , fans bleffer notre confcience, & ofenfer Dieu, en Outrageant 
tout notre Ordre. | 

Nous fommes cependant perfuadés , que cette défobéiffance aparente 
ne fauroit vous déplaire ; puifque la juftice, que des Enfans rendent en 
cette ocafion à leur Pere, ne peut avoir rien de contraire à la droiture de 
vosintentions. Nous proteftons au refte , que vous nous trouverez rou- 
jours prêts à vous obéir , dès que nous ne ferons point arêtés par la 


confcience. 


Après avoir raporté tout de fuite le témoignage des anciens 
Du , parmi lefquels on trouve le nom de Nicolas Bocaffr- 
. . . / . . . 
nt, qui avoit affifié au Chapitre de Bordeaux , & _ fut depuis 
Général de fon Ordre, enfuite Cardinal , Pape , & aujourd'hus 
béatifié , on conclut ainfi la Lettre adreffee à tous les Religieux : 


Nous vous envoyons la Copie de nos  Predittarum Litterarum idcirco 
Lettres aux deux Cardinaux, afin que renorem tranfinittendum duximus , 
connoiffant toujours mieux les vertus, #rvos de Magiffro G Patre noftro 
que vous avez fouvent admirées dans  yeriratem pleniäs cognoftentes , gau- 


le Pere Général, vousayez, &unjufte dendi fimul, & falfis fuggeftionibus 


dt ou D. 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 623 


refffendi materiam habeatis. Vale- 
2e femper in Chriflo, 6 orate pro 
nobis. 

Datum Ferrarie in noffro Capi- 
sulo generali, anno Domint 1290. 


fujec de vous réjouir de fon innocence, LIVRE 





& de nouveaux moyens de difliper tous VI. 
les faux bruits qu’on pourroit répandre 
contre lui. Nous vous faluons en notre  Munio 


Seigneur ; & nous nousrecommandons LE ZaMor 4. 
à vos priéres. Fait dans le Chapitre gé- 
néral de Ferrare, l’an 1290. 


Pour ne manquer à aucun devoir de fa Charge, Munio XX. 


préfida à ce même Chapitre : 1l y propofa les nouveaux Ré- 
glemens qu'il jugea néceffaires : &c après la ledure des Aëtes, 
il fit lire la Lettre circulaire, qu'il adrefloit en fon particulier, 


Munio préfide au: 
Chapitre de Fcr- 
rarc. | 


felon la coutume, à tous les Religieux de fon Ordre. C'eft 
dans ce même Ecrit qu'on peut voir, pour ainfi dire, tout 
fon cœur ferme & tranquile dans le feu de la perfécution, 
toujours rempli de Pen » & brülant de zéle pour le falut de 
fes Freres. Sans fe plaindre d'aucun, 1l fe contente de les ex- 
horter tous à la perfeétion, par l’'éxemple, & avec le fecours. 
de celui, qui eft le grand modéle de tous les Parfaits. 

Nous ne trouvons Leg que nos deux Cardinaux ayent 


fait aucun autre ufage 


e leur Commiffion. Comme ils ne l’1- 


voient acceptée qu'à regret , ils s'en déchargérent avec joye. 
On peut du moins ni qu'ils ne virent point fans plaifir 


tant de grands Per 


onages , & de faints Religieux concourir 


avec une parfaite unanimité , à la juftification d’un Supérieur , 
dont ils ne pouvoient eux-mêmes ne pas refpeëter la vertu. 
& admirer la fage modération. Mais le Souverain Pontife n’a- 
voit pas de même abandonné fon premier deflein. Et ce qui 


du 


ne era plus praticable , en fuivant quelques formalitez 
roit, 1l étoit bien réfolu de le faire par fa plénitude de 


puiffance. Les Religieux que le Chapitre de Ferrare avoit dé- 
putés auprès du Saint Siège, n'oubliérent rien de ce qu'éxi- 
geoient d'eux, la confience , l'honneur , & l’amour de l’'Or- 
: , ou de la juftice. Ils repréfentérent avec une modefte li- 
berté tout ce qui pouvoit faire connoître l'innocence de Mu- 
nio , la faufleté , & la malice de ce qu’on avoit inventé con- 
tre fa conduite , pour furprendre la religion du Vicaire de 
JEsus-CHRIST. Et Sa Sainteté , fans il de me davantage, 


paroifloit vouloir laiffer à l'Ordre la liberté 


e jouir err paix 


de fes privilèges , & de continuer à fe conduire parfes.loix. 
Notre Général profitant d Ime fe rendit en Ef | mb 
otre Général profitant de ce calme fe rendit en Efpagne,  1tenafembte un 
foit pour y faire la vifite de cette vafte Province, qu'il avoit autre à Palence , 


624 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE autrefois gouvernée, & augmentée de done Maifons ; foit 
VI. pour y préfider au PE de 1291. On le tint dans la Ville 
Munio Palence , felon les défirs du Roi de Caftille, Sanchez fur- 
De Zamora, nommé le Grand. Ce Prince voulut l'honorer de fa préfence : 
=” & , pour donner des marques éclatantes de fon A ts 
ilot vie l'Ordre de faint Dominique , ou de fon eftime particuliére 
fe, & les bien pour le mérite du Pere Général, il le pria d'accepter la fonda- 
NT Roi d tion de trois nouveaux Couvens, ou Collèges, qu’il vouloit 
: établir. L’intention de Sa Majefté étoit que dans celui, qu’on 
* Xaiv4  fonderoit dans la petite Ville de Sativa * au Royaume de Va- 
| lence (qui apartenoit cependant au Roi d'Aragon) il y eût. 
toujours une Etude des Langues Orientales : l'expérience 
ayant déja fait connoître que pour travailler avec fuccès à la 
converfion des Juifs & des Sarafins , dont le Pays étoit en- 

cpre rempli, il falloit favoir l'Hébreu & l'Arabe. 








XXII. Munio , au nom de fon Ordre, accepta (1) les ofres du 
Fa duPere Roi. Tout fe paffa avec beaucoup de Er dans le Cha- 
: pitre de Palence : & de-là le Pere Général envoya des Vifi- 


teurs en Danemarc, en Pologne , en Gréce , dans la Palefti- 
ne , & dans les autres Provinces, qu'il n’avoit pas eu le tems 
de vifiter lui-même. Les inftruétions , & les pouvoirs qu'il 
leur donna, étoient autant de nouvelles preuves de ce zéle 
fage, & éclairé, qui le faifoit veiller continuellement à tout 
ce qui pouvait contribuer à l'honneur de fon Ordre, & à l'a- 
vancement fpirituel de tous ceux qui l’avoient embrafé. 

Le Pape Nicolas IV n'en étoit pas aflez perfuadé : ou il 
avoit des vüëés qu'il ne nous eft point permis de pénétrer. 
Dieu , qui fe fert de tout pour purifier fes Elus, vouloit fans 
doute couronner la vertu de celui-ci par l’éxercice de la pa- 

XXI,  tience, & le mérite de l'humilité. Ce grand homme ne fut pas 

Ynjuftement dé- ‘5 x - , ; 

Ge. plutôt forti du Royaume d'Efpagne , que le Souverain Pon- 
tife, fans avoir garde aucune des formalitez ordinaires, & 
fans alléguer d'autre raifon, fi ce n’eft qu'on ne croyoit pas que 
ce Général püt gouverner Jen Ordre avec affez de SR de 


fuccés (2), lui fit favoir qu'il l'avoit dépofé de fa Charge. On 


(1) Concedimus Provinciæz Hifpaniæ tres] co , &c Arabico. A4. Capir, Palen. ape 
Domos, ad pcticionem illuftriffimi Domini| Martene nr fp. | 

Regis Caftcllæ, unam ponendam in Licro-| (2) Certis nuper emergentibus caufis, 

ne, aliam in Areto ; item in eadem Provin-| propter quas ftatui Ordinis Fratrum Prædi+ 

cia Fratribus de Natione Cataloniæ , unam | catorum expedire cognovimus ;, quod di- 

ponendam in Xativa, ubi volumus & ordi-| le@us Filius Munio Mayifter i fius Ordinis 

7 pamus quod femper rt fludium in Hebraj- 1 à çommiflo fibi ejufdem Magi de . 

iendif 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 62; 


défendit en même tems à tous les Religieux de le reconnoitre 
déformais pour leur Supérieur , ou de lui rendre aucune obéif- 
fance. Tout l'Ordre fe récria ; & tout l'Ordre fe foumit, ou 
pour éviter un plus grand fcandale, ou pour ne point donner 
ocafion à un fchifme. Munio toujours femblable à lui-même, 
mais plus digne de refpe&t dans l’adverfité , que dans les plus 
beaux jours de fa vie, foutint le coup fans foibleffe. Il fit voir 
par fa conftance que, s’il ne favoit bars céder aux menaces 
par lâcheté (1) , 1l favoit obéir par Religion. Son innocence 
avoit été clairement reconnuë : on avoit donné les plus gran- 
des louanges à fa vertu ; & il mérita de nouveaux éloges en 
fe foumétant avec humilité à la volonté abfolue de celui, qu'il 
refpetoit comme le Vicaire de JESUS-CHRIST , & le Chef 
vifible de fon Epglife. 

Le prochain Chapitre Général avoit été affigné à Cologne 
en Allemagne. Mais le Pape jugea à propos d’ufer encore de 
fon autorité, pour le transférer à Rome, dans la crainte fans 
doute que l’éle@ion d'un nouveau Supérieur ne fe fit point à 
fon gré , ou qu'on ne penfàt peut-être à remétre en place ce- 
lu; qu'on croyoit avoir été très-injuftement dépofé. On aflure 
cependant que le Roi de Caftille ayant nommé peu de tems 
après Munio de Zamora à l’Archevêché de Compoñftelle , le 
même Pape Nicolas IV lui ofrit les Bulles ; ce que le faint Re- 
ligieux refufa (2) avec autant de modeftie, qu'il avoit fait pa- 
roitre de zéle dans le gouvernement de fon Ordre , & de gran- 
deur d’ame dans fa dépofition. Cette conduite du Souverain 
Pontife parut aflez extraordinaire ; parce qu'en faifant l’apo- 
logie de notre Général , elle ne pouvoit qu'augmenter l'em- 
barras de ceux qui vouloient pénétrer les motifs, ou le pré- 
texte de fa dénoioh, Chacun penfa, & raifonna à fa façon: 
mais l'énigme n’a pas été encore expliquée. Dans les Aëtes du 
Chapitre de Rome il fut ordonné de croire que ceux qui 
avoient dépofé, ou fait dépofer le Pere Général, n’avoient 


officio , cujus curam £x caufis ipfis nec com- 
mode poffe creditur, nec perfeétibiliter exer- 
cere , &c. Datum apud Urbem veterem 
11 Idus Aprilis Pontificatüs noftri anno 
quarto. In Bullar. Ord. T. II, p. 31; 
ap. Echurd.T. I, p. 399. 

(1) Hic fuit perfona venerabilis : non 
frangcbatur adverfirate quacumque , cum 


tur : fuit autem abfolutus per Litteram Do- 
fnini Nicolai Papæz IV fibi & Ordini defti- 
natam paulo poit generale Capitulum Pa. 
lentiæ anno Domiru 1291. Bern, Guid, in 
Chron. 

(2) Renuerat aliquando Compoftella- 
num Archipræfulatum , & quemdam Epif. 
copatum , ultro à Nicolao IV Pontifice obla- 


tamen mulcas perpeflus fuerit. Hic præfuit | tum. Lean, Albert, Lib. I, de Vir, Lllufirib, 


Magilterio annis fex, & feptimus ageba- | fol. 39. 


Tome LI. 


Kkkk 


LIVRE 
VI. 


Munio 


DE ZAMORA. 
NS 7 








XXIV. 
‘T1 refufe l'Arche 
vêché de Compol- 
telle. 


Echard, p. 39% 


LIVRE 
VI. 
Munro 


DE ZAMORA. 
CL LEENEUP 





# Idem. p. 400, 


XXV. 
Plaintes injuftes 
de quelques Ecri- 
yains Efpacnols. 


626 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


eu que de faintes intentions : * Quos fandä intentione id epiffe 
ai ar eff. Nous avons raporté les faits ; & nous mr 
au fouverain Scrutateur des cœurs à juger les intentions. 
Nicolas Antoine , dans fa Bibliothèque d'Efpagne , Ferdi- 

nand du Château, & quelques autres Ecrivains Efpagnols, 
qui ont fait l'apologie, & l'éloge de lilluftre Munio, FA font 
certainement trompés , lorfque plufñeurs fiécles après l'évé- 
nement, que nous venons de raconter, ils fe font avifés d’acu- 
{er les Religieux d'Italie , & de France d’avoir excité la tem- 
pête contre leur y Supérieur, par je ne fai quelle jaloufe 
de Nation. Nous favons au contraire par le témoignage des 
Auteurs contemporains (& les Aîtes mêmes du Chapitre de 
Ferrare le prouvent bien clairement) que toutes les ous 
ces de l'Ordre, fans diftinétion , s’intérefférent avec le même 
zéle en faveur d’un faint Perfonage, que fes grandes vertus 
faifoient également aimer & fées par-tout. On a vüû le té- 
moignage que lui avoit rendu en particulier la Communauté 
de Paris : mais le zéle de la juftice éclata finguliérement dans 
ha Province de Touloufe , dont le Chapitre Provincial, tenu à 
Pamiers l'an 1290 , n'eut pas plutôt apris ce qui s’étoit pañlé 
dans celui de Ferrare, qu’il envoya deux Religieux à Rome, 
EE préfenter au Pape même l'apologie de Munio, & fuplier 

a Sainteté de permétre que l'Ordre de faint Dominique , qui 
fous la conduite de ce digne Supérieur avoit toujours été ré- 

ulier & tranquile , continuût à jouir en paix de la fagefle 
% fon gouvernement (1). Nous fommes très-aflurés, di- 
foient tous les Prieurs de cette Province , que notre Pere 
Général Munio de Zamora, illuftre par fa naiflance , & re- 
commandable par fes talens , s’eft toujours comporté en 
homme plein de droiture, & de probité. 

Bernard de la Treille, célèbre Dofteur de Paris, qui pré- 

fidoit à ce Chapitre de Pamiers , fe trouva l’année fuivante à 


(1) Reverendum quoque Patrem Magi- | moratum ; & in regimine Ordinis multis. 
ftrum Ordinis noftri , quem nt causà rario- ! clarorum virorum ctiam apud veftram San- 
nabili interim nos cogente , ad Epiltolas { &itatem teftimoniis commendatum, utre- 
commendatitias convertamus , certitudina- ? mancat in Officio Magiftratüs. Ufque enim 
liter novimus fecundum carnis originem : ad hanc horam fub ie revimine fuit Sta- 
excellenter natum, excellenter dotatum, | tus noftri Ordinis regulatus, pacificus, 8e 
excellenter fenfatum ; fecundum verd Or- { tranquillus, ficut in noftra Provincia expe- 
dinem , excellenter morigeratum , & ab | rientia nos doccbat , &in aliis Provinciis fi- 
annis juvenilibus excellenter in his quæ func } dem dabat, &cc. Datum apud Appamias im 
Ordinis informatum ; excellenter in his 1 noftro Cap. Prov. anuo Domigi 3290. 
quz funt ad Deum, quantum novimus ti- | | 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 627 


celui de Palence, & fut un des Définiteurs qui parurent les LIVRE 
lus atachés à la Perfonne de Munio. Bernard Guidonis, VI. 
Profs du Couvent de Limoges, depuis Evêque de Lodéve,  Muxwro 
ui faifoit le Catalogue de nos Généraux trente ans après la ne Zamora. 
none de celui-ci, le comte parmi les plus illuftres. Et 
nous ne connoiflons point d’Auteur François, ou Italien, 
qui en ait pen autrement. De tout cela il eft permis de con- 
clure que les plaintes des Efpagnols , & les reproches qu'ils 
nous font, ne peuvent avoir aucun fondement. Nous nous 
joignons volontiers à eux, pour publier les folides vertus, & 
honorer la mémoire d’un grand homme, qui méritoit fans 
doute un autre fort, & qui n’a pas fait moins d'honneur à fon 
Ordre , qu’à fa Patrie. 

Le Succeffeur, que lui donna le Chapitre de Rome, lefit  xxvr. 
encore plus regreter. Etienne de Befançon, favant Doéteur Cara@ére du Suos 
de Paris, Auteur de plufieurs Ouvrages , Religieux diftingué RAS PME 
par le don de la Parole, & par la profeffion d’une vertü auf- 
tére , étoit fort opofé à ce caraëtére de douceur, & de modé- 
ration , qui avoit toujours réglé le zéle de fon illuftre Préde- 
ceffeur : s'il eut toutes les qualitez qui peuvent faire craindre, 
ou eftimer un Supérieur , on ne lui reconnut pas celle qui le 
fait aimer. Et dans la Chronique de nos Généraux je trouve 
que pendant deux ans & demi qu'Etienne de Befançon fut à 
la tête de fon Ordre, 17 le gouverna avec une Verpe de fer : Chron. Magif. C.rx. 
hic Ordinem rexit in Viroa ps 

Munio cependant retiré dans fa Province d'Efpagne, cou-  XXvII. 
loit doucement fes jours dans la folitude , ne penfant qu'a fe Ha Dal 
fantifier par l’éxercice de la priére, ou de la pénitence, & ne 
cherchant fa confolation que dans la méditation des Livres 
faints. Pendant le refte du Pontificat de Nicolas IV toutes les 
inftances du Roi de Caftille ne purent porter le Serviteur de 
Dieu à accepter aucun des Evêchez qu'il lui ofrit. Mais le  XXVIL 
Saint Pape Céleftin V étant monté fete Trône Apoftolique, ST 
lui ordonna de recevoir les Bulles , qui lui furent envoyées Yéché de Palence. 
pour celui de Palence dans le Royaume de Léon. Le Provin- ur n 
cial d'Efpagne donna fon confentement ; & Munio ne pou- p. 58" 
vant plus long-tems refufer le fien , il fut facré parmi les aplau- 
diflemens du Clergé, qui l’avoit demandé pour Pafteur, & 
les bénédiétions que lui donnoit le Peuple , qui fe prométoit 
beaucoup de fa ken Guillaume de Montcade , un de fes 
amis, & de fes Freres dans la Religion , fut facré avec lui 


Kkkk à 





e— 


LIVRE 
VI. 


Muxio 
DE ZAMORA. 
HR 


XXIX. 
Nouvelle épreuve. 


 XXX. 
Patience héroï- 


eue du S. Prélar. 


XXXT. 
Sa mort. 


623 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


ne l'Eglife d'Urgel. Celui-ci “M dues aflez long-tems fon 
iocèfe , honoré quelquefois des Légations du Saint Siége. 
Il n’en fut pas de même de l’'Evêque de Palence : fon Epifco- 
pat ne dura guéres plus que le Pontificat de Céleftin V. Bien- 
tôt ss la cefion volontaire de ce faint Pape , Boniface VIIE 

ui fuivoit d’autres maximes, apella à Rome notre Evêque 
: Palence ; & il le traita à peu près comme avoit fait Nico- 
las IV (1). Il ne parut pas plus fcrupuleux fur les formes du 
Droit , ni le pieux Prélat moins foumis à tous les ordres de la 
Providence. | 

Deftiné à porter fa croix jufqu’à la fin de fes jours, Munio 
dans cette feconde humiliation adora les deffeins de Dieu fur 
lui ; & il s’y foumit de tout fon cœur , fans jamais fe plaindre 
ni de la rigueur de fes jugemens , ni de l'mjuftice des hommes. 
Ce ne fut point le feul Ordre de faint Dominique, qui reffentit 
le coup porté contre l’un de fes plus illuftres Membres. Le 
Roi Don Sanchez, la Cour de Caftille . & fur-tout l'Eglife 
de Palence foufrirent impatienment , ce que l'humble Difci- 
ple de Jesus - CHRIST recevoit, ou comme une nouvelle 
épreuve, ou comme un moyen de travailler de plus en plus # 
mourir tous les jours à lui-même , à s'unir plus parfaitement à 
Dieu , & à défirer plus ardenment le repos de l'immortalité 

lorieufe. Munio ne fut plus ocupé que de cette penfée ; & 
1] régla là-deffus fa conduite pendant les cinq années qu'il vé- 
r encore parmi fes Freres dans le sn fainte Sabine à 
tome. 

Son heureux décès ariva le feptiéme de Mars 1300, com- 
me porte LT ar , qui fut gravée fur fon Tombeau: ce- 
pendant le Martirologe de l'Ordre met fa mort le dix-neuvié- 
me de Février : & les Auteurs varient extrêèmément fur cette 
époque. Nous avons le plaïfir de les voir plus réunis dans les 
juftes louanges , qu’ils donnent tous, comme à l’envi, à 
une vertu fi long-tems éprouvée, & fi conftante dans les 
épreuves. 


(x) Supervixit autem novem annis poft- 
quam fuit à Magifterio abfolutus ; fuitque 
aflumptus ad honorem Epifcopatüs Palen- 
tini in Hifpania. Tandem ad Curiam evo- 
catus abfolutus fuit ab honore Epifcopali à 
Domino Bonifacio Papa VIII anno Domini 
1195. Maañit autem in Curia diu, ibique 


manens in Conventu Fratrum diem claufis 
extremum coram pofitis Fratribus & oran- 
tibus pridie Idus Martii anno Domini 1199 
(ffylo fcilicet veteri ) fepultufque fuit in ha- 
bitu folo Fratris, & non Pontificalibus , fi- 
cut ip{fe vivens ita fieri petit, & ordina 
vit. Bern, Guid. in Chren. 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 629 
EDR DS DesE Lens den Be Te 26 2e 58 2e Te 
S JAQUES 


DE MEVANIA 


EvaniA, que les Italiens apellent aujourd’hui Beva- 
gna , petite Ville de l'Etat Ecléfiaftique en Ombrie, a 
été la Patrie L notre Saint. Caton , & Strabon, felon la re- 
marque de l’'Abé Ughel , ont comté la Ville de Mévania par- 
mi les plus anciennes , &c les on célébres d'Italie. Mais elle a 
été fouvent prife par les Barbares, & ravagée par les Lom- 
bards. Les roupes de l'Empereur Frédéric II lui firent ef- 
fuyer le même fort dans le treizième fKcle. Et vers la fin du 
fuivant elle ne fut pas mieux traitée par les Seigneurs , ou les 
Tyrans de Foligni (1). Parmi les précieux Monumens qui 
furent la proye des flâmes dans la derniére prife de Méva- 
nia, l'an 1377, les Editeurs des AËtes des Saints regrétent 
avec raïfon , ceux qui devoient tranfmétre à la Poftérité l'hif- 
toire éxaéte des aétions du Serviteur de Dieu. | 
Il eft vrai qu'un pieux & favant Ecrivain , de l'Ordre de 
faint Dominique , travailla aufli-tôt à réparer en quelque ma- 
niére cette perte (2). Un efprit de reconnoiffance & de reli- 
ion lui mit la plume à la main, pour conferver la mémoire 
7 vertus , & relever par de juftes éloges les grands mérites 
d’un faint Perfonage, qui pendant cinquante-cinq ans-n’avoit 
ceflé d'anoncer la Parole de Dieu, & de travailler avec un 
zéle infatigable à la converfion des Pécheurs, 4 la réconcilia- 
tion des Ent , à la propagation de la Foi, ou à l’entiére 
extirpation de la Seéte impure des Nicolaïtes, dont on avoit 
recommencé à fémer les erreurs, & à fuivre les déteftables 
QG) Urbs ipfa poft Longobardorum injurias | Beati Jacobi hodierni confcripta fuerant, 
reftaurara , gravia damna perpefa eft à Fre- | Sed iftud damnum refarcivit utcumque Bo- 
derico II anno 1248 ; graviora vero anno | naventura Camafleus Dominicanus , qui 
1377 à Trinciis Fulginii Dominis, ac Me- | ex recordatione docunientorum antea le&o- 


vanates tyrannico jugo prementibus , à | rum, vel ex Traditione Civium Mecvana- 
quibus aufa fuerat Civitas rebellare, &c. | tium vitam hujus Beati circa annum Chrifti 


AG, Sanët.T. IV, Aug. p. 719, n.3. 1377 collegit, &c. Ibid. p.722, n. 17 ; C 


(2) Sanè dolendum eft , incendio pe- | Echærd.T, I, p. 720. 
aifle vetuftiffima monumenta, quæ degeltis | . _ 
KkKkk ii} 


LIVRE 
VI. 





S. JAQUuES 
DE MEVANI A, 
ES 





A&. San&. T. IV, 
Aug. p.719, &c. 

ltal, Sacr. TX, 
Col, caxxvss, 


Livre 
VI. 


S. JAQUES 
DE MEVANIA. 





I. 
Naïfance du Saint, 


630 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


maximes dans plufieurs Villes d'Italie. Mais après la perte des 
Manufcrits, qui contenoient diverfes informations fur la vie, 
les mœurs , la fainteté, & les miracles du Bienheureux Jâques 
e Mévania, il n'étoit point facile d'écrire fa Vie avec la mê- 
me éxatitude. Auffi ne nous a-t'on apris - peu de faits inté- 
reffans , parmi un affez grand nombre de Miracles , que nous 
paflerons fous filence , pour nous borner à ce qu’il y a de plus 
propre à inftruire, ou à édifier la nes du Leéteur, & à Eire 
connoître le vrai cara@tére du Difciple de JEsUs-CHRIST. 

Il naquit l’an 1220 (1) : fon Pere nommé Jean B/anchont, 
ou des Blancs, & fa Mere, apellée Vanna, tenoient un raï 
diftingué dans le Pays ; & la piété, qui étoit comme hérédi- 
taire dans leur Famille, leur faifoit encore plus d'honneur 

ue tous les titres d’antiquité & de Nobleffe , qu'on ne leur 
bull pas. Jâques de Mévania fut élevé avec tous les foins, 
& toutes les atentions, que des parens remplis de la. crainte 
de Dieu ont coutumexle donner à l'éducation de leurs enfans. 
Ses jeunes années s’écoulérent dans l'innocence, & dans l’é- 
xercice des vertus chrétiennes , tandis que l'aîné de fes Fre- 
res, André Blanchoni, méritoit l'eftime de fes Concitoyens, 
& leur confiance, par les fervices importans qu'il rendoit 
tous les jours à fa Patrie, dont il éxerçoit la Magiftrature. 

Deux des premiers Difciples de faint Dominique étant ve- 
nus de Spolete à Mévania, pour y prêcher rs ee le Caré- 
me de 1236, notre jeune Etudiant âgé alors de feize ans, fe 
rendit d'abord plus aflidu à leurs Prédications , que n'ont 
coutume de faire les perfonnes de cet âge. [l voulut enfuite 
jouir de leur converfation ; & il obfervoit avec foin leur.ma- 
niére de vivre. La confiance fuivant de près l’eftime , 1l s’a- 
dreffa à l’un des deux pour fe confefler , & en recevoir quel- 
ques inftru&ions , dont il pût fe fervir pour faire de plus 

rands progrès dans la vertu. Mais quoiqu'il fentit déja l’atrait 
: la Grace, qui l'invitoit à embraffer le même état, 1l voulut 


(1) Natus eft Beatus Jacobus anno Do- 
mini 1220..... clarus origine fecundum 
fæculi faftum , de ftirpe Nobili , dita de 
Blanchonibus , quod Latiné fonat de Albis, 
Omnes enim fermé de diéta Domo natura 
generofos & bené complexionatos produ- 
xit , nec non probis moribus decoravit, f1- 
mul eos dorans nobilitate fanguinis & mo- 


ejus germanus Andreas nomen habuit : hic 
fi quidem in armis ftrenuus miles , nulli 
pierate fecundus , Urbem rexit Mevanien- 
fem arte politicâ , quà ovanter prædictus 
erat, & verfavit arbitrio fuo. Unde & do- 
cuit Mevanates omnem urbanitatem , cie 
vilefque mores , à quibus per tempus excie 
derunt. Tho. Malv. :1 Annal, ad An. 1136, 


rum..., Pater vero ejus Joannes , Mater | C. 1v @ v, 


Verd Vanna nuncupata cft; Frater autcm 


4 
LS = - 


LD. Le Le ra se. LA - LES 


—— ss Je nn 


DE L'ORDRE DES.DOMINIQUE. 61 


s'éprouver lui-même, & redoubler la ferveur de fes priéres 
avant que de fe déclarer. Fout le tems du Carême de em- 
ployé à ces fages épreuves. Affuré enfin que fa vocation ve- 
noit du Ciel, il pria le prédicateur de vouloir bien le métre 
en état de l’éxécuter : & après les Fêtes de Pâques il Le fuivit à 
fon Couvent de Spolete, pour y faire à Dieu le facrifice de 
fa liberté, & de tout ce qu'il pouvoit pofféder , ou efpérer 
dans le fiécle. | | 
Ses Parens , avertis par fon abfence, du deffein qu'il n’a. 
voit point cru devoir leur communiquer , tentérent plus d’un 
moyen, pour le détourner de fa vocation. Mais bien-tôt ils 
reconnurent par la fermeté & la fagefle de fes réponfes , que 
tous leurs éforts ferbient inutiles : co de d'ailleurs de s'o- 
pofer à la volonté de Dieu , ils prirent fagement leur D » & 
priérent le Seigneur d'accepter pour lexpiation de leurs pé- 
chez le facrifice d'un fils , qui leur étoit fi cher. Après cette 
premiére vitoire , le faint Novice, plein de courage & ré- 
{olu de tendre toujours à ce qu'il connoitroit de plus parfait, 
ie le joug de JEsUs-CHRIST avec de fi grands fentimens 
ejoye & de ferveur , qu'il en infpiroit à tous fes Condifci- 


ples. Le faint amour remplifloit fon cœur, & ilne trouvoit 


rien que de doux, de léger, ou d’aimable dans toutes ces 
pratiques , qui crucifient la nature en mortifiant la chair, les 
paññons , &c la propre volonté. Dans le filence & la retraite, 
il aprit à connoître Dieu ; & à fe connoître foi - même. La 
priére & la méditation des Saintes Ecritures furent pour lui 
une fource de nouvelles lumiéres. Et 1l n'avoit pas encore 
achevé fon année de Noviciat, que l'éclat de fes vertus le 
faifoit déja diftinguer parmi les “ avancés dans les voyes 
intérieures. | | | 

_ Tel parut Jâques de Mévania en commençant fes Etudes de 
Philofophie , & de Théologie dans le Couvent de Péroufe , 
où il fut envoyé d’abord après avoir prononcé fes Vœux dans 
celui de Spolette. Acoutumé dès fon enfance à diftinguer la 
voix du Seigneur, & à lui obéir , fa fidélité à la Grace fut 
toujours la même, & fa ferveur dans les faintes pratiques ne 


_ fe démentit jamais. Les Difputes de l'Ecole ne furent point un 


obftacle à ce recueillement d’efprit, quientretenoit fon union 
avec Dieu, en nourriflant fa piété : & en devenant plus habile, 
il ne parut ni moins noielle , ni moins humble, n1 moins 
ne | à prévenir , Ou à réprimer tout Ce qui pouvoit naiître 


Livre 
| VI. 
S.JAQUES 


DE MEVANIA. 
D OT TT à 





II. 
Fidélité à la grace 
de la vocation. 


NT. | 
Etudes fantifiéog 
par la priére, 


LIVRE 
VI. 


S. JAQUES 
DE MEVANIA. 
Dr 4 





IV. 
. Efprit de zéle , de 
charité , & de pé- 


uitence. 


V. 

La Ville de Mé- 
vania prife, & 
pillée par les Trou- 
pes de Frédéric I. 


632: HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


de la curiofité, ou de l’orgueil. Le défir de marcher fur les 
traces de fon Bienheureux Patriarche le porta à augmenter 
dès-lors fes pratiques de pénitence , & à prolonger fes veilles. 
Tout le tems qu'il déroboit à fon fommeil, il le pañloit devant 
les faints Autels, pour obtenir du Pere des Miféricordes la 
grace de travailler éficacement à fa propre perfeëtion , & celle 
de contribuer un jour à la fantification du prochain. Les Su- 
périeurs lui permétoient quelquefois d'ajouter à la rigueur 
même de la Régle, parce que l'efprit-du Seigneur agifloit vifi- 
blement en lui, & fembloit augmenter toujours fes forces à 
mefure qu'il les ménageoit moins. 

Dès l’âge de vingt-cinq ans il fut apliqué au miniftére de la 
Prédication , felon l’efprit de fon Ordre # & fon atrait parti- 
culier : & il perfévéra prefque fans interruption dans ST 
rieux , mais pénible éxercice jufqu’à la fin de fa vie. Nous 
n'avons que trop fouvent parlé des troubles, des diflenfions, 
& des guerres civiles, qui défoloient en ce tems-là toutes les 
Provinces , & prefque toutes les Villes d'Italie : l'Homme de 
Dieu confidérant cette calamité publique comme un fleau, 
dont le Ciel irrité punifloit les péchez des Peuples, ne fe 
contentoit point de les inviter tous à la pénitence par fes 
difcours , & quelquefois par fes miracles , il s’ofroit lui- 
même à la juftice divine comme une viétime volontaire. A tous 
les travaux de l’Apoftolat il ajoutoit ceux de la plus févére 
pénitence ; il répandoit continuellement fes larmes & fon 
cœur en la préfence de Dieu , pour apaifer fa colére, & ati- 
rer fes miféricordes fur des pécheurs qui fembloient les mé- 
prifer. 

Cependant l'Empereur Frédéric IT, pour fe venger de l’a- 
front , qu’il venoit de recevoir dans le premier Concile de 
Lyon, avoit répandu fes Troupes dans tout l'Etat de l'Eglife, 
comme dans un Pays conquis, ou ennemi. Îl en vouloit prin- 
cipalement aux Villes, qui s’étoient plus hautement déclarées 
pour le Pape : & celle de Mévania en particulier éprouva 
en 1248 tous les éfets de la colére de ce Drince , & de l'infa- 
lence de fes Soldats. | 

Mais le renverfement des Murailles de Mévania , l’embra- 
fement-de fes maifons , la perte de la meilleure partie de fes 
biens , & de tous fes privilèges , lui portérent un coup peut 
être moins fatal, que la défunion qui fe mit, ou qui s'aug- 
menta beaucoup , parmi les Citoyens. Tout ce que le fer & 


le 


mm = 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 63; 


le feu avoient épargné , ils parurent vouloir achever de le dé- 
truire ; & ceux qui demeurérent toujours atachés aux intérêts 
du Saint Siége , eurent en même tems à combatre au dedans 
& au dehors, contre les Etrangers, & contre leurs propres 
Freres, devenus les plus dangereux de leurs ennemis. À la 
faveur de ces cruelles divifions , les Hérétiques, les libertins, 
les Infidèles même (car il ne s'en trouvoit que trop à la fuite 
de Frédéric, & dans fes Armées) répandoient impunément 
leurs erreurs , ou leurs maximes corrompues. Le mépris des 
Loix fembloit avoir acoutumé les hommes à méprifer la Re- 
ligion , & à fouler aux piés ce qu'elle a de plus facré. 

Le Difciple de JEsus-CHRIST ne vit point avec indiférence 
le trifte & trop déplorable état de fa Patrie : mais la perte des 
ames le touchoit bien plus vivement que celle des biens tem- 
porels, dont les Familles, Pr plus opulentes , fe 
trouvoient dépouillées fans reflource. Ses ferventes Prédica- 
tions , & l'éclat de fes vertus portérent les plus confidérables 
de fes Concitoyens à profiter de fes fages confeils, pour fe 
réunir enfin, & pourvoir par cette union à leurs intérêts com- 
muns. [l falloit fans doute commencer par-là. Il eft vrai que 
dans la difpofition , où étoient les efprits, rien ne dur es 

lus dificile ; rien aufli ne pouvoit être plus glorieux à notre 
oo , que le fuccès qui fut acordé , moins peut-être à la force 
de fes rs , qu’à la ferveur perfévérante de fes priéres, 
& à la rigueur de fes pénitences. 

Dans le deffein de rétablir la pureté de la Foi, & des mœurs 

dans fa Patrie, 1l réfolut d'y FA de un Couvent de fon Or- 
dre. Ses parens & fes amis entrérent volontiers dans fes vüës ; 
mais les uns & les autres , après les pertes qu'ils venoient de 
faire , ne fe trouvoient guëres en état de fournir les fommes 
néceflaires pour ce nouvel établiffement. Jâques de Mévania 


ne laiffa pas d’efpérer l’heureux fuccès de l’entreprife. Sa 


pieufe mere, & quelques Citoyens bien intentionnés lui don- 
nérent d'abord une modique fomme , avec laquelle il acheta 
une fort petite Maifon proche l'Eglife de faint George Martir : 
& cette Eglife bien-tôt après lui fut cédée avec toutes fes 
apartenances par le Chapitre de Spolete , qui en avoit la Ju- 
rifdiétion (1), Un tel commencement fut fuivi du fuccès dé- 


2 Matre » & à quibufdam Civibus, modi- 


(1) Poft aliquod tempus cogitare cæ- 
cà colle&à pecunià , domunculam propè 


pit , quomodo poffet in Civitate {ua Me- 
ganiæ Conventum Ordinis fundare. Unde 
Tome L, 





platsam & magnatum Domos smit, À que 
Lil | 


LIVRE 
VI. 


S. JaAoŸEs 


DE MEVANIA. 
D : a 
VI. 


Divifion parmi 
les Mevantins. 


VII. 
Le Sainc réüilic À 
les réünir. 


VIII 
I! fonde un Cet 
vent de fon Ordre, 





LIVRE 
VI. 


S.HAQUES 


DE MEVANIA. 
Do "7"... . À 








IX. 
Où il établir la 
ps FRS régu- 


tit 


X. 
Jl continue fes 
prédications 


XT. 
Hércie des Ni- 
colutcs. 


634 HISTOIRE DES HOMMPFS ILLUSTRES 


firé ; en très-peu d'années le faint homme eut la fatisfa@tion 
de voir fur pié une grande & belle Eglife , un ample Monaf- 
tére , & une Communauté compofée de plufieurs bons Sujets, 
qui, compagnons de fes travaux , firent fervir leurs talens à 
inftruire les Fidéles , à combatre le libertinage , le vice, ou 
l'erreur , & à remétre en honneur les pratiques de la piété 
chrétienne. 

Les Supérieurs de l'Ordre mirent d’abord cette nouvelle 
Maifon fous la conduite de notre Saint , afin que fon éxem- 
ple füt à tous les Religieux, qui s'y étoient aflemblés , un 
modele de la plus éxate régularité. Cet efprit de pénitence 
& de zéle, dont il étoit animé , nous répond affez defes aten- 
tions à infpirer à tous fes Freres l'amour , & la pratique de 
leurs devoirs. Mais quelque foin qu'il eut de former fa Com- 
munauté , ou de la perfettionner , il étendoit toujours plus 
loin fa vigilance , & fes travaux apoftoliques. On eût dit qu’à 
‘exemple de faint Paul, & à limitation de faint Dominique, 
il regardoit comme le premier de fes devoirs celui d’anoncer 
l'Evangile. Le bien même qu'il pouvoit faire dans le fecret du 
Cloitre , il fe le feroit en quelque maniére reproché , fi con- 
tent de gémir devant le Seigneur , il fût demeuré dans le fi- 
lence , tandis que Satan ravageoit le Troupeau de JEsus- 
CHRIST , & que les ennemis de la Religion travailloient de 
toutes leurs forces à en faper les fondemens. 

Parmi les diférentes Seftes , dont l’'Eglife étoit alors afligée, 
celle des nouveaux Manichéens étoit peut-être celle qui fai- 
foit le plus de bruit, & contre laquelle les premiers Pafteurs 
prenoient les plus grandes précautions. Mais l’ancienne hé 
réfie des Nicolaites , renouvellée dans le treizième fiécle , ré- 
pandoit plus fourdement fon venin. Cette infime Seéte , qui 
violoit la fainteté du Sacrement de Mariage, & toutes les 
loix de la pudeur, avoit déja infeûte ou Peuples en 
Ombrie ; & les Habitans de Mévania étoient du nombre de 
ceux , qui ne s'étoient point tenus en garde contre une doc- 
trine encore plus capable de corrompre le cœur, que de fé- 
duire l'efprit. Ce fut aufli dans fon propre Pays , que le faint 


cüm quæreretur quare Domum illam propè | Ecclefiam quandam parvam S. Georgii cum 
talesemerat, quia difficile effet propè “1e fuis pertinentiis à Capirulo Spolerano , ad 
fe dilatare, el éobdi : potens cft Deus qui | cujus Jurifdiétionem diéta Ecclefa pertine- 
Ordinem Prædicatorum dilatavit à mari uf- | bat. Incæpta ergo per eum eft Ecclefñia ma- 
que ad mare, facere ut parvus ifte locus di- | gna, & Conventus, &c. Ambrof, Taë- 
latctur,. Quod & factum eft : nam obrinuit ! giws. Ap. Bollend. nt [p.729 ,n 4. 


DE L’ORDRE DES. DOMINIQUE. 63; 


Miniftre de l'Evangile commença à ataquer les afreufes ma- 
ximes des Nicolaites, & ceux qui ofoient les foutenir , ou 


les métre en pratique. Ces patrons du menfonge & de l'impu- 


dicité cherchoient toujours à s'enveloper dans les ténébres ; 
& le Serviteur de Dieu aimoit à les combatre publiquement. 
Il les pourfuivit avec le même zéle dans tous les lieux, où le 
venin s’étoit répandu : & il fit d'autant plus de converfons, 
que la pudeur naturelle fe joignoit à la Religion pour faire 
rofcrire, ou détefter cette pernicieufe Seëte. Mais le zélé 
FR ne croyoit pas en avoir pleinement triomphé, 
tandis que celui qui pañloit pour en être le Chef , le reftaura- 
teur , ou le principal apui , allant de Ville en Ville, conti- 
nuoit à dogmatifer en fecret , & à fe faire de nouveaux Sec- 
tateurs, qu'il s’atachoit avec d'autant sam de facilité, que 
fes Maximes favorifoient tous les penchäns d’un cœur cor- 
rompu , & livré aux plus brutales pañlions. | 
Ortinelli, ou Ottonelli (c’étoit le nom de cet Héréfiarque} 
homme riche &.puiflant , vérifoit à la lettre cette parole de 
JEsus-CHRIST : Quiconque fait le mal , hait la lumiére, & 
ne s'aproche point de la lumière ; de peur que fes œuvres ne foient 
condamnées. Î] craignoit fur-tout la préfence du Serviteur de 
Dieu ; & quand il le favoit dans une Ville, il fuyoit auff-tôt 
dans une autre. Notre Saint au contraire défiroit avec ardeur 
d'entrer en conférence avec lui; ou pour le ramener avec le 
fecours de la Grace dans le fein de l'Églife , ou pour le con- 
fondre dans une Difpute publique , afin que fa confufion fer- 
vit au moins à défabufer tous ceux qui s’étoient laiflé furpren- 
dre.à fes artifices. La chofe ariva (elon {es défirs, & prefque 
au-delà de fon atente. Pendant le cours de fes Miffions , averti 
qu'Ortinelli avoit paru dans la Ville de Mévania , le Saint s’ 
rendit lui-même en diligence ; & il trouva enfin le moyen A 
parler à celui qu'il cherchoit depuis long-tems. 
- La Conférence oferte, & acceptée , on fit afflembler les 
plus fages du lieu , qui devoient être témoins de tout ce qui 
eroit avancé , & prouvé de part & d'autre. Ortinelli s'étoit 
engagé, non-feulement à abandonner fa doétrine & fes ma- 
ximes , mais auf à en faire publiquement l'abjuration , & à 
demander pardon à l'Eglife, s’il venoit à fucomber. Et le Saint 
lui avoit promis qu'il le tiendroit déformais pour Catholique , 
s'il ne lui montroit pas clairement que, ce qu'il apelloit fa 
doftrine , n’étoit qu'une ancienne erreur , ou une invention 


Lili 


Livre 
VI. 


S. JAQUES 
DE MEVANIA: 
D 


XII. 
Combatue avec 
fuccès par le B. Jä- 
ques de Mevania. 








Jean, III , 20. 5 


XTII. 
Le Chef de !2 
Sete craint la ren 
contre de notre 


Saint. 


XIV. 
Conférence pis 
blique, où l'erreur 
eft confonduc. 


LIVRE 
VI 


636 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
de Satan , expreflément condamnée par JESUS-CHRIST , & 


___“*'" __ par fes Apôtres , & toujours anathématifée ei l'Eglife. C 


S.JAques  n'étoit pas trop s’avancer. Aufh la difpute ne 


t-elle pas lon 


ve MevaniA. gue, ni la défaite d'Ortinelli douteufe : mais elle lui fut avan- 
” rigeufe ; puifqu'il eut le courage d’acomplir éxa@tement fes 
XV. promefles : plufieurs de fes Difciples fuivirent fon éxemple, 


Converfhon d'Or- 


. & firent une abjuration publique de leur héréfie. Ce jour de 

tiliCoile . 1 71 . ’ s . 
triomphe pour la vérité, fut aufh le fujet d'une joye particu- 
liére pour la Ville de Mévania. Ceci ariva fous le Pontificat 
de Grégoire X, l’an 1272. Un Auteur Italien ajoute que la 
Seëte impure des Nicolaites, qu'il apelle Fratricelles , fut 
bien-tôt après entiérement banie, tant de la Ville de Mévania , 


XVI. 
Nouvel Etabliffe- 
ment , cn faveur 


que de toutes les autres, qui en avoient été infeétées (1). 
Après avoir pourvu de la forte à l'honneur & au repos des 
Familles , l'Homme de Dieu voulut encore enrichir fa Patrie: 


de: Vite Qué d’un nouveau Sanduaire , qui fût l’afyle de l'innocence &c de 


uennes. 


chafteté. Parmi les perfonnes pieufes qu'il conduifoit dans 


les voyes du falut , il y avoit une veuve nommée Luce, qui 
le confulta fur l'emploi qu’elle devoit faire de fes biens, n'ayant 
nienfans, ni autres parens dans le befoin. Le Bienheureux Jä- 
ues lui répondit qu'elle feroit une œuvre très - agréable à 
Die , utileà fes Concitoyens, & falutaire à plufieurs Vier- 
es Chrétiennes, fi elle confacroit fes richefles à bâtir , & à 
Es un Monaftére , où les perfonnes de fon fexe, qui ne 
voudroient avoir À Jesus - CHRIST pour . , pour- 
O 


roient {e fantifier 


ans le travail, & la retraite 


us la Régle 


de faint Benoît. Mais, ajouta le Serviteur de Dieu, votre la- 
crifice ne ferait point entier, fi, en donnant tous vos biens & 
celui de qui vous les avez reçûs, vous ne vous confacriez 
vous-même à fon fervice. La pieufe Luce fuivit éxattement 
l'avis de fon faint Direéteur : elle reçut la premiére le Voile 
dans le nouveau Monaftére , qui pendant plufieurs fiécles æ 


(1) Cum Mevaniz Conventus à Beato 
Jacobo de Blanchonibus concive ..... 
ædificatus , in eum deveniflet ftatum , ut 
commode à Patribus noftris inhabitari pof- 
fer, in illum ingrefli, pictatis operibus fe 
dedère, Populum illum falutaribus moni- 
tis , arque afliduis prædicationibus ad pœ- 
nitcntiam amplexandam maximo cum ani- 
marum fructu dirigentes, conitituto ibi- 
dem Priore codem Beato , qui cum perfcéto 
odio in Hxreticos inveherctur, & Fratri- 
gcllos præcipuè , qubus Umbria tota, & | 


Mevania maximè abundabat , ita 1llos gla- 
dio fpiritûs oris fui perfecutus eft, ut mule 
tos excisin vicinis Civitatibus exiftentes 
unà cum corum Duce., & antefignano Ot- 
tonello, viro potente , ad abjurandam hæ- 
refim , cum Mevanatum exulratione fingu- 
lari , efficaciflimis rationibus convicerit , 
& compulerit. ... quo facto hærefis illa- 
brevi temporis intervallo è Mevania , & 
Umbria tota evanuit. Fontana in Monuna. 
Domini. p, 101. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 637 


répandu la bonne odeur de JEsUS-CHRIST dans tout ce Pays. 
Les malheurs des guerres dans la fuite des tems obligérent les 
Religieufes d'abandonner leur ‘premiére demeure , qui étoit 
hors des Murs , pour fe renfermer dans l'enceinte de Méva- 
nia, où on voit encore aujourd'hui une Communauté de 
Dames Bénédiétines aflez nombreufe , & fort réguliére (1). 


._ Pour autorifer les Prédications, &t les travaux apoftoliques 


de fon Serviteur , Dieu acordoit fouvent à fes priéres des éfets 
tout miraculeux , qui augmentoient de plus en plus la con- 
fiance des Peuples , & cette réputation de fainteté , qu’il s’'é- 
toit aquife prefque dès fon enfance. Dans les démêlez que les 
Habitans de Todi eurent avec ceux de Mévania, les uns & 
les autres, felon l’ufage de ce tems-là , levérent des Troupes, 
& fe mirent en campagne, pour vuider leurs querelles par le 
{ort des armes. Le Frere de notre Saint, André Blanch 
que les Mévantins avoient choifi pour commander leur petite 
rmée, tomba entre les mains des Ennemis ; on le mit dans 
les fers, & on le conduifit à Todi, où peu de jours après il 
devoit être éxécuté. Mais, ajoute l’ancien Hiftorien , la foi 
du Difciple de JEsus-CHRIST , & fon crédit auprès de Dieu 
fauvérent la vie au Prifonnier , & lui procurérent la liberté, 
de la même maniére qu'un Ange l’avoit autrefois donnée à 
faint Pierre chargé de chaînes dans les Prifons d'Hérode (2). 
On raporte ua femblables délivrances , & un grand 
nombre de guérifons miraculeufes , obtenuës par les priéres 
de ce faint homme. Les malades fubitement rétablis, fe glori. 
fioient d’avoir recouvré la fanté , & leurs premiéres forces, 
en invoquant fon nom, & quelquefois en büvant de l'eau, 


dont il s’étoit lavé les mains. Quelque horreur qu’il eut des: 


louanges, qu'on lui donnoit, la charité qui remplifloit fon 
cœur , ne lui permétoit jamais de fe reliés aux befoins du 
prochain. Un Habitant de Spolete , nommé Marius ayant été 
acufé de trahifon , fut arêté , & apliqué à la queftion. Les pa- 
rens & les amis convaincus de fon innocence , ne craignoient 


(1) Nunc vero propter Guerrarum dif- ; Jacobum rogaverunt , ut pro Germano fuo- 
crimina , ædificatis Domibus intra Urbem , | Dominum precaretur . .... note præce- 
3bi manent Moniales plures magpà devotio- | denti diem , quo producendus erat & deca- 
nc, &c. Act. Sanit. ut fp.n. 6. pitandus , orarioni Beati Jacobi carcere 
. (2) Tudertini moventes bellum Meva: | aperto, inventus eft Mevaniz folutus & in. 
nienfibus, ut cos fubjugarent , acciditquod |.columis prædiétus Andreas. Interrogatus 
Dominus Andreas Capitaneus Mevaniæ ca- | quomodo evaferit, refpondit : ficut Beatus: 
peretur. Intrufus eft in carcerem certà die | Petrus Apoftolus de carcere Herodis, &c. 


decapitandus. Multi de Mcyania Beatum | Ibid. n. 12. 
LILI iÿ 





On! . 


LIVRE 
VI. 


S. JAQUES 


DE MEVANIA. 
D ti dd 








| XVII. | 
Délivrance mira< 
culeufc, 


XVTIL 
Malades guéris 


VI. 


dm Es 


S.JAQUES 


XIX. 


‘ Le Saint combat 
quelques pratiques 
pleines de fuperfti- 
tion,& d'impureté. 


Nos S ,p. 731. 


638 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE pas moins pour fa vie; & tandis qu'ils folicitoient inutilement 


auprès de fes Juges, l’Acufé fe rrouvoit expofé à céder à la 


violence des tourmens. On s’adrefla enfin à notre Saint, qui 
. A  } . , 
pe Mevanra. eut lui-même recours à la priére, & le en l'éxauça. 


=” Tout ce qui pouvoit intérefler la gloire de Dieu, l'honneur 
Lege ibid. n. 11. de la Religion, le repos des Familles, ou le falut des ames, 


étoit l’objet de fon zéle. Mais fes atentions fe portoient prin- 
cipalement à conferver, ou à rétablir la pureté de la Foi , & 
des mœurs dans le Pays, où la Providence l’avoit fait naître. 
Outre l’infâme héréfie , dont on a déja parlé, l’'Hiftoire nous 
aprend qu'il s’écoit gliffé dans Mévania, fur-tout parmi quel- 
ques perfonnes du Sexe, des sg très-criminelles , im- 


pe , fuperftitieufes , & pleines 


impureté. L'Homme de 


jeu n’en eut pas plutôt connoiflance qu'il les combatit avec 
beaucoup de force , & avec fuccès (1) : ainfi que firent peu 
de tems après plufieurs Evêques de France (2) , & d’Allema- 


gne (3)3 ce 
pirées par le 


: prouve que ces abominables pratiques , inf- 
émon, n'étoient point renfermées dans quel- 


que coin de l'Italie. Mais étoit-1l moins trifte , ou moins afli 
de pour notre Saint , de trouver toujours l'iniquité au mi- 
ieu d’un de ve , qu'il ne cefloit depuis plus d’un demi-fiécle 


d'inftruire, 


‘édifier, & d’apeller à la pénitence , par fes Fer- 


ventes Prédications , par fes Ecrits remplis d’onétion , & fur. 
tout par la fainteté de fes éxemples ? 

À proportion que les mondains s’abandonnoient fans rete. 
nue à de folles joyes , & à toute la’ brutalité de leurs pañions, 


(1) Desexit etiam çÿ impugnavit hare- 
Jim vigentem in partibus Mevania, dicen- 
tem omnia licere , Gr omnia elle communsa ; 
Co errorem earum mulierum , qua vadunt 
Ad curfum cum Diana. A&. Sant. T, IV, 
Aug. p.730,m. 10. 

es Editeurs des Aétes de Saints, croient 
que le fens de ces derniéres paroles cft obf- 
cur. Ils rächent cependant de l'expliquer : 
Quamnvis obfcura fit bac phrafss de muliers- 
bus, qux vadunt ad curfum cum Diana, 
tamen videtur Auctor alludere ad errorem 
patantium, [agas magico quodam oleo inun- 
as revera in feles, aut al;s animalia mu- 
tari, @ tempore Lunari five noïturno ad 
alis locatransferri, (rc. | 

Cette explication des Bollandiftes , eft 
affez conforme à ce que dit M. Baluze, & 
après lui M. Du Cange dans le fecond To- 


mc de fon Gloflaire : [{lud etiam non omit- | 


tendum,quod quadam fceleratemulieres re. 
tr0 poff Satanam converfe, Damonsm il- 
lnfionibus @ phantafmatibus fedua , cre- 
dunt Je & profitentur noGnrnis boris cuns 
Diana Paganorum Des, éinnumeramul. 
tiindine mulierum equitare [uper qua/dans 
beflias, &@ multa terrarum fpatis iniem 
pefle noctis filentio pertranfire, ejufque ju[- 
fionibus velut Domina obedire. Gloffar. 
T. II, Col. Mccccixvitr. verbo Dians. 

(2) Idem habent Capitula Herardi Epif- 
copi Turonenfis , C. 3. Et in Statutis 
manufcriptis Eugenii II Epifeopi Confera- 
neufis anno 1280 dicitur : Nalla Mulier [e 
nocturnis horis equitare cum Disns Des 
Prganorum , vel cum Herodiade .... pro. 
freatur: bac enim Demoniaca ef illufio. 

(3) Eadem habent Patres Concilii Trevi« 
rentis anno 1310. Lege Martene,T,. 1, 
Anecdotorum , Col, CCLVII, 0. 81. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 639 
” Thumble Difciple de JEsus-CHRIST redoubloit fes gémifle- LIVRE 
mens, fes auftéritez , & fes mortifications. Ceux-là tout char- VI. 
és de crimes , vivoient comme s'ils n'euflent eu rien à crain-  $, Jaques 
ge ; & celui-ci, comme le faint Apôtre , craignoit qu'après pe MEvANIA. 
avoir prêché aux autres , il ne fût Eee lui-mêmeréprouvé. 








Cette profonde humilité , qui lui cachoit toutes fes autres XX. 
vertus, pour ne lui laiffer voir en lui-même que les foibleffes : Profonde humi- 
lité du Serviteur de 


de l'homme , & la corruption de la nature, parut aller quel- 5. 
uefois à une forte d’excès. L'innocence de fa vie, la rigueur 
e fes pénitences, fes bonnes œuvres, la voix du Peuple qui 

aimoit à publier fa fainteté , ou fes miracles, & fe recomman- 

der à fes priéres ; tout cela, bien loin de le raflurer , augmen- 
toit encore les fortes imprefñons , que faifoit fur fon ame la 
crainte des Jugemens de Dieu. Les aplaudiflemens des hom- 
mes, les faveurs même dont le Ciel l’honoroit , lui faifoient 

apréhender er k fes propres ténébres , & le portoient à 

s’anéantir plus profondément devant le Seigneur , qui doit 

juger les Juftices mêmes. 

Ainfi rempli de frayeur & de crainte, mais intérieurement 
foutenu par une fecrete confiance , unique confolation des 
ames faintes au milieu des épreuves & des tentations , cet = XXII. 
homme jufte répandoit fon cœur devant l'Image du Crucifix, vente priére. 
& 1l répétoit fouvent ces paroles, diétées par la charité, non 
par le bo: Sezpneur , mon Dieu , me rejéterez-vous donc 
de votre. face comme un Serviteur snurile le permètrez-vous 6 mon 
Dieu , que je fois à jamais [éparé de vous ? Pendant la ferveur 
de cette humble & perfévérante priére ( fi nous en croyons à 
Fancien Hiftorien , qui dit l'avoir apris du Confefleur même 
de notre Saint) il fe vit tout à coup couvert d’un fang miracu- 
leux, qui couloit de l'Image du asie en Croix; &ilen- 
tendit ces confolantes ton : Quece Sang foir le figne, Elle QIX 

ve ne . onfolation. 
ge de votre falut. Sanguis “ol fit ttbi an fignum tuæ élus. 
ès-lors le Serviteur de Dieu, dans une heureufe fécurité, 

par un privilège qui n’a été acordé qu'à bien peu de Saints du- 

rant leur vie mortelle, éprouva la vérité de ce qu'a dit le 

Saint-Efprit , que la mort, avec tout ce qu’elle peut avoir de 

plus afreux , n'ébranle point l’ame des j uftes. f l'envifagea 

fans frayeur , & il l’atendit, ou il la demanda même avec con- 

fiance, parce qu'il la confidéroit comme la fin de fon banif- 

fement , le terme de fes défirs, ou le commencement de cette 

_ félicité pour laquelle il avoit travaillé toute fa vie, & dont il 


XXI. 
Crainte. 


Vide A@. Sand, ur 
(PP. 732, M 174 


LIVRE 
VI. 


S. JAQUES 


XXIV. 


. Mort précieufe. 


XXV. 
Culte. 


Aa Sand. p. 720- 


Jhie 


1 


Jin, 2 13. 


640 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


efpéroit jouir dans la poffeffion de Dieu. Parmi les ardeurs & 
les flâmes' de la charité , fon ame s’'écoula doucement dans la 
fource de tous les biens , le vingt-deuxièéme jour d’Août 1301, 


DE MesvantA. dans la quatre-vingt-unième année de fon âge (1). 
D À 


On peut voir dans les Aëtes des Saints le récit de diférens 
prodiges, qui publiérent d'abord fa fainteté , & firent con- 
noître la gloire, dont il jouifloit dans le Ciel. La piété des Fi- 
déles a procuré trois fois la tranflation de fon corps ; qu’on a 
toujours trouvé entier , & fans aucune ee de corruption, 
quoique la derniére de ces tranflations, ordinairement acom- 
pagnées de nouveaux miracles, n'ait été faite que prés de trois 
cens ans après la mort du Saint. Mais dès le jour de fon décès 
on commença à honorer fa mémoire par des vœux, ou par 
l'invocation de fon nom: & ces marques de vénération n’ont 

oint été interrompuës dans la Ville de Mévania. Le Pape 
Boniface IX aprouva ce culte par fa Bulle du feptiéme de Jan- 
vier 1400. On a depuis folicite fa Canonifation , & on y tra- 
vailla avec une nouvelle ardeur au commencement du dix- 
feptiéme fiécle. Le Cardinal Bellarmin ayant fait le raport des 
vertus héroïques , & de quelques miracles choifis parmi ceux, 

ui avoient été opérés par les interceflions du FC 
Ÿ aques de Mévania , foit pendant fa vie , ou ue fa mort, 
Paul V publia une Bulle le treizième d'Avril 1610, pour 
donner plus de folemnité à fon culte, & exciter de plus en 
plus la piété, ou la dévotion des Fidéles envers le Serviteur 
de Dieu, auquel il donna le titre de Saint, comme avoit déja 
fait Boniface IX plus de deux fiécles auparavant. 

Enfin le Pape Clément X, confirmant le Jugement de fes 
Prédéceffeurs , & celui de la Sacrée Congrégation des Kits, 
par une Bulle du fixièéme de Mars 1674, ordonna que la Fête 
du faint Confeffeur feroit déformais célébrée le vingt-troifié- 
me d'Août, tant dans la Ville de Mévania , & dans le Dio- 
cèfe de Spolete, que dans toutes les Provinces de l'Ordre 
des Freres Prêcheurs. Sa Sainteté voulut bien en même rems 
enrichir de plufieurs Indulgences une Confrairie établie en 
l'honneur , & fous l’invocation de faint Dominique , & de 
faint Jâques de Mévania : fub invocatione fanarum Dominic , 


& Jacobi de Mevania. 


(1) Hunc Beatum Jacobum cognomina- | tem , ae morientem vidir, &c. A4. Santé. 
vimus in titulo Mevanatem ab Urbe Meva- | T, IV, Aug. p.719 LUE TC 
pia, quæ illum non fine prodigiis nafcen- | L 


On 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 641 
On n’a point fait imprimer deux — Ouvrages, que ce Livre 
Saint avoit compofés. Le premier, divifé en vingt-cinq Cha- _" 
itres , traitoit de l'Humanité de JESUS-CHRIST , & de fes  Jacobillus in Bi- 
Myitéres. Dans le fecond, intitulé Le Miroir des Pécheurs , 8€ Yébard T1, à au 
partagé en vingt-trois Chapitres , l'Auteur s’étendoit plus 
particuliérement fur le Jugement dernier. 


YYSEERTEEENEES ANEENEESEENENSERENEES 
 HUGOLIN, 
EVÈQUE DE RIMINI: 

ALGUISE DE ROSSAT, 


EVÉQUE DE BERGAME, &c. 


ANS nous éloigner du plan, que nous avons d’abord Hucoriw. 
formé de laifler aux Analiftes le foin de faire connoitre "== 

ce grand nombre d'Evêques ou d'Archevêques tirés de l'Or- tal. sax. T.11, 

dre des Freres Prêcheurs , mais dont les Hiftoriens ont né- 

gligé d'écrire les aétions, nous dirons ici quelque chofe de 

cinq ou fix illuftres Dominicains qui fe font fuccédés dans le 


Siège de Rimini, ou dans celui de Bergame. 


HvcoziN DE RIMINT, ainf apellé parce qu'il étoit na- 
tif de cette Ville, s’étoit rendu le fidéle imitateur , aufli bien 
ue le Difciple de faint Dominique. La pureté de fes mœurs, 
& la réputation de fa Doëftrine , portérent le Pape Grégoi- 
re IX à le faire facrer Evêque de fa Patrie. Cette nouvelle di- 
gnité étant pour lui un nouveau motif de redoubler fes prié- 
res , fes veilles , & la rigueur de fes pénitences, afin d’atirer 
les bénédiétions du Ciel fur lui-même , & fur le troupeau qui 
lui étoit confie , il gouverna fort faintement fon Eglife depuis 
l'an 1232 jufqu’en 1 249. Lorfque le Seigneur l’apella à lui, il y 
_ avoit dix-fept ans, qu'il remplifloit avec zéle routes les fonc- 
tions d'un véritable Pafteur , fans négliger un autre travail 
que l'amour de l'Etude lui avoit fait entreprendre dans le Cloi- 
Tome I, Mmmm 


642 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE tre. On lui atribue divers Ouvrages ; une petite Somme de 

VI. Théologie , un Abrégé des Canons , & des Sermons pour 

toute l’année. Selon Fontana, il fut un des Peres, qui fe trou- 
vérent en 124$ au premier Concile Général de Lyon. 


ALGUISE ALGUISE DE ROSSAT (ou DE ROXTAT ) fuccéda immé- 
pr Rossar. diatement à l’'Evêque Hugolin l'an 1250. Il étoit d’une honnête 


LS 





Famille de Bergame, & avoit poflédé pendant quelque tems 


Ibid un Canonicat dans cette Cathédrale, lorfqu'il reçut l’Habi 
de Religieux dans le Couvent des Freres Prêcheurs de cette 
Ville. Son mérite, qui le fit paffer par les diférens Emplois de 
fon Ordre, lui concilia particuliérement la confiance des 
Succeffeurs de faint Pierre. Grégoire IX l’'honora de la qualité 





L'an 1140. 


de fon Nonce Extraordinaire auprès de la DL vie ar e Gè- 
nes, afin de l’engager à fournir un certain nombre 
armées , pour le paflage & la fureté des Prélats , que ce Pape 


e Galéres 


apelloit d'Efpagne , de France , & d'Angleterre, dans le def- 
fein de célébrer un Concile en Italie. Onfait que, parlafaute, 
ou la préfomtion des Gënois, qui comtérent trop fur leurs 
forces , & mépriférent trop celles des Ennemis , les fuites de 
cette Asa ne furent point heureufes. Notre Nonce ce- 
pendant s’étoit aquité de la négociation au gré de Sa Sainteté, 


& de la Cour de Rome; où 1 


finguliére confidération. 


fut toujours depuis dans une 


Le Chapitre de Rimini ayant élu Alguife pour fon Evèque, 
après la mort d'Hugolin, le Pape Innocent IV confirma d'a- 
bord cette Ele&tion ; mais bien-tôt après croyant que le nou- 
veau Prélat feroit plus utile au Peuple de Bergame, il le tranf- 
féra à ce Siége. Dans le Bref adreflé au Chapitre de cette 
Eplife , le Saint Pere déclare (1) que connoiffant depuis 
long-tems les mérites diftinguës du Sujet , l'innocence &+ la 

ureté de fa vie, fon érudition , fes grands talens , foit dans 
È conduite des ames , foit dans le maniement des afaires , ik 
étoit perfuade (& tout le Sacré Collège avec lui) que c’étoit 


(r) Cuüm Civitas Bergomenfis enm de 
honefta Genitorum ftirpe protulerit, ac 
nos per converfationem diutinam , quà fa- 
miliariter nobis ipfus merita clarucrunt, 
<um fimus experti fide fincerum , vità præ- 
clarum, & fcientià prædirum , & tam in 
fpiricualibus , quam in temporalibus circum- 
fpetum , ideo utilitate non folum privatà, 


fed etiam publicà fuggerente, de Fratram 
noftrorum confilio, eundem Epifcopum à 
vinculo , quo Ariminenfi tenebatur Eccle- 
fix , abfolatum ad Bergomenfem Ecclefiam 
transferentes , eundem ipfum conceflimus. 
in Épifcopum & Paftorem, &c. Ital. Sasr. 
T. IV, Col, ceccixxv. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 643 | 
un Pafteur choifi de Dieu, pour conferver dans tout le Dio- LIVRE 
cèfe de Bergame la Foi Catholique , & la piété chrétienne, nn 
pour défendre la liberté de l'Eglife, & lui procurer toutes  Arceuise 

. {ortes d'avantages fpirituels & temporels. | DE RossAT.. 

L'éfet ont aux promefles , &c à l’atente. Le digne Pré- 
lat ne parut ocupé que des befoins de fon Peuple, & des in- | 
térêts de la Religion. L’héréfie des Cathares avoit laiffé dans 
tout fon Diocèfe de malheureux reftes de fon poifon: il 
acheva de les détruire : & il veilla avec foin à empêcher que 
le venin ne fe ghiffät de nouveau dans les efprits. Pour la mé- 
me raifon il ne voulut jamais foufrir qu’on relevât les ruines 
d'un Bourg apellé Curte Nova , dans + Territoire de Berga- 

.me (1). On avoit été obligé de le rafer , parce que les nou- 
veaux Manichéens en avoient fait comme le Fort, & l'afyle 
de leur Seëte , d’où ils répandoient au loin leurs erreurs, & 
l'impiété de leurs dogmes. Notre Prélat craignoit avec raifon 
ue les enfans trop femblables à leurs peres , ne renouvellaf- 
Ent leurs anciennes pratiques, fi on Le permétoit de s’af- 
fembler de nouveau , & de fe fortifier dans le même lieu. 
Mais autant qu'il fit paroître de fermeté envers les Hérétiques , 
autant fe montra-til toujours favorable aux gens de bien, aux 
bons Miniftres de l'Eglife, & à ceux qui l’édifioient par la 
fainteté de leur vie. Plufieurs Monaftéres Réeguliers, bi de 
fon Ordre, foit de Cluni, de Citeaux, & de TP Vo " 
éprouvérent fa libéralité. Après neuf ans d'Epifcopat, ayant xl. Saer. ibid. 
heureufement rétabli la Difcipline écléfiaftique , & le bon 
ordre dans fon Diocèfe, il demanda, & il obtiit du Saint 
Siège la permiflion d'abdiquer fa Dignité , pour fe retirer 
dans la folitude : où tout ocupé de la penfée de la mort, & 
du foin de fe purifier de plus en plus par les faintes pratiques 
de la pénitence , il net 19 en paix la fin de fon éxil, qui ari- 
va felon Bernard Guidonis le vingt-fixième de Janvier 1 267. 

Ï ne faut point confondre l'Evêque Alguife , dont nous ve- 
nons de parler, avec un autre Religieux du même Ordre, 
nommé ÂAlois , natif aufli de Bergame, mais Evêque de Man- 
toue , où 1l travailla long-tems , & avec beaucoup de fuccès, 

à la réduétion des Hérétiques , & à l’extirpation de l’héréfie. 
On aflure qu'il fe rendit célébre par fes Gba contre les en- 
nemis de la Foi, & plus recommandable encore par fes ver- 

(1) Ediéto vetuit habitari, & zdificari | gomenfis ob hærefim Catharorum , & Pata. 


Oppidum de Curte nova in finibus agri Ber- | sgnorumexcifum, &c. Iral. Sacr. ue Jp. 
Mmmnm i 








Livre 
VI. 


Pius!. Part. Lib.}, 
m. 191 5 & II. Part, 
Lib. 1, Col. c. 


HER BOR pr. 
| 





644 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


tus épifcopales. Selon Michel Pie , 1l mourut en odeur de 
fainteté l’an 1269; & dans la Salle de l'Evêché de Mantoue 
on voit encore fon Tableau avec des rayons. 

Pendant que ces deuxilluftres Prélats travailloient encore, 
felon leur vocation, l’un à apeller les Pécheurs à la péniten- 
ce, ou les Hérétiques à la É o1, & l’autre à fe fantifier lui- 
même dans le repos de fa retraite, l'Eglife de Bergame étoit 
conduite par un de teurs Freres , dont l'Abé Ughel loue beau- 
coup la fience , & la piété. 


Herbordi | Hongrois de Nation, & Religieux Profès du 
Couvent de Bergame, fut élu par le Chapitre , & facré Evé- 
que par ordre du Pape Aléxandre IV , l'an 1261 (1). Il fe fit. 
un devoir de marcher fur les traces de fon prédéceffeur. Auf 
eut-1l la confolation , pendant onze ans qu'il ais cette 
Eglife , d'y conferver toujours la paix , & de lui procurer de 
nouveaux avantages. Un des plus utiles, & dont tous les 
Hiftoriens ont fait mention, fut l’établiflement , -ou la confir- 
mation d’une Société , apellée de la Miféricorde , parce qu’elle 
étoit deftinée à pourvoir aux néceflitez des pauvres Familles 


| & à l'éducation de leurs enfans. 


Cchard, TT, p. 246. 


Cette œuvre de charité avoit été commencée depuis plu- 
fieurs années par un noble & riche Bergamois, nommé Pi- 
namous de Brembati , lequel en embraffant l’Inftitut des Fre- 
res Prêcheurs , avoit donné une partie de fes grands biens. 
pour faire bâtir l’Eglife de faint Etienne , & l’autre partie 

our le foulagement de ceux de fes Concitoyens , qui auroient 
Éefoin de ce fecours pour nourrir, ou faire élever leurs en 
fans. La Providence sm les deffeins du pieux Fondateur. 
Les Supérieurs de l'Ordre lui donnérent la conduite du Cou- 
vent même de fzint Etienne, qu'il gouverna avec fagefle pen- 
dant quarante ans : & le Pape l'ayant chargé de veiller à la 
confervation de la Foi, & fur les démarches des Hérétiques, 
il fe vit en état d'afermir ce qu'il avoit commencé , pour la 
gloire de Dieu, & l'utilité de fa Patrie. Les Evêques de Ber- 
game avoient donné plus ou moins leur proteétion à cette nou- 
velle Congrégation. Le zéle toujours conftant de Pinamous. 


(1) Frater Herbodus Pannonus ex Ordi- | Fratris Aloyfii ( Algifii) Bergomenfis Epif= 
ne fanéti Dominici, Monafterii fanéti Ste- | copus adleétus eft anno 1261 , &c. Isa 
bani Bergomatis alumnus , dotrinä, pro- | Sscr. nt JR..Gol, CCCCLXXYL 
itateque morum. fingularis , ex ceflone | 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 64 


lui procura enfin fa derniére perfeétion pendant l’Epifcopat 
d'Herbordi. L'Evêque & le Chapitre fe prêtérent avec bonté à 
fes défirs pour l'utilité publique. Le premier autorifa les Sta- 
tuts , & rous les Réglemens qu’avoit fait le Fondateur ; & le 
fecond aflura un nouveau fonds, & des revenus confidéra- 
bles pour des œuvres de charité. Mais le Chapitre fut en mé- 
me tems dédommagé par la généreufe libéralité de l'Evêque , 
ui, après avoir terminé à l'amiable un procès, commencé 
sm long -tems entre fes Prédéceffeurs & le Chapitre; 
mourut l'an 1272, chargé d'années & de mérites, & fort re- 
rété des pauvres. On lui atribue un Traité contre les Héré- 
ts , une Explication des Sept Pfeaumes de la Pénitence, & 
quelques autres Ecrits, qui ne font pas venus jufques à nous. 


Ambroife de Florence , faint Religieux , Doteur fameux , 
& célébre Prédicateur, fut tiré de la Charge de Prieur, qu'il 
éxerçoit dans le Couvent d'Orviete, pour être élevé fur le 
Siège Epifcopal de Rimini. Pendant les douze années, qu’il 
gouverna cette Eglife, iltravailla beaucoup, ditl'Abé Ughel , 
pour réformer les mœurs de fon Clergé , & rétablir dans fa vi- 
gueur la Difcipline écléfiaftique. Son Eleétion avoit été con- 
ue par le Pape Clément IV l'an 126$ ; & iltermina fa glo- 
rieufe carriére fous le Pontificat de Jean XXI en 1277. 


Il eut pour Succefleur, mais non pas immédiat, Z Pere 
Laurent de Rimint , autre Dominicain , de l’illuftre Maifon 
des Ballachis. Celui-ci déja fort diftingué dans le fiécle par fes 
talens , & par fes belles qualitez , remplit avec honneur tous 
les devoirs de fa Pos: & aux vertus religieufes, qui 
l’avoient fait eftimer dans le Cloître, il ajouta eelles d’un Paf. 
teur zélé, charitable, vigilant. Il finit fes travaux avec fa 
vie l'an 1302. On voit encore fon Epitaphe dans l’Eplife de 
faint Cathal, où il voulut être inhumé parmi fes Freres. II 
avoit un Frere germain, Archiprêtre de + es de faint Mi- 
chel, & un Neveu , qui faifoit honneur à fon état de Frere 
Lai dans l'Ordre de faint Dominique. Le ag fut fon Suc- 
cefleur dans le même Siège ; & la fainteré du fecond, qu'on 
nomme le Bienheureux Le de Ballachis , fit qu'après fa 
"mort on mit fon corps avec celui de fon Oncle dans le même 


Tombeau. 


Mmmm üÿ 


Livre 
VI. 


HERBOR 1. 
D 








Ldem. bp, 163 


AMBROISE 
DE FLORENCE. 
D 





Ital Sacr. T. D; 
Col. ccccxxir. 


LAURENT 
DE Rimini. 





Ughel. ibid, 


LIVRE 
VI. 


JERÔME 


646 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
Nous ne parlerons ee du Pere Jérôme de Fificis | natif 

de Rimini, on e faint Dominique , & Pénitencier du 

Pape Jean X XII, élevé par fa Sainteté fur le même Siége , qu’il 


‘pe Fisicus. remplit depuis l'an 1323 jufqu'en l'année 1329. Sa vie fut 
= fainte, fon gouvernement , & fa mort précieufe. It 


Ibid, Col. eccexxr. VOULUt être enterré parmi 


Ibid, 


es Freres , avec fes Prédéceffeurs. 
Et felon la remarque de l'Abé Ughel, c'eft le quatriéme Evé- 
que de Rimini, de l'Ordre de faint Dominique , dont on 
conferve les Cendres dans un même fépulchre :. Er ur vi- 
xerat optimus Paflor , piè ex hac mortals vita difceffit an no 
2329, fepultus apud fuos Dominicanos in Ecclefia fanäi Ca- 
thaldi , quatuor Ariminenfium Epifcoporum Prædicatoris Or- 
dinis Aoile Jépulchrum. | 


| SASVSFSVSISV EAST ES SASV EST EPST EEE 


JEAN-JOURDAIN 
SAVELLT: 


EVÈQUE DE PADOUE, 
TRANSFERE À L'ÉVÉCHE DE BOLOGNE. 


GENTILI DES URSINS,; 


EVÉÊQUE DE CATANE, 


LEGAT APOSTOLIQUE, 
MORT ARCHEVEQUE D'ACERENZA. 


À Naiffance de ces deux illuftres Romains, & les Em- 

plois qu'ils ont remplis avec un fuccès , qui leur a mérité 
les éloges de plufeurs Ecrivains Ecléfiafhques , nous permé- 
tent fans doute de les placer parmi les grands Perfonages, 
qui ont le plus illuftré l'Ordre de faint Dominique dans le 
treiziéme fiécle. Mais le peu d’atention de ces mêmes Au- 
teurs à nous aprendre les belles aétions de l'un & de l’autre, 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 647 


ou les circonftances particuliéres de leur vie , foit dans le 
Cloître , foit dans l’Epifcopat , nous oblige de pañler rapi- 
dement fur un fujet, qui mériteroit d’être traité avec quel- 
que foin. | 

Le Couvent de fainte Sabine , fous le Pontificat de Clé- 
ment IV, fut l'Ecole , où ils aprirent à méprifer la gloire du 
monde , & à fe revêtir de JESUS-CHRIST , par une fidélité 
perfévérante à fuivre les maximes de l'Evangile , & à ne point 
rougir de fes humiliations , ni de fa croix. Mais deftinés par 
état à travailler au falut des ames , ils ajoutérent à leurs pra- 
tiques de piété & de religion, la leéture des bons Livres, & 
l'étude de tout ce qui pouvoit les aider à remplir dignement 
leur vocation. Pour ne rien avancer fans garant, nous ve- 
nons d’abord au tems, où on les retira de Sobfeurité , à la- 
quelle ils s’étoient volontairement condamnés , pour les pla- 


cer fur le Chandelier de l'Eglife. 


. L’Abé Ughel à ie  è la mort de Bernard Joannin, 
célébre Doëteur François, Evêque de Padoue , le Chapitre 
de cette Eglife ayant fait une Eleétion, qui n’étoit point Ca- 
nonique , le Pape Boniface VIII la caffa par fes Lettres Apof- 
toliques du quatorziéme de Novembre 1295. Sa Sainteté 
nomma en même tems Evêque de Padoue le P. Jean Jourdain 
Savelli, Romain , de l'Ordre des FF. Prêcheurs , que cet Ecri- 
vain apelle un homme illuftre par fa haute PT > Mais 

lus recommandable par la pureté de fes mœurs, & l'éclat de 
x doétrine. Le pieux Prélat fe livra tout entier aux befoins 
de fon Troupeau, qu'il conduifit avec beaucoup de douceur, 
de vigilance , & de fagefle ; & qu'il édifia par la fainteté de 
fes éxemples (1). mais l'Eglife de Padoue ne jouit pas long- 
tems de fon bonheur ; dès le mois de Janvier 1298 | pb À 
Savelli fut transféré au Siège de Bologne par la volonté du 
Pape Boniface VIII, qui confulta bien moins én cela le goût 
du Prélat , ou les vœux du Peuple de Padoue, que les be- 
foins , & les défirs des Bolonois. 


(1) Frater Joannes Sabellus Romanus , | Paduano à Capitulo vitio celebratä. Duos 
Ordinis Prædicatorum, Avorum nobilitate | tantum annos Joannes fummâ moderatio- 
clarus, probatiffimis moribus, doétrihaque | ne, ac illibatæ vitæ exemplo hanc rexit Ec- 

ræcipuus , à Bonifacio VIII hanc Sedem | clefiam, tranflatufque deinde eft ad Eccle-- 
Para ) adminiftrandam accepit an- | fiam Bononienfem. Iral. Sacr. T. V, Col 
no 129$, xvirz Cal. Decembris , rejeétà | ccccxLvix 
clcétione Oliverii de Monteflice Canonico 


LIVRE 
VI. 


JEAN-Jour- 
DAIN SAVELLIe 
Pr à 


À 


LIVRE 
VI. 


JeaAn-Jour- 
DAIN SAVELLI. 
à 





GenrTitt 
DES URSINS. 


a 


648 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
Depuis la mort d'Oftavien Ubaldini, décédé à Bologne 


l'an 129$ , ce Siège n'étoit ni rempli, ni vacant. Le Frere de 
l'Evêque défunt , qui avoit été élu pour lui fuccéder , venoit 
de finir fes jours à Rome , deux ans après fon Eleëtion, fans 
avoir été facré, ni s'être jamais montré à fon Eglife (1). La 
préfence du nouveau Pafteur la confola ; & fes pertes furent 
réparées par les charitables atentions d’un homme, tout rem- 
pli de zéle, & de l’efprit de JESUS-CHRIST. Selon l’expref- 
fion de l’Abé Ughel, les vertus, & la doûtrine de Savelli re- 
cevoient un nouveau luftre de-l’éclat de fa nobleffe , ou plu- 
tôt de fa modeftie , qui lui faifoit oublier ce qu'il avoit été 
dans le monde, pour ne fe glorifier que de la qualité de Dif- 
ciple & de Serviteur de JESsUs-CHR1IST. Une vie toujours 
pure , & fans reproche , telle que l’Apôtre la demandoit de 
ceux que le Saint - Efprit a établis pour conduire le Peuple 
de Dieu , fut couronnée d'une mort précieufe , trois ans 
après qu'il eût été aflis fur le Siége de Bologne (2). 

C'eft tout ce que nous favons de l’Hiftoire de Jourdain Sa- 
velli. Fontana prétend qu'il étoit Provincial de la Province 
de Rome , lorfqu’il fut nommé à l'Evèché de Padoue. Et Ber- 
nard Guidonis le fait vivre jufqu’en 1303. Mais Ughel, qui 
met fa mort en 1301 , fe fert des Regiftres du Vatican, pour 

lacer l’Eleétion d'Ubert de Plaifance , fon Succeffeur , dans 
le mois d'Oétobre de la même année 1301. 


GENTILI DES URSINS ajoutoit à beaucoup de piété, & 
d'érudition, des talens fupérieurs pour la conduite des plus 
grandes afaires (3) ; & c’eft ce qui le rendit particuliérement 


cher à plufieurs Papes , & au Roi de Naples, Charles I. 11 


(1) Schiasta Ubaldinus Oüaviani Ju- 
mioris Frater , ex Canonico ; Bononienfis 
Epi/copus adleitus eff anno 1195. Quatnor 
omnino annos Bononienfem ab{ensrexit Ec- 
clefiam ; Romaque minimè inauguratus de- 
ceffit s ibidemaqne [epulius fuir anno 1197. 
Ical. Sacr. T. II, Col. xxr1. 


C'eft par diftraétion que l'AbéUghel don- : 
ne quatre années entiéres d'Epifcopatàäun, 
Evêque, + , felon lui, fur élu l'an 1295, 


& mourut l'an 1297. 


Patavinus Se efler, ad hanc Eccle- 
fiam tranflatus eft anno 1198, 1v Idus Ja- 
œuari.,..tues annos pie, fanctèque Bo- 


nonienfem adminiftravit Ecclefiam , decef- 
fique t3o1, vir quà doctrinä, quà fanéi- 
monià vitæ infignis, præter generis nobi- 
litatem, unde cjufdem fanè præclaris do- 
étrinis maximus {plendor ae accede- 
re. Ital. Sacr. ibid. Col. xxx11, | 

(3) Frater Gentilis de Roma Catnen- 
fium Epifcopus in Sicilia à Bonifacio VIII 
anno 1296 creatus cit, ex Conventufan@æ 
Sabinæ de Urbe , ubi Dominicanam pro- 


; feflionem emifcrat, aflumptus. Fuit Gen- 
(2) Frater Joannes - Jordanus Sabellus : 
Romanus, ex Ordine Prædicatorum, cuin : 


tilis prudentià fingulari prædicus, atque in 
tractandis negociis dexteritate ornatus , 
Bonifacio VIII Pontifici maximo charus, 
Fontars in Thai. Demins. p. 160; ex Pirre 


Lib. LIT Sicilia Sacra, 
fut 


( 
DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 649 


fut un de ceux que ce Prince, & Céleftin V employérent Livre 

. pour traiter avec la Cour d'Aragon touchant la reftitution du VI. 

| Pt de Sicile. La négociation fut d’abord heureufe. Jà- Gxruirr 
ques d'Aragon, Fils & Succeffeur de Pierre Il, quiavoiten- pes Unrsins. 
vahi ce Royaume, promit de le remétre à la difpofition de === 
l'Eglife Romaine, 4 que Charles IT en prit en & 
s’y fit reconnoitre. À cette condition le ce s'engageoit , 
non-feulement à lever l’Interdit que fes Prédéceffeurs avoient 

e Jéte fur les Etats du Roi d'Aragon , mais encore à porter Char- 
les de Valois à renoncer à toutes fes prétentions fur les Do- 
maines de ce Prince. 

Le Pape Boniface VIII confirma depuis ce Traité ; & il ne 
voulut rien oublier pour en faire éxécuter tous les articles. 
Comme il connoifloit l’habileté de Gentili des Urfins, & le 
crédit, ou l’afcendant que pouvoient lui donner fur les ef- 
prits, non-feulement la nobleffe de fon Sang , mais-aufh fes 
vertus , & fon éloquence naturelle , il le mit fur le Siège de 
Catane , dans l’efpérance qu'il porteroit les Siciliens à ne 
point s’opofer à l'éxécution d'un Traité , qui procureroit la 
paix à l’Europe , & délivreroit plufieurs Peuples du trifte état, 
où ils gémifloient depuis long-tems fous l’anathême. Les Sici- 
liens Ê trouvoient les premiers dans le cas, depuis leur ré- 
volte arivée en 1282. L’'Evêque de Catane agit felon les in- 
tentions de Sa Sainteté : tout ce que fon génie, & le zéle dont 
il étoit animé pürent lui infpirer , il le mit en ufage : mais 
toujours fans Hccès. Ces obftinés Infulaires ne prirent con- 
feil que de leur haine invétérée contre les François. Réfolus 
de s’expofer à la perte de leurs biens ,. & de leur vie, plutôt 

ue de reconnoître le Roi de Naples pour leur Souverain (1), 
il mépriférent également les exhortations , les priéres , les 
menaces du Pape, & de fes Nonces ; & ne voulurent écouter 
perfonne, qui vint de fa part leur propofer des conditions de 
réconciliation, & de paix, 

Is firent plus ; Jâques d'Aragon, en fortant du Royaume 
de Sicile, y avoit Laié le Prince Frédéric, fon Frere ; les Si- 
ciliens fe fa 








âtérent de le proclamer ; ils le firent facrer à Pa- 
lerme; & lui mirent la Couronne fur la tête, le vingt-cin- 


(1) Qui porro ïi fuerint, qui pacem di- | buti mortem potiüs quàm eorum jugum pati 
fturbare niterentur notat Mariana Siculos | in animum induxerunt , &c. Oâoric, #4 
extiuffe, qui proditos {e effe ex illo fœdere | An, 1195 , #. 31. 

” gxclamarunt : ac vetere odio in Gallos im- 


Tome L. Nnnn 


LIVRE 


VI 
GENTILI 


DES URSINS. 
Es | 





6,0 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


uiéme de Mars 1 296. Le Pape traitant cette aétion de crime, 
& d’ufurpation , lança fes foudres contre le nouveau Roi, & 
contre tous fes Sujets: mais Frédéric, & les Siciliens n’en 
parurent ni touchés, ni ébranlés. Nousavons lieu de croire 
que l'Evêque de Catane, voyant l'obftination d’un Peuple, 
qui , fans écouter ni la Religion , ni la raïfon , fe portoit tous 
les jours à de nouveaux excès, fe retira dès-lors, & fortit du 
Royaume de Sicile , pour ne s'ocuper déformais que du foin 
de fon falut , ou pour travailler à celui des Fidéles, plus ca-, 
pables de profiter de fes prédications. 

L’Abé Ughel, qui l'apelle un Homme très-célébre par fes 
Légations , femble dire , que le Saint Siège continua à fe 
fervir de festalens , pour me de quelques autres afaires. 
Mais nous ignorons quelles furent fes ocupations jufqu'au 
mois de Janvier 1300 , que le Roi Charles II le demanda pour 
Archevêque d’'Acerenza dans le Royaume de Naples (1). 
Boniface VIII lui ayant envoyé les Bulles pour l’adminiftra- 
tion de cette Eglife, il la fit jouir d’une profonde paix ; & il 

rofita lui-même de ce repos, pour mériter de recevoir du 
ÉAepe i Pañfteur la na Ma promife au Serviteur fidéle. 

Ce que nous venons de raporter , eft prefque tout tiré du 
feptiémeTome de Z'Zralie Sacrée, Maïs je ne fai pourquoi FAbé 
Ughel ne donne qu’une année de gouvernement à l'Archevé- 

e d'Acerenza ; puifqu'il nous aprend lui - même , que ce 
Prélat avoit été chargé de la conduite de cette Eglie dès le 
commencement de l'an 1300 ; qu’en 1302 il fit un Statut, 
qui regardoit toute fa Province Ecléfiaftique , & qu'il mou- 
rut au milieu de fon Troupeau en 1303 ; par conféquent dans 
la quatriéme année de fon adminïtration. 


(x) Bonifacius VIII ex Caroli II utriuf- 
que Siciliæ Regis voluntate Acheruntinz 
Écclefiæ adminiftratorem conftituit 
Fratrem Gentilem Urfinum, Romanum , 
Ordinis Prædicatorum , doctrinà , eloquen- 
tiä, ac rerum experientià clarum , tunc Ca- 
tanicnfis Ecclefæ in Sicilia electum Epifco- 
pum 111 Nonas Januarii anni 1300. Hunc 
virum nobilifimum Legationibus , & rebus 
tratandis affuetum, Catanienfium creave- 
rat Epifcopum Bonifacius Caroli ftudiofffi- 
mus , ratus Catanienfes & cum eis cæteros 
Siculos hortatu Gentilis Carolum , vel filium 
ejus Robertum , repudiato Frederico Il in 


Regem fufcepturos. Sed cum fpes fefelliffee 
confilium , Siculique in fide Frederici ftetif— 
fent, Gentilis omnem ademit conatum , & 

potiundi Catanienfis Sacerdotii defiderium. 

Interea l'ontifex exuli Gentili Acherunti- 

nam Ecclefiam contulit adminiftrandam 
quam cum adannum ufque fatis eximiè re- 
xiflet , in ea mortem oppetiit anno 1303. 

À quo Superiori anno ftaturum fuerat, ut 
Sacanet Acheruntinæ Ecclefiæ Epifcopi 
cæterique Diæœcefanei Prælatÿ in die Natalis 
Beariflimæ Virginis, pro die fancti Canio— 
nis, Ecclefiam matricem Acheruntinam vie 
ficarent. Ital Sacr. T. VII, Col. xLux 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 6sr 


: La même année 1303, l'Ordre de S. Dominique fit une nou- 
velle perte , parla mort de PIERRE D'ALAMON, qu’un an- 
cien Auteur apelle un très-pieux , & très-faint Prélat. Il de- 
voit à fa naiflance , ou à l'éducation que lui avoient donné 
{es illuftres parens , la nobleffe des fentimens , qu’il fit pa- 
roître dans toutes les ocafions ; & dans le Cloître, il avoit 
été formé à toutes les vertus chrétiennes & religieufes. Son 
fidéle atachement à la Perfonne de Charles, Fils du Roi de 
Sicile , & Comte de Provence, parut furtout durant la cap- 
tivité de ce Prince , que Pierre d'Alamon n'abandonna jamais. 

Selon l'expreffion de Don Denis, ce fut une faveur parti- 
culiére du Ciel, que l'Eglife de Sifteron eût pour Pafteur un 
homme de ce cara@ére (1). On le vit en éfet toujours apli- 

ué à lui procurer toutes fortes de fecours fpirituels , & plu- 
” cts avantages temporels, dontfes noue jouiffent en- 
core. Il fut le charitable confolateur des veuves, le protéc- 
teur des pauvres , le pere des orphelins ; & la plus grande 
partie de 8 revenus , 1l lemploya à faire bâtir dans fon Dio- 
cèfe , des Hôpitaux, & des Ponts pour la commodité du Pu- 
blic (2). En 1295, il reçut une commiflion fpéciale du Pape 

Boniface VIIT, pour métre les Religieux de fon Ordre en 
poffeffion de la fainte Beaume , lieu célébre par la pénitence 
de fainte Madeleine. Après avoir faintement gouverné fon 
Troupeau, depuis l'an 1291 jufqu'en 1303 , il mourut à Aix 
en Provence le premier jour d'Aoùût , & voulut être enterré 
dans l’Eglife D mu Prêcheurs. 


(1) Petrum de Alamanono nobili gene- 
reortum , in Ordine Prædicatorum ad vir- 
tutes omnes educatum &inftitutum , fingu- 
lari Dei beneficio Epifcopum confccuta eft 
Siftaricenfis Ecclefia. Carolo Filio Regis 
Siciliæ , & Provinciæ Comitis, etiam in 
vincula conjeéto adhxferat femper ante 
Epifcopatum , &c. Gal. Chrifi. T. I, Col. 
CCCCXCIL. 

(2) Vir fan@iflimus Dominus Petrus de 
Alamanono Epifcopus Siftaricenfis, de Or- 


dine Prædicatoram , rexit annis xt11. Ifte 
Epifcopus fait piiflimus , eleemofynarius 8c 
largicor bonorum fuorum ad honorem Dei ; 
ita quod ferè medictatem fuorum rediruum 
in piis eleemofynis pauperibus , viduis, & 
orphanis tribuebat, Pontes, & multa Ho(- 
pitalia in Siflaricenfi Diæœcefi fecir ..... 


LIVRE 
VI. 


PIERRE 
D'ALAMON » 





Evêque de Sifte- 


ron. 


D | 


Ra à 


» 


Ballar, Otd. T. If, 
Pe 44 


diem clauft extremum anno currente Do- 


mini 1303 prima die Augufti, & fepultus 
eft in Domo Prædicatorum Civitatis Aquen- 
fis. Ibid. ex Libro virids, 


SE SES 
SYS 


Nnnn ij 


652 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE 
VI _RÉSÉSÉSSRSÉISÉÉÉSSS NS SSE 


Raour DE 
GRANVILLE. 
=” dans la Province de Normandie fuivant Guillaume de Nan- 

Vide Ecbard.T, 1], 
.4if. 


Bern. 
d 


chard, ib 


Guid, ab, E- 
id, Ë 


RAOÛL 
DE GRANVILLE, 


PATRIARCHE TITULAIRE DE JERUSALEM. 
R AouUL ( ou Rodolphe) de Granville , François de Na- 


tion , né en Bourgogne felon Bernard Guidonis, ow 


gis, embrafla l'inftitut des Freres Prêcheurs vers le milieu du 
treiziéme fiécle , fous le Pontificat d'Innocent IV. Ayant 
foigneufement cultivé fes talens par l'étude , & fait des pro- 
grès confidérables dans la pratique des vertus, il fut d’abord 
apliqué au Miniftére de la Prédication ; & le zéle du falut des 
ames le porta à pafler les mers , pour aller travailler à la con- 
verfion des Sarafins , & des autres Peuples Infidéles dans la 
Syrie. Il éxerçoit depuis long-tems ce pénible Miniftére , lorf- 

ue fon mérite le fit élire Chef de nos Miffions, & Provincial 

e la Terre-Sainte. Dans cettte nouvelle Charge , Raoul 
continua avec la même ferveur à remplir tous les devoirs de 
l'Apofñtolat. Le libertinage afreux , & le déréglement des 
mœurs prefque général parmi les Éatins établis depuis peu 
dans la Paleftine , ne donnérent peut-être pas moins d'éxer- 
cice à l’ardeur de fon zéle , que l'obftination des Schifmati- 
ques , & l’impiété des Difciples de Mahomet. 

Mais le travail ne le rebuta point ; & malgré les périls con- 
tinuels , où fe trouvoient expofés les Miniftres de l'Evangile ,, 
le Serviteur de Dieu ne pouvant fe réfoudre à abandonner 
une Miflion, dont il étoit fpécialement chargé, & dans la- 

uelle il faifoit quelque fruit ; il en foutint tout le paids ; & 
Ln courage fervit à ranimer celui de fes Freres jufqu’en l’an- 
née 1291 ; c'eft-à-dire , jufqu’à la prife de Ptolémaide, & læ 
mort du faint Patriarche de Jérufakem , Nicolas de Hanapes. 
Depuis cette fatale époque , la prédication de dis 3 de- 
vint plusodieufe que jamais aux Infidéles , furtout aux Maho- 


métans. Les Croifez , qui les avoient irrités à contre-tems 


DE LORDRE DES. DOMINIQUE. 6; 


{comme nous l'avons remarqué ailleurs)n’étoient Li les feuls, 


ue ces Infidéles viétorieux faifoient pañler fans diftinétion au 
de l'épée : Les Prédicateurs de la Foi , quoique toujours 
renfermés dans les bornes de leur ri , éprouvérent en 
plufieurs maniéres la cruauté des Barbares. Tous ceux qu'ils 
ouvoient atraper , ils les égorgeoient aufh-tôt ; ou ils ne di- 
viens quelquefois leur fuplice , que pour le rendre , & plus 
long , & plus rigoureux. | 
Où croit que ce fut en ce tems-[à , que Raoul de Granville 
quita l'Orient , & vint en Italie , foit pour informer le Saint 
dége , & les Supérieurs de fon Ordre, de l’état où fe trou- 


_ voient les afaires de la Le. dans la Paleftine ; foit pour 


laifler un peu ralentir le feu de la perfécution , & la fureur des 
Infidéles, fi éloignés alors de vouloir écouter les Véritez du 
falut. Cependant le mérite & les talens du Pere Raoul , fu- 
rent bien-tôt connus à la Cour de Rome , & à celle de Naples. 
Le Roi Charles II l’honora de fa confiance ; il le prit pour fon 
Confefleur ; & peu de tems après , 1l l'envoya vers le Roi de 
France Philippe le Bel. Les afaires , dont . étoit chargé au- 
près de ce Prince , l’arêtérent en France pendant la vacance 
du S. Siége après la mort du Pape Nicolas IV. Mais CéleftinV 
ne fut pas plütôt affis fur la Chaire de faint Pierre, l'an 1294, 

u’il nomma Raoul de Granville au Patriarchat de Jérufalem. 
ee Guidonis , dit, que ce fut à la recommandation du 
Roi de Naples (1), tout À fur l’efprit de ce Pape. On 


peut croire aufli que les Cardinaux avoient inftruit Sa Sairr- 


teté des qualitez du Sujet. Quoiqu'il en foit , Raoul étoit en- 


core à Paris, quand il reçut fes Bulles ; & il fut facré dans 


cette Capitale au mois de Décembre 1294, prefque dans le 


même-tems que Céleftin V renonçoit lui-même à la Papauté, 
pour reprendre dans le repos de la folitude fes premiers éxer- 
cices de pénitence & de dévotion. | | 
Guillaume de Nangis, qui raporte le fait, ajoute que le 
nouveau Patriarche arivé à Rome, fut dépofé par Bonifa- 
ce VIIT : ce que M. Sponde atribue uniquement à la réfolu- 
tion qu’avoit pris ce Pape , de défaire tout ce que Son Prédé- 
ceffeur avoit tait (2). Guidonis aflure au contraire , que Raoul 


(x) Frater Radulphus , Gallicus Burgun- | Provincialis Terræ Sanctæ, &c. Bernard. 


dus fuit faétus Patriarcha Jerofolimitanus | Gasidon. ap. Echard. ut fp. | 
per Celeftinum Papam V, anno Dominil (2) Cæterüm quis poft prædiétum Ni- 
3294, Domino Carolo Rege Siciliæ pro-| colaum ( de Anapirs ) fucceflerit ticulo Pa- 
curante, Hic Frater Radulphus fuit Prior } triarchæ Jervfolymitani , minime reperi 


Noann ii; 


Livre 
VI. 


RAOUL DE 


GRANVILLE. 
RER 





nn 


654 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 

LIVRE de Granville, qui vêcut encore dix ans ; fut toujoursregan 

VI. dé , & honoré comme Patriarche de Jérufalem. 

Raour pe Pour acorder les diférens témoignages des ‘deux Auteurs | 
Granvise. Contemporains , le Pere Echard croit que Boniface VIII fit en 
—#” cette ocafñion, ce qu'on lui vit pratiquer en plufieurs autres ; 

Tom. 1, p.45. Ceft-à-dire , qu'il dépofa le Patriarche Titulaire de Jérufa- 

lem , & qu'il le rétablit bientôt après. C'eft ainfi, au raport 

de Nicolas Trivet, que ce Pontife ôta au Cardinal de Billon 

Doyen du Sacré Gollége le Pallium , que lui avoit donné 

faint Céleftin ; mais il ne tarda pas à le lui remétre. Il en ufa à 

peu près de même à . e faint Louis , fecond Fils de 

wading. Odorie. Charles Roi de Sicile. Céleftin V avoit conféré l'Archevèché 

ir. cou,» de Lyon à ce jeune Prince, Fe n'étoit pas encore dans les 

Ordres facrés : Boniface VIII révoqua cette Provifion ; & 

deux ans après il donna au Saint l'Evêché de Touloufe , qui 
vaqua en Cour de Rome le fixiéme de Décembre 1 296. 

e qui peut confirmer le fentiment du Pere Echard , c’eft 
que ni Boniface VIIT , ni fon Succefleur Benoît XI , ne nom- 
mérent aucun autre Patriarche de Jérufalem du vivant de 
Raoul : au lieu que d’abord après fa mort, nous trouvons un 
certain Aticiie Evlane de seu en Angleterre, Elû Pa- 
triarche de Jérufalem par le Pape Clément V. Au refte, ces 
deux Prélats , & ceux qui leur fuccédérent dans le même Ti- 
tre, ne prirent jamais sou de leur Siège. | 

Nous ignorons quelles furent les ocupations du Patriarche 
Raoul pendant tout le Pontificat de Boniface VIII. Benoît XT, 
felon l’Abé Ughel,lui donna l’adminiftration de l’Archevêché 
de Brindes dans le Royaume de Naples. Mais il ne gouverna 
cette Eglife qu'environ un an, étant mort dans le mois de 
Novembre 1304 (1). | 





Ughel. in MS. 
Bullar. Ord, T, 11, 
} À 102. 


mus : nifi quod apud fanétum Antoninum 
legimus où eum eâdem dignitate honefta- 
tos fuifle ejufdem Ordinis Prædicarorum 
profeflores Radulphum Gallicum , & Pe- 
srum de Palude iidem Gallicum & Scriptis 
celebrem : fed hunc Petrum non nifi anno 
1329 creatum fuifle , videbimus eo loco. 
De Radulpho verd invenimus in Chronico 
Nansii fuiffe cum cognomine de Grandi- 


num ; cum Romam accefliffet depoñirum 
fuiffe à Bonifacio VIII, non alià causà , ut 
puto , as quôd Bonifacius ftatim poft 
fuam affumptionem univerfas gratias à Cæ- 
leftino faétas revocavit, ut dicetur fuo loco. 
Spondan. ad An. 1191,n. 11. 

(1) Hic( Radulpbus ) obiit anno 1304 
menfe Novembri, Patriarchatüs fui anno 


| decimo completo. Bern. Guid. in Catal. 
“villa ; ac juflu Cxleftini Papæ V confecra- | Epi/cop, Terra Sancta. 
tum Parifis in Patriarcham Jerofolimita- 


Fin du fixième Livre, 


LL 


tiers nt 
ARMOR IONH EURE 
SR Es 


HISTOIRE 


DES | 
HOMMES ILLUSTRES 
| NANRARRI 
l DE 


SAINT DOM IN IQUE. 








LIVRE SEPTIÉME. 


LE BIENHEUREUX PAPE 
BENOIST Xl. 


UMR) Es Auteurs modernes ne s’acordent guéres XL, XI. 

YA] fur la qualité des Parens de ce faint Pape, 
NT AE connu avant fon Exaltation au Pontificat , 
iy<E, fous le nom de Nicolas Bocafini. La plüpart cols Bo à BNr 

aflurent que fon Pere , nommé ‘Bodaflius , n 

étoit d'une condition fort médiocre, pour 

ne point dire très-obfcure ; fimple Berger, 

felon M. Sponde, & François Duchefne a rès Léandre Al- 

bert; ou Notaire de Trévife, felon M. Fleuri, & l'Auteur 

anonyme des nouvelles Vies des Papes. Un Ecrivain plus ré- 

cent, en fait un homme noble, pourvüû d'une des principales 


14 





— ll dm 2 ms — 


ef, 
"| 
— 
as 
Puf 
TH 
tt 
== |: 
— 
af 
nn 
— 
pr 2 


Q 
s 


> ÉCS E: 
PA AA NAN 


& 
d 


\| 





6,6 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE Charges de la République. Nous n'ofons garentir , ni réfuter 
VII. aucun de ces diférens fentimens ‘parce que nous ne trouvons 
Benoir XI. point d’ancien Auteur, dont le témoignage paroifle aflez ex- 
” près, Ou qui n'ait. pas Été contredit par quelque autre Hifto- 
rien du même fiécle. | 
Ce qu'il y a de certain, c'eft que la Famille du Serviteur 
de Dieu , noble, ou roturiére, a reçu de fon mérite, de fon 
élévation , & de fa fainteté , un éclat qu'elle ne pouvoit lui 
communiquer. L'innocence de fes mœurs dans le fiécle, & 
fes rapides progrès dans lé Religion , le firent également ai- 
mer , eftimer , refpe@er. Il remplit avec honneur toutes les 
Charges de fon Ordre ; parce qu'à la fupériorité de fes talens , 
il joignit toujours une rare modeftie, une fage vigilance , un 
rand amour de la régularité ; & de l’obfervance des Loix. 
| Mais ce fut principalement dans l’'émmente dignité de Cardi- 
nal, & dans celle de Souverain Pontife, qu'il fit admirer 
toutes les vertus, & toutes les qualitez, qui font le grand 
Homme , & le grand Saint ; la prudence ; la modération, la 
fermeté, & fur-rout le zéle de la Religion: je parle d’un zéle 
fage , éclairé, que l'amour de la juftice régle , & que les difi- 
cultez ne rebutent point. Les faits juftifieront l’idée que nous 
donnons d’abord du caraëtére de Nicolas Bocafini. 

IL Il nâquit l'an 1240 à Trévife, Ville d'Italie, Capitale de la 
Ru 0 Marche-Trévifane , alors libre , & gouvernée en toute Sou- 
tion. | veraineté par fes propres Loix , & par fes Magiftrats ; mais 

tombée depuis fous la damination des Vénitiens , qui s'en 
Bcbard, T.1, P. 444 pendirent les maîtres dès l’an 1336. La Patrie de Bocafini fut 
auffi fa premiére Ecole, fon éducation ayant été d’abord con- 
fiée aux foins de fon Oncle paternel , Curé de la Paroiffe de 
faint André , l’une des principales Eglifes de Trévife. Envoyé 
enfuite à Venife, pour y continuer fes Etudes ; 1l çonnut 
bien-tôt la volonté de Dieu fur lui, & il fuivit fa vocation. 
C'eft de lui-même (dit Bernard Guidonis ) que nous favons 
qu'il étoit encore dans la quatorziéme année de fon âge, larf- 
u’il reçut l'Habit de faint Dominique (1) , dans le a 
des faints Jean & Paul Martirs, par conféquent en 1254, vers 





(1) Hic venerabilis Pater, Dominus & 4 profecit ; aliis x1y annis fequentibus exer- 
Magifter quandoque retulit de feipfo, qui | cuit Officium Leétoris ; & x1v aliis annis 
aoverat pleniüs vericacem , qud x1v æta- | in Prælauonis officio in Ordine laboravit , 
gis fuæ anno Prædicatorum Ordinem eftin- | &c. Bern, Guid. in Chron. Magifi. Ord. 
grcllus ; in quo x3v annis primis ftuduis & UE ) 


la 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 657 


k fin du Pontificat d’Innocent IV , ou au commencement de LIVRE 
celui d’Aléxandre IV , fon Succeffeur. IL. 
L’efprit du jeune Novice paroifloit déjaformé. Etfaferveur, Benoit XI. 
ou le défir de fe perfeétionner , le mirent en état de foutenir = 
toute la rigueur de la Régle. Il y auroit même beaucoup ajou- IL. 
té, fi l'obéiffance n'avoit quelquefois modéré la vivacité de Ferveur, & fob- 
. . 1 0 - c piété du jeune 
ce feu naïffant. Obligé de métre des bornes à fes pratiques Novice. 
extérieures de pénitence & de mortification , il n’en mit 
point à celles, "es lefquelles on ne doit jamais craindre d’ex- 
céder. L'amour de Dieu & du Prochain, les bas fentimens de 
lui-même , le renoncement à fa propre volonté, le recueille- 
ment intérieur , l’affiduité à la priére, ou la continuelle mé- 
ditation de la vie & de la doëtrine de JESUS-CHRIST , de fes 
aétions , de fes maximes, de fes confeils , & de fes préceptes : 
ce fut dans l’éxercice de toutes ces vertus, que le faint No- 
vice crut pouvoir donner un libre eflor à fon zéle, & fuivre 
les plus avancés. Ceux qui travailloient heureufement à for- 
mer JESUS-CHRIST dans ce jeune cœur , formés eux-mêmes 
de la main de faint Dominique , ne manquérent pas de lui 
faire comprendre , que pour être l’héritier de fon double ef- 
prit, & remplir toute l'étenduë de fa vocation , 1l devoit af- 
pirer à une fainteté, L rendit fon Miniftére utile au pro- 
chain, & glorieux a l'Eglife. Maxime importante , qu'il ne 
perdit jamais de vüé dans le cours de fes Etudes. Auf tous les 1. 
momens lui étoient-ils précieux : ceux qui lui reftoient après Emploidutms. 
la Pfalmodie & la Priére , illes employoit fcrupuleufement 
ou à lire de bons Livres , particuliérement les divines Ecri- 
tures , ou à écouter les Leçons de fes Maîtres, & à les rete- 
nir ; ou à propofer avec modeftie fes doutes & fes dificultez , 
cherchant toujours, non à briller, mais à profiter, & à 
s’inftruire. . 
On ne doute point qu’il n'ait eu l'avantage de faire une par- 
tie de fes Etudes , fous la dire&tion, & dans les Ecoles de 
faint Thomas d'Aquin. Maïs il n’eft pas néceflaire de le faire 
venir pour cela à Paris, Il eft vrai, comme le remarque le 
Pere Echard , que la Province de Lombardie envoyoit tous 
les ans , deux de {es jeunes Etudians au Coilége de faint Jà- 
ques: cependant nous n'avons point des preuves que Nicolas 
Bocafni ait êté de ce nombre; & nous favons qu'il étudioit 
en Îtalie , pendant que le faint Doëteur faifoit fes Leçons pu- 
bliques de Théologie à Bologne, à Rome, ou à Naples. Sous 
Tome I. Oooo 





658 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES. 


LIVRE untel Maître onne re manquer de faire d'heureux pro- 

. grès , quand à une folide piété, & à toutes les qualitez d’un 
Bsnoîr XI. efprit né pour les fiences , on ajoutoit un grand défir de fa- 
voir, & une férieufe aplication à l'Etude. 

Telles étoient les difpofitions de Bocafini : le travail ne le 
fatiguoit point, parce qu’il l’aimoit. Et les nouvelles connoif- 
fances qu'il aquéroittous les jours , ne le tentérent point de 
vouloir fe diftinguer parmi fes Condifciples, parce qu'ilavoit 
. choïfi la derniére À mes , & qu'il fe regardoit comme le der- 

Humilié, & re. fier de tous. La Providence , pour favorifer fans doute ces 
traite. modeftes fentimens, permit que les Supérieurs de leur côté 
ne fe hâtérent pas de le produire. Pendant quatorze années 
entiéres 1l fut apliqué ou à l'étude de la Philofophie & de la 
Théologie , ou à la leéture des Livres faints. Dans le filence 
& la retraite il médita long-tems les véritez de la Religion, 
avant que de commencer à enfeigner aux autres ce qu'il avoit 
apris. 
YL. Ce tréfor de fience & de fagefle , dont il s’étoit rempli, il 
Zéle du falus des le communiqua enfuite ; &c ce ne fut pas moins l'obéiffance ; 
D e le zéle du falut des ames, qui l’engagérent à faire valoir 
fes talens, foit dans le Miniftére de la Prédication qu'il éxerça 
avec fruit, foit dans les Ecoles, où 1l forma plufieurs Difci- 
les dignes de lui. Profeffeur, & Prédicateur en même-tems, 
Éien loin de négliger fes éxercices ordinaires de dévotion, 
pour fe livrer tout entier à des ocupations fi utiles au pro- 
Chain , l'oraifon étoit toujours comme la premiére fource , 
où il alloit puifer ce qu'il devoit prêcher aux Fidéles, ou ex- 
pliquer à un grand nombre d'Ecoliers. Quelque rapide que 
nous paroifle le tems lorfque nos ocupations fe multiplient , 
nous perdons toujours bien des précieux momens, que l’hom- 
me fage fait métre à profit. À voir le P. Bocafini ne fortir du 
Chœur , où il venoit de chanter les Eouanges de Dieu avec 
fes Freres, que pour reprendre fes éxercices d'Ecole , & ne 
_ finir fes Leçons que pour anoncer la divine Parole à un nom- 
_ breux Auditoire : on eût dit qu'après ces longues priéres, 
ces Leçons de Théologie , & ces fréquentes Prédications , ik 
lui reftoit à peine le tems néceffaire au repos, qui doit fuivre 
le travail. C'étoit cependant dans de nouvelles ocupations 
que le Difciple de JEsus-CHRisT cherchoit à fe délafler des 
premiéres ; & les veilles , qui faifoient une partie de fa péni- 
tence , le méroient en état de fe ménager un loïfir , dont tk 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 659 


rofitoit encore pour écrire divers Ouvrages. Saint Antonin, LIVRE 
L Cardinal Bellarmin , & les autres Auteurs Ecléfiaftiques, ___ VII. 
ont parlé avec éloge de fes Commentaires fur une partie de  Benoir x1. 
l'Evangile & fur les Pfeaumes , de fes Explications fur le 
Livre de Job & fur celui de l’Apocalypfe , & de quelque VII. 
volume de Sermons, qu’il avoit on ï ne faut point dou- | Pieux & favans 
ter que tous ces Ecrits, ou la plus grande partie , ne foient . 
fortis de fa plume dans le tems qu'il enfeignoit, tantôt à Ve- 5" "" 
nife, ou dans l'Univerfité de Bologne , & tantôt dans dife- 
rentes Maifons de fon Ordre en Italie. 

Le Serviteur de Dieu eût volontiers confacré le refte de fes 
jours à lire, à écrire, & à prêcher , tout cela étant aufli con- 
forme à fon état, qu’à cette modeftie qui l'éloignoit du défir ,; 
ou de la penfée même de commander. Mais F Providence pep Role cf 
avoit fur lui d’autres defleins ; & c'étoit en conduifant d’abord fait Provincial de 
quelques Communautez particuliéres , puis une grande Pro- Eombardie, 
vince, & enfuite tout l'Ordre des Freres Prêcheurs, qu'il de- 
voit faire comme fon coup d’eflai, & aprendre à conduire 
un jour tout le Troupeau de JESUS-CHRI1ST. Les vœux de fes 
Freres , & lobéifflance , qui fut toujours fa régle, le firent 
pafler fucceflivement par tous les Dégrez. ne & vigilant Su- 
périeur dans quelques Maifons, la douceur de fon gouverne- 
ment fixa Le les regards de toute la Province de Lombar- 
die, dont il fut élu deux fois Provincial. En cette qualité il 
fe trouva au Chapitre Général , affemblé à Bordeaux par Mu- 
nio de Zamora, l’an 1287. Il affifta aufñ à celui de Tréves 
en 1289. Et dans celui de Strafbourg , tenu au mois de Mai 
1296. Les fufrages de tous les Vocaux fe réunirent pour le  EtneuviémeGe. 
métre à la tête de fon Ordre, dont il a été le neuviéme Géné- ei de fon Or- 
ral, huitième Succeffeur de faint Dominique. 

C'eft en parlant de cette Eleétion , que le favant Evêque de 
Lodéve , Bernard Guidonis , qui vivoit dans ce tems-là, & 

ui avoit conver{é familiérement avec le Bienheureux Nicolas 
ocafini , l’apelle un homme digne de toute louange , un vrai 
Ifraëlite par armee de fes mœurs , un parfait modéle de 
vertu, & un miroir de religion , de dévotion , de fainteté par 
la fagefle , & la ferveur de Le zèle ; un Religieux enfin agréa- 
. ble à Dieu , & aux hommes par les charmes d’une douceur 
véritablement chrétienne (#). Il ajoute que la modeftie & 
(1) In ifto generali Capitulo ( Argenti- | nerabilis femper, & omni lande dignus 
4) fuit ele@usin Magüftrum Ordinis, ve- | Parer, ac vert Lraclita, Frater Nicolaus.de 
Oooo ji 


LIVRE 
VII. 


Benoit XI. 





D. + t.- 2 





Bullar. Ord. T. I , 
}e 4+ 


660 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


l'humilité paroifloient peintes fur fon front ; & qu’une noble 
fimplicité , jointe à une gravité fans afe@tation , lui atiroit l’a- 
mour & les refpelts de tous ceux , qui avoient le bonheur de 
le pratiquer. 

On ne dira point que cet éloge foit outré , fi on fait aten- 
tion , & à la vie qu'avoit mené jufqu'alors ce digne Supérieur , 
& à la maniére dont il s’aquita depuis de fes glorieux Énolnh. 
Le même Ecrivain, qui ne parle que de ce qu'il avoit vüû, 
nous aflure que pendant deux ans & demi que Niboles Boca- 
fini eut l’adminiftration de tout fon Ordre, il le gouverna 
dans un efprit d’humilité & de paix, toujours zélé pour le 
maintien de la difcipline réguliére , & faifant obferver la Ré- 
gle , moins par fon autorité que par fes éxemples. 

Dans le Chapitre de fon Eleëtion (où, felon la Chronique 
de Colmar, ils ne fe trouvérent pas moins de neuf cens Reli- 
gieux) le pieux Général reçut un Bref de Boniface VIII; & 
en conféquence de ces Lettres Apoftoliques , il ordonna que 
dans tous les Couvens & Monaftéres de fon Ordre, tant en 
Italie, … dans les autres Royaumes , on célébreroit défor- 
mais la Fête des quatre grands Doûteurs de l’Eglife Latine ; 
faint Grégoire, faint Achat , faint Auguftin, & faint Jé- 
rôme , avec la même folemnité , que le Pape venoit de pref- 
crire par fa Bulle du vingtiéme de Septembre 1295. Mais en 
recommandant à tous fes Freres de rendre un culte plus fo- 
lemnel à ces illuftres Saints , dont les fublimes vertus ont édi- 
fié toute l'Eglife , & qui l’éclairent encore par leurs précieux 
Ecrits, notre Général ne les exhortoit pas moins à £ rendre. 
eux-mêmes leurs fidéles Difciples, & RS imitateurs ; afin 
que comme des lampes ardentes & lumineufes , 1ls puffent ré- 
pandre parmi les Peuples la lumiére de la doétrine , & le feu 
de la charité. | 

La Lettre pleine de piété & d'onttion, que le nouveau Gé- 
néral écrivit du Chapitre de Strafbourg à tous les Religieux 
de fon Ordre, nous Éi connoître quels étoient les fentimens 
de fon cœur , & les maximes, dont il faifoit fa régle. Pour 
le repréfenter par fes propres traits , il nous fufit de traduire 
sci cette Lettre, dans TN fans y penfer, il s'eft en quel- 


Tervifio, Lombardus, virtutum jubar , Re- |teriori homine veneranda humilitas , ad. 
igiofis fpeculum, devotione fan@us , zclo | miranda fanétitas , multa benignitas , miræ 

crvidus , fapientià clarus , Deo & homini- | in converfatione fimplicitas, accepta mat 
bus gratiofus, Lucebat infuper in ipfius ex- fricas in inceflu, &c. Bern. Gaia, mi /p. 


+ — 


EN ea Ti > …" 


&- 


Le V 


D 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 6ér 


Fe maniére dépeint lui-même, en faifant le portrait d’un 


aint , & parfait Religieux. 


[TN Dei Filio fibi diletis Fra- 

tribus univerfis Ordinis Fra- 
trum Predicatorum , Frater Ni- 
colaus ejufdem Ordinis ; inutilis 
Servus , SALUTEM , G cœleffis 
gratia continua incrementa. 

Apofolica docet auütoritas omnes 
nos oportere ante Tribunal aterni 
Judicis affifiere , de its que in mor- 
#ali corpore gefimus rationem per 
fingula reddituros. Hujus itaque 
sremends Judicii, © exaita rationis 
non immemor , vos omnes C7 fingu- 
dos | quorum curam nuper [ufceps 
smmeritus € invitus, cogor ex fol- 
licitudine mibs impofiti officii [alu- 
taribus informare monitis, © [a- 
cris exbortationsbus ad vicsniora [a- 
lati vigilantius excitare. 

Eia ergo, Fratres chariffimi , vo- 
cationem vefiram recolite , € in ea 
perfifientes, firmius que voviflss Deo 
vota perfolvite. State fucciniti Ium- 
bos veffros cingulo caflitatis,ardentes 
lucernas bonorum operum in prefen- 
tis noctis caligine deferentes in ma- 
nibus ; ut digne poffiris fponfo occur- 
rere venienti. Non fit in vobis quif- 
quam torpens otio, non manus 4d 
operandum remiffa ; [edunufquifque 
än vinea Domins tanquam apis 4r- 
gumentofa defervtat, denarium E- 
pangelicum pro Laborss opere finals- 
ter recepturus. 

Vigear in vobis paupertatis amor, 
obedientie promptitudo , animarum 
xelus, clara fame opinio, fraterni- 
satis charitas, virtatis jubar ; & 
atverum fit dicere , luceat lux ve- 
fra coram hominibus , ut videnres 
veffram converfationem laudabilem, 
Deum glorificent in excelfis. Sacra 
dettio de veffris manibus non rece- 


#lat ; [ed babentes folatio facros Li- 


Tous fes chers Freres en JEsus- 

, \ CHRrisT, les Supérieurs , & tous 

les Religieux de l'Ordre des Freres 

Prècheurs » Frere Nicolas, leur Servi- 

teur inutile > SALUT, & perpétuel 
acroiflement de Grace. 

L'Apôtre nous avertit , que nous 
comparoîtrons tous devant le Tribunal 
du Souverain Juge , pour y rendre un 
comte éxaét de tout ce que nous aurons 
fait pendant cette vie mortelle. Vive- 
ment pénétré du fouvenir de ce redou- 
table Jugement , & chargé mainte- 
nant (malgré monincapacité, & con- 
tre ma volonté ) de votre conduite , je 


me vois dans la néceflité de vous don- 


ner quelques falutaires avis , afin de 


vous exciter à chercher avec une nou- 


velle atention, & une plus parfaite vi- 
gilance ce qui peut aflurer votre falur. 
Confidérez- donc , mes très- chers 
Freres, l’excélence , & les engagemens 
de votre vocation. Et toujours fidéles à 
la Grace, qui vous a apellés à être faints 
& irrépréhenfibles , rendez à Dieu ce 
que vous lui avez promis ; lorfque vous 
vous êtes fi fagement atachés à lui par 
la Profeffion do mé Que la chafteré 
{oit la ceinture de vos reins: Et tenant 
dans vos mains la lampe d’une fervente 
dévorion ; pour diffiper les ténébres de 
cette obfcure nuit par des œuvres de 


LIVRE 
VII. 


Benoît XI. 





X. 
Premiére Lettre 
circulaire du B. Ni- 
colas Bocafini à 
tous les Religieux 


de fon Ordre. 


Ap. Marten.T.1Y, 
Anecdotor. Cal, 
MDCCCLXY. 


e / . 
lumiére ; foyez toujours en état d'aller | 


au devant de l'Epoux, quand il vous 
apellera à lui. Fuyez tous avec foin 


l'oifiveté ; la parefe , la tiédeur , ou 


les vaines ocupations ; afin qu’affidus à 
travailler dans la Vigne du Seigneur , 
chacun felon vostalens, vous méritiez 
de recevoir à la fin du jour le denier du 
falaire Evangélique. 

Que l'amour de la pauvreté retigieu- 
fe , la promtitude de l’obéïffance , le 
zle du falut des ames , la bonne odeux 


Oooa iij 


LIVRE 
VII. 


un 


Benoir XI. 
| 











662 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


d'une réputation fans tache, La charité 
fraternelle , & l'éclat de toutes les ver- 
tus , faflent briller votre lumiére devant 
les hommes , & les portent à glorifier 
avec vous le Pere Célefte. Je défire fur- 
tour que les Livres faints ne fortent ja- 
mais de vos mains ; faites-en vos plus 
chaftes délices, l'objet de votre plus dou- 
ce ocupation, & votre unique confola- 
on. Méditez-les dans vos cellules , & 
que certe fainte lecture vous fafle évier 
toutes les courfes , qui ne feroient point 
ordonnées par l’obéiffance , ou réglées 
par la charité. Craignez furtour les inu- 
tiles entretiens avec des perfonnes,dont 
le {exe , & les feduifans difcours amo- 
lient fouvent le cœur des plus . : 
font perdre quelquefois le goût de la 
piété, & peuvent cernir la réputarion. 
Commencez, & finiflez toujours vos 
lectures par la priére , qui vous rendra 
familiére la préfence de Dieu, & vous 
unira à lui par les liens du chafte amour, 
& le défir des biens éternels. N'ou- 
bliez point de rendre à tous les Supé- 
rieurs Ecléfiaftiques, l'honneur & le ref- 
eét qui leur font dus , évitant foigneu- 
tout ce qui pourroit leur dé- 
laire ; car, felon l’avertiflement de 
FA pôtre , les Prêtres qui gouvernent 
bien, méritent d’être doublement ho- 
norés. Redoublez aufli vos atentions, 
pour faire régner en vous cette divine 
charité , qui eft le lien de la perfec- 
tion : qu'elle foit l'ame, le princi- 
e, & la régle de vos défirs ; & qu’en 
ere de plus en plus les nœuds 
de vos cœurs, elle banifle pour tou- 
jours les a . les diffenfions , & 
tout ce qui feroit capable d’altérer , ou 
d'afoiblir cette douce paix, que l’Ef- 
rit du Seigneur fait goùter aux ames 
délles. En confervant ainf la charité 
fraternelle , nous ferons dans la Mai. 
fon du Seigneur, comme n'ayant tous 
qu'un même efprit, & un même cœur. 
Faires en forte, que dans toute votre 


bros ; evagandi occafiones prefiini 
dite, diféurfus refrenate inutiles ; 
in cellis tanquam veri cœlicole 

refidete. Familiarisares mulicrum 

incantas [ummopere declinase , qua- 

rum blanda colloquia etiam viriles 
ansmos emolliunt , Religioforum fa- 

mam fufant , © de virtatum arce 
dejiciunt virtaefos. 

Leitiens jungatur oratie, que ef 
guoddam cum Deo femiliare callo-: 
quium, C catena aures, per qua. 
rationalis ansmas a rerrenis trabi- 
tur 4d divine Pralatis Ecclefia- 
rum , quos amplior dignites cfhcit 
digniores | cond reverenttans 
exbibete, ab corum offenfis diligen- 
tifime abflinentes : nam & Apofto- 
licus fermo mandat , quod Presbi- 
teri qui bene prefunt , digni honore 
duplics babeantur. Super omnia su- 
tem mutuam in vobifmet ipfis cha- 
ritatem , que vinculum perfe“ionis 
exiflit, babere & cenfervare [atæ- 
gite, eamdem mutuss obfequiis , & 
bonortbus confoventes. Sitis, di- 
lectifimi , folliciri fervare unitarem 
fhiritüs in vinculo pacis. Ceffent 
Jurgia 5 tollantur lirigia ; © in- 
aqualitares cum exactà diligentia 
caveantur. Unufquifque que ad pa- 
cem funt fapiat , © loquatur ; © 
omnes tAnquaM Viri MNÈMS AMOTÉS 
G cordis in Domo Domini pariter 
babitemus. In inceffu , flan, ba- 
bitu , © in omnibus motibus veftris 
nchil fiat quod cujufquam offendat 
afpeilum ; [ed quod veftram deceat 
fanctitatem. 

Ad hoc vefiram fandtitatem ro> 
go, © exhortor in Domino quate- 
nus simperfeitum meum , quod ex 
multis conflarur defeitibus , veftris 
orationtbus fupportetis , divinam in- 
terpellantes clementiam , ut ad por- 
tandam importabilem mibi Magifle- 
rii farcinam vires tribuat , in/uffi= 


7 DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 66; 


sientiam fupplear 3 & in falutari conduite, dans vos actions, &c dans 
fuo regentis aîtus dirigat univerfos, vos démarches, il ne paroiffe rien que 
ut tempore mei regiminis, quodto- d'édifiant ; rien qui ne réponde à la 
tum ex intimis cordis propono vefiris  fainteté de votre état. 

Mmancipare profeitibus , Ordo nofier Je vous fuplie encore , & je vous con- 
previa femper divin gratis , & jure dans la charité du Seigneur , de 


merite Ÿ numero augeatur. faire pour moi des pricres particuliéres. 
Datum Argentine anno Domini  Non-contens de fuporter mes défauts, 
1296. . & mes some imperfections , aidez- 
moi à foutenir le poids de la Charge 


qu’on m'a impolfée ; & ne ceflez de demander à celui qui eft riche en mi- 
Cricorde » qu'il daigne m'éclairer , ou me conduire lui-même, afin que 
mes foins, & toutes les aténrions, que je dois confacrer à votre avance- 
ment, puiflent vous être utiles ; & que notre faint Ordre , pendant que 
j'aurai l'honneur de le gouverner , croifle toujours par le nombre , & le 
mérite des Sujets. 

Fait à Strafbourg , l’an de Notre-Seigneur 1 296. 


On peut connoître par cette Lettre quel étoit l'efprit qui 
‘animoit notre gr Général; efprit de zéle , de charité, de 
paix,& d'humilité. Ses aétions s’acordoient parfaitement avec 
des paroles , parce que fon vrai caraftére , ou fes vertus fa- 
vorites furent toujours la fincérité , la droiture , la candeur. 
Mais les fentimens , dont fon cœur étoit rempli, il vouloit 
les infpirer à tous ceux qui étoient fous fa Mae ar ; & pour 
rendre fes exhortations plus éficaces , il fe hâta de commen- 
cer les vifites de fon Dites , afin de foutenir par fa préfence, 
ce qu'il avoit voulu perfuader par fes Ecrits. Nous ne trou- 
vons point qu'il ait fait un long {éjour dans l’Alface, ni qu'il 
ait pénétré ie les Provinces d'Allemagne. Des afaires plus 
mo ain le rapelloient en Italie , divifée alors & comme dé- 
chirée par des diffenfions inteftines , qui fembloient menacer 
toute l'Eglife d’un cruel fchifme prefque prêt à éclore. 

Le caraétére du Pape Boniface VIII lui avoit déja atiré un 
LL nombre de puiffans ennemis dans la Cour même de 

ome. Les deux Sp ra Colonne , Oncle & Neveu, 
étoient à la tête de ceux qui ofoient difputer au Succefleur de 
Céleftin V , la qualité de Souverain Pontife, ou la validité de 
{on Eleëtion. Celui-ci lançoit fes foudres ; & ceux-là, foute- 
nus de tout le crédit de leur illuftre Maïfon, menaçoient à 
leur tour , & faifoient tous les jours de nouvelles entreprifes. 
Les Grands & les Petits prenoient déja Parti , chacun felon 
fes préjugez , fes inclinations , ou fes intérêts. Ces démêlez x 


LIVRE 
VII 


Benoit XI. 
a 





ZT. 
Election du Pape 
Boniface VILL ata. 
quée, 


664 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE qui furent pouflés (comme on fait) jufqu'à une guerre ou= 
_VIL.__ verte, ne pouvoient anoncer que des fuites les plus triftes & 
Benoîr XI. les plus funeftes. Quoique notre Général connût mieux que 
= _perfonne quel étoit l’atachement de tout fon Ordre à la Chaire 
Apoftolique ,i & aux Succeffeurs de faint Pierre, il crut qu'il 
étoit de fon devoir de précautionner de bonne heure fes Reli- 
gieux contre une contagion, qui gagnoit les efprits ; & qui 
par fes rapides progrès avoit déja porté le trouble avec la Fra 
vifion dans la plüpart des Villes & des Provinces. Le danger x 
étoit plus prochain en Italie ; & ce fut là qu’il jugea fa pré- 
IX. fence plus néceflaire. | 
Sn Pet Après avoir vifité la plus grande partie des Maifons de fon 
néral Ordre , non-feulement dans l'Etat Écléfiaftique , & la Lom- 
bardie, mais auffi dans la Tofcane , & peut-être dans l’une 
& l’autre Sicile , il fe rendit à Venife ; & il affembla fon Cha- 
pitre Général de 1297 dans le même Couvent , où quarante- 
trois ans auparavant il avoit pris l’'Habit Religieux. Parmi 
les Ordonnances , que le fage Supérieur publia dans cette 
nombreufe Aflemblée , j'en remarque une, qui regardoit les 
troubles , dont l'Eglife étoit agitée, & que Bernard Guidonis 
» raporte en ces termes (1) : “ Puifqu'l eft de notre devoir, 
& de notre profeflion particulière de rechercher avec foin 
» la paix de l'Eglife , & de Nous employer avec zéle à la 
procurer, ou à l'entretenir, Nous défendons très-expreffé- 
ment, & en vertu de la fainte obéiffance à tous nos Reli- 
» gieux, de favorifer en quelque manière que ce puifle être, 
re en public, ou en fecret, les coupables deffeins de ceux 
» qui fe font témérairement élevés contre le Souverain Pon- 
» tife. Et nous voulons qu'ils prêchent par-tout hautement 
» (& qu'ils foutiennent de même dans toutes les ocafions } 
» que notre Saint Pere le Pape Boniface VIIL , eft le véritable 
an in de S. Pierre, & le Vicaire de JESUS-CHRIST. 
Dans la Lettre circulaire , que le faint Général adreffa du 
même Chapitre de Venife à toutes les Provinces , & à toutes 
les Maifons de fon Ordre, il ne recommandoit pas avec 


(1) Cüm ex ordinatione flatüs noftri pa- | dere confilium , auxilium, vel favorem : 
cem Ecclefiæ quærere, fovere, ac tueri pro | mandantes nihilominus, & diftriété injun- 
viribus debeamus, diftritè præcipimus Fra- | gentes quod in prædicationibus publicis ( & 
tribus univerfis in virtute obedicntiæ, ne | alias cum fuerit opportunum ) fre ,) & 
quis illis qui contra Dominum noftrum | conftanter aflerant Dominum Bonifacium 
pate Pontificem , Dominum Bonifa- | efle verè Papam , Succeflorem Petri, & Vi, 
cium, ac Romanam Ecclefiam fe erexe- | carium Jefu Chrifti. Bern. Guid. apud Mar. 

-unt, audeat occulté vel manifelte impen- | sens, T. [W, Anecaot, Col, mocccixvi. 


moins 








» 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 66s 


moins de force cet inviolable atachement au Pontife, queles LIVRE 
fufrages des Cardinaux avoient placé fur le Saint Siège : 
# Dans la tribulation , difoit-il, que quelques-uns s'éfor- “  Benoir XI. 
cent de fufciter à la Sainte Eglife , en ataquant la Per- < 
fonne de fon légitime Pañfteur , opofez-vous, Mes très- « 
chers Freres, comme des colonnes de fer , ou des murs # 
d'airain , à leurs injuftes & audacieux atentats : repouflez- # 
les avec toute l’ardeur , & tout le zéle , que des lo doi- “ 
vent avoir pour l'honneur de leur Pere outragé ; & que “ 
Notre Ordre en particulier doit faire paroître, lorfqu'on “ 
ofe calomnieufement ataquer le Succeffeur du Prince des # 
« 
« 
«€ 








Apôtres. Mais, pour détourner les maux, dont la Sainte 
Epglife eft menacée, & avancer la fin des calamitez qui l’afli- 
gent attuellement , je vous conjure par la charité de No- 
tre-Seigneur JESUS-CHRIST, de fraper fans cefle aux “ 
oreilles de la divine Bonté, par des humbles fuplica- 
tions , & par la voix de vos priéres, qui doivent être d’au- 
tant plus rire , qu'elles font plus continuelles (1) ,. 
Pour connoître combien pur & défintéréflé étoit ce zéle 
du Serviteur de Dieu, il eft bon de fe fouvenir, que Boni- 
face VIII (aufhi peu porté à ménager les amis, qu'à garder 
uelques mefures avec les ennemis) venoit de donner une 
Bulle , dont les Réguliers n’avoient point lieu d’être contens, 
& que notre Général, devenu depuis fon Succeffeur , fe crut 
obligé de révoquer. Mais l'efprit de JESUS-CHRIST , qui eft 
un efprit de nee & de paix , lui avoit +. à démêler les 
intérêts particuliers , de ceux de la Maïfon du Seigneur ; & à 
facrifier les priviléges mêmes de fon Ordre (les plus folem- 
nellement acordés par plufieurs Papes) à la foumiffion , à 
l’obéiflance, & au refpe& , qu'il falloit rendre à. celui qui fe. 
trouvoit revêtu de la même autorité , quoiqu'ilne montrât pas 
toujours les mêmes difpofitions. 
Une conduite fi pleine de fagefle & de modération aug- XL. 
» A: F 7 ?  Nonce Apoftoli- 
menta beaucoup l’eftime, que la Cour de Rome faifoit déja que enFrance, 
des vertus du pieux Général. Le Pape, lui-même connoiffant 
les quatitez de fon efprit, commença à l’honorer de fa con- 


à S 


(1) In tribulatione quam quidam con-| gnitatis. Ad quæ mala vitanda , quælo, 

tra facro-fanam Sedem & Paftorem ejus | Fratres chariflimi, aures divinæ clementix 

nuper fufcitare conantur, vos pro Domo | pulfate fedulà orationum inftantià , quas 

Domini inçxpugnabilem murum opponite, | utique tanto fanétiores habetis , quanto 

zelantes tanquam devoti & graci filii Pater- | crebrius effunduntur, &c. Ap, Marten, ut 
+ puim honorem, & apicem Apoltolicæ di- | /p, Col. mocccixix. 


Tome I, Pppp 


LIVRE 
VII. 


Benoir XI. 








XIV. 

Ï] accepte la Fon- 
dation du Monaf- 
tére Royal de Poif- 
{y ÿ 


666 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


fiance, & à le charger de plus importantes négociations. Gui- 
donis nous spot que Sa Sainteté le joignit aux deux Car- 
dinaux Légats, qui devoient travailler , ou à procurer une 
folide paix , ou à fufpendre du moins les hoftilitez , entre le 
Roi Très-Chrétien, ke celui d'Angleterre (1). Tout fembloit 
s'opofer au fuccès de cette négociation , les intérêts des Prin- 
ces qui avoient pris les armes, leur caraëtére d’efprit & de 
cœur , encore plus opofé que leurs intérêts, les avantages, 
qu'ils fe prométoient de part & d'autre en continuant la guer- 
re ; les grandes forces qu'ils avoient mifes fur pié pour la fou- 
tenir. Ajoutez à cela le défir de la gloire, ou de la vengeance, 

ui animoit les deux Nations ; & les préjugez qu'on avoit 
déja conçus contre les vüës fecrètes d’un Pontife, qui fem- 
bloit vouloir impofer la Loi aux Souverains , à qui 1l ofroit 
fa médiation. Malgré toutes ces dificultez , le fage négocia- 
teur, habile dans l’art de manier les efprits, & de les per- 
fuader , traita cette grande afaire d'une maniére , qui lui atira 
l'amitié, ou la confidération des deux Monarques, & quine 
fut pas moins agréable au Souverain Pontife. 

FAR Ten le cours de la négociation , Nicolas Bocafini af- 
fembla dans la Ville de Mets jo 1298 , fon troifiéme & der- 
nier Chapitre Général, dans lequel il eut l'honneur de rece- 
voir Fi prie du Roi Philippe le Bel. Ce Prince, voulant 
donner à l'Ordre de faint Dominique des marques de fa re- 
connoiïffance pour le zéle , avec lequel ces Religieux s’étoient 
portés à foliciter la Canonifation de faint Louis , avoit réfolu 
de faire bâtir un magnifique Monaftére à Poiffy , dans le pro- 

re lieu , où le faint Roi étoit né. Et en propofant fon deffein 
ï notre Général, Sa Majefté l’exhortoit à prendre fous fa ju- 
rifdition ce Sanétuaire , deftiné à la retraite de cent Religieu- 
fes , dont la principale ocupation le jour & la nuit feroit de 
chanter les louanges de Dieu , de rendre au Saint, nouvelle- 
ment canonifé, le culte, que du cu venoit de lui décerner ,& 
de prier pour la En de la Famille Royale, On ne nous a 
point confervé les Lettres du Roi , ni la réponfe du Pere Gé- 
néral. Mais nous en trouvons une autre, que le Par a, OR 


(1) Rex Romanorum cum de Alfatia | carorum , ac Miniftrum Ordinis Minorum , 
perveniflet ad terram inferiorem , congre- ad Reges fupra memoratos , ut inter eos ad: 
gavit exercitum, ut cum Reve Angliæ ter- pute facerent pacem , vel fimpliciter con 
ram Regis Fränciæ pro viribus demoliretur. | cordarent , &c. Bern. Guid. ap. Echard à 
Audicns hæc Papa. .... milfit duos Lega-|T. I, p. 445. 
cos, & Magiftrum Ordinis Fratrum Prædi- 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 667 


écrivit pour le même fujet au Provincial de France. Cette 
derniére Lettre eft datée de Pontoife, le vingt-cinquiéme de 
Juin 1299; & il y eft parlé de la précédente , aufhi bien que 
de l'agrément du Pere Général, & de fon Chapitre de Mets, 
pour a Fondation du nouveau Monaftére (1). 
Tandis que la piété & la magnificence du Petit-Fils de faint 
Louis éclatoient dans la rar d'un Temple augufte, 
ui devoit être confacré à Dieu , fous l’invocation du faint 
Confeffeur , notre Bienheureux Nicolas de Trévife faifoit pa- 
roître fon zéle, tant par fes atentions à étendre le culte du 
même Saint, dont il & célébrer dès-lors la Fête dans toutes 
les Maifons de fon Ordre, que par le foin qu'il eut de choifir 
des Hommes apoñftoliques , pour les envoyer dans les Pays 
des Infidéles. Dans le dernier Chapitre Général ; il avoit fpé- 
cialement recommandé à tous les Provinciaux, de lui faire 
connoître les Sujets, qu'ils jugeroient les plus propres pour 
anoncer la Foi aux Gentils, & leur donner la er te 
de JEsUSs-CHRIST. Mais dans le cours de fes vifites, il éxa- 


minoit lui-même la capacité, la vocation, le cara@tére d’ef-. 


prit des Religieux, qui fe préfentoient pour ces Miflions au 
loin ; & no par il faifoit connoître la volonté de Dieu à 
ceux, dont le zéle étoit encore arêté ,.ou combatu par une 
louable humilité. Pendant que dans ces tranquilles ocupa- 
tions , le Serviteur de Dieu parcouroit nos Provinces de Fran- 
ce, toute l'Italie fe trouvoit dans les plus violentes agitations. 
Boniface VIII, retiré à Rieti avec les Cardinaux , venoit de 
ublier la Croifade contre les Colonnes, dont il faifoit abatre 
es Maïfons , les Palais, & les Places-Fortes , fans épargner 
la Ville de Paleftrine, qui par fes ordres fut ruinée, & ren- 
verfée de fond en comble. | 
À toutes ces calamitez le Ciel ajouta de nouveaux fleaux : 
On fentit de grandes fecoufles de terre, qui allarmérent fur- 


© (1) Philippus Dei gratà Francorum 
Rex , dilecto nobis in Chrifto Fratri Guil- 
lelmo Priori Provinciali Fratrum Prædica- 
torum in Francia , ac totius Ordinis Vica- 
rio generali , Salutem. 

Cum nos in honorem glorioffimi Confef- 
foris Beati Ludovici , quondam Regis Fran- 
corum , Monafterium Sororum inclufarum 
Ordinis veftri apud Pifliacum conftrui fa- 
ciamus , bonis Regalibus fundandum juxta 
aunificentiam Regiam, & dotandum, cu- 


jus Monafterii curam venerabilis Pater Fra- 
ter Nicolaus tunc Magifter Ordinis, nunc 
vero facro-fantæ Romanz Ecclefix Prefbi- 
ter Cardinalis, de confilio ac confenfu De- 
finitorum, ac totius Capituli generalis, an- 
no Domini 1298 Mechis celcbrati, preci- 


LIVRE 
VII. 


Benoît XL. 
RE Et À 


Et envoye des 
Prédicateurs dans 
les Païs des Infidé 
les. 


bus noftris humiliter annuens devoté fuf- : 


cepit, eo modo quo alia Monaftcria ta- 
lium Sororum Ordini veftro funt annexa, 
&c. Vide ap. Patrem Rechac. p. 656. 


Pppp5 


668 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE toutles Habitans de Rieti, & toutela Cour du Pape. Jean Vil- 

VIT. lani, & Bernard Guidonis, tous deux Auteurs contemporains, 

Benoit XI. €n parlent ainfi: Le premier Dimanche de l'Avent 1198, 

_” un violent tremblement de terre, qui commença à fe faire 

XVI. fentir à Rieti, & dans les lieux voifins, renverfa plufieurs 

Ro Re Edifices, Bourgs, ou Châteaux. Une Ville entiére fut en- 

hali,  gloutie pendant la nuit; & bien des gens eurent le malheur 

d'y périr. Le Pape, & les Cardinaux dans une grande frayeur, 

fe retirérent au Couvent des Freres Prècheurs, qui fe trou- 

vant dans un lieu folide , & fort élevé , paroifloit moins ex- 

ofé. On dreffa à la hâte au milieu du Jardin une efpéce de 

Ponte , Où le Saint Pere pafñfa la nuit, fous de foibles plan- 

ches, pendant que les Cure de Rüietr, hommes, fem- 

mes , enfans , pour n'être point écrafés fous les ruines des 

Maifons , erroient le jour & la nuit dans les Campagnes, 

À on oian & fe trouvoient fouvent renverfés » ne pouvant fe tenir fur 

US leurs piés ; tant les agitations de la terre étoient violentes : 
PE PS mais elles n’étoient point continuelles. 

Ce fut deux jours après cette époque mémorable que le 

Pape Boniface VIIT, créa fix nouveaux Cardinaux ; Gonfalve 

Rodriguès, Efpagnol, Archevêque de Toléde, Cardinal Evé- 

ue d'Albane; Thierr: Rainier d'Orviete élu Archevêque de 

Die , fut fait Cardinal Prêtre du Titre de Sainte Croix en Jé- 

rufalem ; Nicolas Bocafini, Général des Freres Prêcheurs, 

Cardinal Prêtre du Titre de fainte Sabine ; Gentil de Monte- 

fiore , Miniftre des Freres Mineurs , Cardinal Prêtre du Titre 

de faint Silveftre. Les deux derniers furent Cardinaux Dia- 

cres ; Luc de Fiefqui noble Gênois , eut le Titre de fainte Ma- 

rie nr Via lata , & Richard Petroni de Sienne, celui de 

faint Euftache. , 

XVIL. La première nouvelle de cette Promotion fut aportée à no- 

Pendant le féjour tre Général dans le Monaftére de Prouille, où il avoit fait fa- 

RS vifite , & pañlé les Fêtes de Noël. S'étant enfuite rendu au 

Cardinal. - Couvent de Carcaflonne, Bernard Guidonis, alors Prieur 

de cette Maifon, eut l’honneur de le recevoir, & de l’inf- 

truire des troubles nouvellement excités dans ce Pays par 

quelque refte d’Albigeois. Le nouveau Cardinal continua fa 

route par Narbonne , où en préfence de plufieurs Chanoines 

de la Métropole, & d'un grand nombre de fes Religieux , 1k 

fit lire le Bref, qu'il venait de recevoir ; & qui étoit conçû 

en ces termes : 


r 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 669 


ONIFACIUS Epifto- 
pus Servus Servorum Dei, di- 
deito Filio Fratri Nicolao de Tar- 
vifio, quondam Magifiro Ordinis 
Fratrum Predicatorum , in Sacrv- 
fanile Romane Ecclefie Presbire- 
rum Cardinalem affjumpto, SAru- 
TEM, @ Apoflolicam Benedictio- 
nem. 
Inter ceteros Ordines , in agro 
plantatos Domintco, facrum Fra- 
trum Pradicatorum dileximus bac- 
tenus , © diligere non ceflamus ; ad 
€4 , que profperum flatum ejus , 
Jusque honoris refpiciunt incremen- 
ta, paternis fludiss intendentes. Vo- 
lentes itaque Perfondin ruam, quam 
laudabilis fama refert , ac fide digna 
clamat affertio, claris virtutum in 
fignsis decorari, & in te prefatum 
Ordinem multipliciter bonorure ; 
te nuper de Fratrum noffrorum con- 
filio, © affenfu , in Presbiterum 
Cardinalem fantle Romane Eccle- 
fie duximus afjumendum. Quo circa 
diftretiont tue per Apoftolica Scrip- 
ta Mmandamus , quatenus impofitum 
tibi onus 4 Domino , prompta devo- 
tione fufcipiens , te , fubmoto dila- 
tionis obflaculo, prepares ad noftram 
prefentiam quam citius accef]urum. 
Datum Reate Nonis Decembris, 
Pontificatäs noftri anno quarto. 


ONIFACE, Evèque , Serviteur 
B des Serviteurs de Dieu , à notre 
cher Fils, le Frere Nicolas de Trevife, 
autrefois Général de l'Ordre des Freres 
Prècheurs , à préfenc Cardinal Prêtre 
de la fainre Eglife Romaine, Sazur, 
& Bénédiction Apoftolique. 
Parmi tous les Ordres Religieux, qui 
travaillent dans la Vigne du Seigneur, 
Nous avons toujours particuliéremenc 


aimé le faint Inftituc des Freres Prè- 


cheurs ; & l’afection que nous ne cef- 
fons de lui porter , fait que nous veil- 
lons avec les atentions d'un Pere à tout 
ce qui peut contribuer à la profpérité 
de bn Etat , & à l’acroiflement de fà 
Gloire. C’eft pourquoi , inftruits de vos 
mérites, pat la haute réputation que 
vous ont aquis vos grandes vertus , &c 
voulant honorer dans votre Perfonne 
tout l'Ordre dont vous faites profef- 
fion , de l'avis & avec l'agrément de 
nos Freres, Nous vous avons élevé à 
la dignité de Cardinal Prêtre de la 
faince Eglife Romaine. Nous vous or- 
donnons donc par ces Lettres Apofto- 
liques , d'accepter avec foumiflion & 
fans aucun délai le fardeau qu’il a plü 
au Seigneur de vous Hoi Et ne 
diférez point de vous rendre en notre 
préfence. 

Fair à Rieti le cinquième jour de Dé- 
cembre , la quatrième année de notre 
Ponufcat. 


L'éclat de la Pourpre n’éblouit point l’'humble & modefte 


Religieux. Bien loin d’avoir jamais afpiré à cette éminente 
dignité , il s’étoit toujours cru bien au-deffous de celles , où 
on l'avoit élevé dans fon Ordre : les Religieux qui étoient 
auprès de lui, lorfqu’on aprit la nouvelle de fa Promotion au 
Cardinalat, aflürent qu’il en fut allarmé, & que les ordres 

récis de Sa Sainteté lui firent répandre un torrent de larmes. 
ï fe foumit néanmoins , foit par la perfuañon de fes amis, 
qu'il avoit confultés avant que de faire lire le Bref; foit parce 
que connoiflant mieux que perfonne le génie & la fermeté du 


Ppppii 


LIVRE 
VII. 


Benoit XI. 
D 


XVIII. 
Bref de Boniface 


VIII. 


Bullar, Ord.T.IT, 
Pe sf. 


Ap. Echaid. 5 ls 
P. 446. 
XIX. 
Modeftie du 
nouveau Cardinal. 


670 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE Pape, il n’ofoit fe flater de le faire changer de réfolution. 
VII. Ainfi ayant fait rompre les fceaux de fon Ofice de Général, 
Benoîr XI. il partit en diligence pour fe rendre auprès du Saint Siège. 
=” On ne vit aucun changement, ni dans fes habits , ni dans fes 
maniéres ; parce qu’il n’y en avoit point dans fon intérieur. 
En fe préfentant au Pape , au lieu d’un difcours étudié , où la 
flaterie , & quelquefois l'hypocrifie , ou l'orgueil, favent fe 
cacher fous Lu expreflions pleines d'humilité, notre Cardinal 
ne dit que ce peu Le paroles : Pourquoi ,Trés-Saint Pere, avez- 
vous mis fur mes foibles épaules un À péfant fardeau ? À quoi le 
Vicaire de JEsUS-CHRIST , comme s'il prévoyoit déja ce qui 
devoit lui ariver, répondit aufli-tôt: Le Sezpneur vous en 
cmpofera un autre bien plus pefant que celui-cr. 
XX. F faint Cardinal fut obligé de s'arêter auprès du Pape, 
Sa conduite dans Qui voulut fe fervir de fes lumières, pour le gouvernement de 
la CourdeRoms. J'Eplife Univerfelle. Mais au milieu de la Cour il vécut à peu 
près comme il avoit toujours fait dans l’obfcurité de la re- 
traite. Peu fenfible au fafte, & aux honneurs, encore moins 
à l'atrait des plaifirs & des richefles , il parut également mo- 
defte, afable, populaire , également éxa@ obfervateur de fes 
Réples , également pénitent, & recueilli. Son unique plaifir 
(si en trouvoit quelqu'un dans un pofte , qui génoit tous les 
penchans de fon cœur) étoit de pouvoir fervir un plus grand 
nombre de perfonnes. Il acordoit aux uns (fur-tout aux pau- 
vres) une promte & favorable audience, & faifoit expédier 
leurs afaires. Il afiftoit les autres de la fagefle de fes confeils, 
& de fon crédit, après s'être aflüré de la juftice de leur caufe. 
Zélé pour la gloire de l'Eglife , pour l'honneur du Siége Apof- 
tolique , & les juftes prérogatives du Succeffeur de faint Pier- 
re; mais aufli éloigné de flater les Grands, que de rebuter les 
Petits , ou de méprifer les malheureux , la complaïfance ne 
le porta jamais à parler contre fes propres lumiéres, ni à 
aprouver , même par le filence, ce - lui paroifloit peu con- 
forme à la juftice, ou aux régles de la modération. 
Cette À red & modefte liberté pouvoit le faire trouver 
elquefois opofé aux deffeins de Boniface VIIT : cela cepen- 
ant ne diminua rien de l’eftime que ce Pape faifoit de lui. Au 
contraire, le Saint Pere parut toujours l’aimer davantage, à 
“ab aule-vés qu'il avoit de nouvelles preuves de ce fonds à fa- 
gefle 





gefle , de modération, & d'équité que la nature & la Grace 
avoient mis en lui, Îl goutoit infiniment fon caraétére d'efprit, 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 67r 


uoique fi diférent du fien; & dans toutes les ocafons , il lui 
Le des marques réelles de la plus parfaite confiance. Il 
faut métre fans doute de ce nombre la dignité d'Evêque d'Of- 
tie, où de Doyen du Sacré Collège ; dignité, dont le Vicaire 


de Jesus-CHRIST revétit notre Cardifal préférablement à 


tous ceux qui avoient été honorés avant lui de la Pourpre 
Romaine. | | 

On fait que ce n’étoit guéres la maxime de Boniface VIIT, 
de foumétre à l’'éxamen, ou aux lumiéres des autres ce qu'il 
avoit une fois réfolu. Auffi n'imputa-t'on jamais à la politique 
de fes Confeillers, les commencemens, ni les fuites de ces 
fameux démêlez, dont fon Pontificat fut fi violenment agité. 
On peut cependant préfumer que la fige fermeté du Cardinal 
d'Oftie auroit prévenu, ou détourné bien de fâcheufes afai- 
res , files befoins des Peuples ne l'avoient éloigné pour un 
tems de la Cour de Rome. Cette conjeture pourroit paroître 
d'autant mieux fondée, que pendant tout le tems que ce Car- 
dinal demeura auprès de Sa nt , préfidant en qualité de 


| Doyen aux Délibérations des Cardinaux , & dirigeant la plü- 


part de leurs réfolutions , on ne vit rien paroître de ce qui 
avoit le plus agité l'Italie les deux années précédentes , rien 
de ce qui troubla une grande partie de l’Europe dans les der- 
niéres années du Pontificat de Boniface VIII 

Mais les Royaumes du Nord cruellement déchirés par des 
guerres civiles , 8 toujours menacés , ou ataqués par les Ar- 
mées des Barbares , ayant atiré les atentions du Saint Siége, 
le Pape jéta les yeux fur le Doyen des Cardinaux, pour l’en- 
voyer fur les lieux, avec la qualité de Légat a arere. Le fujet 
de la Légation étoit important, & la commifñon des plus dé- 
licates. Pour rétablir l'honneur des Autels, le culte, la dif- 
cipline , les pratiques de piété & de religion dans les Pro- 
vinces du Septentrion, fur-tout dans la Hongrie, à falloit 
commencer par faire cefler la guerre civile : & pour pacifier 
ce vafte Royaume, divifé par diférentes faétions également 
puiffantes & opiniâtres ,on Fos décider du fort de d 
nes Princes prétendans à la Couronne, l'un & l’autre déja 
couronnés, chacun par un Archevêque de fon Parti, & tous 


N 


Livre 
VII. 


Benoit XI. 
à | 
XXI. 

Le Pape le nom- 
me Évêque d'Of- 
tie, Doyen du Sa 

cré Collège. 


XXII. 
Légar dus. Siége 
en Hongrie, 


eux jeu- | 


deux foutenus par les forces de Ft Souverain. Le Roi 


de Naples apuyoit les intérêts de Charobert, ou Charles-Ro- 
bert , fon Peut-Fils , dont le droit paroifloit le mieux fondé. 
Et Venceflas Roi de Bohëme , ayant cédé fes prétentions à fon 


LIVRE 
VII. 


® Renoir XI. 
D. 








XXII. 
Eloge de ce grand 
Homme par le Pa- 
pe Boniface VIII. 


672 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


propre Fils, que les Hongrois nommérent Ladiflas , il faifoit 
fon afaire de la fienne. Les Evêques, les Princes, les autres 
Seigneurs , les Peuples même s'étoient hautement déclarés 
pour l’un , ou pour l’autre : & la confufion n'étoit pas moins 
énérale que la divifson. Mais ce qui ne pouvoit qu’augmenter 
infiniment l'embarras du Légat, c'eft que tout le Parti opofé 
au Prince Charobert ne craignoit rien tant que de perdre fa 
liberté , en recevant, difoit-il , un Roi de la main de l'Eglife. 
La Bulle que Boniface VIII remit à fon Légat, en lui don- 
nant toute Du autorité pour terminer cette grande afaire, 
marque d'une manière Pet patétique combien il défiroit la 
mp en de ces troubles, & quelle idée il avoit de la fa- 
gefle , & des talens de celui qu'il avoit choifi pour y tra- 
» vailler: “ Plût à Dieu ({difoit le Pape ) qu'il Nous füt per- 
» mis d'aller Nous-mêmes fur les lieux, & de prouver par no- 
» tre préfence, l’ardeur & la fincérité de nos- vœux, notre 
» folicitude, & nos atentions ! Mais puifque notre état & la 
» multitude des afaires, dont Nous fommes acablés , ne peu- 
» vent Nous le permétre, parmi les grands rs , qui 
» partagent avec Nous le poids de la folicitude Paftorale, 
» Nous choififlons pour les entreprifes les plus dificiles, ceux 
» que le Ciel a fpécialement favorifés de fes dons. 
» Sachant donc par notre propre expérience que le Très- 
» haut, fouverain diftributeur de fes graces , les a abon- 
» danment répanduës dans votre ame; qu'il vous a orné des 
» dons de fience , de force , de confeil ; & qu'à toutes les au- 
» tres qualitez, qui vous rendent finguliérement recomman- 
» dable , il a ajouté une rare prudence , & autant de modéra- 
» tion que de fagacité dans les afaires, Nous croyons fuivre 
» les deffeins de la divine Providence , en vous commétant 
» le foin de faire réufhr une afaire, d'où dépendent la tran- 
» quillité de plufieurs Royaumes , & le falut de tant de Peu- 
» ples. Ce n'eft que malgré Nous, & à regret que Nous Nous 
» privons Nous-mêmes de la préfence d'un fi grand Homme, 
» dont les confeils Nous feroient fort utiles, & même nécef- 
» faires : mais puifque les befoins des Fidéles , fi cruellement 


_» divifés en Hongrie, en Pologne , dans la Dalmatie , la Croa- 


» tie, la Servie, la Galatie , la Cumanie, & dans les Pro- 
» vinces voifines , demandent le fecours d’une perfonne de 
» votre caraëtére, Nous vous envoyons, de l'avis de nos 
» Freres , dans tous ces Royaumes, avec l'autorité, & les 

honneurs 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 67; 


honneurs de notre Lépat à latere , afin que felon les lumié- « 
res de votre fagefle, vous travailliez comme un Ange de “ 
paix, à banir les divifions, & les difcordes , à réunir les 
cœurs & les efprits, à exterminer enfin, & à détruire tout * 
ce qui s’opoferoit au rétabliflement d’une folide paix (1) ,. 
ette Bulle , raportée dans les Anales Ecléfiaftiques , eft da- 
tée d’Anagni le treizième de May 1301. Notre Cardinal Le 
partit aufh-tôt; & il fuivit éxaËtement les intentions du Vi- 
caire de JEsus-CHR1ST. Dès qu'il fut arivé en Hongrie, fon 
premier foin fut d'aflembler tous les Archevêques & Evêques 
de ces vaftes Contrées , afin de commencer à traiter de la 
aix & de l'union avec ceux , qui, par leur cara@ëre , étoient 
JA plus obligés de la ah toutes leurs forces. Le def- 
fein du Lépat étoit de fe fervir des confeils, & du mimiftére 
des Prélats, pour faire entrer tous les autres dans les vüës 
pacifiques , qu'il leur auroit infpirées. Mais il eut la douleur 
de reconnoître que dans le Clergé , comme parmi le Peuple, 
les fentimens fe trouvoient fi partagés , & Li efprits fi pré- 
venus , ou fi opiniâtrément atachés à diférens 
n'y eut ni raifons, ni priéres, mi confidérations du bien pu- 
blic, ni menaces , capables de les ramener à cette parfaite 
concorde qu'il voulot métre parmi eux. Le Cardinal y tra- 
_Vailla cependant fans jamais fe rebuter par les nouveaux obf- 
tacles, qui fembloient naître tous les jours. Tout ce que le 
zéle , la fageffe , la prudence, ou l'induftrie humaine peuvent 


(1) Utinam defuper datum effet , ut cum 
honore Dei, & Ecclefñæ, ac aliorum falu- 
bri ftatu Fidelium poffet commode circa 
tantum negotium exhiberi noftra præfentia 
corporalis ,ut ubi mentewvigilanter inten- 
dimus , ibi præfentialiter noitrum defide- 
rium panderemus. Sed quia id noftra con- 
ditio non parirur , & innumerà negotiorum 
undique congurrentium varictate diftrahi- 
mur , illos in partem Apoftolicæ {olicitudi- 
nis de latere noftro nonnunquam affumi- 
mus, quibus fore percipimus cœlefti dono 
pue > Ut in altis & arduis nesotiis 

ciant & poflint confulere providè, ac utili 
confilio providere. 

Atrendentes itaque quod Perfonam tuam 
Alciffimus, gratiarum Dominus, {cientiarum 
magnitudine , Providentiæ munere, cir- 
cumfpeétionis gratià , induftriæ claritate , 
#æultifque virtutibus infignivic , humeris 
tuis fortitudinis robur adjiciens , ut ad lau- 
dem fui nominis frequence ontra grandia 


Tome JL, 


fuppertares ; pleniflimam quoque de tuis me- 
rie flucians obtinentes E lies apud Sedem 
Apoftolicam ex eminentié tui confilii valdè 
necefarius habesris , nofque inviti quodam 
modotanti viriprefentis careamns , tamen 
propterurgentem & inevitabilem neceflita. 
tem diéti Regni , cui fperamus in prædictis 
per tuam induftriam circumfpe@tam , illo 
übi auxiliante , qui poteft falubriter confu- 
lere, & utilicer fubvenire , te ad prxfarum 
ne roms , commiflo tibi plenæ Legationis 
officio in eodem Regno , & in Poloniæ, 
Dalmatiæ , Croatiæ, Ramz, Serviæ, Lo- 
domeriz , Galatix , Cumaniæ partibus illi 
conterminis, ut in eis cvellas & deftruas, 
diffipes, & difperdas , ædifices , plantes, & 

tuas innomine Domini aficut videris ex- 
pedire, de Fratrym noftrorum confilio tan- 
Fe pacis Anyelum deftinamus , &cc. 4p. 

doric. #4 An. 1301, n. 4. Buller, Ord. 
T. II, p. 61. 


Qgqq 


LIVRE 
VIT. 


Benoïîr XI. 
D 


C 
P 


| .. Peuples 
artis , qu'il grie. 





XXIV. 
Divifion dans le 
lergé,& parmi les 
Hon- 


Livre 
VII. 


Benoît XI. 
D à 





Vide ap. Odoric. ad 
An. 1302, #12 


674 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


métre en ufage, pour conduire les afaires importantes à une 
heureufe fin, l'habile Légat l'employa ; mais avec plus de 
mérite que de fuccès ; & il reconnut que le moment marqué 
par la Providence n’étoit pas encore venu. 

Un Ecrivain moderne fi , que fans employer ni les Cenfu- 
res , ni l'autorité dont H étoit revêtu, ke n’ufant que de la 
douce perfuafon, le Serviteur de Dieu ramena enfin tous 
les efprits du Clergé à l'unité de fentimens, & à une parfaite 
concorde. Il eft vrai {ajoute-t’il) qu'il ne termina pas alors 
les prétentions des deux Concurrens , parce que l’un d'eux, 
fuyant la préfence du Légat , ne voulut jamais paroître ; mais 
il y laiffa des difpofitions qui opérérent dans la fuite tout ce 
que le Pape défiroit. Cependant les anciens Hiftoriens ne s’ex- 
pliquent pas tout à fair de même touchant cette réunion du 
Clergé; quoiqu'ils reconnoiffent tous que le Légat Apoñto- 
lique n’avoit rien omis de tout ce qu'on s'étoit juftement pro- 
ntis de fes lumiéres , & de fes talens. 

Boniface VII en étoit perfuadé : cela paroît par ke Bref 


du dixième de Juin 1302, où ce Pape, adreffant la À m2 à 


LS SEE SEL E LE ES LYE%Y 


Venceflas Roi de Bohëme , s’expliquoit ainfi: “ Senfible- 
ment touchés de l’état de défolation, où le Royaume de 
Hongrie , autrefois fi floriffant , fe trouve aujourd'hui ré- 
duit, non-feulement par les incurfions continuelles des Cu- 
mains , des T'artares , & de plufieurs autres Peuples Payens 
ou Schifmatiques ; mais auffi par les feandales , & les pro- 
phanes nouveautez , fur-tout par les divifions , qui le dé- 
chirent : Nous vous avons envoyé pour Légat, le Cardinal 
Evêque d'Oftie, un des plus illuftres Membres de l’'Eglife 
Romaine ; Homme, dont la religion , & la fagefle dans le 
confeil Nous rendoient la mers fi néceflaire , que Nous 
nous fommes fait un grand préjudice à nous-même en nous 
en privant ; mais nous ne doutions pas que vous ne vous fif- 
fiez un devoir, vous , & le Prince votre Fils , de vous mon- 
trer dociles aux falutaires avertiflemens d’un tel homme,qui 
n'étoit entré dans ce Royaume, que pour y être un Ange 
de paix , & un Ambaffadeur de falut. . .. . Cependant quoi- 

ue ce Légat Apoftolique ait déja efluyé de grandes peines 
d'efprit & de corps ; & qu'il foit certain que les fruits de fes 
» travaux, véritablement glorieux devant les hommes, ne 
» feront pas moins méritoires devant Dieu , ils n'ont pas en- 
+ core produit la fin des troubles , ni procuré cette défirable 


Ÿÿ 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 67; 
paix , que nous fouhaitions avec tant d'ardeur (1) ». 
Ces paroles du Pape nous aprennent que le zéle & la conf- 
tance k 
malice de Satan, ou les péchez des hommes en euflent em- 
pêché les plus précieux. Nous l'avons déja dit, le ein 
objet de cette Légation, & le grand fondement de tous 


LIVRE 
VII. 


u Légat avoient produit quelques fruits , quoique la B;icir XI. 





XXV. 


es Fruits de la Léga- 


avantages qu’elle devoit procurer aux Eglifes du Nord, étoit tion de Bocalini. 


la réunion des efprits, ou la pacification des troubles. C'eft 
ot is tout ce que le Serviteur de Dieu pouvoit faire d'ail 
eurs, pour abolir bien des abus , qui s'étoient infenfble- 
ment introduits parmi les Clercs, ou pour profcrire des fu- 
ae populaires , & des qe fcandaleufes , éga- 
ement contraires aux régles des mœurs , & à la Difcipline 
Ecléfiaftique ; il comtoit cela pour peu, & le Souverain 
Pontife le confidéroit de même , tant qu’on voyoit toujours 
allumé le feu de la difcorde , & de la divifion. | 
Nous ignorons combien de tems l'Evêque d'Oftie s’arèêta 
dans le Royaume de Hongrie, ou dans les autres Provinces 


de fa Légation : mais on fait qu’il étoit déja à Vienne en Au- 


triche vers le commencement de l'Eté 1302, dans le tems 
_ le Pape écrivoit au Roi de Bohëme, le Bref dont on vient 
e parler. Il éxerçoit encore les fonétions de Légat Apoñto- 
lique dans l'Etat de Venife les premiers mois de l'année 1303. 
Et le onziéme d’Avril de la même année il fe trouvoit à Pa- 
doue ; où , affifté de deux Patriarches , & de huit Archevé- 
ues , ou Evêques, 1l fit avec beaucoup de folemnité la Con- 
po d'une Eglife de ion Ordre , fous l’invocation de 
faint Auguftin. L’A@e qu'il en fit dreffer alors, & le Bref 
Apoñftolique qu'il donna l’année fuivante , pour ordonner la 
célébration annuelle de cette Dédicace , font raportés dans le 
fecond Tome du Bullaire des Freres Prêcheurs. 
Avant le retour du Cardinal à Rome , les fameux démêlez 


du Pape Boniface VIII, avec le Roi de France, Philippe le 


(r) Ad tollenda inde diffenfiones & fcan-| tus ipfe multos propterea non fokim men+ 
dala , quæ miferabilem defolationem indu- | tales , fed etiam corporales fubierit folicitu- 
cunt, venerabilem Fratrem noftrum Nico- | dines & labores , qui apud Deum erunt me- 
laum Oftienfem Epifcopum Apoftolicæ Se- i ritorii, & gloriofi re eorum ; non ta- 
dis Legatum, religione Eee virum | men, ut fperabamus , quietis & pacis effec- 
magni confilii ; & grande Romanæ Mem-| tum per viam compofitionis vel concordiæ 
brum Ecclefiæ, cujus præfentiam nobis non | amicabilis labores & folicirudines hujufmo- 
abfque magna incommoditate fubtraximus, | di habuerunt, &c. Ap#d Odoric. ad An. 
duximus pridemilluc cm plenæ Legationis | 1302, #. 20. | 


oflicio deftinandum . .. , licèt autem Lega- ne 
Q 999 5 


Italie 


Son retour en 


_ Pag. 86, 87. 


676 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
LIVRE Bel, avoientété portés à ce point, qu'il ne fut plus poffible 
VII. de trouver des voyes de conciliation, ni aucun moyen de 
Benoîr XI. Calmer les efprits également aigris de part & d'autre. Tous les 
Sœmmmw Auteurs qui ont écrit l’Hiftoire de notre France , ou celle du 
Pontificat de Boniface VIIF, fe font aflez étendus fur l’origine 
de ces triftes diflenfions , & fur leurs fuites encore plus fu- 
neftes. Nous paflons volontiers ce détail fous filence, pour 
ne toucher en peu de mots, que ce qui fe trouve néceflaire- 
ment lié avec le fujet que nous traitons. On fait que les pré- 
tentions du Pape Boniface, & fes menaces réitérées furent 
bien-tôt après fuivies des Foudress, des Cenfures , & de toutes 
les peines, par lefquelles un Pontife irrité peut faire éclater 
{on reflentiment , & montrer fon indignation. Le Roi Frès- 
Chrétien , & tout le Royaume, fes Compagnies les plus au- 
uftes , les Parlemens, les Chapitres , les Univerfitez, les 
nn Religieux , & les Peuples , fous l’Interdit général, 
\ _ avotent tous leur portion à ce calice d’amertume. Et pendant 
u’on s’éforçoit de tout divifer , en allumant , s’il étoit poffi- 
ble, le feu de la difcorde dans le fein du Royaume , on lui 
fufcitoit au dehors les plus puiffans Ennemis (1). Le Roi des 
Romains , les Flamans, les Anglois étoient invités, preflés, 
{olicités d’ataquer la France de toutes parts & de l'acabler. Le 
zéle des bons François ne s’endormit point dans cette ocafion. 
Toujours unis, & toujours fidéles, zélés pour les intérêts 
communs de la Nation, & inviolablement atachés à la Per- 
fonne Sacrée du Souverain, leur fagefle, leur courage, leur 
fermeté leur firent prendre toutes les mefures néceffaires , & 
pour ne point craindre les forces des Puiflances liguées, & 
pour fe métre à couvert de PR qui fembloit groffür de mo- 
ment en moment. Mais fans le favoir , on touchoit déja à la 
fin de tant de maux. 

Tandis que les uns, couverts de cendres, ou revêtus de 
cilices , levoient les mains au Ciel, & que les autres, hum- 
blement profternés devant le ne and ne cefloient de ré- 
pandre des larmes , & de faire de ferventes priéres , pour 





(1) Demum verd Cenfuras in Regem| Anglos Philippi hoftes acriüs in exm conci- 
immiffas denuo confirmans ( Benifacius | tavit ; denique nihil incentatum reliquit , 
Papa VIII } eum diris devovit ; Regno fa- | quo eum è Regno derurbaret. Hzc enim 

 eis interdixit; Academias jure docendi pri- | teftantur omnes Hiftoriarum , & Chroni. 
vavit ; fubditos omnes facramento folvit ; | corum Scriptores, &c. Spondenus 4d An 
Regnum Alberto Romanorum Regi fubje- | 1303 ,#. 14. 
si ; Uludque invadere juflt ; Flandros, & 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 677 


‘conjurer la tempête ; les anciens Ennemis du Pape Boni- 
face VIIT, d'autant plus à craindre, qu'ils étoient plus près 
du Trône, & avec eux quelques Serviteurs du Roï, qui ex- 
cédérent les ordres de leur Maitre , entrérent dans la Ville 
d'Anagni , le feptiéme de Septembre 1303. Ils fe rendirent 
Maîtres du Palais, & de la Do u Pontife, la veille 
du jour qu’il avoit marqué pour la publication d'une nouvelle 
Bulle , plus terrible encore que toutes celles , qu’il avoit juf- 
v’alors fulminées. Les Habitans d’Anagni, fes Sujets, & fes 
ompatriotes , l’avoient lâchement trahi ; fes Domeftiques, 
& fes amis l’abandonnérent. Parmi les Cardinaux , & les Pré- 
lats du Palais , notre Doyen 2. d'Oflie, & celui de Sa- 
bine, demeurérent feuls auprès du Pape, pour le confoler, 
ou le défendre contre les emportemens de Guillaume de No- 
aret , & de Sciarra Colonne. Mais ils ne purent retenir, ni 
4 langue envenimée de celui-ci, qui chargea l’Oint du Sei- 
neur des plus fanglans reproches , n1 la main facrilége de ce- 
PLIA ; encore moins celles de la Populace , & des Soldats, 
1, dans la confufion & le t: multe , enlevérent les meubles 
de Sa Sainteté, & pillérent fon tréfor qui étoit grand (1). 
Deux jours après , le Pape, délivré enfin par le Peuple 
d'Anagni , qui eut honte de fa lâcheté (ou de fa trahifon) , fe 
rendit à Rome dans le deffein d'y aflembler un Concile, & de 
fe venger hautement. Mais iltomba malade de chagrin ; & 
mourut le onziéme d'Oftobre 1303, avoir ocupé le 
Saint Siège huit ans, neuf mois , & dix-huit jours. On con- 
vient aflez que ce Pape n’avoit rien de médiocre , ni dans fes 
bonnes qualitez, ni dans fes défauts : & on trouvera peut- 
être que Pétrarque a fait au jufte fon portrait, “es il l’a 
apellé , le prodige du Monde, l'étonnement des Peuples , & 


(1) Eodem anno 1303, in vigilia Nati-! mus de Nogareto de fanéto Felice, Diæce- 
Vitatis Bearæ Mariæ Virginis, dum Bonifa-  fis Tolofanz, complicibus & confentaneis 


cius Papa Agnaliz in Patrio folo, & Ce] 


tate propriz originis , cum fua Curia refide- ! 
ret, ubi cutus efle amplis merito credere- 
turin Gente fua, & Populo & Natione , ibi- 
dem confciis aliquibus Domefticis fuis pro- 
ditus fuit, captufque, atque tentus : & the 
faurus fuus atque Eccleñx depredatus & 
afportatus , non fine ignominia Ecclefiæ, & 
dedecore grandi. Cardinales verd timentes, 
xeliéto eo fugerunt, duobus exceptis , fcili- 
cet Domino Petro Hifpano Sabinenfi , & 
Domino Nicolao Oftienfi 


Epifcopis. Cujus 
caprionis & fceleris veaxillik 


er fuit Guillel- 


Columnenfbus , ex quibus duos olim deca- 
pellaverat Cardinales. Super ipfum itaque 
Bonifacium , qui Reges, & Pontifices , ac 
Religiofos, Clerumque ac Populum horren- 
dè cremere fecerat & pavere, repentètimor, 
& tremor, ac dolor una die pariter irrue- 
runt ; aurumque nimis fitiens perdidit &c 
thefaurum : ur ejus exemplo dé fupe- 
riores Prælati non fuperbè dominariin Cle- 
ro & Populo , fed forma faéti gregis ex ani- 
mo curam gerere fubditorum , potiufque 
amari appetant quam timeri. Bern. Guid, 
ap. Odoric. sd An.1303,n.41. 


Qqqai 





Benoît XI. 





XXVIL, 
Mort de Boniface 
VIIL. 


Livre 
VI. 


Benoèr XI. 
GÉEERESP 





# Liv. I1, de Otio 


Relg. 


Hift. Ecl. Liv. xc;, 


m. 35. 


XX VTIT. 


Benoît XI lui fuc- 


céde. 


Wift. Ecl. 
CXAIVI, 7, 41e 


Liv, 


673 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
des Rois : verum À sm , & Regum , atque Orbis flupo- 


rem. * Selon l’exprefñion de Bernard Guidonis , il avoit porté 
l'éfroi , le trouble, & la terreur dans tous les efprits : toutes 
les Parties du Monde Chrétien, & la France pie » fe 
trouvoient dans une fituation la plus violente. La mort de 
Boniface VIII fit changer de face aux afaires. | 
Le Saint n ne vaqua que dix jours ; c’eft-à-dire , le moins 

1 


qu'il étoit po 


le : car alors, dit M. Fleuri, on obferva pour 


la premiére fois (1) le Réglement prefcrit par Grégoire X, 
renouvellé par Céleftin V , & confirmé par Boniface VIIT, 
de n’entrer en Conclave pour l'Ele&tion du Pape, que neuf 
jours après la mort du Prédéceffeur. Ainfi les Cardinaux s’af- 
femblérent le vingt & un d'Oëtobre : & le lendemain ils élu- 
rent tout d’une voix, comme par une commune infpiration , 


Nicolas de Trévife, Cardinal Evêque d'Oftie , “ Succef- 


feur de faint Pierre, Chef, & Pafteur de l'Eglife 


niverfelle. 


Une Ele@ion fi unanime, & beaucoup plus promte, qu'on 
ne pouvoit l’efpérer dans un tems de confufion , fut fans doute 
une nouvelle preuve des atentions de la Providence fur l'E- 
gif de JEsUs-CHRIST : elle montra aufli la fagefle des Car- 


inaux , & la haute idée qu'ils avoient des éminentes ne 
tez de leur Doyen, ou de la 7 de fes talens. 


ais 


elle ne fit pas moins connoître la rare modeftie de ce | nt 


homme : fi parmi toutes les vertus , dont il avoit déja 
les É beaux éxemples, on avoit toujours admiré fa pro- 
e humilité, on peut dire qu’elle parut particuliérement 


fon 


onné 


en cette ocafion. L'éclat du Trône fit pälir & trembler le Ser- 
viteur de Dieu : & rien ne fut capable de le faire confentir à 
fon Elévation, que la crainte trop fondée de jéter par fon re- 
fus toute l'Eglife dans de nouveaux troubles , ou de l’ex- 
pofer à de plus grandes calamitez (2). Il fut facré & cou- 


(1) Ce ne fut pas la premiére fois qu'on 
obferva ce Réolement : Nous avons re- 
marqué ailleurs ( & M. Fleuri le raporte lui- 
même ), que la même chofe s'éroit pee uée 
après la mort de Grégoire X, décédé le 
dixiéme de Janvier 1276. Les Cardinaux 
s'afflemblérent le vingt, & le vingt-uniéme 
ils élürent unanimement Pierre de Taran- 
taile de l'Ordre des Freres Prècheurs , Car- 


dinal Evêque d'Office , qui prit le nom d'In- 


nocent V. 
(2) Orba Pafioe Ecclefié , purpurati 


. Patres , ad ques crenndi Romani Pontificis 


munus fpetabat , in Vaticano Palatio , ubi 
extremsum diem Bonifacius obierat, ad facræ 
comitis celebranda convenere. ... Com- 
munibus votis in eligendo Nicolao Epifcope 
Offienf non fine divin: Numinis #rcano con- 


filie , ob egregis virtutum figna , qua in ip[e 


emicabant , confenfere. Expavit ad oblara 
dignitatis majeflatem vir fandus, Chrifiia. 
nà anim demiffione snfignis. Netamen Ec- 
clefiam in feditionum flu&fus conjiceret , onus 
Pontificium admifit , €rc. Joan. Villani, 


Lib. VIII, C. Lx vi, ap. Odoric. 1303, %. 45. 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 679 
ronné le Dimanche, vingt-feptième d'Oétobre, ayant pris le 
nom de Benoît XI, & pour devife ces paroles du Roi Pro- 
phéte : ee Let tuam fuper Servum tuum *, Daignez, Sei- 
gneur , répandre fur votre Serviteur la lumière de votre face. 

Le Pontificat du nouveau Pape fut très-court : mais toujours 
pacifique, glorieux , & rempli de beaux faits, il juftifia les {en- 
timens avantageux , que tous les Cardinaux avoient conçus 
de la fage fermeté , & de l'expérience de Nicolas Bocafini. 
Quand nous commencerions ici l’Hiftoire de fa vie, 1l y auroit 
de quoi édifier la piété du Leéteur , & contenter fa curiofité. 

epuis que les deux Cardinaux, Jaques , & Pierre Colon- 
ne, s'étoient ouvertement déclarés contre Boniface VIII, 
leurs adhérans avoient allumé le feu de la guerre dans une 
rande partie de l'Italie : & c'étoit principalement dans la 
Ville de Rome que fe formoient les complots , & les fédi- 
tions. Les diférens Partis, toujours ocupés à prendre de nou- 
velles mefures , ou pour furprendre leurs Ennemis, ou pour 
n'en être point furpris, vivoient dans des continuelles allar- 
mes ; & perfonne n'ofoit plus fe croire en füreté dans fa pro- 
re maifon. Mais, ajoute un ancien Auteur, cité par Oderic 
pére , dès que Benoît XI fe montra, la guerre finit dans 
cette Capitale, & les malheureufes diffenfions en furent auffi- 
tôt banies (1). L’Ele@tion d’un faint Pontife fut le commen:- 
cement du calme , & le rerour de la paix. , 
Nous allons voir avec quel zéle 1l travailla à l’étendre cette 
récieufe paix, dans les Provinces , & dans prefque tous les 
oyaumes du Monde chrétien. Son premier foin fut de la 
demander à Dieu , par fes humbles gémiflemens , de l’anon- 
cer par fes Lettres à tous les Prélats de l'Eglife Catholique ; 
& d'inviter tous les Fidéèles à joindre la pénitence à la ferveur 
de leurs priéres, pour atirer (es bénédi& 
mêmes , fur le Froupeau , & fur le Pafteur. 
Il étoit jufte que les Peuples d'Italie , qui s'étoient trouvés 


tions du Ciel fur eux-- 


LIVRE 
VI. 


Benoît XI. 
D me. à 





* Pfal XXX , 10, 


XXIX. 
Quel a été le 
Pontificat de ce 


faint Pape. 


XXX. 
La paix rétablie 
dans la ville de 
Rome. 


XXXI. 
Entreprifes de 


les premiers expofés à de anse & au trouble , fuffent auf s,squic Roi de 


les premiers à goûter les 
(x) Adfolium Apoftolicum eveëtus , ut Et clarere palam. At Chrifti clementia 


prudentiä fingulari erat præditus | mox fo- tantis 
pivit Urbis inteftina bella , ut Jacobus Car- Occurrit , Iymphafque jacit : Bencdictus 
dinalis cecinit carmine hoc : codem ” 
: Roma novis concufla fremit , fævumque |  Sufcipitur vir clarus..... 
minatur Jacobus Card. [anti Georgii sd Velum 


Martis opus : cœptas timor ft prorum- ; awreums, Lib. IT, de Canonifs. Cebefiini 
| perce flammas, C. xu1 ; 4h. Odorie. nt Jp. n, 46. 


ouceurs du nouveau Pontificat , & Trinacrie. 


La 


680 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE les avantages dela paix. Cependant les démarches précipi- 
VIT.  tées, & imprudentes, que venoit de faire Frédéric Roi de 
Benoir XI. Trinacrie, ne pouvoient que le brouiller de nouveau avec 
sm |1 Cour de Rome , & avec celle de Naples ; & allumer ainfi 
le feu de la divifion dans plufieurs Provinces , fi la vigilance 

du Pape, fa fagefle , & fa modération, n’avoient promtement 

arêté #4 premiéres étincelles de cet incendie. Boniface VIII, 

après avoir excommunié ce Prince, & jété un interdit géné- 

ral fur tout fon Royaume , ne s’étoit porté enfuite à l’abfou- 

dre qu’à certaines conditions. Frédéric avoit promis de les 

remplir éxaétement ; & le feul défaut de fidélité dans l’éxé- 

cution de fes promefles , devoit faire retomber les mêmes 

Cenfures fur È Perfonne , & fur tous fes Sujets. Il s’étoit 

RS àtenir du Pape la Sicile en qualité de Vaffal de l'E- 

glife , à lui payer tous les ans , à la faint Pierre, un tribut de 


trois mille onces d'or ; & à fournir cent Chevaliers bien ar- 


més, pour fervir pendant trois mois felon le bon plaifir du 
Saint Siége. Enfin , pour ne point choquer le Roi CharlesII, 
qui vouloit conferver pour lui-même, & pour fes héritiers , 
le titre de Roi de Sicile, Frédéric avoit confenti à ne prendre 

ue celui de Roi de Trinacrie , ancien nom, que les Grecs 

onnoient à çette Îfle. Cependant le même Fréderic venoit 
de violer ouvertement toutes fes promeffes, Non-feulement il 
n’avoit ra 0 da le tribut annuel à l’Eglife Romaine ; mais 
au mépris du l'raité fait avec le Roi de Naples,& confirmé par 
Je Pape Boniface VIII , dès qu'il eut apris la mort de celui-ci , 
ilenyoya fes Lettres à Rome, adreffées au Pape futur, dans 
lefquelles il prenoit le nom de Roi de Sicile , & comtoit les 
années de fon Régne, non du jour qu'il en avoit reçùû l’In- 
veftiture du Saint Siège , mais depuis qu’il s’étoit rendu mai. 
tre du Pays par la force des armes, ou plûütôt par la confpira- 
tion des Siciliens : autre atentat , que la Cour de Rome trai. 
toit de crime de félonie. 

STE Le nouveau Pape écrivit d'abord à ce jeune Prince, pour 
la vivacité de e LaVertirenpere, & le corriger comme un fils , qu'ilfupofoit 
jeune Bsince. avoir failli, moins par malice que par inconfidération , ou 

par les mauvais confeils de fes Miniftres. Cet avertiflement 
plein de charité & de douceur , eut tout fon éfet : Fré- 
déric , que les ménaces auroïent peut-être irrité, fe fit un 
devoir d'obéir aux fages remontrances du faint Pontife ; il 
implora humblement fa clémence , & lui prêta ir + _ 

élité 


= 
M us. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 681 
fidélité par Conrad Doria fon Procureur. Benoît XI leva LIVRE 
auffi-tôt l'interdit, fitouvrir les Eglifes pour l’éxercice pu-. VII. 
blic de la Religion dans tout le Royaume de Sicile ; &acor- Bexoir XI. 
da à ce Prince un terme convenable pour l'aqux des fommes, =’ 
dont il étoitredevable envers le Saint Siège (1). —. 
Le Saint Pere en ufa de même à l'égard de Charles IT Roi 
de Naples. Il le félicita en même-tems , de ce qu'en chaffant 
les Sarafins de la ville de Nocera , où ils avoient été autrefois 
établis par l'Empereur Frédéric IT, il avoit enfin ôté du mi- 
lieu des Chrétiens le fcandale du Mahométifme. Et parce 
que le Roi Charles , en rétabliffant l'Eglife Cathédrale de 
Nocera, l’avoit richement dotée ; Benoît XI luiacorda , ainfi 
qu'à fes Succefleurs , la faculté de préfenter à l’'Evêque des 
perfonnes capables pour le Doyenné , l’Archidiaconé , la 
Chantrerie, & la moitié des Prébendes. La Bulle eft du vingt- 
fixième de Novembre 1303. | | 
.… Dès le -dix - huitième du même mois , Sa Sainteté avoit 
adreffé un Bref à Martin Archevêque d’Antibari en Albanie , 
pour exciter le zéle de ce Prélat à réprimer plufieurs défor- 
dres , qui fe commétoient dans les Eglifes de Érvie & de Dal- 
matie : # Nous avons apris, difoit le Pape , que dans la 
collation des Ordres, & des Bénéfices , on n’obferve ni la 
diftinétion des tems, ni celle de l’âge prefcrit par les Ca- 
nons ; & que l'argent, ou la puiffance des Laïques , fait paf- 
fer par-deflus les régles. On donne les Prélatures , & les au- 
| tres Bénéfices, du vivant des Titulaires, à des perfonnes 
; ui en ufent aufli mal, qu’ils y font irréguliérement entrés. 
La Laïques prennent d'autres femmes du vivant des leurs, 
& contraétent des Mariages dans les dégrés défendus de pa- 
: renté , ou d'afinité. D’autres éxercent impunément contre 
| les Eglifes , & les perfonnes Ecléfiaftiques , toutes fortes 
de violences : ils brûlent, ils brifent, ils pillent ; & après 
- s'être ainfi fouillés d’une infinité de crimes , & chargés de 
mille excommunications , ils n'ont perfonne pour les inf- 
truire, les exhorter à la pénitence, & leur donner l’abfo- 


XXXTITI. 
If favorile le Roi 
de Naples. 


er ee» Es e > > + 


me 


= A 


L 42 ce 


Odoric. ad As. 
1303, $Se 


Er 


ne. Er 


_ 


es 


XXXIY. 
Défordres en Ser- 
vie, & en Dalma- 
tic. 


5 


Ibid, n, 58. 


RAR ISFSÉ SR RSERS RES 


LE , PET is 
+ à & ae. ‘ « 


(1) Infregit poftea hæc facramenta Fre- 
dericus . . .. pœnifque anathematis non fe 
trreticrat modo, verüm facrorum juftitium 
in Regnum magnä rei divinæ injurià addu- 
xerat. Veniam porto faéti flagitanti, atque 
expiandi criminis voluntatem præ fe ferenti, 
Pontifex clementiam Apoltolicam expli- 

Tome L. 


cuit : piorum enim focietati reftituit Frede- 
ricum ; ac ne divinus Cultus obolefceret , 
Templa aperiri qu ; penfirandique veéti- 
galis , cui tunc folvendo ob exhauftum æra- 
rium non erat, diem ad Calendas Maias 
anni proximi extraxit , &cc. Odoric. ut fps 


n. $4. 
Rrrr 


LIVRE 
VII. 


Benoît XL 
M sn 





XXXV. 
Vigilance, & cha- 
rité du S. Pere. 


682 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


» lution, ou les difpenfes qui leur feroient néceflaires ; en- 
» forte qu'ils meurent tous pd leurs péchés , & féparés.de 
» l'Eglife. Nous comprenons bien que la diftance des lieux , 
les périls des chiemins , & quelquefois la pauvreté , ou la 
vicilleffe de la plûüpart des coupables, ne leur permétent 
pus de recourir au Saint Siége ; & Nous ne pouvons ou- 
lier que le premier , le plus indifpenfable de nos devoirs; 
eft de procurer de toutes nos forces l’obfervation des Loix 
de Dieu, ou de l'Eglife, & le falut des ames. C'eft pour- 
quoi la confiance que Nous avons en votre fagefle, Nous 
porte à vous donner tous les pouvoirs néceffaires , pour ab- 
foudre des Cenfures dans le Royaume de Servie, & les 
Provinces voifines , afin e vous foyez mieux en état de 
corriger , & réformer tous les abus ,. 
Le zéle du Vicaire de JESUS-CAHRIST le rendoit atentif à 


Ÿÿ 


EE SYSYYYSYS>Y 


tout ; & fa charité répandoit principalement les faveurs du 


XXXVI. 
Le Roi de Dane- 
maïc, 


XXKVII. 
Et {on Royaume 
réconciliés à l'E- 
glle. 


Saint Siège fur les Princes Chrétiens , foit pour les atacher 
plus fortement à la Religion, au fervice de l'Epglife , & à la 
défenfe de la Foi ; foit pour prévenir des guerres, ou détour- 
ner quelquefois les fcandales , qu’une trop grande rigueur à 
faire obferver certains done DER , ñne pouvoit man- 
quer de faire naître. Ce fut dans cette vüe, que ce Pape per- 
mit à AlbertRoi des Romains,  & à fon Epoufe la Reine Eli- 
zabeth , de faire célébrer l'Ofice Divin en leur préfence , non- 
obftant l'interdit des lieux , où leurs Majeftez pourroient fe 
rencontrer. Pour la même raifon , Sa Sainteté ordonna à l'Ar- 
chevêque de Lunden de lever inceflanment l’excommunica- 
tion, Er ce Prélat avoit frapé Eric, ou Henri, Roi de Da- 
nemarc, parce qu'ilavoit époufé Ingeburge Princeffe de Sué- 
de , fa parente au quatriéme dégré. Benoit XI , informé qu'on 
ne pouvoit rompre ce me , fans expofer à toutes les fur- 
tes d'une guerre inévitable deux Royaumes, dont cette al- 
hance avoitréuniles intérêts, & procuré la tranquilité ; 1] ac- 
cepta la fatisfaétion oferte par ce Prince , lui acorda la dif- 
penfe qu'il demandoit , & autorifa le mariage déja contratté. 
Tout le Royaume de Danemarc participa à une autre grace 
du charitabie Pontife envers le même Roi. Eric s’étoit porté 
aux derniéres extrêémitez contre Jean Evèque de Riga, de- 
puis Archevêque de Lunden, & contre le Doyen de fon Cha- 
ge Il les avoit fait jéter l’un & l’autre dans les fers, &1l 
es tenoit depuis long-tems dans une étroite prifon. Le Frere 


4 


- _ 
— 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 68; 


du Roi, & plufieurs autres Seigneurs , s'étant rendu fau- 
teurs , ou complices de tous ces excès, le Royaume avoit 
été mis en interdit ; & les Peuples , privés de l'ufage des 
Sacremens , foufroient pour l’iniquité de leurs Princes. Les 
difputes fur les bornes ou l'étendue de la puiffance Eclée- 
aus, & de l’autorité Royale, étoient en même -tems 
fort vives. Et, comme il arive ordinairement , de ces dif- 
putes naifloient plufieurs autres divifions , toujours préju- 
diciables au repos de l'Etat. Benoit XI ayant reçü avec bon- 
té les Ambañfladeurs du Roi de Danemarc, il termina tous 
les’ diférends au gré des Parties ; c’eft-à-dire , en fauvant 
l'honneur de l’'Eglife , fans porter préjudice aux droits du 
Prince. Les Cenfures furent levées, & les Peuples rétablis 
dans la participation des Saints Myftéres ; mais après que l’'E- 
vêque ofenfé eût été mis en liberté, & qu'il eût reçù toute la 
fatistaétion qui lui étoit dûé. 

= Ce faint Pape porta encore plus loin fes atentions, lorfque 
afligé d'une part de voir hors du fein de l'Eglife les Orientaux 
fous l’Empire d'Andronic ; & confolé de l’autre par l’efpé- 
rance que lui donnoit la pieufe Reine de Servie touchant la 
ee D 7 du Roi Orofe fon Fils, il écrivit à ce Prince avec 
une afeétion de Pere , pour l'inviter , l'exhorter , le preffer de 
métre au plutôt en éxécution le faint défir que le Seigneur lui 
avoit infpiré (1). La vertueufe Héléne, fa Mere, y travail- 
loit depuis long-tems avec un zéle qu'on ne peut trop louer : 
& le Vicaire de JESUS-CHRIST voulut encore y contribuer 
par fes Lettres Apoftoliques ,. toutes remplies de la plus ten- 
dre charité. Il fouhaitoit cette converfion, & il la deman- 
doit à Dieu avec d'autant plus d'ardeur , qu'il efpéroit en pou- 
voir retirer de plus grands re n pour l'Eglife, & pour 
le falut d'un nombre prefque infini de Schifmatiques. On pou- 
voit en éfet fe flater que les Seigneurs & les Peuples qui obéif- 
foient à ce Prince, a tous fon éxemple pour fe réu- 
nir à l'Eglife : & le Saint Pere fe propofoit déja de fe fervir 
utilement de la médiation du Roi Orofe , pour retirer du 


(1) Dignam etiam apoftolico zelo folli- | lica lex ; ut , quemadmodum deplorat Pon- 
citudinem porrexit in Orientem , arque alias | tifex, Ecclefiz forma ac pulchritudo in ter- 
Schifmaticorum Provincias, in quibus ob | ris Andronici Imperatoris Græcorum, & 
diuturnum fchifma vitiorum fentes excre |Orofi Regis Serviz , illiufque Fratris, ac 
verant ; adeo enim obfoleverat divinus cul- | matris Helenæ ditione penitus emarcuifle 
tus ; Sanctorum Patrum infticuta impunè | videretur. Oâdoric. st fp. n. 58. 
convellebantur , & labcfaétabatur evange- 


Rrrri 


LIVRE 
VIL. 


Benoit XI. 


EL | 


Odoric. ut fp, #. 56. 


XXX VIII. 
L'Archevèque de. 
Lunden mis en li- 


berté. 


XXXIX. 
Benoît XI tra- 
vaille à la conver- 
fion du Roi Orole. 


# 


634 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
L VIL E  fchifme Andronic lui-même, & fes Sujets. Le Bref de Sa Sain- 


Benoît XI. bre 1303. 


= Peu de jours auparavant, le Pape avoit aggregé au Collége 

XL. des Cardinaux , deux Religieux de fon Ordre; favoir , le cé- 

1! donne la Pour- lébre Nicolas Obertin, ou de Prato, à qui il donna l'Evêché 
pre Romaine à 


A Rebeir de d'Oftie, & Guillaume Maclesfeld, Anglois. Celui-ci étant 
fon Ordre.  MOrt avant que de recevoir la nouvelle de fa Promotion ; Be- 


noît XI, pour lui fubftituer un autre Doûteur du même Or- 


dre , & de la même Nation , donna peu de tems après la Pour- 
pre Romaine au Pere Gauthier de No , Confefleur 
du Roi Edouard. Nous ferons connoître dans un autre lieu 
le mérite diftingué de ces trois Cardinaux , & fur-tout les ta- 
lens fupérieurs du premier, & les fervices qu'il rendit au 
Saint Siège , fous les Succeffeurs de Benoît XI. 

XLI. Nous n'avons encore touché qu’une partie de ce que fit ce 
RE  . RE vigilant Pafteur durant les deux premiers mois de fon Ponti- 
dE Trévile, ficat. Et c'eft à ce même terns qu'il faut raporter une Sr 58 

particulière de fa reconnoiffance envers la Vrlle de Trévile, 
fa Patrie, où il fit bâtir une grande & magnifique Eglife fous 
linvocation de faint Nicolas. Mais la grande afaire qu'il ne 
pouvoit perdre de vüë, parce qu’elle lui tenoit particulière- 
ment à cœur, étoit le rétabliflement de la paix dans le Royau- 
me, & l'Eglife de France. C’eft auf le plus bel endroit de 
fon Hiftoire , & l’époque fans doute la sm glorieufe de fon 

XL. Pontificat. Il eft PACA FR pour nous de n’avoir qu'à expofer 

Sonafeétion pour ; : | ne, ù 
ete de fimples faits, des faits publics, & avérés, pour faire con- 
noître toute la tendreffe de ce faint Pape pour le Perit-Fils de 
faint Louis ; fon amour, & fes atentions particuliéres pour 
un puiffant Royaume, où, après tant de troubles, & tant 
d'agitations , il fit luire des jours fereins, & tranquiles, en 
n'y répandant a bénédiétions, pour les malédiétions mul- 

tipliées , dont fon Prédéceffeur avoit voulu le charger. 

Du vivant de Boniface VII, Philippe le Bel avoit envoyé 
en Italie un Homme de confiance , pour former fes plaintes 
contre les procédures de ce Pape, & demander la convoca- 
tion d'un Concile. Le Député n'étant arivé à Rome que la 
veille de la mort de Boniface , ne put rien faire pendant le 
tems des funérailles, ou du Conclave. Mais Benoît XI ne 
fut pas plutôt élu, que l'Envoyé fe préfenta devant Sa Sain- 
té, & fit fes humbles remontrances , éxagérant par un dif- 


teté au Roi de Servie, eft du vingt & uniéme de Décem- 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 638$ 
cours fort patétique tous les griefs , dont le Roi fon Maître, 
& la Nation avoient lieu de fe plaindre. Le Vicaire de JEsus- 
CHRIST ne crut pas que le Confiftoire dût délibérer fur ces 
Articles , .jufqu'a ce que le Député eût reçû de nouvelles Inf- 
truétions , & des Lettres de créance pour le nouveau Pape. 
Il ordonna en même tems à l'Evêque L Touloufe d’avertir de 
fa part Guillaume de Nogaret de ne point pafler outre dans 
fes pourfuites , fans un ordre exprès du Roi Très-Chrétien. 
L'intention du Saint Pere étoit d'empêcher qu'on ne mît de 
nouveaux obftacles à la paix , ou aux fages mefures qu'il mé- 
ditoit pour apaifer le fcandale, finir tous les troubles, & re- 
métre enfin la plus parfaite union entre l'Eglife de Rome, & 
le Royaume de France : il y réuffit. 

Ce fage & habile Pontife, malgré le cahos horrible où fe 


trouvoient les afaires , n'eut qu’à confulter la droiture de fon 


cœur , & fa bonté naturelle, pour trouver les moyens d'apla- 


nir les plus grandes dificultez , & concilier les intérérs , en 
/ id ® A 
aparence les plus Fear Il crut que le fouverain intérêt, & 


le devoir le plus eflentiel d’un Vicaire de la charité de J. C.. 
étoient de donner la paix à fon Eglife, & de procurer le falur 
des ames. La fagefle, & la EN toutes fes dé- 


marches ; & dans la conduite qu’elles lui firent tenir, on vit 
avec,plaifir un acompliffement de cette parole du Prophéte : 
La miféricorde & la vérité fe font rencontrées ; la Juflice 6 la paix 
Je font donné le barfer. 

Philippe le Bel de fon côté contribua au rétabliffement de 
cette paix f1 défirée : à peine eut-il apris l'Exaltation d’un 
Pape, dont il connoifloit depuis long-tems les grandes vertus : 
qu'il fe hâta de lui adreffer fes Lettres , toutes remplies des 
plus hauts témoignages d’eftime & de refpe& pour fa Perfon- 
ne , d'atachement au Saint Siége , & de bumifion à l'Eglife. 
Ce —. n'en demeura point là. Quoiqu'il eut déja fes 
Députez à Rome, il envoya de nouveaux Ambaffadeurs à 
Benoît XI ; & 1l voulut que le Clergé envoyât en même tems 
les fiens, pour traiter avec Sa Sainteté fur tous les diférends 
qu'il avoit eus avec Boniface VIII, & faire révoquer par le 
nouveau Pape toutes les Cenfures portées par fon Prédécef. 


feur (1). On peut voir dans les Anales Écléfiaftiques de 


(t) Ubi Nuncius ipfus affumptionis in quà ipfius decefloris refricans in fe acerbita- 
Gallias pervenit , confeftim Rex Philippus tem, multis Benediétum laudibus effert ; (e- 
gratulatoriam ad eum fcripft Epiltolam , | que , Regnum , & Ecclefiam Gallicanamr 


Rrrriij 


Livre 
VII 


SR eg 


BEenoîr XI 
RER LITE - 








XLTIT. 
Premiéres difpo- 
fitions à la paix. 


Pfal. Lxxx1V, 11. 


XLIV. 

Ice Roi Très. 
Chrétien |, & le 
Clergé , envoyent 
des Ambafladeurs 
à Rome. 


636 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE: Bzovius, & d'Oderic Raynald , les Lettres, dont les Am- 

VII. baffadeurs de Sa Majefté étoient chargés : nous n’en rapor- 
Benoir XI, ferons ici que les derniéres lignes. 

RARES AL LEE 7 








Est pour Nous, difoir ce Prince , 
un grand fujet de joye & de confo- 
lation, de voir pendant le tems de notre 
Régne , un faint Pontife aflis fur le 
Trône Apoftolique ; un Perfonage il- 
luître par l’éclar de fes vertus, & véri- 
tablement digne de cette haute réputa- 
tion , qui publie partout fa fainteté ; 
un homme felon notre cœur , acoutu- 
mé à chercher , non fes propres inté- 
rècs ,; mais la gloire de Dieu, la pe 
pagation de la Foi Catholique, le bien 
de l'Eghfe univerfelle, & l’heureux 
acroiffement de la félicité des Peuples ; 
un homme enfin, qui, par un zéle 
toujours pur , ne travaille qu'à procu- 
rer le repos , ou afermir la profpérité 
de tout Le Monde Chrétien , & avan- 
cer les afaires de la Terre-Saiute. 
Pleins de reconnoiffance pour un tel 
bienfait , & d’admiration pour un évé- 
nement aufli utile que glorieux, Nous 
ne pouvons que nous répandre en ac- 
ions de graces, & bénir dans un ef- 
rit d’humilité l’Auteur de tous les 
Ne nous adreflons avec con- 
fiance à cette Divine Bonté , qui vous 
a chargé du gouvernement PA fainte 
Eglife , pour donner à fon Peuple la 
fience du falut. Puifque c’eft une main 
de miféricorde qui vous a élevé à la fu- 
rème Dignité, Nous ne cefferons de 
Ê prier de multiplier en vous les ta- 
lens, de vous faire toujours marcher 
en fa préfence dans la fainteté, & dans 
lajuftice , & de conduire vos pas dans 


ejus benevolentiz commendat ;iniflis etiam 
. . e \ 

oratoribus , qui res plenius exponerent, & 

omnimodæ revcrentiæ ac devotionis indi- 





iifdem vero Regiis oratoribus etiam Anti- 


X eo pracipue materis nobis 

gaudii & exultationis accref= 
cit , quod regiminis noftri tempore 
in Apoffolica Sede virum federe 
confpicisaius ; bonorum omnium , fi- 
Cut fama teflatur € publicar , nire- 
re con/picusm , virtutum fpeculum , 
C fanctitaris exemplar : virum uti- 


que fecundum cor noffrum , qui non 


quarit qua [ua [unt , [ed que Dei, 
ad Catbolice Fidei, G: univerfalis 
ÆEccleficbonorum, exaltationis in- 
crementa felicia , ac flatum profpe- 
rum © quietum totius Chrifliani 
Populi , G promotionem felicem 
negotis Terre Sanüle ducitur pure 
zelo. | 

Tgitur pro tam digne , tam falu- 
bris & arilis provifionis eventu , bo- 
norum omnium largitori ad laudes 
C gratias in bumilitaris fpiritu 4[- 
Jurgentes , ejus imploramutlevorè 
clementizm ; ut qui vos ad regimen 
Ecclefie fanile ad dandam filutis 
fcientiam plebi [ue 4d fuperne di- 
gnitatis bonorem pia miferatione 
provexit , fic credita vobis mulripli- 
Cart talenta concedat , fic in fancti- 
tate , © juflitia coram ipfo , © in 
véam pacis dirigat greffus vefiros , 
quod poff regiminis prefentis excur- 
fum ad Caleflis glorie folium , un 
cum grege vobis commiffo, clementi 
Pietare perducat, judicaturum cums 
cateris fanétis fuis omnis orbis Terre 
finium Nationes. 


Regi, quam toti Ecclefiaftico Ordini, Acæ- 
demiæ Parifienfi, & univer{o Populo facris 
interdiéto , gratiam Apoftolicæ Sedis , & 


A4 A9. 1303, 19-20. 


cia ejus Beatitudini exhiberent .... cum | refticutionem in integrum , &c. Spendan. 


ftites {uos miferunt , exhortatum tam eidem 


L 2 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 687 


Caterüm nos, © Regnum, cu- 
jus moderamini , difponente Domi- 
no, prefidemus , 6 Ecclefiam Gal- 
licanam , Sanétitatis veire favors- 
bus fiducialiter commendamus. Et 
ad exponendum perfeëtius , € ple- 
niùs exbibendum Beatitudini veftre 
” omnimode reverentie C devotionis 
sndicia , ecce diletos , &’ fideles 
Beraldum Dominum Mercolit, Afa- 
giffrum Petrum de Bellapertica Ca- 
nonicum Carnotenfem , © Guillel- 
mum de Plefiano Milirem, Nun- 
tios noffros ad Santtiratis veflrapre- 
Jentiam deffinavimus ; quos benigne 
recipere , ac eorum relatibus pater- 


na clementia audientiam prebere 


placidam , & fidem non dubism ad- 
bibere dignetur , ce 


le chemin de Ja paix ; afin que le Paf- 
teur, & le Troupeau à fa fuire . ari- 
vent un jour au terme heureux ; & 
qu’aflis fur un Trône de Gloire , vous 
puifliez juger avec les autres Saints tou- 
tes les Nations de la Terre. | 

C’eft avec une pleine confiance , que 
Nous nous métons, Nous, notre Roiïau- 
me , & route l'Eglife Gallicane , fous 
la favorable protection de votre Sain- 
teté. Nos chers , & fidéles Serviteurs; 
Beraud Seigneur de Mercœur , Pierre 


de Belle-Perche Chanoine de Char- 


Livre 
VII. 


Benoît XI. 
A ed 








tres , & Guillaume du Plefflis Cheva- : 


her, nos Ambaffadeurs, font chargés 
de vous expofer” plus amplement nos 


| fentimens » & de vous aflurer de notre 
res vénération , &:obéiffance f- 


ialé. Nous fuplions très-humbleinent 





| Votre Sainteté de vouloir les recevoir 
avec bonté, & écouter favorablement tout ce qu’ils lui diront de no- 
tfepart, __. 


Ap. Odoric, At, 
1304.97, 9. 


+ Dans ces Lettres, datées du 14° de Févriet 1304,il n’eft point 
fait mention de Guillaume de Nogaret, peut-être parce que 
fon nom étoit trop odieux à la Cour de pra On prétend 
cependant qu'il avoit été Joint aux trois autres Envoyez. 
Quoiqu’iken foit , le Pape reçut-fort agréablement les Ambaf- 
fadeurs François , qui aflurérent Sa Sainteté que le Roi léur 
Maître n’avoit point eu de part à Cé qui s'étoit pañlé l’année 
précédente à Anagni : ceux qui avoient eu la témérité d’aré- 
ter, & de traiter avec tant d'infolence le Pape Boniface VIII’,  : 
ayant agi en cela fans ordre de Sa Majefté. Cette déclaration . 
fut très-agréable au nouveau Pape: & on ne tarda pas à voir 
l’entier acompliffement de tout ce que l'on s’étoit promis de 

fa générofité , ou de fa juftice. Déja, pour'accélérer la paix, 

il s'étoit fait un plaifir de prévenir les premiéres démarches 
duRoi; &ilavoit commencé pe Pt des graces, avant 
même qu'on les eût demandées. A peine les derniers Ambaf- 
fadeurs de France étoient-ils arivés à Rome, que Benoît XI 
tint un Confiftoire public, où, en préfence des Dépurez dè 
Philippe le Bel, Sa Sainteté leva toutes les Cenfures, que ce 
Prince pouvoit avoir encourués fous le dernier Pontificat. , 

| Qu'on regarde cette conduite du Vicaire de JEsUs-CHRIST, 


# 


Fleuri, Liv, xc ,". 41. 


XLV. 
Benoit XI reçoit 
favorablement les 
Ambaïfadeuts 
Françdis.. : 


688 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES : 


LIVRE oucommela _— d’un efprit reconnoiffant pour les grands | 


VIL. fervices , que nos Rois dans tous les tems ont rendus à l'Eglife 


LE ELA 2 





_ Benotr XI. Romaine, & au Saint Siége ; ou comme l'éfet d'une fage po- 
mm” jitique , qui difpenfe à propos les faveurs , afin de les faire 
eftimer davantage, & de s'atacher plus fortement de puiffans 
amis, L'un & l'autre étoit digne de À prudence du Souverain 
Pontife. Et c’eft ainfi que l'a entendu un Auteur Ecléfafti- 
que , eftimé parmi les Savans (1): | 
© XLVL * Mais n’expliquons les fentimiens du Saint Pere, & fes véri- 
RU tables intentions , que par fes propres ut pet Voici de — 
mandes du Roi, Mamiére il s’expliquoit dans une de fes Lettres au Roi Très- 
pour lever les Ce # Chrétien: “ En vous prévenant, Notre très-cher Fils, par 
Murs » des bénédiétions de douceur ; Nous avons voulu vous don- 
» ner des preuves réelles de notre amour paternel pour vous, 
» & de notre zéle pour votre falut. Nous Nous Ds bon 
» gré d’en avoir ufé de la forte , pour ne pas Nous rendre cou- 
» pable de votre perte : & bien loin que Nous | ep Nous 
, repentir de l'avoir fait, Nous confeflons fans peine que 
» Nous avons dû le faire, pour imiter la douceur, & la x 4 
» rité de celui, qui a daigné Nous établir fon Vicaire...... 
» Certes ce feroit un grand orgueil que d’ofer condamner la 
» Sonduite du premier des Pafteurs, parce qu'il fuit les régles 
» de l'humilité chrétienne (2) ,.. Lo 
Sa Sainteté publia depuis plufieurs Bulles fur le même fujet. 
Nous en avons deux datées de Viterbe , le dix-huitiéme , & le 
_ dix-neuviéme d'Avril, & trois qui furent données à Péroufe 
x1vn. le treiziéme de May. Par ces diférens Décrets Apoftoliques, . 
Et réablit le Benoit XIrévoqua tout ce que fon Prédéceffeur avoit pü faire 
RATE ce. au préjudice de Sa Majefté , de fon Royaume , ou de l'Eglife | 
de Le premier de | ur Il leva l’Interdit général ; & rétablit le Roi, fes 
hat, Sa Sainte Afiniftres , fes Oficiers, tous fes Sujets , les Eglifes Cathé- 


0 © om 1 mm mm … 





. (x) Sed vicit Apoftolica manfuetudo : {‘dinis noftrz commoverit , abfolutio, quam 


tüm Gallorum in Sedem Apoltolicam ftudia 
illius dignitatem auxiflent , temperandam 
cenfuit clementià feveritatem ; cum magna 
affulgerer fpes, ed Gallos majori obfer- 
vantià Romanam Ecclefiam complexuros , 
quo cjus benignitatem experirentur , &c. 
Odpric. a Ân. 1304, n. 9. 

* (2) Quanta nos, Fili cariflime , ad tui 
directionem folicitudo impulerit Paftoralis 
officij, quantave paternæ picratis dilectio 
ad falutem tuam fuper te vifcera manfuctu- 
ue 


bus excommunicationum Sententiis , qui- 
bus ex quacumque causa forfitan rencbaris 
adftriétus, in tuorum-Nuntiorum præfentia 
ce in bencdiétionibus dulcedinis prævenien- 
tes impendimus, manifeftat. Id ne fanguis 
tuus de noftris requiratur manibus , feciffe 
Jætamur ; id eviffe non pœnitet, & quod 
plus eft, illud etiam faccre debchamus . ... 
porro quis fuperbus Epifcopum Urbis, & 
orbis de humilitare redarguct ? Ap. Naral. 
Alex, T. VII, Hifi. Eccl. p. 495. 

drales , 


memor enim fanétiflimus Pontifcx quan- |‘ribi nuper abfenti & non petenti, ab omnis | 
| 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 689 
drales, Collégiales, ou Réguliéres, les Univerfitez , & gé- 
néralement tous les Corps de l'Etat , dans leurs anciens droits, 
ou privilèges , graces , libertez , indults. Il abfout les Pré- 
lats , les cléhaftiques , les Barons, & autres Nobles, de 
l'Excommunication portée contre eux, pour avoir empêché 
ceux qui alloient en Cour de Rome. En un mot, il remit le 
Roi & le Royaume dans l’état où ils étoient avant le Ponti- 
ficat de Boniface VIII. Peu content de confirmer tous les pri- 
viléges anciennement acordés à la Nation , Benoit XI en 
ajouta de nouveaux (1), en faveur d'un Prince, qu'il vou- 


LIVRE 
VII. 


Benoîr XI. 
Le 


renouvelle, ou con- 
firme tous les an- 
ciens Priviléges de 
la Nation ; & en 
acorde de nou- 

veaux en faveur de 


la Famille Royale. 


loit gratifñier ; & auquel il avoit expreflément adreffé la plû- . 


part des Bulles, dont on vient de parler. 

Oderic Raynald en raporte quelques-unes dans fes Ana- 
les Ecléfiaftiques : & M. Sponde dit avoir vû les autres, fans 
doute dans les Regiftres mêmes du Vatican. Tous les Hifto- 
riens , anciens & modernes, en parlent aflez au long. Mais 
les bons François ont-ils befoin du fecours des Livres, pour 
ne point ignorer les bienfaits d’un faint Pape, qui a fi tendre- 
ment aimé la France ? Ce qu'ils ont apris de leurs Peres, ils le 
raconteront à leurs Enfans : ils en conferveront chérement 
le fouvenir ; & la plus longue fuite de fiécles ne pourra éfa- 
cer de leur cœur les juftes reflentimens d’une vive recon- 
noiffance. 

. La protetion du Roi Très-Chrétien, & fa recommanda- 
tion avancérent encore le rétabliflement des Colonnes. Cette 
illuftre Famille, fous le Pontificat précédent, avoit été chaf- 
fée de Rome, & de toute l'Italie, profcrite, dépouillée de 
fes grands biens, & frapée de mille malédi@ions. Les deux 
Cardinaux dégradés implorérent humblement la miféricorde 
de Benoît XI ; & ce fage Pontife , pour ne point condamner 
le jufte avec l’impie , n1 punir même les coupables dans toute 


la rigueur, révoqua d'abord les Sentences de Profcription, . 


& de baniflement, portées contre cette ancienne &' noble 

Maifon. Mais par un ménagement néceflaire , il fufpendit 
P . . B ? A P 

pour un tems la reftitution des Places, Villes, ou Châteaux, 


(1) Privilegia , ac libertates , quibus Re. | copi Parifienfis, ac Metropolitani Senonen- 
gem privaverat Bonifacius Prædeceflor , | fis auctoritate gxemit : tum ad Philippi, 
cidem Regi reftituir, & conceflit ficut an- | Joannz Reginæ , Succeflorum ac Regiæ 
tiquitus....nec vereres modo ape ftirpis Principum, Reges qui Gallicum Scep. 
vasinftauravit , verum etiam novis affecir: | trum fuftentarent, attingentium gratiam , 
inter quas Clericos , qui in Regiæ Parifien- | legem Bonifacianam de fepulturis folvir,&c 
fs faccllo , divino Cuiltui infiitynt , ab Epif- | Bern, Guid, cr ee , 04,M Il 


Tome LI, 





Vide Spondan. ad 
An. 1303, n. 20. 


XLVTYII. 
Conduire du faint 
Pape 2 l'égard des 
Colonnes. 


690 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE d'où les Colonnes avoient été chaflés. Il ne crut pas devoir 
VII.__ rendre fi-tôt l’ufage de la Pourpre aux deux Cardinaux, qui 
Benoîr XI. s'étoient les premiers révoltés contre un Pape, leur Souve- 
mm rain : il annula cependant la Sentence de leur dépofition : & 
+ parces premiéres faveurs , 1l les mit en état d’en efpérer de 
plus grandes, ou de les mériter par une conduite déformais 
plus mefurée (1). | 

En même tems que le Vicaire de JEsUS-CHRIST donnoit 
de fi grands éxemples de clémence & de douceur , il n’ou- 
blioit pas qu’il devoit aufli en donner quelques-uns de juftice, 
. en vengeant l'honneur de l'Eglife , ou du Trône Apoftolique, 
‘ XLIX. outragé dans la Perfonne de fon Prédéceffeur. rs Co- 
Jteftéiéen Jonne, & Guillaume de Nogaret (les principaux Aëteurs 
Nogarer , & fes dans la fcene tragique d’Anagni ) furent expreflément excep- 
complices, tés du pardon acordé à tant d’autres coupables, & la con- 
duite du Saint Pere à leur égard, parut toujours la même. C'é- 
toit à lui feul, ou au Saint Siège, qu'il avoit réfervé le pou- 
voir de les abfoudre : & malgré le carattére d'Ambaffadeur ; 
dont Guillaume de Nogaret étoit revêtu, Benoît XI, qui, 
{ans fortir de fon carattére de modération , favoit ufer d'une 
quite févérité , lorfqu’elle étoit néceflaire , refufa toujours de 
traiter avec lui, ni même en fa préfence. Après l'avoir inuti- 
lement atendu à pénitence pendant près de huit mois , Sa Sain- 
teté fit procéder criminellement contre lui, & contre Sciarra 
Colonne ; les cita pour comparoitre devant fon Tribunal: & 
dans la Bulle du feptiéme de Juin 1304, ils furent mis l’un & 
l'autre à la tête de ces hommes facrilèges & contumaces , qui 
après avoir outragé en plufieurs manières le Pape Boniface 
& pillé le tréfor de l'Eglife , n’avoient jamais donné une mar- 
que de repentir. Benoit XI renouvella contre eux, il nn” 
même toutes les Cenfures , dont ils étoient déja fi juftement 

frapés. | 
La Bulle fut donnée, & publiée avec folemnité à Péroufe, 
où les Ambaffadeurs de Jäquesil Roi d'Aragon fe préfenté- 
rent à Sa Sainteté, & lui firent hommage au nom de leur 
Maître , pour les Ifles de Sardaigne, & de Corfe. Dès le mois 
d'Avril, Benoît XI étoit forti LA Rome, foit à l’ocafion de 
quelque tumulte excité par les Partifans des Colonnes ; ou 





L. 
Le Pape à Péroufc. 


ciffent Petrus & Jacobus Columnæ, in cos | verer, &c. Odoric, ut Jp. n, 13. 


L (1) Cüm verd fupplices veniam popof- | nervum Difciplinæ Ecclefiafticæ non diffot- 
ia clementiam explicuit , Bezediülus , ut | 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 691 
‘pour punir l’orgueil, & Île fafte des Romains , felon le Con- 
tinuateur de l’Hiftoire de Tholomée de Luques. D’autres ont 
cru qu’il n'étoit allé à Péroufe , que pour être plus à portée de 
acifier les troubles , qui régnojent encore dans nr Vil- 
fes de Tofcane, de Lombardie, & de la Marche-Trévifane. 
Il y avoit déja plufieurs mois que le Cardinal Evêque d’'Oftie, 
envoyé en qualité de Légat vers tous ces diférens Peuples, 
travailloit avec zéle à les réunir. Les commencemens de la 
négociation avoient aflez répondu aux défirs du faint Pontife ; 
& la Ville de Florence paroifloit vouloir donner l'éxemple à 
toutes les autres. Mais Ps malintentionnés , acoutumés à fe- 
mer la divifion parmi les Peuples, & à l'entretenir par les 
moyens les plus criminels, mirent tout en œuvre , le men- 
fonge , l’artifice , la violence, pour faire échouer les def- 
feins du Légat Apofñtolique. Le Pape cita à fon Tribunal ces 
ennemis de F 
{es à Sa Sainteté dans la Ville de Peroufe , leurs ennemis ren- 
trérent dans celle de Florence , & la plongérent dans de 
nouvelles horreurs. Cette longue fuite de calamitez , felon la 
réfléxion d’un ancien Auteur , ne pouvoit être regardée que 
comme l’éfet d’un jufte jugement de Dieu, qui vouloit punir 
les crimes des Florentins , & fur-tout leur peu de refpeét pour 
l'Envoyé du Saint Siège, ou leur ingratitude envers un Pape, 
dont les vüës, toujours pacifiques , ne tendoient qu’à faire 
gouter les douceurs de la paix à tous les Peuples Chrétiens. 
Les Vénitiens & les Padouans furent mieux profiter des 
confeils du faint Pontife , & répondirent plus fidélement à fes 
intentions. Prêts à décider leurs querelles par la voye des ar- 
mes , ils écoutérentavec refpe& la voix du Vicaire de JE SU s- 
CHRIST, qui leur propofoit tant par fon Lépgat, que par 
fes Lettres, les moyens de réconciliation, qu'ils : PRE UI- 
-vre. Ces moyens parurent juftes, également avantageux aux 
uns & aux autres : ils les acceptérent avec joye ; & termi- 
nérent ainfi leurs démêlez fans éfufon de fang , dit un Hifto- 
rien de Venife (1). 
Ces dernières paroles , que JEsUS-CHRIST avoit adreflées à 


a paix : & pendant | s propofoient leurs excu- | 


LIVRE 
VIL 


BEenoiîr XI 
dE 





LI. 
Il travaille à pa- 
cifier La Tofcane. 


LII. 
Florentins cités à 
on Tribunal. 


Jo. Vi'lani, ap O- 
tic. An. 1304, 1.6. 


LIII. 
Guerre heureufe. 
ment terminée en- 
tre les Villes de Ve- 
nife , & de Padoue. 


(x) Diffidebant quoque tum temporis ,| fudio eam difcordiam indicat Venetarum 


multifque flagrabant odiis Venctiac Patavi.| rerum fcriprer, dum in Petri Gradenici Ve- 
ni ad quos conciliandos fan@iffimus Peter | netoram Ducis geftis , fine fufo cruore com- 


Firmanum Epifcopum mifit, ut Litteræ A-| pofitam diffenfionem ait. Odoric. 4d An. 


poftolicæ tum ad Legatum, tum ad Vene-| 1304, #. 6, 


Los datz teftantur. Sopicam BenediétiPapæ 2. 
Sfff à 


LIVRE 
VII. 


Benoîr XI. 





mm Comme une importante leçon , qui aprend à tous 


LIV. 


Juftice rendue à 


l'Archevèque de 
Mayence, 


692 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


fes Apôtres : Je vous donne la paix , je vous laiffe ma paix : Be- 
_noît k les avoit toujours préfentes à fon efprit : elles étoient 
profondément gravées dans fon cœur. Il Les de 5 », & 
es Fidéles à 

fuir les diflenfions , & comme un commandement fait en par- 
ticulier aux Succefleurs du Prince des Apôtres, d'employer 
tous leurs foins , leur vigilance , & la fuprême autorité, dont 
ils font revêtus, pour conferver, ou rétablir parmi les Peu- 
ples cette paix, que l'Homme-Dieu nous a fi fouvent, & fi 
expreflément recommandée. Les Brefs Apofñtoliques de ce 
faint Pape font tous remplis de ces mêmes fentimens : & fa 
conduite eft une preuve encore plus fenfible qu'il comtoit 
parmi fes premiers devoirs, celui de banir du Monde Chré- 
tien le démon de la difcorde , & de faire fervir la paix à la 
gloire de la Religion. oo 

Pendant qu'il s’apliquoit avec une charité pleine de folici- 
tude à réunir tous les Peuples d'Italie , à Fe 0 leurs animo- 
fitez , & à détourner les ts de la guerre , 1l ne veilloit pas 
avec moins d’atention à tout ce qui fe pafloit dans les autres 
Parties du Monde Chrétien. Il y avoit long-tems que l’'Empe- 
reur faifoit une guerre aufli injufte qu'opiniâtre à Gérard, 
Archevêque Eletteur de Mayence. Après avoir pris plufieurs 
Châteaux, & pillé les Terres, ou les es de cette Egli- 
fe , il avoit chafñfé le Prélat; & l’avoit forcé les armes à La 
main à faire avec lui un acord fous des conditions très-oné- 
reufes. Un Hiftorien ajoute (& cela paroït par les Lettres de 
Benoît XI) que Boniface VIIT ayant autrefois averti le Roi 
des Romains, de métre fin à ces hoftilitez , & de fe réconci- 
lier avec l'Archevêque de Mayence, il n’avoit pù obtenir ni 
l'un ni l’autre. Peut-être que les avertiflemens de ce Pape n’a- 
voient été fans éfet, que parce qu'ils n’étoient point foutenus 
de l'éxemple. Les vives inftances , & les charitables exhorta- 
tions d’un Pontife plus pacifique furent aufh plus éficaces. 
Sa Sainteté ne fe contenta pas de repréfenter avec force à 
l'Empereur Albert le tort qu'il faifoit à l'Eglife, à fa confien- 
ce, & à fa réputation ; elle caffa le Concordat injufte que ce 
Prince avoit extorqué du Prélat oprimé , l'obligea à faire une 
fatisfaétion raifonnable, & à reftituer à l'Eglife de Mayence 
tous les biens , dont lui-même , ou fes fauteurs à fonéxemple, 
l'avoient injuftement dépouillée (1). 


(1) Labosanti etiam hoc tempore inteftinis diffenfonibus Germaniæ fuccurrere nifug 


à 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 693 


Après avoir obtenu cet aéte de juftice de l'Empereur, Be- LIVRE 
noit XI fe fervit de lui, & de la terreur de fes armes, pour ___ VII. 
rocurer à l'Epglife de Trente la même paix, dont il venoit de Benoîr XI. 
Eire jouir celle de ie Sie Le Duc de Carinthie, qu'on 
repréfente comme un homme extrêmément féroce , avare, 
& cruel, éxerçoit particuliérement fes violences contre le ” 
Clergé de Trente, pillant les biens , & maltraitant les Per- 
fonnes Ecléfaftiques. Inftruit de ces véxations , le Vicaire de clergé de Trenre 
Jesus-CHRIST employa d'abord à fon ordinaire tout ce que protégé. 
la charité Paftorale a de plus infinuant , ou de plus capable 
de gagner un cœur qui n'eft pas entiérement endurci. Mais 
s’il eft des hommes , qui aiment à céder à la raifon, ou qui 
ne favent réfifter à la juftice , quand elle eft acompagnée des 
charmes de la douceur : il en eft auffi qu’on ne peut réduire 
ue par la force, ou par la crainte: c'étoit le caraftére du 
Duc de Carinthie. Le Saint Pere n'avoit pù le toucher, ni 
ar fes preffantes folicitations , ni par fes priéres réitérées. Le a 
Los Pontife ne s’avifa point de le menacer des Cenfures Eclé- 
fiaftiques, pour ne pas les expofer au mépris d’un Prince, 
qui ne fe piquoit point de Religion; il fe contenta de faire 
paroitre le Roi des Romains pe à tourner contre l'Ufurpa- 
teur , les armes que le zéle de la juftice lui avoit mifes en main 
pour la défenfe de l'Eglife. Le Duc, devenu tout à coup do- 
cile, cefla de véxer le Clergé ; & de s'enrichir de fes dé- 
pouilles. | 
Tous les jours du Pontificat de Benoït XT étoient marqués 
par quelque aëtion particuliére de zéle , de générofité, de clé- 
mence, ou de religion. À tous les faits déja raportés, nous 
ouvons en ajouter encore co > Qui n'ont point été ou- 
liés par les Ecrivains Ecléfiaftiques. 
L'inconftance , ou l’ambition de Frédéric, Roi de Trina- 
crie, obligérent le faint Pontife à renouveller plus d’une fois 
les falutaires avertiflemens , _ lui avoit donnés peu de 
jours après fon Exaltation : & il le fit toujours avec fuccès. 


eft Benedictus ; ac difcordiz , quæ inter | rat. Cui Beneditus paternis Litteris pro- 
Gerardum Epifcopum Moguntinum & Al-| pofuit ob oculos , quantüm Regium hono- 
bertum Romanorum Regem inrercedebat , | rem læderet , fi ex principatüs officio ad _ 
fomitem extinguere. Compulerat antca Al- | tuendam Ecclefiam obftriétus,illius jura vio- 
bertus armorum potentià Archiepifcopum | laret: reftituerer itaque ablara,ac damna far- 
ad indignas paétiones , nonnullifque ipfum | ciret, ne Ecclefiæ cœleftis fponl in fe iras 
arcibus , ac juribus Moguntinæ Ecclefñæ | concitaret, Odoric, ss fp. n. 7. 

+ exuerat, monitaque Bounifacii . , . . fpreve- Fe 

| Sfff üj 


1 


604 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


EIVRE Quoique le Traité que ce Prince avoit conclu avec les deux 
VIT. Cours de Rome, & de Naples, fut à fon avantage, puifqu'il. 
Benoir XI. luiafluroit une Couronne , & la paifible pofleffion d'un beau 
=” Royaume ,ily avoit néanmoins certaines conditions qui 
ne flatoient pas fa vanité ; & de tems. en tems, foit par fa 
propre inquiétude, foit par les mauvais confeils des flateurs 
(dont les Cour des Princes font toujours remplies) il paroif- 
foit méprifer fes engagemens ; de l'obfervation defquels dé- 
LL. pendoit la continuation de la paix. Les difcours empoifonnés 
nemis de la paix dé. de quelques Courtifans fembloient irriter continuellement les 
concertés, paflions du jeune Monarque ; & les nouvelles démarches 
qu'on lui faifoit hazarder , ne tendoient qu'à allumer le feu de 
Ja guerre dans toute l'Italie. Mais la vigilance du Pere com- 
mun , fa modération &+ fa fagefle déconcertérent toujours les 
deffeins des ennemis de la paix. Atentif à toutes les entreprifes 
de Frédéric , il fut toujours le prévenir à propos, le corriger 
avec douceur , & lui faire craindre le D qu'il lui montroit, 

pour le porter à l'éviter (1). , 

LVIL. En travaillant avec tant de foin à procurer le repos ; & la 
ee du tranquilité des Peuples , la premiére intention du charitable 
veur des Peuples Pafteur étoit de fournir aux Fidéles de nouveaux moyens de 
de Sicile ; converfon , & de falut. Il voyoit avec douleur que les fuites 
malheureufes de l'Interdit général , fous lequel Île Royaume 
de Sicile avoit long-tems gémi, étoient l'ignorance, ou le 
mépris des chofes Pintes . e libertinage , la corruption des 
mœurs , & le venin de l'héréfie, qui à répändoit par-tout, 
avec d'autant plus de rapidité, qu'il n’y avoit perfonne, qui 
pût, ou qui ofàt s’y opofer. Ce fut vers cet objet que Be- 
noit XI tourna fes atentions. Parmi les fages confeils , qu'il 
avoit d’abord donnés au Roi Frédéric , en le réconciliant à 
l'Eglife, le premier étoit en faveur de la Religion. Il réitéra 
fouvent fes priéres, & fes exhortations , afin d'engager ce 
Prince à faire paroitre fon zéle pour la pureté de la Foi, & 
l'extirpation de l’Héréfie dans fes Etats. Sa Sainteté y envoya 
en même-tems plufieurs bons Miniftres ,Théologiens , & Pré- 
Oloric. ur fp. #, 15. diCateurs choiks dans fon Ordre. Frédéric les reçut favora- 


dl 


*. 


(x) Attende igitur in jis quantä te, Fili riculum aliquod incurras , inftruimus ; & 
cariffime , finceritate profequimur , quam | per prædiétas alias olim & nunc tibi direc- 
tecum vià fimplici ambulamus : te enim per | tas, tuo ftatui, ut ex earum le@ione per- 
claufas lireras pii Patris affetu monemus in | pendere potes , paternà follicitudine provie 
fecreto falubriter per tran{miffam formam | demus, &c. Odoric. ur fp.n. 18. 
corum quæ facere debes ; benigné , ne pe- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. &os 


blement ; & fous fa proteëtion ils travaillérent avec fruit à 
combatre le vice, & l'erreur ; à inftruire les Peuples , & à 
leur faire reprendre les pratiques de piété, ou de der 2 | 
qui , depuis plus de vingt ans, étoient extrèmément négligées 
par les uns, & ouvertement méprifées des autres. | 

La République de Gènes fe trouvoit à peu près dans le mê- 
me cas que le | prmr de Sicile. Ce Peuple, Far avoir mé- 
prifé les défenfes du Saint Siège , & aporté à fes Ennemis des 
armes , des marchandifes , & divers autres fecours, avoit été 
frapé des Cenfures de l'Eglife. Mais les Gênois ayant enfin 
reconnu leur faute, & imploré la clémence de notre Pon- 
tife , 1l les reçut avec fa charité ordinaire, & ne put leur re- 
fufer l’abfolution qu'ils demandoient avec des grandes mar- 
ques de repentir. s | 

Sa Sainteté ne traita pas moins favorablement Amedée, 
Comte de Savoye. Dès que ce Prince eût promis de réparer 
les dommages qu'il avoit caufés à diférentes Epglifes, Be- 
noît XI fit avertir le Dauphin de Vienne, & quelques Pré- 
lats qui s'étoient joints à fi , contre ce Comte, de ne plus 
l'inquiéter ; mais de pofer les armes , & de faire retirer leurs 
Troupes de deflus fes Terres. | . 

Le Clergé dans la Province de Bretagne donnoit de juftes 
fujets de . aux Laïques, qui on de trop étendre 
fes droits par une coutume ve: coutume, que la cupidité 
avoit infenfiblement introduite , & que le Souverain s’étoit 
engagé par ferment de faire obferver. Le zélé Pontife ne fut 


LIrvRrEeE 
VIL 


Benoit XI. 
Re _ ___ __ à 








LV. 
De Genes ; 


Ibid, n. 10, 


LIX. 
De Savoye ; 


LX. 
De Bretagne ; 


pas plütôt informé de ces abus, qu’il les abolit. Il réprima, . 


dit un Auteur Italien, l'avarice des Ecléfiaftiques ; & fit fa- 
“voir au Comte de Bretagne que le Saint Siège l’avoit abfous 
de fon ferment ; afin qu'il s'opofät déformais à des pratiques, 

uil ne pourroit favorifer qu’au préjudice de la Religion. 
Par le même zéle de juftice, Sa Sainteté obligeh les Magif- 
trats de Bologne en Lombardie de réformer quelques-unes de 
leurs Délibérations , & de renoncer à certains Statuts, parce 
qu'ils étoient trop contraires à la liberté de l’Eglife, & à fes 
immunitez (1). | | 


(1) Prætereundum hîc non eft vifum, | nenfi adverfus Amedeum Sabaudiz Comi- 
Bencdiétum Frederici fœderatos Genuen- | tern fe conjunxerant , arma ponere juffiffe, 
fes, ob illata auxilia, es merces | cum Sabandus damna Ecclehiis illata refar- 
contra imperia Apoftolica Cenfuris devin-| cire fponderet. Coercuiffe Parochorum 
étos , eà Religione folviffe : Non nullos | Britanniæ avaritiam, qui exequiarum juris 
Præfules , qui Humberto Delphino Vien-1 {pecie, aliena-bona corradebant ; ac tuendæ 





696 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE On obéifloit d'autant plus volontiers aux ordres du Vicaire 
VIL. de JEsus-CHRIST , que tout le monde connoifloit la droiture 


 Benoîir XI. de fes intentions, & la bonté de fon cœur, bien plus porté à 
=” relâcher de fes droits, qu'à éxiger ce qui ne feroit pas dû. Il 
LXL. en donna une belle preuve en 2 l'Evêque, & de l'E- 
Benoît XI reçoit glife de Bamberg. A ps une ancienne coutume , les Evêques 
acbonté lex" de cette Eglife étoient obligés de faire préfenter tous les ans 
de Bamberg: un Cheval blanc au Souverain Pontife ; & déja fept années 
s'étoient écoulées fans qu’on fe fût aquité de ce devoir. La 
énérofité fr connue de Benoît XI engagea l’'Evêque de Bam- 
ne à lui faire fes excufes ; ê à demander grace pour tout ce 
que fon FA devoit au Saint Siège, avec promefle de fe 
montrer à l'avenir plus éxa@t à remplir fes obligations. Sa de- 
mande & fes exciffes furent également bien reçuës : le Saint 
Pere fit aufli-tôt expédier un pes décharger le Prélat de 
cette dette, afin que nilui, n1 fes Succeffeurs ne fuffent ja- 
mais inquiétés à cette ocafion. Mais pr ne point porter quel- 
que préjudice à l'Eglife de Rome, il ne crut pas devoir ka 
chir pour toujours celle de Bamberg de cette efpéce de Tri- 
Midos, but: ÂVon autem intendimus quôd per præfentem remiflionem & 
donationem noftram ullum ipfi Romane Ecclefiæ præjudicium 

generetur. | | 
__ Nous n’entrerons point dans le détail de tout ce que le zéle 
de la gloire de Dieu , & du falut des ames fit entreprendre à ce 
vigilant Pafteur, pour l'honneur des Autels , le maintien de 
La Difc line Ecléfaftique , la décence & la majefté du Culte 
ae quel. divin. Perfuadé EL rien n'eft plus éficace pour animer les 
ques abus dans l'E. Peuples à embrafler les éxercices de religion , & à mener une 
gli(e de Latran. vie chrétienne, que l'éxemple de ceux qui fe font confacrés 
au faint Miniftére , il ne ma rien pour faire briller dans 
le Clergé , l'intégrité des mœurs, l'étude des faintes Lettres, 
le zéle, la fience, & la piété. Le Service Divin ne fe faifoit 
pas toujours avec la décence convenable dans l'Eglife apellée 
de Latran , la premiére qui eut été bâtie par les libéralitez de 
l'Empereur Conftantin, & confacrée par faint Silveftre. Le 
zéle de Benoit XI le rendit atentif à une chofe qui regardoit 
ui de fi près la gloire de la Religion. Il fit pour cela de fages Ré- 
glemens , dont il voulut voir l'éxécurion ; il détermina le” 


veteris illius corruprelæ Sacramento Joan-! nis manus tempcrare jufit, eo Bononien- 
nem Britanniæ Comitem liberafle : pari de- | fes, jus Ecclefiaiticum labefactare molientes 
pique juftitiæ zelo, quo Eccletafticos alie- | coercuile. Ibid, - 


nombre 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 697 


nombre de Miniftres 7 devoient chanter les louanges du Lr 4, E 


BEnoir XI. 
D. 


Seigneur , & s’aquiter des faintes fonétions dans cet augufte 
Temple. Mais fon éxemple , & fa piété fervirent encore plus 
que {es Réglemens , à rallumer dans le Clergé l’efprit de fer- 
veur, & l'amour de la prière. 

Ceux qui étoient dévoués par état à travailler à leur propre 
perfeétion, dans le fecret de la folitude , ou au falut des ames, 
par le miniftére de la Parole, recevoient tous les jours quel- 
_ grace particulière de ce Pere commun des Fidéles. Il mit 

pecialement les Difciples de faint Pierre Céleftin fous la pro- 
tettion du Siége À re , & confirma de nouveau l’'Or- 
dre des Servites. Nous pafferions les bornes que nous nous 
fommes prefcrites , fi nous entreprenions de parler de tous les 
bienfaits, dont il ne ceffa de combler l’Inftitut, dans lequel 
il fe glorifioit d’avoir été autrefois reçû ; nourri, & élevé à la 
fience, & à la vertu. Les plus vifs fentimens d'amour, ou de 
reconñoiflance , dont peut être capable un cœur bien fait, 
Benoît XI les fit toujours paroître par fes a@ions : & il a 
voulu les faire pañler à la pofterité par fes Lettres Apoftoli- 
ques. Celles qu’il adreffa au Chapitre Général des Freres Pré- 
cheurs , aflemblé à Touloufe aux Fêtes de la Pentecôte 1304, 
mériteroient fans doute d’être raportées ; nous n’en donne- 
rons pas cependant la Tradu&tion,pour ne pointinterrompre la 
fuite de l’'Hiftoire. Il faut en omettre de même plufieurs autres, 

u'on peut voir dans le Bullaire ; & qui ne font point de moin- 
ro preuves de la charité de ce faint Pape , ou de fes aten- 
tions particuliéres pour le foulagement des Pauvres, & l’en- 
tretien, ou le gouvernement des Hôpitaux ; fur-tout pour la 
confervation de la paix parmi les Miniftres de l'Autel. 

Boniface VIII voulant rétablir la bonne intelligence entre 
le Clergé Séculier, & les Réguliers , avoit donné ocafion à 
de nouvelles difputes par quelques Réglemens , que fon Suc- 
cefleur jugea à propos de revoir. Mais en ET , Oure- 
tranchant en partie ce qui pouvoit avoir bleffé les Ordres Re- 
Lgieux , le Saint Pere leur ordonna de nouveau de rendre 
toujours , & dans toutes Les ocafions , aux premiers Pafteurs, 


la jufte foumiffion , & les refpeëts qui font dûs à leur augufte 


dignité : & il recommanda aux Supérieurs Réguliers de ne 

jamais confier le miniftére de la NE PP pb , Ou l’adminiftra- 

tion du Sacrement de Pénitence , qu’à des Sujets d’une vertu 

éprouvée , recommandables par la piété & par la fience, 
Tome Z, | Trct 


LXITIT. 
Sa charité envers 
les Ordres Reli- 


gicux. 


Odoric. 
1304, 9. 21. 


ad AG 


LIVRE 
VII. 


BEenoir XI. 








LXIV. 
Ambaffadeurs du 
Patriarche d'O- 
ricnt, 


“ 


608 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


propres à édifier , à inftruire & à guérir les maladies de l’ame, 
en mêlant à propos la douceur de l'huile avec la force du vin. 
Ï ne confoit lui-même le foin des Eglifes qu’à des Miniftres 
de ce caraétére. Sa vigilance s'étendoit à tout, pour la perfec- 
tion , ou la conduite du Troupeau de JEsus-CHRIST. Auff 
la réputation de fa Sainteté fut-elle portée jufqu’aux Nations 
les plus reculées. 

Les Hiftoriens font mention de plufieurs Ambaffades , que 
le Pape reçut vers le commencement de l'Eté de r304. Infi- 
braim , Patriarche des Chrétiens Orientaux, envoya à Be- 
noiît XI fes Députez, chargés de Lettres écrites en Langue 
Caldaïque , qui ont été as en Latin, & inférées dans 
les Anales de lEghfe. Ces Députez demandérent au nom de 
leur Patriarche la Communion avec FEglife Romaine; re- 
connurent fa Primauté du Saint Siége ; £ préfentérent une 


_ Formule, ou Profeffion de Foi, qui fut d'autant plus agréa- 


A?. Odorie, ut lp. 
“h. 26, 


ble au Vicaire de JEsUs-CHRIST , qu'on la trouva ortho- 
doxe dans tous fes articles. | 

Au refte, rien ne pouvoit paroître plus refpeîtueux , ni 
plus foumis que la mamiére , dont ce Patriarche prioit le Sou: 
veraiñ Pontie de recevoir les affurances de fon obéiflance, 
& de lui faire connoître fes volontez. “ Nous vous fu- 
# plions, difoit-il, de Nous recevoir comme un bon Pere, 
# & de remplir notre cœur de joye & de confolation, en 
; nous honorant de vos Lettres, & de votre bénédi@ion, 
» puifque nous fommes vos Freres en JESUS-CHRIST , & vos 
>» dans une même For, difpofés à faire tout ce que 
» nous connoîtrons être agréable à Votre Saintete (+) ». Infi- 
braim parloit en fon nom; & au nom de tout le Clergé de 
Perte. | 

On ne nous a point confervé la réponfe du Souverain Pon- 
tife; mais us nous connoîtrions moins l’ardeur de fa cha: 
rité, nous ne pourrions douter du favorable acueil qu’il fit 
aux Orientaux ; puifque par la Lettre même du Patriarche il 


(r) Et ipfe pius Pater ne avertat à nobis 

ciem fuam , cum fimus omnes Fratres in 
Chrifto, & ejus Filii per veram Fidem Ca- 
tholicam : & dignetur corda noftra erigere 
in gaudium & confolationem per Literas 
fuas , mandando nobis quæ facere dcbea- 
mus , quæ accepta & grata fint fux Sancti- 
tati.. . . Omnces Prxlati Orientis qui circa 


nos funt , Archiepifcopi , & Epifcopi, & 
Sacerdotes , & Relisiof, &c alii Fideles fup- 
plicant vobis , & falutant cum orarionibus, 
& pctunt à vobis orationem , & benedi- 
étionem. Seriptum feria fecunda in crafii- 
no Pcntecofles , xvnx1 die menfis Madis 
161$ #b Alexandro Rege in Civitate Maa 
raga Regno Perfarum. | 


è 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 699 


paroït que Sa Sainteté l'avoit en quelque maniére prévenu, LIVRE 
en envoyant dès le commencement de {on Pontificat ge VI. 
Religieux de fon Ordre, dans le Royaume de Perfe, pour .Benoir XI. 
reconnoître l’état de la Religion dans ce Pays, la Foi, &les mr” 
mœurs des Peuples , & les Pop de leurs Pafteurs par ra- 
port au Saint Siége (1). 

Les Ambaffadeurs du Grand Can des Tartares s'étoient déja  Srontan. ad An. 
préfentés devant le Saint Pere, pour lui faire des propofitions 7?" 
qui paroïfloient fort avantageufes , puifque cet Empereur x, qu Grand Can 
{très-favorable à l'Eglife) ofroit de joindre fes forces à celles des Tartares. 
des Princes Chrétiens, s'ils vouloient fe réunir contre les 
Mufulmans , qui avoient tout ravagé dans la Syrie, fur-tout 
dans la Paleftine. Depuis que Benoît XI étoit affis fur la 
Chaire de faint Pierre , il n’avoit eu rien plus à cœur , que 
de retirer les Lieux Saints de l’opreflion des Sarafins , dont la 
haine contre le nom Chrétien étoit extrême , & dont la puif- 
fance devenoit tous les jours plus formidable. Dans cette vûeé, 
le Vicaire de JESUS-CHRIST avoit employé tous les moyens, 
que le zèle & la prudence pouvoient infpirer pour pacifier les 
troubles , qui agitoient prefque toutes les Parties de l'Europe. 
Il gémifloit fans cefle fur les funeftes divifions , que les inté-  LXVI. 
rêts des Princes, l'indocilité des Peuplès, & les deffeins am. Sentimens du 
bitieux de quelques Particuliers excitoient continuellement. chant les divifions 
. Ces guerres entre des Chrétiens, il les confidéroit comme des Chrétiens. 
une chofe également honteufe à la Religion, & préjudicia- 
ble à une portion du Troupeau de JEsSus-CHRIST , qu'on 
laiffoit en proye à fes ennemis , tandis que les Fidéles , peu ja- 
Jloùx de leurs véritables intérêts, tournoient les uns contre les 
autres, les armes qu'ils auroient dû porter contre l’ennemi 
commun. | | 

De-là cette vigilance fi atentive, ces foins , ces folicitudes, 
ces exhortations vives & patétiques, pour procurer une paix 
générale dans tout le Monde Chrétien. De-là cette fagefle à 
ufer, tantôt de condefcendance, & tantôt d’une jufte févé- 
rité, afin de gagner les uns par la douceur , & d’arêter les au- 


(1) Novit Sanétitas veftra reverenda , | tenebrofa ad lucem perpetuam tranfmigra- 
quôd Religiofus vir, ac fanétus Frater Ja- | vic.... 
cobus Ordinis Prædicatorum , quem Deus Infinuavit etiam nobis diétus Frater , 
in via, quam aflumpfit, dirigat & confir- | qudd vos Dei voluntate & difpofitione, & 
met, venit ad nos ; & manifeftavit nobis | Spirits San@i gratià ordinante , Sedem 
quomodo Sanétus later Bonifacius Papa , | Romanam Apoftolicam obrineis , &c. Ap. 
cujus animam Deus habeat , de hac vita © Ogorie, ms Jp. n. 23-14. 


Tttti 


700 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE tres,du moins par la crainte des peines. De-là enfin cette mul- 
VIT.__ titude de Lettres Apofñtoliques , de Nonces , & de Légats, 
Benoîr XI. ie avoit envoyés chez tant de diférens Peuples , pour paci- 
er leurs x , & terminer leurs querelles. Nous avons 
déja vû que tout cela n’avoit pas été fans quelque fuccès. Mais 
la réunion des efprits ne fe trouvoit pas ençore au oint, OÙ 
le faint Pontife la défiroit pour faire éclore Îles grands deffeins 
qu’il méditoit. Cependant il ne pouvoit les perdre de vüë ; & 
le zéle qui le dévoroit, fut encore ranimé par le récit que lui 
firent les Ambaffadeurs des Tartares , & ceux du Patriarche 
d'Orient , témoins oculaires de tous les maux, dont les Chré- 
tiens étoient acablés dans les Pays, qui tomboient fous la do- 
mination des Mahométans. | 

Pendant que le Saint Pere , preffé d'une ardente charité, 
penfoit aux moyens de donner _. forte de confolation, 
& de fecours aux Chrétiens de la Paleftine, Charles de Va- 
lois , Frere du Roi Philippe le Bel , fit avertir Sa Sainteté par 
deux Députez, qu'il armoit pour le recouvrement de l'Empire 
de Conftantinople, comme apartenant à Catherine de Cour- 
tenay fon Epoufe. Pour cet éfet, ce Prince demandoit au Pape 
de commuer les vœux de ceux, qui, s'étant déja croifés pour 
la Terre-Sainte, voudroient sh 7 avec lui contre les Grecs 
Schifmatiques. Il le prioit encore de lui acorder pour les frais 
de la guerre , les legs pieux, & les autres donations deftinées 
au. fecours des Fidèles d'Orient. Enfin il fouhaitoit qu'on fit 
prêcher une Croifade générale pour la conquête de Conftan- 
tinople. 

LXvVII! Benoît XI loua le deffein de ce Prince; & 1l lui acorda fes 
Le BV demandes , excepté la derniére, dont Sa Sainteté jugea à pro- 
Charles de Valois pOS de diférer l’éxécution à un autre tems; foit par la confi- 
fur Conflantino- dération de l'état préfent de la France , dont toutes les forces 
ci étoient alors ocupées à la guerre de Flandres, foit par l'efpé- 

rance d’un prochain paflage des Croifés dans la Terre-Sainte. 
Ces deux motifs font exprimés dans le Bref du vingt-feptiéme 
de May , adreffé à Charles de Valois. Mais le vingtième de 
Juin, le Pape écrivit à l'Evêque de Senlis, & aux autres Pré- 
Jats de France, une Lettre, où il dit: “ Le zéle de la Foi 
Pleuri ,Lip.e,m.4. » doit fans doute enflâmer les cœurs des Fidéles à délivrer 
» l'Empire de Conftantinople du pouvoir des Schifmatiques. 
» Car s'il arivoit (ce qu'à Dieu neplaife) que les Turcs, & 
» les autres Sarafins qui ataquent continuellement Andronic, 





DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. or 


s'en rendiflent maîtres , il ne feroit pas facile de le tirer de “ 
leurs mains. Et quel péril , quelle honte feroit-ce pour l'E- “ 
glife Romaine, & pour toute la Chrétienté ! Nous défirons “ 
donc que l’entreprife du Prince Charles ait un heureux fuc- 
cès, comme très-utile au fecours de Îa Terre-Sainte , fi 
long-tems retardé par diverfes caufes. C'eft pourquoi Nous # 
vous prions tous de concourir puifflanment à cette bonne # 
œuvre. Sivous faites atention aux erreurs dans la Foi que # 
les Grecs ont ajoutées à leur fchifme , ou au mépris, & à « 
la haine , dont ils font remplis contre l'Eglife Catholique , * 
vous n'aurez pas befoin de nos exhortations , pour entre- # 
prendre cette afaire avec ardeur ,. 

En fupofant le droit de Charles de Valois fur l'Empire de 
Conftantinople , le Saint Pere avoit plufieurs juftes motifs de 
défirer que E François s’en rendiflent les Maîtres. (Cette 
conquête pouvoit faciliter celle des Lieux faints ; & on n’a- 
voit qu’un trop jufte fondement de craindre que cet Empire 
ne aflät enfin des mains des Schifmatiques , trop foibles pour 
le Ééfendre , au pouvoir des Mahométans ennemis déclarés 
du nom Chrétien. On vit en éfet ariver dans le quinziéme 
fiécle * ce qu'on craignoit, & qu'on prévoyoit déja dès le 
commencement du quatorziéme. 

Notre zélé Pontite, pour remplir tous les devoirs d’un 
Vicaire de JEsus-CHRIST , faifoit en même-tems partir des 
Prédicateurs de la Foi ,ÿour anoncer l'Evangile chez les 
Nations Infidélles ; & il établifloit de faints Evêques dans les 
extrémitez du Royaume de Hongrie, que le Schifme avoit 
commencé d'infe@er. Mais , tandis que l'Europe & l’Afie fe 
prométoient de recueillir les fruits de bénédiétion , que pré: 
fageoit un fi fage gouvernement: pendant que toute l'Eglife, 
édifiée des grandes vertus de fon premier Pafteur , commen- 
çoit à goûter les avantages qu'il procuroit à tous les Fidéles ; 
& admiroit avec raifon cette vivacité de zéle , qui faifoit dire 
de lui , felon l'expreflion d’un Auteur contemporain , que 

ar fes foins les chemins tortus devenoient droits , & les ra- 
a étoient unis ; une main facrilège fit tout d’un coup éva- 
nouir de fi douces efpérances , & changea en deuil la joye de 
tous les gens de bien. | 

Dans la foixante-troifième année de fon âge, après avoir 
faintement gouverné l'Eglife pendant huit mois & dix-fept 
jours , Benoit XI fut empoifonné par la noire malice (com- 

Ttttiij | 


LIVRE 
VII. 


Benoîr XI. 
de 24 








* L'anr4s3 Ma: 
homet II fe rendit 
maître de Conftan- 
tinople , & en fit la 
Capitale de fon 
Empire. 


Bern. Guid. apud 
Spond. 1304, n, 2. 


LXVIIT. 


Mort du faine 
Pa 


L 
‘ : 


702 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE me onlatoujours crû ) des ennemis de la paix , ou de la gloire 
VII. dela France. Cette mort, qu'un Anonyme moderne dans fon 
Benoîr XI. Hiftoire des Papes, dit avout été une véritable perte pour l'E- 
sm” ovlife, & pour toute la Chretienté * , ariva le fixiéme jour de 
* Tome III , pa- Siller , felon Sr Auteurs , ou le feptième , felon plu- 
ge 353. fieurs autres. L'Epitaphe qu'on lit fur fon Tombeau , favo- 
rife la premiére date. 
LXIX. Il feroit inutile de faire ici l'éloge de cet Homme de la droite 
; Eloge ; fon Qu Seigneur : fes aétions publient affez fes louanges. On ne 
fauroit faire quelqu’atention à ce grand nombre d’afaires im- 
portantes , qu'il avoit terminées en fi peu de tems , fans lui ( 
apliquer ce que le Saint-Efprit a dit de l'Homme jufte, qu'ayant | 
vêcu peu, 1l a fourni une longue cariere : confummatus in | 
Sap.IV,15.  revi explevit tempora multa. Le Pontificat de Benoît XI a été 
fans doute bien court, fion en comte les jours. Mais on doit 
le regarder comme l'un des plus longs , & en même-tems des 
plus glorieux , fi l’on veut confidérer les beaux faits dont il 
f, illuftré ; les grandes vertus qu'il a fait briller fous la Thiare ; 
les éxemples de fagefle , & de modération qu'il a donnés ; & 
enfin , tout ce qu'il avoit entrepris pour la gloire de la Re- 
ligion , l'honneur de l'Eglife , la tranquilité des Royaumes, 
& le repos des Peuples. 
Vi@ime & martir de la paix , 1l fembloit ne vivre que pour 
la prêcher, & n'être monté fur le Trône que pour la faire 
régner. Solidement humble dansga plus haute élévation , il 
ne fût jamais , ni eftimer les grandeurs de la Terre , qu'il 
confidéroit comme un fonge , ou comme une ombre qui dif- 
paroit sni or sin les pauvres & les petits , dont il fut tou- 
jours le proteéteur & le pere. Les faintes pratiques de péni- 
tence, x mortification , & d'humilité, qu'il avoit fait Érvir 
à fa perfe&tion dans le Cloitre , devenu Prince & Chef de 
toute l’Eglife , 1l les continua toujours ; il les augmenta même 
de beaucoup, dit le Cardinal Gilles de Viterbe (1). 
Jamais ce Difciple de la Croix , fidéle imitateur de la pau- 
vreté de JESUS-CHRIST , ne penfa à enrichir fes parens, ou 
à rendre leur fortune meilleure felon le Monde. On aflure 


(1) Bencdiétus XI Tarvifinus , qui in | furpabat illud pindari : Homo swmbra for- 
Prædicatorum Familia , nefcio fanétiuis , an | #iwms . . .. Pontifex fatus vitæ fuperioris 
eruditiüs , inftitutus , nihil antiquius duxit | rationem non modô non deferuit, ut ple- 
unquam , quam Cœli comparandi gratià | rique faciunt; verum etiam adauxit | &c. 
cunéta agcre, res humanas ut umbras'con- | Ægidi. Viter. Card. #pud Ciaconi. T. 1, 
temnere ; luci, æternicatique afpirarg. U-1Coi. pcccxxx. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 70: 


l embraffa tendrement fa mere , quand il la vit habillée 
on la modeftie de fon état ; lui , qui avoit refufé.de la re- 
connoître , lorfqu’on l’avoit préfentée au pié de fon Trône ÿ 
couverte des plus riches , & des plus précieux habits. 

_ On peut avoir remarqué, par tout ce que nous avons dit 
jufqu'ici , quelle étoit l’ardeur , & l'étendue de la charité du 
faint Pontife. Mais il faut ajouter que cette reine des vertus, 
unique régle de fa conduite , & de toutes les aftions de’fa 
vie, ne parut jamais avec plus d'éclat que dans les circonf- 
tances de fa mort. Toujours foumis aux ordres de la Provi. 
dence, fans fe plaindre de la méchanceté de ceux qui abré- 

eoient fes jours , il employa fes derniers momeris à deman- 
de à Dieu leur santa » & le pardon de leur crime. 
vit aprocher la diflolution de fon corps avec la trariquilité, 
& toute la fermeté d'un Jufte , acoutumé ä ne s'ocuper que 
du bonheur du Ciel , & des joyes de l’Eternité. 

Ainfi mourut ce nouvel Onias , te Pontife chéti de Dieu, 
& digne des refpeéts de tous les hommes. Les latmes & Les 
regrets des pauvres , ou plûtôt les plaintes des Fidéles dans 
toute l'étenduë de _—— , firent fon plus bel Eloge. Mais 
les Habitans de Péroufe , qui acompagnérent fon faint Corps 
dans l’Eglife des Freres Prêcheurs, où il avoit voulu être en- 
terré (*) , donnérent les marques les plus fenfibles , & de leur 
extrême afliétion , & de leur parfane confiance en fes inter- 
ceffions auprès de Dieu. Témoins de fes héroïques vertus, 
& des derniéres aétions de fa vie, ils le furent auffñi des mi- 
racles , qui fe firent à fon Tombeau ; car il s’en fit plufieurs, 
difent nos Analiftes , Bzovius , Oderic Raynald , Sponde, 
Léandre Albert , & les autres Auteurs après Bernard Gui- 
donis (1). | 

Le Culte, dont on commença prefque dès-lors à honorer 
la mémoire du Bienheureux Pape , n’a point été interrompu; 
& les Evêques de Péroufe , aufhi-bien que tout l'Ordre de 
faint Dominique , ont fouvent renouvellé leurs inftances 


(*) Dans moins d'un fiécle, on vit qua- | f£ve feptima , ut multis. .... fuife porro 


tre Souverains Pontifes décédés dans la 
ville de Péroufc. Innocent III y mourut l'an 
1216 ; Utbain IV en 1164; Martin IV en 
128$ , & Benoït XI l'an 1304. 

(1) Cm vero & his majora meditare- 
tur , morituus eff pius  fanclus Pontifex 
sbidem Perufii die fexta Julii, ut eff in ejus 
Epitaphio , & quibufdam aliis Anctoribus , 


L Ô 


virum optimum atque fanctiffimum Cr om- 
nes Auiteres tradunt, @ probant quèam 
plurima miracula ab eo pof} obitum edita, 
fanatis agris, pulfifque damonibus à corpe- 
ribus obfefforum ; qua recenfet Bernardus 
Guidonis in Tractatu de Viris Iluftribus Or- 
dinis Prædicatorum , @ poff eum Leander , 
G alii, Spondan. ad An. 1304, n, 3. 


Livre 
VII. 


Benoit XI. 
es 





LXX, 
Son Culte , 


704 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE auprès du Siége Apoftolique, pour faire décerner au Servi- 
VI. teur de Dieu les honneurs de la Canonifation. Benoît XIII, 
Benoir XI. ‘de glorieufe mémoire , avoit fait commencer , ou continuer , 
mm” |es procédures néceflaires pour cet éfet : on les avançoit heu- 
LXXL ni pr lorfque le Seigneur apella à lui cet autre Pontife 
Solemnellement felon fon cœur. Enfin , la Sacrée Congrégation des Rits 
eprouvé par Le Pa- 2 1nt folemnellement aprouvé le Culte que l'Eglife de Pé- 
pe Clément XII. ° ° Lt ; 
roufe rendoit au faint Pape , fon Jugement a été confirmé 
par Clément XII, qui a mis le Serviteur de Dieu au nombre 
des Bienheureux , & a fixé fa Fête au feptiéme de Juillet. Le 
Bref apoftolique eft du vingt-quatrième Avril 1736. Si nos 
vœux font éxaucés, le grand Pape , que le Seigneur a acor- 
dé dans fa miféricorde aux pieux Rés des Fidéles , achevera 
bien-tôt ce que fes Prédécefleurs ont commencé. Et peut- 
être aurons-nous la confodation de voir deux faints Pontifes 
du même nom, & du même Ordre, honorés en même-tems 
de l'Apothéofe, ou du Culte religieux , que leurs héroïques 

vertus, & leurs Miracles femblent également mériter. 


Fin du fepuième Livre. 


HISTOIRE 


 _. _70$ 
CR CIIUILI LILI IDC III DCIUIDCDLILPICDDE 


DCI DC DC DDC TL DC PL DC IC DC DL DC CD 2. 


HISTOIRE 
HOMMES ILLUSTRES 


DE L'ORDRE 
DE | 


SAINT DOMINIQUE 


à 
S 





LIVRE HUITIÉME. 





NICOLAS AUBERTIN, p1Tr DE PRATO, 
n ul 
CARDINAL,EVEQUE D'OsTIE, LEGAT 
APOSTOLIQUE | 
3 2 Ous ne devons pas craindre d'être acufés  Nicoras 
PER de flaterie , fi nous difons que parmi les AUBERTIN, 
| “ins Hommes , qui ont paru en Italie ditre Praro. 
AM] dans le treizième fiécle , ou qui ont hono- _ 
ré le Sacré Collége au commencement du 4h Si, Je. 


OR . > : ; lan, S. Antonis 
Sam] quatorziéme , il en eft peu qu'on puifle | Use. Olorie, 
LL. ; ond.  Baiuz. 

juftement préférer à cet 1lluftre Enfant de Fleuri. Echard. 
faint Dominique , dont nous allons écrire fuccintement l'Hif "7" "+ 
toire. La nature fembloit lui avoir prodigué fes faveurs : l'E- 

tude perfeétionna les qualitez de fon efprit ; & la grace fanti- 

fia celles de fon cœur. Les fervices qu'il rendit au Saint Sié=. 

Tome I. | Vuuu 











706 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE ge, & à toute l'Eglife , ne furent pas moindres, que les Di- 
VIIL. nitez éminentes qu'il en reçut. Boniface VIII, Benoit XI, 
Ncorie lément V, & Jean XXII, le chargérent fucceflivement de 
AuserTIN, plufieurs importantes Légations. Le troifième de ces Papes 
dit DE PRATO. fai fut redevable de fon er ; & le quatrième reçut la 
V——— Thiare de fes mains. Il eut l'honneur de facrer l'Empereur Hen- 
ri VIL, & decouronner Robert Roi de Sicile , Fils & Succef- 

feur. de Charles IT. Ce 

Ses grandes attions , toujours animées d’une folide piété ; 
& fa libéralité fouvent prodigue envers les Eglifes , les Maï- 
fons Religieufes, & les pauvres , ont rendu fa mémoire pré- 
cieufe à la poftérité. L’Abé Ughel n’a fait qu'une partie de fon 
éjoge, quand il la apellé un Pérfonage d’un profond favoir , 
& d'un génie très-élevé (1). Îl auroit pû ajouter, avec Ode- 
ric Raynald après les anciens Auteurs, que les talens natu- 
rels de ce grand Homme étoient encore lents par fes vertus 
morales & religieufes (2). 

Selon l’ordre dés tems, & la métode que nous avons ob- 
fervée jufqu’ici, l’hiftoire du Cardinal. Aubertin trouveroit fa 
place après celle de prefque tous les Hommes illuftres , dont 
nous avons à parler dans ce dernier Livre : iln'eft mort qu'a- 

rès eux. Nous le métons cependant à la tête de tous, non- 
Ph parce qu'il eft le premier Cardinal de la Création 
de Benoït XI ; mais encore, parce qu'en écrivant fa Vie, 
nous continuons en quelque maniére celle de ee faint Pape , 
& nous ne perdons plus de vüûé la fuite des afaires de l'Eglife , 
ou de ce qui s’eft paflé de mémorable, foit pendant la vacance 
du Saint diége  foit fous le Pontificat des deux premiers Pa- 
pes , qui ont Siègé hors de [talie. 
Nicole naifde Nicolas naquit vers l'an 1250, à Prato, Ville d'Italie dans 
Trao, l'Etat de Florence. Son pere, nommé Mainard , étoit de la 
Famille des Aubertins ,. & fa mere de celle des Martini. On 
comtoit l’une & l’autre parmi les illuftres Maifons de Tof- 
cane (3). Ce ne fut cependant ni la nobleffe du fang, nila 
_ faveur des Empereurs , dont les Aubertins embrafloient dans. 





(1) Hic longe do@iffimus erat, magno-| (3) Nepotem habuït Fatiom Albertinums 
, que ingenio vir. Ughel. Iral. Sacr, T.[,| Prati Comiem , Carolo IV Imperators 
Col .MCcLxv. ©: À charum. ral. Sacr. T. 1, Col. mccixv, 
. (2) Virum magniingenii, qui inter Præ- | Quem Ughelles Fatium #ominat, Nicolaus 
dicatores Religiosà Difciplina excultus ad | Coletus vocat Fentium ex Comiribus: Al 
agnas virtutes adoleverat. Odoric. #d An. | bertinis de Prato. Ibid. 
}304,9N. 1. à L 


. DE LORDRE DES. DOMINIQUE. 07 


toutes les ocafions les intérêts , qui portérent le jeune Nicolas 
au faite des grandeurs : il n'eut befoin : de fon propre mé- 
rite pour fe noue, Bien fait d’efprit & de corps, il atira dès 
fes tendres années les premiéres atentions de fes parens ; &1l 
fût fi bien profiter de l'éducation qu'on lui donna , que dès 
l’âge de feize ans fes Concitoyens fondoient déja fur lui leurs 
plus belles efpérances , lorfqu’il plut au Seigneur de l’apeller 
à fon fervice dans l'Ordre à faint Dominique. Il en reçut 
l'habit à Florence , dans le Couvent de fainte Marie-Nou- 
velle , l’an 1266. 

Après avoir donné de nouvelles preuves de fon génie , & 
de fa capacité dans le cours de fes Etudes , qu'on lui fit d'a: 
bord commencer en Italie, il fut envoyé dans les Ecoles 
de Paris ; & il répondit toujours à l’atente de fes Supérieurs. 
Modefte , éxa&, religieux, fes progrès dans la piété alloient 
de pair avec ceux qu'il faifoit dans les Siences ; parce que fa 
maxime ( qui fera toujours celle des véritables Savans ) étoit 
de ne jamais féparer l'Etude de la Priére , n1 la Priére de l'as 
complifflement de tous les devoirs de fon état. Il vouloit fa- 
voir ; & 1l nenégligeoit rien pourenrichir fon efprit de nou- 
velles connoiflances , non afin de briller un jour parmi les 
doëtes ; mais pour s’édifier , ou s’inftruire lui-même ; & rem- 
plir fa vocation, en fe rendant utile au prochain & à l'Eglife. 
_ Dans ces difpofitions , ayant fini fes Etudes, & déja en 
état de travailler dans la vigne du Seigneur , Aubertin n’a: 
tendit que l’ordre de ceux qui devoient l’apliquer autravail, 


LIVRE 
III. 


NiIcoLaAs 
AUBERTIN ; 


dit bE PRATO. 
D sr 


If. | 
Prend l'habit de 
S. Dominigre à 
Florence ; 


IH. 
Se perfetionne 
dans les Ecolcé de 
Paris. 


également éloigné de la tentation, ou de fe produire par va-. 


nité , ou d'enfouir par une coupable indiférence le talent qu'il 
avoitreçu. Ce qu'il avoit apris dans la plus célébre Univer- 
fité du Monde, 1l le répandit enfuite dans plufieurs Villes 
d'Italie : Il éxerça avec me le Miniftére de la Prédication ; 
& fes Leçons de Théologie à Rome , & à Florence , ne le 
firent pas moins eftimer. Mais après quelques années , on 
l'obligea de quiter , ou du moins d fufpendre l’un & l’autre 
éxercice : Son habileté dans le maniment des afaires , porta 
les Supérieurs à le mêtre de bonne heure dans diférens Em- 
plois ; & il s'y aquit bien-tôt une réputation , qui devint tou- 
jours plus éclatante. Après avoir gouverné avec beaucou 
de fagefle plufieurs Communautez , & rempli avec honneur 
la Charge de Provincial dans la Province de Rome, il fut 
fait Procureur général de tout l'Ordre de faint Dominique, 
| Vuuu x 


Ses talens , & fes 
a et dans fou 
Ordre, 

% 


Lean. Albert, Liv. 


P III, tol. 67, de Viris 
Liluftribus., 





708 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE par le Bienheureux Nicolas Bocafini , qui en étoit alors te 


VIIT.___ premier Supérieur. 
Niéoixe L’éxercice de cette Charge le métant dans l’ocafon , & 


AuserTiW, fouvent dans l'obligation detraiter avec les Oficiers du Pa- 


dit Ds PRAro. pe, avec les Cardinaux , quelquefois même avec Sa Sainte- 





té, on ne fut pas long-tems à connoître’la fupériorité de fon 
génie, & de fes talens , fa prudence , & fa probité. Bonifa. 


| v. 
Fée ce VIH goûta le caraëtére de fon efprit ; & réfolu de l'em- 


du Pape en Fran- Éd felon les befoins de l’Eglife , rfle fit d'abord Evêque de 
ce, polete , immédiat du Saint Siège. Bien-tôt après , ce Pape 

L'an 1199. Je jugeant propre à tout , l’'envoya avec la qualité de fon Lé- 
| ‘al Sacr, ut fe. t vers les Rois de France & d'Angleterre. Déja plufieurs 

onces extraordinaires, des Cardinaux même avoient inu- 
tilement tenté la réconciliation de Philippe IV & d'EdouardI : 
‘on aflure que Nicolas Aubertin eut le bonheur d'y réuflir. Ce 
qu'il. y a de certain, c’eft que les deux Monarques , à qui 1} 
rendit depuis des fervices très-importans, ne purent s'empè- 
cher de l’eftimer : Ils l’honorerent toujours de leur confiance, 
& il eft permis de dire , de leur amitié. Le Souverain Pontife., 
plus fatisfait encore de la manière, dont il s'éton aquité de 
cette dificile négociation , fit fon éloge en plein Confiftoire, 
& le nomma fon Vicaire dans la ville de Rome (1}. 

Benoît XI , trois ans après , ayant fuccédé.à Boniface VIIE, 
le crédit de l'Evêque de Soul devmt d'autant plus grand , 


u'il étoit plus particuliérement connu & chéri du nouveau 


Et fon Vicaire à 
Ro 


.Y 


ontife. Ils avoient vêcu long-tems enfemble dans le Cloi- 


tre , & porté avec la même ferveur le joug du Seigneur fous 
VIT... Fhabit de faint Dominique. Benoît monta fur la Chaire-de 
Benoît XIlefait »- mn: . si : s 

din éque faint Pierre le vingt-deuxiéme jour d'O&tobre 1303; & dès 
Cardinal , Evêèque : 7. 

d'Oftie. le dix-huitiéme de Décembre, Mercredi des Quatre-Tems 

de FAvent , il donna la Pourpre Romaine, avec fon Titre 

d'Evêque d'Oftie, à Nicolas Aubertin , qui fe vit en même- 


tems Cardimal , & Doyen du Sacré Collége (2}. Ceux qui 


(x) Pontifex ipfjus dexteritats motus, | Ciaconius , T. 1, Col. ncccxxvutt. 
enm in Galliam @ Angliam mifit , ut Fran- (2) C'étoit le cinquiéme Dominicain ;. 
sorum Philippum , @ Eduardum Anglorum | qu'on voyoit fucceflivement, & fans inter- 
Reges belle certantes , oratione fué , qué | ruption, Doyen du Sacré Collége: Depuis 
plurimum pollebat , pacaret : bos, quad | Henri de Sufe, mort l'an 1272, jufqu'en 
paucis etiam Cardinalibus contigit , conci- | 1321 , les. Doyens des Cardinaux furens 


disvis ; @ maximam uirisfque amicitiem , | Pierre de Tarantaile, Latin Malabranche 


G* amorem contraxit. Romam rediens Bo- | Hugues de Billon , Nicolas Bocafini, & 
nifacius eum publicè infigni oratione Lau- | Nicolas Aubertin, Jigl. Sacr. T. I , Cok 
dasuns ; Urbis Vicarium oczflisuit, dre. |12x.. 


Led 


© DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 709 
auroient pü juftement prétendre au même honneut , ne l’en- 
viérent point à un Homme de ce caraëtére. Son mérite dans 
_ cette haute élévation, parut avec un nouvel éclat pnais fa 
modeftie le diftingua encore davantage. Nous allohs voir à 
quoi le zéle de la Religion , & l'amour du bien public lui f- 
rent employer fes talens le refte de fes jours ; c'eft-à-dire , E 
dant dix-huit ou dix-neuf ans , qu'il fut l'oracle , aufi-bien 

e le Chef du Sacré Collége , le confeil, & comme le bras 

oit des Souverains Pontifes. 

Les cruelles divifions , ou les guerres civiles , dont on n’a- 


e A 


voit pü éteindre le feu durant le cours du treiziéme fiécle, & 


LIVRE 
VIII. 
Nicoras 


AUBERTIN ; 
dit DE PATO. 
D | 








: VAT. 
Son Légar à /e- 


qui continuoient encore dans le quatorziéme à défoler pref- sd dans plufieurs 


ofcane , la Romagne , &t la Marche-Trévifane, obligérent 
le Pape Benoît XI ä revêtir le nouveau Cardinal de la qualité 


“Le toutes les Provinces d'Italie , mais particuliérement la 


rovinces d'Italie, 


de Légat ge 19 , & de Sr vers tous ces Peuples , 


pour terminer , s’il étoit pofhble , leurs querelles , & procu- 


rer une folide paix. La Commiflion eft du trente-uniême de 


Janvier 1304 ; & Sa Sainteté l’étendit enfuite, afin que le Lé- 


at pût éxercer fon autorité dans les Villes, & les Diocèfes 


d'Aquilée, de. Ravenne , de Ferrare, & dans les Etats de 
Venife. Notre Cardinal voulut commencer fes négociations 


dans la ville même de Florence, où, ayant été reçû le dixié- LePeuple de Flo. 


me de Mars avec tous les honneurs dûs à fon caraëtére , il fit 
d'abord aflembler les Grands, & le Peuple dans la Place de 
faint Jean. Sa réputation , & fonéloquence naturelle, pré- 
vinrent également les Florentins en fa faveur : Il leur repré- 
fenta d’une maniére fi vive, & fi patétique les maux infinis 
que leurs anciennes animofitez avoient déja caufés à la Répu- 
blique , & les nouvelles calamitez qui les menaçoientde près, 
fi on ne fe hâtoit de les prévenir par une fincére réconcilia- 
tion, que tout le monde parut l'écouter avec plaifir. Si on 


rence s'atache au 


Légat ; | 


l'intérompit quelquefois , ce ne fut que par des aplaudiffe- 


mens , ou par des voix confufes, qui demandoient la paix. 
On fit plus ; on l'autorifa à régler lui-même le souvernement 


de la Ville , & à difpofer toutes chofes felon fa fagefle , afin 


de parvenir enfin à cette heureufe gs si » qu'on ne pou- 


voit trop défirer , ni trop cherement acheter. Les principaux 


Chef des Gibelins , retirés alors dans la ville d'Arezzo, ré- 


folurent en même-tems par une délibération commune , de 
remètre leurs intérêts à la prudence , & à ladifcrétion du Lé- 
| _ Vuuu ii 


LIVRE 
VIIL: 


NicoLaAs 
AUBERTIN, 
dit PRATO. 





X : 
Et les ennemis de 


la paix traverfent 
{es deffeins. 


© Jo. Villani, Lib, 
VIII, C. cxux, 


ro HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
gat. Tout fembloit donc concourir à le métre en état de faire 
la paix, & au dedans entre les Citoyens, & au dehors avec 
ceux quavôient été banis. _. 

Mais file Peuple , fi la plüpart des Grands & des Magif- 
trats, fi plufieurs même de ceux qui auroient eu les plus on, ml 
fujets de fe plaindre de la conduite pañlée , ou de la dûreté 
de leurs Concitoyens , fe portoient cependant avec une loua- 
ble ardeur à faciliter les moyens d’une réconciliation géné- 
rale , les brouillons, ou les ennemis cachés de la paix , pre- 
noient en même-tems des mefures contraires. La Famille des 


" Aubertins avoit toujours paru atachée au parti des Gibelins : 


les Guelfes fe fervirent malicieufement de ce prétexte, pour 
traver{er les deffeins du Médiateur , & rendre fes intentions 
fufpe&es. La propofition qu'il fit, de rapeller ceux qu'on 
avoit injuftement chaffés de leur Patrie , & de leurs Terres, 
augmenta encere le nombre des mécontens , ou des mal-in- 


tentionnés. Cependant ils n'éclatérent pas d’abord, foit par 


XI. 
Artifices des Guel- 
fes. 


Jo. Villani. Odoric. 
An. 1304, n. 13. 


la connoiffance qu'on avoit de la fermeté du Légar , foit peut- 
être par la crainte du Peuple , qui lui étoit extrêmément ata- 
ché. Les premiers auteurs des troubles qu’on vouloit paci- 
fier , prirent un autre tour pour les entretenir : comme ils 


‘avoient aflez long-tems eflayé léurs forces contre leurs Con- 


citoyens , & leurs Freres ; ils voulurent employer l'artifice 
contre le Miniftre du Pape (1). | 

Ils fabriquérent de faufles Lettres , fous le nom &+ le fceau 
du Légat , & 1ls les envoyérent par des Couriers exprès aux 
Bolonois , & aux autres amis des Gibelins , pour les exhor- 
ter de marcher en diligence à fon fecours , avec toutes les 
troupes qu'ils pourroient amener à Florence. Leur deflein , 
dit un Auteur contemporain , étoit de décrier la conduite de 
ce Cardinal, de faire révolter le Peuple contre lui; ou du 
moins , de diminuer fon crédit, en le rendant fufpeét à .ceux 
même qui défiroient la paix. Nous avons remarqué ailleurs , 


(x) Dum itaque Cardinalis de fopien- 
dis veteribus odiis, excitifque exulum ora- 
toribus , de lcgibus deintesrandæ inter ip- 
fos & cives concordix agitabat , nonnulli 
Florentini ofores pacis , atque alicnarum 
opum cupidi, Legati confilia difcutere unt 
aggrcili : quibus cum generosé Legatus, 
ftudiis multitudinis , quæ ctiam ad concor- 
diam propendebat frerus oblifteret , nefariis 


hifce artibus ad difturbanda pacis confilia 


t 


ufos refert Joannes Villanus : adulterinas 
nimirum Cardinalis Nicolai nomine fcrip- 
fifle Literas ad Bononienfes , aliofque exu- 
lum amicos, ut fubmotà omni morà cum 
mulco peditatu , & cquitatu in fui auxilium 
provolarent : cum cæ copiæ imminerent , 
ingens adverfus Legatum tumultus Floren- 
tiæ exciratus eft, atque ejus exiftimatio apud 
multicudincemuraducta , &c. Odoric, 44 An. 
1304, 3. | 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. ”11 
e fans refpe& pour la préfence du Pape Grégoire X , & de 
harles TRoi de bicile ; Les Jorentins trente ans aupafäavant 
s'étoient fervis d’une femblable fupercherie , pour décancerter 
les deffeins pacifiques de l’un & de l’autre Souverain. Ils en fu- 
rent févérement punis ; mais le châtiment ne put les coriger; & 
leur mauvaife politique les précipita une feconde fois dans les 
mêmes malheurs. : 

Pendant que les Emiffaires des Guelfes portotent de Ville 
en Ville les Laure fupofées , & qu'on armoit de toutes parts 
‘fous les ordres prétendus du Légat Apoftolique ; celui-ci, 
toujours apliqué aux fonétions de fa Charge , travailloit jour 


& nuit à réunir les efprits ; 11 prioit beaucoup ; & il faifoit 


LIVRE 
VIII. 


NicoLaAs 
AUBERTIN ss 
dit DE PRATO. 
Dr me on 





faire des prières publiques , pour avancer la conclufion de la 


aix. Ceux au contraire qui n'en vouloient point , atendant 
L fuccès:de leur fourberie , amufoient le Peuple par des Spec- 
tacles , & des Repréfentations. Ce que raporte un Hiftorien 
du Pais , qui vivoit dans ce tems-là , fait aflez bien connoître 


Ils amufent le 
Peuple, 


le génie de ce Peuple, aufh extraordinaire dans fes divertif- 


femens , qu’opiniâtre dans fes vengeances. | 

: Dans le tems que le Cardinal d'Oftie étoit à Florence ( ce 
font les paroles de Jean Villani) on y fit des réjoüiffances pu- 
bliques ; & entr'autres on fit crier que tous ceux qui vou: 
droient favoir des nouvelles de l’autre Monde , en apren- 
droient le premier jour de Mai fur un certain Pont de la Ville. 
Au jour marqué, parurent fur la riviére d’Arne plufeurs ba- 
eaux, Un très-grand nombre de barques toutes'chargées d’é- 
chafauts ;. & de Pabrabn , ‘qui repréfentoient une image de 
FEnfer. On y voyoit des feux ; des rouës enflamées , divers 
autres genres de fuplice Parmi quantité de Dragons, ou de 
Serpens monftrueux , on apercevoit des hommes, dont les 
uns portoient des figures horribles de Démon : les autres tout 
nuds , pour repréfenter. lés âmes des.damnés , jétoient des 
cris , & des hurlemens auf afreux; que s'ils avoient été ert 
éfer dans lestourmens: Mais rien ne pouvoit être‘plus tragi- 
que , que ce qui termina toute cette Scene. Au moment que 
le Peuple SNL de ces foles répréfentations paroifloit le plus 
atentif ; le Pont conftruit feulement de bois , fe trouvant trop 
chargé , tomba tout à coup, avec ceux qui étoient deffus. 
Hommes , femmes , enfans , maîtres ou domeftiques , tous 
furént'précipités dans les eaux , & plufieurs y périrent. Ceux 
qui eurent le bonheur de fe fauver. à-la nâge , demeurerent 


Liv. VIII , C. Lxx, 


XIII. 
* Par de foles Re 
préfentations ; 


XIV. 
Dont la fin eft 


tragique. 


LIVRE 
VIIT. 


NicoLas 
AUBERTIN » 


dit DE PRATO. 
D + 4 





XV. 
Autre fourberie. 


XVI. 
Départ du Légar. 


XVII. 
‘ Seconde calamité. 


laiffant la Ville interdite , & les 


n2 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


la plüpart eftropiés ; & toute la Ville dans un moment fut rem: 
plie GE deuil , & de larmes. 

Un fi funefte accident ne rendit point les fa@ieux plus trai- 
tables. Dès qu'ils aprirent que les Gibelins de Bologne , & 
de la Romagne s’étoient mis en marche en corps d’Armée , ils 
firent courir le bruit, que toutes ces troupes étoient apellées 
par le Légat, LE vhgèen défolation dans la Ville. Le Peu- 
ple, toujours crédule, parut plus divifé qu'auparavant, & 
toutes les efpérances de réconciliation s’évanouirent. Déja 
les ennemis de la paix s’aplaudifloient du fuccès de leur four- 
berie ; mais bien-tôt ils en furent eux-mêmes les viétimes. Le 
Cardinal, qui n’étoit plus en füreté au milieu d’une populace 
féduite & mutinée , après avoir fait tout ce que le zéle & la 
prudence pouvoient lui me dans des circonftances fi cri- 
tiques , partit fubitement de Florence , donnant fa malédic- 
tion à tous ceux qui n’avoient pas voulu recevoir la Paix » 

ue excommuniés. On 
les vit aufh-tôt les armes à la main courir comme des furieux 
les uns contre les autres. Les Gibelins furtout , irrités de l’in- 
jure faite au Légat Apofñtolique , ne le vengérent que trop ; 
&t ils fe vengérent eux-mêmes avec tant de cruauté, qu'ayant 
mis le feu aux quatre coins de la Ville , ils remplirent tout 
d'horreur, de fang , & de carnage (1). Léonard d’Arezzo af- 
fure , qu'il y eut près de onze cent maifons réduites en cen- 


dres dans cetincendie {2). | 


Ce ne fut pas encore le dernier trait de la colére de Dieu , 
dont ce malheureux Peuple fe vit acablé. Le Cardinal de 
Prato de retour auprès du Saint .Siége, ayant fait connoitre 
la trahifon de ceux qui gouvernoient à Florence, le Pape & 
tout le facré Collège conçurent une extrême indignatron 
contre des gens, qu'ils ne pouvoient regarder que comme 
des ennemis de Dieu , & de l'Eglife, Sa Sainteté , par une 
Bulle du vingt-deuxiéme de Mai 1304, cita les principaux 
Chefs des Guelfes , pour fe préfencer devant fon Tribunal 
dans l'Oftave de faint Pierre ; c’eft-à-dire , au commencement 


(1) Conceptà de Legato finiftrà fufpi- | mul mifera Urbs civium fanguine maderet, 
cione, Guelfx & nigræ factionis Duces unà | & flammis arderet. Odoric. ad An, 1304, 
cum aliis ad arma concurrere : quorum fu- |#. 3. | 
rore perterritus Cardinalis . ., . fugà faluti | . (2) Nec prius finis cremandi eft faétus , 
gonfulere coaëtus, Perufium ad Pontificem | quaäm fupra mille & feptuaginta zdes uno 
fe contulit. Cujus receffum cædes maximæ , | incendio confiagrarint, &c. Leomardus A- 
8 {xva incendia funt çoufecuta ; ita ut f- | reins, Lib. IV Hifi; Elorent, 


de 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. #13 


de Juillet. Ils n’atendirent pas ce terme; & vinrent inconti- 
nent à Péroufe, propofer au Pape leurs excufes. * Mais pen- 
dant leur abfence , les Gibelins de Pife , de Bologne, & de 
plufeurs autres Villes étant venus ataquer Florence , la fé- 
dition fe raluma parmi les Citoyens , & il y eut bien du fang 
répandu. Pendant que Benoît XT , fenfiblement us à de tant 
de maux , prenoit avec fon Légat de nouvelles mefures Pe 
en prévenir les fuites , le Seigneur l’apella à fon repos. Et le 
Sacré Collège, ocupé dès-lors à des afaires , qui le regar- 
doient plus drétembs , laiffa aux Florentins le foin de ter- 
miner eux - mêmes leurs propres LE a , & de faire des 
vœux pour la paix , qu’ilæavoient fi indignement rejétée. 
Les Cardinaux dans le Conclave fe trouvérent dans des 
fentimens bien opofés , touchant la perfonne , & les qualitez 
du Sujet qu'ils ae ie élever fur le Saint Siège. Les uns 
fouhaitoient un Pape Italien, & favorable aux rem de 
Boniface VIII : ils avoient à leur tête Mathieu Roffi des Ur- 
fins , & François Caïétan Neveu de Boniface. Les autres 
vouloient élire un François, ou du moins un Prélat qui fût 
agréable à Philippe le Bel Roi de France. Notre Cardinal 
d'Oftie , & Napoléon des Urfins , apuyoient d'autant plus 


LIVRE 
VIII. 


Nrcozas 
AUBERTIN; 


dit DE PRATO. 
M |". à 


XVIII. 
* Nouvelles divi- 
fions à Florence , 





… XIX. 
Et dans le Con- 
clave. 


fortement ce parti, qu'ils étoient perfuadés que de là dépen- 
VE Î 


doient la paix de l’'Eglife , & en particulier la tranquilité de 
l'Italie. Ils entroient d'ailleurs dans les vües nc tags du 
dernier Pontife ; & ils fe croyoient obligés de faire tous leurs 
éforts , pour empêcher qu’on ne vint à troubler le repas , dont 
le Royaume de Es commençoit à jouir, par la conduite 
pleine de fagefle & de modération qu'avoit tenu le Pape Be- 
noît XI. Chaque parti demeurant ferme dans fon fentiment , 
le Saint Siège vaquoit déja depuis dix mois, lorfque le Doyen 
des Cardinaux , après de longues réfléxions , crut pouvoir 
fe fervir. d’un moyen, qui lui reufht, pour faire concourir à 
‘éxécution de fes deffeins .ceux même qui y paroifloient les 
lus opofés: Nous ne ferons que tranfcrire 1ci les paroles de 
Pas illam , & de famnt Antonin , ou plütôt la Éraduétion 
qu'en a fait M. Fleuri dans fon Hiftoire Ecléfiaftique. 
Le Cardinal Aubertin , ou de Prato, fe trouvant un jour 
en particuker avec François Caïétan, lui dit : Nous faifons 
un grand mal, 6 un grand préjudice a ne , en n'élifant 
point de Pape. Il ne tient pas a mor , dit le Cardinal Caïé- 
tan ; & l’autre reprit : Er fr Je trouyois un bon moyen, feriez- 
me À. Xxxx 


Vide Odoric. Au, 


13095722; 3, 4%e 
Fleuri, Liv. xc ,n.49. 


XX. 
Conventions en- 


tre les Cardinaux. 


| 


714 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE  yous content ? Caïétan répondit qu'il le feroit. Etla conclu- 
___ VIIL fon fut, que pour ôter toutfoupçon , une des Faëions choi- 
Nicozas firoit trois Ultramontains * dignes du Pontificat ; que l’autre 
AuserTIN, Faétion feroit obligée de chnle dans quarante jours l’un de 
* dit ps PRATO. ces trois ; & que tout le Sacré Collége le réüniroit en faveur 
—— de celui qui Ésoi ainfi nommé. Le Parti de Caïétan fe char- 
ea de choifir les trois, croyant prendre l'avantage , & 
il choifit trois Archevêques de deça les Monts, tous amis 
de confiance , & Créatures de Boniface VIII ; tenant ainfi 
our afluré , que quel que fût celui que prendroit l’autre 
Fadtion , ils auroient toujours un Pape élû à leur gré. 
ca. _ Le premier des trois , & le plus+afñdé , étoit Bertrand de 
di ai dePrato. ” Goth Archevêque de Bordeaux. Notre Cardinal n'ignoroit 
‘ pas que ce Prélat étoit extrêmement opofé à Philippe le Bel : 
mais ilconnoifloit fon caraétére ; & 1l jugea avec raifon que 
c'éroit précifément l'homme qui convenoit à ceux de us 
Parti, pour ariver à leur but. Ayant donc fait écrire les con- 
ventions, qui furent frpnées par tous les Cardinaux, il les 
envoya avec autant de fecret que de diligence au Roi Très- 
Chrétien , le priant de fe réconcilier avec l’Archevêque de 
Bordeaux, parce qu'il dépendoit de lui de le faire Pape. Le 
Monarque reçut ces Lettres avec une très-grande joye, & 
embrafla l’entreprife avec ardeur. Il écrivit auff-tôt à l’Ar- 
chevêque des Lettres pleines d'amitié , & lui donna un ren- 
dez-vous pour conférer enfemble. Ce fut dans une Abaïe au 
milieu d'une forêt, près de faint Jean-d’Angeli, que le Roi 
& l’Archevêque fe rendirent fécretement, & avec peu de 
fuite. Après qu'ils eurent oùi la Mefle, & fait ferment fur 
l'Autel de fe os fidélité, le Roi dit au Prélat : Z/ eff er 
mon pouvoir de vous faire monter fur la Chaire de S. Pierre ; 
6 c'efl pour ce fujet que mn venu : fe vous me promèétez fix 
Graces , + vu J at à vous demander , je vous procurerai certe 
fuprême Dignité. En même -tems il lui montra les Lettres 
u’il avoit reçûüës de Péroufe, & le Traité fait entre les deux 
ss des Cardinaux. L’Archevêque ayant vü ces Piéces , 
fe jéta aux piés du Roi, & dans les premiers tranfports de fa 
joye , il lui dit: Sire , je vois à préfent que vous m'aimez plus 
qu'homme du Monde , puifque vous voulez me rendre le bien 
pour le mal ; vous n'avez qu'a commander, je ferai toujours 





_ * Les François font apellés Ultramontains, en Italie ; comme les Italiens le fon 
en France, e 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 1% 
prée à obéir (1). Le Roi le releva , le baifa ; & ayant expli- 
uétout de fuite {es intentions fur cinq articles , il ajouta : 
Quan à la fixiéme Grace, je me réferve à la déclarer en tems 
lieu , parce qu’elle ef fécréte & importante. L'Archevêque 
s'étant engagé par ferment à faire tout ce que Sa Majefté dé- 
firoit ; ce Prince promit de même de le faire élire Pape ; & 
ils fe féparérent très-bons amis. 

De retour à Paris , le Roi Philippe IV écrivit inceffanment 
au Cardinal Evêque d’Oftie, pour lui aprendre, & à ceux 
de fon parti , cequ'il avoit fait ; ajoutant , qu'on pouvoit élire 
en füreté l’Archevêque de Bordeaux. Cette afaire fut conduite 
avec tant de fécret , que la réponfe ariva en trente-cinq jours 
à Péroufe , fans qu’il en vint rien à la connoiffance des amis 
de Boniface. Dès que notre Cardinal eut reçù les Lettres de 
Sa Majefté , il les communiqua à ceux de fa Faétion ; & il 
dit aux Cardinaux dé l’autre parti : Nous nous affemblerons 

uand il vous plaira , Ë nous remplirons nos conventions. 
On renouvella ces conventions , & on les confirma d’un 
commun confentement. Après quoi, le Doyen des Cardi- 
naux ayant pris un Texte de l’Ecriture , convenable au fu- 
jet ,ilfitun Le difcours , qu'il conclut , en élifant au nom 
de tous , Bertrand de Goth Archevêque de Bordeaux, pour 


Succeffeur de faint Pierre , Chef & Pañteur de l'Eglife. On 
chanta le Te Deum ; & la joye fut générale dans le Conclave, 


aufli-bien que dans toute la Ville, chacun fe flatant d’avoir 
un Pape de fes amis (2). Tout ce récit eft tiré de l’Hiftoire 
de Jean Villani, Auteur contemporain ; & faint Antonin l’a 
fuivi. Cependant les principales circonftances de cette Elec- 
tion font diférenment raportées dans le Décret qui en fut dref- 
{é à Péroufe le cinquiéme de Juin 130$. 

Comme fi les Cent avoient prévü que le nouveau 
Pape fixeroit fa demeure de deça les Monts , en lui envoyant 


(1) Domine mi Rex, video quod magis 
me diligis quàäm alium quemcumque in 
mundo ; & bona mihi retribuis pro ma- 
lis; demum noveris tuum effe præcipere , & 
meum obedire, fum enim ad omnia exe- 
quenda paratus. Jo. Villan. € S. Anton. 
ap. Odoric. #4 An. 130$. n. 4. 

(2) Congregatis igirur omnibus Cardi- 
nalibus Pratenfis prius propofira auétoritate 
facræ Scripturæ a4 materiam congruente, 
is orationem fuam vice omnium elegit 


ominura Burdegalen{em Archiepifcopum } 


in Papam ; ficque cum gaudio acceptatus 
fuit ab omnibus , & Populo pronunciatus, 
Deco gratias & laudes referendo. Ignorabat 
adhuc pars altera quod geftum effet occultè 
circa Burdegalenfem faétum amicum Re- 

is , quem adhuc inimicum exiftimabant. 

ivulgatione igitur facta ad extra per Ci- 
vitatem , contendebant familiæ Cardina- 
lium & aliorum Magnatum , aflerentes 


* quælibet eleétum fibi amicum , & bençvo- 


lum. Jidem , sbidem. 


Xxxxij 


LIVRE 
VIII. 


NicoLaAs 
AUBERTIN ;, 


dit DE PRATO. 
ns 





XXII. 
Election de Clé- 
ment V. 


XXTII. 
Les Cardinaux le 
preflenc de fe ren- 
dre en Icalie ; 


LIVRE 
VIII. 


Nicozas 
AUBERTIN, 


dit DE PRATO. 
NES 








XXIV. 
Il leur ordonne 
de le venir joindre 
en France. 


XXV. 
Plaintes des Itae 
liens. 


716 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


le Décret de fon Eleétion, ils y joignirent des Lettres très- 
preffantes , pour fuplier Sa Sainteté de vouloir fe rendre in- 
cefflanment à Péroufs , à l’'éxemple de Clément IV, & de Gré- 
goire X, qui, ayant été élùs pendant leur abfence, n’a- 
voient point diféré de venir au lieu où fe trouvoit le Sacré 
Collége. Ils croyoient _ l’état préfent des afaires , l’utili- 
té, l'honneur, le repos de l'Eglife, le bien de la Chrétienté, 
les befoins particuliers de l'Italie , & la gloire même de fon 
Pontificat , devoient le déterminer à métre fon Siège , comme 
avoient fait fes Prédécefleurs, dans la ville de Rome. Mais 
la réfolution , ou les engagemens que venoit de prendre le 
Pontife élû , rendirent inutiles les priéres des Codianns ) & 
toutes leurs folicitations. Fruftrés de leur atente , ils virent 
toute leur joye changée en triftefle ; & leur confternation fut 
extrême , lorfqu’ils reçurent l’ordre précis de Clément V, qui 


Jleur commanda de fe rendre tous à Lyon, où il voulut être 


couronné le Dimanche après la faint Martin, quatorziéme de 
Novembre 130$. Epoque mémorable , & le commencement 
des foixante-douze années, pendant lefquelles les Succef- 
feurs de faint Pierre firent leur réfidence à Avignon : ce que 
les Auteurs Italiens ont apellé la Caprévité de Babylone ; la 

erte , la défolation , la ruine de l'Italie , le fcandale de tout 
Fe Monde chrétien , & la fource funefte de phufieurs fchif- 
mes. L’Abé Ughel ne craint point de dire que cette tranfla- 
tion du Saint Siège , fut beaucoup plus fatale à la ville de 
Rome , que ne Favoient jamais été É Armées des Barbares , 
qui l’avoient tant de fois prife , pillée & facagée (1). On 
n'acufa point les Cardinaux , n1 aucune des deux Faf£tions , 
d’avoir formé ce deflein ; mais on les blâma tous, de ce qu'au 
lieu d’imiter la fagefle du très-faint Pape Benoît XI , qui füe 
fi bien unir la prudence du Serpent à la fimplicité de la Co- 
lombe , ils avoient trop confulté leurs intérêts, ou leurs paf- 
fions ; & en ne cherchant qu'à fe furprendre les uns les au- 
tres , ils avoient donné ocafion , fans le vouloir , à des maux 
infnus (2). Ils furent les premiers qui en fentirent les confé- 
quences , & quife plaignirent vivement. 


(x) Ex Nicolai autem Sententiä Cle. | unquam Barbarorum hoftiti procurfu tuliffe 
mens V Pontifex acclamatus eft. Hic ille | dicacur Italia. Iral. Sacr. T.I , Col. cxx1. 
Clemens cit, qui Santam Apoftolicam Se-| (2) Sede Apoftolicä, magno rei Chriftiae 


. dem in Gallias tranftulit, tanto Italicarum | næ detrimento, excidio Italiæ, orbis fcan- 


rerum vel incommodo , vel exitio, ut ma-| dalo , funefto fœdiflimorum fchifmatum 


jorem clademex illo abceflu , quam ex ullo ! exitu, à Clemenre V waductä in Gallias ubi 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 717 


Cependant, malgré ce mécontentement général des Car- 
dinaux , & le murmure des Italiens , l'Eglife , fous le Ponti- 
ficat de Clément V, n’éprouva point les horreurs du fchifme ; 
_&ileft certain que notre Cardinal d'Oflie travailla plus que 


tout autre à prévenir, Ou à écarter tout ce qui auroit 


LIVRE 
VIII. 


NicoLaAs 
AUBERTIN , 





dit DE PRATO. 





ù le 
faire naître. Son génie , fa grande expérience , & fon ab —_ 
leté , fervirent fouvent à tirer le Pontife des plus fàcheux 
embarras : l’Hiftoire nous en fournit bien des preuves. On fait XXVL 


avec quelle vivacité Philippe le Bel pourfuivoit la condamna- 
tion de lamémoire de Boniface VIIT : c'étoit l’article fecret qu'il 
avoit fait jurer au Pape , avant même fon Eleétion. Lorfqu'il le 
déclara d’abord à Lyon, & enfuite plus expreffément dans 
la Conférence de ARR , tout le Sacré Collège en parut 
troublé , & le Pape Clément V le fut plus que perfonne : la 
volonté du Prince, & fes propres engagemens le ptefloient 
d'un côté; & il ne voyoit pas de moindres inconvéniens de 
l'autre , Ari qu’il craignoit avec raifon , que ce qu'on éxi- 

eoit de lui, ne füt trop préjudiciable au Saint Siège , & ne 
ke revolter tous les parens , les créatures , & les amis de Bo- 
niface VIII , qui n'étoient pas en petit nombre. 

Dans un pas auf gliffant, où:1l n’y avoit Ps moins de honte 
à tenir {a parole,que de danger à la violer, Sa Sainteté confulta 
en particulier FEvêque d'Oftie,comme celui qui étoitle mieux 


Embarras , & m- 
quiétudes du nou 
veau Pontife. 


Fleuri, Liv, C5, M 5 3e 


XXVII. 
Il confuhe le 
Doyen du- Sacré 


. : k . , . Collége ; 
inftruit de tout ce qui avoit été promis au Roi, &enmême- 4 4 jtd. 
tems le pres capable de donner un bon confeil. Cet habile 

Cardinal lui répondit ainfi : “ S. Pere , Vous n'avez ici qu’un « 


expédient à prendre ; c’eft de faire entendre à Sa Majefté que « 
ce qu’on demande contre la mémoire de Boniface VII eft 
_une afaire également dificile , & importante ; qu’une partie 
des Cardinaux n’y confent pas ; & qu'il eft mt né- 
ceffaire que les preuves de tous les cas,dont on prétend char- 
ger ce Pape, foient faites dans un Concile général, puifque 
c'eft dans ces fortes d’Affemblées qu’on a coutume de traiter 


$ 2 & £ À À 


tanquam in tran{migratione Babilonicà , ut 
infignis Aucétor Gallus fincerè defcribit, 
mA Aus ufque ad Gregorium XI , qui poft 
feptuaginta & e0 amplius annos, divino 
inftinttu afflatus , in Urbem feliciter eam 
revexit. Tantotransferendæ Sedis malo oc- 
cafionem dedere, fine ullo tamen ejus rei 
fenfu .... Congregati Perufii ad facra Co- 
mitia Cardinales , qui dcfun@to Bencdi- 
éto XI, ab illius exemplis alieni , invidia , 


& odio,. vel ambitione in duas fa@iones 
divifi, cum in defignando fan@tiffimi Pon- 
tificis Succeffore in aliquo ex Purpuratorum 
Collegio convenire non poffent , demum 
dum pars altera alteram circum4cribere ni 
titur , ae non Ecclefiæ , fed fuam , fuorum. 
que rem agit , Archiepifcopum Burdeg2- 
lenfem Romanum Pontificem dixere. Odo= 
Tic. A4 An, 130$, 0. 1. 


Xxxx ii 





718 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE » les plus grandes afaires de l’Eglife. Vous convoquerez le 
VIII. » Concile äVienne en Dauphiné,comme dans un lieu neutre, 
Nicozas » également convenable aux François,aux Anpglois,aux Alle- 
AuBerTIN, » mans , & aux Italiens. Le Roi ne pourra , ni s’y opofer , ni 
dit pe Prato. , fe plaindre que vous ne lui acordez point fa demande , & ce- 
M pendant l'Eplife feraen liberté y». Ce confeil fut fort à Ar 
Et ce h. au Pape : il réfolut de le fuivre , & répondit en conformité 
midres de ce Car- à Philipe le Bel, qui fe défifta pour lors de fa pourfuite , aten- 
.dinal. dant latenue du Concile (1). 

On peut voir dans les Anales de l'Eglife toute la fuite de 
cette grande afaire. Nous n’en parlerons pas davantage , pour 
ne pas nous écarter de notre fujet. Il fufit de remarquer ici, 
que nonobftant les engagemens fi folemnels du Pontife ré- 

nant , & les vives inftances de ceux, qui ne pouvoient ou- 
Êlier tous les maux , dont le Pape Boniface VIII avoit voulu 
acabler la France, la fagefle de notre Cardinal trouva une 
iffue favorable pour concilier tous les intérêts. La mémoire 
d'un Pape fon Dore ne fut point flétrie ; & tout ce que 
le Bienheureux Benoît XI avoit déjz fait en faveur du Hoi 
Très-Chrétien , ou de fon Royaume, fut renouvellé , & con- 
| firmé par Clément V. 
Je. Villni, Li . Selon un ancien Auteur , fuivi par faint Antonin, ce fut 
VIN, C. ci. : : 
encore à la perfuafon , & par les confeils de notre Cardinal , 
u’après la mort d'Albert d'Autriche Roï des Romains , le 
dire Siège favorifa Henri Comte de Luxembourg , pour le 
xxx. faire monter fur le Trône de l'Empire. Ce Prince , que le 
Le Cardinal de Cardinal de Prato repréfenta au Pape comme le plus digne 
HEC #- de la Couronne, par fes grandes qualitez , furtout par la pu- 
reur Henri VIL  reté de fa Foi, & le zéle de la Religion, avoit de puiflans 
Concurrens, dont Sa Sainteté craignoit, & la trop grande 
autorité , & les fortes folicitations , fi on ne les prévenoit. 
Le Cardinal lui infpira tous les moyens qu’il faloit prendre : 
on les fuivit (2) ; & ils eurent l’éfet défiré. Le Comte de Lu- 


(x) AtPontifex cüm optimè noffet Boni- | in Œcumenica Synodo legitimè accufatam , 
facium numquam à Catholica Fide in ali- | conviétumque ; feque eam indiéturum ...… 
quo reccfliffe, & quæ illi objicerentur ma-| quo refponfo Regi utcumque fatisfa&um 
liciosè confiéta fuifle, ne tamen Regis ani- | eft, &c. Spondan. #4 An. 1307, n. 4. 
mum ab {e alienaret, confilio NicolaiCar-| (2) Placuit Pontifici confilium , & addi- 
dinalis Pratenfis, quo maximè utebatur , | dit : Pro quo fcribemus ut affumacur ad im- 

 Regi fignificavit Bonifacium damnari non | perium ? Cardinalis vero fagax , intendens 
pofle , quin cädem operà Cardinales abdi- | providere non folûm Ecclefix fanétæ , fcd 
carentur ab codem promoti . . .. damnari | etiam Gibellinæ parti, cui videbatur fave- 


quoque fummum Pontificem non pofle aifi ! re, refpondit : Ego percepi à pluribus quod 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. #19 | 
xembourd , apellé depuis Henri VII, fut élû Roi des Ro- LIVRE 
mains , & fon Eleétion folemnellement publiée au mois de ___ VIIL. 
Novembre 1308 , dans l’'Eglife des Freres Prêcheurs à Franc-  Nicoras 
fort , en préfence du Clergé & du Peuple. Ce Princefe fit Auserrin, 
couronner felon la coutume à Aix-la-Chapelle, par l'Arche- dit E PRaTœ 
vêque de Mayence : mais cette cérémonie ne fe & que le jour 
M hr ne , fixiéme jour de Janvier 1309. Deux ans après 
il entra enltalie avec une grande Armée, dans l’intention de 
rétablir la paix dans le Pais, en réüniffant les faétions des 
Guelfes & des Gibelins. Le fuccès ne répondit point à fes 
défirs : fa préfence encouragea les uns , & les rendit plus har- 
dis ; donna de la jaloufie aux autres, & augmenta ps trou- 
bles dans la plüpart des Villes d'Italie. 

Le Pape avoit promis d'aller à Rome, lui donner de fa main 
| la Couronne Impériale : mais , retenu en France par une mul- 
titude d’afaires , il honora de cette commiffion notre Cardi- 
nal, & quatre autres qu'il nomma fes Lépats. La Bulle, da- rat. sacr. v.1, 
tée du dix-neuvième de Juin 1311, avoit marqué le jour de ©: 
l'Affomption de la Sainte Vierge, quinziéme d'Aoùt de la XXX. 
même année, pour cette augufte Cérémonie ; qu’on ne DU 
faire cependant qu'à la faint Pierre, vingt-neuvième de Juin le Couronnement 
1312, parce que les troupes du Roi de Naples, & les Ur- de ce Prince. 
fins , qui A em à ce Couronnement , le firent diférer 
jufqu'alors. De cinq Cardinaux Légats, deux étoient déja 
morts : Et le Doyen Evêque d’Oftie ayant donné l'On&ion 
facrée à l'Empereur, lui fit renouveller le ferment , qu'il avoit 
déja fait à Laufane le dixième d'O&tobre 1310 entre les mains 
de l’Archevêque de Treves. Henri VII, par ce ferment fo- 
lemnel, prométoit de défendre la Foi Catholique , d’exter- 
miner l'héréfie , de ne faire aucune alliance avec les ennemis 
de l'Eglife , de protéger le Pape, de conferver les droits du 
Saint Siège. Et il renouvella , ou confirma tous les privilé- 
ges, toutes Les donations , que l'Eglife Romaine a reçüés de 
Conftantin, de Charlemagne , de Henri, d'Othon IV, de 





FrédéricIl, & des autres Empereurs. XXXT. 
1 1 , x Il travaille à pa- 
Après la cérémonie du Couronnement , le Cardinal Evé- fe les troubles 


que d'Oftie , en vertu de fa Légation, travailla avec beau- d'iralic; 


Comes Luxemburpi hodie eft notabilior 4 fit Fidelis Ecclefix , obediens tibi , & mul- 
homo, qui fit in Alemania , in armis ftre- | ta acturus magnifica pro Chriftiana Reli. 
nuus & magnanimus , Fidelis in negotiis | gione. Non difplicuit Pontifici vir nomi- 


agendis, ac vir Catholicus ; unde fi affu- | natus ,&c. 4p. Odoric. #d An, 1308 17.2le 
matur ad cam dignitatem non dubito quin . 


LIVRE 
VIII. 


NicoLaAs 
AUBERTIN, 
dit DE PRATO. 
D 24 
XXXII. 

Et 2 faire recon- 
noître l'autorité de 

l'Empereur, 





720 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


coup de zéle à pacifier les troubles , ou à rendre les Peuples 

lus dociles aux ordres du Pape, & à ceux de l'Empereur. 
L'autorité de Henri VII étoit peu refpeétée dans quelques 
Villes d'Italie : jufques dans l’enceinte de Rome il fe vit obli- 

é de combatre : le combat fut fanglant , & les Allemans y 
Le batus. La fagefle cependant des Cardinaux , rétablit 
enfin la tranquilité dans la Ville de Rome. Celle de Brefle 
étoit une des plus opofées à la Perfonne de l'Empereur Hen- 
ri, & à fes intérêts. L'Evêque d'Oftie, & celui de Sabine , 
voulurent fe rendre fur les lieux, après avoir fait anoncer 
leur arivée , & les motifs de ce voyage. On les reçut non- 
feulement avec refpeét, mais aufi avec des aclamations réi- 
térées , & de grandes démontftrations de joye. Le Peuple , & 
toutes les Compagnies de la Ville , ayant eu ordre de s’af- 
fembler , notre Cardinal fit un Difcours, pour leur rapeller 


les devoirs des Sujets envers le Souverain, & leur reprocher 


XXXIII. 

Le Peuple de 
Brefle opolé aux 
intérèts de ce 
Prince. 


leurs fréquentes revoltes contre D md , & contre le Prince. 
Il mêla à propos les promefles , & les menaces avec les inf 
truétions ; & 1l leur & efpérer que le Pape & l'Empereur vou- 
droient bien oublier leurs fautes pañlées , & les traiter tou- 
jours favorablement, fi de leur côté ils n’oublioient jamais 
ce précepte de JESUS-CHRIST : Rendez a Dieu ce qui_eft à 
Dieu ; Ë a Céfar ce qui apartient à Céfar. | 

Les Breffans jufqu’alors avoient écouté le difcours de ce 
Cardinal avec autant de docilité que d’atention : plus d'une 
fois on les avoit entendu crier: Vive lEglife ; vive le Pape; 
longue vie à nos Seigneurs & bienheureux Peres les Cardi- 
naux (1). Mais aufh-tôt que le Légat leur propofa de rece- 
voir, & de reconnoiître l'Empereur Henri VIT, le Gouver- 
neur de la Ville prenant la parole, répondit ainfi au nom du 
Peuple : “ Nous reconnoiffons la fuprême autorité du Sou- 
verain Pontife, le Chef vifble de l'Eglife ; & nous favons 
ce qui eft dû à un légitime Empereur , établi de Dieu pour 
être le Miniftre de fa juftice fur la terre. Mais nous ne pou- 
vons reconnoitre pour tel Henri de Luxembourg , ce Prince 
inquiet, avare, ambitieux, qui ne penfe qu’à piller, à fu- 
cer le fang des Peuples, à profcrire les Guelfes, ou à ar- 


» 


(x) Soliciti igitur äi duo, Ofienfis &  plaufibufque profequuntur , vociferantes : 
Sabinenfs Epifcopi Cardinales, ad portas Vivar Mater Écclefa. Vivat, vivat Domi- 
Brixiæ præmifflis Nuntiis accedentesalloquia nus Papa , fanétique Patres Cardinales, &c. 
petunt. Increflos Brixianus Populus fuis | Muffatus , Lib. IV, C2, ap. Odoric. An. 
quibufque ordinibus , vocibus alis, ap-| 1311, 22, 

| mer 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 721 
mer contre eux les Gibelins, leurs perfécuteurs. Henri re- “ 
nouvelle la tyrannie , & le fchifme de Frédéric : & nous “ 
avons pour témoins de fes véxations les Peuples de Milan, 
de Parme, de Vérone, de Mantoue, & de Trévife (1) ,. 

- Les clameurs de la Populace , excitée par ce difcours du Gour- 
verneur , l'emportérent fur toutes les raifons des Cardinaux, 
ui fe retirérent peu fatisfaits. Ils eurent un meilleur fuccès 
x quelques autres Villes. Et un Hiftorien ajoute que celle 
de Breffe Gers après châtiée par le fleau de la peñte , fe re- 
mit enfin dans fon devoir. On voit ici jufqu’à quel point les 
fations des Guelfes & des Gibelins portoient l’opiniâtreté & 
l'infolence. Ces deux Partis s’éroient formés il y avoit près de 
cent ans, à l’ocafion des fameux démêlez de Frédéric II avec 
les Papes : & lorfque les Souverains vivoient dans la plus 
arfaite intelligence , leurs Partifans continuoient encore à 
à faire la guerre , & à métre tout en combuftion dans les 
Provinces, dans les Villes, dans les Familles. Ceux-là , fous 
rétexte de zéle pour le Prince, refufoient de reconnoitre 
l'autorité de l'Eglife ; ceux-ci prétendoient faire paroître leur 
atachement au Saint Siége, en fecouant le joug de l'Empe- 
reur ; & ils n’afpiroient tous qu’à la tyrannie, ou à l’indé- 
pendance (2). | 
Ces divifions étoient peut-être alors moins allumées parmi 
les Gêénois; ou il faut dire que l’habileté , & l'éloquence de 
notre Cardinal furent plus éficaces pour reunir les efprits en 
faveur de l'Empereur Henri VII. Dès le mois d'O&tobre ce 
Prince fut reçu à Gênes, non-feulement fans aucune contra- 
diétion , mais encore avec de très-grands honneurs. Il s’ 


LIVRE 
VIII, 


NrcoLAs 
AUBERTIN , 


dit DE PRATO. 
D | 








_XXXIV. 

Celui de Genet 

plus favorable, ou 
plus foumis. 


comporta en Souverain ; & en même-tems en médiateur à 4 


(tr) Cum ita Cardinalis Oftienfis pero- 
raflet , Brixianorum Prætor Populi juffu 
refpondit, agnofci quidem fummam Roma- 
no Pontifici à Deo cributam poteftarem, & 
Imperatorem officii nomine fingularem 
Mundi Miniftrum : {ed Henricum non Im- 
peratorem efle , fed expilatorem ; Guelfos 
ab eo pelli in exilium, Populorum Re 
nem exfugi, Gibellinos vero ad tyrannidem 
exercendain excoli , Friderici fchifma ac- 
cendi : ceftes hujus rei Mediolanum, Par- 


mam , Veronam, Mantuam, Tarvifium, 


&c. Oderir. ibid. n. 13. - 

(2) Diffuderat fe illius mali labes in di- 
rionis Ecclefiafticæ loca ; parique fcelere 
aonnulli Pontificium excuflerant jugum, 

Tome Î. 


æque atque alii Imperiale à fuis cervicibus 
depulerant. Ex quo quanta emerferint ma- 
la .... ita depingit Clemens : jam dudum 
hofte pacis nonnullas Terras Ecclefiz Ro- 
manx fubjectas , in partibus Italiz confti- 
tutas , fuæ nequitiæ ftimulis impetente , fta- 
tus earum pacificus diffidiorum fcandala 
protulit : ac diflenfonibus variis fufcitatis 


_ ibidem quies periit , bellicus furor invaluit, 


multis fub hoîtili clade peremptis, & non- 
nullis ejectis à laribus propriis , vielenter ar- 
mavit impictas Patrem in Filium , &c Filiuma 
in Patrem. Frater Fratri non detulit ; & co- 

tus proximo non pepercit , &c. Oderie, 
44 An, 1311, 3. 24. 


Yyyy 


722 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE gard des plus illuftres Familles, dont il eflaya de terminer les 
VIT. anciennes inimitiez par les alliances qu'il leur fit contraéter. 
Nicoras Ce fut, dit un Hiftorien, un grand fujet de confolation, & 
AuserTIN, une grande gloire pour Henri VIE, de voir la République de 
dit De PRATO. Gênes, fi puiffante fur terre & fur mer, fe foumétre volon- 
tairement à fon Empire. Mais, ajoute-t'il , on fut fondé à atri- 
buer cela aux puiffantes exhortations du Pape , & à celles du 
Cardinal Nicolas Evêque d'Oftie , qui avoit prévenu l’arivée 
de ce Prince à Gênes,& qui s'y arêta quelque tems avec lui (1). 
yxxv, … Les afaires du Pape & de l'Empereur ne furent pas les feu- 
Autres ocupations les qui ocupérent notre Cardinal pendant fon féjour en Italie. 
de notre Cardinal [] ÿ donna d’illuftres marques de fa charité envers les pau- 

en Italie. ..… : sd 
_ vres, & de fon zéle sn Religion. Mais ce fut principa- 
lement dans la Ville de Prato, A Patrie, qu'il répandit fes 
aumônes en faveur de plufieurs Familles, que les malheurs 
des tems , ou les guerres civiles avoient réduites prefque à la 
mendicité. H pourvut fur-tout aux befoins des Eglifes ; iles 
fit réparer quelques-unes, qui menaçoient ruine , & fit pré- 
fent à toutes colles de la Ville de quelque Calice, ou autre 
Vafe d'argent néceflaire pour le Service divin. Un Couvent 
de l'Ordre des Freres Prêcheurs, commencé depuis l’an 1283 
fut mis dans fa perfeétion par les libéralitez de ce Cardinal , 
na de qui fonda en même tems un Monaftére de Religieufes , fur le 
fol. 68, modéle de celui de faint Sixte. Ce nouveau Sandtuaire, de- 
| venu célébre dans le Pays par le nombre, & la qualité des 
Vierges Chrétiennes, qui s'y font fantifiées fous l'Habit de 
faint Dominique, porte encore le nom de faint Nicolas , Pa- 

| tron du Cardinal Fondateur. 
XXXVI. Il eft certain que le Lépat Apoftolique n'étoit point de re- 
Son retour En four en France avant la fin du Concile Général de Vienne, 
France. ; ei a : ‘ 

commencé le feiziéme jour d'Oëftobre 1311, & terminé le 
fixième de May 1312. Je ne trouve pas que ce Cardinal ait 
eu aucune part à Ce qui avoit été déja fait, moins encore à ce 
ui fut réfolu dans le Concïle, contre l'Ordre des Chevaliers 
u Temple. À cela près, on peut dire que les plus importan- 
tes afaires de l'Eglife , fous le Pontificat de Clément V , paf- 
férent par fes mains. Dans toutes les ocafons il fe montra le 





(1) Verfum eft Henrico magnæ gloriæ, | Cardinalis Nicotai Oftienfis Epifcopi, quem 
ecrreftribus ac maritimis viribus Florentem | genuæ cum Henrico verfatum refert Joannes 
illam Rempublicam fe ipfus imperio fubje- | Villanus , non parüm valuiffe magno argu- 
eiffe. Scd ad id Clementis monita , necnon | mento elt, &c. Ibid, n. 23. : 


vs  —» —. + 5 


LOS RÉ s 


: 
sr na 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 723 


zélé Défenfeur de ceux qui étoient fans proteétion , &c le Pere LIVRE 
des pauvres , fur-tout des perfonnes confacrées à Dieu. C'eft VII. 
NicoLaAs 


Fes fes foins, & fes pieufes libéralitez , que le Couvent des 


reres Prêcheurs d'Avignon , auparavant fort petit , ou pe AUBERTIN ; 


commode , fut mis dans l’état, où on le voit aujourd’hui. 
fommes qu'il confacra à cette œuvre de charité ne pouvoient 


es dit DE PRATO. 





être que très-grandes : mais naturellement magnifique, il ne Echare Tes pesare 


croyoit pas À tn mieux employer les per u'il rece- 
voit ou du Pape , ou des Princes Chrétiens, qu’en les faifant 
fervir à la décoration des Temples , au logement, & à l'entre- 
tien des Serviteurs de Dieu. | 
Clément V, qui honoroit la vertu de ce grand homme, 
autant qu'il admiroit fes rares talens, crut lui donner une 
nouvelle marque de fon eftime , en comprenant dans la Pro- 
motion de Cardinaux du vingt-troifiéme Décembre 1312, le 
Maître du Sacré Palais , Pierre Godieu de Bayonne. Ce Car. 
dina] , le troifiéme de fon Ordre que Sa Sainteté avoit honoré 
de la Pourpre Romaine, travailla utilement avec l'Evêque 
d'Oftie , & Nicolas de Freauville, à la Canonifation du faint 
Pape Céleftin V , faite le cinquième jour de May 1313. 
Le vingtiéme d'Avril de l'année fuivante, fe Pape Clé- 


XXXVIT, 


ment V étant mort à Roquemaure , Ville de France fur le, HU 


Rône, à deux lieuës au-deffus d'Avignon; les Cardinaux qui 
{e trouvoient à Carpentras au nombre de vingt-trois, s’afleme- 
blérent dans le Palais Epifcopal , où l'intention du Doyen 
étoit de faire procéder fans délai à l’Eleétion d'un nouveau 
Pape. Mais le plus grand nombre ne fut point de ce fenti- 
ment ; aufli ne purent-ils s’acorder fur rien. Les uns préten- 
doient qu'on devoit fe rendre inceffanment à Rome , afin de 
donner un Chef à l'Eglife , dans le lieu même où il convenoit 
qu'il fit toujours fa réfidence. Les autres ne croyoient pas qu’il 
fl néceflaire de paffer les Alpes , pour faire une EÉleétion libre 
& canonique : pot , fans fe laiffer pénétrer , paroifloient 
eu difpofés à faire quelque diligence pour donner un Succef- 
Fou au Pape défunt. Une fédition arivée dans la Ville, dont 
une partie fut brülée , obligea les Cardinaux de fe féparer 
fans avoir rien conclu : & ce né fut que deux ans après ; au 
mois de Juin 1316, que Philippe Comte de Poitiers, par or- 
dre du Roi de France Louis k : 
Lyon , dans le Couvent des Freres Prêcheurs , leur déclara 
qu'ils n’en fortiroient point qu'ils n'euflent élu un Pape. 


Yyyy 1 


ément V. 


Fleuri , Liv. 1» 


EAN 21-18, 


les ayant enfin aflemblésàa . 


724 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
Cette efpéce de violence parut néceffaire. Les Cardinaux 
bien intentionnés n’en furent point fâchés : les autres fe fou- 
Nicoras Mirent ne pouvant faire autrement. Et quarante jours.après 
AUBERTIN, A&VOIL été enfermés, ils élurent tout d'une voix Jâques d'Eufe , 
dit DE Praro. Cardinal Evêque de Porto, ae nom de Jean XXIL, & 


LIVRE 
VII. 








D , . A Ù . Ù 
fut couronné par notre Cardinal Evêque d’Oftie, dans l'E- 
XxXvIIR  glife Métropolitaine de Lyon le cinquième jour de Septem- 
en de Jean. bre 1: 316. | 


Bernard Guidonis, Auteur éxa& , & d'autant mieux inf- 
truit, qu’il vivoit dans le même tems , & dans le même Pays, 
parle : cette Ele@ion , de la maniére que nous venons de la 
raporter. Jean XXII lui-même, dans fa Lettre circulgire 

adreflée aux Rois, & à tous les Evêques , dit qu'ayant été élu 

unanimement par tous les Cardinaux , fans aucune diverfité 
| de fufrages., il avoit beaucouphéfité à accepter cette Charge 
ff terrible (1). Il n’eft donc pas vrai, ce que quelques Au- 
teurs ont ofé avancer, que Jâques d’Eufe s'étoit lui-même 
nommé Pape. Aufli voyons- nous que Louis. de Baviere, 
Guillaume Ocam, & les unes Suns. ennemis dé- 
clarés de ce Pape, qui agirent, ou qui écrivirent avec tant 
d'emportement contre lur, ne s’aviférent jamais de le charger 
de ce reproche. Nos plus habiles Critiques, Spande, Dupin. 
M. Fleuri, le Pere Aléxandre, le Pere. Echard., & Oderic. 
Rainald quoique Italien , regardent comme un conte fabu- 
leux le récit de Jean Villani, que plufieurs autres Ecrivains, 
{ur-tout en Îtalie, ont fuivi, ou copié avec trop de facilité. 
On fait d'ailleurs que les adverfaires mêmes de Jean XXII 
ont été obligés de reconnoître , & de louer les grandes qua- 
litez de ce Pape , le pénie , la fience, le zéle, la sen 
d'ame , & une fermeté inébralable. | 

Ïl retrouvoit lui-même avec plaifir toutes ces excélentes. 


(1) Cuüm.... in loco Fiatrum Ordinis 
Prædicatorum. Lugdünenfium , in quo ref- 
debamus infimul pro præfato eleétionis ne- 
ne fuiflemus in loco folito congregati, 

enignus fapientiæ Spiritus nefciens tarda 
molimina , tam probixz ipfus Ecclefiæ vi- 
duitati pié compatiens, cum eam nollet ul- 
terius viduitatis incommodis fubjacere , 
Fratrum ipforum corda fic adduxis ad Spiri. 
dis unitatem., quod miro Dei, & nobis ni- 
mium ftupendo confilio, ad imbecillitarem 
noftram oculos dirigentes, nos tunc Por- 


tuenfem. Epifcopurs ad fufcipiendum anus |. 


nobis ex humano défe@tu importabile, cu. 
ram videlicet univerfalis gregis Dominici. 
concorditer , nemine difcrepante , in fum 

mum Pontificem elegerunt. Nos autem dif- 
ficultatem offcii Paftoralis, continui labo- 

ris anguftias , & præexcellentiam dignitatis 

Apoftolicæ infra noftra præcordia recenfen- 

tes, noftrarumque metientes virium parvi- 

tatem., timore ac tremore concufli vehes 
menter hæfitavimus , nec indigne, &c. E- 

pif. Jo. Pape XXII, ap. Onoric, #4 Ans 
1306, n. 8-9,. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. #25 


qualitez dans le Doyen du Sacré Collége, en 2 il eut tou- 
jours la même copfiance _ fes Prédéceffeurs. Quoique nous 
ignorions le détail des aétions de notre Cardinal pendant les 
cinq derniéres années de fa vie, nous favons par le témoignage 
des anciens Auteurs , qu'il eut beaucoup de part à tout ce que 
le nouveau Pape entreprit de grand & d'utile , foit pour le pro- 
rès de la Religion, foit pour l'énion des Princes Chrétiens. Ce 
k peut-être , autant pour rétablir la paix dans LT Villes 
d'Italie , que pour le Couronnement du Roi , & de la Reine 
de Sicile , qu'il fut chargé d’une nouvelle Légation , que l'Abé 
Ughel comte pour la quatriéme (1). Il n'en me point 
l'année , non ue que Ciaconius, Léandre Albert, Fontana, 
& le Pere Echard. C'eft cependant fur l'autorité de ces cinq 
Ecrivains, que nous avançons un fait, qui pourroit d’ail- 
leurs foufrir quelque dificulté ; puifque felon Bernard Gui- 
donis , le Roi Robert, dont il eft parlé ici, avoit été déja 
couronné à Avignon dès l'an 1309 par le Pape Clément V. Si 
Je Cardinal Evèque d'Oftie réitéra cette cérémonie, à l’oca- 
fion peut-être du Couronnement de la Reine de Sicile, ce 
fut une des derniéres aétions de fa vie. 
De retour à Avignon , déja chargé d'années, & confumé 
de travaux, après avoir fervi fi pr es » & avec tant de 


zéle , l'Eglife & le Prochain , il ne fe feroit plus ocupé que 


de la penfée de la mort, dans le dv de la folitude , fi les 
importantes afaires de la Chrétienté n’avoient demandé en- 
core fes atentions. Il fit de ce travail, qu'il ne lui étoit pas 

ermis d'abandonner entiérement , une partie de fa pénitence. 

t apliqué d'une maniére plus particuliére à la grande afaire 
du Chu , 1l s’éforça de plus en plus, felon l’avertifflement du 
Prince des Apôtres, d’afermir fa vocation par les bonnes œu- 
vres, dans les faints éxercices de la charité & de la priére. 
Un de fes défirs étoit de voir la folemnité de la Canonifation 
du Doëteur Angélique ; à a pe il travailloit depuis quel- 
ques années avec beaucoup d’ardeur ; & on touchoit de près. 
au moment défiré, quand le pieux Cardinal finit fes Jours 
dans le mois de Mars 1322. Son corps fut enterré dans l'E- 
glife des Freres Prècheurs à Avignon ; où, plufieurs fiécles 


(1) Quarta demum Legatione infigni- | . Abeodem Joanne Neapolim de latere Le. 
tus, in Siciliæ Principem candem regiam grur miflum fuiffe , qui Caroli Regis Fi 
contulit dignitatem. Âs4l. Saæcr, Tom. 1 , | lium Robertum ’ ue uxorem Reges Si. 
Co. 1xxL ù ciliæ coronaret, &c. Echard.T.1, P. 547. 


Yyyy ii 


LIVRE 
VIIE 


NicoLas 
AUBERTIN , 
dit DE PRATO 
RSR 





XXXIX. 
Le Cardinal de 
Prato couronne le 


Roi , & [2 Reine 
de Naples. 


Fleuri, Liv.xes, #. Le 


LIVRE 
VIII. 


” NIicoLAS 
 AUBERTIN » 
dit DE PRATO. 
RSS 





Echard, ut fp. 


16 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


après fa mort, on voyoit encore une Statue de marbre, qu’on 
lui avoit dreflée , & une « re » Qui avoit été gravée fur 
{on Tombeau. Ces refpettables monumens ne fubfiftent plus ; 
mais l'éloge de ce grand Homme, &c le récit de fes belles ac- 
tions fe font plus fidélement confervés dans quelques Bulles 
du Bienheureux Pape Benoît XI, dans les Ecrits de faint 
Antonin, & dans les Anales dè l'Eglife. 
Tous les Hiftoriens ont parlé de la fupériorité des talens , 
& des lumiéres du Cardinal Aubertin de Prato ; & l'ufage 
u’il fit de toutes fes excélentes qualitez pour l'honneur de la 
Religion , en fera toujours beaucoup à fa mémoire. Habile 
Politique , & juftement eftimé de tous les Souverains de l'Eu- 
rope , 1l ne fut pas moins folidement Chrétien , & Religieux. 


Pendant près 


{ans 


eut peu de cho 


uiter l'Habit de fon Ordre, 
rl M de l'Eglife, & ne parut pas moins atentif à ob- 
ferver ceux de fa Profeflion , qui n'étoient 


bles avec fa Dignité. Lorfque le Seigneur 
se à diftribuer , 


de dix-neuf ans qu'il porta la Pourpre Romaine , 


il remplittous les devoirs 


a incompati- 
’apella à lui, il 
dit un Auteur, parce que fa 


tendre charité pour les Pauvres avoit porté pendant fa vie à 


tits 


fe dépouiller en leur faveur (1). Nous n'avons que deux pe- 
Ouvrages de ce Cardinal; c’eft-à-dire, un Traité du 


Paradis, & un autre, de la manière de tenir les Affemblées 


des Evèques. 


(1) Fuit enim is Nicolaus vir Es ; 
honeftæ converfationis, vitæ fanctiflimæ, 
& exindzx caftitatis, comis , lenis, & in mo- 
ribus cunctis mitis , compofitus , affabilis , 
& omnibus gratus. In confilio providus fu- 

ra id quod dici poteft ; in largiendo bona 

ua cgenis profufus : quippe antequam vita 
defungeretur , cunéta € enis diftribuit. Po- 
culum argenteum cuilibet Pratenfi Templo 
pro facris faciundis dono dederat. Avenio- 
nenfe Cœnobium & Pratenfe Ordinis Præ- 


dicatorum , cum Monafterio fanéti Nico- 
lai, quod pro Sanétimonialibus fecerat , 
erexit propriis fumptibus. Mulra præterea 
Templa ferè collapfa , & in proximo rui- 
nam minantia inftauravir. Tandem anno 
Domini 1322 , poftquam in Cardinalatu 
vixerat annis decem & novem , Avenio- 
ne Galliæ cum ingenti devotione, & cor- 
dis humilitate fpiritum efflavit, atque in 
Templo Prædicatorum fepultus. Lean. 4i- 
bert. de Viris INufirib. Lib. III, fol. 68. 


SE SYSY 
SE ST 
SŸ 


: DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. #27 
Livre 


SEPT SP SVT SVM SNS SE VII 
GUILLAUME 


DE MACLESFELD. 


ET 


. GAUTIER 

DE OÙUINTERBORN, 
CARDINAUX PRÊTRES 

DU TITRE DE SAINTE SABINE. 


Es anciens Auteurs, en faifant l'éloge de ces deux il- 
luftres Anglois , nous ont apris peu de circonftances de 
leur vie. Mais le favant Nicolas rider, dans fa Chronique 
des Rois d'Angleterre, ne nous a point laïflé entiérement 
ignorer leurs talens, & les vertus qui les avoient élevés l’un 
l'autre aux premieres Charges dans leur Ordre, & aux 
plus éminentes Dignitez de PEglife. Le se en a dit, 
peut en quelque maniére fupléer au défaut d'un récit plus 
détaillé. 

Guillaume de Maclesfeld , naquit fous le Pontificat d'Inno- Gurrraums 
cent IV, ou à Cantorbery, felon pr *, ou plutôt à Con- DE 
ventry dans le Comté deWarvié,fuivant letémoignage de Ni- Macresrsin. 
colas Trivet. Ayantembraffe l’Inftitut des FF. Prêcheurs dans 
la mêmeVille, il vint faire fes Etudes dans les Ecoles de Paris, "T-LCokpecexyne 
où 11 prit quelques Dégrez : il reçut enfuite le Bonnet de Doc- a 
teur “r l'Univerfité d'Oxford ; & il y profefla long-tems : 
avec autant de fruit que d’aplaudiffement. On le comte avec 
raifon parmi les plus habiles , & les plus zélés Difciples de 
faint Thomas. F iélement ataché à une Doërine fi ben 
recommandée par les Papes , il en fut un illuftre défenfeur 
contre quelques Écrits de Henri de Gand, & de Guillaume ie pudrr. 
de la Mare. Îl corrigea fur-tout les méprifes de ce dernier, & r #:- 





728 HISTOIRE DES HÔMMES ILLUSTRES 


LIVRE réfuta folidement fes opinions. Nous avons encore cet Ou- 

. VII, vrage parmi ceux que Maclesfeld a donnés au Public. Ses No- 

Convauue te fr toute la Bible font üne À ao de la connoiffance qu’il 

Se avoit des faintes Ecritures : & les Difcours qu'il prononça 

Macresrezr. devant le Clergé d'Angleterre, ne font pas moins connoître 

mm” {es fentimens L religion , ou de piété , & l’ardeur de fon zéle 
pour la Difcipline de l'Eglife. . | | 

Mais indépendanment de fes Ecrits, & de fa réputation, 
fon mérite l’avoit rendu particuliérement cher au Bienheu- 
reux Pape Benoït XI. Un même efprit de zele & de religion 
avoit uni ces deux faints Perfonnages par les liens dé la plus 
tendre charité. Pendant que l’un gouvernoit, & édifioit en 
mêmé-tems tout l'Ordre de faint Dominique, l’autre faifoit 
fleurir les fiences , & la régularité dans la rh d'Angle- 
terre. Ils s’'étoient vüs dans plufieurs Chapitres Généraux ; & 
dès-lors ils avoient conçu l'un pour l’autre ces fentimens d’ef- 
time , que la vertu feule fait naître entre les amis de Dieu. 
Lorfque la Providence eut élevé Nicolas Bocafini fur la 
Chaire de faint Pierre, ce Pape voulant faire fervir au bien 
de l'Eglife les dons, dont la Érace avoit enrichi Guillaume 
de Maclesfeld , il fe hâta de le métre fur le Chandelier : dès 
la premiere Promotion des Cardinaux qu'il fit le mercredi des 
Quatre-Tems de l'Avent; c’eft-à-dire , le dix-huitième jour 
de Décembre 1303 , il le nomma Cardinal Prêtre du Titre 
de fainte Sabine. 

Mais le Serviteur de Dieu , déja mûr pour le Ciel, termi- 
noit prefque en même tems fa carriere. Quelques Ecrivains 
prétendent qu'il étoit décédé lorfqu’on faifoit des réjouiflan- 
ces à Rome pour fa Promotion. Le Pere Echard le dit ; & il 
ne le prouve point. Trivet, mieux inftruit fans doute de ce 
fait, puifqu'il vivoit dans lé même teme , & dans le même 
Pays que ce Cardinal, dit feulement, qu'ataqué de fa der- 
niére maladie, 1l s'endormit dans le Seigneur , ayant qu’on 

“ie ga uv, se, [ui EÛt aporté la nouvelle de fa Promotion (1). M. Fleury a 

& 39. ? fuivi le même fentiment. | : 
| Benoît XI ayant apris fa mort, voulut lui fubftituer un 
autre illuftre Anglois , Doëteur, & Religieux du même Or- 

(1) Papa Bencdictus Fratrem Guïillel- { dinalem ; qui, antequam ad eum rumor 
mum de Makclesfede Doétorem facræ | perveniret, infirmatus , & ad extremam ho: 
Theologiæ , Ordinis Prædicatorum , Na - | ram perduétus , in Domino obdormivit 


tione Anglum , Diæcefis Conventrenfis , | &c. Nic. Triv, in Chron. Reg. Angl. ad 
Ticul. faux Sabinæ feçit Prefbiserum Car- | 47, 3303, 


dre : 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 9 
dre : il choifit pour cet éfét Gauthier de Vinterborn, dont LIVRE 
- nous allons parler. | VIE. 
Gauthier étoit né à Sarifbury, dans la Province de Wilt. Gaurier ne 
L'éducation qu’il reçut d’abord dans la maïfon de fes Parens, Vinrersonn, 
&c une (rieute aplication à l'Etude des Belles-Lettres , perfec- a 
tionnérent fes talens naturels, Mais fa fidélité à la Grace de 
fa vocation dans l'Ordre de faint Dominique , donna un 
nouvel éclat, & un mérite plus réel à toutes les belles quali- 
tez , qui avoient brillé en lui dès fes jeunes années. Orateur 
célébre , Poëte , Philofophe, habile Théologien , il étoit de 
plus un parfait Religieux , beaucoup plus eftimable par l'in- 
nocence & la pureté de fes mœurs , que par tous les avanta- 
es , dont la nature & l'Etude avoient pà enrichir fon efprit. 
Left ainfi , felon le Pere Echard , que les Auteurs Anglois 
ont parlé de cet illuftre Perfonage (1). 4 
Il avoit donné de grandes preuves de fa capacité, & de fa 
Religion, lorfqu’en 1290 il fut chargé de la conduite de toute 
la Province d'Angleterre. Pendant fix ou fept ans qu’il rem- 
plit les devoirs de cette Charge, il fit paroïtre tant de pru- 
dence , de zéle, de fagefle, & d’habileté, qu'il ne fe conci- 
lia pas feulement l'amour de tous fes Religieux, mais auff 
l'eftime du Clergé, & de la Cour d'Angleterre. Le Roi 
Edouard I voulut l'avoir pour fon Confeflur , fon homme 
de confiance, & l’un de re principaux Confeillers. Honoré 
des bontez de fon Prince, ce fage Religieux en mérita la 
continuation, & les bénédiétions du Peuple , par le zéle qu'il 
fit toujours paroître pour la gloire, ou les intérêts fpirituels 
de l’un, & pour le foulagement de l’autre. 
L’Eglife d'Angleterre trouva en lui dans toutes les ocafions 
un zélé &c uiffant proteéteur. Ses fervices ne furent pas 
moins agréables à la Cour de Rome. Benoît XI, pour en ù 
témoigner fon contentement , l’honora de la Pourpre, le 
famedi des Quatre-Tems de Carême, vingt-unième de Fé- 
vrier 1304. | 
Le Doyen du Sacré Collège fut chargé d’aprendre cette nou- 





(x) Frater Gualterus de Winterborn An- | phum , atque Theologum omnino confum- 
glus, Patriäque Sarifberienfis | Ordinem ; matiffimum , morum gravitate, & puritate 
quem adolefcens induerat in Patria , Pa- | confpicuum, prudentià , rerumque peritià 
triamque fuam , ac Ecclefiam ipfam cerudi- | commendatum, quem fibi Rex ipfe Angliæ 
tione , pictate, dignitatibus, & præclarè | Eduardus 1 confcientiz {uæ delegit arbi« 
geftis non parüm illuftravit . .. Oratorem |trum. ÆEchard, T, J , p. 496. 
cnim fuifle ferunt, & Poëtam, Philofo- 


Tome JL. ZL112z | 


730 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE velle au Roi Edouard, & à fon Confefleur. Aufi-tôt Sa Ma- 
VIII. ___ jefté en témoigna fa joye & fa reconnoiffance par fes Lettres. 
Gaurisnos Mais ne pouvant fe réfoudre à l'éloignement d'un fidéle Mi- 
ViNrersorN. niftre, _… les confeils lui étoient devenus néceflaires , 
—— dans la conjonéture des afaires , Edouard fit prier Sa Sainteté 
de vouloir agréer que le nouveau Cardinal nai commé 
auparavant auprès de fa Perfonne , ou du moins qu'il diférât 
fon voyage pour l'Italie. Voici la Lettre de ce Prince, rapor- 

tée dans les Conffitutions du Royaume d'Angleterre. 





: U Vénérable Pere & Seigneur ENERABILI in Cbrifle 
Lettre du Roi en Jesus-CHrisT, Nicolas, par Patri , & Domino Nicolao, 
d'Angleterre au la grace de Dieu, Cardinal, Evèque Dei gratis Offienf & Velletrenf 
Cardinal de Praro. d'Oftie & de Veletry, Légat Apofto- ÆEps/copo, Apoflolice Sedi Legato, 
lique,& notre très-cher Ami :Edouard, 4mico fuo chariffimo , Rex An- 
Roi d’Angleterre , SALUT, & fincére ge . . . . SALUTEM , C fince- 
afection en notre-Seigneur. ram in Domino dile&tionem. 

Nous avons là avec plaifir les Let- Litteras veftras , quas nobis ex 
tres gracieufes que vous nous avez veffra grara benevolentia intimaliis, 
adreflées , pour nous aprendre que le  guod Sanitiffimus in Chriffo Pater , 
Souverain Pontife Benoît XI vient de Dominus Benedictus, fumimus Por- 
métre au nombre des Cardinaux, no- #ifex, diletlum nobis in Chriflo Fra- 
tre cher Confefleur , le Pere Gautier treim Gualterum de Winterburne , 
de Vinterborn. Nous défirions fort ar- Confeffarium nofirum «ad Cardina- 
denment que ce digne Religieux de- latüs apicem fublimavit, intellexi- 
meurât toujours auprès de notre Per- wus diligenter. Er licet plurimume 
fonne ; & cependant Nous vous prions  fwiffes nobis cordi , quod idem Fra- 
de marquer à Sa Sainteté notre parfaite ter noffro Hateri continud afliriffer , 
reconnoiffance : ce que Nous netarde-  veffram tamen Paternitarem requi- 
rons pas de faire plus particuliérement, rimus cum affetlu , quatenus eidem 
/ par les Ambafladeurs que Nous nous  #omine nofbro fummo Pontifici velë- 
propofons d'envoyer pour cet éfer en  tisex parte nofira gratiarum aîlio- 
Italie : car Nous ne doutons point que #es referre, prout bonefliüs vefiræ 
l’afection du Saint Pere pour Nous, &  diftretio noverit faciendum : Nof- 
pour notre Royaume, n'ait été un des q#e #didem in brevi, annuente Do- 
motifs , qui l'ont engagé à donner la ro, facere intendimus per nofiros 
Dignité dé Cardinal à une perfonne ÂMuncros fpeciales : Habemus enim 
qui Nous eft fi chere. | pro conflanti , quod bena affeitio , 
Fait dans la Ville de Saint André en quam erça nos & Regnum noffrums 
Ecole , le quatriéme d'Avril, latren- gerit, eidem ad boc faciendum,inter 
te-deuxiéme année de notreRègne. 4/4, magnum praflirit induétivum 
Datur apud Villam fandti An 

dreæ in Scotia, quarta die Aprilis, anne Regns noftri trigefimo fecundo. 


Les Envoyez du Roi ayant obtenu en partie ce que Sa Ma- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 731 


jefté défiroit, le Cardinal Gautier demeura encore quelque 
tems auprès d'Edouard, foit en Angleterre, foit dans le 
Royaume d’Ecoffe ; où nous venons de voir que ce Prince fe 
trouvoit avec fa Cour, lorfqu'il aprit la nouvelle de la Pro- 
motion de fon Confeffeur. La mort du Bienheureux Pape Be- 
noit XI ne fut pas un motif de faire hâter le départ de ce Car- 
dinal; & c® ne fut que vers la fin de Novembre 1304, qu'il 
fe rendit enfin en Italie. Preflé fans doute par les Lettres, &c 
les inftances des Cardinaux, qui, renfermés depuis près de 
cinq mois dans Je Conclave x Péroufe , étaient trop divifés 
pour convenir du Sujet, qu'ils devoient placer fur la Chaire 
: des. Pierre. On aflure que l’arivée du EE Anglois fut 
très-agréable à tout le Sacré Collége. Les Citoyens de Pérou- 
fe, dit Bernard Guidonis, le reçurent avec de grands hon- 
neurs : & les Cardinaux lui donnérent comme à l’envy des 
marques d'une finguliére afe&tion (1). | 
Après avoir concouru à l'Eleëtion de Clément V, 1l partit 
de Peroufe pour venir joindre Sa Sainteté en France, felon 
les ordres, que tous les Cardinaux en avoient reçus. Mais 
étant arivé à Gênes , il y fut ataqué de la maladie, dont 1l 
mourut le vingt-fixiéme jour d'Août 130$. Le Doyen du 
Sacré Collége, Nicolas de Prato lui rendit les derniers de- 
voirs : & fon corps, ainf qu'il l'avoit ordonné , fut depuis 
tranfporté à Londres , où on lui dreffa un Tombeau dans l’E- 
glife de fon Ordre. | | | 
= Nicolas Trivet, qui avoit converfé familiérement avec le 
Cardinal de fainte Sabine, l’apelle un homme excélent, & 
très-verfé dans toutes les fiences divines & humaines, doué 
d'une rare modeftie, de beaucoup de douceur, d'une piété 
éxemplaire , & d’une prudence confommée. Parmi les difé- 
rens Emplois du Cloitre , & les embarras de la Cour, il s’é- 
toit toujours ménagé un tems pour ne s'ocuper que de Dieu, 
& de lui-même dans l’éxercice de la priére. Il avois méme 


compofé quelques Ouvrages Théologiques : & il a laiffé plu- 
(1) Hic poft novem menfes à die 


ua 
fuit in Cardinalem nominatus , & poft Érè 
quinque menfes ab obitu memorati Domi- 
ni Bencditti Papæ pervenit ab Anglia Pe- 
rufium , ubi adhuc Curia morabatur Sede 
vacante , 1Y Cal. Decembris..... anno 
Domini 1304. Fuitque exhibitus fibi ma- 


gaus & debitus honor à Populo Perufno : 


Ec fine alio diverticulo declinavit ad Con. 


LIVRE 
VIII. 


GAUTIIER DE 


VINTERBORN. 
Roses ie 





Lean. Albert. de Vir. 
Illuftixb, Lib, LIL, fol. 
69. 


clave Cardinalium . ... à quibus cum ma 


gno favore & honore fufceprus eft ; & in 
craftino fanéti Andreæ, fcilicet in Calen- 
dis Decembris , ad Scrutinium electionis 
fummi Pontificis tanquam Cardinalis ad- 
miflus, &c. Bern. Guid. in Elencho Car= 
dinalinm, | ” 

Z122 ij 


LIVRE 
VIII. 


GAUTIER DE 


VINTERBORN. 
VASE S 








1. 
Seconde: Lettre: 
du Roi Edouard. 


732 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
fieurs Difcours, qu'il avoit prononcés en préfence du Ro, 
& du Clergé. 

La Lettre, dont Edouard I le chargea à fon départ d'An- 
gleterre , & qui devoit être remife au Pape futur, 4 une nou- 
velle preuve de l'eftime que faifoit ce Souverain de la probité 
de notre Cardinal, de _ habileté dans les afaires, & des 
fervices qu’il avoit rendus à l'Etat. Nous la raporterons ici 
pour nous dédommager un peu du filence des Auteurs trop 
négligens à écrire les aétions d'un homme célébre, dont ils. 


relevent les talens par les plus grands éloges. 


U Très- Saint Pere . .. ... par 

U la Providence Divine, Chef vi- 

fible de la Sainte Eglife Catholique & 

Romaine , Edouard ., par la grace de 
Dieu, Roi d'Angleterre, &c. 

Il y a quelque-rems que le Pape Be- 
noiît XI, votre Prédécefleur d’heureufe- 
mémoire , voulant honorer le mérite 
& la haute piété du Pere Gautier de 
Vinterborn , alors. notre Confeffeur 
jugea à propos. de l’élever à l'éminente 
dignité de Cardinal. Er comme ce 
Prélat , pour obéir aux ordres de Sa 
Sainteté , fe difpofoit à fe rendre au- 

ès du Souverain Pontife, Nous l’a- 
vons obligé de diférer fon départ , & 
Jui avons fait une efpéce de violence , 
pour le retenir encore quelque -tems 
avec Nous , parce que fes lumiéres & 
fa préfence nous étoient néceflaires ;. 
pour terminer quelques afaires fort 
dificiles , qu'on n'auroit pü expédier 
alors commodément fans fon fecours. 
C'eft pourquoi Nous fuplions humble- 
ment Varre Sainteté d’avoir pour agréa- 
ble ce retardement, que f. péceffité 
doit excufer. Nous prions cependant 
le Seigneur de vous conferver lang- 
tems, pour le bonheur de fon Eglifé. 
Fait à Jedbrunck en Ecoffe, le vingt- 
troifiéme d’Aoùût, la trente-deuxiéme 
année de notre Régne. 


ANCTISSIMO. in Chrifle 
Patr: Domina - . ... Divi- 

na Providentia Sacro-fantte Ro- 
mans acuniverfalis Ecclefie [ammo 
Pontifici, Eduardus cjufdem gratià 
Rex Anglie, &c 

Dudum felicis recordation:s Do- 
minus Benedittus Papa XI ad Reli- 
g'ofum virum Fratrem Gualterum 
de Winterburne Confeffarium no- 
ffrum', attendens fus merite € 
eminentiam probstatis , [ue dirigens 
confiderationts sntuitum , tpJum ad 
Cardinalat#s apicem duxit Domino 
difponente vocandum. Cumque 1dems 
Cardinalis tanquam obedientie Fi 
lius , juxra Mlandatum Apofloliwum 
fibisnde directum, fe paraffet ad iter 
ad prefentiam Sedis Apoflolice ve- 
uiendi , nos tp{um propter quedam 
ardua , que fine eo tunc non pote- 
rant commode expediri , quaficom- 
pulimus moram contrabere ufque 
modo. Quocirca Santtitati vefire hu- 
militer fupplicamus ,.quatenus mo- 
ram prafati Cardinalis,dia de cuu- 
[a conrraütlam,habere, fiplacet,digne= 
mini propenfius excufatam.. Confer- 
vet vos Alrifimus ad regimen Ece 
clefie [ua fanite, per tempora lon 
giora.. 

Datum apud Jeddevvorth in 
Scotia xx111 die Auguffi anno Re« 
gni noffri trigefimo fecundo. 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 7; 


Le contenu de cette Lettre nous fait connoître que les mé- 
rites fuperieurs de notre Cardinal le faifoient également defi- 
rer à la Cour de Rome, & dans celle d'Angleterre ; & que le 
faint Pape Benoît XI devoit avoir fort limité le tems qu'il lui 
acordoit de pañler dans la derniére , depuis fa Promotion au 
Cardinalat, puifque le Roi Edouard pour excufer fon retar- 
dement,n'aporte d autre raifon que la néceflité, & l’ocurrence 
des afaires. | | 


JEAN DE L'ALLEU, 


CHANOINE,ET CHANCELIER 
DE L'ÉGLISE DE PARIS, 


ÉLÜ AU SIÉGE ÉPISCOPAL DE CETTE CAPITALE. 
P ARMI les Hommes illuftres du treiziéme fiécle , qui ont 


fait le plus d'honneur au Clergé Séculier , à l Univerfité 
de Paris , & à l'Ordre de farnt Dominique , Jean furnommé 
de l’Alleu , mérite un rang diftingué. Orleans fut fa Patrie, 
& Paris le théâtre de fa gloire. Sa Doëtrine, & l'étendue de 
fon érudition parurent f{ur-tout dans cette célébre Univerfité , 
fa piété dans l’augufte Chapitre de Notre-Dame, fon élo- 
quence, & fes talens dans les principales Chaires de la Ville. 
Mais fon mérite eft moms connu par tous ces diférens em- 
plois, que par le modefte refus qu'il fit d’une plus fublime 
dignité, qui lui étoit oferte ; & à l'éclat de laquelle il préféra 
humble proféflion de la vie Religieufe. 

S'étant d'abord confacré au fervice des Autels dans l’état 
Ecléfiaftique , Jean de FAlleu , apellé quel uefois Jean 
d'Orléans , voulut joindre la fience à la piété , ak de fe ren- 
dre utile au prochain , & de remplir plus dignement les fain- 
tes fonétions du divin Miniftére. Par fon affiduité à l'Etude. 
il mérita le dégré de Doëteur ; & fes vertus lui ‘procurérent 
une place de Chanoine dans la Cathédrale. Bien-tôt après , 
c'eft-à-dire en 1271, à fut fait Chancelier de l'Eglife, & de 
l'Univerfité de Paris. Toujours atentif à ce que l’un & l’autre 
Ofice éxigeoit de lui, le zéle du falut des ames lui faifoit 

Lzzzi 


LIVRE 


VIII. 


JEAN 
DE L'ALLEU. 


> 


LIVRE 
VIII. 


JEAN 


DE L'ALLEU. 
D 2 








e 


734 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


trouver encore du tems pour expliquer aux Fidéles les Véri- 
tez de la Religion. On ne le voyoit guéres qu’au Chœur , 
ou dans les Ecoles , ou en Chaire ; & ceux qu'il touchoit en- 
core plus par la fainteté de fes éxemples , que par la force de 
fes difcours , le comtoient parmi les premiers Détos de 
fon fiécle (+). 

Malgré cette réputation de droiture, d'équité, de zéle, & de 
défintéreflement qu'il s’étoit fi juftement aquife,l’Hiftoire nous 
aprend qu’il eut de ficheux démêlez avec quelques Doéteurs , 
à l’ocafion des droits de fa Charge de Chancelier. On trouva 
fort mauvais, dit Duboulay , que fans prendre les avis des 
Examinateurs , il eùt donné le dégré de Lu à Don Fer- 
nand , ou Ferdinand , Fils du Roi d'Aragon (2). Mais 
tous les diférends qui nâquirent de là, & qui allérent fort 
loin , ne pürent empêcher que ceux mêmes qui blâämoient 
fon entreprife , ne rendiffent toujours juftice à fon mérite , & 
à toutes fes excélenres qualitez. Le Vicaire de JEsus-CHRIST 
n’en jugea pas moins favorablement , dans une ocafion qu’on 
peut bien regarder comme l’époque de fa vie la plus glo- 
rieufe. Voici comment M. Fleuri raconte le fait d'après les 
anciens Auteurs. 

“ Etienne Tempier Evêque de Paris, étant mort le troi- 
fiéme de Septembre 1179, le Chapitre élut en fa place Eu- 
des de faint Denis, Doëéteur très-favant , mais fort âgé. 
Quelques Chanoines s’opoférent à l'Eleétion ; il y eut des 
apellations au Saint Siège ; & Eudes fit le voyage d'Italie, 

our les faire vuider en Cour de Rome. Le Pape Nico- 
# IL ayant éxaminé l'afaire , & vüû le grand âge de l’Elû, 

ui paroifloit entr'autres à fes mains tremblantes , caffa 
l'Eletion : mais avant que la Sentence de fa caflation fût 
publiée , Eudes renonça volontairement à fon droit. Après 

uoi le Pape & les Cardinaux ne jugérent point à propos 
de renvoyer l'Elettion au Chapitre : Paris , pour ne point 
laifler vaquer trop long-tems une Eglife fi confidérable, 


Ÿ YVES YY}Y 


(r) Clarebat ille à pluribus annis in Ur-, Parifienfis, eximiæ vir doétrinæ , nec minus 
be regia , tum doétrinà, tum facundià, | inclytæ virtutis. Cum quo tamen Univerf- 
frequentes ubique habens conciones , & in- | tas , quod inconfultis Examinatoribus Fer. 
ter primos fuæ ætatis verbi Dei præcones | nandum Aragonum Revis Filium licentià 
habitus ; fed nec minus à pietate commen- | donafer, litem exercuit . . . . ob idque fub.- 
datus. Echard.T.I,p. 499, ftituit alium ipfñ Cancellarium , &c. Ds 

(2) Joannes de Allodio, feu de Aurelia- | boulay, Hifi. Univ. Parif. T. III , in Ca 
pis , Cancellarius Ecclefix , & Univerliracis ! #34. IUufiri, Academi. p. 697. 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 736 


C’eft pourquoi le Pape s’en réferva la Provifion , &ladon- “ 
na FE te e l’Alleu , plus connu fous le nom de Jean d'Or- * 
léans , Chanoine , & Chancelier de l'Eglife de Paris, dont * 
1l connoifloit le mérite par fa réputation ,. 
Mais Jean d'Orléans l'ayant apris , fe retira fécretement 
chez les Jacobins de Paris , à l’infçu même de fes Domefti- 
ues ; y demanda l'habit de Religieux , & le reçut la veille 
La Pâques, vingtième d'Avril 1280. Puis il écrivit au Pa- 
pe; le fupliant de le décharger du fardeau qu'il lui avoit 
impofé, & lui permétre de finir fes jours dans le genre de 
vie qu'il venoit d'embrafler. Le Pape ne voulut point s’o- 
pofer à une fi fainte réfolution , & donna l’'Evêché de Pa- 
ris à Renoul de Homblieres, Normand de Nation, Doc- 
teur en Théologie , fameux par fa doûtrine , & par fa ver- 
tu . .. . . Quant à Jean d'Orléans, il perfévéra dans 
l'Ordre des Freres Prêcheurs , & y vêcut avec grande édi- 
fication pendant vingt-fix ans , c’eft-à-dire jufqu’en 1306 ». 
Tout ce récit eft de M. Fleuri. Bernard Guidonis , & Guil- 
laume de Nangis raportent le fait à peu près de la même 
maniére (1). Duboulay femble dire , que le Chapitre de Pa- 
ris avoit poftulé Jean d'Orléans pour fon Evéque ; ce qui 
ayant allarmé la rare modeftie du Serviteur de Dieu ile re- 
tira promtement dans le Cloître , pour éviter un honneur qui 
étoit à charge à fon humilité (2). 
Une retraite qui n'avoit pà être in{pirée par la chair & le 
fang , ne dut point furprendre ceux qui connoifloient les vé- 
ritables fentimens de ce ea Perfonage , & l’éminente piété 
dont il avoit toujours fait profefion. Mais la maniére dont 
il foutint cette premiére démarche , fut la preuve la plus fen- 
fible, qu’en sa tu éclat des honneurs , il n’avoit pas pré- 
tendu ê refufer à ce que le Miniftére évangélique a fe péni- 
ble , & de laborieux. Le qu'on a coutume de rechercher dans 
les Dipnitez ; c'eft-à-dire, tout ce 
cupidité , l’orgueil, l'ambition, 


S à 


Si S$Ssszsss 


qui eft capable de flater la 
fut pour le Difciple de JE- 


(1) Magifter Joannes Aurelianenfis , 
Cancellarius Parifienfis per Papam Nico- 
Jaum ad Epifcopatum Tee promo- 
tus , fæculo vale faciens totum dimittit , & 
in Domo Fratrum Prædicatorum Parifius 
Religionis habitum affumens pauper ibi- 
dem cum pauperibus devotè Domino famu- 
Bodo hujus vitæ peregit incolatum. Gwil. 


Nazgi. in Lib. de Gefiis Phlippi ILL 


(z) Rarum tamen & memorabile exem- 
plum præbuit hoc anno fimplicicatis & in- 
nocentiz. Nam cum poft mortem Stcphani 
de Succeflore ageretur . . . . feque in Epif- 
copum poftulari animadverteret , tanti once 
ris metu correptus ad Dominicanos confu- 
git. Daboulay, Hiff. Univ. Parif. T. IL, 
?- 447. , 


LIVRE 
VIII. 


JEAN 
DE L'ALLEU. 


€ RER 





Hif. Ecf. Liy, 


LXXXVII, F1. 42. 


LIVRE 


VII. 


JEAN 


DE L'AÂLLEU, 
D 7 ts 





736 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


sus-CHRIST un fujet de crainte & de tremblement ; & il prit 
pour fon partage ce que bien d’autres voudroient féparer du 
divin Miniftére , la folicitude , & le travail. Comme s’il n'eût 
commencé à combatre fes paflions , & à aquérir le tréfor des 
vertus que du jour de fa retraite, le nouveau Religieux ne 
penfa qu'à mourir à lui-même, à fe dépouiller du vieil hom- 
me, & à fe revêtir du nouveau , par la plus éxaéte imitation 
de toutes les vertus, dont il nousa donné l'éxemple , & com- 
mandé la pratique. 

Humble , doux , modefte , obéiffant , il ne fe glorifoit , 
comme faint Paul , que dans la Croix de JESUS-CHRIST ; & 
il trouvoit fes véritables richefles dans la profeflion d'une ri- 
goureufe pauvreté. Mais les pratiques du Cloitre ne lui firent 

oint abandonner l'éxercice de la Prédication ; il le reprit 
ets avec une nouvelle ferveur , & le continua avec de 
plus grands fruits. Ce fut ed eme cet emploi qui le 
fantifia, & qu'il fut faire fervir à la fantification de plufieurs, 


. dans diférentes Provinces du Royaume. Il paroît cependant 


que ce fut plus particuliérement à Paris qu'il éxerça fon Mi- 
niftére : l’obéiflance l’y retenoit , tandis que les aplaudiffe- 
mens , ou les louanges qu'on lui donnoit, l’auroient porté à 
s'en éloigner, & à fe banir lui-même. 

Il mourut dans une heureufe vieilleffe le jour de faint Re- 
my, premier d'Oétobre 1306. Selon l’expreflion de Bernard 


Guidonis, qui avoit long-tems converfé avec lui, ce faint 


Religieux avoit ateint l’âge des Patriarches , comme il poffé- 
doit leur efprit , leur foi, & leur charité (1). 

Dans la Bibliotheque de faint Viétor à Paris, on trouve 
un Recueil de Sermons manufcrits, dont chacun porte le 
nom de Jean d'Orléans, de l'Ordre des Freres Prêcheurs , 
autrefois Chancelier & Chanoine de Notre-Dame de Paris, 
Doéteur en Théologie (2). Ces Piéces ne ferviroient pas fans 
doute aujourd'hui à prouver cette éloquence , que les an- 
ciens Hifloriens lui atribuent, tant à caufe queleftyle, & 
la maniére de compofer dans le dix-huitiéme fiécle, ne font 
pas les mêmes que dans le treizième , que parce que les Dif- 


(1) Hic Frater Joannes fenex, & plenus ! @ Lean. Albert. Lib. V, fol. 1211, de Vir. 
dierum, & doétrinà , & Spiritu Dci, ficut | 1//#ftrib. 
unus ex Patribus antiquis in fe jipfo recol-| (1) A Fratre Joanne Aurelianenf Fratre 
lctus, & in Deum fixus, appoñitus eft ad | Prædicatore, quondam Cancellario & Ca, 
cos, migrans in Fefto fanéti Remigii anno | nonico Bcatx Mariæ larifienfis Magiftro in 
Domini 1306. Apud Echard. T. I , p.499, | Thcologia. 





cours 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 37 


cours que nous avons de lui , ne font que des Recueils de LIVRE 

ps Copiftes , qui fuivoient fes Prédications, pour en _VIIL. 
crire ce qu'ils pouvoient , pendant qu'il les prononçoit. Mais 

” cet empreflement à le copier , montre aflez quelle étoit alors 

fa réputation. | | 


RRRPPERPRERERE PRES EEEREREERENEE 
DIETHER 
DE N ASS AU: 


7 
LEGAT DU PAPE, 
ARCHEVÉQUE ELECTEUR DE TREVES. 


À naiffance , & les Emplois éminens de cet illuftre Do-  Drernar 
minicain , ne nous Le de fuprimer entière- ns Nassar. 

ment fon nom ; mais le défaut de Mémoires aflez circonftan- == 
ciés , noûs réduit à ne toucher que fort légérement l’Hiftoire 
de fa vie. 

Diether , apellé quelquefois Thierry , ou Théodoric, iflu 
de l’augufte Maifon de Naflau , & Frere de l'Empereur 
Adolfe , prit l’habit de faint Dominique dans le Couvent de 
Mayence vers l'an 1270. On peut croire que le fèul défir de 
la perfettion chrétiénne , ou l'infpiration fécrete de la Grace, 
lui avoit fait préférer l’efpérance des biens futurs , à la poffef- 
fion des richefles périffables , & à toute la gloire de ce Monde. 
Aufñ parut-il d'abord plein de ferveur , É modeftie , de pié- 
té. Et felon Fontana, après faint Antonin , ce religieux Prince 
ne fit pas moins d'honneur à l’état qu'il avoit embraflé , par fa 
doëétrine , & la pureté de fes mœurs, que par la nobleffe de 
fon fang (1). 

De re belles qualitez ne pouvoient que rendre fes fervices 
également utiles à l'Eglife £ à fon Ordre : Nous ignorons 
néanmoins l’ufage qu'il en fit pendant vingt, ou vingt-cinq np 5 gd" tibe 

(x) Frater Dictherius Germanus Adol- | Litteris & moribus mirabiliter Ordinem il- 
phi Nafovii Romanorum Imperatoris Fra- | luftravit, &c. Fonrans in Theatr. Domi, 
ter , exregio fanguine, Dominicanum In- | p. 108, ex $. Anton. III. Pers, Tir, XXIII, 
flicuum Moguntiæ fufcepir, fub quo in | C. xx, 

Tome L, | AAaaa 





738 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE ans. Léandre Albert, qui le comte parmi les Interprétes des 
VIIT.__ faintes Ecritures, ne nous a point donné une connoiflance 
Dieruer  Particuliére de fes Ouvrages ; & je ne trouve point qu’il foit 


pe Nassau. fait mention de lui dans l’Hiftoire avant le Pontificat de Bo- 
nm” njface VIII. Dans le deffein , où étoit ce Pape de fe rendre 
l’Arbitre, ou le Juge de tous les diférends qui étoient entre les 
Princes Chrétiens , il ne fut pas plütôt is fur la Chaire de 
faint Pierre, qu’il envoya fes Légats, & fes Nonces , dans 
prefque toutes les Cours de l'Europe. Diether de Naffau, 
encore fimple Religieux , fut de ce nombre. Sa Sainteté fe 
fervit de fon miniftére , pour traiter avec l'Empereur Adolfe, 
{oit de plufeurs autres afaires , quiintérefloient la Religion, 
& le Saint Siège ; foit de la paix qué le Souverain Pontife vou- 
loit faire conclure entre le Roï des Romains, & la Cour de 
France. Cette commiflion avoit été déja confiée aux trois Ar- 
chevêques de Mayence, de Cologne , & de Tréves. Mais, 
perfuadé que le Frere de l'Empereur auroit un plus favorable 
accès auprès de ce Prince ,.& agiroit plus éficacement fur 
fon efprit , le Pape donna à Diether de Naffau la qualité de 
Légat Apoftolique , & l'envoya avec ce Cara@ére à la Cour 
Bullar, T. 11,p.75. d'Adolfe , l’an 1296. 

Un Hiftorien Italien aflure , que la diligence du Lépat , & 
fon habileté répondirent aux défirs du Saint Pere (1). Nous 
en fouhaiterions des preuves : nous ignorons ce qu’il obtint 
fur les autres articles qu’on n'a point expliqués, & ui pou- 
voient faire la partie fécrete de la Négociation. Mais ef cer- 
tain que la paix fi défirée n’en fut point le fruit, la Guerre 
ayant encore continué avec la même ardeur entre la France 
& l'Empire. De-là M. Sponde conclut avec raifon, que les 
Négociations , foit des trois Archevêques Eleéteurs , foit du 

Pere Diether de Naffau, n’eurent point alors le principal éfet 
qu'on fe propofoit. Celles des deux Cardinaux , envoyés pour 
le même fujet auprès des Rois de France & d'Angleterre , ne 





Spondan, ad An. 
129$ 3 93. 4. 


réuflirent pas mieux (2). La 


(1) Quod juxta Pontificis maximi votum 
fœliciter complevit. Vincen. Fontan.p. 355. 
(2)  Atque ut pacis negotium tanto eff- 

| cacius promoverctur fcripfit pariter ( Bons- 
facius Papa ) ad Archicpifcopos Mogunti- 
num, Treverenfem, & Colonienfem, ut 
ad id diligenter incumberenr. Rurfumque 
ad cumdem Adolphum , cum ad alia ncgo- 
ta tractanda , tum ad candem pacem coag- 


Providence employa d'autres 


mentandam , ipfufmet Adolphi Regis Fra- 
tem Diecherium Ordinis Prædicatorum 
deftinavit. Quos tamen omnes pios ejus 
conatus irritos fuifle, conftat tam ex bell 
inter prædiétos Reges etiam acrius pofthac 
continuato . . .. quam ex Auctorum fcrip- 
tis, ac præcipue Anglorum, quorum tefti. 
moniis conftat, prædictos Cardinales Le- 


À 
gatos , cum apud utrumque Regem pere 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 739 


moyens , pour mêtre fin à cette longue , & fanglante Guerre. 
Quelques Princes de l'Empire , en 1297, donnérent aflez d'o- 
cupation à l'Empereur Adolfe, pour l'empêcher d’unir fes 
forces avec celles des Anglois ; & la fagefle de Nicolas Boca- 
fini, alors Général des É reres Prêcheurs , fit conclure l’an- 
née fuivante une Tréve de deux ans , entre Philippe IV , &c 
Edouard I. | 

Bien-tôt après l’Archevêché deTreves étant venu à vaquer, 
notre Diether en fut pourvû par l'autorité du Saint Siège ; &il 
le gouverna | sea fept ans , avec beaucoup de fainteté, & 
de fagefle , fi nous en croyons Fontana , qui loue ce Prélat 
d’avoir donné à fon Peuple de beaux éxemples d’humilité , & 
d'une grande charité envers les pauvres (1). D’autres pré- 
tendent au contraire, que fa conduite dans cette nouvelle 
Dignité , trop peu conforme à la modeftie qu'il avoit fait pa- 
roître dans l’état religieux , ne fut pas moins fatale à fa répu- 
tation , qu'a fon repos. Les loix de l’'Hiftoire ne nous per- 
métent point de doniles ce que nous lifons dans les Anales 
de l'Eglife. Voici comment en parle M. Fleuri après Oderic 
Raynald. 

“ L’Archevêque de Treves , Diether de Naflau , Frere 
de l'Empereur Adolfe , avoit été de l'Ordre des Freres Prè- 
Cheurs ; & le Pape Boniface VIII l'avoit mis dans ce grand 
Siège fans Eleétion , ni poftulation du Chapitre, mA dr 
d'Albert d'Autriche Roi des Romains , ennemi d’Adolfe. 
Auf Diether fut-il toujours opofé à Albert pendant fon 
Pontificat, qui dura environ huit ans, ayant commencé 
en 1299. C'étoit un Homme inquiét & guerrier, dont la 
mauvaife conduite atira à la ville de Treves la haine de tout 
le monde. Les Habitans de Coblents , acablés d'impofitions, 
dont il les chargeoit , fe révoltérent ; & pour les ours res : 
il affembla des troupes à grands frais , afñiégea la Ville, & 
la réduifit à fe rendre à difcrérion. Mais les dépenfes qu'il 
fit en cette Guerre l'épuiférent tellement, qu'il engagea 
prefque toutes les Terres de fon Eglife , & en aliéna même 
multa de pace in medinm adduxiffent, ad | gnitate maxima humilitatis exempla ovibus 
extremum videntes infedifle in eorum ani- nes er exhibuit, copiofis in pauperes elce- 
mis conceptum odium explere armis, in- | mofynis erogatis. Septem annos fanttifli-, 
fe&o negotio Romam rediiffe. Spondan. | me præfuit ; vitamque Creatori fuo cum 
ad An. 1195, 7. 4. morte commutatam reddidit anno falutis 

(1) A Bonifacio VIIL Treverenfem Ec- 1307, in noftrà Ecclefà magnà pompà 
clefiam in Alemania regendam fufcepit, juxta aram maximam tumulatus. Vincen 
Dictherius , anno Jubilæi 1300 : in qua di- | Fonsan. ss Jp. p. 108. où 

A Aaaa 1] 


RRTSISRSRARARERLRRSSSS 


LIVRE 


VII. 


DIETHER 
DE NASSAU. 
DU à 
An.1297 ,Mm Ile 
An. 1298,n, 4. 


Hift. Ecl. Liv. xx, 
#, 11. 


LIVRE 


VIII. 


DIETHER 
DE NASSAW. 





Ÿ Ÿ % 


740 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


» plufieurs. Son Clergé s’en plaignit au Pape Clément V, 
» acuüfant encore l’Arc dr de fimonie , & de mépris en- 
» Vers le Saint Siége : car il avoit chañffé de fon Monaftére 


-# Aléxandre Abé de faint Mathieu , près de Treves , qui apel- 
»# loit au Saint Siége ; & il avoit intrus à fa place un au- 


» tre Abe. ; 

» Le Pape écrivit fur ce fujet une Lettre, où 1l dit : Vous 
» fommes plus touchés des excès commis par les Prélets qui ont 
» été Religieux , puifque la vie qu'ils ont menée en cer état, Les 


» oblige plus que les autres à donner bon gr re Il caffe tout 


» ce que Diethber avoit fait contre l'Abé Aléxandre depuis 
+ fon apel ; & ordonne aux Abèés d'Epternac, & de Luxem- 


-# bourg , tous deux du Diocèfe de Treves , & au Prévôt de 


» l'Eglife de Liège , de citer l’Archevêque à comparoïitre dans 


-» trois mois en Cour de Rome. La Lettre eft datée de Poi- 
# tiers , le quatriéme de Juin 1307. La citation fut faite ; mais 


avant que le terme en fût échû , Diether tomba malade , 
& mourut le vingt-troifiéme de Novembre de la même 
année »° | 

11 voulut être enterré avec fes Freres, dans l’'Eglife des Do- 


minicains de Treves, où on voit encore fon Tombeau à côté 


du vs Autel,. 


efttout ce que nous favons de la vie de ce Prélat. Nous 
n'entreprenons point de le juftifier des excès que quelques 
Ecrivains lui reprochent ; moins encore de les concilier avec 
les magnifiques éloges que quelques autres ont fait de fes ver- 


tus. Ceux-ci étoient peut-être , ou moins imftruits, ou trop 


prévenus en fa faveur. Et ceux-là, en copiant les acufations 
de fes ennemis , peuvent avoir groff contre leur intention , 
les fautes d’un Archevêque , qui n’a point eu le tems de fe 
juftifier devant le Siége Apoftolique. ï eft permis de penfer 

ue le défir de venger la mort de fon Frere , avoit porté Die- 
à à des entreprifes , qui ne convenoient guéres au caraétére 


d'un Prince de l'Epglife. Albert d'Autriche , ancien ennemi 


de l'Empereur Adolfe, s’étoit révolté contre lui ; & lui ayant 
Ôté la Couronne avec la vie l'an 1298 , il s'était fait élire Roi 
des Romains en fa place. Le Pape Boniface VIIT, imdigné 
contre ce Prince , qu'il traitoit d’ufurpateur, & de criminel 
de leze-majefté , retufa pendant quelque-tems de confirmer 
fon Eleétion (1) , ou d'écouter fes Ambaffadeurs ; & pour le 


(1) Confirmationem per folemnes Nuncios petens à Pontifice ( Abertus Dux 4s- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. ya 


mortifier , en lui marquant davantage fon éloignement, Sa LIVRE 
Sainteté éleva Diether de Naflau à la a Ë Archevêque VE 
deTreves. Voilà fans doute ce qui engagea lePrélat danstoutes : 
tes guerres, ou diférends , qu'il eut avec ceux de fes Sujets , 
ui s'étoient particuliérement atachés aux intérêts du nouvel 
mpereur. Mais le Seigneur ne l’avoit point chargé de l’éxé- 
cution de fes vengeances : elles éclatérent bientôt après. Al- 
bert d'Autriche s'étoit frayé le chemin au Trône par un cri- 
me ; & ilen fut renverfé par celui de fon propre Neveu , cinq 
mois après la mort de l’Archevèque de Treves (1). | 


SSSESEEEEEESESELEESLALEE 

GUILLAUME 

DE MONCADE, 
EVÊÉQUE D'URGEL, 


LÉGAT APOSTOLIQUE.. 
L À naïffance de Guillaume de Moncade , ou 4 Monte- GUILLAUME 


Cateno (2), (comme l'apellent plus communément les Ds MoncÀpe: 
Auteurs Catalans) n'étoit guêres moins illuftre que celle de 
Diether de Naffau , dont nous venons de parler : mais Ja ré- 

utation de fa vertu parut mieux foutenue ; fon Epifcopat fut | 
: . ‘ Bern. Guid, Dias 
k plus 7 » & plus pacifique. Guillaume , né dans la Prin- gus, Hift. Prov. Ara- 
cipauté de Catalogne, vers la fin du Pontificat d'InnocentIV, "1% 8-27 
reçut l’habit de faint Dominique dans un âge encore tendre ; 
& felon Diégo , dans fon Hiftoire de la Province d'Aragon, 





ffris) bis terque repulfam pañlus eft, ed} ret , gladio occifus eft à proprio Nepote 
es in lcgem Majeflatis deliquiffet, in-} Joanne Sueviz Duce. Spondan. #4 An. 
urgendo in Dominum fuum. Spondan. #4 | 1308 , 5. 2. 

An. 1298. (2) Pirrhus, dans fon Ouvrage intitulé 

(1) Hoc eodem anno ( 1308 ) Albertus | Sicilie Sscra, nous aprend que les Seigneurs 
Romanorum Rex Boëntiam rurfum inva- | de l'illuftre &{Royale Maifon de Monte- 
dere fimulque a Helveticos fuperiori | Cateno étoient aufl apellés de Moncade, où 
anno rebelles factos armis perfequi deli- | de Moncate : Petrus de Monte-Cateno, 
berans ; Calendis Maïi poft wanfmiflum | Caralanus , ex praclarilfima de Regis flir- 
navigio Rhenum, dum per fata meridiein | pe, qwæm Moncatam dicimus. Not. Eccl, 


propria (ua terra apud Rinsfeldam equita- | Sira. pp. 167. 2 ie 
AAaaau 


 LIRVE 
VIII. 


GUILLAUME 


DE MonNCADE. 
D + rs 
SERRES EN GLE RER PE ER EEERE 


Le 


742 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


ce fut dans le Couvent même d'Urgel, que ce jeune Sei- 
_ fe confacra à JESUS-CHRIST , en préférant la douceur 

e fon joug aux amufemens du Monde , à fes plaifirs, & à 
fes vanitez. Docile aux inftruétions de fes Maïtres , & ena 
core plus à la voix intérseure de la Grace, il fit de grands pro- 
grès dans la piété ; & par la beauté de fon efprit , il ne fe dif- 
tingua pas moins dans tous les éxercices de l’École. L'an 127$ 
le Éhapitre de fa Province tenu à Lyon , le nomma parmi 
ceux qui devoient faire leurs Etudes de Théologie à Pampe- 
lune. Et dès l'an 1281 1l fut fait Doéteur de Tarragone , 
chargé d’enfeigner en qualité de Théologal de l'Eglife de 
cette Ville. Dans ce pofte , on n'admira pas moins fa pruden- 
ce, & fon zéle, que fa doétrine. Son mérite éclata encore 
davantage dans les diférens Emplois qu’il remplit dans fa 
Province d'Efpagne , jufqu’en l’année 1294 , qu'il fut élù 
Evêque d'Urgel par les Chanoines de cette Eglife. Léandre 


Albert, après Bernard Guidonis , avance d’un an cette Elec- 


té Ord, T.u , 
30e 


tion (1). Fontana, au contraire , ne la place que fous Bo- 
niface VIllen 129$ (2). Mais il eft certain que Guillaume 
de Moncade , nommé à l'Evêché d'Urgel pendant la vacance 
du Saint Siège après la mort du Pape Nicolas IV, reçut fes 
Bulles du faint Pape Céleftin V ; par conféquent après le mois 
de Juiller 1 294. | | 

Dès-lors le pieux Prélat , atentif à veiller non-feulement 
fur lui-même, mais auffi fur tout le Troupeau que la Provi- 
dence avoit confié à fes foins , commença à agir dans fon 
Diocèfe en pere & en Pafteur , réfolu de n'épargner, ni veil- 
les, nitravail, pour remplir dignement toutes les fonétions 
de fon Miniftére, Il en fentoit le poids ; & connoifloit bien 
l'étendue des devoirs que lui impofoitune Dignité , qu'il n'a- 
voit pas eu la témérité de défirer. Sa charité égala fa vigi- 
Jance : celle-ci lui découvroit les befoins fpirituels ou cor- 
porels des Fidéles ; & celle-là lui Ho toujours les 
moyens de foulager les uns & les autres. À l'éxemple des plus 
faints Evêques, dont on peut dire que l’'Eglife d'Efpagne À mp 
tous les fiécles a été heureufement féconde, il régla de telle 
forte fa perfonne & fa maifon , que tout fon Clergé aufli-bien 


(1) Guillelmus ex Monte-Cathano , vir | (2) Urgellitanx Ecclefix in Hifpania 
moribus & fcientià clarus , Præful Urgellen- præfuit P. F. Guillelmus de Monte-Catana 
fis anno Domini 1293 declaratus eft. Lean. | a Bonifacio VIII Epifcopus inftitutus , &c. 
Ab, de Vir. Llufir. Lib. LI, fol. 120. Fontana, in Teathr. Doi, p. 326. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. "743 
le Peuple, trouvoient dans fa conduite un modéle de LIVRE 
+ frugalité , de modeftie , de zéle , de défintéreffement , & de VII. 

cette fimplicité chrétienne , qui rend agréables aux yeux du Gurcraume 
Seigneur les Miniftres defes Autels. pe Moncans. 
. Mais à peine le fage & zélé Pafteur commençoit à faire 
goûter à un Peuple fidéle les douceurs de fon gouvernement, 
que des ordres fupérieurs , & en même-tems un devoir de cha- 
rité & d'obéiflance , larachérent pour un tems à fon Eglife. 
Le Pape-Boniface VIII le fit fon Légat auprès du Roï d’Ara-  Disgus, & Fontan. 
gon, & de celui de Sicile. Il s’agifloit de perfuader à Frédé- “5; sa an 196, 
ric , & à la Reine Conftance fa mere , la néceflité d'éxécuter "5, Car n 
de bonne foi le Traité de paix déja conclu entre ces Princes, p.75. . 
& le Roi de Naples Charles Il; & d'éloigner , de faire même | 
fortir du Royaume de Sicile , le fameux Jean Procida , hom- 
me fattieux & remuant , qui , après avoir fait révolter les Si- 
ciliens contre le Roi Charles I, continuoit à aigrir les Peu- 
ples contre fes Enfans , foufloit par-tout le feu à la difcor- 
de , & ne cefloit de traverfer de toutes fes forces tous les pro- 
jets de pacification : lorfqu’il ne pouvoit empêcher la conclu- 
fion d’un Traité, il en empêchoit du moins l’éxécution. Un 
homme de ce cara@tére étoit de trop dans la Cour de Sicile, 
pour le repos de celle de Rome , & pour les intérêts de celle 
de Naples (1). Mais Jean de Procida s’étoit rendu en quel- 

ue maniére néceflaire à la premiére : il étoit cher à Frédé- 
ric ; & ce Prince paroifloit aufli peu difpofé à foufrir fon éloi- 
gnement , qu'à éxécuter les autres conditions d’un Traité, 
qui l’auroit privé d'une Couronne. | . 
. Rien n'étoit donc plus délicat, ni plus dificile que la Né- 
gociation , dont on chargeoïit l'Evèque d'Urgel : on le jugea 
cependant le plus capable d'entreprendre l’afaire avec quel- 
qu efpérance de fuccès. Il avoitune grande réputation de pru- 

ence & d’habileté ; & on fan "À A U8 D que fon mé- 
rite & {a naifflance lui donnoient fur l’efprit des Princes d'A- 
ragon , avec lefquels la Maifon de Moncade avoit déja fait 
diverfes alliances , comme elle en fit encore de nouvelles au 
commencement du quatorziéme fiécle (2). Apellé à Rome 


- (1) In fufpicionem adduëtus eff Joannes | facio Infulé excedere juffus aff, Ge. Odo- 
Procida , ne qui fuerat omnium malernm | ric. ad An. 1195 , n. 36. 

éncentor , prateritis malis qua invexerat , | (1) Othon de Moncade époufa en 1313 
non dum fatiatus ad Pontificis voluntatem | Ifabelle d'Aragon, Fille de Frédéric Roi de 
non fleclerstur, fed contra potins Siculos | Sicile ; & Jâques II frere de Frédéric, époufa 
exafperare niteretur : quare poffes à Boni- | en troifiémes nôces , l'an 1322, Elifabeth 


(a 


LiVReEe 
VIII. 
GUILLAUME 


DE MONCADE. 
de ue 4 





744 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


l'an 1295 , le Pape lui donna fes inftru@ions , & l’exhorta à 
ne rien oublier pour le fuccès d’une entreprife , qui n’intéref- 
{oit pas moins le Saint Siège , que la Cour de Naples. Le Lé- 

at fut reçû avec honneur dans celle de Sicile. La négociation 
pt entamée , on convint de part & d'autre fur quel- 
ques articles. Mais toute voye de conciliation parut imprati- 


cable fur quelques autres. Et le Traité, dont on demandoit 


l'éxécution , n’eut jamais fon éfet Le au point capital, qui 
regardoit la reftitution de l'Îfle de Sicile. Jâques d'Aragon l'a- 
voit promife, cette reftitution : mais les Grands du Royaume 
s'y opofoient toujours avec tant de fermeté, & les Peuples 
avec tant de fureur, qu'ils avoient menacé de mort, ou chafflé 
avec mépris ne 5 Nonces du Pape , dès qu'ils avoient ofé 
en faire un propofition. Au défaut de Jäques Il, Don Frédé- 
ric fon frere , proclamé Roi par le Peuple , fe maintint fur le 
Trône de Sicile, malgré les cenfures, & tous les éforts de 
Boniface VIIL (1). 

Notre Prélat ayant fait tout ce qu'on pouvoit prudenment 
efpérer de fon miniftére , dans la conjonéture des tems & des 
ns » il ne penfa qu'à fe rendre au plutôt dans fon Eglife , 
pour y reprendre le foin d'un Peuple, qui atendoit fon retour 
avec impatience , & qui ne profita pas moins de fes éxemples 

ue de fesinftru@ions. Pendant les douze ou treize années que 
Cul: de Moncade demeura depuis au milieu de fon 
Troupeau , il ne ceffa de le nourrir du pain de la parole de 
Dieu. Animé d’un zéle très-ardent pour le falut de tous ceux, 
dont il étoit le Pafteur & le Pere, on le vit parcourir fon vafte 
Diocèfe avec une charité, & une patience que rien n'étoit 
capable de rebuter. Le rétabliflement de la Difcipline Eclé- 
fiaftique fut le premier de fes foins , & le premier fruit de fa 
{olicitude Paftorale. Ses premières vifites furent dans les Hô- 
pitaux , ou dans les Prifons; & EE rs fon Palais fut tou- 
Jours ouvert à tous ceux de fes Diocéfains qui avoient re- 
cours à lui dans leurs néceflitez, on peut dire que les Pau- 


de Moncade, fœur du même Othon. Pir- 
rhus Not. Eccl. Siracu. p.167, & in Chroni. 
Reg. Sicil. p.65. 

(1) Tidem Siculi ipfum Fridericum ( ne- 
ne obnitente Bonifacio per Nun- 
cios fuos in Infulam directos , qui etiam vix 
manus evalére furentis Populi) publicis 
gonyentibus Panermi habitis tertio Idus 


| circa Reges 


Decembris Regem fibi crearunt : præclarè 
exequentes je ipfs folemne ab omnizvo 
iffe tradit antiqaus corum Au- 
tor Falcandus, nempe, ne Tyrannis quan- 
doque careant, Reges meliores morti ob- 
jicere , ut eos fibi conftituant per quos in ea 
Infula perpetuæ poflit tyrannidis privile- 
gium confervari. Spondan. 1195, n. 7. 


vres, 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 746 


vres, les Orphelins, les Malades , les autres perfonnes afli- 
gées atiroient par préférence fes atentions. Bien loin de mé- 

rifer , ou d'abandonner à la dureté de leur cœur les pécheurs 
me he ni , ou obftinés, c’étoit principalement fur ceux-là 
que s’arêtoient les regards du zélé & charitable Prélat. Il cor- 
rigeoit les uns avec une fage févérité, 4 la nature de 
leurs fautes, ou le caraëtére de leur efprit le demandoient 
ain; & il prévenoit les autres avec une douceur capable de 
les gagner. Ses maniéres afables , fes bons ofices , fes tendres 


LIVRE 
VIII. 


GUILLAUME 
DE MONCADE. 





exhortations , & fes priéres en retirérent plufieurs de la diflo- 


lution, & du crime. 

Après avoir gouverné près de quatorze ans (1) l’Eglife 
d'Urgel , il mourut en continuant les vifites de fon Diocèfe. 
Sa mortariva, felon Bernard Guidonis, le dixhuitiéme d'Oc- 
tobre 1308, ou le troifiéme de Novembre, felon Diego, quia 
écræfur les anciens Monumens des Eglifes d'Efpagne. 


CRT ET TITI U SSL TS 


THOMAS DEJORZ, 


CONFESSEUR DU ROI D'ANGLETERRE, 
SON AMBASSADEUR AUPRÈS DU PAPE CLEMENT V, 
CARDINAL , ET LEGAT APOSTOLIQUE. 

"HISTOIRE ne nous a point apris le lieu, ni l’année de 
la naïffance de Thomas de Jorz , quoique les Ecrivains 
Anglois ayent fouvent parlé de fes talens, & des emplois qu’il 
remplit avec honneur , d’abord dans l'Ordre de faint Domi- 
nique , bien-tôt après dans l’'Univerfité d'Oxford , enfuite 


dans la Cour d'Angleterre, & enfin dans celle de Rome, 
Nous favons que fa Maifon étoit illuftre (2), & fa Famille 


(1)  Fuit Guillelmus maxima in agendis 
dexteritate præditus, fanguinis præftantià 
commendabilis , moribus ac fcientià conf- 
picuus, qui cum annis guatuordecim fan- 
&iffimè Ecclefiam fibi demandaram rexif- 
fet, valedixit mortalibus. Fortran, ut fh. 

(2) Magifter Frater Thomas Joyce, alias 
Jorzius, Anglus Ordinis Prædiçatorum , 


ome L., 


Confeffor Regis Anolorum Eduardi, Ma- 
gifter in Thcologia , ex Provinciali Angli- 
cano Prefbiter Cardinalis Tituli fanétæ Sa. 
binæ. Hic genere nobilis, fex uterinos Fra- 
tres habuit, omnes Ordinis Prædicatorum 
profeflores ; quorum Gualterius Archiepif- 
copus Armachanus, & Hiberniz Primas, 
&c Ciaconi. T. I, Col. pcccxxxv. 


Bbbb 


Tomas 

DE Jorz. 
D 
Vide Clariff. Balu- 
zium, T.i, Vie Pa- 


par. Aveni. p.582; &c 
Echard. T. 1, p. 508. 


LIVRE 
VIII. 


THoMaAs 
DE Jorz. 








746 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


très-nombreufe , puifque felon Bernard Guidonis, qui a vêcu 
avec ce Cardinal pre Thomas de Jorz embrafs l'Inftitut 
des Freres smic _ : . d'Oxford , 1l futacom- 
né , ou fuivi de cingdefes Freres (1) , qui ayant été reçus, 
levés dans le rs, Ordre, en prirent À bien l’efprit, LT 
{e rendirent tous utiles à l'Eglfe, ou par leurs Prédications , 
& leurs travaux à po , Ou par leurs Ecrits , ou enfin 
par leur vigilance à condiure faintemeut la portion du Trou- 
peau de Jesus-CHRisT, qui fut confiée à leurs foins. Nous 
verrons que Gautier de Jorz , & Roland fonfrere , furent 
nommés fucceflivement Archevêques d’Armach, & Primats 
d'Irlande. Thomas, l'aîné peut-être de tous , fut celui qui fit 
concevoir les plus belles eanges , & a l'inftruétion duquel 
les Supérieurs donnérent aufh une atention particuliére. On 
croit qu'il fit une partie de fes Etudes théologiques à Colo- 
gne , faus le Bienheureux Albert le Grand , 8 qu'il lesgpn- 
tinua à Paris fous faint Thomas nu l'an 1269. Il füt pro- 
fiter des éxemples , aufli-bien que des leçons de ces illuftres 
Maîtres , pour avancer également dans la fience & dans la 
fainteté. | 
Ses progrès dans l’une & dans l’autre , le mirent en état d’a- 
noncer avec fruit la parole de Dieu aux Fidéles , & de former 
à fon tour un.grand nombre de Savans dans les Ecoles d'Ox- 
ford. Egalementatentif à édifier & à inftruireceux quivenoient 
prendre fes Leçons de Théologie , il foutint pendant plu- 
fieurs années , il augmenta même de beaucoup l'éclat de cette 
Univerfité ; & la réputation qu'il s’y fit fut fi grande , dit um 
Auteur Anglois , qu'on le confidéroit comme un Homme di- 
gne de toute vénération , aufli recommandable par l’éminen- 
ce & l'étendue de fa doûtrine , que par l'innocence de fa vie, 
& la pureté de fes mœurs (2). 
Elû Prieur du Couvent d'Oxford , bientôt après il fut char- 
é du foin de toute fa Province d'Angleterre ; & itla gouver- . 
na pendant fept années de fuite , toujours aimé & refpeëté . 
non-feulement de fes Freres , mais auf des Grands du Éécle : 


(x) Hic Frater Thomas fuit Prior Pro- | manus in Cardinalem fanétæ Sabinæ à Cle. 
vincialis Angliæ annis feptem ; habuitque | mente V, elatus , vir morum gravitate , re 
fecum in Ordine quinque Fratres carna-| ligionis integritate, vitæ innocentià , &. 
les , quos eadem propago , & profeflio vere | eruditionis cminentià valdè venerandus , 
fecit efle Germanos, &c. Bern. Guido. #p.| imo vero planè admirandus. Aséor, Hiff. 


Baluzium nt fp. Univ. Oxonia, p. 64, apud Echard. nt fp« 
(2) Thomas Joyce Gualteri Frater Ger- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 747 


qui donnoient volontiers leur confiance à un Homme fi ca- 
os de les conduire dans les voyes de Dieu. Comme il avoit 
uccédé au Pere Gautier de Vinterborn , dans la Charge de 
Provincial, il lui fuccéda de même dans celle de Confeffeur 
du Roi d'Angleterre , & de Confeiller d'Etat , felon l’expref- 
fion de M. Dupin. Il n’y avoit pas long-tems qu'il ocupoit 
ce pofte, lorfqu'Edouard I le mit au nombre des Ambaffa- 
deurs , qu’il envoyoit auprès du Pape Clément Ve. Par une 
Lettre de Sa Majefté, datée du vingeépriéne d'Oétobre 1305, 
nous aprenons que ces Ambaffadeurs devoient traiter avec 
le Saint Pere de quelques afaires fécretes , & fort importan- 
tes, dont ce Prince défiroit le fuccès avec d’autant plus d’ar- 
deur , qu’elles regardoient l'intérêt , & l'honneur de fa Cou- 
ronne (1). | ’ 

Thomas de Jorz ne tenoit que le cinquiéme rang parmi les 
Ambafladeurs Anglois ; mais il fut le plus diftingué par le 
Souverain Pontife , qui le reçut à Lyon vers le commence- 
ment du mois de Décembre. Un Hiftorien Anglois, cité par 
M. Baluze, a cru quele Pape , déja inftruit des vertus, & 
des talens fupérieurs de ce grand Homme , l’avoit apellé 
dans le deffein de l’honorer de la Pourpre Romaine (2) : il 
l'en revêtit en éfet peu de femaines, & peut-être peu de jours 
après fon arivée à Lyon. Le Mercredi des Quatre-Tems de 
l'Avent , quinziéme de Décembre , ou, comme parle un an- 
cien Auteur de la Vie de Clément V , vers la Fête de fainte 


Luce , Sa Sainteté créa douze Cardinaux , entre lefquels Ni- 


colas de Freauville, Dominicain , Confeffeur de Philippe le 
Bel , eut le Titre de faint Eufebe , & Thomas de Jorz , Con- 
feffeur d'Edouard I (3) , eut celui de fainte Sabine , à la place 
de Gautier de Vinterborn , Cardinal , Religieux du même 


terca evocatum à Clemente V Lugdunum ; 


(x) De circumfpettione , & fidelitatis 
intimæ puritate dileétorum & fidelium no- 
ftrorum. ... Fratrum Thomæ de Jorz, & 
Joannis de Wirotham de Ordine Prædica- 
torum . .. . fiduciz plenitudinem obtinen- 
tes , fuper quibu{dam negotiis honorem, 
ftatumque noftrum , & Coronz noftrz tan- 
gentibus , quæ valdè infident cordi noftro, 
vobis mentem noftram decrevimus aperi- 
te, &c. In Conflitutionibus Regni Anglia , 
?- 1070, #p. Echard. ut f$. 

(2) Pitfeus eum commtendat de morum 
gravitate , religionis integritate, vitæ in- 
aocentia , & eruditionis eminentià, ac prop- 


& ab co faétum Cardinalem. Baux. in No- 
tis ad Vit. Clem. V. 

(3) ÉEodem anno (130$) Papa circa 
Feftum Beatz Luciæ fecit duodecim Cardi- 
nales , quatuor degenere fuo , & duos Fra- 
tres Prædicatores , videlicet Confeflorem 
Regis Franciæz , Confeflorem Regis Angliz, 
EpifcopumTholofanum, Biterrenfem , duos 
Columnenfes , & duos alios , videlicet Are 
chidiaconum Brugenfem Cancellarium Re- 

is Franciæ , & be fanétæ Crucis, qui 
Ait Vicecancellarius. Apud Balux. nt [?. 
pe 44 Lu 
BBbbb ij 


IVRE 
VIIT. 


THoMmaAs 
DE Jonz. 





Dupin, Auteurs du 
X1V. hécle, p. 194 


LIVRE 
VIII. 


THoMASs 


DE JORZ. 
D = = > 





& Hift. Ecl. Liv. xc, 
D. 54. 


748 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Ordre , décéde le vingt-quatriéme de Septembre de là même 
année , * felon M. Fleuri; ou plürôt le vingt-fixième d’Août, 
comme nous l'avons raporté ailleurs , d’après Bernard Gui- 
donis. | 
Si le Roi d'Angleterre n’avoit point prévenu le Pape en fa- 
veur de fon Confeffeur , le mérite de celui-ci devoit être bien: 
éclatant, pour le porter en fi peu de tems à l’'éminente dignité 
de Cardinal, furtout dans une première Promotion , dans la- 
uelle tous les autres Sujets qui furent honorés de la Pourpre, 
toient , ou parens de Sa Sainteté , ou Créatures du Roi Très 
Chrétien. Il eft vrai que les folides vertus du Serviteur de: 
Dieu égaloient fes talens , & n'étoient pas moindres que fa ré- 
utation. Plus il étoit élevé, plus il paroifloit digne de l'être. 
Le zéle de la Religion , la modeftie , la frugalité , le plus par- 
fait défintéreflement , l'innocence & la candeur , avoient fait 
fon partage dans le Cloitre ; il avoit continué à pratiquer les. 
mêmes vertus , & à fe conduire par les mêmes maximes , dans 
la Cour d'Angleterre ; & il n’en fut pas moins le rigide obfer- 
vateur dans celle du Pape. È 
Tout le tems que pouvoit lui laiffer l'embarras des afaires . 
il le partageoit entre la priére , ou la méditation des Livres. 
faints , & la compofition de divers Ouvrages , dont il a en- 
richi Je Public. Quelques-uns de ces Ecrits n'étoient que come 
mencés avant fa promotion, & il les perfeétionna en France. 
Je ne fai s’il ne faut point métre de ce nombre les favans Com- 
mentaires fur les Livres des Sentences, qu'il n’avoit entre- 
pris, que pour mêtre dans tout leur jour les beaux principes. 
de faint Thomas , & venger fa Doëtrine déja ataquée par 
uelques Doëéteurs Anglois. L'ordre, ou la méthode de cet 
Ouvra e , & le Titre que l'Editeur y a mis depuis, dans l’'E- 


_dition de Venife 1,23 , font aflez connoître le deffein de l’Au- 


teur (1). Après avoir d'abord expofé avec autant de clarté 
que de folidité le Texte du Maitre des Sentences, il raporte 
les difputes de Scot fur chaque Diftinétion ; & ilrefute fes. 
opinions dans tous les points , où le Doëteur fubtil s’étoit 
montré contraire aux fentimens de faint Thomas. 

… Mais l'étude de notre Cardinal ne pouvoit manquer d’être 
fouvent intérompue, par les diférentes commiffons dont il 


(1) Reverendi & lucidiffimi Do&toris Or- | tentiarum contra Joannem Scotum Ordinis. 
dinis Prædicatorum Fratris Thomæ Anglici | Minoritani. 
Liber Propugnatorius , fuper primum $en- 


r 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 749 


étoit chargé , tantôt par Sa Sainteté , & tantôt par le Roi LIVRE 
d'Angleterre. Toujours honoré de la confiance de l’un & de VIII. 
l'autre , il fervit utilement fon Prince, & LS Anglicane Tomas 
auprès du Saint Siège. Mais il ne put obtenir la Canonifation ne Jorz. 
de Robert autrefois Evêque de Lincoln , quoique tout le === 
Clergé de la Nation la défirât avec ardeur , & que le Roi lui 
eût fouvent écrit, & fait écrire par fon Chancelier , pour. 
qu’il agit vivement dans cette afaire. Cela paroît, par une 
r raportée dans les Conftirutions du Royaume d’Angle- 
terre , & datée du fixiéme jour de Mai 1307, qui étoit la 
trente-cinquiéme année du Règne d'Edouard I. 

Wading , dans les Anales de fon Ordre ;. ajoute que notre 
Cardinal fut un des Théologiens députés par le Pape Clé- 
ment V, pour éxaminer les Ecrits de as 2e d'Olive, & 
la célébre Difpute excitée Es les Enfans de faint Fran- 

çois, touchant la maniére d'obferver la pauvreté évangéli- 
ue , felon la Régle du faint Fondateur. “ Dans le cours “ 
de cette Difpute, dit cet Auteur ,1ls’y mêla bien d’autres “ 
Queftions, pour l'éxamen, & la difcuffion defquelles , le 
Pape commit trois Cardinaux de l'Ordre des É reres Prè- « 
cheurs ; favoir , Gautier de Vinterborn , Cardinal Anglois « 
du Titre de fainte Sabine ; Thomas de Jorz, de la même « 
Nation, d’abord Cardinal du Titre de fainte Luce , & de- « 
uis de celui de fainte Sabine , après la mort de Gautier de « 
Vous: Nicolas de Freauville , François , natif de « 
Rouen , Cardinal Prêtre du Titre de faint Eufebe ; & Guil- « 
laume-Pierre de Godieu , auffi Dominicain , alors Maître 
du facré Palars ,. | 
On peut d’abord remarquer deux méprifes dans ces paroles 
sde J’Analifte. En premier lieu, il met nos deux Cardinaux 
Anglois dans la même Commiffion ; & il fupofe qu'ils y ont 
travaillé quelque-tems enfemble. Mais:il ef certain que le pre- 
mier étoit mort trois Ou quatre mois avant la promotion du: 
fecond , & plufieurs années avant que le Pape Clément V eût 
ris PP ps des divifions caufées dans POrdre de faint 
Dos à l’ocafion de la Doë@rine de Jean d'Olive. Wading. r.r, vi. mpan 
fe trompe encore, dit M. Baluze , lorfqu'il aflure que le Car- *"% loss 
dinal Thomas de Jorz avoit eu le Titre de fainte Luce avant 
celui de fainte Sabine : nous favons le contraire, par le té- 
moignage exprès de Bernard Guidonis , & des autres Auteurs 
contemporains. Cependant l'Analifte auroit pü aflurer | mais 


BBbbb ii 








T. II ,ad An. 5318 
. z-3. 


PA 


756 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE dans un autre fens, que l’afaire en queftion avoit été éxami- 


VII. 


THOMAS 
DE Jorz. 
deux ans après ; & on fait que la difpute touchant la Pauvre- 


Hift. EcL Liv.xcr, 


M. 57e 


Clement, de 
Trinir, C 


sde 


née par trois Cardinaux de l'Ordre de faint Dominique , puif- 
que Guillaume - Pierre de Godieu, Maître du facré Palais 
lorfqu'il commença cet éxamen l'an 1310 , fut fait Cardinal 


té , ocupa fort long-tems le Sacré Collège, fous le Pontificat 
de Clément V, & de Jean XXII fon Succeffeur. | 
Ce fut en cette ocafon , que notre Cardinal Thomas 
de Jerz écrivit fur la pauvreté de JEsus-CHRIST. 
Nous avons ce Traité parmi fes autres Ouvrages. Il fit auffi 
uelques Extraits des Derits de Jean d'Olive , acufé de plu- 
Cours fentimens fufpeéts , ou opinions erronées , qui fe trou- 
voient, dit M. Fleuri , dans fes Livres , ou que fes Difciples 
entiroient par des conféquences. On l'acufoit par éxemple 
d’avoir enfeigné , avec l’Abé Joachim , que l’Éflence divine 
engendre & eft engendrée : erreur déja condamnée par Inno- 
cent IH , dans le quatrième Concile de Latran. On acufoit 
encore Jean d'Olive d’avoir foutenu , que l’ame raifonnable 
n'étoit pas la forme fubftantielle du corps humain ; d’où il 
s'enfuit , que ce n'étoit pas l’homme , mais l'ame feule qui 
ouvoit mériter ; oudémériter. On l’acufoit d’avoir dit , que 
ESUS-CRHIST étoit encore vivant fur la Croix, End il 
reçut le coup de lance qui lui A le côté : Enfin , d'avoir 
foutenu que les Enfans dans le Batême ne reçoivent point 
la grace , ni les habitudes des vertus , quoiqu'il reconnût que 
le péché originel leur étoit remis par la vertu du Sacrement. 


sum, Toutes ces propofitions furent condamnées ; & l'éxamen 


qu’en avoient fait nos Cardinaux , fervit pour former le pre< 
mier Décret du Concile général de Vienne , où on établit ce 
qu'il falloit tenir fur ces quatre articles. 

Cependant les afaires d'Italie demandoient la préfence d’un 
nouveau Légat Apoftolique ; & le Pape chargea de cette com- 
miffion notre Cardinal de fainte Sabine, qu'il fit fon pese 
à Eatere dans toute la Ligurie , la Tofcane, l'Etat Ecléfiafti- 

ue , le Milanois, la Marche-Trevifane , la Dalmatie , la Sar- 

aigne , & l'Ifle de Corfe (1). La Bulle que Sa Sainteté fit ex- 
pédier pour ce fujet , & qu’on peut voir dans les Anales d'O- 

(1) Utque facile in Italiam aditum mu-| Marchia , Dalmatia, Sardinia , & Cor- 
niret Henrico Pontifex , Thomam Tituli| fica , gerendæ auctoritate inftruétum , ue 
fanctæ Sabinæ Prefbiterum Cardinalem f{u-| illi Comitem itineris fe adjungeret, confie 
brogavit Legationis in Infubria, Liguria , | liifque optimis informaret , &c. Odorie. 
Ecrarià , Ecclchaftica ditione , Tervilina | #4 4x. 1310, n. 16. 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. #75: 
deric Raynald , explique tous les motifs de cette Légation. 
Les principaux étoient de pacifier les troubles d'Italie, de réu- 
nir Les partis & les Er ne en faveur de l'Empereur Hen- 
ri VII ; d'engager les Villes & les Républiques, à recevoir 
avec honneur ce Prince, à lui rendre ce qui étoit dû à la 
Majefté Royale ; & à concourir avec lui, pour rétahlir-par 
t@ut la concorde & la paix. Le Légat devoit aufli:inftruire 
l'Empereur de ce que l'Eglife Romaine , & le Vicaire de JE- 
sus-CHRIST fe prométoient de fa religion, defa piété , & 
de fa reconnoiffance. | 


Livrs 
VII. 


THoMAS 
DE Jorz. 
À 








C'eft dans ce deffein, & avec cesinftruétions, que le Lé- | 


gat du Pape entreprit fon voyage : mais il ne le continua pas 


ong-tems ; Car étant arivé à Grenoble au commencement 


du mois de Décembre 1310, il y finit fes travaux avec fa 
vie, le treizième du même mois, quiétoit le traifiéme Di- 
manche de l'Avent , cinq ans prefqu'acomplis depuis fa pro- 
motion au Cardinalat. Î ordonna que fon corps füt tranf- 

orté en Angleterre, pour y être enterré avec {es Freres dans 
ÏE life d'Oxford ; ce qui fut éxécuté (1). : 

Ée Cardinal, dit M. Fleuri , a laiffé plufeurs Ecrits, dont 
quelques-uns ont été atribués à S. Thomas d'Aquin, à caufe 
de la conformité du nom. Je ne fai fi M. Fleuri ne confond 
pas lui-même Thomas de Jorz avec un autre Théologien de 
: même Nation , & du même Ordre , apellé communément 
Thomas Anglois, dont nous pourrons parler dans la fuite. 
Quoiqu'il en foit; parmi les y , qui font fortis de 
la plume de ce pieux & favant Cardinal , il y a plufeurs 
Traitez théologiques , & divers autres Livres de piété, ou 
d'Erudition. Le dernier , qu'il avoit entrepris pour expliquer 
les Pfeaumes de David , n’a point été achevé, la mort l'ayant 
furpris dans cette fainte sg sara Ce qui eft une nouvelle 


reuve qu’au milieu même des plus grandes afaires . il trou- 
9 


voit un honèête délaflement dans l'Etude, comme il faifoir 
fes délices de la méditation des faintes Ecritures. Il avoit 


(1) Hic cum mitteretur Legatus à Do- | fanétæ Luciæ, quod fuit in Dominica ter- 
mino Clemente V in Italiam , ad Regem |-tia in Adventu Domini, anno 1310, Car- 
Teutoniz Henricum Imperatorem Roma- | dinalaüs fui quafi quinquennio confumma- 
-norum per Italiam dirigendum -8& promo- | to. Corpus autem ejus fuit inde portatum 
vendum in Imperatorem , cum perveniffet | apud Oxoniam in Anglia , in Conventu 
apud Gratianopolim Civitatem , ibidem in- | Fracrum Prædicatorum tumulandum, Bern. 
firmitate detentus diem claudens extremum, | Gwsd. ap. Balnzinm. 
Legationis fuz viam terminavir in Fefto | | 


Liv. xC,n, ç4 


Vide Sex. Senen. Bi- 
blioch. san&. Lib. IV, 
P- 328. 


LIVRE 
VIII. 


THOMAS 
DE Jorz. 





72 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


commencé par-là fa carriére dès fon entrée dans le Cloitre ; 
& il finit par-là fa fainte vie. 

De tous les Auteurs qui ont parlé de notre Cardinal, un 
feul Ecrivain des derniers fiécles , que l'illuftre M. Baluze 


ww jpelle un hardi calomniateur , a ofé noircir fa réputation ; 





Voyez dans de moins mauvais de. 
Morery le caratté- affez connu des 


re de cet Apofñtat 
& {es Avantures. 


& il a ataqué avec la même éfronterie la mémoire du Pape 
Clément V, acufant fans pudeur , & fans preuve, l’un & l'a- 
tre de fimonie , d’ambition, & decruauté (1). Mais ce lan- 
gage , trop familier aux ennemis de l’Eglife , & de fes pre- 
miers Pafteurs , eft digne d'un homme , qui n’avoit rien fait 
… Comédies. Le Centuriateur Baleus, 
ens de Lettres, & juftement méprifé de 
tous les Gens de bien , auroit fait quelque tort à unilluftre 
ardinal , s’il n’avoit pas médit de lui. On fait que Jean Ba- 
leus , ou Balée , devenu 2. de Calvin , n’avoit entre- : 
ris de parler des Papes, des Cardinaux, des Evêques, des 
Prêtres , & des Religieux , que pour répandre fur eux un 
venin d’afpic. Sa plume paroît toujours trempée dans le fiel 
parce qu'il avoit cru travailler à fa propre juftification , & 
faire fon apologie , en cenfurant partout la conduite, la Foi, 
les mœurs, les aétions , & les intentions de ceux, dont il 
s'étoit malheureufement féparé par une double apoñtañe. Il 
eft fans doute glorieux d’être blâmé par des gens à ce carac- 
tére : mais il ne le feroit pas pour nous de sa pluslong-tems 
d'un fi méprifable Ecrivain. 

Nous avons dit que notre Cardinal avoit cinq de fes Freres 
dans l'Ordre de faint Dominique. L'un des cinq, apellé Gau- 
tier de Jorz , fe rendit particuliérement célébre par fon Eru- 
dition, & plus encore par l'éclat de fes vertus, dont il donna 
de beaux éxemples, foit dans le Cloître, foit fur le Siége de 
l'Eglife Primatiale d’Armach. Le Pape Clément V lui avoit 


De Vir. Illutrib, ENVOYÉ les Bulles l’an 1306 , felon Léandre Albert , ou l’année 


Lib. 111, fol, 86, 


fuivante , felon le Pere Echard (2). L'Hiftorien de l'Univer= 


eruditionis eminentia, &c. Baluzius ibid. 
Col. DLxxx11. 
(1) Frater Gualterus de Jorz Anglus Fra. 
ter Germanus Thomæ de Jorz Cardnalis 
oftquam in Ordine miro virtutum odore 
lfiflec , anno 1307 ad Armachanx Sedis 
totius Hiberniæ Primatfalis infulas evectus 


(1) Vir maledicentiflimus Joannes Ba-! 
leus Centur.IV , C. 89 , ait eum ( Thomam 
Jorxinm ) numeratà Pontifici pecunià mer- 
catum efle hunc honorem ; & ab eo die in- 
trepidum Antichrifti militem faétum , ro- 
fris, ut aiunt , & unguibus injuftiffimas 
quafdam ambitiof Pontificis caufas defen- 


difle erga Romanos. Contra Joannes Pit- 
feus eum commendat de morum sravitate, 
geligionis integriçate , vVitæ innocentia , & 


eft; quas ille confecurus, & confecratus, 
dia xv1 Novembris 1311 abdicavit , uti 
Varæus refert ; cique Germaanus alter, cjuf- 


1té 


ne 


e 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 53 
fité d'Oxford s'explique ainfi : “ Gautier de Jorz , très-illuf- « 
tre par fa piété, & par fa fience , après avoir enfeigné fort « 
peu de tems dans nos Ecoles, fut élevé à la dignité d'Arche- « 
vêque d'Armach , Primat de toute l'Irlande, vers l'an 1308, * 
plutôt ou plustard (1) ». 

Un autre Ecrivain de la même Nation ajoute que l'amour 
de l'Etude, ou le défir de continuer fes Ouvrages, porta ce 
Prélat à abdiquer fa dignité après en avoir rempli avec édifi- 
cation tous les devoirs pendant quatre ou cinq ans. Le Roi 
Edouard II nomma au mêmé Siège Roland de Jorz , un autre 
de fes Freres, & Religieux du même Ordre. Clément V 
ayant confirmé cette nomination , on prétend que Roland 
gouverna l’Eglife d’Armach jufqu'en l’année 1330. Nous n’a- 
vons aucun Ouvrage de celui-ci. Mais Gautier de Jorz en a 
laifé plufieurs , outre fon Ttaité du Péché Originel , & une 
Somme de Théologie, divifée en quatre Livres. On ne nous a 
point apris l’année de fa mort; mais nous favons, que retiré 
dans le Couvent d'Oxford , après s'être démis de fon Arche- 
vêché , il perfévéra avec beaucoup d’humilité & de ferveur, 
dans tous les éxercices de la vie Religieufe, 


demque cum illo Ordinis Prædicatoram fo-{ doétrinà cum primis deprædicandus , cm 
dalis, Rolandus de Jorz ditus , fucceflit | hic (54 eff in Scholis publicis Predicatorum 
in cadem dignitate à Clemente V promotus , | Oxonienfsbus ) aliquantifper docuiflet , in 
& ab Eduardo II temporalibus reftitutus , | Archiepifcopum Armachanum , & totius 
&ic. Echardus , T.I, p. 513. Hiberniz Primatem anno plus minus 1308 


(1) Gualterus Joyce five Jorzepicrate & | emerfr. In H5ff. Oxon. Acad. p. 64. 





Tome LI. CCccc 


LIVRÉ 
NU. 


TuomMaAs 


DE JORZ. . 
D 





: 754 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 
RAYMOND DU PONT, 


EVÊQUE DE VALENCE EN ESPAGNE; 


ET 
CHANCELIER DU ROI D’ARAGON. 
RAYMOND N a vù jufqu'ici un aflez grand nombre de Religieux , 
Du Ponr. que Les Souverains Ponrifes avoient retirés de l'ob{curité 
du Cloître , pour les placer fur le Chandelier de l'Eglife : Et 
MR qe NOUS avons parlé de quelques illuftres Prélats , à qui l'amour 


A PieuHil-Pror. de la retraite , & de la pénitence avoit fait préférer l'Habn de 

Nicol. Anton. Bibl. {aint Dominique à l'éclat des premiéres dignitez , dont ils re- 

Ln. + Lib 5° doutoient le poids , & les engagemens. Celui, dont nous al- 

pos Lez A- Jons donner os nn l’Hiftoire , fut en même tems Evé- 

Li V,Cuu, que & Religieux. Sans cefler de remplir toutes les fonétions 

Le pifcopales , il voulut porter le nom de Difciple de faint Do- 
minique , & faire publiquement profeflion de fa Régle. 

Fragues, Ville d'Efpagne dans l’Aragon , aux Frontières 

de la Catalogne, & à quatre lieues de Lérida , fut la Patrie 

de Raymond du Pont. Dès fa jeuneffe, il cultiva fon efprit par 

l'Etude des Belles-Lettres ; & fes progrès, fur-tout dans la 

fience des Loix, & des Canons, l'ayant fait eftimer parmi les 

Savans de fon fiécle , lui procurérent une Charge d'Auditeur 

du Sacré Palais à Rome. Bientôt après, le Pape, fatisfait de 

fes fervices, le revêtit de la qualité de Gouverneur , & de 

Légat dans la Marche-d'Ancône. Ce que nous avons fouvent 

remarqué des divifions , ou des | rh , fi fréquentes, pour 

* ne point dire continuelles, qui défoloient tout ce Pays, fufit 

fans doute pour faire connoitre que l'Emploi, dont on avoit 

voulu l’honorer n'étoit pas moins dificile que glorieux. Ray- 

mond ne parut point au-deflous de cette Charge ; & la ma- 

niére, dont il en remplit tous les devoirs à la fatisfaétion des 

Peuples, & du Saint Siège, porta le Roi d'Aragon fon Mai- 

tre, à vouloir faire lui-même ufage de fes talens pour le bien 

de fon Royaume. Pierre III, ou Don Alfonfe fon Fils, & fon 

Succeffeur {car les fentimens des Auteurs font ici partagés} 


+ 


———— en  vé 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 755 
l’apella en Efpagne ; & le fit d’abord fon Chancelier (21), per- 
fuadé qu'il ne pouvoit mieux placer fa confiance , qu'en la 
donnant toute entiére à un homme, dont les Etrangers même 
ne fe laffoient point de louer la probité &r les talens , l'érudi- 
tion , le zéle, la prudence, & la fagefle. Le Prince eut le plai- 
fir d'éprouver que fon Chancelier étoit véritablement digne 
de tous les éloges , qu’on faifoit de lui. Pour lui en marquer 


fon contentement particulier , 1l le nomma au Siege Epifcopal 


de Valence, Capitale du Royaume de ce nom. Ce fut le pre- 
mier de May 1288. | 

Michel de Fragués, Auteur contemporain, & le premier 
qui ait écrit l'Hiftoire de ce Prélat, affure que dans cette nou- 
velle dignité il fit paroître une fi grande charité envers les 
pauvres , tant de folicitude , de zéle, de vigilance dans les 
vifites de fon Diocèfe ; tant de fagefle dans fes Synodes ; en- 
fin tant de prudence & d'habileté dans les afaires les plus dift- 
ciles, foit de l'Eglife, ou de l'Etat, qu'il ne parut en rien in- 
férieur aux plus grands Evêques des premiers Éécles ; &c qu'on 
pouvoit le propofer pour modéle à tous fes Succefleurs (2)- 
On pourroit foupçonner cet Hiftorien de flaterie, ou d'éxag» 
gération , fi tous les autres ne s’acordoient à dire que Ray- 
mond du Pont, pendant + uatre années, ou plus d'Epif- 
copat , piges fon Eglife de Valence avec beaucoup de 
gloire, & de fainteté , aufh chéri de fon Peuple , que ref- 

efté des Grands , & n'ayant d’autres ennemis que ceux qui 
fe feront toujours du mérite , & de la vertu. 

Mais le Serviteur de Dieu étoit bien éloigné d’avoir de lui- 
même ces fentimens avantageux que le Public ne pouvoit lui 
refufer. Sévere cenfeur de fa vie, & de toutes fes a&tions, 
l'humilité chrétienne ne lui découvroit par-tout que des dé- 
fauts. Er 1l craignoit que pendant que les hommes le louoient 


(x) Frater Raymundus de Ponte Arago- 
nus, five Catalanus Fragæ ad Ilerdam na- 
tus, priufquam Ordini nomen daret, jam 
fe vitæ ac morum integritate , rebufque præ- 
clarè geftis, obitifque cum glorià dignita- 
tibus , & apud fuos & apud exteros com- 
mendarat. Juris ntriufque Doétor cum eva- 
fiflet confultiffimus , à {ummo Pontifice [2- 
ai Palatii caufarum Auditor eft alletus , 
tam Marchiz Anconitanz datus Legatns & 
Præfes. Cujus famä permotus Aragonix 
Rex vel Pecrus III , vel Alfonfus ejus filius 
& Succeflor cum awerfvit ceu fubdirum 


fuum , 8 Cancellarium Regni fui inftituit $ 
ac paul poft Ecclefia Valentina Antiftitena 
clegit primâ die Maii 1288. Echard.T.I, 


?- $19. 
(2) In ea vero fpecula pofitus talem fe 
pee vigilantià in Diœcefis vifitationi- 
us , cffusà in pauperes liberalitate , (apien- 
tià in Synodis, prudentià in graviflimis Ec- 
clefiæ & Regni negotiis, ut nec fan@os il 


los vereres ac primos Epifcopos defiderares 


fururofque .omnes illi cuperes fimillimos. 
Ap. Echard, ut ff. p. 520. 


CCcccij 


LIVRE 
VI 


RAYMOND 
pu Pont. 








756 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE dubienqu'ils voyoient enlui,la juftice de Dieu ne le condam- 
VIIT.  nât peut-être pour le mal qu'il n’empêchoit point dans les au- 
Ravmowr tres, ou qu'il ne connoïfloit point en lui-même. De-là cette 
pu Powr. fage vigilance fur fa Lo conduite , & fur celle de tout fon 
sm Clergé. De-là cette {crupuleufe atention à n'employer les re- 
venus de fon Eglife que felon l’efprit des Canons, & à donner 
aux Peuples des Miniftres véritablement 2 de leur con- 
fance, capables de les inftruire & de les édifier. De-là enfin 
la loi qu’il s'étoit faite, de joindre toujours la pénirence , & 
la priére , à la folicitude Paftorale. Pour nourir fa piété » & 
exciter de plus en plus fa ferveur par la vertu de l'ëxemple, 
ce Prélat emo avec plaifir pr Enfans de faint Domi- 
nique du Couvent de Valence ; & jamais il ne fortoit de leur 
compagnie, qu'il ne fe à sion à lui-même fa prétendue 
licheté à les imiter dans leur recueillement , leurs mortifi- 
cations , leur éxa@itude à tous les points de leur Régle. Il 
difoit fouvent, qu'il mourroit bien plus tranquile dans une 

de leurs pauvres cellules , que dans le Palais d’un Evêque. 
Ces paroles s’acordoient parfaitement avec les démarches 
qu'il faifoit en même-tems auprès du Saint Siège, pour ob- 
tenir la permiflion Fee fon Evêché. Il y avoit déja 
quinze ans que l'Eglife de Valence fe glorifioit de l'avoir pour 
Pafteur. Nous avons vü qu'on l’avoit mis de bonne heure 
dans les afaires ; & il penfoit qu'après avoir filong-tems tra- 
vaillé pour les autres , il devoit lui être permis À ne vivre 
déformais que pour lui-même , uniquement ocupé du foin 
de fon falut , dans le repos de la folitude , ou dans l’éxercice 
de l'oraifon. La Providence en difpofa autrement: le Pape 
7 Boniface VIII, & fon Succefleur , préférant les avantages 
communs d’un grand Diocèfe , à la confolation particulière 
du pieux Prélat , lui refuférent conftanment la grace qu'il de- 
mandoit ; & le Serviteur de Dieu prit fon parti. Il pratiqua 
l'obéiflance ; & 1l n’abandonna pas fon projet. La con- 
duite du B. Pape Benoiït XI, alors afis fur Ê Chaire de faint 
Pierre ; lui parut un éxemple à imiter. Cardinal, ou Souve- 
rain Pontife , ce faint Perfonage avoit toujours vêcu en Re- 
ligieux : Raymond du Pont crut qu’il pouvoit auff pratiquer 
toutes les vertus religieufes , fans difcontinuer les obus 
d'un Evêque. Peu de jours avant les Fêtes de Noël 1304 (ou 
felon Bernard Guidonis , l'an 1303 ) l'Evêque de Valence 
reçut publiquement l'habit des Freres Prêcheurs : il le porta 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 757 


toujours depuis ; & il obferva éxaftement toutes les pratiques LIVRE 
de cet Ordre, qui ne font point incompatibles avec les {oli- __ VIII. 
citudes de DA: peer (1). C'eft ce que nous — Mi- Ravmonp 
chel de Fragues, & Bernard Guidonis, tous deux contem- pu Powr. 
porains , & après eux Nicolas-Antoine , dans fa Bibliothé- "=== 

ue d'Efpagne ; & Vincent de Lanuza , dans fa Chronique 

‘Aragon. 

Parmi les aétions de ce religieux Prélat, ces mêmes Ecri- 
vains raportent encore plufieurs faits fort glorieux à fa mé- 
moire. Dis les Peuples & le Clergé d'Aragon, il s'élevoit 
fouvent de fâcheufes conteftations , qui n’édifioient point les 
Fidéles , parce qu’elles troubloient le repos des Familles , & 
expofoient les Miniftres de l’'Eglife , ou à foutenir des procès 
toujours odieux, ou à fe laiffer dépouiller de leurs revenus, 
Ou d'une partie de leur Jurifdi&ion. Après de longs démêlez , 
& ot laintes réciproques , qui ne finifloient rien, on 
convint enfin de prendre l'Évéque de Valence pour Arbitre 
de tous ces diférends. Son état ne pouvoit que le rendre agréa- 
ble aux uns ; & une vertu éprouvée faifoit, qu’il n’étoit point 
fufpe&t aux autres. Le Jugement qu'il porta , les confirma 
tous dans la jufte idée qu'ils avoient , & de fa capacité, & 
de fon amour pour la juftice. Sa décifion, ditun Auteur , 
fut une loi qui s’obferve encore aujourd'hui (2). | 
Il ne fit point paroïtre moins de fagefle dans la grande afaire 

des Templiers , acufés de divers crimes , jufqu'alors inouis 
parmi les Chrétiens. Pendant qu'on is eur procès en 
rance , où l’orage avoit d'abord commencé par les dénon- 
ciations ( vraies ou faufles) de deux Chevaliers de ce même 
Ordre ; le Pape Clément V fit expédier fes Bulles Apoftoli- 
ques, datées du dernier jour de Juillet 1310, pour ordonner 

u'on fit la même chofe dans toutes les Provinces d'Efpagne. 

otre Evêque Don Raymond du Pont, & Don Ximenés Mariana, Hif.d'e8 
Evêque de daragoffe , furent nommés par Sa Sainteté, pour #5 ""*%P-353- 
éxaminer tous les Chevaliers du Temple, qui fe trouvoient 
dans les Royaumes d'Aragon , & de Valence. La commiflion 





Fleuri , Liv. xc:,m.41e 


(1) Jam annis quindecim Sedem hanc | vator , Officia etiam Epifcopalia majori 
fan@iffimè rexerat , cum perfeétiorisac fe- | ftudio vifus eftadimplere. Echard. ut fp. 
verioris vitæ in proprio lalatio gerendæ cu- (2) Clerum inter & Populum Aragoniæ 
pidus, inftiutum Prædicatorum amplexus | diffidentes arbiter elcétus , æqua utrumque 
eft, veftemque induit paulo ante Natale | Sententià compofuit, quæ ceu lex etiam- 
Domini, anni 1303. Exinde rituum Ordi- | num obfervatur. Ibsd. 
ais ,ac Conftitutionum tenaciflimus obfer- nu 

CCcccii 


LIVRE 
VIII. 


RAYMOND 


pt Pont. 
D +: à 





Vide Echard,T.1, 


pe 5200 


758 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


ne pouvoit être que périlleufe : les Chevaliers , au lieu d’obéir 
aux Ordres du RP, & du Pape , ou à la citation des Evé- 

ques, prirent les armes , & fe retirérent dans leurs Châteaux, 
ou autres Places fortes , réfolus de s'y défendre jufqu’à la 
derniére extrémité. Le Roi Don Jâques Il employa fes trou- 

s pour les foumétre. Et notre Prélat les ayant obligés de 
L ptéfenter devant fon Tribunal, les éxamina avec toute la 
prudence , & l'intégrité d’un Evêque, qui a la crainte de Dieu 
dans le cœur, & qui ne fait pas craindre les menaces des 
hommes. 

Cette importante afaire , qui faifoit tant de bruit dans tou- 
tes les Provinces de l’Europe, fut terminée deux ans après 
dans le Concile général de Vienne. Le grand âge de l'Evè- 

ue de Valence ne l'empêcha point de fe rendre à cette au- 

ufte Affemblée , & d'y travailler avec beaucoup d'aplica- 
tion. Il fut l’un des cinq Prélats choifis par le Concile , pour 
le dernier éxamen des matiéres , qui regardoient la Foi, ou 
les mœurs , ou la Difcipline de l'Églife (1). 

De retour en Efpagne , Raymond du Pont voulut aflifter 
au Concile Provincial de Tarragone ; & il prit fon logement 
avec fes Freres $ dans le Couvent des Dominicains, Ce fut 
entre leurs mains , qu'après une courte maladie , il rendit {on 
ame à Dieu , le treizième jour de Novembre 1312 (2}. Les 
pauvres, dont il avoit été le pere pendant fa vie , profitérent 
de fes dépoüilles après fa mort. Et fa Bibliothéque fut parta- 
gée , felon fa derniére volonté , entre les Couvens des Fre- 
res Prêcheurs de Lérida, de Valence, & d’Alzira. Mais on 
porta fon corps dans l'Eglife Cathédrale de Valence , où le 

ieux Prélat avoit marqué fa fépulture , devant l'Autel de tous : 
Les Saints , dont il avoit fi religieufement imité les éxemples , 
& mérité la protetion. | 

Dans les Archives du Royaume d'Aragon, on conferve 
les Aëtes que cet Evêque avoit dreflés , touchant l’afaire des 
Chevaliers du Temple ; & fa Sentence arbitrale fur les fub- 
fides , que le Clerge d'Aragon eft obligé de payer à l'Etat , 


(rx) Demum ad Concilium generale] (2) Ad fuos redux Tarraconam ad Syno- 
Viennenfe accedens , quà erat apud omnes | dum Provincialem tunc coaétam fe contu- 
exiftimatione , unus € quinque viris fuit ad | lit; vixque advenerat, cum ztate & labo 
id feleétis , qui graviores, & majores in eo | ribus fractus in morbum incidit, ex quo & 
traétandas fidei, & morum, feu difciplinæ | obii: inter manus & fletus fuorum Prædica- 
caufas difcuterent ; & quorum judicio cæ- | rorum in eorum domo Hofpitarus x111 No 
teri Patres acquieverunt. Echard. ur fp. vembris 1312. Ibid 


RS OR, 


DELORDREDES.DOMINIQUE. 759 


pour les Terres , ou les autres fonds, dont il a aquis le Do- 
maine. L'Eglife de Valence conferve aufli précieufement les 


LIVRE 
.. VII 


Statuts d’un de fes Synodes , aflemblé au mois de Septem- 


bre 1296 ; & un Traité des Sacremens , qu'il avoit compofé 
pour l’ufage des Curés , & l’inftruétion des Fidéles de fon Dio- 
cèle. Ce petit Ouvrage,lû & aprouvé dans le Synode de 1 296, 
avoit été fait avant que l'Auteur eût pris aucun engagement 
dans l'Ordre des Freres Prêcheurs. | 


Mn one Dencoccuenoer 


RICARD 
DE MONT-CROIX, 


NN AR MI les Prédicateurs de la Foi, qui fe rendirent cé- 


RICARD DE 


lébres dans nos Mifions d'Orient ; vers la fin du trei- Monr-Croix. 
Dire ee —) 


ziéme fiécle , & dans le commencement du quatorziéme , 
Ricard Florentin, apellé quelquefois Ricoldi, fe diftingua 
beaucoup par le zéle de la Religion , & par fes travaux Apof- 
toliques. Sa vie & fa plume, furent uniquement confacrées à 
la défenfe de l'Evangile , à l'inftruétion des Infidéles , & à 
l'utilité de ceux, qui voudroient fe métre en état d’anoncer 
avec fruit les Véritez du falut aux Mahométans. Les Ecrits 
de ce faint , & favant Religieux , nous ferviront à faire l'Hif. 
toire abrégée de fa vie. | 

Il nous aprend lui-même , qu’il avoit paflé une partie de 
fes jeunes années dans l’état Ecléfiaftique , avant que de rece- 
voir l'habit des Freres Prêcheurs dans le Couvent de fainte 
Marie-Nouvelle à Florence. Dans l’un & dans l’autre état , 
il entreprit de longs & pénibles voyages ; mais par des motifs 
diferens. Il voyagea d'abord, par le feul défir de connoître 
les Savans de réputation, & de profiter de leurs lumiéres , 


Echard. T.1,p. 504. 


ee fe perfeétionner dans l'étude de la Philofophie , & des 


eaux Arts. Apliqué enfuite à la méditation des faintes Ecri- 
tures dans le repos du Cloître , il fe fentit embrafé d’un zéle 
og _ , & bien plus digne d’un Difciple de JEsus-CHRIST. 

a Grace parla à fon cœur : elle lui aprit quel ufage il de- 
voit faire de fes talens & de fes connoiflances , pour la gloire 
de Dieu , & le falut de fes Freres, | 


LIVRE 
VIII. 


: RiIcARD DE 





Mont-CRoIx. # 








760 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 

“ Lorfque je commençai, dit-il, à réfléchir férieufement 
» fur cette bonté infinie de notre Dieu, qui, par un excès 
» d'amour , a daigné fe rendre femblable à nous , & paroître 
fur la terre, pour montrer aux hommes le chemin du Ciel ; 
me fouvenant en même-tems , que j'avois fuporté avec 
joye les plus grandes fatigues , à contenter ma Curio- 
fité, ou pour aprendre ce qu eft permis d'ignorer , je 
conçus un très-prand défir de confacrer mes forces , & 
le refte de mes jours au fervice de JESUS-CHRIST , dans 
la prédication de fon Evangile. L'ordre de mes Supérieurs 
favorifant encore ce deflein, je ne doutai plus de la vo- 
Jonté de Dieu : ainfi, ayant reçu l'obéiffance de notre Pere 
Général , avec les inftruétions , & la bénédiétion du Pape, 
je partis pour l'Orient, & me rendis d’abord à faint Jean- 
d'Âcre (1) » 
La defcription que l’Auteur fait d’abord des Lieux faints , 
& de l’état où fe trouvoient alors les Villes de Jérufalem, 
de Bethléem , de Nazareth, &c. eft une preuve qu'il s’aré- 
ta quelque-tems dans la Paleftine , où il voulut commencer 
fa Mifñion. Il pénétra enfuite plus avant dans les Pays des 
Infidéles : Après bien des périls & des fatigues , il ariva à 
Bagdad , Ville d'Afie fur le Tigre , à une journée de l’ancienne 
Babylone. Les Mufulmans y avoient un célébre Collége ; & 
notre zélé Miffionnaire s’y arêta aflez long-tems,pour y apren- 
dre l’Arabe. La connoiffance de cette pee lui étoit né- 
ceffaire ; & il en fit un grand ufage , pour refuter l'Alcoran , 
& prècher l'Evangile aux Deer l difputa fouvent avec 
leurs Dofteurs ; & ilentreprit de traduire loué Loi, pour en 
faire mieux connoître les abfurditez aux Prédicateurs de la 
Foi , qui n’entendoient point l'Arabe. Ricard de Mont-Croix 
ajoute , que cette leéture, & {es fréquentes Conférences avec 
les Seétateurs de Mahomet, l'avoient convaincu de plus en 
en plus , qu'il n'eft rien au monde de plus abfurde, ni de 
plus extravagant que leur Religion. Les contes ridicules, 


(1) Cum ego minimus Ordinis Prædi- ! cas addifcerem : his fæpius & minutatim in 


Ÿ Ÿ 


YLVYYEYYYYS 


Catorum infinitam divini erga genus hbuma- 
num amoris benignitatem fæius olim me- 
cum ipfe tacitus animo revolverem , ,... 
Cum præfertim quot alias itinera , quam 
longa , quot labores Clericus adhuc ee 
Îaris exiftens fufceperam , ac libens exantla- 
ram reminifcerer , folum ut Artes libera- 
Les, quas voçant, fcientiafque Philofophi- 


corde verfatis ac recogitatis, iter hoc Orien= 
tale mihi pro Chrifto aggrediendum duxi : 
mandatoque fummi Pontificis cum ejus 
benedictione accepro , obedientiäque Ma. 
giftri noftri Prædicatorum Ordinis mihi da. 
tà munitus, mare afcendi, & ad Aconem 
primum applicui, &c. Ric. de Monte Cru- 
cis in [no Îiineraærio , ap. Echard, nt fp. 


les 


a NN ve nm vx 


Lx. 


_noître toute fon impiété , & venger en même tems le Fils 


DE L'ORDRE DE $. DOMINIQUE. ver 


Les fables, les faufletez , & les blafphêmes qu'il trouvoit à 
toutes les pages de l’Alcoran, l’'ennnuyérent mortellement ; 
êc il n’eut pas le courage d'achever une Traduétion fi défa- 
pp Au lieu d'une se Verfion de la derniére Partie 

e l’Alcoran , iljugea plus à propos d'écrire fes Réflexions , 


ou Commentaires fur tout cet Ouvrage ; & il les adrefla en 


forme de Lettres aux Eglifes chrétiennes (1). 

Cet Ecrit de notre zélé Miffionnaire a été fort eftimé des Sa- 
vans ; & on en a fait un grand nombre de Verfons en difé- 
rentes Langues. Le Pere Echarddit, qu'ils’ entrouveun Exem- 
plaire parmi les Manufcrits de la Hibliothéque Colbertine. 
On en conferve un autre dans celle des Freres Prêcheurs à 
Venife. Marc-Antoine Séraphini, Vénitien, Religieux du 
même Ordre, le fit imprimer l'an 1609 , avec ce Titre : De- 
fenfe de la Foi Catholique , contre les impiètez des Sarafins , & 
Les menfonges de l Alcoran. 

Démetrius Cydonius , célébre Auteur Grec, avoit déja 
traduit le même Ouvrage en fa Langue ; & on peut connoître 
l'eftime qu'il faifoit de notre Ecrivain, & de fon travail, 
par ces paroles , qu’il ajouta à fa Verfion : “ Je vous rends 
de fincéres attions de graces, à Homme de Dieu , qui que 
vous foyez , qui avez écrit ceci : car vous me paroiflez éga- 
lement inftruit , zélé , éloquent : inftruit de la Loi de J'E- 
sus-CHRIST , zélé pour la défenfe de fes faints Myftéres , 
& puiffanten paroles , pour en démontrer la Divinité. Sem- 
blable à David , vous vous êtes fervi de l'épée de Goliath 
pour lui couper la tête, puifque vous n'avez eu befoin 
que des raifonnemens mêmes de Mahomet , pourfaire con- “ 


SSSR EÈERSSSFSAR 


8 à 


de Dieu , des blafphêmes de cet Impofñteur. Un fi beau 
deffein étoit réferve à un Homme Ron x habile dans “ 
l'art de penfer, & d'écrire ». | 

Selon Poffevin , c’eft fur cette Verfion Greque de Déme- 
trius , que les Commentaires de Ricard ont été traduits de 


(1) Unde cum tranffflem maria & de- 
ferta , & perveniflem ad famofiffimam Ci- 
vitatem Saracenorum Valdacum , ubi gene- 
rale ipforum & folemne habetur ftudium , 
ibi parirer Linguam & Litteram Arabicam 
didici. Et se corum diligentiflimè rele- 
gens, & ftudiosè in Scholis, & cum Ma- 
giftris ipforum frequenter conferens , ma- 
&is ac magis per expexientiam apprchendj 

Om1e de 


perverfiratem prædictæ fégis. Et cum ince- 
os iu Latinum transferre , tot inveni 

abulas , falfitates , & blafphemias , & ea- 
dem per omnia in locis creberrimis repe. 
tita, quOd tunc attediatus dimifi. Et in at- 
tritionc de prædiétis blafphemiis fcripf 
quafdam Epiftolas ad Ecclefiam ..,. per 
modum querelæ amaricati animi, &c. Rice 
in Prologo Confutationis Alcorani. 


Dddd 


LIVRE 
VIII, 


RICARD DS 


Mont-CRo1Ix. 
TERRES 








Appara. Sacr. T. M, 
p.328, 


LIVRE 
VIIL. 


RICARD DE 


MonT-CRo1ix. 


“ 





762 HISTOIRE DES HOMESM ILLUSTRES 


nouveau en Latin , & dédiés à Ferdinand V Roi d'Aragon ; & 
de Sicile. 

Notre Auteur avoit publié trois autres Ouvrages. Le pre- 
mier , tout rempli de piété , & de l’efprit Apoftolique , eft 
intitulé : Genéreufe Confeffion de la Foi Chrétienne , faite er 
prefence des Sarafins. I] adreffa le fecond à toutes les Nations , 
ou à tous les Peuples Orientaux ; & il l’avoit écrit , pour ex- 

liquer , & refuter en même-tems la Doëétrine des Juifs , des 
Moins &c des Gentils , en faifant remarquer les erreurs 
qui font propres à chacune de ces diférentes Seétes. Le Ma- 
nufcrit de cet Ouvrage fe trouve dans la Bibliothèque des 
Dominicains à Florence. 

Mais le plus intéreffant , ou le plus curieux de tous les Gu- 
vrages de que de Mont-Croix , eft fon Itinéraire. On y 
voit d’abord une Defcription de tous les Pais, Provinces, 
& Royaumes qu'il avoit parcourus , foit dans l’Afe , foit 
dans les autres one Orne ; & on y aprend quelles 
étoient dans le treiziéme fiécle les loix, les coutumes , les 
opinions , les dogmes , les héréfies, les feétes de ces diférens 
Peuples, & tout ce qui pouvoit mériter d’être remarqué dans 
leur religion, dans leur police , ou dans leurs mœurs. L'Au- 
teur n’avoit entrepris ce travail, qu’en faveur de ceux que 
Ja Providence conduiroit dans les mêmes Pais, pour y porter 
la lumiére de l'Evangile ; afin, qu'inftruits d'avance de tout 
ce qu’il leur importe de favoir , ils fuffent plus en état de 
combatre l'erreur , & de prêcher avec fruit les Véritez de la 
Foi. Dès le milieu du quatorziéme fiécle , ce Livre fut tra- 
duit en François, & publié à Paris par Jean Lelong Moine 
de faint Bertin. | 

On comprend bien que ceux que notre zélé Miffionnaire pu- 
blia lui - même en Orient , fes Difputes, & fes Prédications 
continuelles parmi les ennemis de la Croix , ne pouvoient pas 
ni m0 de fui fufciter plufieurs perfécutions , de la part des 


 Sarafins, des Schifmatiques, des Juifs, & des Idolâtres. Il fem- 


ble que la Providence multiplia en fa faveur les miracles de 
proteétion. Son Miniftére , utile à plufieurs , ne lui procura 
pas la me du martire. De retour en Italie, fous le Pontifi- 
cat de Benoit XT, il édifia encore fes Freres pendant plufieurs 
années , & fe repofa enfin dans le Seigneur le trente-uniéme 
dO&obre 1309. 

Le zéle du falut des ames, & l’obéiffance qu'il devoit à fes 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. #63 
Supérieurs , l'avoient engagé dans une loñgue & pénible LIVRE . 
Mifon : les mêmes motifs , après vingt-cinq ou trente an- IE. 
nées de travail , le ramenérent ie fa Patrie. “ On aflure, “_ 
dit le Pere Echard, que le Serviteur de Dieu fut rapellé “ 

ar le Souverain Pontife , qui voulut avoir pe fon moyen 
lien de quelques doutes touchant la Foi des “ | 
Peuples , aufquels il avoit annoncé l'Evangile : Quem nempe “#4 T1, p. soc, 
ferunt ex Oriente à Summo Pontifice , feu Benedido XI le 
Clemente V, revocatum , qui quædam ctrca Fidem illarum Na- 
tionurn dubia declararet. | | 


DESVSE SPA SV SE SUSE SES SI SET SES 
LE BIENHEUREUX 
JÂQUES SALOMON. 


"HISTOIRE de ce grand Serviteur de Dieu, écrite LE B. Jaques 
\ *  SALOMON. 
peu de tems après fa mort, & raportée par les Conti- mm 
nuateurs de Bollandus , dans leur feptiéme Tome de Mai, 
ne paroît pas intéreflante par des faits éclatans , propres à 
piquer la curiofité du Leéteur. Mais en échange , on y trouve 
tout ce qui peut édifier une ame chrétienne ; de beaux éxem- 
ples d'une haute piéré , & toutes les pratiques des plus folides 
vertus. C’eft la vie d’un Jufte, à qui l'Evangile avoit fervi 
de régle ; & qui peut lui-même fervir de modéle à tous ceux 
qui nr à la Éiet , & à la perfeétion. 
Jâques Salomon naquit à Venife, l'an de Notre-Seigneur ,74 ne to 
1231, fous le Pontificat de Grégoire IX. Son pere, apellé ».41. 
Adam , étoit Noble Vénirien ; & fa mere Marchefine , tiroit 
fon origine de l'illuftre Maifon des Salomons. Notre Bien- 
heureux fut l'unique fruit de leur mariage ; & dès fa plus ten- 
dre enfance 1l fe trouva comme orphelin , par la mort de fon 
pere , & la retraite de fa mere. Cette pieufe Dame , dont le 
cœur toujours fermé aux vanitez du Siécle, n’avoit de défirs 
eo pour le Ciel, ne fe vit pas À pe dégagée de la loi d'un 
poux mortel , que , pour confacrer le refte de fes jours au 
fervice de Dieu, dans les faints éxercices de la priére , & de 
la pénitence , elle prit l'habit de Citeaux dans un Monaftére 
de Religieufes , qu'on nomme les Céleftes. Sontendreamour  1id- 
| | DDdddy | 


LIVRE. 
VIIT. 


764 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


pour un Fils unique , & le foin qu'elle étoit obligée de pren< 
dre de fa perfonne , de fon éducation , & de fes biens , qui 


Le B. Jaques étoient fort confidérables ; tout cela ne put lui faire fufpen- 


SALOMON. 
Er 


_ 





dre l’éxécution de fon deflein. Elle le regardoit comme la 
fuite de fa premiére vocation ; & le Seigneur , qui l'apelloit 
à la retraite, la mit en état d'obéir à l’atrait de la Grace, fans 
manquer à un devoir que la Nature lui impofoit. 

Marchefine avoit une Belle-mere , veuve elle-même, &- 
depuis long-tems éxercée dans la pratique des œuvres de m- 
féricorde , & de charité. On crut que l'éducation du jeune 
Orphelin pouvoit bien être confiée aux atentions de cette 
fidèle Servante de JEesus-CHRIST (1). Le fuccès fut la rate 
a la divine Providence l’avoit ainfi ordonné pour la fanti- 

cation d’un Enfans, qui parut dès fes premiéres années tout 
rempli de Grace, & d'un ardent amour de Dieu, humble , 
chalte , modefte, docile aux faintes inftruétions, & toujours 
zélé pour fon avancement dans les voyes de la perfeétion 
chrétienne. | 

Dans cet âge innocent , fon cœur , comme une cire molle, 
recevoit toutes les impreflions qu'on vouloit lui donner ; & 
ces premiéres femences de vertu , produifirent dans la fuite 
des fruits de juftice & d'honneur. Prefqu’en aprenant à par- 
ler, cet Enfant de bénédiétion aprit à prier, à lire , à réct- 
ter tous les jours l'Ofice de la fainte Vierge, & à répéter fi- 
délement ce qu'il avoit là des combats, ou des foufrances 
des Martirs , dont il fe propofoit d’imiter les aë&tions. Mais læ 
principale atention de celle qui veilloit àfon éducation, fut 
de le tenir toujours éloigné de la compagnie des jeunes per- 
fonnes , dont les mœurs peu réglées, ou les paflions vola- 
ges, ordinairement portées aux plaifirs fenfuels , auroient pà 

âter par la contagion de l'éxemple , cequela Grace avoit 
1 heureufement commencé en lui. Ce n’étoit point lui faire 
violence, que de l’ocuper toujours à quelque chofe d'utile, 
& de férieux. Ce qui, pour Éien d’autres , auroit été une 
énible contrainte , fe trouvoit parfaitement conforme au 
ons naturel du jeune Salomon. Confervant ainfi fon ame 
dans la pureté, & fon cœur libre de pañions, il croïfloit tou- 


(1) Erat autem præfato puero Avia| curam fufcipiens , ipfum in omni puritate 
Joanna nomine , mulier devota, fidelis, & | Deo , non fxculo, nutriens, in devotione 
pue Hæcin fan@z viduitatis propo- | Chrifti, & Matrisejus glorio{æVirginis , to=- 


to , Chrifto diu fucrat famulata ; quæ pueri } tis conatibus infounabar. A4. Senéior. #5 [pe 


et Or se — 


— 


_noit en toutes chofes avec une douceur pleine de c 


_Bærcditatis pertinebar , fic ipfam in dicbus | ss /f.p. 462, n. 3. 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 76; 


jours enfagefle ; & fes éxercices de piété ne lui faifoient point 
négliger l'étude des Lettres. 

our le confirmer dans tous fes bons fentimens , un Re- 
ligieux de Citeaux lui aprit la pratique de l'oraifon , le chant 
de l’Eplife , & une partie des obfervances du Cloître. C'é- 
toit là en éfet, où Ê Providence vouloit le conduire , avant 
que l'enforcellement des niaïferies eût corrompu fon inno- 
cence, ou obfcurci fon efprit. Comme il n’avoit jamais ai- 
mé le Monde , 1l l'abandonna fans peine dès qu'il le connut. 
Noble & riche héritier , le joug de JEsUS-CHRIST lui parut 
préférable à tout ce fa naiflance lui pouvoit prométre 
d'honneur & de plaifirs dans une vie commode. Il vendit 
tous fes biens ; en diftribua en peu de jours le prix aux pau- 
vres ; & embraffa lui-même un état de pauvreté , en recevant 
l'habit de faint Dominique dans la dix-feptiéme année de fon 
âge (1). Le célébre Couvent de faint Jean & de faint Paul 
fut le lieu de fa retraite. Le peu d'argent qu'il s’étoit réfervé 
pour acheter quelques Livres , il le donna charitablement à 
un jeune homme , qui demandoit en même-tems d’être reçu 
pour Frere-Lai,& à qui la pauvreté de la Maifon ne pouvoit 
procurer les habits. . 

De tels commencemens , ne pouvoient que faire efpérer 
des fuites encore plus heureufes. Auf l’ancien Hiftorien de 
fa vie remarque-t'il, que pendant foixante-fix ans que le Dif- 
ciple de JEsUs-CHRIST a vêcu dans la profeffion de la vie 


.réligieufe ; c'eft-à-dire , depuis l'an 1248 jufqu’en 1314, on 


LIVRE 
__VI. 


Le B. JAQuEsS 
SALOMON. 
nn ue 4 





le vit toujours s'avancer dans la vertu. Ilne ceffa jamais de . 


travailler pour la gloire de Dieu , en travaillantavec ferveur 
à fa propre perfeétion , & au falut du prochain. Atentif à imi- 
ter tout ce qu'il remarquoit de bon & de faint dans les plus 
parfaits , mais furtout ennemi de l’offiveté, il s’ocupoit le jour 
& la nuit, ou à la pfalmodie, & à la priére ; ou N la leture 
des Livres faints, ou au fervice de fes Freres ; il les préve- 

ue 
Son grand atrait pour l’oraifon , lui faifoit trouver dans le f- 


(1) Volenfque perfettiüs Chrifti fe de- [paucis amore Dei difpenfare ftuduit, ue 
putarc fervitio , Prædicatorum Ordinemin- temporalem fubftantiam in hæreditatem 
trare difpofuit ; & cum à Fratribus ejus in- perpetuam commutaret . .., cum eflet an- 
ftans & devota pettio fuiffet admiffa, di, | norum circiter feptem- decim,præfatum Or. 
ftratà omni fubftantià, quæ ad eum jure | dinem eft ingreflus, &c. In AG. Sander. 


DDdddiÿ 


>66 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


LIVRE  lence& dans la retraite des plaifirs innocens , qu'on ne goûte 
VIIL. jamais dans le commerce des créatures. 
Le B. Jaques Cette vie toute cachée en Dieu avec JESUS-CHRIST , que 
SAcomon. les enfans du Siécle connoiffent fi peu , & que des pafñions 
mm” jmmortifiées nous font regarder avec une efpéce de frayeur 
comme une image de la mort , le faint Religieux la confidé-- 
roit comme une félicité anticipée , ou un éme 3 des joyes. 
du Ciel. Dans ce filence intérieur , ainfi que dans une pro- 
fonde & paifible retraite , il écouta la voix du Seigneur ; 1l 
aprit à le connoître , & à fe connoître foi-même. Fidèle ce- 
pendant à la Grace de fa vocation, il fortoit quand il étoit 
néceffaire de ce profond filence ; & l'amour de la folitude ne 
lui fit jamais négliger une œuvre de charité. Tantôt dans le 
Miniftére de la Brélication : tantôt dans l’affiduité à entendre 
les confeffions des Fidéles , à répondre à leurs doutes , à ré- 
ler leur conduite , ou leurs mœurs , & à leur procurer tous 
És fecours fpirituels & temporels , dont ils avoient befoin : 
c'étoit dans ces fortes d'éxercices , que org de la charité 
de Jesus - CHRIST , il ne donnoit prefque pas de bornes 
à la vivacité de fon zéle. Bien éloigné de chercher en cela 
l'eftime des hommes , il ne fouhaitoit rien avec plus d’ardeur 
ue d’être méprifé, ou inconnu. Mais fes vertus , déja trop 
| éclatantes pour être ignorées , trahifloient fa modeftie. Cette 
réputation de fainteté , qu'il s'étoit aquife dès fa jeunefle, & 
qui augmentoit tous les jours , devint fi publique , que l'hu- 
milité du Serviteur de Dieu en fut véritablement allarmée. 
Ce n’étoit plus a fes Freres feulement, ou à un petit nombre 
de perfonnes de piété , qu'il étoit un objet d’admiration , & 
de vénération. Les Grands du Monde , conduits par de fem- 
blables fentimens ; vouloient jouir à leur tour des faints en- 
tretiens de cet Ami de Dieu : Ils recherchoient la douceur 
de fa converfation avec autant d’empreflement , qu'il en avoit 
lui-même à fe cacher, & à fe taire, dès que l’'obéiffance, 
ou la néceflité ne l’obligeoient point de fe communiquer au 
dehors.  .. | 
Il ÿ avoit vingt-un an que le Bienheureux Jâques Salo- 
mon travailloit à fe fantifier dans les éxercices du Cloîitre ; & 
que par des éxemples de vertu il édifioit la ville de Venife, 
lorfque, pour éviter les louanges des hommes, les vifites de 
fes parens , & les importunes aclamations du Public, il ré- 
folut de s'éloigner de fa Patrie, Dans la petite ville de Forly, 


ee =! 


avec plus de perfeétion. 


La 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. 767 


proche du Mont Apennin, il avoit un Couvent de fon Or- 
dre , délicieufe retraite , où les Religieux dans la sc 
ferveur de leur Inftitut , joignoient utilement les fonétions 
Apoftoliques avec toutes les Lo er de la plus éxate régu- 
larité. Uniquement ocupés de la priére & de l'Etude , hors 
du commerce du Monde , on ne les voyoit guéres que dans 
les Chaires , ou à l’'Autel. Le Difciple de JESUS-CHRIST de- 
manda comme une grace, la permiflon de fe retirer dans ce 
Sanétuaire de piété, afin de profiter des éxemples de tant de 
Saints , pour aprendre à pratiquer l'Evangile, & fa Régle, 
humilité chrétienne , qui fut tou- 
jours fa vertu favorite , lui perfuadoit qu'il avoit befoin de 
ce fecours extérieur , pour aquérir la pureté du cœur, & 
perfévérer dans le genre de vie qu'il avoit embrafle , fans que 
l'importunité de ceux qui lui étoient unis par le fang , füt un 
obftacle à fon avancement fpirituel. 

La Providence peut-être avoit d’autres deffeins , ou de juf- 
tice, ou de miféricorde. Le fafte & le luxe des Vénitiens, 


ee és alors dans la moleffe , & bien-tôt après dans de cruel- 
es 


ivifions , les rendoient indignes de pofléder plus long- 
tems un Saint , qu'ils ne pouvojent s'empêcher ê admirer » 
mais qu’ils ne vouloient point imiter. Les Habitans de Forly, 
moins éloignés de la modeftie , & de la fimplicité évange- 
lique , firent aparenment un meilleur ufage des leçons de 
fainteté , & des beaux éxemples que leur donna le Serviteur 
Dieu. Quoiqu'il en foit , cette nouvelle retraite pendant près 
de quarante-cinq ans , fut pour lui une École de perfe&tion ;; 
&un Paradis de délices. Il y trouva le repos de fon cœur, 
& une plus grande libèrté de continuer avec moins d'éclat 
toutes Les pratiques de dévotion , de pénitence , & de cha- 
rité. À proportion des fécretes confolations que le Ciel ré+ 
pandoit dans fon ame, il s’humilioit plus le om de- 
vant Dieu; il mortifioit avec plus de rigueur fon efprit, &c fa 
chair , fes fens, fes paflions, fa volonté. Toujours ami du 
fécret , il foufroit avec une patience héroïque , & fans jamais 
fe plaindre , les douleurs fé plus aiguës, toutes les incom- 
moditez de la foif, & les rigueurs : froid. L'Hiftoire re- 
marque , que pendant les plus rudes hyvers , il ne fe :pré- 
fentoit jamais au feu, parce qu'il trouvoit fon unique con- 
{olation dans ce feu intérieur de la charité, dont fon cœur 
étoit tout embrafé ; pratique , qu'il obferva toute fa vie, 


LE B. JAques 
SALOMON. 
À à 





LIVRE 
VIIT. 


. 


768 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


dans un âge décrépit comme dans fa jeunefle (1). 
Nous ne parlerons point defes autres pratiques de morti- 


Le B. Jaques fication , de fes rigoureufes auftéritez , ni de divers inftru- 


SALOMON. 
D À 





mens de pénitence , dont il fe fervoit pour afliger fa chair , 
&c réduire fon corps en fervitude, à l'éxemple de l'Apôtre. 
Mais il faut ajouter , que quelque févére qu'il fût à lui-même , 
H avoit toujours me autres, furtout pour les afligés , des 
fentimens de tendrefle, des paroles de confolation, & des 
entrailles de miféricorde. La vie commune dans une Maifon 
fans rente , ni revenus, étoit déja bien frugale , particulié- 


-rement dans des tems de cherté & de difette ; le Serviteur de 


Dieu trouvoit cependant le fecret d'aflifter quelques pauvres, 
de ce qu’on lui permétoit de retrancher à fon néceffaire. Une 
Perfonne de qualité s’avifa de lui envoyer une certaine quan- 
tité de vin pour fon ufage ; mais ce véritable Pénitent, pour 
pratiquer en même-tems la mortification & la charité , faifoit 
porter fécretement ce vin à une pauvre famille, qu'il favoit 
être dans le befoin ; & avec l'agrément du Supérieur , 1l con- 
tinua à en ufer de même, tout le tems que fa charitable bien- 
faitrice jugea à propos de continuer une aumône, qu'elle 
croyoit ne faire qu’à lui feul. 
eux que le Monde a coutume d'oublier, ou de méprifer , 
étoient toujours le premier objet de fes atentions. Il n’aimoit 
oint à diriger la confcience des perfonnes diftinguées dans 
ja Siécle , ni à converfer avec les riches & les puiffans. Il eft 
vrai qu’en veritable Difciple de faint Dominique, il ne fa- 
voit fe refufer à qui que ce füt : auffi eft-il raporté dans l'Hif- 
toire de fa vie , qu’aimant tendrement tous les hommes com- 
me fes freres , 1l étoit généralement aimé , & chéri de tous. 
Mais fon plus grand plaifir étoit de catéchifer les pauvres , de 
vifiter , & de confoler dans un efprit de douceur , tous ceux 
qu'il favoit gémir fur un lit de ed dans les Hôpitaux , 
ou dans les Prifons. Une charité fi prévenante , portoit tou- 
jours la confolation & la paix dans ces ames afligées : en com- 
pâtiffant fincérement à leurs maux , ilen diminuoit en quel- 
que forte l’amertume ; & ce qui étoit plus précieux , il leur 
aprenoit à aimer cet état de foufrance , & à faire un faint 
ufage de leur pauvreté. Les bénédi&tions , & les malédic- 


(1) Divini autem amoris igne fuccen- | quantumcumque frigus effet intenfum, pe- 
fus , materialis ignis confolationem cunétis | nitus refugiebat . . . numquam ad iguem fe- 
aitæ fux dicbus, in juvencute & fencduse, | derc vilus cit, &cc, AG, Sanétor.p. 461, n. 3. 


tions 


- SA 


+ 


sé - + 


SN Va 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 769 


tions que le Fils de Dieu a prononcées d'avance dans fon 
Evangile , & qui , au dernier jour , feront un jufte difcerne- 
ment entre ceux que l’Ecriture apelle des hommes de mifériz 
corde , & ceux qui n’ont à préfent que des entrailles de fer 
pour leurs freres ; ces paroles , que nous entendons fouvent , 
ou que nous lifons avec tant d'indiférence , le Difciple de 
JEsus-CHRIST les avoit toujours préfentes à fon efprit, & 
ide gravées dans fon cœur. Elles faifoient le fujet 
e plus ordinaire de fes méditations , & la régle de fa conduite. 
Plus pauvre lui-même que la plüpart de ceux qui excitoient 

fa compañon, il n'y avoit ni travail , ni peine , ni humilia- 
tion , qu'il ne fût toujours prêt à fubir, pour les foulager 
dans toutes leurs néceflitez- ke l'ame & du corps. Bien loin 
d'en rebuter quelqu'un, ou de fe lafler jamais des importu- 
nitez des plus indifcrets , 1l les alloit chercher dans les Pla: 
ces publiques , ou aux portes des Eglifes ; & 1l les acueilloit 
avec autant de tendrefle , qu'une mere pourroit en montrer 
à fes plus chers enfans. Ayant d’abord gagné leur cœur, par 
les ose d’une charité fi peu commune , il s’apliquoit en- 
fuite à les retirer des vices, quisacompagnent prefque tou- 
jours cet état d'indigence. Il Don Cote leur con- 
verfion, & prioit avec eux, pour leur enfeigner à prier , à 
fentir , & bien connoître une autre forte de pauvreté , dont 
ils font ordinairement peu touchés, quoiqu'elle foit infini- 
ment plus à craindre que celle , qui leur fait pouffer tant de 
foupirs , ou répandre tant de larmes. Cesatentions , & ces 
pratiques, fi dignes d'un élù , le firent apeller l'ami des pau- 
vres (1) , leur Avocat, & leur pere ; titre glorieux , mais 
juftement mérité par un homme Apoñftolique , qui auroit pû 
S’apliquer l'éloge qu’un faint Patriarche faifoit de lui-même , 
a difoit : La compaffion s'efl acruë avec mot des mon en- 
Fe ; elle eff fortie avec moi du [ein de ma mere. 


,/ 


Le Seigneur donnoit tant d'éficace aux paroles de fon faint 
Miniftre À lg n’étoient prefque jamais fans quelquefruit. 
Les cœurs les plus afligés , trouvoient toujours auprès de lui 
quelque confolation dans leurs ne s&1l M pie la crain- 
te des Jugemens de Dieu aux plus éndurcis. Lorfque par la 

(1) Cæcos & claudos, pauperrimos & | Jacobus amicus pauperum vocaretur ..... 
abjectos , jucundà & pià Érilaeiaee re- | fæpiflimé vero non requifitus ab eis , ipfos 
golligens , in eorum tribulationibus , quoti- FE Ecclefiam charirate fpontanea require. 


dianis monitis, plurimifque fubfidiis ftu- | bat ; & verbis facris eos inftruere farage. 
duit confolari ; in tantura ut à mulis Frater | bat, &cc, Ai, Sancti. p. 464, n. 11, 


Tome I. ÉEcece 


Livre 
VII. 
Le B. JAQuESs 


SALOMON. 
À en à à 





Job. xx, 18, 


LIVRE 
VII. 
Le B. JAQUES 


SALOMON. 
RIRE 





770 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


force de fes difcours , il ne pouvoit réüflir à les retirer des 
routes de l’iniquité, où ils avoient malheureufement vieilli, 
id ne cefloit de foliciter le Ciel en leur faveur. A fes prié- 
tes, & à fes larmes , 1l ajoutoit de rudes pénitences ; Re 1Ë 
portoit toujours plus loin ces pratiques de charité , jufqu'à 
ce que l'amendement des coupables lui fût une preuve, que 
le ont l'avoit éxaucé. On raporte plufieurs éxemples 
de ces converfions obtenues , par le mérite des priéres de ce 
faint Homme. Comme il entroit un jour dans l'Églife , pour 
s'y préparer à ofrir les faints Myftéres, 1l rencontra un jeune 
homme , dont letrouble & le défefpoir étoient peints fur le 
vifage. Il l’aproche aufi-tot, l’embraffe avec charité , & le 

res de lui déclarer le fujet de fon afliëétion. Mais un vio- 
Lane défir de vengeance , ou la crainte de ne pouvoir aflez- 
tôt fe venger de fon ennemi, l’avoit jété dans un fi grand 
excès de triftefle , & en même-tems d’indignation, ou A fu- 
reur , que pour exprimer fa pafñon , 1l ne lui reftoit que le 
mouvement des mains , & des yeux , le grincement des dents, 
& une agitation extraordinaire de tout fon corps. Les paroles. 
de notre Saint commencérent cependant à adoucir un peu, 
ou à modérer fa douleur ; & les priéres qu'il fit pour l'entiére 
converfon de ce vindicatif , produifirent enfin tout l'éfet 
qu'il défiroit. 

À mefure qu’il fe livroit ainfi tout entier aux œuvres de la. 
charité la plus héroïque , le Ciel répandoit fur lui fes plus. 
douces bénédiétions. Il avoit reçu un fi grand don de lar- 
mes , qu'il en verfoit des torrens dans fes oraifons, mais 

mo Pa lorfqu'il méditoit fur les foufrances , & la 
Paffion de JESUS-CHRIST. La tendre piété d’un tel Miniftre 
en infpiroit toujours à ceux , qui le voyoïient au faint Autel. 
Maïs les PE + importunes , que lui atiroit cette odeur de 
fainteté , ne laifloient pas de l'afliger beaucoup : Il n’oublioit 
rien, pour cacher aux yeux des tnt les graces fingulié- 
res qu’il recevoit de Dieu. Content d’édifier fes Freres par 
fon profond recueillement , & par une modeftie toute angé- 
lique , lorfqu'il chantoit avec eux les louanges du Seigneur ; 
les lieux les plus retirés étoient deftinés à fes éxercices parti- 
culiers de dévotion. Lorfqu'il pouvoit être feul dans l'Eglife. 

endant le filence de la nuit , ilavoit coutume de donner un 
libre cours à fes larmes, & de répandre fon cœur avec con- 
fiance fous les yeux de Dieu , unique objet de fes défirs , & 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 1 
de fon amour (1). Durant ce faint éxercice, il lui arivoit 
uelquefois de connoître par une lumiére furnaturelle les be- 
ne fpirituels des pérfonnes , pour lefquelles l'Efprit du Sei- 
gneur l’invitoit à prier. | 
Un Religieux Servite de Forly , jufqu’alors inconnu de 
notre Saint, fe trouvoit violenment tenté fur fa vocation : 
mais , réfolu de ne découvrir à perfonne ce qui inquiétoit fon 
éfprit , il avoit déja pris fon tems pour quiter l’habit de fon 
Ordre , & fe retirer + de fon Monañtére, Cepen- 
dant ce qu’il cachoit avec tant de foin à fes Supérieurs , & à 


LIVRE 
VIII. 
LE B. JAQUES 


SALOMON. 
Re 





{es Freres, Dieu le fit connoître à fon Serviteur dans l’orai- 


fon. Le Bienheureux Jâques Salomon fe rendit au Couvent 
des Peres Servites, demanda à parler au jeune Religieux , & 
l'avertit avec charité de fe bien garder de métre en 2j mu 
le deffein qu'il avoit formé : “ car , ajouta-t'il , c’eft l’enne- # 
mi du falut , qui vous a tendu un piége, en vous fuggé- 
rant cette penfée , ou plütôt cette tentation ; & vous en re- “ 
connoîtriez trop tard les fuites, fi vous aviez le malheur “ 
d'y fucomber ,;. Lahonte, la furprife, ou le trouble de ce 
pauvre Religieux , le portérent d’abord à nier ce qu'il croyoit 
ne pouvoir être connu ” de lui feul. Mais l'Homme de Dieu, 
qui vouloit le retirer du péril , le fit fi bien connoître lui- 
même à lui-même, il lui parla avec tant de certitude de tout 
ce qui s’étoit pañlé de plus fécret dans fon cœur , depuis qu'il 
avoit commencé d'écouter le tentateur , que le coupable ne 
ût tenir plus long-tems. Profterné aux piés du chacirabla 
Pere , il avoua humblement fa faute , demanda le fecours de 
fes priéres , & promit de perfévérer avec le fecours de la 
Grace dans le fidéle acomplifflement de fes vœux : ce qu'il 
éxécuta. Après la mort de notre Saint, ce Religieux der- 
vite voulut rendre gloire à Dieu , &à la mémoire de {on Ser- 
viteur , en racontant ce fait à l’ancien Hiftorien , qui l’a écrit 

le premier. (2). | | 
ous paflons fous filence plufieurs autres événemens , qui 


(1) Miffas cum mulcis laczymis celebra- | & audiens Beati Patris falutifera monita, 
dat. Extraordinariis horis de die ac nocte {e | culpam protinus confeffus fuit ; & propoft. 
ân aliquo fecretiori loco Ecclefiz recoilige- | um mutans in Ordine confolatus perman- 
bat ; & devotiffimis lacrymis habenas diu- | fit. Poft mortem verd Servi Dei Beati Ja- 
tiflimè relaxabat, &e: A4. Sand. p. 464, | cobi, ad gloriam Dei, hæc quz retulimus 
#. 13. : per Ordinem enarravit. În A4. Sanüdor. 
(2) Videns ille qudd cogitatio cordis | p. 468, n. 32. 
£jus Beato Patri fuerat divinitus revelata, 


EEece 


Livre 
VIII. 


LE B. JAQUES 
SALOMON. 
Do nn ss. +. 





772 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


ne font pas moins connoître , de quelles lumières cet Homme 
jufte étoit ordinairement favorifé dans fes intimes communi- 
cations avec Dieu ; & quel ufage il en faifoit , pour l'utilité 
du prochain. Nous ométons aufhi divers miracles , qui firent 
éclater davantage fa vertu ; & nous nous contentons de 
dire , que malgré fa rare humilité , il ne refufa jamais de 
faire ce qui parut fouvent miraculeux , lorfqu’il le jugea né- 
ceffaire pour la confolation , ou la converfion de ceux , que 
la Providence fembloit confier particuliérement à fes foins. 
Sa charité toujours compätiffante , & cette douceur , qui étoit 
{on véritable caraftére , le rendoient fi atentif à toutes les né- 
ceflitez du prochain, fi vigilant à les prévenir, & fi induf- 
trieux pour les foulager , qu'il pouvoit bien dire à limitation 
de faint Paul , qu'il s'étoit fait tout à tous , afin de les gagner 
tous à JESUS-CHRIST. Dans quelqu'abime de triftefle , ou de 
mifère que fe trouvaffent les perfonnes qui s'adrefloient à lui , 
ou dont le Seigneur lui faifoit connoitre l'état , il ne les qui- 
toit jamais fans leur avoir procuré a foulagement. Le 
zéle qui le dévoroit , lui aprenoit le fécret de parler au cœur , 
pour infpirer des fentimens de foumiflion , & de conformité 
aux ordres de la Providence. | 
. Il vivoit lui-même dans un tel abandon au bon plaifir de 
Dieu, dans un fi parfait détachement des créatures, & un 
renoncement fi entier à fa propre volonté , que rien n’étoit 
capable de le troubler. Rien ne Fafligeoit que le péché. Auffi 
conftant dans fes éxércices de piété parmi les ariditez & les 
fécherefles, que dans l'abondance des confolations ; auff 
éxaû à mortiñer tous les défirs de la chair pendant la mala- 
die , que dans la vigueur de la fanté , il étoit déja parvenu à 
cette Bince indiférence , qui fait trouver la paix de l'ame dans 
fa parfaite réfignation à la volonté du Tout-Puiffant. | 

+7 avons remarqué que le féjour de Forly luiétoit agréa- 


ble, parce qu'il y trouvoit tout à la fois la douceur du repos , 


la fainteté de l'éxemple, & de fréquentes ocafions de prati- 

uer la charité. Cependant au moindre figne de la es 
Es Supérieurs , on le vit quiter fa retraite , & prendre la 
conduite de fes Freres , dont l’obéiffance.le chargea fucceffi- 
vement dans les Couvens de Faënza, de Ravenne , & de 
Saint-Severin. L'éxemple d'un tel Supérieur , fut pour ces 
diférentes Communautez comme une Régle vivante, & le 
modéle de toutes les vertus, qui peuvent élever l'ame reli- 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 773 


En à la perfeétion de fon état. Toujours atentif à veiller 
ur lui-même, & fur ceux dont il devoit procurer l’avance- 


Liver 
III. 


ment {pirituel , il prioit la plus grande partie de la nuit, & Ls B. Jaques 


il travailloit tout le jour : mais fes ocupations mêmes n'in- 
térrompoient point la priére de fon cœur. 

Perfuadé de ce que ie Saint-Efprit nous enfeigne , que ce- 
lui qui ne fait point de fautes en parlant , eff déja un homme par- 
fait ; le Serviteur de Dieu , dès fon entrée en Religion, s'étoit 
acoutumé à parler peu , à faire beaucoup d’atention à toutes 
fes paroles, & à juger de fon avancement dans la perfeétion 
par la mortification de fa langue. Mais , pour infpirer à tous 
fes Freres l'amour , & la pratique d’une maxime Ë conforme 
à la véritable piété, fi fouvent recommandée par les Maîtres 


SALOMON, 
à 





Jâques, III 2. 


dela vie fpirituelle , & fi propre à nousfaire éviter une infi- 


nité de péchez ; il leur rapelloit à propos cette parole de faint 
Jérôme : “ Heureux l’homme qui aime à fetaire, ouquine « 
fait parler que de Dieu , ! Febx lingua , que non novit nifi 
de Divinis texere fermonem ! | 

En baniffant ainfi des converfations jufqu’aux paroles inu- 


tiles, il confervoit la pureté de fon ame , & procuroit aux 


autres un moyen court, pour ariver à Ce Pr recueillement 
d'efprit , fans lequel on ne fauroit aprocher de Dieu dans la 
prière. Par de néceflaire , on le voyoit toujours réfer- 
vé , toujours retenu à dire fon fentiment , s’il n’y étoit obli- 
gé par le zéle de la charité, ou de la vérité. S'ibarivoit quel- 
quefois qu'on parlât en fa ot des diffenfions , ou des 
guerres qui déchiroient fa Patrie ; content de gémir, & de 
prier pour un Peuple qui lui étoit cher , il ne paroifloit jamais 
ancher pour un Parti, ni fouhaiter l’humiliation de l’autre , 
Fa charité étant égale pour tous. 
_ Ayant rempli avec autant d'édification, que d'utilité pour 
fes Pratt , l'Ofice que l’obéiffance lui avoit impofé , il rentra 
avec joye dans fa retraite de Forly. Déja le poids des années, 
&c celui de fes infirmitez , fembloient l’obliger à modérer un 
peu la rigueur de fes pénitences , & à fe difpenfer des travaux 
du Miniftére Evangélique. Cependant fes pratiques de mor- 
tification furent toujours les mêmes ; & les Fidéles » prévenus 
de fa grande charité , continuérent de s’adreffer à lui dans 
toutes leurs nécefhitez fpirituelles ou corporelles : le faint 
Homme leur continua auff jufqu'à la fin tous les foins d’un 


pere compätiffant , & d’un Miniftre zélé pour leur falut. Le 
ÉEeeei 





LIVRE 
VII. 
Le B. Jaques 
SALOMON. 


774 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Seigneur , pour aflurer le fien , & lui faire aquérir de nou= 
veaux merites , permit qu'il fut éprouvé par un mal long & 
cruel. Il le foufrit avec courage , & avec force. Les plus 
vives douleurs ne purent aracher une plainte de fa bonthe : 
& il ne voulut avoir que Dieu feul pour témoin de ce qu'il 
aimoit à foufrir pour fon amour. Mais les fuites de fa maladie 
firent aflez connoitre au bout d'un an, ce qu'un grand efprit 
de pénitence le portoit à cacher avec tant de foin : Il paffa 
encore trois années dans les mêmes foufrances, toujours fou- 
mis, & toujours uni à Dieu ; oubliant en quelque maniére 
tout ce qu'il foufroit dans fa chair , dès qu'il s’agifloit de 
rendre quelque fervice au prochain , ou de lui procurer quel- 
que fujet de confolation. 

Ce fut dans cet éxercice continuel de patience , & de cha- 
rité , que le Bienheureux Jäques Salomon termina faintement 
fa carriére. Son heureux décès ariva un Vendredy, dernier 
jour de Mai, l'an 1314, dans la quatre-vingt-troifiéme an- 
née de fon âge. Le concours des Fidéles » qui fe rendirent 
en foule dans l’Eglife des Freres Prècheurs , pour honorer la 
mémoire de cet Ami de Dieu , & quine permirent point que 
fon corps für mis en terre que trois jours après fa mort ; l'a- 

iétion , les larmes des pauvres , le récit qu'ils faifoient com- 
me à l’envi de fes a£tions, & de fes vertus, furtout de cette 
ardente charité , dont ils avoient fi fouvent éprouvé les éfets : 
tout cela publioit affez hautement fa fainteté. Et on aflure que 
le Ciel fit connoitre dès-lors fa gloire par l'éclat des miracles : 
on en peut voir le détail dans …. Aétes des Saints , au fep- 
tiéme Tome de Mai , page quatre cens foixante-dix. 

Divers Peuples d'Italie, particuliérement les Habitans de 
Forly , la Ville & le Sénat de Venife , plufieurs Cardinaux , 
& un grand nombre d'Evêques , joignirent leurs inftances à 
celles à tout l'Ordre de faint Dominique , pour procurer les 
honneurs de la Canonifation à un Saint, dont les vertus 
avoient été fi héroiques , & dont la mémoire devenoit tous 
les jours plus précieufe , par les bénédiétions que Dieu répan- 
doit fur ceux , qui réclamoientfes miféricordes par l’intercef- 
fion de fon Serviteur. Le Pape Clément VII, & après lui 
Jules IT, ordonnérent Des de le Clergé féculier & ré- 
gulier en feroit l'Ofice & la Fête à Forly. Paul V étendit le 
inême Culte à tous les Etats de Venife ; & Grégoire XV à 
toutes les Provinces , ou Maifons de l'Ordre des LL Prè- 


ne LL so à Fan 


CZ Vs Ti ee - 7 


.t+ 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 77; 


cheurs. Mais avant tous ceux-là , le Pape Jean XXII, peu LIVRE 
d'années après la mort du Bienheureux Jäques Salomon, avoit VIII. 

aprouvé, du moins par un confentement tacite , le Culte 
public qu'on avoit déja commencé de lui rendre, felon la 
remarque des Continuateurs de Bollandus (1). ; 





FRANCO DE PEROUSE, 


CELEÉBRE MISSIONNAIRE EN ORIENT, 
PREMIER ARCHEVÊQUE DE SULT ANIE DANS LA PERSE UE. 


FONDATEUR DE CETTE EGLISE. 


RANcCoO , natif de Péroufe , en embraffant l’Inftitut des Franco 
Freres Prècheurs, vers l’an 1270, parut rempli de l’ef- pz Psrouses 
prit du faint Patriatche ; & il fe propofa dès-lors de marcher 
toujours fur fes traces. Fidéle à fa vocation , & à fes réfolu- Brun 
tions , la Grace le prépara de bonne heure aux travaux de reui, Hit Ed. 
l’Apoftolat , par les faints éxercicestde la priére , & de la pé- Kia 2 un 
nitence. Tout ce qu'il recevoit de lumiéres,, foit dans fes orai- 
fons , ou dans PE pr des bons Livres , & tous les moyens 
de perfeétion qu'il trouvoit dans la retraite, dans les leçons 
de de Maîtres, ou dans la fréquentation des faints Perfona- 
ges , dont les éxemples l'édifioient ; il les métoit fagament à 
profit, afin de fe rendre digne d’être un jour entre les mains 
de Dieu l’inftrument de fes miféricordes , pour la converfion 
& le falut des Peuples. On pet croire qu'à l’étude de la Reli- . 
ion , il ajouta celle des Langues , dont la connoiffance étoit 
urtout néceffaire à la fin qu'il fe propofoit. 

Dès le commencement du quatorzième fiécle , & après: 
avoir fait en Italie le premier eflai de festalens , Franco fut 
deftiné felon fes défirs pour les Mifflions étrangéres. Sa vo- 
cation étoit aflez marquée ; & la volonté des bin fut 


(1) Publicum ejus Cultum, non multis | tum ab eo fuir anno 1526 vivæ vocis ora-- 
ab obitu anais , tacito affenfu probavit pri-| culum , quo poteftatem faciebat , annuum: 
mo Joannes XXII ; continuatifque per duo | intra Forolivienfia mœnia Feftum ei agen 
intereà (æcula illuftribus miraculis, iifque | di , &c. 467, Sanctor. T. VII , Maii p. 458. 
ad examen oblatis Clementi VII, impetra-| #. 2, 


LIVRE 
VIIL, 


FRANCO 
DE PErROUSEz. 
D 


PRE 


776 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


pour lui une nouvelle preuve , -que le Ciel l'apelloit à an- 
noncer JESUS-CHRIST aux Gentils. Plein de confiance , & 
brûlant de zéle , il paffa en Orient , pour porter le Flambeau 
de la Foi dans les Pays des Infidéles. Les Arméniens, les 
Perfans, les Tartares , profitérent les premiers de fes Pré- 
dications. Les Anales de l'Eglife , & les Bulles du Pape 
Jean XXII, nous aprennent que la Parole de Dieu , dans La 


= bouche de ce digne Miniftre , diflipa les ténébres de l’ido- 


lâtrie, & détruifit les œuvres de Satan dans plufeurs Pro- 
vinces. L’'Evangile fut écouté avec refpeët ; & les conver- 
fions fe multipliérent prefqu’a Finfini. Aidé de plufieurs de 
fes Freres , qui travailloient avec lui, & à fon éxemple dans 
la Ville du ous, Franco combatit avec fuccès les fu- 

erftitions payennes , renverfa les Idoles des Nations, & 
Ho Tonbles profanes , éleva des Autels au vrai Dieu, & 
purifia dans les eaux du Batème plufieurs milliers de nou- 
veaux Difciples de JEsus-CHrisT. Ce fut principalement 
dans la Perfe nouvellement foumife aux T'artares , & dans 
les Pays voifins, qu'on voyoit ce pus nombre de conver- 
fions. Il s’en faifoit tous les jours dans la Ville de Sultanie, 
bâtie depuis peu par le Grand Can Aliaptou, qui y avoit 
établi fa ARTE PE Ce Prince, fans embraffer lui-même le 
Chriftianifme , paroifloit aflez porté pour les Chrétiens ; du 
moins il ne s’opofoit point aux progrès de l'Evangile. Et no- 
tre zélé Mifionnaire profitoit de cette liberté , pour avancer 
de plus en plus l'œuvre de Dieu , & afermir dans la Foi ceux 
qui en faifoient déja profeflion. 

Après la mort du Can Aliaptou , Schah Uzbec fon Succef- 


feur , fe montra encore plus favorable aux Miniftres de l'E- 


vangile : auffi la Religion Chrégienne dans fort peu d'années , 
parut-elle très-floriflante dans une grande partie de fes Etats, 
furtout dans la Ville Royale. On y préchoit avec toute forte 
de liberté, & on y expliquoit fans contradiétion nos faints 
Myftéres ; on y célébroit publiquement & avec folemnité 
le Service Divin ; les Peuples fe rendoient avec un louable 
empreflement aux inftruftions. Et dans un Pays , où depuis 
tant de fiécles les Peuples avoient été partagés entre l’AI- 
coran , & le culte des Idoles , on commençoit à chanter avec 
ferveur les louanges de JESUS-CHRIST , on aprenoit fa Loi, 
on obfervoit fes Préceptes. Il n’en faloit pas tant pour alar- 
mer l'enfer, & fufciter quelque perfécution contre l’Eglife. 

eux 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. #77 


Ceux qui ne manquoient pas de mauvaife volonté , n’avoient 
point heureufement aflez de crédit , pour ofer la faire écla- 
ter avec quelqu'efpérance de fuccès. La proteétion dont l’'Em- 
pereur , quoiqu'Infidéle , honoroit nos Prédicateurs, étoit 
trop connuë : Îl falloit commencer par leur ôter cet apui , en 

révenant contre eux l’efprit de ce Prince. On en chercha 
ong-tems l’ocafon ; & on ne püt la trouver. Enfin, après 
bien des tentatives inutiles , les ennemis de la Religion s’a- 
Viférent de perfuader à quelques Oficiers de la Cour, que le 


fon des cloches , dont les Chrétiens fe fervoient pour aflem- 


bler les Fidéles , étoit d'un mauvais augure pour les Tarta- 
res. Ces Oficiers, plus fuperftitieux , que dodo | 
donnérent dans le piège ; trompés par des fourbes, ils com- 
muniquérent aifément leur crainte au Prince , qui n’avoit pas 


LIVRE 
VIII. 


FRANCO 
DE PEROUSE. 
D = à 

A à 





lieu de fe défier de leurs difpofitions à l'égard des Chrétiens, 


qu'ils ne haïfloient pas en éfet. Le Grand Can donna auffi- 
tôt un Edit, non pourinterdire la prédication de l'Evangile , 
ni la célébration du Service Divin , ou les Affemblées ordi- 


naires des Fidéles ; mais feulement pour défendre dans fes 
Etats le fon des cloches , qu'il croyoit anoncer quelque chofe 


de trifte, ou de funefte à fon Empire (1). 


Les En zélés entre les Chrétiens, & ceux qui brûloient 


d’une plus grande envie de leur nuire, furent également mé- 


contens de cet Edit. Ceux-ci ne trouvoient pas dans la dé- 
fenfe qu'ils avoient obtenue, tout ce qu'ils s'étoient propofés : 


&c ceux-là croyoient qu'on avoit déja trop acordé aux Enne- 
mis de la Foi. C'étoit le premier ufage que le Monarque eut 
encore fait de fon autorité contre les pratiques de l'Eglife ; & 
on craignoit qu'un premier pas ne le conduifit peut-être bien- 
tôt à un fecond. Le fage parti que prit le Pere Franco, fut de 
raflurer les Fidéles , de leur aprendre à métre toute leur con- 
fiance en Dieu, & de les exhorter cependant à continuer 
leurs vœux, &c leurs prières pour la profpérité de l'Empereur. 
Lui-même , quoique {on efprit ne fut pas fans quelque inquié- 
tude , il-continua à fe fervir de la liberté qu'on lui laifloit de 


(1) Imperabat Tartaris Uzbec, qui er- na peragenda, & congregandum ad facras 
ga Chriftianos Regiam benevolentiam ex-| concioncs Populum , pulfabantur, crifte ali- 
licuerat, adco uc {ub illius aufpiciis Religio | quod Tartaris omen protendere. Quibus 
Éliciffime eMorefceret; cüm nonnulli viri | fufurris in media Barbarie fimplex Impera- 
impii, diabolico inftintu concitati, ad pro-| cor fubornatus , edicto pulfari illas vetuit, 
greflus Evangelii difturbandos Barbarorum | Oâorie. #d An. 1318, 1. 
amibus afflarunt, campanas quæ ad divi- 


Tome I. FFfff 


LIVRE 
VIII. 


FRANCO 
DE PEROUSE. 


Vide Odoric. ad An. 


1318,n, 2 & 4. 


Fleuri, Liv. XC1», 
M. 59. 


778 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


prêcher l'Evangile, & de travailler de toutes fes forces à 1a 
converfion des Infidéles. Il envoya en même-tems le Pere 
Guillaume Adam, Dominicain Paseo: , l'un des Compa- 

nons de fes travaux , auprès du Saint Siège, pour informer 
F Vicaire de JESUS-CHRIST de l’état de la Miffion, & de- 
mander un plus “ess nombre de Mifionnaires. Les fuccès 
prefque incroyables , que Dieu avoit acordés à fes Prédica- 
tions , ou à fes priéres, lui faifoient concevoir les plus gran- 
des efpérances : 1l voyoit avec joye une ri porte ou- 
verte à la publication de l'Evangile , non-feulement dans le 
vafte Royaume de Perfe, mais jufques dans les Indes , & 
dans l'Ethiopie ; où il avoit déja fait anoncer les véritez du 
falut. Et il ne doutoit pas qu'en multipliant les Ouvriers 
Evangéliques , il n’eût aufli la confolation de voir de nou- 
veaux Peuples fuivre l’'éxemple de ceux qui étoient entrés, 
ou qui entroient tous les jours dans le fein de l'Eglife. 

Le Pape Jean XXII n’en jugea pas autrement. Sa Sainteté 
aprit avec une finguliére fatisfaétion , & les rapides progrès de 
l'Evangile dans les Pays des Infidéles, & la proteétion qu’un 
Empereur idolâtre vouloit bien acorder à nos Prédicateurs. 
Dans les Anales de l'Eglife nous trouvons deux Brefs Apof- 
toliques écrits fur ce fujet, l’un du vingt-huitiéme de Mars 
1318, & l’autre du premier jour de May de la même année. 
Celui là eft adreflé à Uzbec , Grand Can des Tartares; & ce- 
lui-ci au Pere Franco de Péroufe , illuftre Chef de la Mifion. 
Dans le premier, le Saint Pere félicite l'Empereur, & le re- 
mercie en même-tems de la faveur qu'il acordoit aux Minif- 
tres de JESUS-CHRIST ; il l’exhorte à embraffer lui-même la 
Religion Chrétienne ; & le prie cependant de laiffer aux F1- 
déles l'ufage des cloches , en révoquant l'Edit qu'il avoit por- 
té 1l y avoit déja trois ans. 

Le fecond Bref fut expédié pour ériger la Ville de Sultanie 
en Métropole. Le Pape en fit premier Archevêque le Pere 
Franco ; & 1 nomma fix autres Religieux du même Ordre 
pour fes Evêques Sufragans , afin de l'aider plus éficacement 
en cette Miffion (1). Ces Lettres Apofñtoliques , qui peuvent 


(x) Diffuderat fe non modo in Camba- 4} Perfide excitarer . .. . Hlique Francum Pe- 
lienfi Urbe Imperiali, aliifque Scythiæ Afia- | rufinum Ordinis Prædicatorum præficeret , 
ücæ oris Religio ; verum in lerfide etiam | ac laborum & gloriæ focios Suffraganeos 
& Indiis. 14 vero Chrifti Vicarium impulit, | fex Epifcopos ex eodem facro Ordine ad 
ut Soltanienfem Sedem Patriarchalem in l jungeret. Qderic. us Jp. n. 4. 


LOS 


ou D À 


DE L'ORDRE DE S. DOMINIQUE. #79 


Servir d'explication & de preuve à ce que nous avons avancé, 


étoient ainfi CONÇUES : 


OANNES, Epiftopus , Ser- 
vus Servorum Des, dsleto Filsa 
Fratrt Franco Perufino , Ordinis 
Pradicatorum , eleito Soltanienf, 
SALUTEM, G Apoftolicam Bene- 
dictionem. 

Pridem gratis relatibus intelle- 
Go , quod in partibus Perfidis, © 
terrss aliss circumpolitis [ub magns 
Tmperatoris Tartarorum Perfidis 
Imperio confliruris, venufla Fide- 
dium , C novella plantatio, quam 
anibi plantaffe dignoftitur miferi- 
cordis conditoris , regenerats unda 
Baptifmatis nomen veneratur AL 


tifims , @ énfpiciens lucem ma- 


£gram , extollit laudsbus roffripre- 
conis Redemptoris , ingentem [u[- 
Cepimus in corde Letitiam ; votis 
ferventibus affectantes , ut viros, 
virtatis ,bonoris, € gratia titulo 
refulgentes ad cultum novelle vinee, 
Vera vitis , tanquam cultores indu- 
ffrios , & operarios opportunos , 
quorum curiosa cultura ejufdem vi- 
nca palmites en illarum partium la- 
tstudinem ufque «4 extremos orbis 
terminos , Deo auxiliante , fuccre[- 
cant , per opportunæ follicstudinis , 
© diligentie fludium poneremus. 
Propter quod Villam Solranienfem 
in eiflem partibus , & dominio con- 


Jfitutam, inter alias ‘Villas dilta- 


rum partium , pro ut fide dignorum 
babet affertio , infignem , nobilem , 
© famofam , ac habentem Populum 
coptofum , de Fratrum noftrorum 
confilio, & Apoftolice plenitudine 
poteflatis in Civitatem Metropolis 
tanam dyximus ertgendam : 4c 4d 
Perfonam .tuam , evangelizantem 
an iles partibus Verbum Dei , de 
cujus fanititate vite, Litterarum 


füentia, © aliis copiofis vértutum 


viteurs de Dieu, à notre cher Fils, 
Frere Franco de Péroufe , de l’Or- 
dre des Freres Prècheurs, Archevèque 
élù de Sultanie, SALUT , & Bénédic- 
ton Apoltolique. 

Notre cœur a été rempli d’une gran- 
de joye , en aprenant l’agréable nou- 
velle, que dans le Royaume de Perfe ; 
& dans les Provinces voifines , aujour- 
d’hu foumifes à l’Empire du Grand 
Can des Tartares , la inifericorde du 
Créateur s’eft choifi un nouveau Peu- 
ple ; une Eplife de Fidéles, qui, déja 
purifiés Le les eaux du Batème, & 
éclairés des pures lumiéres de la Foi, 
adorent le nom du Très-Haut, & pu- 
blient les louanges de notre Rédemp- 
teur. Notre plus ardent défir , & notre 


] EAN, Evèque , Serviteur des Ser- 


_ premiére atention, ont été de choifir 


des Hommes d’une vertu éprouvée , 
remplis de zéle & d'honneur , & ca- 
pables de cultiver cette nouvelle vigne 
du Seigneur , afin que par leurs foins, 
& le o. du Ciel, elle étende de 
plus en plus fes branches, & les porte 
jufqu'aux dernières” extrèmitez de la 
Terre. Dans cette vüc , de l'avis de 
nos Freres, Nous avons érigé en Mé- 
tropole la Ville de Sultanie, Ë 

le Royaume de Perfe ; parce que, fur 
le raport des perfonnes dignes de foi, 
Nous l'avons confidérée comme une 
des principales Villes du Pays ; étant, 
comme on nous l'a afluré , grande , 
belle , fort célébre , & fur-tout très- 
peuplée. Le choix de la Perfonne que 
Nous devions d’abord placer fur ce 
nouveau Siège, ne nous a point em- 
baraffé. Nous favons avec quel zéle 
vous anoncez dans tous ces Pays, la 
Parole de Dieu ; & Nous n'ignorons 
point quelle eft la pureté de votre vie, 
& de vorre Doctrine. Les témoignages 


FE à 


ituée dans 


Livre 
VIII. 


FRANCO 
DE PEROUSE. 
SOS 

D 5 à 





LIVRE 
VIII. 


FRANCO 





DE PEROUSE 


Re. 0 





\ 


780 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


avantageux qu'on nous a rendus de vos 
vertus , & de vos mérites , nous ont 
aru , ainfi qu'à nos Freres, dignes de 
toute confidération : c'eft pourquoi , 
par le confeil des Cardinaux, & de la 
. de notre Puiffance Apofto- 
ique, Nous vous avons fait Arche- 
vêèque , & Pafteur de la Ville de Sulta- 
nie ; & en vous donnant le foin, &. 
l'adminiftrarion de cette Eglife , Nous 
avons confié à votre folicirude Pafto- 
rale , le gouvernement, l’imftruétion , 
& le falut de trous les Fidéles qui fe 
trouvent dans l’Empire du Grand Can 
des Tartares, ou 4 les Etats des 
Princes, & des Rois d’Ethiopie, & 
des Indes. Toute la jurifdiétion atachée 
felon les faints Canons à la dignité d’Ar- 
chevèque , vous pouvez l’éxercer libre- 
ment dans l’étendué de ces diférens 
Pays , ainfi qu'il eft plus expreflément 
marqué dans les Lettres , que Nous 
avons fait expédier pour ce fujer. 
Mais, afin que les Vérrez de la Foi 
Catholique , prèchées avec une nou- 
velle ferveur , répandent aufli un nou- 
vel éclat, pour difliper les ténébres des 
Infidéles , Nous avons fpécialement 
choifi fix de vos Freres ; favoir . Gérard, 
de Calvi, Guillaume Adam, Barthe- 
lemi du Puy, Bernardin de Plaifance , 
Bernard Moreri , & Barthelemy Aba- 
liati ; rous fort verfés dans la Eoi du 
Seigneur, zélés pour les intérèts de la 
Religion, & recommandables par leurs 
vertus. Nous les avons créés Evêques, 
& Pafteurs , afin qu'ils partagent avec 
vous le travail ; & que par le fecours 
qu'ils vous donneront , vous portiez 
plus loin les lumiéres de la Foi, & 
ocuriez le falut d’un plus grand nom- 
He de Fidéles. Done à Avignon les: 
Calendes de Mai, la feconde année de 
notre Pontificat. C’eff-a-dire , l'an 1318, 


meritis, magna nobis , & eifdem 
Fratribus fide digna teffimonia [uns 
relata , oculos dsrigentes , te Or- 
dinis Predicatorum profefforem, de 
ipforum Fratrum confili:, € dite 
poteffatis plenitudine , Ecclefie dite 
Civitatis in Archiepifccpum prefe- 
cimus © Paflorem ; curam , € ad- 
minifirationem , © follicitudinens 
animarum Omnium exiflentium in 
eifdem partibus , que fubduntur pre- 
fati Imperatoris , nec non Caydo , 
@ Æthiopie , 46 Indie Regum , 
feu Principum dominiis ; tibi ple- 
narié committentes ;. tibique exer- 
cends omnia ,.que ad jura Archie- 
pifcopalia fpettare noftuntur , fe- 
cundum quod eff facris Canonibus 
diffinitum , consedentes plenam, C* 
liberam poteflatem , prout bec & 
alias in noffris fuper hoc confcüis 
Litteris plenius continentur. 
Volentes. igitur , ut Catholice. 
Fidei veritas femper de bono in me- 
lits , auclore Domino, in illarum 
Partium latitudine expalfis tenebris 
élucefcat ; fex de Fratribus dits 
Ordinis , védelicet Gerardum Cal- 
venfem, Guillelmum Ade, Bar- 
tholomæum de Podio , Bernardinune 
de Placentia , Bernardum Mhoreti , 
€ Bartholomeum Abaliati, in Le- 
ge PDomini crudites , vita | & Re- 
ligione praclaros, © mulrerum vir= 
tutum titulis commendatos, de di- 
Gorum Fratrum confilro , € ejuf: 
dem plenitudine poteflaris afumpfi- 
mus , @ prefecimus in Epifcopos € 
Paflores ; ipfofque in adjutorium 
commiffe t5b5 follisitudinis pro ma- 


Jori..animarum [älute in prefatis- 


Partibus duximus deputandos. Da. 
tum Aventone Cal, Maii, Ponrifi- 

A . : 
catus noffri anno fecunde. 


Oderic Raynald ajoute que par une Bulle particuliére , 


DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. y8r 


adreflée encore à notre Archevêèque , Sa Sainteté lui permé- 
toit de choifir lui-même parmi je Minnie Apofñtoliques, 
& de confacrer un plus grand nombre d'Evêques, fi cela étoit 
néceflaire pour la propagation de la Foi, le fecours, ou la 
confolation des Peuples. Et lorfqu'il ariveroit dans la fuite 
des tems qu’on ne pourroit remplacer aflez tôt les Prélats dé- 
cédés , le Saint Pere ordonnoit que les Communautez des 
Freres Prêcheurs feroient dès-lors chargées du foin , ou de la 
conduite de toutes les Eglifes , qui fe trrouveroient fans Paf- 
teur (1). Cela fupofe que l'Ordre de faint Dominique avoit 
déja plufieurs Maïfons L la Perfe , l'Arménie , & l’Ethio- 
ie : ou que nos Evêques & nos Prédicateurs ptofitoient dès- 
rt des favorables difpofitions des Peuples, & des Princes, 
our faire dans toutes ces Provinces de l’Afie , ce que faint 
yacinthe avoit fait pour aflurer le fruit de fes Miffions dans 
prefque tous les Royaumes du Nord. Après ce grand nombre 
de converfons , dont on a parlé , il n’étoit pas bien dificile à 
l’Archevêque de Sultanie de bâtir des Monaftéres, & de les 
remplir de Sujets ; puifque n'étant encore qu'un fimple Reli- 
gieux , & un inconnu parmi des Barbares , il avoit donné 
une fi haute idée de fa vertu, de fa doëtrine , & de fes talens, 
qu'il s’étoit en quelque mañiïére rendu maitre des efprits & des 
cœurs. Malgré tous les Préjugez de la naiffance ou de l’édu- 
cation, les Gentils & les Mahométans avoient écouté avec 
refpe& les véritez qu'il leur anonçoit ; & fur fa parole, la 
Grace agiffant intérieurement dans leur ame , ils avoient re- 
noncé à un culte fuperftitieux , ou impie, pour croire à l'E- 
vangile, & fe foumétre au joug de JEesus-Carisr. Nous 
avons vû que jufques dans la Ville Impériale, & fous les 
yeux d’une Cour toute idolâtre, le Serviteur de Dieu avoit 
fait conftruire, & orner des Eglifes pour la célébration de 
nos faints Myftéres. | 
Le Pape nu XXII étoit fi bien perfuadé que la préfence , 
& le miniftére de ce grand Homme étoient néceffaires dans un 
Pays, se le regardoit comme fon Apôtre ; que, fans avoir 
égard à l’ancienne coutume , felon laquelle les nouveaux Mé- 
tropolitains devoient fe rendre en perfonne auprès du Saint 
étoritate Apoftolicä : quos cüm è vivis ex- 
cedere contigiffet, ut Prædicatorum Soda- 


litia carum partinm Ecclefiarum curam ge- 
rerent , conitituit , &c. Odoric. st fp. m. 5. 


FF£ff ii 


(Tr) Impofuit eidem Soltanienfi Archie- 
pifcopo Provinciam , ut fi pluribus Epifco- 
pis ad proferendos Evangelii limites opus 
effet, ipfos excitis duobus Catholicis An- 
tifüibus , facris Powificalibus initiaret au 








LIVRE 
VIII. 


FRANCO 


DE PERoOUSs. 





Vide Odoric. ut fyt 
. 6. 


# 


ÉÊIVRE 
… VIIT. 


FRANCO 


DE PErRouUsez. 
Dr ie 24 








782 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES 


Siége , pour y recevoir la Confécration , Sa Sainteté voulut 
que notre Archevêque de Sultanie reçût fur les lieux , & l’im- 
ofition des mains, & le Pallium. Guillaume Adam, facré 
pers à Avignon, fut chargé de faire la cérémonie , & 
de préfenter à fon Métropolitain les Lettres Apoñtoliques. 
Yers le même tems , Offini Roi d'Armenie avoit envoyé fes 
Ambafladeurs auprès du Pape, qui fe fervit de cette ocafion , 
our faire préfenter à ce Prince la Profeflion de Foï de l'Eglife 
Rosie : & afin qu'elle fût plus facilement reçüë par les Ar- 
méniens , & confervée dans toute fa pureté, le Souverain 
Pontife crut qu'il étoit à propos d'établir dans tout ce Pays 
des Colléges, où l’on montreroit à la Jeunefe les élemens de 
la Langue Latine , en leur aprennant 5 ds on de la Reli- 
gion. Ce foin fut encore confé à nos Miffionnaires (1). Nous 
senorons quel fut le fuccès de cet Etabliffement. Mais il eft 
. ! A 9 ks 
probable que ceux qui furent chargés de prêcher l'Evangile 
aux Arméniens, imitérent l’Archevêque de Sultanie , & quel- 
ques-uns de fes Succeffeurs , qui pour atirer plus éficacement 
les Peuples à la connoiflance , & à la pratique de la Religion 
Chrétienne, s’étoient rendus eux-mêmes habiles dans les ce 
ues , & s’en fervoient utilement pour faire leurs inftruëtions , 
{oit de vive voix, foit par écrit. | 
Les Mémoires qui auroient pù nous aprendre en détail les 
autres belles ations de lilluftre Franco de Péroufe , ne font 
point venus jufques à nous : & pour ne rien avancer fans ga- 
rand , nous nous contentons de dire , que ce fut dans la conti- 
nuation de fes travaux apoftoliques que le Serviteur de Dieu 
termina fa glorieufe carrière. Nousignorons l’année de fa mort. 
Le Pere Echard a cru pouvoir la métre en 1323 avant le mois 
d'Oétobre. Et il eft vrai que Guillaume Adam, Dominicain 
François , l’un des Sufragans de l’Archevêque de Sultanie , lui 
avoit déja fuccédé dans ce Siège Archiépifcopal dès le com- 
mencement d'Oétobre 1323. Mais le Pere Echard n’avoit 
fans doute pas vü dans les Anales Ecléfiaftiques un Bref du 
Pape Jean XXII, par lequel il paroît que Franco de Péroufe 
s’éroit volontairement démis de fa dignité d’Archevêque ; foit, 
comme l'a crû Oderic Raynald , pour pouvoir vaquer dans 
un plus grand repos à la priére , & à la ne des 


(1) Ne vero facile Fidei puritas inter At- 
menos coalefceret , out aperienda in 
Armenia Gymnafa putavit, in quibus Ar- 
méçni Linguam Latinam difcerent , .. . in- 


junéta eft ea Prædicatoribus Provincia, ut 
fimul ad Armenos erudiendos incumberent , 
quos Regi Oflino commendavit Joannes, 
&c. Vide qua Jequuniur #p. Odoric. n.15-16 





ee 7 PR es LR LA 


ET Le 


Es 


EXO vs OS 


AN ts v: 


NN SR + 


: DE L'ORDRE DES. DOMINIQUE. 78; 
chofes céleftes, qud liberius caleflium rerum contemplation: 
xacaret ; foit peut-être dans le deffein de porter plus loin la 
lumiére de l'Évangile, & de travailler avec plus de liberté 
à la propagation de la Foi dans diférentes Provinces de l’Afie. 
Les termes mêmes du Bref Apoftolique , daté d'Avignon le 

remier jour de Juin 1323, favorifent ce dernier fentiment. 
En acceptant la ceffion volontaire du Serviteur de Dieu , Sa 
Sainteté lui permet de porter toujours les marques de fa Di- 
gnité , & de donner la bénédiétion ET aux Grecs , & 
aux autres Peuples : parmi lefquels, dit le Pape, vous tra- 
vaillez au falut des ames, & au progrès de la Foi Catholi- 

ue : Zibi de Sedis Apoflolicæ benignitate utendi apud Græcos 

Fideles , in quorum partibus pro falure Fidelium , & amplia- 
tone Catholicæ Fidei converfaris , Pontificalibus infigniis in 
Divinis Officiis , & locis competentibus , abjque tamen ufu Pal. 
li , ficut utt confueveras ante hujufmodi ceffionem : nec non be- 
nedidionem Populo in erfdem locis more Pontificum largien- 
di . . . . plenam 6 liberam auüloritate prefentium en es 
faculrâtem, &c. Datum Aven. Cal. Juniz anno feptimo. 

: La Providence lui avoit joint dans le Minéflére Evangé- 
lique un autre de fes Freres , dont le zéle ne parut pas moins 
ardent ; & dont les travaux ne furent pas moins glorieux. 
Voici comment M. Sponde , après Léandre Albert, a parlé 
de cet Homme admirable , qu'on peut apeller avec raifon 
l'Apôtre de la Grande Arménie : # Quoi ue les Armé- « 
niens, dit cet Analrfte , fiflent profeflion de la Religion * 
Chrétienne , ils étoient toujours infe@és de plufieurs er- « 
reurs , qu'ils avoient retenues des anciennes héréfies. Et « 
ce fut pour les ramener à la pureté de la Foi , ou à l'unité « 
de fentimens , que le Saint Siège envoya dans ce Pays, « 
avec le pouvoir & la dignité d'Archevèque , un Domini- 
cain nommé Bonaventure de Bologne. Ce fait Perfona- 
ge , aufli recommandable par fon Erudition que par fa pié- 
té, travailla dans la vigne du Seigneur avec un très-grand 
fuccès : Il convertit un nombre infini de perfonnes , fit 
bâtir plufieurs Eglifes , & fonda quelques  Eraue de fon 
Ordre. Plein de jours & de mérites , il s’'endormit dans le 
Seigneur l’an 1318 , le quinzième jour d’Août. Dieu l’a ho- 
noré de plufeurs miracles pendant fa vie., & après fa 
mort (1) » 


(1) Licè effent Armeni Religione Chrifliani, multis camen erroribus prifcarum 


SSSR SS 


LIVRE 
VIII. 


FRANCO 





DE PEROUSE. 
D À 





Ap. Odoric, ad An 
1323,n.8, 


LIVRE 
VII. 


FRANCO 
DE PEROUSE. 
D ee 








Vide Echard.T.l, 
| È $ 81 . 


784 HISTOIRE DES HOMMES ILLUSTRES. 


Ces paroles de M. Sponde , donnent fans doute une grande 
idée de la fainteté & des travaux d’un Homme Apoftolique , 
dont la mémoire eft encore aujourd’hui en vénération, non- 
feulement chez les Arméniens Catholiques, mais auffi chez 
les Schifmatiques , & les Mahométans. Le même Auteur 
ajoute , que la Province , autrefois arofée des fueurs du Ser- 
viteur de Dieu , S'eft depuis confervée dans la pureté de la 
Foi , par le miniftére des Religieux du même Ordre. Le Pri- 
mat d Arménie, qu'on nomme Le Carholique , avoit été enga- 

é par notre él Mifionnaire à reconnoiître la primauté du 
Eu Siège , & à demander au Pape la confirmation de fon 
Eleétion : ce que fes Succefleurs ont fidélement pratiqué juf- 
qu'aujourd'hui (1). 

Il feroit facile de donner plufieurs preuves de tout ce que 
dit ici M. Sponde. Mais fa Chronologie, touchant la mort du 
Bienheureux Bonaventure , apellé plus communément Bar- 
thelemy de Bologne, n’eft point éxaéte : du moins elle ne s’a- 
corde pas avec les plus anciens monumens de l'Eglife d'Ar- 
ménie , raportés par Clément Galanus , Auteur Théatin , qui 
avoit prêché la Foi dans la Georgie. Selon cet Ecrivain, qui 

aroit fort inftruit de tout ce qu’il avance , Barthelemy de 
Bologne ne commença fa Miffion dans l'Arménie , que vers 
l’année 1318, ou 1320 ; & il finit fes travaux avec fa vie en 
1333. C'eft fur la même année , que nous pourrons parler 
plus gi par de fes aétions , de fes Ecrits , & du mé- 
rite de plufieurs faints Religieux , que le Pape Jean XXII 
avoit fait partir avec lui, pour être les Coopérateurs de fon 
zéle : c'eft-à- dire, pour faire parmi les Arménièens ce que 
l’Archevêque de Sultanie , avec fes Compagnons , continuoit 
encore à faire parmi les Perfans , & les : de 


Hærefum erant infe@i....in quibus ad 
Fidem orthodoxam reducendis utiliflimè 
laboravit hoc tempore quidam Bonaventu- 
ra, cognomento par vus, Patrià Bononienfis, 
Ordinis Prædicatorum , eo fine à Sede A- 
poftolicà in Armeniam cum poteftate Ar- 
chiepifcopali miflus : qui doétrinà & pie- 
tate præftans innumeros convertit, Tem- 
pe quamplurima ædificavit , Cœnobia 

rædicatorum erexit ; ac demum hoc ipfo 
anno, die Aflumptionis Beatiffimæ Virgi- 
pis, plenus bonis opcribus ibidem piè ob- 


dormivit in Domino, vivens & mortuus 
Miraculis clarus. Spondan. ad An. 1318,n. 6. 

(1) A quo tempore Provincia illa, quam 
ipfe potiflimum excoluit, ducibus Fratribus 
Prædicatoribus in Fide , ac Religione Ca- 
tholiça ha&enüs perfeverans, id etiam ipfo 
præcipiente diligenter obfervavit , ut iplius 
Catholicus ( fic enim Primatem vocant } 
confirmationem Eletionis fux à Romano 
Pontifice depofcere folicirus , folitufqua 
fuçrit. Spondan. ibid. 


Fin du premier Tome, 


EOSAIIAIARANAINENEINRNT OAI 
FRRRRRRERERRE 
| RO AIRE CDR AIRE CRE GE 


TABLE 
DES MATIERES 


Contenues dans ce premier Volume. 


À 


! À LDOSRANDIN , page 380. Ferveur, Ausassaoeurs du Patriarche d'Orient à 


modeftie, & innocence de ce jeune 
Seigneur, sombre I. Il reçoit l’habit des 
Freres Prêcheurs , »#. II. Ses pieux éxer- 
cices dans le Cloître, #. III. Ses grands 
talens pour la Prédication . . .. Fruits 
de fon zéle dans les principales Villes 


. d'Italie , #. IV. Sa fermeté, #. V. Sa 


vigilance dans le gouvernement de la 
Province Romaine , #. VI - VII On 
l'oblige d'accepter l'Evèché d'Orviete, 
n. VIII. Il y rétablit le bon ordre & la 
paix, n. IX. Eft fait Vicaire Apoftoli- 
que pendant l'abfence de Grégoire X, 
#. X. Son humble priére à ce Pape en 
faveur des Florentins , #. XI.Vains éforts 


pour les réünir , #. XII- XJIL. Sa foli- 


citude envers les Peuples confiés à fes 
foins , #. XIV. 1l retourne à Orviete, 
n. XV. Se retire à Florence, #. XVI. Sa 
mort, #. XIX. 


Azexis , DOMINICAIN. Son Eloge, p. 254. 
ALcu1se DE RossAT. Nonceextraordinaire 


du Pape auprès de la République de Ge- 
nes.... Evêque de Rimini, & enfuite 


..de Bergame , p. 642. Eloge de fes ver- 


tus dans un Bref d'Innocent IV, :bid. 
Son atention à détruire les reftes de l’hé- 


… réfie des Cathares . ... Ilabdique fa Di- 


gnité.... Et meurt dans la retraite, 
p- 643. 


ALLEMAGNE. Etat de fes Provinces dans 


le XIII. fiécle, p. 453. Nouvelle héré- 


. fie en Souabe, sbid. n. XXI - XXII. 
AMARANTHE, Orisine de cette Ville fur la 


Riviere de Tamaga, p. 72, #. XXIV. 
Tome L. 


Benoît XI, p. 698. Ce Prélat reconnoît 
la primauté du S. Siége , & demande fa 
Communion, :b:5d. n. LXLY. 


AMBROISE DE SIENNE. | SAINT ] p. 441. 


Sa naiffance, n. I. Rétabliffement fou- 


. dain & incfpéré de la conformation de 


fon corps, ». II - IIL. Ses premiéres pra- 
tiques de Religion....Ët de charité, 
n. IV -V. Son amour pour la chaîteté, 
n. VI. Sa fagc retenue, ». VII. Le Dé- 
mon lui tend des piéges dans fa Solitude, 
#.1X. Un hypocrite entreprend inutile. 
ment de le féduire, #.X. Autre tenta. 
tion, dont il triomphe, ». XI. Il fair 
confentir fes parens à fa retraite ,#. XIL. 
Diftribue fes grands biens aux pauvres, 
#. XIII. Etc prend l'habit de $. Domi. 
nique, #, XIV. Ses Etudes, #. XV. Son 
Le par M. Bailler, », XVI. Il refule 
le dégré de Doûteur, #. XVII. Ses pre. 
miéres Prédications , »#. XVIII. Il ex- 
plique les fainces Ecritures, #. XIX. Ec 
eft envoyé à Cologne pour y enfeigner, 
n. XX. Fruits d@ fon zéle dans les Pro- 
vinces d'Allemagne, #. XXIILTrifte état 
de ces Pays après la dépofition & la mort 
de Frédéric I1,#. XXI - XXII. Le B, 
Ambroife eft confulté par les Princes , & 
pris pour arbitre de leurs diférends , 
n, XXIV. Il combat l'héréfie ; & entre 


. endifpute avec les Chefs des hérétiques, 


n, XXV. Succès de cette difpure, n. 
XXVI. Il procure de puiffans feeours au 
Roi de Hongrie , qui défait les Tartares, 
#. XXVIUIL- XXIX. Les Siennois di- 


GGggg 


756 


+ annaclle, ». XL. Ambroife refule l'Evé. - 


vilés & frapés de €enfures, n. XXX, 
S'adreflent au Serviteur de Dieu, pour 
obtenir du S. Siéve leur réconciliation , 
n. XXXI. Arivée du Saint à Sienne, ». 
XXXIT- Il pacific fa Patrie, ». XXXIIE 
Et la réconcilie à l'Eglife, #. XXXIV. 
11 procure la même grace à d'autres Peu- 
ples,n. XXXV. Er eftenvoyé vers le 
Pape par le jeune Conrad , #. XXXVI. 
La ville de Sienne mifc de nouveau en 
interdit, #. XXXVII On folicite inu- 
tilement en fa faveur , ». XX XVIII. Le 
Saint lui obtient encore fa réconcilia- 
tion ,#. XXXIX. Elle en fait une Fêce 


ché de Sienne, & plufieurs autres , ». 
XLI. Eft chargé de diférentes Léga. 
tions , #. XLII. Leur fuccès, ». XLIII. 
11 récablit à Rome l'Etude de la Théolo- 
gie par ordre du Pape, #. XLIV. Conti- 
nue en même-tems fes Prédications . ..… 
Sujet ordinaire de fes difcours , #. XLV. 
Retraite du Saint, #. XLVI. Le Pape le 
fait {on Légat en Tofcane , #. XLVII. 
Interdit jéré fur les Florentins . . .. Levé 
par le S. Légat . . .. Qui fair ceffer leurs 
pee , #. XLVIII. Surmonte les ob- 

cles à la paix , #. XLIX. Et convertit 
par la douceur un fcélérat qui l'infuke, 
#, L-LI. Grace particuliére atachée à 
fes difcours , ». LIT. Ses pieux Etabliffe- 


. mens, ». LIII Ils'éléve avec force con- 
. tre les Ufuriers, #. LIV. Et meurt vi&i- 
, medelacharité, # LV - LVI. Honneurs 
. rendus à fa mémoire , #. LVIII. Proces 
. de fa Canonifation , ibid. Solemaité de 


fa Fête à Sienne , »#. LIX. Et dans l'Or- 


. dre des FF. Prêcheurs #. LX. 
ANDRE” D'ALBALATE. Un des premiers 


Religieux du Couvent de Valence en Ef- 


pape p. 367, n.Il. Et le troifiéme 


vêque de cerre Ville reprife fur les Mau- 


res, #. III. Zéle , & vigilance du pieux 


5 LS 


Prélat ,n#. IV. Synodes fréquens , ». V. 
Son atention à choifi de bons Minif- 
tres, #. VI. Qu'il angme par fon éxem- 
ple, ibid. Sa SR M les pauvres ,. 
n. VII. Et les Maifons Religieules , n. 
VIII. Ji fait bâtir un Monaftcre aux 
Chartreux , ». IX. Augmente les reve- 
nus, & le nombre des Prébendes de fon 
Chapitre, n. X. Termine les diférens 
entre les Miniftres de l'Eglifc , & les 
Oficicrs de la Cour, #. XI. Eft nommé 
Ambaffadeur du Roi auprès du Pape, #. 


* XII. Succès de fon Ambañflade, ». XIII. 


I acompagne Jâques 1 en France, ». 


: XLV. Afliftc au fccond Concile de Lyon, 


TABLE 
#. XV. Va une feconde fois en Italie. 


n. XVI. Et meurt à Viterbe, #. XVIL 


ANDRE’ DE LONJUMEAU , p.157,8.1. Sæ 


Vocation à l'Ordre de S. Dominique, =. 
II. Ses premiers travaux en Orient, #. 
LI. Son retour en France ,. #. 1V. Il eft 
envoyé à Conftantinople par S. Louis. 
n. V. Y reçoit la fainte Couronne , #. VI. 
la porte à Venife ,vbid. De-làa en Fran- 
ce.... La préfente au Roy, #. VII. 
Eft député par le Pape vers les Patriar- 
ches d'Orient , #. IX. Gagne leur afec- 


tion, & leur cftime , 7. X. Réfléxions 
, critiques, #. XI. S. Louis le prend à fa. 


fuite dans l'Ile de Chypre, = XIE Le: 
met à la tête d'une Ambafñlade vers le- 
Can des Tartares, ». XIIL On l'y re-- 
çoit avec honneur, #. XIV. Fruit de ce- 
voyage,» XV. mort du Serviteur de- 
Dieu, sbid.. 


ANNIBAL ANNIBALDI DE MOLARIA , p. 


261. Son illuftre naïiflance , & fes pre- 
mieres inclinations , »#. I. Il embraffe 


/ 


Flnftitut de S. Dominique, #. Il. Sa : 


ferveur ; fes Etudes à Rome, & enfuire 
à Paris, où il prend-les Grades, »#. III. 
Son étroite amitié avec S. Thomas, . #.. 
IV. Il enfeigne avec lui, 1bid. EM fait 
Maître du facré Palais, ». V. Et Cardie 


nal , #. VI. Sa conduite dans cette Di- 


gnité, #. VIL Il donne par ordre du 
Pape l'inveftiture du Royaume de Naples 
à Charles d'Anjou, ». VIIL Et couronne. 
a Rome le Roi & la Reine de Sicile, #. 
IX. Liaifon du pieux Cardinal avec les- 
Savans, & les perfonnes de piété, #. X... 
Son Eloge par Tholomée de Luques, #.. 


XI. Ses Comimentaires fur les Livres des. 


Scntences , #. XHI. S. Thomas lui dédie 
quelques Ouvrages, ». XIT. Il eft vifité: 
par les Rois de France, & de Naples, z. 
XIV. Son amour pour la pureté . . .. Sa. 
mort , #. XV. 


ARNAUD DE SFGARA ,.p. $0$. Sa profef. 
. fion. Succès de fes Etudes. Ses vertus. 


Ses prédications. Il eft fait Provincial 
d'Efpagne , ibrd. Confeffeur du Roi d’A- 
ragon , p. $oé. Scandales de ce Prince. 
Ferimcté du faint Coufefleur , 1b1d. ç> 


p. $o7. Il éxamine, & corrige par or- 


dre du Roi le Talmud , p. 492. € 506. 


… Fonde le Couvent de Girone. Et établit 


la premiere Etude des Langues Orientales 
dans la Province d'Efpagne , p. sos. 


ASCELIN , OU ANSELME, Dominicain, p. 


145$. Sa Patrice. Ses talens. Ses vertus, 
ñ. I. ]1 cftenvoyé chez les Tartares en, 


qualité de Nonce Apoftolique. Trois de 


ÈS 


DÉS 
_ Rs Confreres font aflociés à fa Lépa- 
tion , sbid. @e p. 146. Méprife d'un Hif- 


torien à ce fujer. Les Nonces nc en 
c 


Egypte. Remétent au Sultan des Lettres 
du Pape. Réponfe du Sukan, p. 147 & 
148. Ils continuent leur voyage. Pre- 
miére rencontre des Tartares. Leurs 
entretiens avec les Envoyez , p. 149. 
Ceux-ci refufent de fe prefterner devant 
Baïathnoi ,p. 150. Ce Prince les con- 
. damne à mort, #. IL. Révocation de 
cet Arrêt, sbid. p. 151. Artifice des In- 
fidéles , #. III, ph, 152. Sagefle & pru- 
dence des Nonces , #. V. p. 153. Ils r@- 
métent les Lettres du Pape, Leur pa- 
tience dans les épreuves & les infultes ; 
#. VI. Ils obtiennent enfin leur congé, 
n. VIL,p. 154. Lettre de Baïathnot au 
. Pape, n. VIIL, p.155. Travaux d'Af- 
gclin chez les Infidéles, #. IX, sbédi 
AÏATHNOT, Prince des Tartares, p, 
149. Adoration que lui rendent ces In- 
fidéles, sbsd. Les Nunces d'Innocent IV 
refufent de fe profterner devant .lui. 
p. 150. nl 
BazsezA. Miracle éclatant , opéré en ce 
lieu par la proction de la faiate Vierge, 
?- 3,7. III. î 
BARTHELEMY VARELLI DE LEONTINO, 
Dominicain. ŒÆvêque de Lipari, & de 
Patti, p. $2$. Son zéle pour fort Egli: 
fe. Et fon atention pour prévenir les ré- 
voltes des Siciliens, ou les Vépres Sics- 
diennes , p. 516, $27. RE 
Baupouïin , Empereur Latin de Conftan- 
tinople. Ses mefures pour conferver la 
Terre-Sainte. H engage à $. Louis Le 
Comté de Namur. Et Jui donne Ja fainte 
. Couronne, p. 158. : 
BzLA IV, Roi de Hongrie. Confacre un 
. de fes enfans au fervice de‘Dteu. Eft dé- 
. Jivré de la fureur des Tartares, p. 325, 
& les défait, 456. ! 
Benzsrices. Célébre difpnte , & décifion 
fur la pluralité des Bénéfices, p. 124. 
Sentiment d'Hugues de S. Cher fur ce fu- 
jet. Conduite de S. Louis Roi de France 
dans la diftribution des Bénéfices, sbid. 
ISLE. Sa premiére Tradaétion en Italien 
par Jâques de Voragine ,p. 585. 


BLANCHE , mere'de S. Louis. Mort dù 


cette Reine, p. 294. | 
BONAVENTURE DE BOLOGNE , Archevè- 
. que, & célébre Miflionnaire dans la gran- 


MATIERES.. 237 


de Arménie. Succès prodigietx de {è 
. travaux. Son Eloge. Sa mort. Ses Mie 
racies , p. 783 Ge 784. | 
BON1rACE VIII. Validité de lon Eleétion 
ataquée , p. 663. Il fait prêcher la Croi- 
fade contre 1a Maifon des Colonnes , 
p. 667. Renverle tout ce qui avoit été 
fait par fon Prédécefleur, p. 653 & 
628. Retra@te les priviléges des Règu- 
liers , p. 665. Caratére de ce Pape, 
sbid. dr p. 667. Ses fameux démêlezavec 
‘Philippe le Bel, p. 676. Scene tragiqu® 
d'Anagni. Horrible traitement qu'on 
fair au Vicaire de J.C. 5bsd. Sa mort, ». 
XI. Pourfuites du Roi de France contre 
fa mémoire, p. 717. Arêtées par leb 
confeils du Cardinal de Prate, bd en 
P. 718. 
BokirAcE De FIEsQUt , neveu d'Innocent 
. IV,p. 567. Conftance, & fidélité à fa 
Vocation , #. III. Ses premiéres ocupa- 
tions dans le Cloître , ibid: It eft 
:_ Nonce du Pape en France, #. IV. Ar. 
chevêque de Ravenne. Et Légat Apof- 
tolique , #. V. Son atention à régler fon 
.. Diocèle , #. 6. Concile de Ravenne , #. 
VII. Grands abus ‘introduits parmi les 
* Cleres, & kes Laïques , ». VIIL. Décreté 
de ce Concile , n. IX. Autre Légation 
. du-même Archévêque ; pour la délivran< 
ce es Roi de Sicile, n. X. Sa mort , 
n, 


« 
. + Q 0 
! 


At. Nom du Prince des Tattares ; 
adoré chez eux comme Fils de Dieu, 
le 149,150, G 152. | 
CARMES. Leur ancienne Régle adoucie, 
+ &cexpliquée par Hugues de S. Cher, p, 
229, n. XLIX. Bref d'Alérandre IV à 
ce fujet, sbid. 
Cis de confcience. Sources d’où on doit e# 
tirer les décfions, p-7,n. XII. 
Estesrin { SAINT] V. Election de ce 
Pape, p. 557, ». XXII. Sa ccflion ay 
Pontificat, p. $76,n. VII -: eu 
CHaire. Origine des deux Chaires de 
Théologie, que les Dominicains avoiene 
_ autrefois à Pari$, p. 142. 
CHAPELLE | SAINTE] de Paris. Sa Fon< 
dation , p.160. | 
CHAP1ITRES généraux des FF. Prêcheurs 
aflemblés dans les premiers téms à Pa- 
ris, ou à Boulogne feulement, p.114, 
n. XXIX. Célébre Chapitre de Monts 
pellier, p.115, #.XXXI. 


 GGgggi 


788 
CHARLES D'ANIOU recoit l'inveftirure du 
= Royaume de Naples , p.165, #. VIIL. 
CHARLES II, Roi î Sicile, tenu captif 
Je Roi d'Aragon. Et enfin délivré à de 
dures conditions , p. $71 , #. X, Il 
chafle les Sarafñns de la ville de Nocera, 
?. 681. 

CHARLES DE VALO1IS, p. 700. Conçoit 
le deffcin d'armer pour le recouvrement 
de l'Empire d'Orient. . .. Benoît XI le 

. favorile, sbid. n. LXVII. ee 

CHATIMENT d'une infulre faite à un Mi- 
niftre de l'Evangile, P. 98,». VIIL : 

CHRISTIEN , Archevèque de Mayence. 
Motifs de fa dépofition , p. 234. 

CLEMENT IV. Sa mort, p. 428 , #. XI. Son 

_ corps cft rendu aux FF. Prêcheurs de Vi- 
terbe ,p. 434. 

CLemeEnr V. Circonftances curieules de fa 
Création, p. 714,.715. Il fait a Réf- 
dence à Avignon, p. 716. 

Cozonxess [ noble Maifon des ] révolrée 
contre Boniface VIII, qui fait prècher 
contre elle une Croifade , p. 667, n. XV. 
Sage conduite de Benoît XI fon Succef- 
feur à l'égard de certe illuftre Famille, 
?. 639,n. XLVIII. 

Cozzrces établis chez les FE. Prêcheurs 
en Arménic , p.782. 

Concizx [1] de Lyon. Raïfons de fa 
Convocation, p. 228, #. XLVI. 

Coxcie de Ravenne. Ses Décrets, p..$69, 
$70, n. VII, VIIL, IX. 

ConciLe de Taraflone dans l'Aragon. Mo- 
tif de cette célébre Affemblée ,p. F2. 

Conciave,tenu à Viterbe pour l'Eleétion 
de Jean XXL. Sédition de quelques fac- 

" tieux contre les Cardinaux & le Général 

” desFF. Prêcheurs , p. 435. 

Autre CONCLAYE à Péroufe, pour l'Elec- 
tion de Clément V. Divifions des Car- 

. dinaux. lolitique du Cardinal de Prato , 
p.713 714 | 

Concorpances de la Bible par Hugues 
de S.Cher,p.111, 7. XXXVII. Eloge 
de cet Ouvrage & de {on Auteur par Ma- 
riana ,p.216, n. XLIII. 

ConraAD , Fils de Frédéric II. Ses rava- 
ges dans l'Italie. Sa mort, p. 185. 

CoNRADIN, petit-fils de Frédéric II , en- 
tre dans l'Italie avec une puiflante Ar- 

.mée. S'empare de Rome même. Mé- 


prife toutes les Cenfures. Et eft vaincu 


par Charles I Roi de Sicile , qui le con- 
_damne à mort , p. 459 , 460. 
ConsrANTIN DE Mupicis. Noblefle de 
. fon origine. Sa Vocation 2 l'Ordre des 
FF. Précheurs. Sa piété , p. 166. Ses 


T À B 


L E : 

prédications. Son zéle pour rétablir Lé 
paix. IE écrit la Vie de S. Dominique 
p.167. Eft élû Evêque d'Orviette. Son 
humilité dans certe Elévation, p. 168. 
Le Pape le fai fon Légar en Orient, p. 
169. Ses négociations pour là réünion 
des deux Eglifes,p. 170. Sa mort, p. 171. 

CONSTANTINOPLE afhégée & prife par les 
Turcs, p. 701. Devient La Capitale de 
leur Empire , sbs4. 

CONTESTATIONS vives entre les Rois de 
France & de Caftille, fur la fucceflion à 
ce dernier Royaume, p. 436. 

CoNvERSION furprenante d'un vindicatif, 


- p.90, nr. XXV. 


COURONNE | SAINTE | donnée à S. Louis 
par Baudoïüin ,p. 158. Engagée aux Vé- 
nitiens pour un tems, 1$9. Portée-en 
France, ibid..n. VIL Dépolée à Sens... 
Reçüéavec folemnié...… Et placée dans 
la Saince-Chapelle, p. 260: 

CRITIQUE outrée de M. Dupin, p. $993 & 
de M. Baillet , p. 600 ; contre la Légende: 

‘dorée, ou fon Auteur, sbid. | 

Crotisane [1] des Chrétiens , pour lere- . 
couvrement de la Terre-Sainte, p. 292, 
293. Défaite de cette Armée, sbsd., ee 
?- 301, 302. 

CRotsaDz [II le même: füÿet, p. 

‘297. Etat déplorable des Croifez devans 
le Port de Tunis, sbid. n. X, 

CROISADE publiée par Grégoire IX, & 
préchée par Jean le Teuthonique ,p. 97; 
ñn. VI. e 

CRO1sSADS publiée par Innocenc IV, & 

- prêchée par les Dominicains contre l'A- 

oftat Suantopoulc , & les Payens de 
rufle ,.p. 241. Victoire des Croilez, sbid. 

CROISADE [| Autre | contre les mêmes , 
p-152,n. XXEIV. 

CRO1SEZ Lavins. Leurs mœurs corrom- 
puëés en Orient, p. 157, #. IH;p. 532. 
n. VIL Divifion arivée parmi eux, p. : 

. $34 Leur trifte état dans la Paleftine ; 

2.531,532, 533» $34. Ils violent les. 

| Re les Trairez fais avec les Infidé. 

es,p. 534. Leur témérité, & leur cruau- 

té, p. 535. Ils fonc entiérement défaits 
p.536. 

Cumains. Converfion de ce Peuple. idos 


le, p. 110. 
D 


1 MaxezLy. Ses premiéres an 
nées. Il fe confacre au fervice des 

Autels. Et eft fait Chanoine. Sa piété... 
1 vendfes biens au profitdes pauvres. En 


+ w 


DES MATIERE S. 


ehtre dans l'Ordre de S. Dominique. Sa 
ferveur, & fachariré. Fruits de És Pré- 
dications , p. 136. On le force d'accep- 
ser l'Evêché de Cloney. Et enfuite l'Ar- 

+ Chevêché de Cashel , p. 137. Etabliffe- 
ment des Religieux de fon Ordre dans 
certe Ville. Vertus paftorales du faint 
Evêque. Il fe trouve au premier Concile 
de Lyon. Sa mort, p. 138. 

DEcReTALES. S. Raymond de Pegnafort 
en fait la Colleétion, 5 17 @ 18, 2. 
XXIX & XXX. 

De’sorpkes introduits en Servie, & en 
Dalmatie, p. 681. Zéle de Benoît XI 
pour les arêter , p. 682. 

Dieter DE Nassau, frere de l'Empe- 
reur Adolphe & Dominicain , p. 737. In- 
terprére Les faintes Ecritures, p. 738. 
Eft chargé de plufieurs commiffions par 
Boniface VIII . ... Etabli fon Légat A- 
pete » 5bid. Et fait Archevêque- 

leteur de Treves, p. 739. Caradere 
de ce Prélat , ibid. Plaintes de quelques 
Hiftoriens contre lui, p.740, 741. 

DOMINIQUE [ SAINT. ] Seconde Tranfla. 

ion de fes Reliques, p. 412 , ». VII. 
Duoxp, fils d'Henri III Roi d'An- 
glererre, p. 175. Reçoit l'inveftiture 

du Royaume de Sicile , sbid. Conditions 
du Traité , sbsd. 

ELronor de Caftille. Mariage de cette 
Princefle avec Jäques I Roi d’ sn s 
déclaré nul par le Concile de Tarraflone, 
?. 17,9. XVIII. E’Infant Don Alfonfe 
né de ce mariage , eft cependant déclaré 
légitime, & nier préfomptif de la 
Couronne, #bid. 

Erine de la fainte Couronne , donnée aux 
FF. Précheurs de Barcelone par S. Louis, 
?: 484 ee 

Eric, ou HENRY , Roi de Danemark, 
époufe une de fes parentes au quatriéme 
dégré, p. 682. Eft excommunié par 
l’'Archevèque de Lunden , bd, Mer ce 
Prélar , & le Doyen*de fon Chapitre 

dans les fers, sbid. Eft mis en interdit 
avec cout fon Royaume, p. 683. Ré- 

- concilié a EeS par Benoît XI. Délivre 

* Jes deux prifonniers, & leur fait fatis- 
fa@ion , sbid. 

EsPAGNE. Corruption des mœurs des 
Chrétiens dece Royaume, p. 13,7. XX. 

+ S. Raymond travaille avec fuccès à leur 


converfon , #. XXI, Leurs conquêtes 


8 
fur les Maures, p. 15. me 

Esprit [ veriraBLe] de l'Ordre de faine 
Dominique, p. 121. 

ETABLISSEMENT | premier] des FF. Pré. 
cheurs en Bohëme , p. 174, n, X. A 
Strafbourg, p. 97, #. V. En Perfe ») en 
Ethiopie , en Arménie, p. 781. 

ETUDES des Langues Orientales, établies 

ar Jâques_1 Rai d'Aragon dans plu- 
bé Maifons de l'Ordre deS Domini- 
que. Leur utilité, p. 490. Voyez la Vie 
de S. Raymond , n. LV, LVI. 

EvaneiLs éternel. Examen & condamina- 
tjon de ce Livre, p.237. 

Evsques de l'Ordre des FF. Précheurs, & 
Mineurs , ordonnés pour les Pays des 
Tartares , p. 165. 


| Fr mm III. Ses vertus , p. si, 
n. X. 


FETE du S.Sacrement. Diverfité de fenti- 
mens pour en inftituer la folemnité, p, 
225$. Hugues de S. Cher en confeille la 
célébration à l'Evêque de Liége , sbid. 
Et l'ordonne enfuite dans l'étenduë de 
fa Légation, étanc Cardinal, p.135, 
#. XLIII. Le Pape Urbain IV l’étend à 
toute l'Eglife , bid, 

FLORENTINS. Divifions & guerres allu- 
mées long-tems parmieux , p. 387, 388. 
Grégoire X travaille inutilement à les 
réünir, p. 389 ; & les charge d'anathé. 
mes , #bid. Imrocent V les ramene par 
la douceur , p. 390. Les réconcilie avec 
les Pifans ; & leve l’interdit jété fur leur 
Ville ,p. 467. Animofitez renouvellées 
parmi ce Peuple ; & apaifées par k Car- 
dinal Légat Latin Malabranche, P. 46. 

FoLient , Ville de l'Etat Ecléfiaitique. On 
y voit un magnifique Couvent des FF. 
Précheurs ; des- Communautez de Servi. 
tes, & d'Hermires de S. Auguftin , un 

” Hôpital, une Maifon des PP, de l'Ora- 
toire , & une belle Eglife de S, Félicien 
Martyr , fondés par l'Evêque Paperoni , 
Dominicain, p. $20.. £ 

Foy [ Profeflion de | des Patriarches. Ar. 
méniens , & Jacobités, & dè l’Archevé. 
que de Nifibe, trouvée orthodore, p. 1 60. 
n. IX. 

FRANCO DE PEROUSE, p. 775. Se prépare 
au faine Miniftére dansla retraite , sbid. 
Ef deftiné aux Miffions étrangéres. Pré- 
che en Orient. Convertie & bâtife plu. 


ficurs milliers d'Idolätres, ou Mahomé- 
GGgggi 





TABLE 


es . 776. Le Grand Can des Tar- 
tares favorife fon zéle. Lui permet de 
faire folemnellement le Service Divin , 
sbid, Se laiffe pourtant prévenir par quel- 
ques fuperftitieux 3 & défend le fon des 
Cloches ,p. 777. Progrès de l'Evangile 
chez les Infidéles. Franco envoye de- 


mander de nouveaux Miflionnaires au 
Pape ; qui le nomme premier Archevé- 
ue de Sultanie en Perfe , & lui donne 
ê autres Dominicains pour Sufragans , 
p. 778. Bref du Pape à ce fujet , p. 779; 
780. Priviléges qu'il acorde au nouveau 
Métropolitain, p. 781. Travaux de ce- 
lui-ci & de fes Se ,?. 782. Il 
abdique fon Archevêché, pour porter la 
lumiére de l'Evangile en Afie, p.783; 
Sa mort, p.782. | 

François DE CENDRA. Ses Miflions dans 

les Royaumes d'Efpagne & de Tunis, 
p. 483,n. I. S. Louis lui donne des 
marques finguliéres de fa confiance, #. 

IL Écle charge d'une Epine de la fainte 
Couronne pour les FF. Prècheurs de Bar- 
celone , #. HI. Lettre de ce faint Roi 
aux Religieux de ce Couvent, sbid, Mort 
de François de Cendra , #. IV. 

Freneric IL Vices de cet Empereur, p. 
99, ». IX. Ses démêlez avec le Saint 
Siége, p. 105. Hiftoriens parti(ans de 
ce Prince , moins équitables que lui, p. 
113. Il eft dépolé au Concile de Lyon, 
p. 115. Suites de cer évenement, ibid, 
& p. 632. Troubles caufés par fes émif- 
faires en Lombardie, p. 173 ; & par fes 
enfans en Sicile, après fa mort , p. 177, 
179, 181. Fin de cestroubles, p. $15. 

PREDERIC , frere de Jäques d'Aragon. Elt 
proclamé Roi de Sicile par les Siciliens , 
révoltés contre Charles d'Anjou. Frapé 
d'anatèmes par Boniface VIII, p. 649, 
650. Et ablous à certaines conditions, 
p: 680. Ses nouvelles entrepriles , sbi4. 
#. XXXI. Benoît XI arête la vivacité 
de ce jeune Prince, ibid. n. XXXII. 

Frzres. Hiltoire édifiante de la vie , & de 
la mort de trois jeunes Religieux freres 
utérins, p. 283, #%. XXVIII. 

PRERES de la Pénitence, établis à Boulogne 
par Jâques Boncambio Evèque de cette 
Ville,p.174 

FRONTON [| SainT. ] Invention & Tranf- 
lation de {es Reliques , p. 306, n». VHI. 

Yusrs honteufe du Roi de Chypre , à La 
prife de S. Jean-d'Acrc, p. 538 


G 


AurTiaR DE Jonz, célebre Dominhs 

cain , p.752. Archevèque d'Armach , 
& Primat de coute l'Irlande , ibid. Son 
Eloge ,p. 753. Ses Ecrics. Il abdique fa 
Dignité ; & a pour Succeffeur ep Les 
Freres, sbid. 

GauTier Mgpciencr. Sa naiffance. Son 
Education , p. 127. Il s'atire l'afettion 
d'Henri III Roi d'Angleterre. Ufage 

_qu'il fait de {es faveurs. Son ambition. LL 
cf déclaré Grand Tréforier d'Angleterre. 
Et Evêque de Carlile. Oublie fa qualité 
de Pafteur , & fon Eglife. Ambafladeur 
d'Henri 111 en Bretagne. Succès de l'Am- 
baflade, p. 128. Difgrace de ce Courti- 
fan. 11 projéte de pafler les mers, & de 
fe retirer dans ua autre Royaume. Les 
Oficiers du Roi lui font violence. Ex- 
communication portée contre les auteurs 
de cet atentat. Mauclerck eftrérabli dans 
fes Emplois, p. 129. Il geuverne l'An- 

lecerre durant l'abfence du Roi. Trou- 
Jes falutaires de fa confcience. Il re- 
vient à lui, p. 130. Abdique fon Evê. 
ché. Et entre dans l'Ordre de S. Domini- 
que, p. 131. Sa pénitence. Sa mort,p.132. 

GAUTIER DE OUINTERBORN, Confeficur 
& Confeiller du Roi d'Angleterre , p. 
719. Cardinal Prétre de fainte Sabine , 
ibid. Lettres du Roi Edouard, à l’oca- 
fion de la promotion de ce Cardinal , p. 
730, 732. | 

GENERAL [LE] des FF. Prècheurs , a , dès 
fon Election, une entiére jurifdiétion fur 
{on Ordre ,p. 108 ,#. XXV. 

GEno1s. Guerres fouvent allumées parmi 
ce Peuple , par les factions des Guelfes 8c 
des Gibelins > Pe 587, © $90. Term 
nées enfin par le zéle de l'Archevêque de 
Genes Jâques de Voragime, p. 591, n. 
XIII. | 

Genrics pes URSsINS , p. 648. Employé 

_par le Pape & le Roi de Naples, dans 

. une négociation avec La Cour d’Ara- 
gon, p.649. Succès de cette afaire. IL 
eft fait Evêque de Catane. Vüés du Pape 
dans cette Election, Obftination des Si- 
ciliens révoltés contre Charles II. Inu- 
tilité du zéle du Prélat, sbid, Il fe re. 
tire de Sicile ; & elt enfuite transféré à 
l'Archevéchéd'Acerenza, p. 650. . 

GEorRO1 DE BEAULIEU, Confefleur de 
8. Louis, p. 1292 ,#. 1. Son atachement 

… àce Prince, qu'il acompagnc en Onient, 


UN 


. "3 


Sa ”. AY 


SRE, L'7 


D E $ M'ATIÉRES. 791 


id. Son'zéle, &c fes travaux dans l’Ifle 
de Chypre, n. Il. En Egypte , #. EL. 

. Dans La Paleftine, #. 1V. Anance an faint 

. Roi la mort de la Reine Blanche , & le 

. confole, #. V. Revient en France avec 
lui, s. VI Et l'acompagne à la fainte 
Beaume , »#. VIL. Pratiques de piété pen- 
dant ces voyages , ibid. Conduite du 
faint Religieux à la Cour , ». VII. Il 
retourne avec S. Louis en Afrique, ». 
X. Sa tendrefle & {es atentions pour ce 

. Prince, dans fa derniére maladie au 
Port de Tunis , #. XI. Il entend fa con- 
feflion. Reçoit fes derniers foupirs. Et 
entreprend d'écrire fa Vie par un ordre 
exprès du Pape, #. XIV. Qui la lit avec 
plaifir , #. XV. Ufagc qu'on fait à Rome 
de cet Ecrit, #. XVI. Mort de Geofroi 

. de Beaulieu. Son éloge , #. XVII. 

B. GeranD, Dominicain, premier Evè- 

- que dans là Ruflie-rouge. Chargé de plu- 

| Le commiflions par Grégoire IX , p. 
2f4, © 180. 

GERARD , Archevêque de Mayence, in- 
juftement oprimé, & perfécuté par l'Em- 
pereur Albert , p. 692. Et délivré de cette 

. Véxation par Benoît XI, sbsd. n. XLIV. 

GERMAIN, Patriarche Grec de Conftanti- 
nople. Ses conférences avec les Nonces 
du Pape , pour la réünion des deux Egli- 
fes,p.10$ ,n. IX, &c. 

B. GILLES DE SAINTE IRENE. Ses parens. 

Sa naïffance, p. 76 ,n. I. 11 cft chargé de 
Bénéfices, prefque dès fon enfance, #. I]. 
11 (e livre au plaifir, & à des projets 
d'ambition , #. LI. Son ardeur pour dé- 
couvrir les fecrets de la Nature, #. IV. 

“Faits extraordinaires : mais peu fondés, 
raportés à ce fujet , #. V. Il vient à Pa- 
ris, & fe fait recevoir Docteur en Mé- 
decine , #. IV. Sa converfion & fa péni- 

 tence dans l'Ordre de S. Dominique, #.. 
VI. Son humilité , ». VII. Sa charité, 
». VIII. Epreuves , & fidélité à la Grace 
defa Vocation, #. IX. Dans quel efprit 
il étudie la Théologie, & lit les faintes 
Ecritures , #. X. Commencemens de fes 
travaux Apoftoliques, #. XI. Le Roi 
de Portugal le charge de faire bâtir un 

.  Monaftére de fon Ordre à Sainte-frene, 

- #. XII. Eftime qu'on a pour le Saint à 
k Cour de ce Prince, #. XIII. Fruits de 
fes prédications à Coïmbre, #. XIV. Il 

. eft él Provincial d'Efpagne, #. XV. 
Services qu'il rend à l'Etat dans un tems 
de trouble, #. XVI. 11 eft infulté par un 
fatieux , dont il prédit la fin tragique, 
#. XVII. Don Sanche II, & Alfonfe 


III l'honorent de leur confiance, n. 
XVIII. Il fe démet de fa Charge de Pro- 
. vincial, ». XIX. Ses fages maximes, 
n. XX. on le met encore à la tête de [a 
Province, #. XXI. Il va vifiter les Mo- 
naftéres de l’1fle de Majorque , ». XXII. 
Combat dans fon voyage une ridicule 
fuperitition , #. XXIIL. Apaife par {es 
RE une violente tempête , #. XXIV. 
orte un vindicatif à {e réconcilier avec 
fon ennemi, n. XXV. Réglemens faits 
dans fa vifice, ». XXVI. I] obtient une 
feconde fois fa démiffion, ». XXVII. 
Sa retraite, ». XXVIII. Sa réputation, 
#. XXIX. Sa mort précieulc, #. XXX, 
Son culte, ». XXXI. 

GNESNE, en Pologne. Trifte état de cette 
Eglife Primatiale. Abus introduits pour 
l'Elcétion du Prima, p. 375$, 376. 

GONÇALEZ D'ÂAMARANTHE | SAINT. ] Son 
Education auprès de l’Archevêque de 
Brague , p. 61, n. II. On le charge de 
la Cure, ou Abaïe de S.. Pélage , ». IV. 
Sainteté de fes intentions. Régularité de 
fa conduite, 7. V. Fruits de [a vigilan- 
cc, & de fa charité, #. VIL. Il conçoit 
le deffein d'aller vifiter les Lieux fainte. 
dans la Paleftine , #. VILI. Er le com- 
munique à {on Evêque:,.x. IX. Eprouve 
un jeune Eckéfiaftique qu'il veut métre à 
fa place, #. X. Sages avis qu'il lui don- 
nc, #. XI. Il part pour la Terre-Sainte. 
Sa pauvreté dans ce voyage , #. XII. 
Son féjour , & fa dévotion dans.les Lieux 
faints, #. XIII. Conduite fcandaleufe 
du Vicaire de S. Pelage , n. XIV.. Il pu- 
blic fauffement la mort du faint Abé, & 
fe fait donner le Bénéfice ,#. XV. Le 
Saint revient à fon Eglile, #. XVI. Eft 
maltraité par l'Intrus , #. XVII. Sa dou- 
ceur , & fa patience, »#. XVIII. 11fe re- 
tire dans le Défert d'Amaranthe, #. XX. 
L'odeur de {es vertus y atire les Peuples : 
il les inftruit , #. XXI. Reçoit l'habit des 
FF. Prêcheurs des mains d'un autre 
Saint, #. XXIII. Sa ferveur, #54 Il 
continue fes fervices au Peuple d'Ama- 
ranthe,#. XXIV. Entreprend la conf- 
truction d'u Pont fur la Riviére de Ta- 
maga,”. XXV. Succès de cette dificile 
entreprile, #. XXVI. Perfévérance du 
Saint dans le facré Miniftére,#. XXVII. 
Sa mort,r. XX VIII. Son culte,». XXIX. 

Grecs fchifmatiques. Leur opiniätreté , & 
leur fourberie , p.170. Leurs Conféren= 
ces avec les Nonces du Pape, fur la pro- 
ceflion du S. Efpric, &c. p. 205$, &c.. 
Leurs erreurs fur la matiére de l'Eucha- 


TABLE 


92 

/ riftie, p.214 116. Aion fchifma- 

. tique d'un Prêtre Grec, p. 205. 

GREGOIRE X. Sa Création, p. 169, ». XIV. 
Sa Conftitution pour l'Eleétion du Pape, 
publiée dans le Concile de Lyon, p. 356. 
Grandes conteftations excirées à ce fu- 
jet , bid. Mort de ce faint Pape , p. 358. 

GreGOIRE CRESCENS , Cardinal , Légat 
du S. Siége dans le Nord , p.270, 271, 
Son zéle, fes travaux, & fes fuccès dans 
cette Légarion ,p. 272, 273. il récon- 
cilie le Roi de Bohéme avec l'Evêque de 

_ Prague, p. 274. 

Guecres & GiB8ELINS. Troubles caufés en 
Italie par ces deux faétions ,p. 394, 395$» 
&cc. Sédition excitée par les Guelfes con 
tre le Cardinal Nicolas de Prato, Légat 
du Pape,p. 710 , 7113 712. Horrible 
cruauté des Gibelins, pour venger cette 
injure, p. 712, #. XVIL. Autre fuite de 
ces divifions , p. 713, 7. XVIII. 

Gur Fuccont , ou Gui LE GROS. Lettre 
de ce Prélac aux Religieux de Montpel- 
lier. Fait extraordinaire qu'elle raporte , 
p.116, n. XXXII. 

Gui Ds Succy, Dominicain, p. 405, n. I. 

- Et plein de l'efprit de fon Ordre, ». Il. 
Fait Archevêque de Bourges , #. II. 
Reçoit le Pallium , n. IV. Premier Con- 


cile Provincial fous ce Prélat ; #. V. A- 


bus qu'il entreprend de corriger, ». VI. 
Son zéle, & fa vigilance, ». VII. Sa 
charité, #. X. Second Concile à Auril- 
lac ,»#. VILL. Troifiéme Concile à Bour- 
ges, n. IX. Mortdu faint Archevêque, 
n. XI. 
Gui pe La Tour Du PIN, p. 474. Il 
entre fort jeune dans l'Ordre de S. Do- 
* minique, ». 1. Fait Evêque de Clermont 
à l'âge de 18 ans, #,. Il. Sa conduite 
dans l'Epifcopat, #. III, Il reçoit la vi- 
fite de S. Louis, »#, IV. Fait cefler les 
juftes plaintes de l'Archevèque de Bour- 
es, #. V. Eft demandé par une tr 
d Chanoines de Lyon pour Archevé- 
An: n. V1. S. Louis lui envoye -plu- 
eurs Reliques, #, VIII, Lettre de ce 
faint Roi, #. IX. Monumens de la li- 
béralité & du zéle du pieux Prélat, ». X. 
11 termine quelques diférends entre l'Ar- 
chevêque de Vienne , & le Chapitre de 
Romans, #. XI. Préfence le Pallinm 
à l’Archevèque de Bourges, »#. XIL. Eft 
pris pour arbitre par le Comte de Ro- 
dez, n, XII. Er aflifte au Concile 
d'Aurillac, #. XIV. Ufage de fes reve- 
nus en faveur des pauvres & des Eglifes , 


2, XY, Samort, #. XVI, 


Guizrauus De Cnanrrts, Chapelain de 

. S. Louis. , entre dans l'Ordre des Freres 
Prêcheurs, p. 301, #. XVIII Conri- 
nue de refter auprès de ce Prince , sbide 
Eft fait prifonnier avec lui en Orient , 
n. XIX. Et le fuit partout , après {a dé. 
livrance, #. XX. Aflifte à {a mort, sbsd.. 
Ajoute quelques Faits à l'Hiftoire de fa 
Vie, omis par Gcofroi de Beaulieu, #. 
XXI. Et as fes jours dans le Minif. 
tére de la Parole, s5b1d. | 

GuiLLAUME , Evêque de Modéne, envoyé 
Légat dans la Prufle contre l'Apoftar 
Suantopoulc, p. 142, 243. 

GUILLAUME DE HOLLANDE , élù Em 
reur après la dépofition de Frédéric [I 
p.231. Election de ce Prince ataquée par 
les partifans de Frédéric, p.232. 


GuiLLAUME DE HOTun. Sa profeflion 


p. 603. Ileft élù deux fois Provinciä 
d'Angleterre. Honoré de l'amitié d'E- 
douard I. Fait Ambañfadeur de ce Prince 
vers le Pape. Qui jui donne aufñli {a con- 
fiance, p. 604 Sacré Archevèque de 

Dublin. Et Médiateur de la paix entre 

les Rois de France & d'Angleterre, pe 

605. Après une longue & cruelle guerre, 

p- 606. Il eft chargé d’une feconde Am- 

baffade auprès de Sa Sainteté ; & retour- 

ne à {on Eglife. Sa mort , p. 607. Ses 

Ouvrages, p. 608. 

GUILLAUME DE MACLESFELD , favan£ 
Théologien Anglois , défend la Doc- 
trine de S. Thomas, contre Henry de 
Gand,p. 727. Sa mort en Anglererre,dans 


le tems qu'on lui décernoit la Pourpre à 
Rome, p. 728. 
GUILLAUME DE MONGRIN. Son Elettion 


à l'Archevêché de Tarragone , confiée à 
S$. Raymond ,p. 19, #. XXXI. 
GuiLLAUME DE MORBECA , p. 410. Il 
entre dans l'Ordre des FF. Prêcheurs. Ses 
pos dans les Siences & l'Etude des 
ngues, Ses Ouvrages, ibid, Ses Em- 
plois, & fa réputation à la Cour de Ro- 
me. Ufage qu'on fait de fes ralens dans 
le fecond Concile de Lyon , p. 411. Il 
eft fait Archevêque de Corinthe. Er fe 
rend à fon Eglife. Ses travaux pour y 
rétablir la pureté de la Foi, & des mœurs. 
Ses autres ocupations. Sa mort, p. 412. 


GUILLAUME PERAULT. Sa Patrie. Sa pro- 


feffiun. Sa fience. Sa piété. Ses grands 
talens pour la Chaire, p. 182. Eloge de 
fes Ecrits par M. Dupin. Réfléxion cri- 
tique fur la Dignité d’Archevêque de 
Lyon , atribuée à Perault, p. 183, 184 
Ses Ouvrages, ibid. Gr p. 185. 
GUILLAUME 


#7 > _* m2 


4 bd 


k 


.. Nes 


it nn 


i TA \ . 


kr F D ° 


DES 


Guicraums DE TRiIPOLI, p. 288. Son 
Education , ». I. Il fe confacre 2]. C. 
‘* n. IL Combat les erreurs de Ma- 
* homet, par fes Difcours & par fes E- 
- crits, #. III. Il contraéte une étroite 
- amitié avec l'Archidiacre de Liége, de- 
-_ puis Pape, #. IV. Son deflein däns fon 
- Ouvrage contre l'Alcoran , #. V. Il bä- 
tife un grand nombre de Sarafins ; #. VI. 
Et eft envoyé par le Pape vers le Grand 
Can des Tartares , »#. VII. 


H 


ENr1 III Roi d'Angleterre. Ses arti- 
fices pour reprendre fur la France, ce 
que fes ancêtres y avoient poflédé, p. 
128. Troubles & aflitions quiacompa- 
*_ gnent fon Réone, p. 416. 


. Henry Archevêque de Prufle, de Livonie 


& d'Eftonie, Primat d'Irlande, & Lé- 
gat du Pape. Son éloge par Innocent IV, 
p.253,7. XXVI: | 
Henry, dit Le BEGus , Roi de Suéde. 
Piété de ce Prince , p.273, ». VIIL 
Henry Lanrgrave de Turinge, élù Em- 


pereur après la dépolition de Frédéric II, 


p-2131. 

Henry VII, élù Empereur, p. 718. N'eft 
point reconnu par les Breflans , ÿ. 720. 
La République de Gencs fe foumet à fon 
autorité , p.721. 


HENRY POLONOIS , p. 240. Ses progrès 


fous la conduite de faint Hyacinthe. 
Ses travaux & fes fuccès dans le Minif- 
tére , ». II. Son zéle en faveur des an- 
cicns Chrétiens de Prufle, & contre l’a- 
poftafñe du Duc de Poméranie, ». IT, 
IV. 11 prêche la Croifade contre ce 
Prince , sbid. Qui eft défait par les 
Croilez , ». V. Le Pape écrit au Pere 
Henry, ». VI Qu'il fair fon Commif- 
faire Apoftolique , #. VII. Lui acorde 
plufieurs pouvoirs & priviléges, pour 
rendre fon Miniftére plus urile, »?. VII. 
: Ufage de ces pouvoirs ,. IX. Il eft nom- 
mé a l'Evéché de Culme, ». X. Vices & 
fuperftitions des nouveaux Chrétiens de 
ce Diocéle , #. XI. Zéle du Serviteur de 
Dicu pour les détruire, #. XII. Il affifte 
au Concile de Brélau , #hid, Travaille 
avec le Légac à ailurer une paix folide, 
ñ. XIL. Réforme fon Chapitre, ». XIII. 
Couronne, par ordre du Pape, Mendog 
Roi de Lithuanie , nouvellement con- 
verti alaFoi,#. XVI. Donne un Evé- 
que aux Lithuaniens, #bsd. Prèche l'E- 


-. vangile dans leur Pays, #. XVII. Apof- 


Tome L. 


MATIERE S. 79; 


tafie , & cruauté de Mendog, #. XVIIE, 
Perfécutions des Payens É Prufle , ». 
XIX. Zéle & fermeté de l'Evêque de : 
Culme , ». XX: Sa charité envers les 
Fidéles perfécurés, #. XXI. Prêche, & 
fait prècher la Croifade contre les Infi- 
déles , ». XXIV. Et meurt dans les tra- 

. vaux de l’Apoftolat, 7. XXV. 

HereTiQuEs Albigcois, réfugiés en Efpa- 
ges p. 37. Leurs artifices pour féduire 
es Fidéles , sbid. n. 61. 

HERETIQUES , confondus & chafñlés de 
quelques Villes d'Allemagne , p. 454, 
455 456. | 

M. Hovurevicer. Excès defa Critique fur 
le Livre de Raymond-Martin, intitulé : 
le Poignard de la For. Réflexions fur la 
même critique , p. 498 ; 499 , $00 , : 
SOI, $o2. | 

Hucozin , Dominicain , Evèque de Ri- 
mini ,f. 641. 

Hucues AYCELIN, p. $73. Son Education, 
n. Il. Son mépris pour le Monde, ». 
III. Ses rapides progrès dans les Sien- 
ces. Il ns & cnfeigne avec honneur 
en France, & en Italie, #. IV. Eft fait 
Maître du Sacré Palais, #7. V. Cardi- 
nal, sbid, Et Doyen du Sacré Collége, 
n. VI. Couronne Boniface VIII. Tab” 
ment d'Hugues Aycelin, »#. X. Ses Ou- 
vrages, #. XI. Il n’a jamais été Arche- 
vêque de Lyon, #. XII, XIII. 

Hucves DE S. CH£r. Naiïflance , & Pa- 
trie de ce Grand Homme, p. 201 ,n. I. 
Qualitez de fon efprit , ». LI. Son entrée 
dans l'Ordre de faint Dominique, »#. III. 
Ses ocupations. Ses Emplois , #. IV. Le 
Pape l'envoye avec quelques autres Re- 
ligicux vers l'Empereur, & le Patriarche 
des Grecs, #7. V. Arivée des Nonces à 
Nicée, sb:4. Acueils du Patriarche, & 
de l'Empereur , ». VI, VII. Premiére 
Conférence à Nicée. Les Grecs ne veu- 
lent point commencer 13 difpure. Les 
Nonces propofent la queftion de la Pro- 
ceflion & S, Efprit , #7. IX. Seconde 
Conférence. Embarras des Grecs, ». X. 
Troifiéme,quatriéme Conférences. Leurs 
contradictions , #. XI, XII. Cinquié- 
me , Sixiéme Conférences {ur Ie même 
fujer , 7. XIV, Sepriéme Conférence fur 
l'Euchariftie , », XV. Subrerfuge, & dé- 
lai du Patriarche Germain, ‘b:4. Con- 
férence entre l'Empereur & les Nonces, 
qui partent pour Conftantinople , ». 
XVI. Le Patriarche leur écrit, pour les 
javiter à un Concile, #. XVII, L'Em. 
pereur les fait prier de venir le joindre 


HHhbhkh 


TABLE 


794 

#. XVIII. Raïfons qui Îles y dérermi- 
nent, ». XIX. Concile de Nymphée, 
n. XX. Détours & variations des Schi(- 
Smatiques. Charité des Nonces , sbid. 
Leurs plaintes dans ce Concile , #. XXI. 
Réponfe des Grecs, #. XXII. Replique 
des Nonces , #. XXIII. Entretien de 
l'Empereur Vatace avec les Nonces , ». 
XXIV. Suite du Concile de Nymphée, 
n. XXV. Erreurs des Grecs, #. XXVI. 
Ils fignent leur Profeflion de Foi, & la re- 
métent aux Nonces , ?. X XVII. Ils fonc 
hors d'état de leur prefenter un Exem- 
plaire de l'Ecriture-Sainte , sbid. Yndigne 
politique , pour la réünion des deux E- 
glifes , concertée entre l'Empereur & les 
Grecs, n. XXIX. Et hautement rejétée 
par les Nonces, #. XXX. Conclufion 
du Concile de Nymphée, #. XXXI. Les 
Nonces fe retirent ,#. XXXII. Refufene 


de rendre aux Grecs la Profeflion de Foi . 


qu'ils enavoient reçüé, #. XX XIII. Me- 
paces, artifices , & violences de ceux-ci, 
#. XXXIV, XXXV. Ils reprennent de 
force leur Ecrit, & reviennent aux pa- 
roles d’honéteté, #. XXXVI. Hugues 
de S. Cher de retour en France commen- 
ce fes Concordances fur la Bible, ». 
XXXVII. Gouverne une feconde fois 
la Province de France ,7. XX XVILI. Dé- 
termine faint Raymond à accepter læ 
Charge de Général , . XXXIX. Son 
fentiment’ fur la pluralité des Bénéfices , 
#, XL. Innocent IV le charge de di- 
verfes Commiflions, #. XL IV. Le fait 
Cardinal ,». XLV. Et fe fert utilement 
de lui dans le Concile de Lyon, ». XLVI. 
Hugues de S, Cher n’a point été Arche- 
vêque de cette Ville, #. XLVII. Quoi- 
que poftulé par le Chapitre, ». XLVIII. 
Il va en Allemagne, avec la qualité de 
Légat à latere, n. L. Reçoit des hon- 
neurs extraordinaires à Strafbourg, ibid. 
Fruits de cette Légation, ». LI. Droi- 
ture & intégrité du Légat, ». LI. Il fait 
célébrer dans l'étenduë de fa Légation les 
Fêtes du S. Sacrement , & de $. Domi- 
nique, 7. LIII, LIV. Retour du Car- 
dinal en Italie. Ses ocupations, »#. LV, 
LIX. 1! contribue à l’'Elcction d’Aléxan- 
dre IV,n.LVII. Examine & condamne 
ar fon ordre deux mauvais Livres, ». 
VU. Sa mort, ». LX. Son corps eft 
porté à Lyon, »#. LXI. Edirions de fes 
rincipaux Ouvrages, #. LXII. Son 
loge, n. LXIV. Doutes de auelques 
Ecrivains fur l’Auteur des Concordances 
de La Bible, #. LXILL : 


Humserr DE ROMANS, p. 320. Sa naïf. 


fance, & fon Education, #. [. Ses Etu- 
des a Paris , »#. II. Sa cendre piété. Ses 
progrés dans les Siences , #. 1Ï[. Sa Vo- 
cation à l'Ordre de S. Dominique, #. 
IV. Sa ferveur, ». V. Ses Emplois en 
France , ». VI. Dans la Paleftine , 7. VII. 
En Iulie, #. VIIL. Sa grande réputation ,, 
#. IX. Il gouverne pendant dix ans Læ 
Province de France, 7, X. Er eft fait 
Général de fon Ordre, #. XI. Sagefle 
“de fon gouvernement, #. XII. Il reçoit 
les vœux de la jeune Princefle la B. Mar- 
pose de Hongrie, #. XV. Le Pape 
ui adreffe deux Lettres, #. XVI. Son 
zéle pour la converfion des Infidéles, #. 
XVIIL. Chapitre de Milan tenu à ce 
ce fujet, ibid. Empreffemens de fes Re 
ligieux, pour fe prêter à es deffeins , #. 
XIX. Lis travaillent avec fuccès a la con- 
verfion des Maures, #. XX. Atencions: 
du fage Supérieur , pour pacifier quelques 
troubles , #. XXII. Fruits de fes foins 
& de fes priéres , #. XXIV.. Sa Lettre à 
tous les Religieux de fon Ordre, ». 
XXV. Ileft admis au Confeil de fainc 
Louis , ». XXVI. Empêche Bela IV de 
s'allier avec les Tartares, #7. XXVIII. 
Reçoit des Lettres de ce Prince, & de 
fon Epoufe, #. XXIX. Ecrit au B. Al- 
bert, pour l'engager à refufer l'Evêché 
de Rauifbone, #. XXX. Se démet de 1z 
Charge de Général, #. XXXI. Et re- 
fufe le Patriarchat de Jérufalem , ». 
XXXIII. Portrait de ce grand Homme ,, 
n. XXXII. Ses ocupations daus la re- 
traite , #. XXXIV. Ses Ouvrages, #.. 
XXXV. Ecrit important du P. Hum- 
bert, confervé dans la Bibliothéque di 
Vatican, #7. XXXWVI. Analyfe de ce Li- 
vire, #. XXXVII. Ses autres Ecrits , #. 


‘XL. Ileft chargé de régler tout ce qui 


regarde l'Ofice Divin à l’ufage des Freres. 
Prêcheurs , #. XX XVIII. Le Papeaprou- 
ve fon travail ,#. XXXIX. Mort de 
ce faint Perfonage ; & fon Eloge , ». 


I 


| Fe » Roi d'Aragon. Choifit fainr 


Raymond to fon Confeifeur , p. 9. 
Dieu lui infpire de procurer l’établiffe- 
ment d’un Ordre pour la rédemption des 
Captifs. Il afifte à la folemnité de la 
Véture de S. Pierre Nolafque, premier 
Supérieur de cet Inftitut, p. 10. Chaile. 
les Maures de tout le Royaume de Va 


LL RE 


ss +11 = |: 


Pi 


= © \è °° 


RL Tee 


DES MATIERES. 


%nce , p: 22. Grandes qualitez de ce 
Prince, p. 43. Obfcurcies par fon in- 
continence, sb:4. #. LXVIII. Ses amours 
illicites pour Berengere , p. 506. Le Pape 
l'avertit charitablement ; & le menace, 
p. 508. Son heureux changement, p. 
45. Il foutient long-tems des guerres 
contre les Sarafins, p. 370. Opolitions 
qu'il trouve dans fes Sujets , pour la le- 
vée des impots, p. 371. Succès de la 
guerre des Croilez sbid. n. XIII. Ce Roi 
refufe de payer le tribut du Royaume 
au Pape, p.372. Qui ne veut point le 
couronner , f. 373. 


Jaques BoNcaMBiO, Noble Bolonois , 


eft touché des prédications du Bienheu- 


. reux Jean de Vicence. Se fait Domini- 


cain , p. 171. Devient un modéle de 
pénitence & de ferveur. Et célébre Pré- 
dicateur. Eft nommé Vicechancelier du 
Pape. Enfuite Evêque de Boulogne. Eta- 


_ blit folidement la paix parmi fes Conci- 


toyens ,p. 172. Les réconcilie avec les 
Peuples voifins. Et diflipe les éforts de 
cueloues féditieur. Répare fon Eglife 
Cathédrale. Confacre celle des Religieux 
de faint Dominique & de faint François. 
Met la Ville fous la proteétion de ces 
Saints, p. 173. Efets du zéle & de la cha- 
rité du faint Prélat. Il eft envoyé Légat 
Apoftoliqueen Angleterre , p. 174. Mo- 
cs , & fuccès de certe Légarion. Il re- 
tourne à fon Eglife. Y meurt en odeur 
de fainteté. Eft enterré parmi fes Freres. 
Ses Ouvrages, p. 175. 


Jaques CRESCENTI. Son Education, par 


les foins du Cardinal Crefcens fon on- 
cle ,p.170,n. I. Ses ob dans l'é- 
tude des Siences, #. II. Îl acompagne 
fon oncle dans fa Légation du Nord, n. 
II ,IV. S'atache à S. Hyacinthe, ». 
XII. Devient fon Difciple dans l'état 
Religieux , #. XIII. Son imitateur dans 
fa piété, & fa ferveur, ». XV. Et (on 
Compagnon dans fes travaux, ». XVI. 
Fruits de fes prédications, #. XVII. 
Guerres entre quelques Princes Chré- 
tiens ,#. XVIII. Le Pape charge Jà- 
ques Crefcens de travailler à leur récon- 
ciliation , #. XIX. Travaux du Miflion- 
naire dans la Rufie-rouge, #. XX. Ido- 
Rtres & Schifmatiques convertis , n. 
XXI. 11 leur fait donner un Evêque Ca- 
tholique , #. XXII. Réiinit les Princes 
du Nord contre les Tartares , #. X XIII. 
Procure de grands avantages à la Reli- 
gion , ». XXIV. Eft fait Provincial, 
sbid, Sagefle de fon gouvernement , 


. LeSaintr 


sbid, Continuations de fes Miffions avec 
S. Hyacinthe dans la grande Rufie , ». 
XXV. Fonde plufieurs Monaftéres de 
fon Ordre dans les Provinces les plus 
reculées , ». XXVI. Sa mort précieufe, 
n. XXVII. 


. JAQUuES De MEVANIA, p. 619. Sa Vo- 


cation à l'étac Religieux, & fa fidélité à 
y répondre , #. I, LL Son atention À 
fanuifier fes Etudes , »#. III. Efprit de 
zéle, de charité , & de pénitence , #. IV. 
Divifion pu les Mevantins , ss. VI. 

üffit à les réünir ,». VII. Fon- 
de un Couvent de fon Ordre dans la 
plus parfaite régularité, #. VIII, 1X. 
Continue fes pr dications, #. X. Com- 
bat avec fuccès les Nicolaïtes, »#. XI. 
Et en confond le Chef dans une Confé. 
rence publique , #. XIV. Cet Hérérique 


_ converti, #. XV. Nouvel Etabliffement 


en faveur des Vierges Chrétiennes , #. 
XVI. Miracles ie par l'interceflion 
du Saint, ». XVII, XVIII. Il combat 
quelques fuperftitions pleines d'impure- 
té,». XIX. Sa profonde humilité, ». 
XX. Sa erainte des jugemens de Dieu, 
n. XXI.{Acompagnée de ferventes prié- 
res, #. XXII. Ét fuivie d'une grande 
confolation , #. XXIII. Sa mort pré- 
cicufe, #7. XXIV. Son culte, #. XXV. 


JAQUES DE PLAISANCE. Sa naiflance. Sa 


profeflion, p. 135$. Il eft élù Evêque de 
Plaifance. Préfére la paix aux droits qu'il 
avoit fur cette Eolife. On lui donne le 
foin de celle de Vintimille. Bref d'Inno- 


. cent IV à ce fujet. Ce Pape lui perme 
… d'abfoudre des Cenfures L 


(ervéces au S. 
Siége , sbid. Mort du fainc Evêque, 
P. 136. 


B. JAQUES SALOMON , p. 763. Son Edu- 


cation. Son inclination à la piété. Ses 
pratiques de dévotion dans fa plus ten- 
dre enfance , p.764. Sa Vocation à l'Or- 
dre de faint Dominique. Son ardeur pour 
aquérir la perfeétion. Moyens qu'il prend 
a cela, p.765. Son zéle pour ke fa- 
ut du prochain, p. 766. Il quite fa Pa- 
trie, pour éviter les louanges. Se retire 
dans un Monaftére fondé dans la plus 
parfaite récularité. Ses Pope dans ce 
nouveau Sanétuaire. Son humilité. Sa 
dureté pour lui-même, p. 767. Sa ten- 
dre charité pour les autres ; furtout pour 
les pauvres, & les afligés, p. 768. 11 eft 
furnommé leur pere, & leur ami. Eficace 
de fes difcours , & de fes priéres pour la 
converfion des pécheurs, p.769. Con- 
verfion admirable d'un vindicatif , p. 
HHhhh :ij 


96 
G 770. Connoïffance des cœurs acordée 
au Serviteur de Dieu. Religieux Servite 
délivré par fon moyen d'une violente 
tentation ,p. 771. Prodiges opérés par 
fon interceflion. Sa fagefle & fes maxi- 
mes dans le gouvernement de fes Freres , 
p.772 @ 773. Son courage & fa pa- 
tience , dans un mal long & cruel Sa 
mort. Son culte, p.774, 775$. 

JAQUES DE VORAGINE, p. $83. Sa Pa- 
tric,#.]. Ses premiers éxercices dans 
l'Ordre de faint Dominique, #.1II. Il 
traduit le premier la Bible en Italien, ». 
III. Eft fait Provincial de Lombardie, 
n. IV. Député par le Pape, pour lever 
l'Interdit de Genes, #. V. Nommé Ar- 
chevèque de cette Ville, #. VI. Réünit 
les cfprits, extrêémément divifés depuis 
cinquante ans , #. VII & XI. Ses aten- 
tions pour régler le Clergé, & le Peu- 
ple, 7. VIII. Concile de: Genes , 7. IX. 
Guerre raluméc parmi les Genois, #. 
XII. Et folidement terminée par le Pré- 
lat, #. XIH Scs picufes libéralitez, ». 
XIV. LU fe dépoüille en faveur des pau- 
vres , & exhorte les riches à l’aumône, 
._#, XV. Fait donner aux Freres Prêcheurs 
plufieurs précicufes Reliques , #. XVI @& 
XVIIL. Portées d'Orient par les Croi- 
fcz, ». XVII. Mort du picux Arche- 
vêque, #. XIX. Méprife de M. Baiïller,. 
n. XX. Ecrits de Jäques de Voragine, 
n. XXI. Sa Légende dorée fort défec- 
tucufe,». XXIII. Trop eftimée pen- 
dant trois fiécles , 7. XXIV. Et enfuite 
trop féverement condamnée , r. XXV. 
Critique outrée de MM. Dupin , ». 
XXVIL. Er Baillet,». XXVIII, XXIX. 
JEAN, Archevéque &e Lunden, jété dans 
. des fers avec le Doyen de fon Chapitre 
par Eric Roi de Danemarc, p. 682. Mis 

en liberté par le zéle de Benoît XI, 

p- 683. 
JEAN, Dorinicain Sucdois , p. $22. Dif 
ciple de faint Hyacinthe. Imitateur de 
fon zéle Apoftoiique pour fa converfion 
des Infidcies. Son arention à former de 
bons Religieux, & de grands Miflion- 


naires , s#414. 1! eft fait Evêque d'Abo en 


Suede. Continue fes Miflions au dedans 
& av dehors de fon Diocéfc. Fruits abon- 
dans de fon zéie. Il eft transféré à l’Ar- 
chevéché d'Upial , p. 523. Fondc un 
célébre Collége pour des Ecléfiaftiques. 
Sa mort, f. 24. 

JLAN D'ABsevire, Cardinal Evêque de 
fainte Saïine, p. 12. Envoyé Légat en 
Efragne , aflacie faint Raymond à fa 


TABLE | 


Légation , pour le fuccès de la Eron2- 
de, n. XIX. Son eftime pour ce faint 
Religicux, p.1$, #. XXIV. Ilen fair 
un crand Eloge devant le Pape, #. XXV. 

emble un Concile à Tarraflone , p. 
12, #. XVIII. 


J£zAN DE L'ALLEU Chanoiïne de Notre-Da- 


me , & Chancelier de l'Univerfité de Pa- 
ris , eft nommé 2 l'Evèché de cette Ville. 
?- 733, 734. Il entre chezles Domini- 
cains, p. 735. Ses vertus.. Ses faintes 
ocupations , p. 736. 


JEAN DE BRIENNS, Empereur Eatin de 


Conftantinople. Trifte fituation de ce 
Prince en Orient, p. 21X Sa mort, 
p. 158. 


JEAN COLONNE , p. $09. Sa naïffance il- 


luftre , sbid. Sa piété. Son mépris pour 
le Monde. Il y renonce, pour fe ire 
Dominicain.. Le Cardinal de fainte Pra- 
xede , fon oncle, s'opofe à fa Vocation. 


. Elle eft éxaminée, & aprouvée par le 


Pape, p. $10. Conftance du jeune Re- 
ligicux f, p. sir. Sa ferveur dans le- 
Cloître. Succès de fes Etudes , #b:d. Ses 
Emplois. Ses prédications. Il eft fait Ar- 
chevèque de Mefline. Et Légat Apofto- 
lique , p. 512. Pacifie pour un tems les 
troubles excités par les Partifans de 
Mainfroi. Häbitans &e Mefline révoltés 
contre le S. Sièce , p. 513. Le faint Pré-. 
lat fe retire à Rome. Eft fait Vicaire du. 
Pape. Ses ocupations dans la retraite ,. 
p+ 514. Sa mort, ibid. Ses Ouvrages ;. 
P- 515, $16. 


JEAN DE DERLINGTON , p. 415. Succès. 
. de fes Etudes à Paris. Sa répuration à la: 


Cour d'Angleterre , skid. Henri JI1 le: 
choifit pour fon Confefleur. Er fe fert: 
de fes confeils dans fes aflitions. Droi- 
tuie & fagefle du faint Religieux. E-- 
douard I lui donne aufli fa confiance. 
Et le met à la tête de fes Ambafladeurs 
vers Île Pape Nicolas III, p. 416. Qui 
le fait Archevèque de Dublin, p. 4r7. : 
Ouvrages de ce Prélat ; & fa mort, sbid. 


J£sAN DE S. Giizes. Son habileté dans la 


Phyfique & la Médecine. Il eft fair Mé- 
decin de Philippe-Augufte , p. 138. Et 
Profefleur public de fon Art. Fréquente 
les Ecoles de Théologie. Obrient une 
Chaire dans certe Faculté. Et s'adonne à 
la Prédication. Eloge de fes talens , p. 
139. Saints retours {ur lui-même. Il fe 
dégoüte du Monde, p. 140. Et fe fait 
Dominicain. Circonftance édifiante de 
fa rctraite, p. 141. 11 continué fes Le- 
cons publiques à Paris , & enfuite à Tau- 


+" Es" LE 


LORS ES 


LES 


. vi 


+ 4 LR] 


HELLO OA ss du 


DÉS MATIERES. , 


. Joufe, $. 142. Compofe divers Ouvra- 
ges. Eft perfécuté par les Albigeoïis. Se 
retire par obéiffance à Oxford en Angle- 

terre, p.143. Et y remplir une Chaire 

- de Théologie. Ses Ouvrages , p. 144; 

n &œ 145. | 

JsAN Jourpain Savezzr, Noble Ro- 
main , Evêque de Padouëé, & enfuire de 
Boulogne. Sainteté de fa vie. Ses ta- 
lens, p. 648, 649. | 

JsaN DE Poe, Noble Pifan , de l'Ordre 

. des Freres Prêcheurs , Archevêque de 
Pife, p. 516. Enfuite de Nicofe. Ex- 
trême corruption des mœurs dans cette 
Ville. Zéle & vigilance du Prélat. Con- 
ciles tenus, pour rétablir la piété, p. 
s17. Eloge £ cet Archevèque dans un 
Bref de Boniface VIII ,p. 518. 

Jean DE Procipa. Efets de fa perfidie ; 
ou, Vépres Siciliennes, p. 526, 527. 
J5AN LE THEUTONIQUE, p. 95. Il fuit 
d'abord la Cour de l'Empereur, #. Il. 
S'en retire, & reprend fes Etudes, ». 
HI. S'atache à faint Dominique, ». IV. 
Commencemens de fes travaux Apotito- 
liques. 11 eft établi Grand Pénitencier de 
Rome, #. V. Grégoire X l'aflocie à fes 
Légats, n. VI. Ses prédications en Alle- 
magne , #. VII. Fruits de fon Minifté- 
re , & de fes priéres, #. VIII. 11 tra- 
” vaille avec prudence , mais fans fruit, 
à la converfion de l'Empereur. Epreuve 
de la vertu du faint Religieux, ». IX. 
Ses Mitlions dans les Royaumes du 
Nord, #. X. Il eft fait Evèque de Bof- 
nie, & ms du Pape , #. XII. Ses 
vertus Epifcopales , #. XIII. 1! abdique 
fa Dignité , »#. XV. Eft fait Provincial 
de Lombardie,r.XVI. Et Général de on 


Ordre , ». XVII. Sagefle de fa condui-. 


te, #. XVIII. Sa prudence , pour mé- 
nager des intérêts opolés , 7. XX. Il 
exhorte Frédéric à fe réconcilier avec le 
Saint Siége , sb1d. Sages Réglemens., 
pour les Etudes, la Doctrine, & la Pré- 
dication, #. XXII. Importans avis du 
pieux Général à {es Freres , p. 110, #. 
XXVI. Son zéleæour la Difcipline ré- 
guliére , p.118, #. XXXIII. Pour l'E- 
tude des Langues , ». XXXIV. Erpour 
la Prédication de k Foi chez les Infidé- 
les , ». XXXV. Sa mort, p. 122. Ses 
Ecrits, p. 123. Tranflation de fon corps. 
Ses miracles, p. 124. 

Jean DE VERCFIL, p. 148. Entre dans 
l'état Ecléfaftique. Enfeigne le Droit 
Canon à Paris ; & fe fait Dominicain, 
#. 1. Ses premiers Emplois dans fon 


97 
_Otdre, #. II. Il en eftfait Général, 


n, 111. Corrige , ou prévient les abus, #. 
IV. Sages règlemens, & fon atention à 
les faire obferver , »#. V. Traits édifians 
de fa ls » & de fon zéle , 7. VI. Cha- 
pitre de Boulogne, #. VII. Prédicateurs 
envoyés chez les Infidéles , ». VIII. 
Nonces Apoftoliques vers l'Empereur des 
Grecs, 7. IX. Lettre dù Pape à Jean de 
Verceil à ce fujet, #. X. Croifade pré- 
chée par les Dominicains contre les Tar- 
tares , sbid. Chapitre général de Lyon. 
Jean de Verceil aflifte au Concile tenu en 
certe Ville, #7. XIV. Sédition excitée con- 
tre lui par quelques faétieux , ibid, Il eft 
Envoyc du Pape vers les Rois de France 
& de Caftille, #7. XVI. Confirmé dans 
fa Légation par Nicolas II, #. XVII 
Eft nommé au Patriarchat de Jérufalem , 
n. XVII. Refufe cette Dignité , ». XIX. 
Veut abdiquer même le Généralat, 
XX. Ce qu'il ne peur obtenir, ». XXI. 
Son zéle pour faire anoncer la Foi aux 
Anfidéles ; & former des Prédicateurs , ». 
XXIII. Sa mort, ». XXIV. 


INQUISITEURS. Pouvoir acordé autrefois 


au Général des Freres Précheurs, d'en 
inftituer , & deftituer dans fon Ordre, 
p-114,n. XXX. 


IsMAEL, Sultan de ce nom , Prince des 


Sarañns. Ses Lettres à Innocent IV. Ti- 
tres as qu'il lui donne. Il reçoit 
avec bonté les Freres Précheurs. Confere 
avec eux fur la Religion de J. C. Et fuit 
néanmoins fes préjugez pour Mahomet, 
p-15$, 156. 


Juirs. Célébre Conférence , où le Rabin 


Moyfe de Girone eft confondn par le P. 
Paul Chriftiami, p. 485. Obftinarion & 
impofture de ce Rabin, p. 488. Aveu & 


. converfion d’une Fe partie des Juifs, 
__ p:486. Examen de leurs Livres, p. 48& 


G 506. 


L 


ÂTIN MALABRANCHE , p. S41. Ses 

talens , & fes premiers Emplois dans. 
l'Ordre des Freres Prècheurs , #. I. Ni- 
colas I11 le met à la rêre du facré Collé- 
ge, n. II. Et lui confic les afaires les. 
plus importantes, ». IV. Diférentes Eé- 
garions de ce Cardinal, #. V. Son habi- 
Îeté dans le maniment des afaires, ». VI. 
EL réconcilie les Guelfcs avec les Gibe- 
lins,»#. VIL Et s'atache également les 
deux partis, #bid. Les Florentins lui con- 
fient jufqu’au pouvoir de changer la for- 

HHhhh uj 


798 


me de leur Gouvernement , ou de la ré- 
+ gler, ». VII. Ce qu'il fait à Parme, ». 
© IX. à Rome , #. X. Sa modeftie, & 
{on défintéreflement , #. XII. Révolte 
des Habitans de Viterbe contre les Car- 
dinaux, ». XIV. Eleétion de Martin V, 
n. XV. Couronné par le Cardinal La- 
tin, »#. XVI. Ocupations de ce Cardinal 
fous ce Pontificat, ». XVII. Il Por 
Les Réguliers, #. XVIII. Examine les 
laintes du Clergé de Portugal contre les 
iniftres de la Cour, #. XIX. Etter- 
mine cette grande afaire , #. XX. Son 
zéle pour Ê propre perfection , ibid. 
Mort de Nicolas IV. Divifion des Car- 
dinaux , pour l'Election d'un nouveau 
Pape, #. XXI, XXII. Le Cardinal La- 
tin travaille à faire élire Pierre de Mou- 
ton, #. XXIII. Et meurt peu de tems 
après, #. XXIV. Son Eloge, #. XXV. 
Laurens , célébre Théologien , & Arche- 
vêque d'Acerenza, p. 1266 ,n. X. 
LeGENDE. Sage critique de Melchior Ca- 
no, contre les Légendaires peu éxaûts , 


?- 597. | 

LETTRE admirable de Nicolas Bocafini, 
Général des Freres Prêcheurs , & enfuite 
Pape , à fes Freres ,p. 661, ». X. 

LerrTRes de Bela IV Roi de Hongrie, & 
de Marie fon époule , au Chapitre géné. 

-_ ral des Freres Prêcheurs à Strafbourg , 

fur la piété de Jean le Teuthonique, p. 
124, n. XVIII, XX. 

Lours { Sarnr ] Roi de France. Sa piété 
& fon refpeét en recevant la fainte Cou- 
ronne , f. 158, 1$9 , 160. il reçoit 
une Ambaffade des Tartares, p. 162, 
163. Impofture des Ambaffadeurs , p. 
164. Ses maximes fur la diftribution des 
Bénéfices , p. 12124, ». XL. Il va en O- 
rient, p.292. Sa conftance & fa reli- 
gion dans la perte de fa liberté, p.293. 
Sa foumiflion édifiante aux ordres du 
Ciel, en aprenant la mort de fa mere, 
sbid, n. V. Son zéle & fa charité, sb1d. 
Il revient en France, ». VI. Paffe par 
la faince Beaume, ». VII. Marche une 

: feconde fois contre les Infidéles , #7. IX. 
Sa maladie devant Tunis ,». X. Ses ver- 
tus & (es pieux fentimens à la mort , ». 
XI, XII. Sa Vic écrite par Geofroi de 
Beaulieu , 7. XIII. Zéle des Freres Pré- 
cheurs pour la mémoire de ce Prince, 
p- 433,7. XIII. Et pour {on culte, p. 
666. Lettre touchante de Philippe IU 

* au Général des Freres Prêcheurs, fur la 
mort de ce faintr Roi, p. 429. 

Lyron. Trifte état de ete Eglife après La 


T A B 


L'Ê 

-__ ceffion de Philippe de Savoye, fon Eve. 
| que, p. 348 , n. X. Sédition des Ci- 
toyens contre les Chanoines , p. 349. 
Second Concile tenu en cette Ville, p. 
353. Son Décret contre la multiplica- 
tion des Ordres Religieux, p. ss, 


». M 


AINFROI , monte fur le Trône par 

un crime, hs $13. Porte fes conqué- 
tes dans la Pouille & la Sicile, 5h: 
Autres progrès tyranniques de ce Prince. 
Ses démélez avec le S. Siége, p. 174. Le 
Pape tâche de lui opofer les forces des 
François , p.265. Et celles des Anglois, 
?- 175. Ses nouvelles entreprifes con- 
tre Aléxandre IV, p. 181. Il ft défaie 
par Charles d'Anjou, p. $rs. 

MaRrCHESINE , Dame Vénitienne. Sa ten- 
dre piété, & fon parfait détachement des 
chofes de la Terre, dans l'érar même du 
mariage, p. 763. Elle fe fait Religieu< 
fe après la mort de fon mari, p. 764. 

B. MAaRGUERITE , -Princefle de Hongrie, 
confacrée à Dieu par fes parens , p. 325$, 
ñ. XIV. Fait Profcfion dans l'Ordre de 
faint Dominique, #. XV, Procès de fa 
Canonifation , p. 364, n. XL. 

MarTiN, Polonois , p.374. Sa Famille. 
Sa Vocation à l'Ordre de faint Domini- 
te Sa grande réputation de piété & de 
ience , bd. Ses Emplois auprès du 
Pape, p. 375. Ses Ouvrages , 1bid. € 
p. 377. Il eft fait Archevèque de Gnef. 
ne , & Primat de Pologne. Eft facré par 

_le Pape. Va à fon Eglife. Meurt en che- 
min ,p. 376. Célébre Chronique, com- 
pofée par ce Prélat, apellée Martinien- 
me, P. 377, 378 € 379. 

MarriN KOOL. Fin tragique de ce fcé- 
Jérat faétieux, p. 85, ». XVII. 

MaTHieu Paris, fufpeét de partialité, 
?. 107, n. XXIV. Exagération de cet 
Auteur, fur le crédit qu'avoient autrefois 
les FF. Précheurs & Mineurs, p.112, 
n. XXVIII. . 

Maures & Juifs ebftinés , chaffés d'Efpa- 
gne par Don Jäiques I, p. 36. 

MaxiMes | ee. des Miniitres de J, C. 
p. 87, n. XX. 

MELICSHALEH, Sultan d'Ecypte. Sa Let- 
tre au Pape Innocent IV, p. 147 € 148. 
Autres Letrres du même, en faveur de 
quelues Miflionnaires de l'Ordre de faint 
Dominique , p. 155. 

MENooG, ou MENDOF, Duc de Lithua. 


ON GOUT 


A 48 ct 


LT) LS 


DES MATIERES. 


_nle. Converfion réelle ou aparente de ce 
Prince idolâtre , p..246 , ». XIV. If fou- 
met fon Royaume au S. Siége, ibid, n. 
XV. Eft couronné folemnellement par 
ordre du Pape, sbid. n. XVI. Son in- 
conftance. Son apoltafie. Sa cruauté , 


.2$0. 

MeEvaniA, Ville de ce nom en Ombrie, 
prife & pillée par les Troupes de Fré- 
déric Il, p. 632. 

Missions des Freres Prècheurs en Orient, 
p.157, ». I. 

MONASTERE Royal des Religieufes de S. 
Dominique , fondé à Poifly par Philippe 
le Bel, à l'honneur de faint Louis, p. 
666, n. XIV. Et foumis a la jurifdiétion 
de Freres Prêcheurs , p. 667. 

MoncapE | GUILLAUME DE ]p. 741. Ex- 
célent Religieux , p. 742. Docteur & 
Théologal : Tarragone , Evèque d'Ur- 
gel, Légar Apoftolique. Dificulrez de 
certe commiflion , p. 743. Levées en par- 
tie par fon habileté. Son zéle pour le ré- 
glement de fon Eglile, p. 742 G 744. 
Sa tendre charité , sbid. Sa mort, p.745. 

MonraRrGis. Fondation du Monaftére des 
Rcligieufes de faint Dominique, fitué en 
celieu, p.115. 

MoRaANDI DE SIGNIA , Dominicain, p. 
393. Ses vertus & fon zéle. Il eft fair 
Evêque de Cagli, ibid. Et tâche d'y ré- 
tablir la paix, p. 394 Opiniâtreté des 
factieux. Le Pape foumet à l'Interdic cette 
Ville. La prive duSiége Fa , tbtd. 
Succès heureux de cette févériré, & des 
avertifflemens de Morandi. Cagli recou- 
vre fes anciens droits, & fon Paiteur, 
Atention du pieux Prélat à prévenir la 
difcorde, p.39$. Et à réformer les mœurs. 
Il eft transféré à l'Evèché de Fano. Sa 
mort. Ses Ecrits, p. 396. | 

MUNIO DE ZAMORA, p. 609. Ses pro- 

rès & fes premiers Emplois dans l'Or- 
fe des FF. Prècheurs, #. II. On le mer 
à la tête de toute la Province d'Efpagne. 
Et enfuite de tout fon Ordre, #. III. A- 
vantages de fon gouvernement , ». II, 
Ve XII. Sages avis qu'il donne à fes Re- 
ligieax , ». X. Son zéle pour la Doctrine 
de faint Thomas, #. V. Réglemens 
pour les Etudes, #. VI. Il écrit la Régle 
du Tiers-Ordre, #.1V. Tient fon Cha- 
pitre de Treves , 7. XI. Reçoit la vifite 
de l'Empereur, & du Roi d'Angjeterre, 
n. XII. Commencement de la tempête 
excitée contre le pieux Général, #7. XVII. 
Sa patience , & {on humilité, #. IX. Ni- 
colas IV l'honote d'abord de fes Lettres 


. 799 
Apoftoliques’ n. VIIL Se laifle enfuite 
prévenir contre lui, #. XII. Et veut lui 
perfuader d'abdiquer de lui même le Gé- 
néralat,». XIII. Lettre de deux Cardinaux 
écrite à ce fujet par ordre du Pape au 
Chapitre Général. Qui {e déclare en fa- 
veur de l'illuftre Perfécuté, ». XV. Sage 
conduite des Provinciaux qui le compo- 
fenc, #. XVI Leur réponfe aux deux 
Cardinaux , #. XVII, Nouvel éxemple 
de l'humilité, & de la patience du faint 
Supéricur , #. XVIIT. Sa juftification , 
& fon Eloge, #. XIX. Il préfide à ce 
même Chapitre, ». XX. Et enfuite à 
celui de Palence , 7. XXI. Où il reçoit 
Ja vifite & les bienfaits du Roi de Caf- 
tille, sbsd. Eft enfin dépofé par le Pape, 
n. XXIII. Retraite du Serviteur de Dieu, 
#. XXVII. Il refufe l'Archevêché de 
Compoftelle , & les Bulles que Nicolas 
. IV lui en ofre, 7. XXIV. Céleftin V 
l'oblige d'accepter l'Eglife de Palence , 
ñ. XXVILL Nouvelle épreuve du fainc 
Prélat, de la part de Boniface VIII, #. 
XXIX. Sa patience héroïque, #. XXX. 
Sa mort, #. XXXI. Caractére du Suc- 
ceffeur de Munio dans le Généralat , p. 
617, n. XXVI. | 


N 


Icozas III. Son Eloge, p. 548. 
Grande divifion dans le Conclave 


après fa mort , p. $49. Révolte des Ha- 
bitans de Virerbe contre les Cardinaux, 
sbid, n. XIV. 
Nicozas Evêque de Vintimille. Ses dé- 
: fordres. Sa dépofition, p.133, 134. 
B. Nicozas BocasiNi, ou BENOÏÎT XI, 
__ p.655. Sa Patrie, & {on Education, ». 
1, IL. Sa ferveur , & fa folide piété dans 
le Clottre, »#. III. Son humilité , & fon 
amour pour la retraite, #.V. Ses Etu- 
des , #.-IV. Son zéle pour le falut des 
ames , #. VI. Ses Ouvrages, ns. VII IL 
eft fait Provincial de Lombardie, »#. 
VIII. Et neuviéme Général de {on Or’ 
dre, #.1X. Conteftarions fur l'Elettion 
de Boniface VIII. Sages précautions du 
DE Supérieur , p. 664 Il cft envoyé 
once Apoftolique en France , #. XIIL 
 Accepte Ja Fondation du Monaftére 
Royal de Poifly, #. XIV. Envoye des 
Prédicateurs chez les Infidéles , 7. XV. 
Eft fair Cardinal, ». XVII. Bref de Bo- 
niface VIII, ». XVIII. Modeftie. du 
. nouveau Cardinal, ». XIX. Sa conduire 


890 


à la Cour de Rome , #. XX. Le Pape le 
met à la rêre du facré Collège, . XXL. 
Le fait fon Légaten Hongrie , #. XXII. 
Fait fon Eloge dans {es Bulles, ». XXII. 
Divifion parmi les Clercs & les Peuples 
Hongrois, #. XXIV. Fruits dela Lèga- 
tion de Bocañfini, #. XXV. Son retour 
enItalie, ». XXVI. 11 fuccéde à Boni- 
face VIII fur la Chaire de faint Pierre, 
n. XXVIII. Sentimens d'humilité dans 
{on Elévation , sb:4. Heureux commen- 


cemens de fon Pontificat, 7. XIX. La 


aix rérablie à Rome, #. XXX. Il arèce 
Le entreprifes de Frédéric Roi de Trina- 
cric, #. XXXI, XXXII. Et favorife 
le Roi de Naples. Son zéle pour remé- 
dicr aux défordres introduits en Dalma- 
tie & en Servic, 7. XXXIV, XXXV. 
pour réconcilier à l'Eglife le Roi de Da- 
nemarck, & {on Royaume, ». XX XVI, 
XXXVIL Et pour la converfion du Roi 
Orofc, n. XXXIX. Pourpre Romaine 
donnée à trois Religieux de {aint Domi- 
nique, ». XL. Eglife de faint Nicolas 
à Trevife, bâtie par la piété du faint 
Pape , #. XLI. Son afeétion pour la 
. France, 7. XLII. Premiéres difpotitions 
à la paix, ». XLIII. Ambañfladeurs de 
Philippe le Bel envoyés à Rome, ». 
XLIV. Lertre dont ils font chargés, p. 
686. Benoît XI les . avec bonté, 
#. XLV. Prévient les demandes du Roi 
pour lever les Cenfures, #. XLVI. Ré- 
tablit le Royaume & l'Eglife de France 
dans leur premier état, #. XLVIT. Con- 
firme tous les anciens priviléges de la 
Nation , & enacorde de nouveaux, sbid. 
Ilreçoit les Ambaffadeurs du Roi d'Ara- 
gon, #. L. Travaille à pacifier la Tof. 
cane , #. LI. Cite à fon Tribunal les Flo- 
rencins rébéles, #. LIT. Ecablit la paix 
entre les Villes de Padoue & de Venile, 
#. LIII. Juftice rendue à l'Archevèque 
de Mayence , #. LIV. Ra de Trente 
protégé, n. LV. Retenuc du faint Pape 
dans Pufage des Cenfures Ecléliaftiques , 
ibid. 11 déconcerte les deflcins des en- 
nemis de la paix, #. LVI. Réconcilic à 
l'Eglile les Siciliens , #. LVIL. Etles Ge- 
nois,#. LVIII Traitce favorablement 
Amédée Comte de Savoye , ». LIX. 
Réprime avec force l'avarice des Clercs 
de la Province de Bretagne. Et défend 
les Libercez de l'Eglife de Boulogne , x. 
LX. Sa générofité, & fon défintérefle. 
ment , %. LXI. Reforme de certains 
abus dans l'Eglife de Latran, #. LXII. 
Sa charité envers les Ordres Religieux , 


T A B LE 


#. LXIIL !1 reçoit les Ambañladeurs du 
Patriarche d'Orient , 7. LXIV. Et du 
Grand Can des Tartares, #. LXV Sen- 
timens du faint Pontife fur les divifions 
des Chrétiens, »#. LXVI. Sa mort, ». 
LXVIII Ses vertus. Son <e 7 
LX:X. Son culte, 7.LXX. Solemnel- 
lement aprouvé par Clément XII. 


Nicozas DE HANAPSs, p. 519. Commen- 


cemens de ce célébre Dominicain , ». I. 
Il cit fait Pénitencier du Pape, ». II. 
Nommé Patriarche de Jérufalem , #. III, 
IV. Se rend 2 fon Eglife, n. V. Son ar- 
dente charité, 5b:d. Trifte fituation des 
Chrétiens dans la Paleftine , ». VI. Con- 
quêres des Sarafins , sbid. Crimes multi. 
pliés parmi les Croifez, n. VII. Le Pa- 
re avertit le Pape de tous ces mal- 
heurs. Eft établi fon Légat , #. IX. Son 
zéle pour la converfion des Habirans 
de Prolémaide, ». VIII. Sa vigilance. 
Son afliduité à la priére. Ses prédica- 
tions , #. X. Endurciflement de ces mau- 
vais Chrétiens. Ils violent les premiers 
les Traitez faits avec les Infidéles, ». 
XI. Leur témérité, & leur cruauté, ». 
XII. Demandes du Sultan d'Egypte, #. 
XIIT. Imprudenment rejétées , #. XIV. 
Prolémaïde afliésée , ». XV. Le Patriar- 
che reléve le courage des Affiégés, 7. 
XVI. Extrèmément divifés entr'eux, #. 
XVIII. Et célébre pour la derniére fois 
les faints Myftéres , r. XIX. Prife de 
Pcolémaide, #. XX. Mort du faint Pa- 
triarche dans l'éxercice de la charité, ». 
XXI. Plufieurs faints Religieux font 
tués en éxerçant leur Minuiftére parmi les 
morts & les mourans, 7. XXII. Ouvra- 
ge de Nicolas de Hanaps, #. XXIV: 


N1COLAS AUBERTIN, dit DE PRATO , p. 


705. Religieux de faint Dominique. 
Etudic avec fuccès à Paris, n#. III Se 


. rend célébre à Rome & à Florence, par 


fes Leçons publiques & fes Prédications , 
#. IV. Et dans fon Ordre, par {on habi- 
leté dans le manîment des afaires , #bid. 
11 eft fait Supéricur de toute la Province 
Romaine. Procureur général de fon 
Ordre. Evèque de Spolete. Légat du 
Pape en France , #. V. Son Vicaire à 
Rome , #. VI. Cardinal Doyen du facré 
Collège, #. VII. Et Légat 4 latere dans 
pluñieurs Provinces d'Italie , #. VIII. 
S'atache le Peuple de Florence, nr. IX. 
Eit traverfé dans fes négociations par 
les ennemis de la paix, #. X. Artifices 
des Guclfes, pour rendre le Légat fuf- 
pet, & émouvoir contre lui le Peuple, 


5. XL 


| DES 
5, XT. Autre fourberie des mêmes, n. 
XV. Départ du Légat, ». XVI. Horri- 
ble cruauté des Gibelins, pour le ven- 
ger ,#. XVII & XVIII Conclave , 
ur l'Elction du Succeffeur de Benoît 
Er , #. XIX, Divifions des Cardinaux, 
#bid. Politique du Cardinal de Prato, 
ut faire élire Clément V, ». XXI, 
XII Sage confeil qu'il donne au 
nouveau Pape , #. XXVII, XX VIII. Il 
favorife l'Election de l'Empereur Hen- 
ri VIT, #. XXIX. Le couronne folem- 
nellement, #. XXX. Travaille à faire 
reconnoître fon autorité, #7. XXXI. 
Les Breffans s'y pans , #. XXXILI. 
La République de Genes s'y foumet , #. 
XXXIII. Autres éfets de la religion , & 
de la charité du pieux Cardinal , ». 
XXXV. Son retour en France, ». 
XXXVI. Il contribue à l'Ele&ion de 
Jean XXII, »#. XXXVIII Couronne 
le Roi & la Reine de Naples, 7. XXXIX. 
Et meurt à Avignon, #. XL. 
NOGARET | GUILLAUME DE |] Ses empor- 
temens facrilêges contre Boniface VII] ; 
. jufte févérité de Benoît XI à fon égard , 
. 690. é 
No ici d'Innocent IV vers les Tartares, 
Voyez ASCELIN , p. 145. 
Norp. Grofliéreté des Peuples de ces 
Contrées, p. 274 € 278. 


O 


Fice de faint Dominique. Auteur de 
ce petit Ouvrage, p. 168. | 

ORDRE des Freres Prècheurs. Sa gloire, 
& fa réputation, fous Le gouvernement 
de Jean LÉ Tenhonioue, p-111,%. XXI. 

ORDRE des Céleftins, mis fous la protec- 
tion dun S. Siége par Benoït XI , p. 697. 

ORDRE des Servites, confirmé par le mê- 
me Pape , sbid. _ 

ORDRE de la Mercy. Son Inftitution , 
p. 9. XIV, XV, XVI, XVIL Son 
Eloge , p.10, n. XXXV; & p. 31, 
n. LIII. 

-TiERS-ORDRE de faint Dominique. Ré- 
gle des Freres & Sœurs, écrire par Mu- 
aio de Zamora VIle, Général des Freres 
Prêcheurs, p. 611. 


P 


APrRONI, de l'Ordre de faint Domi- 

nique, p. 518. Ses progrès dans la pié- 

* té, & la Sience, ibid. Ses Prédications, 
Tome I. 


MATIERES. 


8or 
Il eft fait Procureur Général de {on Or- 
dre. Et Evêque de Foligni. Atachemene 
de cere Ville au pari de Frédéric. Elle 
cft foumife à l'Interdit général. Sa ré. 
conciliation avec le Saint Siége. Zéle du 
Prélat, pour y rétablir la piété, & la 

aix, p.19. Sa charité, Pieux Eta- 

liffemens. Fruits de fes Prédications 5 
p. 520. Ilcft transféré à l'Evéché de Spo= 
lete. Sa mort , p. fr. 

PAUL CHRISTIAN. L'Apôtre des Juifs, 
dans toutes les Provinces d'Efpagne , p. 

. 48$,n. I. Sa célébre Conférence avec 
le Rabin Moïfe de Girone , qui y eft 
confondu , #. II. Aveu & converfon 
des Juifs, ». IL. Edit du Roi d'Aragon, 
pour les obliger à recevoir partout, & 
écouter avec refpect ce Miffionnaire, ». 
IV. Paul Chriffiani prèche J. C. dans 
toutes les Synagogues , #. V. | 

PERSE'CUTION des Payens de Pruffe con.- 
tre les Chrétiens , p. 241 @ 150. Dé- 
faite des premiers , & leur punition, 5bid, 
#. XXII, XXII. Quelques-uns d'en- 
tr'eux fe convertiffent, p.150, #. XXI!II. 

Pxicipre Le Bec Roi de France, fait bâtir 
à Poiffy un célébre Monaftére de Reli- 
gicufes de S. Dominique, p. 666. Ses Let- 
tres au Général des FF. Prêcheurs , & au 
Provincial de France,pour leur en confier 
le foin , p. 667. Ses Démélez avec Bo- 
niface VIII, p. 675. Ilenvoye des Am- 
baffadeurs à Benoît XI, p. 685. Sa Let_ 
tre à ce Pape , p. 686. Qui leve les 
Cenfures | & rétablit l'Eglife de France 
dans fon premier état, p 688. Conqué- 
tes de ce Prince dans la Flandre, p. 606. 
Ses longues Guerres avec Edouard I > Pe 
60$. Terminées par la médiation * 
Guillaume de Hotun Dominicain > Âr- 
chevêque de Dublin , p. 606. 

PIERRE , Dominicain, Nonce du Pa 
vers l'Empereur , & le Patriarche des 
Grecs, p.103, »#. V. 

PIERRE D'ALAMON, Evêque de Sifteron. 
Sainteté de ce Prélat. Sa grande chari- 
té, & fes libéralirez. Il dE nommé par 
le Pape, pour métre les Freres Précheurs 
en poffeflion de la Sainte Beaume, A 651. 

PIERRE DES. ASTIER, Evêque de Péri. 
gueux , p. 303. Sa réputation. Ses ver- 
tus , #, I. Son zéle. Sa charité, & fa 
fermeté, #. II. 11 pare les Peuples, 
#. III. Employe utilement le miniftére 
des Freres Prêcheurs, pour la prédica- 
tion , 7. IV. Leur procure un Etablif. 
fement à Périgueux, ». V. Veur abdi_ 
quer fa Dignité , & imiter leur genre 

Il111 


801 
de vie, »#. VI. Favorile la Fondation 
d'un autre Monaftére , ». VII. Trouve 
les Reliques de S. Fronton, & en fait la 
Tranflation, #. VIIL. Obtient par de 
nouvelles inftances {a démiflion , #. IX. 
Et prend f'habit des Freres Prêcheurs à 
Limoges, #. X. Sa joye & fes faints 
éxercices dans le Cloitre , #. XI. Sa 
mort, #. XIL 

PIERRE DE CENDRA , P. 481. Sainteté & 
travaux de ce Miflionnaire , #. I. Il eft 
confulté par le Roi d'Aragon , #. II. 
Fruits de fon zéle, en Italie & en Fran- 
ce, #. IIL Sa mort précicufe , #. IV. 

PIERRE GALATIN , plagiaïre , p. 495. 

S.PIERRE GONÇALEZ. Sa naïffance. Ses pre- 
mieres inclinations ,p. 49 , #. I. Son élé. 
vation précipitée , #. II. Sa folle vanité , 
ñ.IU. L’humiliation produit fa conver- 
fion , #.1V. Ilentre dans l'Ordre de S. 
Dominique , #. V. Ses pratiques de pé- 
nitence , & de piéré, #. VI. Epreuves 
de fa vertu, #. VII. Fidélité dans fes 
réfolutions, #. VIII. Ses Etudes , #. IX. 
Fruits de fes prédications , #. X. Il ré- 
forme les mœurs dans la Cour , & l’Ar. 
mée du Roi de Caftille, 7. XI. On tend 
des piéges à fa chafteté | ». XII. 11 
triomphe de la tentation. Converfion 
d'une jeune Courtifane, #. XIM. Le 
Saint fe trouve à la prife de Cordoue, 
n. XIV. Utilité de Fes Miniftére , ». 
XV. Il abandonne la Cour, pour aller 
prêcher aux Peuples de Galice & des 
Afturies , #. XVI. Tempête apaifée par 
fes priéres ,»#. XVII. Il prédit le jour de 
fa mort, »#. XIX. Et eft béatifié hui 
ans après , #. XX. Or demande fa Ca- 
initio , 3. XXI. ILeft je USE 
ment invoqué fur mer, fous le nom 
de S. Telme, n. XXII. 

P1ERRE JEAN D'OLIvE. Sentimens erro- 
nés atribués à cet Auteur, p. 749,750. 
Examen de fon Ouvrage , 1bid. 

S. PIERRE DE NOLASQUE , fe met fous fa 
Direction de faint Raymond, p. #. Con- 
certe avec lui l’Inftitution de l'Ordre de 
la Mercy, p. 10. Reçoit de fes mains 
l'habit, & les Conftiturions de cet Or- 
dre, & en elt établi premier Supérieur 
Général , sbid. n. XVII. Son grand 
refpect pour les avis de ce Serviteur de 
Dieu , p. 34. 

PIERRE DE TARANTAISE, OU INNOCENT 
V. Sa naiflance, & fa Patrie, p. 345, 
n. 1. Son entrée dans l'Ordre de S. Do- 
minique , ». II. Qualitez de fon efprit 
& de fon cœur, #. III. Ses premiers 


- 


TABLE 


Emplois ; #. TV. Il enfeigne à Paris 
avec faint Thomas, #. V. Y cftr 
Doéteur, ». VI. Eft fait Supérieur de 
la Province de France, ». VII. Sagefe 
de fon gouvernement , #. VIII. Îlet 
nommé à l’Archevêché de Lyon , #. 
XII. Se rend à fon Eglife, réünit les: 
S ge , & pacifie les troubles, #. XIII. 
Eft revêtu de la Pourpre Romaine, 8&c 
fait Evêque d'Oftie , 7. XV. Paroît avec 
honneur dans le fecond Concile de 
Lyon, #. XVII. Abdique l'adminiftra- 
tion de cette Eglife, ». XVI. Fait l'E 
loge funébre de fait Bonaventure, »#. 
XVIII. Bâtife trois Seigneurs Tartares 
en préfence du Concile, #. XIX. Ter- 
mine quelques diférends entre le Clerge 
féculier & régulier, sbid. Eft honoré 
de la confiance du Pape , #. XXIV. 
Qu'il acompagne en Italie, #. XXV. 
Eft fait fon Succeffeur dans la Chaire 
de faint Pierre , #. XXVIII. Premiers 
foins du nouveau Pontife , pour la tran- 
uilité de l'Italie, #. XXIX. Il exhorte 
Genois 2 entrer dans fes vüës , -#. 
XXX. Son Couronnement , #. XX XI. 
Son atention pour les Chrétiens mena- 
cés dans les Provinces d'Efpagne, #. 
XXXII. Et dans la Paleftine,s. XXL, 
IL écrit à l'Empereur des Grecs , n. 
XXXIV. Réconcilie les Florentins à 
l'Eglife . »#. XXXV. Charge de nouvel- 
les Cenfures les rébelles, #. XXXVI. 
Pacifie la Tofcane, #. XXXVII. Em- 
pêche l'Empereur Rodolphe d'entrer eæ 
Halie, ». XXXVIIT. Ecrit au Chapi- 
tre général des Freres Prêcheurs , #. 
XXXIX. Et continue le Procès de la 
Canonifation de la B. Marguerite de 
Hongrie, #. XE. Mort de ce faint Pa- 
pe, #. XLI. Ses Ouvrages, »#. XLII. 
Son atachement à la Doctrine de faine 
Thomas, #. XLIII. 

PLAINTES des Se de Portugal contre 
les Miniftres de la Cour, p. $52. Ter- 
minées par le Cardinal Latin Malabrans 
che, ibid. n. XX. 

Privireers. Révocation de quelques-uns, 
& Conceflion d’un nombre d'autres aux 
Freres Prêcheurs , p. r14, #7. XXX. 

PROvENÇAUXx. Leur fabuleufe Tradition 
touchant la délivrance du Roi Charles 
IT, & l’Invention des Reliques de faince 
Madeleine , p. $72. 

PRovIDENCE. Ses æentions fur les Elüs 
p.21,7. XXXVI. 

PrOLEMAIDE , ouS. Jean-d'Acre. Siégede 


cctte Ville par plus de deux cens mille 


æ 


DES MATIÈRES. So; 


Sarafins, p. 536, ». XV. Le Roi de 
: Chypre vient au fecours des Affiégés, 


ébsd. n, XVII. ee récaution du Pa- 
triarche Nicolas de Hanaps, Domini- 
cain. Il fait tranfporter les Reliques, les 
Vales facrés à l'Ifle de Chypre , p. 537. 
Prile de Ptolémaide, p. 538, #. XX. 
Voyez le Vie de Nicolas de Hansps , 


?. 529. 
KR 


R°% DE GRANVILLE, Dominicain, 


c les Mers aller précher aux 
Mile > Pe 6 PER fait Chef des 
Miffions, & Provincial de la Terre- 
Sainte. Sa perfévérance dans le faint Mi- 
niftére , au milieu des plus grands pe 

t 


«tils, #bid. Il revient en Italic. Eft 


Confeffeur de Charles II. Son Ambaf- 
fadeur auprès du Roi de France. Patriar- 
che Titulaire de Jérufalem , p. 653. 
Conduite de Boniface VIII à fon égard, 
p. 654. 


RAYMOND Martin. Ses Prédications , 


& fes Ecrits, p. 490, »#. L Talmud, 
Alcoran, & autres Livres des Docteurs 
Juifs & Maures fur la Religion, réfurés 


“par ce favant Religieux , #. 111, IV, V, 


VI. 1! prêche librement à Tunis, #. VII. 
Et revient en Catalogne, #bid. Ses fain- 
tes ocupations dans la retraite ,#. VIII, 
Son Ouvrage, intitulé : Pugie Fidei, ou 
de Poignara de le Fos, ibid. Examen 
de ce Livre, p.496, 497, &c. 


RAYMOND DE MEVILLON , p. 560. Entre 


dans l'Ordre de faint Dominique , ». II. 
Son pere le fuit dans la même Vocation, 
n. Ill. Ses vertus. Sestalens. Ses Em- 
plois, #. IV. Sentimens philofophiques 
de faint Thomas, contredits en Angle- 
terre, même par quelques Dominicains 
..... Plaintes formées contre ceux-ci... 
Raymond eft envoyé pour éxaminer le 
Fait, & en arèter les fuites .. .. Décret 
du Chapitre à ce fujet, #.V. Raymond 
cft fair Evêque de Gap, ». VI. Chargé 
de plufieurs commiflions par le Pape , & 
le Roi de Naples, ». VII, VIII. Et 
transféré à l’Archevèché d'Embrun, #. 
X. Affemble le Corcile de fa Province, 
#. XI. Sa charité envers les Pauvres, 
n. IX. Sa mort, ». XII. 


S$ RAYMOND DE PEGNAFORT. Noblefle 


de fes eo p. 1,#.1. Ses progrès 
dans l'Etude , ». If. Ses Leçons publi- 
ques à Barcelone. Son défintéreffement , 


?. 2, I va à Boulogne reprendre Le rang 


de Difciple, ». III. Ÿ étudic les Loix , 
#, IV. Y enfcigne le Droit Canon, & 
diftribue aux pauvres fes apointemens, 
»#. V. Retour du Saint en Efpagne, ». 
VI. Il y acompagne l'Evêque de Barce- 
one, #. VII. Eft fait Chanoine & Ar- 
chidiacre de cette Eglife .... Sa con- 
duite dans cette Digniré .... Ufage de 
fes revenus, ». VIII. Sa Vocation à 
l'Ordre de ‘faint Dominique , ». IX. 
Plufieurs Ecléfiaftiques le fuivent dans le 
Cloître, ». X. Sa ferveur, & fon hu- 
milité, ». XI. {1 compolc fa Somme de 
Cas de Confcience, #. XII. Caractéres 
de fa Doétrine , #. XIII. Ses travaux 
pour le falut des mes, ». XIV. Sa 
Charité envers les Captifs, 7. XV. Il 
concerte avec faint Pierre Nolafqua 
l'Inflitution de l'Ordre de la Mercy , #. 
XVI. Lui en donne l'Habit, les Conf- 
ticutions , & l'en établit premier Supé- 
rieur, #. XVII. Acompagne au Concile 
de Taraçone le Cardinal Jean #'Abbe- 
ville, »#. XVIII. Eft aflocié à fa Léga- 
tion , 7. XIX. Travaille avec fuccès à 
réformer les mœurs des Chrétiens d'E[- 
pagne, ». XX, XXI. Sa pénicence. Sa 
régularité dans fes Miflions , #. XXE. 
Fruits de fon zéle , sbid. Humilité du 
Saint dans le fuccès , #. XXIV. Le 
Cardinal fait fon Eloge à Rome...., 
Le Pape lui ordonne de s'y rendre, », 
XXV, XXVI. Son mérite y eft recon- 


- nu, & honoré, 7. XXVII. Ses diférens. 


Emplois , sbid. Sa tendrefle pour les 
pauvres , #. XXVIITI. IL travaille par 
ordre de Sa Sainteté à une nouvelle Col- 
lection des Décrérales . ... Petite Ana- 


 lyfe de cet Ouvrage, 7. XXIX. Gré-" 


oire IX l'aprouve , & en recommande 
‘ufage aux Univerfirez , 7. XXX. Ray- 
mond met la derniére main à {a Somme 
de Morale , ibid, Refufe quelques Di- 
gnirez Ecléfiaftiques , & l'Archevêché de 
Tarragonne , #. XXXI. Nomme par 
obéiflance un autre Sujet à cette Eclife, 
ébid. Sa douleur, de {e voir ainfi ho- 
noré. Ilen tombe malade, #. XXXII. 
Retourne en Efpagne, pour y rérablir fa 
fanté,», XXXIII. Sa pauvreté en for- 
tant de Rome , sbid. Ses ocupations dans 
la retraite, #. XXXIV, XXXV. Mi- 
racles opérés par fon interceflion, ». 
XXXVI. Ily ajoute plufieurs auftéri- 
tez , #. XXXVII. Grégoire IX conti- 
nue à lui donner des marques de fon 
cftime , & de fa confiance, sbid. Célé- 
bres Affemblées des Etats de Catalogne 
11114 1j 


804 : 


_& d'Aragon, où Raymond affffte, Pru- 


dence & fagefle de fes confeils , #. 
XXXIX , XL. Heureux fuccès des 
Chrétiens contre les Maures , #. XLI. 
Nouvelle preuve de l'humilité du Servi- 
teur de Dieu dans cette ocafon , s#. 
XLII. Efets de {a tendre piété, 7. XLIII. 
Son horreur pour la médifance. Sesta- 
lens pour gagner des ames à Dieu, #. 
XLIV. I] eft élû Général de fon Or- 
dre, #. XLV, XLVI. Dans quels fenti- 
mens il aprend cette nouvelle, #. XLVII. 
Sa vigilance dans le gouvernement, ». 
XLVIIIL. Demandes qu'il fait au Pape, 
pour en faciliter le fuccès, #. L. Il ex- 

lique les Conftitutions de l'Ordre, #. 
Êr. Affemble deux Chapitres généraux , 
& fe démet dans le fecond , ». LII. 
Lettre édifiante , qu'il écrit à faint Pierre 
Nolafque, #. LIT. Il travaille à la con- 
verfion des Infidéles, n#. LIV. Engage 
faint Thomas à écrire contre les Gen- 
tils .... Fait rétablir l'Etude des Lan- 
ques Orientales parmi fes Freres , n. 

V. Fondation de deux Colléges à 
cette fin. Fruits de ces Etabliffemens. 


Le Concile de Vienne en reconnoît l'u- . 


tilité, #. LVI. Raymond eft eftimé des 
Princes Maures , & du Roi de Tunis 
en particulier , #. LVII. Ses atentions 
our les nouveaux Chrétiens , #. LVIII. 
Il confeille au Roi d'Aragon de chaffer 
de fes Etats les Juifs & les Maures obfti- 
nés, #. LIX. Fauffe converfion de quel- 
ques Infidéles , #. LXII. Importantes 
afaires commiles au Serviteur de Dieu 
par plufeurs Papes, #. LXIV. Le Roi 
po le charge d’une Ambaffade au- 
près du Saint Siége, #. LXV. Il acom- 
pagne ce Prince à l'Ifle de Majorque, 
#. LXVI. Travaille à le retirer du vice, 
n. LXIX. Veur fe retirer lui-même de 
Ja Cour, #. LXX. Dieu favorife {on 
deflein par une fuite de prodiges , sbid, 
Heureux changement de Jäques I, ». 
LXXI. Dernière maladie de faint Ray- 
. mond. Ileft vifité par les Rois de Caf- 
tille & d'Aragon, #. LXXIV. Sa mort 
n. LXXV. Sa Canonifation...., Di- 
verfes Tranflations de fes Reliques, #. 
LXX VI. ; 
RAYMOND DU PONT, célébre par fa Sien- 
ce , Auditeur du facré Palais à Rome, 
Gouverneur & Légat dans la Marche- 
d'Ancone, p. 754. Chancclier du Roi 
d'Aragon ; & Evêque de Valence, p.755. 
Ses grandes qualitez , & fa piété, ibid. 
G ?. 756. Il ne peut obtenir d'abdiquer 


TABLE 


fa Dignité, Reçoit publiquement l'habie 
des Freres Prêcheurs , fans quiter fom 
Evêché, ibid. Termine les diférends 
entre le Clergé & les Peuples d'Aragon. 
Sa décifion devient une Loi, p. 757. 
Sa prudence dans l'ézamen de la grande 
afaire des Templiers, sbid. de p. 758. 
Sa mort, sbid. 


RAYNIER, dit DE LOMBARDIE. Sa pro- 


feflion , p. 310. Ses vertus. Ses quali- 
tez. Il eft fait Vice-Chancelier de l'E- 
glife Romaine. Acompagne Innocent IW 
au Concile de Lyon, sb:d. Eft élà & fa- 
cré Evêque de Maguelone, p. 311. Af= 
femble un Synode, pour le rétabliffe- 
ment de k Difcipline , sbid. Le Pape 
aprouve fes Réglemens , p. 312. Hor- 
rible atentat d'un fcélérat , pour lui don- 
ner la mort, ibid. Statuts faits par les 
Chanoines à cette ocafion ,p. 313. 


RaAINIER DE Prse. Sa Vocation à l'Ordre 


de faint Dominique , p. 319. Sa piété. 
Son Erudition. Ses Ecrits Sa mort, 
sbid, 


RAINIER DE PLAISANCE. Sa Patrie. Seg 


talens naturels, p. 3r3. Il tombe dans 
l'héréfie des Vaudois , & devient leux 
Chef, p. 314 Séduit plufeurs Catho- 
liques. Se convertit , par le miniftére de 
faint Pierre Martir. Employe fon élo- 
Le contre les Hérériques, sbid. Se 
it Dominicain. Fruits extraordinaires 
de fes Prédications , & de fon zéle. Me- 
naces des Sectaires, & leur fureur con-- 
tre le Serviteur de Dieu. Sa fermeté , p. 
317$, 316. Il reçoit l'abjuration d'urr 
grand nombre de Miniftres Vaudois , 
sbid. Eft chargé par le Pape de veiller à La: 
confervation de la Foi dans quelques 
Provinces d'Italie, p. 317. Eft apellé 
auprès du Saiat Siège, pour les es 
de la Religion , ibrd. Ses Ouvrages. Sa 
Somme contre les Vaudois, p. 318. 


REFORME du Chapitre de Culme en Po- 


méranie, par l'Evêque Henri Polonois. 
Dominicain , p. 246. 


RELIGIEUSES DE SAINTE CLAIRE du Mo- 


naftére de Saint Jean-d'Acre. Réfolution. 
généreufe & extraordinaire qu'elles pren- 
nent , pour fe métre à couvert de la: 
bruraird des Infidéles , p. 540 , #. 
XXIIL 


RELIGION. Trifte état de la Religion. dans 


Je Nord , p. 240. Le Danemarck, p.. 
270, 271. Dans la Suede, la Bohème, 
& la Pologne, p.172. Concile de Slef- 
vik, tenu à ce fujet, sbid. n. VIL. Ré- 


_&lemens pour l'Eglife de Suede ,.p. 273. 


LS Vh L 


DES 


RELIQUES jee , portées d'Orient par 


les Croifez. Données en partie aux Freres 
Prêcheurs de Genes, p. 592, 593. 


RaesiDEnce. Néceflité de réfider , p. 68, 


#. XVI. Suites funeftes de l’abfence des 
Pafteurs, p. 65 ,#. XII. 


RicarD DE Monr-Cro1ix, Parcourt difé- 


rens Pays, pour en connoître les Sa- 
Vans , p.759. Se fait Dominicain ; eft 
envoyé Miflionnaire en Orient .... Pé- 
nétre dans les Pays Infidéles. ,...Y 
aprend l'Arabe .. .. Réfute l'Alcoran..…. 
Prèche l'Evangile aux Sarafins , & com- 
bat leurs Doéteurs, p.760, 763. Difé- 
rentes Traduétions de fes Ecrits contre 
J'Alcoran , p. 761. Son Itinéraire, ou 
Defcription des Pays qu'il avoit parcou- 
Ius, p. 762. Son retour en Italie, Sa 
mort, p.763. 


ROBERT, Comte d'Artois, porte folem- 


nellement la fainte Couronne dans l'E- 
glife de Sens, avec faint Louis fon fre- 
re , étant l'un & l'autre nuds piés , & eux 
chemife , p.160, n. VII. 


ROBERT BACUN , & RICHARD DE FISHA= 


CRE , célébres Théologiens , & Prédica- 
teurs en Angleterre, p. 143. 


BosErr DE FRANCE, Fils de faint Louis, 
. tenu fur les Fonts baptifmaux parle Pere 


Humbert, p. 319,n. XXI. 


ROBERT KiLOUARBSI. Ses Etudes dans les 


Ecoles de Paris ; où ileft reçu Docteur. 
Enfeigne la Philofophie, & compofe 
divers Ouvrages, p. 397 ,; n. I. Em- 
brafle l'Inftitut de faint Dominique, ». 
XJ. Profefleur dans l'Univerfité d'Ox- 
ford , »#. IL. Fruits de fes Leçons, & 
de fes éxemples , ibid. Et de fen gou- 
vernement dans la Province d'Angicter- 
re, #. IV. Il eft fair Archevêque de 
Cantorbery , #. V. Préfide à l'Aflem- 
blée des Etats généraux du Royaume, 
n. VI. S'aplique à la réforme de fon 
Diocèfe , ». VII. Se rend au fecond Con- 
cile de Lyon, ». VIII. Revient à Lon- 
dres, #7. IX. Y couronne le Roi & la 
Reine d'Angleterre , sbid. Laifle partout 
des marques de fa charité, & de fon 
zéle, #.X. Imite fes faints Prédécef- 
feurs, #. XI. Eft fait Cardinal , & apellé 
auprès du Pape, #. XIL. Qui fai ufage 
de fes talens , pour la converfion des 


_ Tartares » 5bid. Ses vertus dans cette 
. élévation, sbid. Sa mort, ». XIII. Ses 


R 


Ouvrages , #. XIV. 

OG6ER CALCAGNI , Dominicain. Ses 
Prédications. Le pape fait ufage de fes 
æalens comtre les Hérétiques. Le nomme 


SPECTACLE trag 


MATIERE S. 8o 
; Evêque de Caftro, & premier Inquif- 


teur dans la Tofcane. Moyens de cha- 
rité, pour détruire l'erreur. 11 rétablit la 
paix {on Clergé, p. 413. Affifte 
au Concile de Lyon. Se retire parmi fes 
Freres au Couvent d’Arezzo. Ses ocu- 
pations dans La retraite, p. 414. Sa mort, 
P.A1S. 


ROGER DE LEONTINO. Sa profeffion. Il 


cft cftimé à la Cour du Pape. Eft fait fon 
Lépat en Sicile, p.176. Motif de certe 


. Légation. Bref du Pape à ce fujer, p. 


177, 178. Zéle & prudence du Légat. 
Il eft élù Evêque de Mclf,p. 180. Ses 
foins , pour faire refleurir la piété... 
Sa fermeté, & fa vigilance contre les 
entrepriles de Maïnfroi. Sa mort.... 
Mébprife de quelques Auteurs, dans l'Hif. 
toire de fa Vie, p. 181. | 


‘à L 


S ANCHEZ II. Troubles arivés en Portu: 
n 


al es le Régne de ce Prince, p.85, 


SARASINS. Leur domination tyranniqueen 


Efpagne. Les Princes Chrétiens leur en- 


. Hévent une partie de leur Empire. .. In- 
. Curfions & ravages de ces Barbares fur 
les terres des Chrétiens au treiziéme fé. 


ck, p.9, n. XIV. Ils font chaffés fans 
rerour du Royaume de Valence, p. 12, 
&c.#. XXXVIII, XXXIX, XL, XLI 
S'emparent de prefque toute la Paleftine, 
polfédée par les Chrétiens Latins, p. 
#32. Leur horreur pour l'Evangile, & 
leur cruauté contre Les Chrétiens après 
cette victoire, p. 653. 


- SIEGE. Atachement des Freres Précheurs 


au Saint Siége, p. 112, I13 , 11$, 
664, 66$. 


SEMON DE LEONTINO , p. 27. Ses fuccès 


dans l'Etude de la Théologie , & dans le 
Miniftére de la Parole. ... 11 eft facré 
Evêque de Siracufe.... Son atention 
pour remédier aux fuites de la révolte 
des Siciliens, ou des Vêpres Siciliennes , 
P. 528. Charles I le fait fon Ambafla- 
deur SE du Roi d'Aragon, à cette 
méme fin , sbid. Inutilité de cette Am 
baffade . ... Il s’atire néanmoins l'eftime 
de l'un & de l’autre Souverain, p. 519. 
Sa mort, sbid. | | 
ique donné à Florence , 
P-711,n. XIII, XIV. 


SUANTOPOULC, Duc de Poméranie. A- 


poftañe de ce Prince. 11 favorile leg 


1111 üj 


806 
Payens, . . . Et fait révolrer les nouveaux 
Chrétiens , p. 241, #. IIL Croifade 

- prêchée contre lui..... Viétoire des 
Croifez , n. 1V. 1] demande la paix , ».V. 

SuLTANIE , Ville de Perfe , bâtie par le 
Grand-Can Aliaptou, Prince des Tarta- 
res, p. 776. Eclairée des lumiéres de la 
Foi par le Pere Franco de Péroufe...., 
Se fait gloire du nom de J. C. sbid. Et 
devient la Métropolitaine de ce Royau- 
me, p.778. 

‘SUPERSTITION ridicule fur l'éternuëment. 

* Sonorigine, p.89, #. XXIII. 

SUPERSTITIONS impurcs , pratiquées au- 
trefois à Mévania en Ombrie , p. 638. 

SUPERSTITIONS fur les morts, communes 
autrefois aux Chrétiens & aux Payens de 

*Pruffe ,p. 145, n. XI. 

6. Syr. Tranflation de fes Reliques dans 
le Concile de Genes, p. 588, ». X. 


T 


Ed AzissONSs, Impofteurs Made 

employés autrefois dans la Pruffe pour 
les funérailles , p. 245. 

TARRAGONE | Eglife de ] autrefois Prima- 
tiale de tout le Royaume d'Aragon, p. 18. 

TaRTARES. Leurs ravages dans les Pro- 
vinces du Nord , p. 145. Et dans le 
Royaume de Hongrie, p. 325 , 336. 

- Entretiens de leurs Chefs avec les Non- 

. ces d’Innocent IV, p. 148. Leur fierté, 
p- 149 , 159. Horrible cruauté de ces 
Barbares , p. 153, 163, 164. Croifade 

| pe contr'eux , p. 427. Ils font dé- 

* faits par le Roi de Hongrie, p. 456, 
n. XXIX. Ambaffade de Tartares à 
Benoît XI....1ls propofent d'unirleurs 

. armes à celles des Chrétiens contre les 
Turcs, p. 699, n. LXV. 

Tempciers. Leur courage intrépide au 
frépe de Saint Jean - d'Acre .... Frere 

Mathieu de Clermont y fait des prodi- 

es de valeur , p. 538. Examen des gran- 

es acufations formées contre ces Che- 
valiers, p. 757. Ils refufent de compa- 
roître , & prennent les armes, p. 758. 
Le Roi d'Aragon les foumet, sbid. Ex- 
tin@tion de leur Ordre dans le Concile 
de Vienge, sbid. 

THEODORE , Empereur d'Orient, fait des 
propofitions de paix entre les deux E- 
glifes, Greque & Latine , p.169. Mar- 
che contre les Bulgares, & meurt dans 
cette expédition, p. 170, 171. 

JHOMAS DE BERTA, Ses belles qualitez, 


TABLE 


P-285, 0,1, [left élù prefqu'en mémas 
_tems Evêque en Sicile & en Tofcane, 
#. LI, Sa vigilance paftorale , & fa pié- 
té, n. III. I] fait métre la Ville de Sienne 
fous la protection de la Sainte Vierge, 
n,1V. Kanime la ferveur , & la régula- 
rité de fon Chapitre, #. VI D 
É ras = ir #. VII. Réta- 
t la tranquilité publique , #. VIII. Et 
finit faintement té rie #. IX. 

THOMAs DE CATIMPRE’. Lieu de {a naif- 
fance, p. 255, ». L Son pere le dé. 
voue au fervice des Autels, »#, II. Es 
le fait élever dans la crainte du Sei. 
gneur, 3. IT. Emulation du jeune Tho- 
mas, #. IV. I fc fait Chanoine ER 
lier , #. V. S'adonne à la dire@ion deg 
ames par Obéiffance, #. VI. Ses peines 
de confcience à ce fujet, #. VIL Sainto 
Lutgarde prie pour lui, & le raffure, 
ibid, Il pañle à l'Ordre de faint Domi- 
nique, #. VIIT. Etudie à Cologne, à 
Paris, #.IX. Enfcigne avec aplaudiffes 
ment à Louvain, #. X. Prèche dans plu. 
ficurs Provinces, #. XI. Compole des 
Ouvrages de piété, #. XII. Et quelques 
autres, #7. XIII, Diféréens fentimens des 
Hiftoriens , {ur fon élévation à l'Epif. 
copat , #. XIV. Eloge de fes vertus , 
sbid. p. 161. 

THomas DE Jorz, embraffe l'Inftitue de 
faint Dominique, avec cinq de fes Fre- 
res, p.746. Eft fait Confcfleur du Roi 
Edouard I, & fon Ambañladeur, p. 747. 
Cardinal, & Légar du Pape , sbid. & 
?- 749. Il folicire inytilement la Cano- 
nifation de Robert Grofle-tête, ibid. 
Ecrits de ce favant Homme, p. 748 
750. Jean Balëus 2 voulu noircir {a 
réputation , p. 7$12. 

TREMBLEMENT de Terre très-violent , ari- 
véen kalie, fous le Pontificat de Boni- 
face VIII, p. 668 , ». XVI. 

TREVISE | magnifique Egute deS. Nicolas 

ét 


de ] bâtie par la piété de Benoît XI , 
?. 63 


#+ 
ÂTACE bre Ducas ] Empereur Grec 
de Conftantinople. Ses éforts pour re- 
prendre fur les Croifez cette Capitale, 
p.158. Ses démarches pour la rdinion 
de l'Eglife Greque avec la Latine, p. 
169. Conférences-fur ce fujet en fa pré- 
fence , par les Nonces du Pape & les Pae 


triarches Grecs, p. 120$, n. IX, &c. 
V&PRES SICILIENNES ; p. 527. Les Sicis 


DES 


Tiens révoltés apellent à leur fecours 
Pierre II Roi d'Aragon, p. 528. Qui 
s'empare de route la Sicile , p. $29. 

B, ViraL, premier A des Lithua- 
nien$. Son zéle pour y établir la Foi , p. 
249, #7. XVIL. Ileft maltraité par l’A- 
poftat Mendog , ». XVIII. Miracles opé- 
rés à fon Tombeau. Son culte chez les 
Polonois , p.254. 

VincenrT De Beauvais. Doutes critiques 
concernant l'Hiftoire de cet Auteur , p. 
186 , 187. Sa profeflion. Ses Emplois, 
&c fa réputation à la Cour de faint Louis. 
Ses Ecrits , #. I. Ce qu'on peur y re- 


M ATIERES. 


807 
marquer , #. 11. Précis de fes principaux 
Ouvrages, #. 111, 1V, V, VI, VII, 
IX, X, XI, XII, XIII, XIV, XV, 
XVI. Leur utilité, #. XX. Il en fait 
lui-même la cenfure , #. XIX. Vüës, & 
Le de cet Ecrivain, ». XVII, XVIII. 

ce que les Critiques en ont penfé, #. 
XXI. Diférentes Editions, #. XXII. 
Ouvrages douteux, x. VIII. Ouvrages 
fupolés , #. XXII. Mort de Vincent de 
Beauvais, #. XXIV. 

Voyaces DE PIETE. Abus fur ce point, 
1.68 ,n. XVL 


Fin de la Table des Marieres. 





FAUTES D'IMPRESSION A CORIGER. 


Page 16, crédit des richeffes : fx, des richefes. Page 66 , it mendie fon pain; & il alla : lifex, qui 
mendic fon pain, ilalla. Page 935, par l'idée: éfacex par. Page741, Lyon: lifex, Leon. 





CATALOGUE des Livres nouvellement imprimés , qui fe vendent 
: a Paris chez ledit BABUTT,1743. 


Ouvrages de M. l'Abbé DU GU ET. 


ETTRes fur divers fujets de Morale & de 
Piêté , trois volumes in-12. 
Les mêmes en grand papier , 3 vol. in-r2. 
Chaque Volume fe vend féparément, 
Les mêmesen 3 vol. 18 
Les Tomes II III fe vendent enfemble féparément. 
fOMEARSE fur la Coutame de l'Eglife de fu- 
léer les Exorcifmes après le Barème , lorfaue 
a néceilité a obligé de les ométre: contre ceux 
qui prétendent que l'Eglife fait injure au Saint- 
Éfpric , en ordennant à fes Miniftres d'em- 
ployer les Exorcimes fur des perfonnes qui 
{ont devenués fon Temple par Îe Batéme. 32, 


1727. 

Traité hiftorique & dogmatique de l’Eucharifiie, 
où l'on prouve par l’Ecriture-Sainte , & par la 
Tradition , que le Corpsde Jefus Chrift dans 
l'Euchariftie , eft le même qui eft dans le Ciel; 
& que la chair qu'il nous donne, eft la même 
qu'il a prife dans le fcin de la Vierge , & qui 
a été crucifiée pour nous: contre les nouveaa- 
tez qu'onintroduit, 12,1727. = 

Réfutation d'un Ecrit , qui tâcheit de juftifier 

U l'Ufure, 12. 1727. 

Traité de la Croix de Notre-Scigneur Jefus-Chtift : 
04 : Explication du Myftere de la Pafñfion de No- 
tre Scigneur Jefus - Chrift, felon la Concorde : 
Diviféc en dix Parties ; la premiére commence 

par donner une idée générale des vüës, & des fen- 
tinens de Jefus-Chrift dans fa Paflion , du carac- 
tere des Evangcliftes, qui répond éxa@cment aux 
difpoftions de Jefus-Chrift ,on vient enfuite à 


l’hiftoire de La Concorde, au Repas chez Simon 
le Lépreux, où étoit Lazare que Jefus-Chriftavoit 
reflufcite , &c. Et la dixiéme Partie contient l’Ex- 
plicarion du Chapitre CXLIII de la Concorde, 
depuis la Priére de Jefus-Chrift, jufqu’à l’ouver- 
ture de fon Côté , raportée dans le Chapitre 
CXLIV: neuf gros volumes in-douze, qui fe 
relient en quatorze, 1733. 

Suite du même Ouvrage , imprimée en 1728 en 
deux volumes in-12, 8&c en un feul de petit ca- 
ratcre. 

Lepremier, qui renferme la douziéme Partie , con. 
tient des Eos fur Jefus-Chrilt crucifié : 

Le fecond , qui eft la quatorziéme Partie, contient 
une Explication de plufieurs Paflages de S, Paul, 
fur Jefus-Chrift crucifié , qui n’ont pas été aflez 
aprofondisailleurs , & qui contribuent beaucoup 
à l'intelligence du grand Myfere de la Croix. 


Ouvrages de MM. les Abbez DUGUET 
& D'ASFELD. 


Explication de plufeurs Livres de l’Ecriture-Sainte ; 
où , felon la méthode des faints Peres, on s’ata- 
che à découvrir les Myftéres de Jefus-Chrift, & 
les Régles des mœurs , renfermées dans la lettre 
même de l’Ecriture : avec une Traduétion nou- 
velle de chaque Livre, éclaircie par des Notes li- 
térales fur le Texte original ; favoir : 

Le Livre dela Gencfe , 6 vol. in-12.% Se vendens 

Le Livre de Job, 4 vol. in-12,1332.(  enfemble. 

Le Livic des Pfeaumes , cinq gros volumes qui fe re- 
licnt en huit, 1733 & 1739. Le cinquiéme o8 
buitiéme volume fe vend fparémens. 


La Prophétie d'Ifaïe, cinq volumes ] 
qui fe relient en fix , 1734. 

Un autre volume, contenant, 

I. Cinq Chapitres du Deuteronome , | 
lsXXIX,XXX, XXXI,XXXIT, 
XX XIII, où font renfermésl'Ailian- 
ce nouvelle que Dieu contraïeavec 
de Peuple d'Liraël, dans la derniere | 


année de fon féjeur dans le Détert ; Le vendent. 


& le célébre Cantique de Moyie. enfemble. 


II. La Prophétie obfeure d'Habacuc. 

111, La Prophétie de Jonas. 

IV. Ecl'Explication de quelques Ver- 
fets obfcurs du Chapitre XII de 
FEcléfiafte, qui conuient une Def- 
cripuon figuréc des afoiblitlemens 
de la vicilleile. 

L'Explication des Livres des Rois, des Paralipo- 
menes, d'Efdras, & de Nehemias ; fix gros vo- 
lumes , qui fe relient en fept, 1742- 

Recucil contenant ; I. La Préface & l'Analyfe du 
Livre de Job. Ce font deux favans Morceaux , 
pleins de lumiéres , & qui font d'une très grande 
utilité, pour fervir d'entrée à l'intelligence de ce 
Livre tout Divin. 

11. Réflexions fur le Cantique des Canriques. 

III. De La Beauté de Jefus-Chrift. 

IV. Explication de la Prophétie du Prophète Joël. 

L'Explication de l'Ouvrage des fix Jours ou de l'Hif- 


coire de la Création ; où on a joint les Explica- - 


tions des Chapitres XXXVIII & XXXIX de Job, 
& des Pfeaumes XVIII & CII, qui traiceatde la 
méme matiére; & qui, formant enfemble une 
Phyfique facrée, aprennent le faint ufage que l'on 
doit faire du Spcétacie de La Nature, & des Dons 
infinis du Créateur. Ouvrage très-utile aux per- 
fonnes qui aiment véritablement s’inftruirc de la 
Kcligion; & même très-propre dinfpiter à la Jeu- 
neflc du refpeét & du goût pour la leéture des Li- 
œwrcs faints. Nouvelle Édition , augmentée du fe- 
cond Sens du Pfeaume CII, & d'une Table des 
Maticres, in-12 ,1740. 
Le Livre des Pfeaumes : Tradu@&ion nouvelle fdon 
J'Hebreu : avec des Sommaires éxa@ts qui en mar- 
quent l'Ocafion , le Sujet , & qui en renferment le 
Sens litéral & le Sens {pirituel : le tout extrait fidé- 
lement dc l’Explication des Pfcaumes,in-12,1740. 

Cinq Lettres d’un Prieur à undefes Amis, pour la 
détenfc du Livre des Régles pour l'intelligence des 
faintes Ecritures : où, après avoit établi le véri- 
table état de la Queftion touchant le fens fpirituel 
des Ecritures, on rétute le Livre intitulé: Traité 
du fens Litéral © du fens Myflique des faintes 
Ecritures , felon la Doctrine des faints Peres. 

Les quatre dernieres fe vendent enfemble féparé- 
ment, in-121,1729. 

De l’Attion de Dieu fur les Créatures ; Traitc, dans 
fequei on prouve la Prémotion Phyfique par le 
Raifonnement, & où l’on éxamine plufieuis quef. 
tions qui ont raport à La nature des efprits & à la 
Grace. Troifiéme Edition, augmentee & bicn plus 
éxacte que les précédentes , 2 vol. 4°. 

La nullité des Ordinations Anglicanes , démontrée 
de nouveau , tant pour la forme, que pour le 

* droit: contre la détenfe du KR. P, le Courayer , 
Docteur d'Oxford, & Chanoine Régulier de fain- 
te Geneviéve: Par leR. P. le Quien, de l'Ordre 
de S. Dominique, 2 vol. 11. 1730. 

Michaëlis Mac Quilin, Ordinis Prædicatorum, Dif- 
fertatio de Contritione in Sacramento Pœnitentiæ 

* neceflariâ, ad mentem S. Thomæ yetcxumque 
7hpillarum , 12, 37361 


Sandi Raymundi de Pegnafort , Ordinis 
Pradicatorum Summa ; Texts facroruns 
Canonum , quos landat , aus Co locu- 
pletatn, nd Veterum Codicum fidem re- 
cognita Co emendats ; Coc. fol. 1710. 


C'eft-d-dire , la Somme de Saint Raymond de 
Pennafort , Troifiéme Général de l'Ordre de faine 
Dominique ; augmentée & eurichie du Texte des 
facrés Canons , cités par le faint Auteur ; revüté 
& corrigée fur les anciens Manufcrits, par Les 
foins du Pere Laget du même Ordre 

L'on fait que la Somme de faint Raymond eft 
la premiere qui ait paru dans l'Eglife de Dicu ; & 
on doit d’autant plus l'eftimer , qu'on ne décidoit 
alors que par l'autorité des faintes Ecritures, des 
faints Canons & des faints Peres. 

1°, Il ya à La tête de cene Edition une excé- 
lente Prétace du Pere Laget : Elle eft’divifée em 
trois Parties: La premiere contient l'Eloge de læ 
Somme de {aint Raymond , avec une Notion gé - 
nérale des matiéres qu’il traite. & des Perfonnes 
aufquelles elle peut être utile. La feconde Partie 
contient un Abrégé du Droit Canon, fa Divifon, 
{a Concordance, & la maniére de le citer : Le 
Pere Laget en prouvc fon utilité , & même fa né- 
ceflicé a l'égard de ceux qui font chargés de La 
conduite des Ames. La troifiéme Partie contienc 
la Vicdefainr Raymond, 

1°. Le Pere Laget a ajouté À l'ancienne Glofe 
de faint Raymond quelques Notes dans Îles en- 
droits, où la Difcipline de l’Eglife a varié depuis 
la mort du Saint, & Ja publication du faint Con- 
cile de Trente ; comme fur le Mariage , où la pré- 
fence du Curé & de deux Témoins eft néceflaires 
à peine de nullité. 

3°. Le Pere Laget a mis tout au long le Texte 
des Canons, & des Conciles , que faint Raymond 
n’a fait que citer dans fa Somme : Ainf un Eclé- 
fiaftique peut aifément fe pafler des autres ; parce 
que tous ceux qui peuvent regarder la Diretion 
des Conficnces , y font raportés. 

4°, À la fin de la Somme de faintRaymond, 
il y a huit Obfervations du Pere Laget : Elles mé- 
ritent une atention particuliére du Leëeur , & 
rendent cette nouvelle Edition recommandable : 
La premiére eftfur leTitre, De Simen:4 : la fe- 
conde fur celui, De Magiftris : latroifñiéme, De 
Apoflatss : la quatriéme , De Simulatione : La 
cinquiéme , De Mendacio : la fixiéme , De Fe= 
rits : la fepuiéme , De Perplexitate : la huitième, 
& la derniére, De Pœnitentiis, © Remifhonibus, 

En cinquiéme lieu ; Le Pere Laget a mis à la 
fuite de fés Obfervations plufieurs autres Piéces , 
qui ne font pas moins intéreflantes ; conime les 
Documens Canoniques ; c'eft d-dire , les Canons 
des Apôtres, ou ce qu’on apelle les Canons 
Apoltoliques , les CTanons Pénitentiaux. 

Enfin cette nouvelle Edition , fi enrichie par 
le Pere Laget, ne fauroit qu'être bien reçüë du 
public , puifqu'il n’a rien négligé pour la rendre 
parfaire & uvile ; & l’on peut dire avec jufice , 
que toutes les Editions qui ont paru de la Somme 
je faint Raymond , ne font rien en comparaifom 
de celle-ci. Ellceft furtout d'une très-grande uti- 
lité pour les Direéteurs de confience, & les Curez 
de cainpagne. En un mot , elle peut fupléer à 
pluficurs autres Livres néceflaires à cet ufage , 

ue tout le monde n’a , ni la facilité, ni lemoyen 
‘avoir. Tel a été le principal but , que Je Pers 
Lagcet s'eft propog, 


en I NNNNERNSe cles “OU. ommentne, 


ne mr 





ee = LÉ RSS Le 


a na Nationalbibliothek 


1 ui I] D fil li qq 
E ul Le Will 1 dll W 
+2165300505 









































il 


Ï 


. 
: sas PL : ie rover Face 1° : ia 


14 
: 
LÉ 


“ 
Dar 
po “ 
# 
PSE 

CES 
” 22 


ER